Chap. 17
Les récipients et ustensiles en pierre
Stone vessels and utensils
p. 311-319
Résumés
Cet article présente une description des récipients et ustensiles de pierre de Klimonas : les segments de la chaîne opératoire de façonnage, les caractéristiques morphologiques et les potentielles gammes fonctionnelles de ces contenants. Les récipients et ustensiles de pierre s’intègrent dans la sphère d’exploitation des ressources minérales et participent à la préparation et à la consommation des aliments, mais également à la transformation de matières non alimentaires. Ces récipients, tous en calcaire, sont de forme très simple (majoritairement : bols, bols-mortiers ou bassins hémisphériques et plats) souvent sans recherche de symétrie. Un seul récipient porte une « décoration » de lignes quadrillées incisées. Trois d’entre eux présentent des résidus de matière colorante rouge. Bien que quantitativement peu important, une centaine de pièces seulement, l’assemblage des récipients et ustensiles en pierre de Klimonas offre la possibilité de documenter cet artisanat débutant qui ne fera que se développer durant le PPN et restera très important à Chypre durant plusieurs millénaires, puisque la technologie céramique sera adoptée tardivement par les habitants de l’île.
This article describes the stone vessels and utensils recovered from Klimonas and discusses their different aspects: manufacturing processes, morphological characteristics and potential functions. These products came from a wide variety of contexts and were deposited in the various structures of the three sectors; however, in spite of particular attention being paid to their location, it was not possible to identify a functional or spatial organisation as the large majority of these objects were not found in a primary context – they were mainly found in the fill of excavated structures or in the building materials. The question of the location of the manufacturing site is difficult to address. No single concentration of unworked raw materials or tools was identified during excavation, nor was it possible to recognise concentrations of roughouts or waste coming from preliminary flaking of the blocks. The vessels, all in locally available limestone, are simple in shape (bowls, bowls-mortar bowls, basins and dishes). This salient feature of the series indicates a rather low investment in the shaping of volumes: no search for symmetry, regularisation of walls and a poor finish. One of the vessels is “decorated” with the incision of a grid pattern. Three vessels show residues of red colouring. Stone vessels and utensils were used for food preparation and consumption, as well as for the processing of non-food matter. More ambiguous utensils consist of a piece of limestone, sometimes with a conical profile, in which a small cavity has been formed. These could have been used for processing food or non-food matter, although they could equally have just been part of the construction. Although few in number (around 100 pieces), the stone vessels and utensils of Klimonas offer an opportunity to document this new craft, which grew throughout the PPN and remained significant in Cyprus for several thousand years, as pottery technology was adopted relatively late by the inhabitants of the island.
Texte intégral
1. Introduction
1Les récipients et ustensiles en pierre de Klimonas correspondent à des restes de nature variée, présentant au minimum le dégagement d’une cavité et éventuellement une mise en forme. Étant donné la faible quantité de pièces recueillies (105 restes pour un minimum de 75 individus au total), la stratégie d’étude a privilégié une approche globale de celles-ci, sans échantillonnage et quel que soit le contexte de provenance. Une attention particulière a néanmoins été accordée aux contextes les plus fiables pour caractériser ces productions des communautés PPNA de Klimonas.
2Les principes de description technologique et formelle de ces récipients reposent sur les propositions publiées par Mouton (1984), Saliou (1989), Wright (1992), Eitam (2009), Manen (2011, 2017). On doit souligner que l’encroûtement des pièces, parfois intense et pouvant recouvrir l’entièreté des surfaces, a nui à la lecture des stigmates de façonnage (18 % sont illisibles). Par ailleurs, de nombreuses pièces (27 %) présentent un degré d’altération important (passage au feu fragilisant le calcaire, altération post-dépositionnelle, dissolution). Les degrés de préservation de ces récipients sont donc extrêmement variés et sont à mettre en relation avec la nature du calcaire employé mais également avec les contextes de rejet. Du point de vue typologique, 58 pièces (55 %) sont rapportables à une catégorie morpho-fonctionnelle précise.
