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Les sépultures individuelles campaniformes en France

 | 
Laure Salanova
, 
Yaramila Tcheremissinoff

Première partie. Le Nord

Chapitre VI. La sépulture campaniforme de Gurgy « Le Nouzeau » (Yonne)

Katia Meunier, Sandrine Bonnardin, Philippe Chambon, Fabien Convertini, Caroline Renard and Laure Salanova

Full text

Contexte de l’intervention

1Katia Meunier

Fig. 39 — Localisation géographique du site de Gurgy « Le Nouzeau », Yonne (infographie F. Müller, Inrap).

Fig. 39 — Localisation géographique du site de Gurgy « Le Nouzeau », Yonne (infographie F. Müller, Inrap).

2Le site de Gurgy « Le Nouzeau » est localisé à une dizaine de kilomètres au nord d’Auxerre, en rive droite de l’Yonne (fig. 39). Dans ce secteur, la rivière prend un cours très sinueux, avec de nombreux méandres et anciens chenaux qui produisent de légers dômes sablo-graveleux. Ceux-ci correspondent aux alluvions calcaires et siliceuses Fy constituées principalement de graviers, de sables et de galets (carte géologique 1/50 000e, Joigny). C’est à l’extérieur de l’un de ces méandres, à moins de 50 m du cours actuel de l’Yonne, que le site est implanté. Encadré par deux anciens chenaux, il se situe sur une légère butte en fond de vallée, à une altitude moyenne de 88 m NGF.

3La carrière de granulats de Gurgy, qui bénéficie d’une surveillance archéologique depuis les années 1980, a livré de nombreux sites néolithiques et protohistoriques, repérés grâce à un programme de prospection aérienne entrepris par J.-P. Delor, et, pour certains d’entre eux, fouillés dans le cadre de conventions institutionnelles (fig. 40). Jusqu’à présent, la période du iiie millénaire n’y était pas documentée.

4Le site du « Nouzeau » a été identifié à l’aide de photographies aériennes, grâce à la présence de deux enceintes néolithiques. L’extension de la carrière par les Sablières de Gurgy a occasionné, en 2004, un diagnostic archéologique couvrant une surface de 17,15 ha, aux lieux-dits « Néron », « Le Nouzeau » et « Le Nord de la Picardie » (Meunier et al., 2004 ; Virlogeux, 2004). La fouille préventive réalisée par l’Inrap, qui a suivi en 2005, a porté sur une emprise de 7,4 ha (Meunier et al., 2007). Elle a permis de caractériser et confirmer plusieurs occupations se succédant du Néolithique au Moyen Âge. Outre la sépulture campaniforme, le Néolithique moyen représente l’occupation la plus étendue, en particulier avec deux enceintes encastrées l’une dans l’autre. Plusieurs fosses de l’âge du Bronze et de la transition Hallstatt-La Tène ont également été mises au jour, ainsi qu’un enclos et des bâtiments de La Tène finale, des sépultures du Haut Moyen Âge (viiie-ixe s.) et un habitat médiéval (fin du xie s.-début du xiie s.).

Fig. 40 — Localisation du site du « Nouzeau » dans les gravières de Gurgy (infographie F. Müller, Inrap).

Fig. 40 — Localisation du site du « Nouzeau » dans les gravières de Gurgy (infographie F. Müller, Inrap).

Présentation générale de la sépulture

5Katia Meunier

6En dépit de la vaste surface décapée, la sépulture 257 représente l’unique structure datée du Campaniforme à Gurgy « Le Nouzeau ». Aucun vestige ne peut être attribué au Néolithique final ou au Campaniforme, y compris dans le mobilier piégé dans les bandes limoneuses. L’occupation la plus proche du point de vue chronologique date de l’âge du Bronze.

7La situation de cette tombe est à remarquer au centre de la plus grande enceinte datée du Néolithique moyen, laquelle encadre une aire de 1,6 ha (fig. 41). Le plan de cet ouvrage est bien incomplet : d’une part, la fouille n’a pas porté sur les terrains proches de l’Yonne ; d’autre part, les déplacements du cours d’eau depuis le Néolithique ont certainement détruit une partie du gisement. Néanmoins, si l’on considère les segments parallèles de l’enceinte tracés en direction de l’Yonne, la sépulture se trouve presque à mi-distance, à 10 m près. Concernant la topographie actuelle, l’enceinte du Néolithique moyen est implantée sur une butte dont il est difficile d’estimer l’altitude d’origine. Le relief du terrain a donc certainement été mis à profit pour la construction de l’ouvrage. Aussi, peut-on avancer l’hypothèse que la sépulture campaniforme a été aménagée également en fonction de la topographie. Il est rarement possible d’observer ce type de configuration puisque les cas de tombes campaniformes sont généralement documentés par des fouilles effectuées sur des surfaces plus réduites. On peut cependant évoquer l’exemple de la sépulture du site de Mairy (Ardennes), implantée également à l’intérieur d’une enceinte Michelsberg (Marolles, 1996).

8La sépulture 257 de Gurgy « Le Nouzeau », de conservation médiocre, contenait les restes d’un individu inhumé, accompagné d’un vase incomplet et très mal conservé, de deux pièces en silex et d’un bouton perforé en matière osseuse. Malgré son mauvais état de conservation, la tombe livre des informations intéressantes à plus d’un titre.

La structure

9Philippe Chambon

10Anomalie de plan carré en surface, la structure numérotée 257 s’est de manière inattendue révélée être une sépulture individuelle (fig. 42). Le tracé et les dimensions sont très réguliers : 1,30 m de côté. Les bords sont globalement axés selon les points cardinaux. Une rigole mal délimitée se trouve au pied de la paroi, ponctuée aux angles de dépressions plus marquées. La fosse est peu profonde : sa partie centrale se situe à une douzaine de centimètres seulement sous le décapage, le fond de la rigole oscille entre 0,20 m sur les côtés et 0,29 m aux angles.

