1Les restes humains du site de Peyrazet sont représentés par trois dents isolées attribuées après réévaluation archéostratigraphique à la couche 4, soit au Magdalénien supérieur. Peu de vestiges humains sont connus dans le Sud-Ouest de la France pour cette période. Dans cette contribution, les caractéristiques morphologiques et métriques des restes dentaires humains de Peyrazet sont présentées tandis qu’un nombre minimum d’individus et leurs âges au décès sont estimés. L’analyse biologique est réalisée selon une double approche combinant une étude morphologique et métrique externe des dents et une étude virtuelle de leur structure interne. Cette approche permet d’apporter des éléments nouveaux sur la caractérisation et la quantification de la variation dentaire pour le Magdalénien supérieur et de discuter les affinités biologiques des restes humains de Peyrazet avec ceux connus pour la fin du Paléolithique.

Méthodes d’analyses

2L’usure occlusale a été codée selon la méthode de Molnar (1971). Les stades de développement dentaire ont été codés d’après Demirjian et al. (1973) pour les dents permanentes et d’après Liversidge et Molleson (2004) pour les dents déciduales. L’âge au décès a été estimé d’après la méthode de Moorrees et al. (1963a, 1963b). Les dents de Peyrazet ont été microscannées avec l’équipement Skyscan 1076 (Université de Montpellier), avec une énergie de 100 kV, une intensité de 100 µA, un filtre aluminium 1 mm et une rotation tous les 0,2°. Les images ont été reconstruites avec un voxel isotropique allant de 17,93 à 18,09 µm. En suivant les méthodes largement utilisées en anthropologie dentaire (voir Le Luyer 2016 pour les protocoles), les diamètres mésiodistal et buccolingual, les proportions des tissus dentaires et les épaisseurs de l’émail ont été mesurés et comparés aux dents de la fin du Pléistocène et du début de l’Holocène. Les données comparatives externes et internes proviennent des spécimens du Magdalénien moyen ancien de Lafaye, Laugerie-Basse, La Marche, Les Peyrugues, Cap-Blanc et Saint-Germain-La-Rivière (Genet-Varcin et Miquel 1967, Frayer 1978, Gambier et Lenoir 1991, Le Luyer 2016, Le Luyer et Bayle 2017, Le Roy et Henry-Gambier 2017), du Magdalénien supérieur de Bois Ragot et du Morin (Henry-Gambier 2005, Le Luyer 2016, 2018, Le Luyer et Bayle 2017), de l’Azilien ou du Laborien de La Madeleine, Le Peyrat, Pont d’Ambon, Roc de Cave, Rochereil et Veyrier (Fléchier et al. 1976, Frayer 1978, Heim 1991, Gambier 1994, Bresson 2000, Le Luyer 2016, 2018, Le Luyer et Bayle 2017), du Premier Mésolithique de Combe-Capelle, Culoz-sous-Balme, Houleau, Les Perrats, Poeymaü et La Vergne (Vallois et de Félice 1977, Frayer 1978, Le Luyer 2016, 2018, Le Luyer et Bayle 2017), du Second Mésolithique du Cheix, Cuzoul de Gramat, Hoëdic et Téviec (Verdène 1975, Caillard 1976, Frayer 1978), du Néolithique ancien de Baume Bourbon, Baume de Montclus, Les Bréguières, Germignac et Pendimoun (Vallois et de Félice 1977, Le Luyer 2016, Le Luyer et Bayle 2017) et du Néolithique moyen d’Auneau, Gurgy, La Lède du Gurp, Le Rastel et Veyrier (Frayer 1978, Le Luyer 2016, Le Luyer et Bayle 2017).

Description des dents

3Une première molaire déciduale supérieure droite (URdm1) a été identifiée, mais se trouve dans un état de conservation moyen (fig. 106, n^o 1). Fracturée au moment de sa découverte, la couronne est cassée en trois morceaux qui ont été recollés (Henry-Gambier 2014) tandis qu’une portion d’émail manque dans le quadrant mésiolingual. La racine distale est cassée et la racine mésiale est complète avec un apex ouvert (stade h). Des altérations sont visibles sur la surface de la couronne et de la racine. Aucune lésion d’ordre pathologique n’est identifiée. Une usure occlusale légère est visible (degré 2). L’âge au décès de cet individu est estimé entre 16 et 31 mois.