2. Contextes de découverte
3Les récipients de pierre de Klimonas sont issus de contextes variés (tab. 17-1), mais proviennent très majoritairement du Secteur B (71 %) et dans une moindre mesure du Secteur central (St 10 : 21 %).
Tab. 17-1 – Distribution contextuelle des récipients de pierre de Klimonas.
Secteur B | 75 |
B05 | 2 |
B05-B26 | 1 |
B07 | 6 |
B08 | 11 |
B09 | 7 |
B10 | 10 |
B12 | 1 |
B17 | 1 |
B18-B28 | 4 |
B23 | 1 |
B26 | 4 |
B26-27 | 1 |
B27 | 1 |
B20 | 1 |
Hors bâtiment | 17 |
Remanié Sotira | 1 |
Hors contexte | 6 |
Secteur central, St 10 | 22 |
Hors contexte | 2 |
Comblement St 10 Phase 1 | 1 |
Comblement St 10 Phase 2 | 10 |
Comblement St 10 Phase 3 | 2 |
Secteur SE | 4 |
Tranchée 168.1 | 1 |
Tranchée orientale | 2 |
Secteur F | 7 |
Bâtiment 800 | 6 |
Bâtiment 907 | 1 |
Secteur A | 1 |
Total | 105 |
Contextual distribution of stone vessels from Klimonas.
Tab. 17-2 – Distribution des récipients de pierre du Secteur B selon les contextes de découvertes.
Secteur B | |
Fosse | 19 |
Comblement final | 15 |
Demolition | 10 |
Comblement primaire | 7 |
Hors stratigraphie | 6 |
Comblement secondaire | 4 |
Mur | 4 |
Tranchée de fondation | 4 |
Trou de poteau | 3 |
Nappe de pierres | 2 |
Radier | 1 |
Total | 75 |
Distribution of the stone vessels from Sector B according to their context.
Tab. 17-3 – Catégories morpho-fonctionnelles des récipients de pierre du Secteur B.
Secteur B | |
Indéterminé | 28 |
Plat | 18 |
Bassin | 9 |
Bol | 9 |
Ustensile | 6 |
Bol/Mortier | 3 |
Coupelle | 2 |
Total | 75 |
Morpho-functional categories of the stone vessels from Sector B.
4Les récipients de pierre du Secteur B (tab. 17-1 et 17-2) sont très majoritairement associés à 14 des 26 bâtiments identifiés à la fouille et dans une moindre mesure aux creusements pré-céramiques ou Sotira recomblés avec du matériel principalement PPNA (chap. 4). Lorsqu’ils sont associés aux bâtiments, ils se rapportent à une grande variété de faits, principalement des creusements, des comblements finaux de bâtiments et des niveaux de démolition. La très grande majorité provient donc de niveaux postérieurs au fonctionnement des bâtiments et n’est pas en contexte primaire. On doit tout de même signaler la découverte d’un mortier complet dans la tranchée de fondation du bâtiment B26 (fig. 17-1, C). Cet élément en calcaire est de forme pseudo-rectangulaire, peu régularisée et asymétrique. La cavité aménagée, large et assez profonde (5,5 cm), présente des résidus de matière colorante rouge. Il peut ainsi s’agir d’un dépôt intentionnel marquant la fondation du bâtiment au même titre que d’autres mobiliers tels que des pièces lithiques (chap. 14 et 16), des éléments de parure (chap. 19) ou des restes osseux travaillés (chap. 18) ou consommés (chap. 31). Du point de vue quantitatif, on note une plus grande concentration de récipients dans les contextes associés aux bâtiments B07, B08 et B10 qui sont les plus récents et les mieux conservés (chap. 8). Les catégories -morpho-fonctionnelles sont variées bien que souvent indéterminées (tab. 17-3).