11La fouille a mis au jour les restes érodés et incomplets d’un sujet adulte, en position fléchie sur le côté gauche (le tronc se trouve pour moitié sur le dos et sur le côté gauche). Son orientation, considérée à partir de la colonne vertébrale, ne suit pas celle de la fosse : la tête se trouve au sud-ouest, les pieds au nord-est ; le regard est dirigé vers le nord-ouest, la bouche est entrouverte. Tous les membres sont fléchis. Les coudes sont en avant du thorax, les mains peut-être jointes à une dizaine de centimètres devant le menton. La flexion des membres inférieurs est très prononcée : les cuisses sont ramenées à moins de 90o de l’axe de la colonne, l’angle des genoux est fermé, moins de 20o dans les deux cas. Le sujet reste à distance respectueuse de la paroi de la fosse, soit 0,20 m au minimum. Les vestiges osseux sont cantonnés à la partie centrale de la fosse, respectant les rigoles ; on peut toutefois s’interroger sur la position initiale des pieds, malheureusement absents de l’inventaire. Le squelette ne repose pas sur le fond de la fosse mais superficiellement, les pièces les plus profondes se trouvent à moins de 8 cm du décapage. La surface sur laquelle repose les ossements est assez régulière, le point le plus haut se trouvant, comme pour la fosse, au centre (thorax et bassin).

Fig. 41 — Gurgy « Le Nouzeau » (Yonne). Localisation de la sépulture 257 au sein de l’enceinte du Néolithique moyen (relevé topographique C. Lefèvre et P. Noguès, Inrap ; infographie P. Pihuit, Inrap).

Fig. 41 — Gurgy « Le Nouzeau » (Yonne). Localisation de la sépulture 257 au sein de l’enceinte du Néolithique moyen (relevé topographique C. Lefèvre et P. Noguès, Inrap ; infographie P. Pihuit, Inrap).

Conservation et perturbations

12Le squelette est très incomplet, seuls subsistent les ossements correspondant à la partie du corps qui reposait au fond de la sépulture, c’est-à-dire essentiellement le côté gauche. Le squelette axial n’est représenté que par la moitié gauche de la face, l’os temporal et quelques bribes de l’os pariétal gauche, les vertèbres lombaires 1 à 3 et un fragment du sacrum. Pour le côté droit, l’inventaire comprend une dizaine de pièces : le tronc est figuré par trois fragments de côtes, le membre supérieur par l’extrémité distale de l’humérus, l’avant-bras et un métacarpien, alors que le membre inférieur se réduit à une esquille de fémur, à l’ensemble tibia-fibula et au calcanéus.

Fig. 42 — Gurgy « Le Nouzeau » (Yonne). Plan, coupes et topographie de la sépulture 257 (dessin Ph. Chambon, CNRS ; relevé topographique du fond de fosse : C. Lefèvre, Inrap).

Fig. 42 — Gurgy « Le Nouzeau » (Yonne). Plan, coupes et topographie de la sépulture 257 (dessin Ph. Chambon, CNRS ; relevé topographique du fond de fosse : C. Lefèvre, Inrap).

13La surface des ossements est altérée, les pièces sont très friables. On note une importante fragmentation in situ. La substance spongieuse est dégradée ou absente. L’absence des ossements les plus superficiels correspond à l’érosion mécanique de la tombe. Toutefois, le rôle du décapage semble secondaire. Les ossements n’étaient pas visibles en surface du décapage et on ne note guère de fracture fraîche, à l’exception peut-être du cas de l’humérus droit. De fait, les labours sont sans doute à l’origine des manques les plus significatifs. Il est plus délicat de se prononcer pour les extrémités. Ainsi, les pieds ne devaient pas se trouver plus haut que l’extrémité des tibias, sans doute en allait-il de même pour les mains par rapport aux avant-bras. L’hypothèse que ces vestiges se sont désagrégés est compatible avec l’état de ceux mis au jour.

14Aucun terrier n’a été repéré lors de la fouille, aucune pièce squelettique ne se trouve dans une position anatomiquement aberrante. Seule la dispersion des ossements des mains entre l’extrémité des avant-bras et l’épaule gauche pourrait suggérer la circulation d’un animal fouisseur, comme la situation d’une phalange proximale de pied retrouvée contre la face inférieure de l’ischium gauche.

Connexions et dislocations

15Le bilan articulaire est évidemment restreint. Le fragment de bloc crânio-facial et la branche gauche de la mandibule sont en relation anatomique. Les vertèbres lombaires 1 à 3 sont en connexion, en face antéro-latérale droite. Le sacrum s’est effondré en vue antérieure. La succession des côtes gauches est logique, mais l’hémi-thorax est totalement ouvert, l’extrémité des côtes 5 à 7 outrepassant visiblement le volume initial du thorax ; par ailleurs, les côtes 4 à 6 se sont curieusement affaissées en face inférieure.

16La mauvaise conservation de la scapula gauche, conjuguée à l’absence de l’extrémité proximale de l’humérus, ne permet pas d’être catégorique ; toutefois, la distance entre les deux paraît trop importante. L’humérus est demeuré en face médiale, l’ulna est toujours accroché à la trochlée de l’humérus, le radius au contact de l’ulna. Du côté droit, le coude est disloqué ; les trois os reposent sur la face endothoracique des côtes gauches 6 à 8. Nous avons récupéré huit pièces entrant dans la composition des mains (essentiellement de la main droite) : elles sont dispersées, cependant les phalanges ont bien leurs extrémités proximales dirigées vers l’emplacement du poignet, et la position de la phalange proximale du pouce, en bordure de l’ensemble, est également logique.

17L’aile iliaque de l’os coxal gauche repose à plat sur le sol. La tête du fémur est située dans l’acétabulum. Le genou est détruit, mais la position respective du fémur et du tibia n’implique aucune dislocation. L’état des ossements n’a pas permis d’observer précisément l’articulation de la cheville. Du côté droit, on peut seulement constater la connexion préservée entre le tibia et la fibula.

Milieu de décomposition et type de structure

18L’inventaire limite la portée des observations. En outre, le bilan comprend à la fois des connexions anatomiques et des dislocations. Dans deux cas, la connexion s’est maintenue malgré un déséquilibre : c’est le cas notamment pour le coude gauche, l’humérus reposant sur une face instable et pour la jambe droite, la fibula se trouvant en surplomb sur le bord du tibia.

