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Les chemins de la décolonisation de l’empire colonial français, 1936-1956

 | 
Charles-Robert Ageron

Cinquième partie. Les prodromes de la décolonisation en Afrique noire

Les facteurs historiques de la décolonisation au Dahomey 1936-1956

Sylvain C. Anignikin

Texte intégral

  • 1 Il s’agit d’une longue instruction judiciaire qui, d’août 1934 à juin 1936, mit aux prises l’élite (...)

1En 1936, la contestation du pouvoir colonial remportait un important succès sur l’administration locale dans l’affaire du procès de la Voix du Dahomey1. C’était là le couronnement d’une intense et vigoureuse campagne de presse. A travers la dénonciation des pratiques abusives des administrateurs, les journaux dahoméens (dont on dénombrait une bonne douzaine à l’époque) défendaient et affirmaient les intérêts généraux du pays au sein de l’Afrique occidentale française.

  • 2 Voir Codo (C.B.) et Anignikin (C.S.), « Pouvoir colonial et tentatives d’intégration africaines da (...)

2Il s’agissait d’une part, d’affirmer sur le « marché national » les intérêts des traitants et entrepreneurs autochtones face aux firmes coloniales qui tentaient de les marginaliser2. D’autre part, les « évolués » luttaient pour la reconnaissance d’une certaine spécificité dahoméenne. Cette spécificité, qui demandait à être reconnue comme telle, s’identifiait à l’idée que le Dahomey constituait le « Quartier latin » de l’Afrique et au sentiment qu’il était la « vache à lait » de l’A.O.F. Ce dernier aspect de la contestation qui se traduisait en particulier par la revendication de l’autonomie budgétaire, révèla les vélléités nationalistes du mouvement et finit par inquiéter au plus haut point l’administration coloniale.

3En 1956 par contre, la contestation du pouvoir colonial cessa d’être la préoccupation majeure des « évolués » dahoméens. Ainsi, l’affirmation de la spécificité dahoméenne ne se faisait plus que par rapport aux autres colonies. Elle se traduisit notamment par l’opposition des Dahoméens au fédéralisme, alors que l’importance du nombre de leurs compatriotes dans les autres colonies du groupe les y invitait.

4Par ailleurs, le mouvement se fit même l’allié du pouvoir colonial, en combattant résolument le marxisme et les idées marxistes au Dahomey. Cette position se manifesta surtout par le refus de l’apparentement des élus dahoméens aux groupes parlementaires métropolitains et leur hostilité quasi unanime au Rassemblement Démocratique Africain. Mais l’essentiel de l’activité politique visait surtout la défense des intérêts partisans. Cet état de choses qui se manifestait singulièrement par la prolifération des partis politiques entraîna une profonde crise de l’identité nationale.

5Au total, alors que l’ampleur et la vigueur, caractéristiques de la contestation avant 1936, auguraient d’une décolonisation sinon radicale du moins mouvementée, les initiatives du pouvoir colonial ont progressivement désamorcé le nationalisme dahoméen et l’ont conduit dans la voie d’un réformisme prudent. C’est l’étude des ressorts de cette évolution qui fait l’objet de la présente communication.

1. LE « FRONT POPULALRE » ET LA RÉCUPÉRATION DE LA PRESSE

6L’avènement du gouvernement du Front Populaire intervint au moment où le long procès de la Voix du Dahomey connaissait son dénouement. Il eut pour conséquence majeure de renforcer l’évolution amorcée à la faveur de l’ouverture du procès par la contestation du pouvoir colonial. Dès 1934 en effet, l’administration décida de mettre fin à la campagne menée par les journaux contre l’autorité française. C’est curieusement le gouverneur De Coppet, connu par la suite comme l’homme du Front Populaire, qui mit au point une politique de musellement systématique de la presse. Elle était fondée d’une part, sur la répression des animateurs des journaux hostiles comme la Voix du Dahomey et d’autre part, sur la récupération et l’inféodation des journaux modérés.

7L’exécution de cette politique fut conduite par le gouvernement intérimaire Desanti. Il fut aidé efficacement par l’administrateur Léo Antoine, ancien chef du service des renseignements du Levant, spécialement affecté au Dahomey en juillet 1934.