Fig. 17-1 – Récipients en pierre grossiers du Secteur B. A : B09-US 6022, bol-mortier au profil asymétrique et parois peu régularisées par bouchardage ou laissées brutes par endroit ; B : B18-B28, bassin ; C : Secteur B, B26, mortier de morphologie peu régulière. Les surfaces extérieures sont laissées brutes, la cavité interne a été régularisée et des traces de pigments rouges y sont identifiées.

Coarse stone containers from Sector B. A : B09-US 6022, mortar bowl with asymmetrical profile and walls roughly regularised by bush hammering or left rough in places ; B : B18-B28, basin ; C : Sector B, B26, mortar with an irregular morphology – the outer surfaces were left rough, the inner cavity has been regularised and traces of red pigment were identified.
5Les récipients de pierre du Secteur central (tab. 17-1) sont plus particulièrement associés au comblement du creusement du Bâtiment communautaire St 10 (13 pièces) et ce pour l’ensemble de la séquence stratigraphique. Ce petit échantillon ne permet pas d’identifier de traits particuliers en lien avec le caractère exceptionnel de ce bâtiment. En effet, ces 13 pièces sont principalement des fragments de récipients en calcaire atypiques se rapportant à des catégories volumétriques diversifiées. Une pièce seulement livre un profil complet, mais intégralement recouvert de concrétion, attribuable à un bassin épais en calcaire (cf. infra). De plus ces récipients et ustensiles de pierre sont majoritairement en situation de recyclage (matériaux de construction utilisés pour les remblais, sols de terre…).
6Cet aperçu des contextes de découverte des récipients de pierre indique qu’il est difficile de discuter de leur possible sectorisation spatiale ou d’une distribution différentielle de certaines catégories morpho-fonctionnelles et ce en raison de la faiblesse quantitative de l’échantillon et du caractère détritique des dépôts auxquels ils sont associés.
3. Chaîne opératoire de façonnage et caractères morpho‑fonctionnels
7Comme souligné précédemment, la présentation des techniques de façonnage et des gammes morphologiques se fonde sur l’observation de l’intégralité du corpus, quel que soit le contexte de provenance, dans une perspective qualitative.
8Les matières premières utilisées par les communautés de Klimonas sont exclusivement calcaires (à l’exception d’une pièce en diabase1 découverte hors contexte dans le Secteur B et qui est écartée de l’étude). Ces calcaires présentent différentes propriétés mécaniques (calcaire dense fin, calcaire dense, grenu, calcaire cayeux) et sont probablement pour beaucoup issus des bans de craie de Lefkara desquels sont également tirés les silex taillés du site et qui affleurent massivement à quelques dizaines de mètres du village pré-céramique. Les supports pouvaient se présenter sous différents formats (galets, plaques…). Les gammes volumétriques de ces supports sont assez diversifiées, allant du petit module (20 cm) à des supports beaucoup plus imposants d’environ 50 cm. On ne peut aller au-delà de ces observations. La question des lieux d’acquisition des supports et de leur déplacement reste entière, de même que les outils et les techniques potentiellement utilisés pour l’extraction nous sont totalement inconnus.
9La fabrication des récipients de pierre passe par plusieurs étapes qui constituent en quelque sorte différents degrés de façonnage, le stade ultime aboutissant à l’effacement de tous les stigmates issus des étapes de mise en forme et de régularisation (Manen 2017, 2021). La question du lieu de fabrication est très difficile à aborder. Aucun déchet d’épannelage ne vient documenter l’étape de mise en forme du volume de même que les stigmates pouvant résulter de ce travail ne sont que rarement visibles sur les surfaces. Aucune ébauche ou raté abandonné n’a été découvert.