19Inversement, le volume initial du cadavre n’a pas limité l’ouverture du thorax, l’épaule gauche s’est disjointe et la main droite s’est dispersée. Il va de soi que si la dispersion des mains n’a aucune cause extérieure, il y a là, avec l’ouverture du thorax, un argument fort en faveur d’un espace vide, au moins dans cette zone. Ajoutons que l’espace vide n’explique pas à lui seul la dispersion de la main ; il la permet, tout au plus. Enfin, l’espace vide laisse sans solution les deux connexions mentionnées. L’humérus gauche pouvait éventuellement être maintenu par les os voisins. Le cas de la fibula droite reste en suspens.

20Le meilleur argument en faveur d’une architecture (et donc d’un espace vide) demeure la structuration de la fosse. La rigole périphérique comme les dépressions des angles indiquent l’implantation d’une paroi en matière périssable, et seul le bois paraît nécessiter de telles fondations. Dans le détail, l’aménagement reste mal connu. Les quatre côtés et les quatre angles de la fosse d’implantation sont interchangeables. L’existence de cavités plus profondes aux angles suggère des poteaux à ces emplacements : dans l’hypothèse d’un assemblage tout en bois, on peut envisager des planches disposées entre des poteaux, insérées par exemple dans des rainures ménagées dans ces poteaux d’angles. La symétrie des aménagements comme des dimensions de la tombe s’accorde mal avec un fond irrégulier ; la présence d’une lentille de sédiment épaisse de quelques centimètres entre le squelette et le fond de la fosse milite pour un élément périssable sous-jacent au corps. L’hypothèse d’un aménagement du fond de la tombe rend élégamment compte de la dispersion des ossements de la main droite. On peut au passage suggérer que le basculement en face inférieure de quelques côtes corresponde à l’étirement du thorax lors de la résorption du vide sous-jacent. Ce dispositif faisait sans doute partie prenante de la construction.

21La régularité du plan de la tombe, comme l’adéquation entre la forme de la fosse et ce plan, ne laisse guère la place à une ouverture latérale. Le coffre – ou caveau – devait comporter un accès sommital lors de l’inhumation. La largeur importante n’interdit pas qu’un opérateur soit descendu dans la tombe. En dépit d’une documentation peu aisée à interpréter, les traces d’une architecture régulière et quadrangulaire ne sont pas inconnues pour les sépultures individuelles campaniformes : à Mondelange, en Moselle, sept des huit sépultures qui ont livré de la céramique campaniforme présentent une fosse géométrique (Lefebvre et al., 2008) ; l’une d’entre elles a une forme et des dimensions très proches de celles de Gurgy (sép. 2798) et, dans deux autres cas, le plan de la tombe était sans doute presque carré (sép. 722 et 2788). Dans les régions rhénanes, cette forme est également attestée (Lanting, Waals, 1976). Si le plan quadrangulaire voire carré de la fosse signe la morphologie de la sépulture, il ne la conditionne pas : des fosses plus irrégulières ont pu abriter une construction analogue. Le procédé architectural n’est sans doute pas non plus propre à Gurgy. Une rigole située à la base de la paroi de la fosse se retrouve dans la sépulture 2798 de Mondelange, décidément très comparable à la tombe de Gurgy, et, dans ce même site, plusieurs sépultures disposent à l’intérieur de la fosse de cavités aux angles suggérant des poteaux.

22De manière anecdotique, les dimensions de la tombe de Gurgy pourraient nous faire croire à l’existence du système métrique à cette période : 1 m sépare transversalement les rigoles latérales. Sans prétendre qu’il existait un module type, on peut toutefois remarquer que la largeur interne de la tombe oscille également autour de 1 m à Mondelange – la longueur étant plus variable.

23La faible profondeur de la fosse sépulcrale sous le décapage a deux explications possibles : soit la terrasse a connu depuis la fin du Néolithique une forte érosion, soit la tombe était peu enterrée. L’érosion de la terrasse est incontestable. La faible profondeur conservée de la tranchée de palissade pour l’enceinte interne du Néolithique moyen (0,50 m en moyenne) semble l’attester. Nous manquons toutefois de données objectives pour la quantifier. Dans une telle hypothèse, on doit s’interroger sur les aménagements périphériques à la sépulture : un fossé pouvait-il ceindre l’espace autour d’elle ? Un tel fossé est fréquent dans les tombes rhénanes (Lanting, Waals, 1976) ; dans la moitié nord de la France, il était sans doute moins rare que les traces qui subsistent dans les publications (Salanova, 2000). Dans tous les cas, sa largeur est faible et sa profondeur toujours nettement moindre que la tombe elle-même : le fossé qui entoure la tombe de La Plaine de Poses (Billard, Pena, 1995) atteint 0,25 m sous la surface de décapage, alors que le fond de la fosse sépulcrale dépasse 0,70 m. Le même constat vaut pour la sépulture de La Folie (Y. Tchérémissinoff et al., ce volume, chap. I, p. 13). Si l’érosion constitue l’explication de la faible profondeur de la tombe de Gurgy, il est donc impossible d’exclure qu’un fossé entourait la tombe à l’origine. Dans la seconde hypothèse, l’érosion de la terrasse n’explique pas le faible enfouissement de la sépulture. Au vu de son architecture, on peut alors envisager que la couverture affleurait ou dépassait du sol. En surface, elle pouvait être recouverte d’un monticule de terre ou sa couverture en bois pouvait demeurer visible.

24Si l’architecture a influencé la position des restes osseux durant et après la décomposition du cadavre, elle a également eu des conséquences sur celle du mobilier, et singulièrement du vase. Celui-ci a en effet été découvert dans une position secondaire : oblique, il ne repose ni sur son fond, ni sur sa panse ; il est également situé plus haut que le squelette, ce qui suggère qu’il ne reposait pas sur le fond de la sépulture. Soit il se trouvait hors de la tombe, sans doute sur la couverture, soit il était placé sur un objet en matière périssable à côté du défunt. Si les données de la tombe ne permettent pas d’opter pour l’une ou l’autre des solutions, on peut cependant remarquer que le vase et le squelette sont dissociés, en plan. Faute de références nombreuses et précises, nous nous contenterons sur ce point de quelques comparaisons. Ainsi à Champs-sur-Yonne, la localisation du vase est similaire à celle de Gurgy : plus haut que le squelette, derrière son dos. À Poses, la céramique a été rencontrée dans le remplissage de la fosse, mais la dissolution du squelette ne permet pas de connaître sa relation avec lui, ni en plan, ni en stratigraphie. Ailleurs, comme à Jablines ou à Mondelange, le plan ou la photographie montrent la nette séparation entre le vase et le sujet, mais sans indication sur les profondeurs relatives de l’un et de l’autre (Laporte et al., 1992 ; Lefebvre et al., 2008). Si la relation du vase par rapport à la tombe est constante – ce qui n’est qu’une éventualité –, il se trouvait vraisemblablement dans l’espace sépulcral : on imagine difficilement qu’un effondrement depuis la couverture évite systématiquement l’emplacement du squelette. Dans une telle hypothèse, à Gurgy comme à Champs-sur-Yonne, le vase reposait donc sur un support en matière périssable.

