Le corps des administrateurs de la France d’outre-mer durant la 2e Guerre mondiale
p. 455-465
Texte intégral
1Le titre ayant varié au cours des travaux préparatoires du colloque, j’ai préféré limiter finalement mon propos à la 2e Guerre mondiale et à ses suites immédiates.
2Cet exposé s’appuiera sur les publications des administrateurs : l’Observatoire colonial (1923-1945) organe des élèves et anciens élèves de l’Ecole, Colo (1946-1956) et il s’appuiera aussi sur mon expérience. J’ai eu l’opportunité entre 1939 et 45 de rencontrer des dizaines d’administrateurs, ce qui me permet un témoignage personnel s’ajoutant aux écrits relativement nombreux au cours de cette période.
3Entré à l’E.N.F.O.M. au concours de 1938 j’ai eu l’occasion de faire un premier voyage en Afrique durant l’été 1939 comme responsable d’un groupe d’Ajistes pour une croisière Bordeaux-Pointe Noire-Bordeaux, puis de faire en 1941 le stage outre-mer entre 2e et 3e année d’école, d’avril à octobre 1941 à Dakar (alors vichyste). De retour à Paris en novembre 1941 j’ai eu l’occasion de participer à la Résistance avec Défense de la France (alors réseau non gaulliste) et de distribuer ce journal parmi le personnel de l’E.N.F.O.M. (directeur, professeurs et élèves).
4De retour en A.O.F. en octobre 1942 j’ai été menacé d’expulsion dès mon arrivée à Dakar pour « non vichysme » et propos séditieux. Je fus tiré d’affaires par un camarade qui bloqua opportunément la dénonciation au cabinet du gouverneur général Boisson. Affecté au Dahomey j’ai vécu les événements de novembre 1942 dans la circonscription de Djougou.
5Rappelé sous les drapeaux le 1er février 1943 au bataillon de Kandy j’ai ensuite été affecté à Alger (septembre 1943) où j’ai rencontré plusieurs « anciens » en service au commissariat aux colonies d’Alger (Jean Cédile et Léon Pignon notamment).
6Après trois mois passés au Maroc, au 5e R.T.S. à Tafrant et Fès (novembre 43 – janvier 44) j’étais au C.L.I. à Djidjelli où se trouvaient rassemblés une trentaine d’administrateurs pour la plupart officiers participant à l’entraînement des commandos destinés à l’Extrême-Orient.
7Au cours d’un stage à Alger, en 1944 j’ai organisé, avec l’aide de Pignon et Cédile un dîner au restaurant l’Oasis de tous les colos présents à Alger. Nous étions une bonne cinquantaine presque tous militaires en permission ou en stage. Une discussion extrêmement animée clotura ce repas. Plusieurs de nos camarades avaient des sympathies socialistes et l’un même était – je crois – communiste, ce qui n’est pas fréquent dans un corps d’autorité.
8Les sujets abordés concernaient la profession. Pour la plupart ceux qui venaient de la brousse pensaient que les déclarations de Brazzaville étaient à usage externe « américain », et que la brousse africaine n’en verrait pas les effets avant longtemps.
9Seuls ceux qui avaient été dans les cabinets des gouverneurs et qui avaient connu la relative démocratie d’avant-guerre (municipalités élues à Dakar, Saint-Louis, Rufisque, conseil supérieur des colonies auquel Mandel avait voulu redonner un certain lustre en 1939) savaient que les réformes du lendemain de la guerre iraient beaucoup plus loin que ne le pensait la majorité des camarades.
10Ai-je besoin de rappeler que la guerre n’était pas finie et que plusieurs d’entre les administrateurs devaient tomber lors des combats de la campagne d’Italie, de France ou d’Indochine et n’eurent pas hélas à expérimenter les réformes.
11Arrivé le 3 octobre 1945 à Saïgon je passais 15 jours à la mairie essentiellement à m’occuper des familles des victimes du massacre de la cité Heyraud.
12Le 18 octobre je m’envolais pour le Cambodge dans un avion japonais rafistolé avec des rustines, du fil de fer et autres sparadraps et piloté par 3 Japonais portant gants blancs et sabre au côté.
13Au Cambodge Son Ngoc Thanh, chef du gouvernement Khmer projaponais, venait d’être arrêté par le général Leclerc, et le colonel Huard était nommé commissaire de la République au Cambodge.