10Concernant les modes opératoires, on identifie l’utilisation de la percussion lancée directe (impacts de bouchardage et piquetage matérialisés par des facettes plus ou moins allongées, des alvéoles ou des stries grossières, fig. 17-2, A-B) pour la mise en forme des volumes. La régularisation des parois s’effectue principalement par raclage (fig. 17-2, C-F) puis si le façonnage se poursuit, les états de surfaces sont régularisés par abrasion/lissage. Souvent quelques traces de percussion ou de raclage peuvent encore apparaître. On soulignera concernant les stries, que celles-ci peuvent également être issues de l’utilisation du récipient. Mais dans la majorité des cas, elles sont présentes sur les surfaces externes et internes des récipients et peuvent donc bien être considérées comme des stigmates de régulation des parois. Deux principaux types d’outils peuvent avoir été utilisés pour le façonnage de la vaisselle de pierre. Le premier fait référence aux outils du macro-outillage et plus particulièrement aux percuteurs pour les opérations de piquetage/bouchardage et aux galets à arête active (cf. chap. 16). La seconde catégorie d’outils relève de l’industrie en silex taillés pour les opérations de régularisation et finition par sciage, raclage et abrasion notamment (cf. chap. 14 et 15).
Fig. 17-2 – Stigmates relatifs aux procédés de façonnage des récipients et ustensiles en pierre. A : alvéoles de bouchardage ou piquetage ; B : facettes liées à l’enlèvement d’éclats par percussion lancée directe ou indirecte ; C-F : stries de raclage.

Stigmata resulting from the process of shaping stone vessels and utensils. A : pitting or bush hammering dimples ; B : facets resulting from the removal of splinters by direct or indirect thrown percussion ; C-F : scraping striations.
11Parmi le corpus de Klimonas, 58 éléments peuvent être rapportés à une catégorie morpho-fonctionnelle spécifique, parmi lesquels 34 présentent un profil complet ou restitué. À l’intérieur de chaque catégorie formelle, il est possible d’observer une importante variabilité notamment au niveau de la régularité et de l’épaisseur des parois. La dispersion de la moyenne des épaisseurs des parois (fig. 17-3) est continue entre 0,5 et 6 cm avec un maximum de valeurs comprises entre 12 et 25 mm. La moitié des récipients présente des parois peu régularisées et des états de surface à topographie très irrégulière, parfois proche de celle du support brut (fig. 17-4, 17-5). C’est un trait saillant de la série qui montre un investissement assez peu poussé au-delà de la mise en forme des volumes : aspects de symétrie peu contrôlés, régularisation des parois et finition peu investies. En parallèle, 43 récipients présentent des parois régularisées, mais dont la topographie de surfaces laisse encore apparaître des stries de raclage ou sciage.
Fig. 17-3 – Distribution des valeurs de l’épaisseur moyenne des parois des récipients et ustensiles en pierre.

Distribution of average wall thickness values of stone vessels and utensils.
Fig. 17-4 – Bol-mortier découvert dans le bâtiment B08 (St. 6930). Ce récipient de pierre se caractérise par un profil asymétrique, des parois peu régularisées et grossières. Le volume global a été mis en forme par percussion et l’on observe encore les plans de débitage non régularisés. L’une des « faces » est particulièrement plane et pourrait avoir été aménagée pour un agencement particulier. Des traces de pigment rouge sont identifiées dans la cavité mais également sur la surface externe du récipient. Enfin, un quadrillage irrégulier a été tracé par incision sur la base.

Mortar bowl found in building B08 (St 6930). This stone vessel is characterised by an asymmetrical profile and coarse unregularised walls. The overall volume was shaped by percussion and the unregularised cutting planes can still be seen. One of the surfaces is particularly flat and may have been designed for a particular layout. Traces of red pigment are identified in the cavity but also on the outer surface of the vessel. Finally, an irregular grid pattern has been incised on the base.