L’individu

25Philippe Chambon

26Le sujet inhumé est un adulte. La suture sphéno-occipitale n’est malheureusement pas observable, ni même celles de la voûte ; aucune clavicule ne figure à l’inventaire. Toutefois, tous les os longs examinés sont épiphysés, et nous avons mis au jour la troisième molaire supérieure gauche, dont la face occlusale montre des îlots de dentine.

27Le sexe n’a pu faire l’objet d’une identification fiable en laboratoire. La détermination sur le terrain fait état d’une grande échancrure plutôt fermée, et d’un arc composé simple. Il s’agit d’un sujet assez robuste. Le sexe est donc plutôt masculin, avec réserves cependant.

Le vase

Caractéristiques typologiques du vase

28Laure Salanova

  • 9 Ce remontage très méticuleux a été réalisé par Danièle Molez (équipe « Éthnologie préhistorique », (...)

29Le vase de la sépulture 257 a été découvert dans la zone méridionale de la tombe, placé dans le dos de l’individu, à une vingtaine de centimètres de celui-ci et en position oblique (le fond vers le bas). Si cette position a sauvé au moins une partie du vase de l’action de l’érosion, il est probable qu’il était à l’origine en position verticale, l’ouverture vers le haut. Comme le reste de la tombe, le vase n’est en effet pas conservé en intégralité : seule la partie inférieure (une partie du fond et de la panse) a subsisté. Étant donné la mauvaise conservation du récipient, il a été décidé de le prélever en motte lors du démontage de la sépulture sur le terrain. La fouille a donc été réalisée en laboratoire, mais aucun vestige n’a été décelé dans les sédiments prélevés à l’intérieur et à l’extérieur du vase. L’extrême fragilité des tessons nous a conduit à consolider d’emblée les surfaces, afin de permettre le recollage des différentes pièces9.

30Malgré l’absence de plus de la moitié du profil, le vase correspond très probablement à un gobelet à profil sinueux, muni d’un fond plat légèrement débordant, convexe sur sa surface interne (fig. 43). Le profil de la panse, en tonneau, ne peut être que partiellement restitué. Le diamètre du fond (10 cm) et la courbure de la panse laissent supposer qu’il s’agit d’un gobelet de grande taille par rapport aux moyennes connues pour le Campaniforme, d’au moins 20 cm de hauteur.

31Les parois du vase sont fines (5 mm d’épaisseur) et le montage a très probablement été réalisé par empilement de colombins. Les surfaces orangées et le cœur noir des parois indiquent une cuisson en atmosphère partiellement oxydante.

32La surface est totalement desquamée, si bien que les stigmates des traitements de surface (polissage notamment) ne peuvent être observés. En dépit du très mauvais état de conservation des surfaces, nous pensons que ce vase n’a pas été décoré, car les impressions, de quelque nature soient-elles, sont généralement profondes sur les vases campaniformes. Il aurait donc subsisté des traces ou le fond des empreintes, au moins sur certains tessons.

33Dans l’ensemble, les caractéristiques techniques du gobelet et la couleur des surfaces renvoient sans conteste au Campaniforme. Sa mauvaise conservation freine les tentatives de comparaisons plus poussées d’un point de vue typologique, mais on peut affirmer que l’allure du profil et le fond plat large et débordant trouvent peu d’équivalents dans la moitié nord de la France. Ces traits se retrouvent au moins sur le gobelet épicampaniforme de Soissons dans l’Aisne (Salanova, 2000, p. 329).

Fig. 43 — Gurgy « Le Nouzeau » (Yonne). Vase de la sépulture 257 (dessin et cliché L. Salanova, CNRS).

Fig. 43 — Gurgy « Le Nouzeau » (Yonne). Vase de la sépulture 257 (dessin et cliché L. Salanova, CNRS).

Étude pétrographique

34Fabien Convertini

35La pâte du gobelet présente un cœur de couleur brune et des surfaces orangées. La matrice est phylliteuse, d’aspect cotonneux et à structure fluidale.

36Les inclusions sont peu représentées, à l’exception d’un grain, uniquement par le quartz émoussé à usé, de taille comprise entre 30 et 800 μm. Un fragment usé de silex riche en matière organique (1,4 mm) complète le cortège minéralogique.

37La pâte du vase renferme beaucoup de grains de chamotte, peu différents de la matrice et de taille comprise entre 80 μm et 1,8 mm. Cependant, une partie a disparu partiellement ou en totalité à la suite d’une forte altération. La matrice des grains est phylliteuse et ne renferme que de très rares quartz. Une porosité importante de la pâte résulte donc de la disparition de chamotte qui se manifeste par des vacuoles. D’autres vides étirés pourraient témoigner de la présence de végétaux dans l’argile.

38Cette terre présente les caractères d’une argile alluviale. En effet, les inclusions ont un degré d’usure relativement important. Elles correspondent essentiellement à des matériaux d’origine plutonique. Les autres inclusions sont des éléments résistants d’origine sédimentaire, aucun carbonate n’étant présent. La terre exploitée provient des formations fluviatiles locales de l’Yonne, car elle est proche de certains matériaux prélevés au cours de prospections. Les échantillons naturels présentent la même usure mais, le plus souvent, un cortège minéralogique plus diversifié, les absences étant dues à une faible quantité d’inclusions. Le quartz est issu principalement des formations granitiques du Morvan et le fragment de silex provient des terrains jurassiques du sud du Bassin parisien.