8Face à la double perspective offerte aux journalistes par l’administration, la cohésion de la presse se brisa et avec elle, l’unité du groupe des « évolués ». Une tendance modérée, prônant la collaboration avec le colonisateur, s’organisa autour du Phare du Dahomey, journal de l’imprimeur Augustin Nicoué, qu’animait l’instituteur Paul Hazoumé.

9De l’autre côté, La Voix du Dahomey continuait d’animer tant bien que mal un courant d’opposition que la longueur du procès et les emprisonnements de journalistes contribuèrent néanmoins à affaiblir. Cette évolution de la contestation du pouvoir colonial est renforcée par les initiatives de l’administration du Front Populaire au Dahomey.

  • 3 Le « Phare du Dahomey » n° 135 de février 1937.
  • 4 Ibid.

10C’est d’abord une Commission parlementaire conduite par M. Quinson, député de l’Ain, qui se rendit le 31 janvier 1937 à Porto-Novo. Les parlementaires invitèrent l’élite dahoméenne, les journalistes en particulier, à user de leur droit de critique « avec toute la prudence et la pondération qui conviennent »3, dans le plus grand intérêt de la « politique de rapprochement entre le colonisateur et le colonisé »4.

  • 5 Le « Phare du Dahomey » n° d’avril 1937.

11Ce discours fut confirmé quelques jours plus tard par une délégation ministérielle conduite par Marius Moutet et comprenant en particulier le gouverneur De Coppet devenu gouverneur général. Arrivé au Dahomey le 27 mars 1937, le ministre des Colonies a tenu à ce que les Dahoméens sachent que « le gouvernement du Front Populaire ne poursuit qu’un idéal : travailler au maintien de la paix, de la liberté et à l’amélioration du sort de la masse »5.

  • 6 Décret du 5 décembre 1937.
  • 7 A.O.F. 200 Mi 1775, Rap. politique pour l’année 1936.
  • 8 A.O.F. 200 Mi 1784, Rap. politique annuel, Dahomey 1937.

12L’offre de collaboration proposée aux « évolués » dahoméens répondait à leur attente. Elle parut d’autant plus sincère qu’elle impliquait l’idée d’une certaine dette morale de la France et qu’elle était accompagnée de nombreuses lois sociales dont l’application aux colonies fut annoncée par le ministre. Par ailleurs, des mesures concrètes d’apaisement furent prises en faveur de l’élite, désormais en position d’interlocuteur privilégié, au détriment des chefs de canton. Les journalistes incarcérés furent libérés6. L’attitude de l’administration locale dans le procès de La Voix du Dahomey fut désavouée7. C’est ce que traduisaient le départ du Dahomey des administrateurs Desanti et Léo Antoine et surtout la suppression8 de la très impopulaire direction des affaires réservées, nom sous lequel se camouflait le service des renseignements.

  • 9 A.O.F. 200 Mi 1802, Rap. politique annuel, Dahomey 1938.
  • 10 A.O.F. 200 Mi 1784, Rap. op. cit.

13Toutes ces mesures impressionnèrent favorablement l’élite et consacrèrent le triomphe du principe de collaboration. Le ton général de la presse s’adoucit. On n’y trouvait plus d’attaques contre le gouvernement local9. Au contraire, les animateurs des organes de presse semblaient vouloir se démarquer de toute attitude de combat rappelant la période 1927-1936. Ainsi, lorsqu’en septembre 1937, un tract paru en France invitant les « camarades du Dahomey »10 à chasser leurs tyrans, l’élite qui n’a pas voulu qu’on puisse la suspecter d’être à l’origine de ce libelle, envoya une délégation de notables apporter son soutien au chef de la colonie. L’association daho-togolaise « Le Bénin » qu’animaient à Paris Louis Ignacio Pinto et Augustin Azango, désapprouva publiquement le tract.

14Une attitude nouvelle se dessina au sein de la presse sous l’impulsion du Phare du Dahomey. Elle consistait à exhorter les Dahoméens à la collaboration avec le gouvernement local ainsi que les y invitaient les différentes délégations du Front Populaire. Elle mettait en exergue les timides réformes du système et trouvait un peu partout de bonnes actions à mettre à l’actif de tel ou tel administrateur.