12Parmi les récipients et ustensiles de pierre clairement identifiés et sur la base des critères classificatoires précédemment établis pour le site de Shillourokambos (Manen 2011, 2017), on observe :
- Des ustensiles plats et ouverts (plats et coupelles distingués sur des critères de taille et donc de maniabilité probablement destinés à travailler et/ou présenter des aliments ou toute autre matière non alimentaire (pigment minéral ou organique ?). Ils sont au nombre de 22 (fig. 17-5). Les plats sont circulaires ou quadrangulaires. La nature de leur profil varie : véritable plat sans rebord ou, au contraire, rebord aménagé en angle droit avec la base plane. Les coupelles présentent les mêmes caractéristiques que les plats, mais sont de dimensions plus réduites.
- Des récipients ouverts plus profonds (fig. 17-6), mais dont la taille permet la manipulation. Il s’agit de bols à profil hémisphérique (N = 14) et base aplanie.
- Des récipients ouverts plus profonds (fig. 17-1, 17-4, 17-7) et surtout de grande taille dont la manipulation est plus difficile (bassins, bol-mortiers). Ils sont au nombre de 16.
- D’une manière générale, les lèvres de ces récipients et ustensiles peuvent prendre différentes formes : principalement arrondies (N = 19), mais également amincies (N = 8) et aplaties (N = 2). La base est généralement en continuité avec le corps du récipient, aplanie (N = 11) ou plate (N = 3). Aucun élément de préhension n’a été identifié pas plus que de systèmes de suspension ou d’écoulement des liquides.
Fig. 17-5 – Récipients et ustensiles en pierre plats et ouverts. Coupelles : A. Secteur F-Fosse, B. Secteur B-B10, C. Secteur B-B10. D. Secteur B-B08, E. Secteur B-B08. Plats : F. Plat quadrangulaire Secteur B-B07, G. Plat Secteur B-B08, H. Plat circulaire Secteur B-Pk, I. Plat circulaire Secteur B-Pk, J. Plat circulaire Secteur B-B10. K. Plat STB-Pk.

Flat, open stone vessels and utensils. Cups – A : Sector F ; B : Sector B-B10 ; C : Sector B-B10 ; D : Sector B-B08 ; E : Sector B-B08. Dishes – F : Quadrangular dish Sector B-B07 ; G : Dish Sector B-B08 ; H : Circular dish Sector B-Pk ; I : Circular dish Sector B-Pk ; J : Circular dish Sector B-B10 ; K : Dish STB-Pk.
Fig. 17-6 – Récipients en pierre de taille moyenne facilement manipulable. A : Secteur B-B09, bol à la symétrie peu régulière et présentant des stries de raclage sur les surfaces internes et externes ; B : Secteur F, bâtiment B800, fragment de bol à la symétrie irrégulière présentant des stries de raclage sur la surface externe ; C : Secteur B-B12, bol à surface régulière ; D : Secteur B-sans réf., bol à la symétrie irrégulière et aux surfaces extérieures brutes.

Easily handled, medium-sized stone vessels. A : Sector B-B09, a bowl with irregular symmetry and scraping striations on the inner and outer surfaces. B : Sector F-Building B800, fragment of a bowl with irregular symmetry and scraping striations on the outer surface. C : Sector B-B12, bowl with regular surface. D : Sector B-without reference, bowl with irregular symmetry and rough outer surfaces.
Fig. 17-7 – Récipients en pierre grossiers. A : Secteur B-B05, fragment de bassin de forme irrégulière ; B : St 10, fragment de bassin aux parois et surfaces régularisées ; C : Secteur B-B05-B24, fragment de bassin aux surfaces régularisées ; D : St 10, fragment de bol-mortier ; E : St 10, Partie inférieure aplanie de bassin ; F : Secteur B-B05, partie inférieure de bassin.

Coarse stone vessels. A : Sector B-B05, irregularly shaped basin fragment ; B : St 10, basin fragment with regularised walls and surfaces ; C : Sector B-B05-B24, basin fragment with regularised surfaces ; D : St 10, mortar bowl fragment ; E : St 10, flattened lower part of basin ; F : Sector B-B05, lower part of basin.