39Le vase a donc été fabriqué avec une terre extrêmement décantée, au sein de laquelle n’existent que peu de particules naturelles. Cette terre épurée a été probablement recherchée à l’état naturel car une action d’origine anthropique aurait laissé subsister beaucoup plus de particules de taille réduite. En revanche, il a été fortement dégraissé avec de la chamotte présentant les mêmes caractéristiques que la terre constitutive du vase.

Les deux pièces en silex

40Caroline Renard

41Le mobilier lithique découvert dans la sépulture 257 se compose de deux pièces : un éclat rebroussé et un briquet. Le premier était disposé derrière la tête, le second dans le dos du sujet inhumé, à une vingtaine de centimètres de son épaule.

42La première pièce est un éclat patiné partiellement cortical, mesurant 46 mm de longueur sur 44 mm de largeur et d’une épaisseur de 7 mm (fig. 44, no 1). Le cortex, lisse, peu épais et de couleur beige foncé est situé sur la partie distale et sur le bord droit. Malgré la présence d’une patine blanche, il est probable que la pièce soit en silex secondaire à zones grenues grises et d’origine locale.

43La percussion dure a été utilisée pour débiter cet éclat rebroussé (talon mesurant 10 mm, pas d’étalement du point de contact, tête du cône incipient visible, angle entre la zone de contact du plan de frappe et la surface de débitage de 60o environ). D’après les trois négatifs des enlèvements antérieurs, le débitage est unipolaire.

44Le bord gauche montre une légère retouche directe, partielle (sur 14 mm), rectiligne, courte, oblique et écailleuse. Quelques retouches assez comparables sont visibles sur ce même bord vers la partie proximale. On peut s’interroger sur la présence de cette pièce, peut-être utilisée, au côté du défunt.

45La seconde pièce, patinée en blanc beige, est un outil (fig. 44, no 2) couramment appelé « retouchoir » ou « briquet » (en l’absence de stigmates caractéristiques des briquets, on nomme ces pièces « retouchoirs » ; ce terme ayant le bénéfice de l’antériorité). Elle est probablement en silex local secondaire à zones grenues.

46La percussion dure a aussi été employée pour produire cet éclat assez épais. Les négatifs de la face supérieure indiquent que le débitage est unipolaire. Plusieurs des arêtes du talon sont émoussées. La face inférieure est quasi entièrement lustrée. Un dépôt épais orangé rouge à brun foncé est présent sur la face supérieure (excepté son extrémité distale) ainsi que sur le bord droit et l’extrémité distale de la face inférieure. Ce dépôt est particulièrement épais sur le tranchant du bord gauche de la pièce.

47Cette pièce répond à la définition de « retouchoir » : objets « allongés, soigneusement retouchés, mais généralement sur une seule face, dont les extrémités sont le plus souvent polies par l’usure » (Brézillon, 1968). À l’époque de cette définition, on imaginait que cet outil pouvait avoir deux fonctions : celle de retoucher un support en silex et celle de percuter un nodule de pyrite ou de marcassite, afin de produire des étincelles incandescentes.

48Les expérimentations de V. Beugnier et P. Pétrequin (1997) ont mis en évidence les différents stigmates laissés sur des pièces utilisées comme « briquets » :

  • émoussé prononcé continu le long du fil actif ;
  • émoussé en profondeur et longues stries sur la face entrant en contact avec la marcassite lors de la percussion ;
  • importants dépôts linéaires ferreux, perpendiculaires au front ;
  • petites traces de percussion, cupules et enlèvements superficiels de matière au niveau du front ;
  • dépôts ferreux remplissant le fond des enlèvements de retouche ;
  • lustre important.

49Plusieurs de ces stigmates sont visibles sur la pièce de Gurgy (émoussé au niveau de la partie active – le talon – et des arêtes de la face inférieure, dépôt sur le bord gauche et dans le fond des enlèvements de retouche, petites traces de percussion au niveau du talon, face inférieure lustrée). Les études anthropologique et céramique ont révélé une érosion de la tombe, mais le dépôt mentionné est épais et ne ressemble pas aux traces de rouille dues aux engins agricoles. De plus, il est très localisé et n’est présent que sur cette pièce.

50Ce type de dépôt a déjà été constaté sur d’autres briquets de la fin du Néolithique, comme dans l’allée couverte de Vers-sur-Selle « Fossé Grosset/Château Grosset », dans la Somme (Piningre, Bréart, 1985, p. 143). Nous l’avons aussi observé sur d’autres retouchoirs, que nous considérons donc comme briquets, issus des sépultures collectives de la vallée du Petit Morin (Marne) découvertes par le baron J. de Baye (18 briquets sur 57 possèdent en effet un dépôt assez similaire). De même, nous l’avons remarqué sur les trois exemplaires mis au jour dans la sépulture collective de Cheny « Les Groseilliers/ Les Mardelles » (Bailloud, 1974). D’autres cas sont évoqués par E. Patte (1960), mais il s’agit de découvertes anciennes dont l’attribution chronologique est plus incertaine. Ainsi, dans le tumulus de Fleuré (Vienne), un probable briquet réalisé sur une lame de poignard brisée présente des « taches de rouille » (Patte, 1960, p. 52). Cet auteur évoque aussi les sites ayant livré des nodules de marcassite accompagnés de pièces sans dépôt orangé mais interprétées logiquement comme des briquets, par exemple à Tinqueux « L’Homme Mort » dans le département de la Marne (Bailloud, Brézillon, 1968).

Fig. 44 — Gurgy « Le Nouzeau » (Yonne). Pièces en silex de la sépulture 257 : 1, éclat rebroussé ; 2, briquet sur éclat laminaire (dessins C. Renard, d’après E. Boitard). Pièces de comparaison : 3, briquet d’Altwies, Grand-Duché du Luxmbourg (Toussaint et al., 2000) ; 4, briquet de Vandières, Meurthe-et-Moselle (Boura, 1993).

Fig. 44 — Gurgy « Le Nouzeau » (Yonne). Pièces en silex de la sépulture 257 : 1, éclat rebroussé ; 2, briquet sur éclat laminaire (dessins C. Renard, d’après E. Boitard). Pièces de comparaison : 3, briquet d’Altwies, Grand-Duché du Luxmbourg (Toussaint et al., 2000) ; 4, briquet de Vandières, Meurthe-et-Moselle (Boura, 1993).