15En définitive, les initiatives du gouvernement du « Front Populaire » contribuèrent à faire évoluer la presse dahoméenne de la critique des pratiques abusives, à la diffusion des actes « positifs » de l’administration coloniale.

2. LA GUERRE DE 1939-1945 ET LA LIQUIDATION DE LA CONTESTATION

  • 11 Numéro 165 du 30 juillet 1938.

16Le renforcement des tensions internationales à partir de 1938 a progressivement éloigné les animateurs de presse des problèmes dahoméens et polarisé leur attention sur les bruits des bottes en Europe. Ainsi, face à la menace de guerre qui pesait sur la France, le Phare du Dahomey affirmait que « comme les Dahoméens ne sont pas des ingrats, ils répondront présents à son appel »11.

  • 12 Arch. Nat. de France (A.N.F.) Direction du Contrôle, Rap. n° 27 D de l’inspection Bourgeois-Gavard (...)
  • 13 Ibid.

17La défaite française de juin 1940 fut accueillie par la population avec un profond sentiment de consternation qui traduisait, semble-t-il, un certain attachement à la France12. En fait, pour les Dahoméens et l’élite en particulier, il s’agissait moins d’un attachement à la France (il n’y eut pas d’engagements massifs de volontaires chez les évolués13) que d’une attitude hostile à l’Allemagne. L’Allemagne nazie s’était révélée comme un Etat foncièrement raciste et était perçue comme tel au Dahomey grâce à la propagande française. Par ailleurs et surtout, les Dahoméens redoutaient un éventuel retour des Allemands au Togo. Il risquait d’être préjudiciable aux intérêts de l’importante colonie formée par leurs compatriotes qui servaient dans l’administration française depuis la fin de la « Grande guerre ».

  • 14 A.O.F. 200 Mi 1802, Rap. op. cit.
  • 15 A.N.F., Direction du contrôle. Rap. n° 27 D, op. cit.

18Cependant, l’esprit de contestation n’avait pas disparu. Ainsi, malgré les résultats spectaculaires obtenus par l’administration du Front Populaire dans le sens de la collaboration, l’on déplorait dès 1938, le retour de la pratique des lettres anonymes et des tracts14. Au début de la guerre, l’administration locale se retrouvait devant une certaine reprise des activités de contestation15. Il s’agissait en particulier du regain de l’agitation dans les localités du Bas-Dahomey, de la création d’associations représentatives telles que celle (autonome) des commerçants autochtones, de l’organisation de débrayages par les cheminots du réseau Bénin-Niger et par les travailleurs du wharf de Cotonou.

  • 16 Ibid.
  • 17 Ibid.
  • 18 Les cas les plus célèbres furent ceux du Capitaine Tutenges et de l’administrateur Fraysse.

19Cette situation se compliqua dès le 18 juin 1940 avec la manifestation de la « dissidence » gaulliste au Dahomey16. Le voisinage de la Nigeria anglaise faisait redouter à l’administration centrale le ralliement du Dahomey au camp anglo-gaulliste. Cette appréhension était renforcée par le fait que beaucoup de commerçants, et même de non-commerçants, ne concevaient pas que la vie économique de la colonie fût possible sans la Grande-Bretagne, dont les firmes contrôlaient plus de 65 % du mouvement commercial17. Aussi, au début, les sympathies pro-anglaises ou gaullistes l’emportaient-elles. Lorsqu’elles se traduisirent par des ralliements à la France libre18, l’administration prit des mesures tant pour faire échec à la « dissidence » que pour réprimer les « évolués » soupçonnés de contestation.

  • 19 A.N.S.O.M., Aff. politiques Carton 638, dossier 12, Affaires intéressant le Haut-commissariat de l (...)

20C’est d’abord la presse qui fut réduite au silence par le renforcement de la censure au nom de la Défense nationale. Ensuite, la modification du mode de désignation des chefs de canton mit fin aux « ingérences » des « évolués » dans le commandement indigène19. Enfin, les chefs historiques de la contestation furent neutralisés soit par une intense surveillance policière (Firmin José Santos, Pierre Johnson, Eugène Tossou d’Almeida) ou par l’exil (Louis Hunkanrin, Jean Adjovi, déportés au Soudan français pour « gaullisme »).