13En parallèle de ces récipients clairement identifiés, on trouve des ustensiles plus énigmatiques (fig. 17-8) qui pourraient être mis en relation avec les bols-mortiers et éventuellement avec des pièces qui ont été regroupées sous l’appellation de « godet ». Au nombre de 6, ils se présentent sous la forme de l’aménagement d’une petite cavité souvent circulaire (diamètre entre 5 et 9 cm), profonde de 1 à 2 cm. Le degré de régularisation de ces godets et de leur cavité est très variable. On doit souligner que certains présentent un profil sub-conique, parfois soigneusement préparé (fig. 17-8, C-E), qui pourrait indiquer que ces pièces étaient fichées dans un support (sol ?). Six exemplaires sont « associés » aux bâtiments B07 et B08. Leur interprétation est délicate. Ils pourraient évoquer les « cupmarks » bien connus durant l’Épipaléolithique (Eitam 2009) et le PPNA, notamment à Klimonas (chap. 16), en général intégrés dans les catégories de « Ground stone tools », et interprétés comme incrustés dans le sol dans une aire d’activité de l’habitat. Mais on pourrait également imaginer leur utilisation comme élément de construction de type « crapaudine » ou encore comme lampe à huile, brûle-encens… La fonctionnalité de ces pièces reste difficile à interpréter faute d’éléments de comparaison et en raison de la difficulté à démontrer ces usages sur les pièces archéologiques des périodes PPN (Wilke et al. 2014). On peut pour terminer souligner que du point de vue morpho-fonctionnel certains de ces godets peuvent être rapprochés de ceux façonnés dans de grandes coquilles fossiles de spondyles (chap. 19).
Fig. 17-8 – Ustensiles en pierre du Secteur B aux fonctions indéterminées. A, B et F : B08. C : sans réf. D et E : B07.

Stone utensils from Sector B with undetermined functions. A, B and F : B08. C : without ref. D and E : B07.
14Si l’on revient aux récipients stricto sensu, nous n’avons que peu de possibilités de discuter de leur fonctionnement précis : préparation, consommation des aliments, stockage de l’eau, mais également traitement ou préparation de matières non alimentaires, comme des colorants par exemple. D’ailleurs, trois de ces pièces contiennent des pigments rouges. Il s’agit de deux bols-mortiers et d’un plat. La préparation et l’utilisation de matière colorante sont également bien identifiées à Klimonas par l’analyse des macro-outils (molettes) et des parures en coquillage, et surtout par les nombreux fragments de matière première colorée (chap. 21). L’un de ces bols-mortiers (fig. 17-4) présente sur une partie de sa face inférieure un quadrillage irrégulier incisé. Aucune autre « décoration » n’a été observée sur les contenants de pierre de Klimonas. On signalera enfin qu’une dizaine de ces pièces portent des stigmates qui relèvent d’un recyclage comme petite enclume (piquetage) ou aiguisoir (stries). Enfin, comme déjà souligné précédemment, beaucoup de fragments de récipients ou ustensiles ont été ré-utilisés dans les matériaux de construction.