51À la fin du Néolithique, le fait de déposer cet outil au sein d’une sépulture est plus fréquent durant la première phase du Néolithique récent (Chambon, Salanova, 1996, p. 107-108), comme l’illustre la sépulture de Vignely « La Porte aux Bergers », en Seine-et-Marne (Allard et al., 1998). En revanche, pour le Campaniforme du Bassin parisien, il n’existe, à notre connaissance, qu’une autre association stricte avec des briquets : dans la sépulture de Ciry-Salsogne « La Bouche à Vesles », Aisne (voir L. Hachem et al., ce volume, chap. II, p. 32). En dehors du Bassin parisien, une pièce semblable a été découverte dans la sépulture d’Altwies, Grand-Duché de Luxembourg (Toussaint et al., 2000). Elle est réalisée sur un grand éclat cortical obtenu à partir d’une plaquette, présente des émoussés aux deux extrémités et une retouche abrupte sur le bord (fig. 44, no 3). Le support, comme la position et l’étendue de l’émoussé ainsi que le module sont globalement comparables au briquet de Gurgy. Sur le site de Vandières (Meurthe-et-Moselle), un vase campaniforme a également été déposé accompagné d’un fragment de nodule de pyrite et d’une pièce interprétée par S. Boura (1993) comme un « racloir épais », mais qui présente toutes les caractéristiques d’un briquet de module équivalent à celui de la sépulture 257 (fig. 44, no 4). Une retouche très abrupte et très courte affecte les bords et les extrémités de l’outil, un émoussé important occupe ses extrémités, le tranchant et les deux surfaces sont couverts d’impacts oxydés. Enfin, l’auteur souligne la présence d’un lustre sur les deux faces. Des « nécessaires à feu » sont également signalés dans les tombes campaniformes hollandaises et anglaises (Lanting, Waals, 1976 ; Needham, 2005).

52Le mobilier lithique de la tombe campaniforme de Gurgy, représenté par deux pièces seulement, peut paraître à première vue ubiquiste. Pourtant, les caractéristiques technologiques du briquet, ses stigmates, les dépôts liés à sa fonction et le fait qu’il soit le seul outil lithique déposé indiquent son statut spécifique. Quant à l’éclat, N. Nieszery (1998) formule une hypothèse pour les sépultures individuelles du Rubané en Allemagne à partir de ses observations et de ses expérimentations : il s’agirait en fait de « nécessaires à feu » plus ou moins complets qui seraient déposés, et la fonction la plus probable de l’éclat serait de gratter l’amadou pour en sortir la partie ouateuse inflammable. M. Sohn (2006) a démontré qu’à la fin du Néolithique, cet outil particulier est parfois associé à un individu inhumé en sépulture collective et, dans ce cas, plutôt à des hommes. Il semble que ce statut à part perdure au sein des sépultures individuelles campaniformes.

Le bouton en matière osseuse

53Sandrine Bonnardin

54Dans la sépulture 257, est apparu à la fouille un petit élément de parure situé à quelques centimètres sous le coxal gauche du sujet inhumé en décubitus latéral gauche. Ce petit élément est à ranger aux côtés des boutons campaniformes.

Données morphométriques

55Il s’agit d’une pièce légèrement ovalaire, de 1 cm de longueur sur 9 mm de largeur et de 3 à 3,8 mm d’épaisseur (fig. 45). C’est à l’opposé de la face plane (le plateau), sur la face légèrement pyramidale, que la perforation en « V » a été réalisée.

Données techniques

56Il n’est jamais aisé d’identifier la matière première d’un objet lorsque le façonnage a tant modifié les caractéristiques initiales. Cependant, plusieurs éléments nous conduisent à penser qu’il s’agit probablement, dans le cas présent, d’un objet fabriqué dans une défense de suidé. En effet, la face non perforée, de couleur crème et brillante, presque nacrée, laisse apparaître un relief de lignes, de largeur inégale et irrégulièrement espacées les unes des autres, qui s’apparentent au cément d’une dent animale. La face perforée, de couleur jaune pâle, est entièrement couverte de petits points sombres, comme de petits canaux, qui lui donnent presque un aspect ligneux et correspondrait alors à la dentine. L’ensemble de ces caractéristiques anatomiques est présent sur les canines de suidé.

Fig. 45 — Gurgy « Le Nouzeau » (Yonne). Bouton en défense de suidé de la sépulture 257 (cliché S. Oboukhov, CNRS).

Fig. 45 — Gurgy « Le Nouzeau » (Yonne). Bouton en défense de suidé de la sépulture 257 (cliché S. Oboukhov, CNRS).

Fabrication de l’objet

57Selon la terminologie technologique de N. Provenzano (2004), l’objet a été obtenu par un lent travail d’abrasion sur le contour, manifesté par des zones de stries fines, parallèles entre elles et unidirectionnelles. Le plateau du bouton, présentant une surface naturelle brute correspondant à la surface extérieure du support (la dentine), n’a manifestement pas été retravaillé. En revanche, la face opposée a subi deux procédés distincts : l’appointage et la perforation. L’appointage a façonné un biseau bifacial, parcouru encore de stries d’abrasion visibles à l’œil nu. Le volume ainsi créé a laissé toute latitude à l’artisan pour pratiquer en biais les deux perforations, placées côte à côte et convergeant l’une vers l’autre au centre de la pièce. D’après les stigmates encore présents sur les parois des orifices, s’apparentant à « une striation concentrique des parois internes, des lèvres à angles vifs et des parois droites et parallèles » (Provenzano, 2004, p. 208), il est probable que c’est à l’aide d’un foret rotatif, de type foret à archet ou à pompe, que la perforation a été réalisée.