4La seconde dent, dans un très bon état de conservation (fig. 106, n^o 2), est un germe de molaire permanente supérieure droite (Henry-Gambier 2011) dont la couronne termine tout juste sa formation (stade C/D). La surface occlusale présente quatre cuspides bien développées, y compris l’hypocône. Il n’y a pas de cuspide ou tubercule supplémentaire. La morphologie et les données métriques sont en accord avec une première molaire permanente (URM1). La couronne intacte présente une légère fissure en position buccomésiale et un léger décollement d’émail post mortem en mésiolingual. Aucune altération ou lésion d’ordre pathologique n’est discernable. Aucune usure occlusale n’est visible, indiquant que ce germe n’était pas fonctionnel. L’âge au décès est estimé entre 24 et 40 mois.

5La troisième dent présente un bon état de conservation (fig. 106, n^o 3). Il s’agit d’un germe de molaire permanente supérieure gauche dont la racine commence sa formation (stade D). La couronne est cassée en deux morceaux qui ont été recollés (Henry-Gambier 2014). La portion buccale de la couronne est manquante et un léger décollement post mortem d’émail est visible en face linguale. La surface occlusale conservée suggère quatre cuspides avec un hypocône de petite taille et l’absence de cuspide ou tubercule supplémentaire. La morphologie de ce germe est plutôt compatible avec une seconde molaire permanente (ULM2). Il n’y a aucune altération ou lésion d’ordre pathologique. Aucune usure n’est perceptible, ce germe n’était pas fonctionnel. L’âge au décès de cet individu est estimé entre 6 et 9,5 ans.

Fig. 106 – Les dents humaines de Peyrazet. O. Vue occlusale ; B. Vue buccale ; M. Vue mésiale ; L. Vue linguale ; D. Vue distale (clichés et CAO M. Le Luyer).

Biométrie

6Étant donné l’état de conservation, certaines variables mesurées pour les dents n^o 1 et 3 correspondent à des valeurs minimales données à titre indicatif. Les diamètres externes des couronnes ne sortent pas de la variabilité connue pour leur type de dent respectif dans l’échantillon de comparaison (fig. 107, tabl. 38). La dent n° 1 montre des dimensions importantes, supérieures à celles des deux autres Udm1 connues pour le Magdalénien supérieur alors que la n° 3 est peu volumineuse par rapport à la seule UM2 subcontemporaine connue, qui provient du Morin (fig. 107). La dent n° 2 se situe dans la partie basse de la variabilité des dents du Magdalénien moyen et est plus proche des dimensions des dents de l’Azilien/ Laborien (fig. 107).

7L’architecture interne des dents de Peyrazet reflète bien leur morphologie externe, avec une correspondance entre les cornes de dentine et l’apex des cuspides (fig. 108). En particulier, l’expression de l’hypocône est bien prononcée au niveau de la dentine pour la n° 2 alors qu’elle est légère pour la n° 3. Pour les trois molaires supérieures de Peyrazet, l’épaisseur de l’émail est la plus importante en position linguale, avec une hétérogénéité de la répartition de l’émail entre les côtés lingual et buccal, qui semble moins marquée pour la n° 2 (fig. 108). Seule cette dernière, dont la couronne est complète, a fait l’objet d’analyses métriques de sa structure interne. Les valeurs sont données à titre indicatif pour les deux autres dents (tabl. 39-40). Dans l’ensemble, les volumes et les aires mesurés pour la n° 2 sont plus faibles que ceux des dents du Magdalénien moyen, mais seul le volume d’émail sort de la variabilité connue actuellement pour cette période (fig. 109). Cette dent montre des proportions internes proches des moyennes observées pour les UM1 du Mésolithique alors que ses volumes et surfaces sont inférieurs à ceux des dents du Néolithique (tabl. 39-40), avec des valeurs significativement inférieures pour la dentine (fig. 109). Enfin, les épaisseurs de l’émail sont relativement proches des dents du Magdalénien moyen et, dans une moindre mesure, de celles du Mésolithique (tabl. 39-40, fig. 109). En revanche, les épaisseurs de l’émail de la n^o 2 sont plus importantes que celles mesurées au Néolithique.