  • 20 Il s’aéissait en particulier de Paul Hazoumé, Augustin Azango, Emile Derlin Zinsou au Dahomey et L (...)
  • 21 La Voix du Dahomey, n° 139 de juillet 1945.

21Lorsque la constitution du Comité Français de Libération nationale annonça le vent d’une certaine libéralisation, la contestation au Dahomey n’était plus dirigée que par des personnalités idéologiquement proches du colonisateur20. La tenue en 1944 de la Conférence de Brazzaville acheva de convaincre ce noyau dirigeant de l’élite que la France, consciente de l’effort fourni par les Dahoméens pendant la guerre, allait pouvoir prendre les initiatives nécessaires à la réalisation de leurs aspirations. « Nous n’étions pas présents à Brazzaville, bien qu’il n’y s’agissait que de nous (...). Nous reconnaissons cependant l’effort méritoire qui y a été fait en notre faveur »21. La Conférence de Brazzaville renforça donc les illusions des « évolués » sur la nature du pouvoir colonial et fixa le nationalisme dahoméen à la remorque des initiatives de la puissance coloniale.

3. PERSPECTIVES DE TRANSFERT DES COMPÉTENCES ET CRISE DE L’IDENTITÉ NATIONALE

  • 22 A l’initiative du Comité de l’Empire français, plusieurs Etats Généraux de la colonisation se réun (...)
  • 23 Le racisme des Européens à l’égard des Dahoméens s’est renforcé au point que le gouverneur Bonfils (...)
  • 24 La Voix du Dahomey, n° 140 d’août 1945.

22Les projets de réformes qui devaient conduire après la guerre à la naissance de l’Union française et la perspective que les Dahoméens allaient désormais participer à la gestion des affaires de leur pays, finirent par reconcilier les « évolués » avec la métropole. Cependant les combats d’arrière-garde menés par les Etats Généraux de la colonisation22 et illustrés sur le plan local par une attitude permanente de provocations racistes23 ont mobilisé l’élite dans une puissante unité d’action dirigée contre la « pseudo-France qui s’acharne continuellement à détruire l’œuvre de l’autre France, la vraie, qui n’a qu’un tort, celui d’être trop lointaine »24.

  • 25 Créée le 20 février 1945 par le ministre des Colonies pour examiner la composition des collèges él (...)

23Ainsi pour répondre à l’initiative de Sourou Migan Apithy, qui en sa qualité de membre de la commission Monnerville25 s’était mis en rapport avec ses compatriotes au Dahomey de façon à leur rendre compte des travaux et à recueillir leur avis, ceux-ci firent taire leurs divergences et leurs querelles et formèrent un « Comité des sages » qui intégra les Sociétés de presse dans une commission d’étude et de suggestions dirigée par Augustin Azango.

  • 26 A.N.S.O.M., Aff. politiques, Carton 3449, dossier 3. Rap. de 1946.

24Cette commission se transforma par la suite en un comité central des opérations électorales pour préparer l’élection des deux députés qui allaient représenter le Dahomey et le Togo à l’Assemblée constituante. Ces premières élections furent perçues comme le début d’une ère nouvelle, celle du transfert progressif des compétences de la métropole aux « évolués ». Il fallait donc tout mettre en œuvre pour empêcher la « coalition colonialiste »26 de confisquer les acquis de la lutte. Aussi la campagne électorale fut-elle placée sous le signe du combat pour l’émancipation.

  • 27 Apithy fut élu avec 6 600 voix contre 648 à Casimir d’Almeida.

25Les élections furent largement remportées par les candidats de la coalition « élite-clergé catholique » (le R.P. Aupiais et Sourou M. Apithy) sur le tandem Bourjac-Casimir d’Almeida soutenu par l’administration27. Cette victoire consolida l’unité d’action des « évolués » si bien que dès la fin de 1945, l’idée prit corps de transformer les comités électoraux en groupement politique unifié. Elle aboutit à la création en juin 1946 de l’Union Progressiste Dahoméenne (U.P.D.) dont les candidats aux élections de la même année furent élus sans difficulté. C’est donc forte de son assise populaire que l’U.P.D., symbole de la conscience nationale, engagea le combat pour la défense des droits acquis dans le cadre de la première Constituante, et pour la conquête de nouvelles réformes à la deuxième Constituante. Le but visé à terme était la réalisation des objectifs du nationalisme dahoméen qui se ramenaient pour l’essentiel au principe d’ » identité-égalité », fondé sur la reconnaissance de la spécificité dahoméenne et sur le respect de son originalité.