Traces d’usure, usage et fonction de la pièce

58Le bouton a été porté avant le décès du sujet car il montre une usure provoquée par un lien : il s’agit d’une déformation du bord interne de chaque perforation sous la forme d’un étirement. Le sens de l’étirement indique que l’objet devait être rattaché fermement par son centre à un support, ce qui corrobore bien l’hypothèse typo-fonctionnelle de ce type d’objets : à savoir, des boutons de vêtement. L’usure est malgré tout discrète, puisqu’elle n’a pas eu le temps d’effacer les plages striées de l’abrasion, en surface de la pièce, comme cela se produit habituellement sur des objets très usés. À cela, deux remarques : si le bouton a bel et bien été utilisé comme élément fonctionnel et utilitaire (fermeture/ouverture d’un pan du vêtement), soit il n’a pas servi toute une vie, soit le vêtement a été porté rarement. En tout état de cause, il ne s’agissait sans doute pas d’un vêtement porté au quotidien. L’hypothèse soutenant que ce bouton en os ait été rattaché à une pièce vestimentaire occasionnelle doit donc être posée ici. Si tel fut le cas, on peut suggérer que le sujet inhumé a été enseveli, recouvert d’un vêtement de statut particulier.

Comparaisons

59Dans la typologie de H. Barge (1982), le bouton de la sépulture de Gurgy appartient à la catégorie générale des « boutons à perforation en V » ou « V-boutons », sous-type des « boutons hémisphériques ». Les « boutons à perforation en V » sont des objets bien connus des contextes de la fin du Néolithique et de l’âge du Bronze (Guilaine, 1963 ; Barge, Arnal, 1985 ; Barge, 1982). On pense aujourd’hui qu’ils seraient apparus dès le Campaniforme ancien (Lemercier, 2004). On les rencontre en France, mais aussi à l’étranger (du Portugal à l’Angleterre en passant par l’Espagne, Baléares, Italie, Corse, Sardaigne, Suisse, Allemagne, Autriche et Ex-Tchécoslovaquie). Partout, ils intéressent différents contextes : sépultures (individuelles et collectives) et habitats. À l’échelle du Campaniforme, ils montrent certaines divergences dans la sélection des matériaux comme l’illustre une carte de répartition de ces productions, publiée récemment par J. Guilaine (2004).

60En ce qui concerne plus particulièrement le sous-type des « boutons hémisphériques », il s’agit d’une gamme d’objets très standardisés. Les dimensions des pièces s’échelonnent en effet généralement entre 7 mm et 1,3 cm, avec une majorité autour de 1 cm, ce qui correspond au bouton de Gurgy. Leur répartition géographique est vaste également : nord et sud de la France sont concernés ainsi que l’étranger (Portugal, Espagne, Suisse, Malte, etc.). En France, ils sont plus nombreux dans le Sud (Barge, Arnal, 1985). Divers sous-types de boutons hémisphériques ont coexisté : ceux de section plano-convexe comme celui de Gurgy, et ceux de section conique. Or il s’avère, par exemple, que les boutons de l’est de la France, géographiquement proches de celui de Gurgy, appartiennent en fait aux boutons de section conique. Le bouton de Gurgy semble donc bien unique à ce jour dans le nord de la France. Malheureusement, sur les cartes, anciennes maintenant (Barge, Arnal, 1985), ces différences morphologiques ne sont pas spécifiées ; de même que la détermination des matières premières se cantonne à des catégories plutôt larges (os, pierre). Dans ce contexte documentaire, il s’avère bien difficile aujourd’hui d’effectuer des rapprochements. Il serait d’ailleurs bon à l’avenir de ré-évaluer avec un regard de technologue et de tracéologue l’ensemble des découvertes, afin de procéder à une sélection typologique et technologique des pièces sur la base des différences déjà notées (forme précise de l’objet, matière première).

61D’après les figures fournies par les auteurs déjà cités, H. Barge et J. Arnal (1985), une différence distingue l’élément de Gurgy des autres pièces recensées ailleurs : c’est sur sa face biseautée qu’ont été pratiquées les perforations. Sur les pièces méridionales, les mêmes auteurs indiquent très précisément que la « perforation en V » est toujours effectuée sur la face plane des pièces. Cette différence technique est à prendre en compte car elle soulève deux questions et une remarque :

  • le bouton de Gurgy manifeste-t-il l’existence d’une « tradition technique » différente entre le nord et le sud de la France ?
  • Ou bien, n’est-ce qu’une simple adaptation technique au support ? Les boutons mentionnés dans les inventaires typologiques sont dits être réalisés en os compact ; on n’y précise pas l’usage de dents animales. Le choix de percer différemment la pièce de Gurgy en défense de suidé résulterait alors d’une contrainte technique liée au matériau. Cependant, il n’est actuellement pas possible d’évaluer cette donnée en l’absence d’expérimentations.
  • Cette différence, quelle qu’elle soit, nous permet de supposer que le bouton de la sépulture n’a probablement pas été importé des régions méridionales.

La datation radiocarbone

62Une mesure radiocarbone a été réalisée en AMS à partir d’un fragment du calcanéus gauche, prélevé sur le squelette. Le résultat indique la fin du iiie millénaire avant J.-C. : GrA-32811 : 3780 ± 30 BP soit 2295-2133 av. J.-C. (calibré à deux sigma).

La tombe : comparaisons et éléments de datation

63Laure Salanova

64À l’échelle régionale, il est difficile d’établir des comparaisons du point de vue de l’architecture ainsi que de l’agencement du défunt et du mobilier avec la sépulture 257 du site de Gurgy « Le Nouzeau », car ces informations ne sont bien souvent pas connues pour les autres sites. La quasi-totalité correspond en effet à des trouvailles anciennes ou fortuites qui n’ont donc pas bénéficié de fouilles méticuleuses. La tombe de Gurgy est localisée à quelques kilomètres au nord des deux autres sépultures individuelles campaniformes connues dans l’Yonne : Augy « La Ferme de Champagne » et Champs-sur-Yonne « Champs-Galotte ».

65La tombe d’Augy a livré les restes d’un jeune adulte et d’un enfant, orientés est-ouest et accompagnés de trois gobelets décorés, de trois armatures, d’un couteau et d’un grattoir en silex (Kapps, Bailloud, 1960 ; Salanova, 2000). La fosse ayant été partiellement détruite lors de l’intervention archéologique, nous ne connaissons rien de l’agencement des corps et du mobilier.