14J’ai assuré les fonctions de directeur du personnel français au commissariat de la République et j’ai donc vu tous les administrateurs en service au Cambodge, ce qui représentait un très bon échantillonnage. Il y avait des camarades de deux promotions antérieures à la nôtre : Delahaye, Gipoulon, Goutorbe et aussi un administrateur M. de Lens qui avait atteint l’âge de la retraite... Tous ces fonctionnaires avaient été impliqués dans la Révolution nationale mais il n’y avait eu aucune collaboration avec les Japonais. Les seuls cas dont on ait parlé concernaient des hommes de loi plus ou moins véreux qui avaient tourné la législation Decoux laquelle interdisait pratiquement aux sociétés japonaises de s’implanter en Indochine à moins de trouver des comparses français. Plusieurs avaient participé à la Résistance et avaient tenu quelques semaines dans le massif des Cardamomes ou la forêt de Kompong Thom.
15Je fus ensuite conseiller aux sports et à la jeunesse du gouvernement cambodgien, enfin responsable d’un certain nombre de services (Journal Officiel, contentieux, 1er Bureau, Inspection du travail, crimes de guerre, dommages de guerre, réquisitions, etc.). Ces diverses activités étant assumées non tellement en fonction de mes compétences qu’en raison du départ en congé de nombreux administrateurs qui avaient de 5 à 10 ans consécutifs de séjour consécutif en Indochine.
16Cet itinéraire de 8 années (1939-1947) m’a donné les occasions de rencontrer un très grand nombre d’administrateurs de tous bords et de tous grades qui avaient vécu l’expérience de la guerre.
LES OPTIONS DE POLITIQUE GÉNÉRALE ZONES GAULLISTES ET VICHYSTES
17Colonies « ralliées » et « loyales ».
18Le calendrier des ralliements au général de Gaulle est le suivant :
- 22 juillet 1940 : les Nouvelles Hébrides ;
- 26 août 1940 : le Tchad ;
- 27 août 1940 : le Cameroun ;
- 28 août 1940 : le Moyen Congo (actuelle République populaire du Congo) (ces trois journées baptisées « les trois glorieuses ») ;
- 2 septembre 1940 : Tahiti ;
- 9 septembre 1940 : les Comptoirs français de l’Inde ;
- 24 septembre 1940 : la Nouvelle Calédonie ;
- du 23 au 25 septembre c’est l’affaire de Dakar, la malheureuse tentative de ralliement qui tourne mal ;
- du 13 octobre au 10 novembre les combats seront livrés au Gabon entre Gaullistes et Vichystes ;
- le 16 novembre : le suicide du gouverneur Masson met un point final à ce douloureux épisode ;
- Madagascar est militairement occupée par les troupes britanniques depuis le 5 mai 1942 (occupation de Diego Suarez) jusqu’à l’armistice du 6 novembre 1942.
19Le débarquement allié en Afrique du Nord (8 novembre 1942) entraîne 3 semaines plus tard la rentrée de l’A.O.F. dans la guerre contre l’Allemagne, mais suivant des accords plus strictement négociés, semble-t-il, que les accords Darlan – Clarke ; Djibouti, en décembre, se rallie à la France libre, la Réunion, Saint-Pierre et Miquelon, les Antilles suivent.
20Il n’y a plus dès lors que l’Indochine ; les Iles Wallis et Futuna dépendant du haut commissariat de France en Indochine s’étant ralliées in extremis le 27 mai 1942 à la veille de l’occupation américaine (un médecin gaulliste le docteur Mattei remplaçant un médecin non-gaulliste le docteur Vrignaud).
LE RÔLE DES CHEFS DE TERRITOIRES
21Sauf Wallis et Futuna dont l’administration était assurée par un médecin, l’Indochine et les Antilles par des Amiraux, la totalité des autres territoires l’étaient par des administrateurs (le bref intermède de l’amiral d’Argenlieu, en Nouvelle-Calédonie mis à part).
22Au cours de cette année 1984 le 17 mai, jour du 40e anniversaire de sa mort, fut évoquée au Panthéon la mémoire du gouverneur général Félix Eboué. Son rôle dans la France libre est considérable. En ralliant le premier un vaste territoire ayant une frontière avec l’Italie, Félix Eboué donne une réalité géographique tangible au combat de la France libre et il est inutile d’insister sur l’exploitation que Leclerc saura donner par Mourzouk, Koufra et Tripoli à cette possibilité.
23Promu gouverneur général de l’A.E.F. le 12 novembre 1940, Eboué va jouer un rôle important dans la formulation d’une nouvelle politique africaine. En vingt ans de carrière d’administrateur en Oubangui-Chari (1908-1931) il avait notamment introduit la culture du coton et connaissait bien les problèmes de politique indigène.