Tabl. 38 – Diamètres mésiodistal (MD) et buccolingual (BL) des dents de Peyrazet comparés à un échantillon de dents du Magdalénien moyen au Néolithique (> XX = valeur minimale ; *XX = valeur estimée). Le chiffre entre parenthèses correspond au nombre de dents pour lesquelles sont indiqués la moyenne ± l’écart-type, sauf quand n = 2 où sont indiquées les valeurs minimum-maximum (crédits M. Le Luyer).

Fig. 107 – Comparaison des diamètres mésiodistal (MD) et buccolingual (BL) des dents de Peyrazet avec ceux de 24 Udm1, 105 UM1 et 104 UM2 datées du Magdalénien moyen au Néolithique moyen (CAO M. Le Luyer).

Fig. 108 – Modèles 3D des trois dents de Peyrazet en vue occlusale. Reconstructions de la surface externe de l’émail (en blanc et gris), de la jonction émail-dentine (en doré), visualisation des deux tissus en transparence et cartographie de la variation d’épaisseur de l’émail (avec un émail épais en rouge et un émail fin en bleu) ; la dent n^o 3 est en vue miroir (CAO M. Le Luyer).

Tabl. 39 – Volumes d’émail (Evol), de dentine (Dvol), de dentine et de pulpe (DPvol), surface de la jonction émail-dentine (SEDJ), pourcentage de dentine et de pulpe dans la couronne (% DPvol) et épaisseurs moyenne (3DAET) et relative (3DRET) de l’émail en 3D. > XX = valeur minimale ; (XX) = valeur calculée probablement surestimée ; {XX} = valeur calculée probablement sous-estimé (crédits M. Le Luyer).

Tabl. 40 – Aires d’émail (c), de dentine et de pulpe (b), longueur de la jonction émail-dentine(e), pourcentage de dentine et de pulpe dans la couronne (% b) et épaisseurs moyenne (2DAET) et relative (2DRET) de l’émail en 2D. > XX = valeur minimale ; *XX = valeur estimée ; (XX) = valeur calculée probablement surestimée ; {XX} = valeur calculée probablement sous-estimée (crédits M. Le Luyer).

Fig. 109 – Écart-réduits ajustés pour les variables 3D et 2D de la dent n° 2 comparés à la variabilité exprimée au Magdalénien moyen (n = 2), au Mésolithique (n = 4) et au Néolithique (n = 11). La ligne zéro représente la moyenne et la zone délimitée entre -1 et +1 inclut 95 % de la variabilité de chacun des groupes de comparaison. Pour la légende des variables, voir supra, tabl. 39-40 (CAO M. Le Luyer).

Conclusions

8D’après leur stade de développement, les trois dents humaines du Magdalénien supérieur de Peyrazet n’ont pu tomber du vivant des individus et indiquent donc le décès d’un minimum de deux sujets immatures de moins de dix ans, dont tout ou partie des corps a séjourné sur le site de Peyrazet. La première molaire déciduale (n^o 1) et la première molaire permanente (n^o 2) pourraient appartenir à un jeune enfant décédé entre 1,5 et 3,5 ans, tandis que la seconde molaire permanente (n^o 3) appartiendrait à un enfant décédé entre 6 et 9,5 ans. La morphologie de ces dents ne présente aucun caractère particulier. Leurs dimensions externe et interne ne sortent pas de la variabilité actuellement connue pour les dents de la fin du Tardiglaciaire. Si la découverte de dents isolées dans un contexte archéologique daté du Paléolithique récent est fréquente, peu de vestiges humains sont clairement attribués au Magdalénien supérieur. Les dents trouvées à Peyrazet viennent donc documenter et enrichir nos connaissances sur les humains de la fin du Paléolithique.