66La sépulture de Champs-sur-Yonne a bénéficié d’une fouille plus minutieuse (Poplin et al., 1976 ; Salanova, 2000). La fosse contenait les restes d’une femme âgée, en position fléchie sur le côté droit et orientée nord-ouest - sud-est. Un gobelet décoré était placé dans le dos de la défunte et, d’après la position des ossements, les fouilleurs conclurent à l’existence d’une cloison séparant le corps du mobilier. Une datation sur ossement avait été réalisée, mais les résultats n’étaient pas exploitables du fait de la grandeur de l’écart type (4150 ± 180 BP). Dans le cadre des travaux du PCR sur « le iiie millénaire dans le centre-nord de la France » (R. Cottiaux et L. Salanova [dir.]), un élément du squelette a été redaté et la datation obtenue est plus précise : 3955 ± 35 BP, soit 2570-2340 av. J.-C. (L. Salanova, ce volume, chap. X, p. 127). Cette nouvelle date place la tombe de Champs-sur-Yonne dans une étape assez ancienne du Campaniforme, contrairement à celle de Gurgy dont le squelette a livré une date très récente se rapportant aux tout derniers siècles du iiie millénaire avant J.-C.

67Si dans les deux autres tombes de l’Yonne le mobilier n’est pas comparable terme à terme à celui découvert à Gurgy, le dispositif architectural repéré à Champs-sur-Yonne est similaire d’après la rigole présente au sein de la fosse : dans ces deux tombes, le défunt était très probablement contenu dans un coffre en matière périssable. En France, des cas de coffres dans les tombes campaniformes avaient été pressentis, mais leur existence n’était pas aussi probante qu’à Gurgy. Seules les fouilles récentes effectuées en Lorraine apportent des points de comparaison évidents (A. Lefebvre, ce volume, chap. VIII, p. 97-113). Ce type de dispositif est également signalé aux Pays-Bas et en Grande-Bretagne où les tombes campaniformes livrent fréquemment des vestiges de coffre en bois (L. Salanova, ce volume, chap. X, p. 134). En revanche, les fosses de forme carrée ne sont pas légion dans le Campaniforme, même dans les régions où les sépultures individuelles sont nombreuses, comme aux Pays-Bas (Lanting, Waals, 1976). La forme de la fosse et l’agencement du corps dans la diagonale de celle-ci confèrent donc à la sépulture de Gurgy une réelle originalité.

68En ce qui concerne le mobilier, l’état de conservation et le caractère somme toute banal de l’assemblage ne permettent pas de pousser plus loin les comparaisons. Le gobelet et le V-bouton rond sont courants dans le Campaniforme et ils ne signent pas une influence particulière. La morphologie du vase et l’absence probable de décor sont par contre en adéquation avec la mesure radiocarbone du squelette (L. Salanova, ce volume, chap. X, p. 133). Quant aux deux pièces en silex, elles ne font pas partie de l’assemblage campaniforme classique, mais des éléments de briquet sont fréquemment signalés d’une part dans des contextes de la fin du Néolithique en Bassin parisien, en sépulture collective notamment, et d’autre part dans les inventaires de mobilier des tombes campaniformes hollandaises et anglaises (Lanting, Waals, 1976 ; Needham, 2005).

69Au final, si la tombe de Gurgy présente certaines originalités, les pratiques funéraires suivent les normes reconnues à l’échelle de l’Europe (Salanova, 2007, et ce volume, chap. X, p. 125-142). La présence d’un gobelet apparemment non décoré et la position du corps replié sur le côté gauche sont des éléments en faveur de la détermination anthropologique probable du sexe du défunt, à savoir un homme. La structure architecturée, attestée à présent dans les fouilles les plus récentes de tombes campaniformes, participe de ces pratiques.

Notes

9 Ce remontage très méticuleux a été réalisé par Danièle Molez (équipe « Éthnologie préhistorique », UMR 7041 CNRS), que nous tenons à remercier pour son aide précieuse.

List of illustrations

Title Fig. 39 — Localisation géographique du site de Gurgy « Le Nouzeau », Yonne (infographie F. Müller, Inrap).
URL http://books.openedition.org/editionscnrs/docannexe/image/55030/img-1.jpg
File image/jpeg, 34k
Title Fig. 40 — Localisation du site du « Nouzeau » dans les gravières de Gurgy (infographie F. Müller, Inrap).
URL http://books.openedition.org/editionscnrs/docannexe/image/55030/img-2.jpg
File image/jpeg, 116k
Title Fig. 41 — Gurgy « Le Nouzeau » (Yonne). Localisation de la sépulture 257 au sein de l’enceinte du Néolithique moyen (relevé topographique C. Lefèvre et P. Noguès, Inrap ; infographie P. Pihuit, Inrap).
URL http://books.openedition.org/editionscnrs/docannexe/image/55030/img-3.jpg
File image/jpeg, 53k
Title Fig. 42 — Gurgy « Le Nouzeau » (Yonne). Plan, coupes et topographie de la sépulture 257 (dessin Ph. Chambon, CNRS ; relevé topographique du fond de fosse : C. Lefèvre, Inrap).
URL http://books.openedition.org/editionscnrs/docannexe/image/55030/img-4.jpg
File image/jpeg, 93k
Title Fig. 43 — Gurgy « Le Nouzeau » (Yonne). Vase de la sépulture 257 (dessin et cliché L. Salanova, CNRS).
URL http://books.openedition.org/editionscnrs/docannexe/image/55030/img-5.jpg
File image/jpeg, 31k
Title Fig. 44 — Gurgy « Le Nouzeau » (Yonne). Pièces en silex de la sépulture 257 : 1, éclat rebroussé ; 2, briquet sur éclat laminaire (dessins C. Renard, d’après E. Boitard). Pièces de comparaison : 3, briquet d’Altwies, Grand-Duché du Luxmbourg (Toussaint et al., 2000) ; 4, briquet de Vandières, Meurthe-et-Moselle (Boura, 1993).
URL http://books.openedition.org/editionscnrs/docannexe/image/55030/img-6.jpg
File image/jpeg, 143k
Title Fig. 45 — Gurgy « Le Nouzeau » (Yonne). Bouton en défense de suidé de la sépulture 257 (cliché S. Oboukhov, CNRS).
URL http://books.openedition.org/editionscnrs/docannexe/image/55030/img-7.jpg
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Author(s)

Université de Nice UMR 6130, CEPAM F - 06 Valbonne Sofia-Antipolis

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