24La fameuse circulaire Eboué du 12 novembre 1940 sur la nouvelle politique indigène en A.E.F., nourrie d’une expérience d’administrateur de brousse, préconise une nouvelle politique d’association entre la France et l’Afrique noire fondée sur le respect des coutumes et des religions africaines, ainsi que l’utilisation des chefs et des institutions locales pour administrer le pays.
25Ces propositions sont assez différentes de la politique d’assimilation qui sera prônée lors de la Conférence de Brazzaville (janvier-février 1944).
26Grâce à Félix Eboué sont organisées les communes purement africaines de Brazzaville (Poto Poto et Bacongo) dont le Conseil municipal, nommé pour deux ans par le chef du territoire, aura certaines responsabilités budgétaires propres en dehors d’un pouvoir uniquement consultatif sur les impôts, taxes et Travaux publics intéressant la commune. En 1943 sont mis en place des tribunaux purement africains compétents en matière civile et commerciale.
27Ces mesures paraissent aujourd’hui bien modestes, mais il faut les replacer dans leur cadre et considérer la nouveauté qu’elles représentaient alors dans un monde en guerre d’où la démocratie était totalement absente et en face d’un Congo belge dont la prospérité, malgré l’exceptionnelle qualité du gouverneur général Pierre Ryckmans, ne laissait alors place à aucun espoir de promotion politique africaine.
28La querelle Giraud-de Gaulle aboutit, après le Comité français de Libération nationale et son bicéphalisme, à la prise de pouvoir par le seul général de Gaulle. Dès lors René Pleven, commissaire aux colonies, annonce le 19 octobre 1943 la réunion prochaine à Brazzaville d’une Conférence « pour assurer le progrès des populations françaises du continent africain ».
29Le 8 décembre, de Gaulle fait un discours sur la libération de l’Indochine.
30D’autres devant traiter la Conférence de Brazzaville il y a lieu de rappeler que cette Conférence fut largement une Conférence de gouverneurs tous ralliés au général de Gaulle ou installés par lui à la place de gouverneurs réputés « vichystes ».
LES ADMINISTRATEURS ENTRE PÉTAIN ET DE GAULLE
31L’importance de l’administrateur à tous les échelons de l’activité territoriale devait amener ceux-ci à s’engager plus ou moins dans les diverses manifestations pétainistes.
32Un bureau M.A. (Menées antinationales) fonctionnait dans chaque territoire. Tenu par un officier, ce bureau était en général peu apprécié des administrateurs de brousse, qui admettaient mal de voir des agents de renseignements (souvent peu recommandables) circuler dans leurs circonscriptions sans qu’ils en fussent prévenus.
33Les administrateurs, anciens combattants, surtout ceux de 1914-18 furent souvent requis pour l’animation des groupements africains ce qui était d’autant plus normal en brousse où la scolarisation était très faible, que les seuls africains parlant un peu français étaient des anciens militaires.
34Mais il faut dire que les tâches des chefs de circonscription s’étaient singulièrement aggravées (fabrication de charbon de bois pour les gazogènes, problèmes économiques entraînés par la fermeture des frontières avec les colonies anglaises et surtout absence de débouchés en raison du blocus britannique, répartition de bons de tissus, de sucre, etc. Il n’est pas inutile de rappeler que la brousse africaine d’alors, non seulement n’avait pas d’électricité, mais encore lorsqu’il y avait réfrigérateur le pétrole manquait pour le faire marcher. On s’éclairait au beurre de karité... ou au carbure.
35Le loyalisme des Africains d’A.O.F. fut total. Durant la campagne de 1940, 63 000 soldats africains sont engagés et au moment de l’armistice 24 000 sont morts ou portés disparus. Ce chiffre est considérable. Il entraîne une politique des anciens combattants et une mobilisation tricolore en de nombreuses circonstances (fête de Jeanne d’Arc, 14 juillet,...).
36Les commissions d’épuration eurent à connaître de plusieurs dizaines de cas. Le gouverneur Deschamps constitua l’un de ces cas. Il s’en est expliqué dans Roi de la brousse. Mémoires d’autres mondes. En réalité à Dakar en 1941, la Côte-d’Ivoire passait pour une colonie crypto-gaulliste.
37Il faut rappeler qu’en Afrique le fait d’être « pétainiste » n’entraînait nullement le fait d’être pro-allemand.