4. Discussions
15Bien que présente dès l’Épipaléolithique (Eitam 2009), l’utilisation de la pierre pour façonner des contenants et des ustensiles se déploie et accompagne les changements socio-économiques progressifs, mais fondamentaux, qui prennent place avec le PPNA au Proche-Orient. À Klimonas ont doit remarquer que ces pièces sont très peu représentées, une centaine seulement, au regard des quantités très importantes des corpus de silex taillés, de macro-outillages, de faune ou de parure. Cet état de fait ne tranche néanmoins pas avec ce que l’on sait de cet artisanat débutant au PPNA. Rappelons pour mémoire que pour le PPNB, Shillourokambos-phase ancienne a livré 150 vases au minimum (Manen 2011) tandis que les puits 133 et 116 de Mylouthkia (Peltenburg et al. 2001) ont permis de récolter 70 vases au minimum. Pour la période qui nous concerne, le point de comparaison le plus immédiat est celui fourni par le site d’Asprokremmos (McCartney 2017) où trois vases complets en calcaire crayeux, au profil peu régularisé, ont été -découverts. L’un de ces vases contenait des restes d’ocre témoignant, comme à Klimonas, de l’intégration des récipients de pierre dans la sphère de traitement de matières non alimentaires. Sur le continent, les sites permanents ou semi-permanents du PPNA (’Ain Darat, Jericho, Netiv Hagdud, Gilgal I, Mureybet…) ne livrent également que très peu de vaisselle (Rosenberg et Redding 2002, Lebreton 2008).
16Le corpus de Klimonas s’intègre dans les « normes » du PPNA : pas de recherche systématique de symétrie, format simple (bols ou bassins hémisphériques et plats majoritairement). En revanche, on ne retrouve pas dans les séries PPNA de Chypre, la production de vases, souvent en roche verte, très décorés de motifs incisés comme à Hallan Çemi et Körtik Tepe (Rosenberg et Redding 2002). La présence de pigments dans plusieurs récipients constitue un fait remarquable, renforcé par le parallèle avec Asprokremmos. Aucune trace d’ocre n’avait été identifiée à Shillourokambos. Si les récipients de pierre sont parfois interprétés comme utilisés lors d’occasions spéciales en raison de leur décoration et de l’investissement en temps que nécessite leur façonnage (Rosenberg et Redding 2002) ou en raison de la nature de résidus incrustés sur les parois, à Klimonas, rien ne le laisse envisager.
17Ce mobilier en pierre prendra par la suite une place toute particulière dans les diverses sphères alimentaire, artisanale et même architecturale des sociétés du PPN proche-oriental. En ce qui concerne les récipients de pierre chypriotes, si l’on adopte une perspective diachronique, du PPNA vers la fin du PPNB puis la culture de Khirokitia, plusieurs tendances évolutives sont clairement identifiables.
- La production de récipients en pierre ne fera que se développer en quantité tout au long du PPN marquant un recours à ce type de contenant de plus en plus important, probablement en lien avec des changements importants dans la gestion, préparation et consommation des denrées alimentaires.
- D’un point de vue technologique, on observe un gradient très net marqué par une progression des savoir-faire. Pour les récipients du PPNA la recherche d’une symétrie dans les volumes et la régularisation des parois ne sont pas prioritaires alors que les vaisselles de la fin du PPNB de Shillourokambos, au 8e millénaire, ou ensuite celles de Khirokitia au 7e millénaire, témoignent d’un investissement technique important et d’un développement incontestable des technicités. La recherche esthétique devient particulièrement manifeste durant le Cypro-PPNB récent de Shillourokambos (finition des lèvres, décoration des surfaces externes…).
- Du point de vue des champs fonctionnels, les récipients de pierre de Klimonas ou d’Asprokremmos sont intégrés dans le système de traitement des matières non alimentaires et très probablement alimentaires. La séquence de Shillourokambos permet ensuite d’observer que ces mobiliers en pierre intègrent plus spécifiquement la sphère de la vaisselle de pierre proprement dite avec des développements particuliers en fin de séquence (écoulement des liquides notamment). Puis durant le développement de la culture de Khirokitia, la vaisselle de pierre, notamment en roche tenace, prend un nouveau statut en s’intégrant dans la sphère funéraire ou dans le rituel d’abandon d’une construction (Le Brun 1994, 2003).
Notes de bas de page
1Il s’agit d’un petit fragment de base plate d’un récipient de forme indéterminée. Les roches vertes tenaces sont disponibles très près du site, tout comme les calcaires.
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