  • 28 La Voix du Dahomey, n° 156 de décembre 1946.
  • 29 Ibid.

26Il s’agissait en définitive d’obtenir de la France le transfert progressif des compétences sans rupture avec la métropole. Dans le lexique politique de l’époque, ce sont les notions de « fédéralisme » et d’« autonomie » qui traduisent le mieux les aspirations de l’élite dahoméenne. Mais, comme on le sait, la Constitution créant l’Union française fit échec à ces notions dans leurs principes notamment sous la pression des animateurs du Comité de l’Empire Français. Cependant, le minimum accordé par la Constitution de 1946, c’est-à-dire une assemblée représentative « chargée de décider et de contrôler l’usage des produits de nos impôts »28, fut accepté et considéré avec le plus vif intérêt. Car, « même limité dans ses pouvoirs, le Conseil général institué par le décret du 25 octobre 1946, nous apparaît comme le baromètre propre à mesurer notre aptitude à gérer les affaires de notre pays »29.

  • 30 A.N.S.O.M., Aff. pol., Carton 3449, dossier 3, Rap. pol. Dahomey 1946.

27Ainsi perçu, le débat ne semblait plus opposer les Dahoméens et le pouvoir colonial. Il était désormais situé dans le camp même des « évolués ». Le phénomène observé depuis 1936 se vérifia une fois de plus à savoir que toute concession faite par le pouvoir colonial aux évolués contribuait à désamorcer leur contestation et à émousser le nationalisme dahoméen. Dès 1946 en effet, les attaques contre l’administration locale disparurent des journaux. La polémique électorale avait détourné la presse de sa campagne habituelle30.

28Cette situation confortable pour l’ordre colonial se renforça avec la prééminence prise par les fonctionnaires au sein de la classe politique naissante sur les autres catégories, notamment les traitants et entrepreneurs de commerce, qui au cours des années 30 avaient soutenu et animé la contestation. Ainsi, idéologiquement dominé par l’Eglise et structurellement lié à l’administration coloniale, le mouvement national dahoméen s’affaiblit rapidement sous l’effet de l’atomisation politique et des particularismes régionaux provoqués et exploités par le pouvoir colonial.

  • 31 Le Dahomey, comme les autres colonies d’A.O.F., devait être représenté au niveau de plusieurs asse (...)

29Le premier élément catalyseur de cette évolution fut la perspective d’un pouvoir législatif31. En effet, les élections législatives de 1946 et de 1951, par la polémique qu’elles instauraient, provoquèrent l’éclatement de l’U.P.D. et la création d’une multitude de partis entre 1947 et 1956. On note l’apparition successive du Bloc Populaire Africain (B.P.A.) d’Emile Poisson, du Groupement Ethnique du Nord-Dahomey de Hubert Maga, du Parti républicain du Dahomey de Sourou Migan Apithy et de l’Union démocratique Dahoméenne de Justin Ahomadégbé. Ces partis politiques ne présentaient aucune opposition de principe. Leurs programmes étaient en harmonie et visaient pour l’essentiel à la bonne gestion des parcelles de pouvoir qu’octroyait à la classe politique un Etat français désormais allié.

30Le deuxième facteur d’évolution du nationalisme dahoméen est lié au projet de réformes qui devait aboutir à la loi-cadre Defferre. Ainsi, dès 1956, on percevait clairement que les rivalités au sein de l’élite s’étaient ravivées, comme le montrèrent la rupture entre Justin Ahomadégbé (U.D.D.-R.D.A.) et Emile Derlin Zinsou (U.D.D.-Convention Africaine) et surtout la systématisation de l’opposition à Hubert Maga dans le Nord-Dahomey.

31Parallèlement, les tendances régionalistes qui s’exprimaient depuis 1949 au sein de la classe politique, se confirmèrent et se renforcèrent du fait de l’élargissement du corps électoral par le suffrage universel. La crise politique ouverte par les élections de 1946 se transforme en une crise de l’identité nationale qui s’accentua avec la mise en place des institutions prévues par la loi-cadre.