38J’ai été invité en 1941 à Dakar à faire une conférence devant un groupe « la France de Pétain » qui rassemblait plusieurs dizaines de personnes sous la présidence d’un certain Marionnet (que je n’ai d’ailleurs jamais vu). Cette conférence portait sur mon expérience personnelle des Chantiers de jeunesse ; j’avais été en effet de fin octobre 40 au 31 janvier 41 au camp Guynemer dans la forêt du Rouet près du Muy dans le Var. Pour ceux qui avaient fait du scoutisme ce fut une expérience exaltante. A la dernière classe appelée en juin 1940 et qui, après quelques jours d’instructions, avait vu une armée en déroute, il fallait donner une discipline et l’espoir de la revanche. C’est ce que j’ai dit aux auditeurs de ce groupe Pétain qui ont applaudi de façon particulièrement chaleureuse la partie de mon discours traitant de la reprise future du combat contre l’Allemagne.
39Dans l’ensemble, les Français d’A.O.F. et d’Afrique du Nord croyaient au double jeu du maréchal Pétain.
40Lorsque les élèves de l’E.N.F.O.M. en stage en A.O.F. en 1941 furent convoqués à Paris au terme de leur stage entre 2e et 3e année d’école, le gouverneur général Boisson nous convoqua la veille du départ et nous dit à peu près ceci :
41« cette décision de vous rappeler à Paris ne dépend pas de moi et j’en suis désolé car elle nous prive d’éléments jeunes et dynamiques dont nous avions besoin. Du moins pourrez-vous témoigner là-bas qu’il n’y a pas de boches en A.O.F. ».
42Nous étions 23 à entendre ce discours.
43Il n’empêche que cette période connut des tragédies personnelles tenant aux lois de Vichy. Ainsi mon patron, à la circonscription de Dakar et dépendances, Henri Martinet, ancien secrétaire général du Togo, se suicida lorsque l’on annonça que la liste des Francs-Maçons de Dakar arrivait par un prochain bateau. La nouvelle était d’ailleurs fausse. Ce fut pour tous ses collaborateurs une infinie tristesse. Grand mutilé de la Première Guerre mondiale, Henri Martinet était un homme merveilleux et ce drame fut ressenti par tous, y compris par Pierre Boisson, haut commissaire de France en Afrique occidentale.
44Et il faut rappeler aussi le drame du réseau de résistance gaulliste d’A.O.F. La condamnation à mort d’un Français de Guinée, Adolphe Gaëtan chef d’un mouvement de Résistance. Arrêté avec les 18 personnes qui faisaient partie de ce réseau, inculpé d’atteinte à la sûreté extérieure de l’Etat, condamné à mort par jugement en date du 26 mai 1942. Le recours en grâce avait été rejeté par le ministre de la Guerre de Vichy (télégramme du 7 novembre 1942) et il était précisé que « l’exécution devait être assurée ». Il fut exécuté au champ de tir de Fann le 19 novembre 1942. Gaëtan a été fait compagnon de la Libération à titre posthume.
PRESSION DES ADMINISTRATEURS POUR UNE ÉVOLUTION POLITIQUE
45Le débarquement de novembre 1942 transforma notre vie. Suivant leurs classes, les administrateurs avaient été mobilisés ou maintenus sur place. Il n’y aurait en effet plus de relève jusqu’à la libération de la France. La correspondance qui était parfaitement possible avec la zone sud dite libre ou nono (non occupée) et avec cartes interzones pour la zone occupée n’était plus possible. Il fallait passer par la Croix Rouge de Genève ou, si l’on connaissait quelqu’un, par l’Espagne.
46L’arrivée du général de Gaulle au pouvoir et l’installation au lycée Fromentin du commissariat aux colonies transforma la situation. Jean Cédile directeur du Cabinet de René Pléven fit un tour d’Afrique pour préparer la Conférence de Brazzaville ; l’avis qu’il reçut des camarades administrateurs est qu’il fallait faire quelque chose, face aux prétentions américaines et, après ces années d’immobilisme, pour une promotion politique et sociale des africains. Il fallait agir vite.
47La Conférence de Brazzaville qui fut largement une Conférence de gouverneurs, portait donc les espoirs de ceux qui avaient la responsabilité territoriale et prenaient le pouls des élites africaines.
48La rentrée de l’Afrique française dans la guerre entraînait d’autres conséquences graves : l’appel sous les drapeaux et l’effort de guerre.
49L’appel sous les drapeaux en 1943 fut relativement peu important. Il y avait en A.O.F. un bataillon de Légion étrangère ; le B.A.I.C.M. (Bataillon autonome d’infanterie coloniale du Maroc), des escadrons de cavalerie à Thiès, Bobo Dioulasso, Zinder, des batteries d’artilleries et 80 bataillons de tirailleurs sénégalais, ce qui, avec les compagnies d’instruction représentait à peu près 100 000 hommes et nous imaginions que l’on appellerait des classes de réserves et que l’on intensifierait le recrutement.
50Le recrutement – si douloureusement ressenti durant la Première Guerre mondiale – le fut de façon beaucoup plus modérée durant cette période du fait que les alliés armaient les unités françaises avec réticence. Par contre l’effort de guerre c’est-à-dire la réquisition de produits (comme le caoutchouc de liane par exemple) mal payés, sans contrepartie ou avec des contreparties insuffisantes en pagnes, cuvettes et autres marchandises, fut un véritable cauchemar pour nombre de chefs de circonscription... et pour les populations concernées.
51Pour ceux qui avaient la malchance d’avoir des planteurs dans leurs circoncriptions ils devaient fournir de la main-d’œuvre c’est-à-dire être dans une certaine mesure les auxiliaires au recrutement de ces planteurs ou coupeurs de bois.
52Certaines circonscriptions du pays mossi devaient alimenter en main-d’œuvre les cercles de Côte-d’Ivoire qui en manquaient.
53Je me souviens d’un camarade au banquet de l’Oasis à Alger (il avait peut être bu un coup de rosé de trop) qui déclarait : « nous en avons assez d’être les boys des planteurs et des maisons de commerce ». C’était le sentiment de tous ceux qui avaient eu affaire à ces problèmes.
54Mais en 43-44, l’Afrique, tout entière derrière le général de Gaulle, devait fournir des matières premières et il n’y avait pas encore de contrepartie appréciable sinon quelques pièces de tissu. Cet effort fut ressenti surtout au Cameroun, au Congo, en Côte-d’Ivoire, en Guinée, en Haute-Volta et à Madagascar.
55Les élites africaines bougeaient, sous l’uniforme ou à leur poste de médecin ou d’enseignant. On réfléchissait d’autant plus vite que les nouvelles de France arrivaient.
56Dans cette perspective de 1945 les élèves de l’E.N.F.O.M., ayant Senghor pour professeur et des personnalités comme Jean Dresch, réagissaient différemment de leurs anciens qui étaient sur le terrain.
57L’histoire des premières assemblées a été maintes fois évoquée. Ces élections mettaient en avant les élites africaines : instituteurs, médecins africains, vétérinaires.
LE TOURNANT DE 1946
58J’arrêterai mon propos au tournant de 1946-47 lorsque les conseillers généraux et les assemblées représentatives au Togo et au Cameroun se mirent à délibérer sur les problèmes du pays. Ce fut pour les administrateurs de brousse un rude changement.
59Dieu merci, une nouvelle politique était engagée et, grâce au F.I.D.E.S., des moyens nouveaux permettaient des réalisations impensables quelques années plus tôt.
60Les assemblées territoriales entraînèrent l’organisation d’élections et on sait dans certains pays – en Côte-d’Ivoire notamment – ce que furent ces élections.
61En 1940 nous étions les officiers d’une armée en déroute ; immédiatement après nous avons été les jeunes éléments d’une administration fatiguée qui voulait se rénover.
62Durant la guerre un effort de réflexion a été tenté en A.E.F. avec Eboué, à Dakar du temps de Boisson avec la revue Jalons par exemple et certaines circulaires d’un gouverneur général qui avait le sens du service et avait le plus grand respect pour ceux qui servaient en brousse ; ces efforts de contacts, de rapprochements furent dans une certaine mesure contrecarrés par l’effort de guerre et les contraintes subies.
63En Indochine, la position des administrateurs fut radicalement différente. De résident responsable, l’administrateur des services civils de l’Indochine se transforma en conseiller ; dans les provinces il occupait les anciens locaux des résidents cambodgiens, laotiens ou vietnamiens alors que les administrateurs autochtones occupaient les résidences.
64Il s’agissait là pour les administrés d’un signe tangible du changement.
65Par ailleurs, avec les assemblées souvent contestataires, le tournant était pris.
ANNEXE
66Liste des élèves de l’E.N.F.O.M. et administrateurs morts pour la France au cours de la 2e Guerre mondiale et lors des opérations menées après l’armistice japonais, en Indochine.
Auteur
Secrétaire perpétuel de l’Académie des Sciences d’Outre-Mer
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