32La cristallisation de l’opposition des « évolués » dahoméens avait, au cours des années 1930 fait passer le Dahomey pour « l’enfant terrible de l’A.O.F. » La contestation du pouvoir colonial y avait en effet engendré un fort sentiment national qui pouvait déboucher sur une volonté d’affirmer l’identité nationale. Mais la prise en compte virtuelle des revendications de l’élite dès l’avènement du Front Populaire réconcilia la classe politique avec le pouvoir colonial et jeta les bases d’une décolonisation sans rupture avec la France.

Notes

1 Il s’agit d’une longue instruction judiciaire qui, d’août 1934 à juin 1936, mit aux prises l’élite dahoméenne et l’administration. Elle se solda par un verdict clément qui s’explique entre autres par l’impartialité du Président Mattéi soucieux de préserver l’indépendance du Tribunal.

2 Voir Codo (C.B.) et Anignikin (C.S.), « Pouvoir colonial et tentatives d’intégration africaines dans le système capitaliste : le cas du Dahomey entre les deux guerres », in Entreprises et Entrepreneurs en Afrique xixe et xxe siècles, Paris, l’Harmattan 1983, p. 269-286.

3 Le « Phare du Dahomey » n° 135 de février 1937.

4 Ibid.

5 Le « Phare du Dahomey » n° d’avril 1937.

6 Décret du 5 décembre 1937.

7 A.O.F. 200 Mi 1775, Rap. politique pour l’année 1936.

8 A.O.F. 200 Mi 1784, Rap. politique annuel, Dahomey 1937.

9 A.O.F. 200 Mi 1802, Rap. politique annuel, Dahomey 1938.

10 A.O.F. 200 Mi 1784, Rap. op. cit.

11 Numéro 165 du 30 juillet 1938.

12 Arch. Nat. de France (A.N.F.) Direction du Contrôle, Rap. n° 27 D de l’inspection Bourgeois-Gavardin au Dahomey 1940-1941.

13 Ibid.

14 A.O.F. 200 Mi 1802, Rap. op. cit.

15 A.N.F., Direction du contrôle. Rap. n° 27 D, op. cit.

16 Ibid.

17 Ibid.

18 Les cas les plus célèbres furent ceux du Capitaine Tutenges et de l’administrateur Fraysse.

19 A.N.S.O.M., Aff. politiques Carton 638, dossier 12, Affaires intéressant le Haut-commissariat de l’Afrique française, 1941.

20 Il s’aéissait en particulier de Paul Hazoumé, Augustin Azango, Emile Derlin Zinsou au Dahomey et Louis Ignacio Pinto, Sourou Migan Apithy en France.

21 La Voix du Dahomey, n° 139 de juillet 1945.

22 A l’initiative du Comité de l’Empire français, plusieurs Etats Généraux de la colonisation se réunirent pour organiser leur riposte aux initiatives de libéralisation du système colonial.

23 Le racisme des Européens à l’égard des Dahoméens s’est renforcé au point que le gouverneur Bonfils dût en rendre compte dans son rapport pour l’année 1951 (A.N.S.O.M., Aff. pol.. Carton 3449/5).

24 La Voix du Dahomey, n° 140 d’août 1945.

25 Créée le 20 février 1945 par le ministre des Colonies pour examiner la composition des collèges électoraux coloniaux et la représentation permanente des populations d’outre-mer, la commission était dirigée par Gaston Monnerville, député de la Guyane.

26 A.N.S.O.M., Aff. politiques, Carton 3449, dossier 3. Rap. de 1946.

27 Apithy fut élu avec 6 600 voix contre 648 à Casimir d’Almeida.

28 La Voix du Dahomey, n° 156 de décembre 1946.

29 Ibid.

30 A.N.S.O.M., Aff. pol., Carton 3449, dossier 3, Rap. pol. Dahomey 1946.

31 Le Dahomey, comme les autres colonies d’A.O.F., devait être représenté au niveau de plusieurs assemblées mises en place entre 1946 et 1956 : l’Assemblée nationale française (Paris), le Conseil de la République (Paris), l’Assemblée de l’Union française (Paris), le Grand Conseil (Dakar), le Conseil général (Porto-Novo).

Auteur

Université Nationale du Bénin, Cotonou

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