Avant-propos à la troisième partie
p. 145-146
Texte intégral
1Nous avons donc identifié une seconde menace que représentent les avancées neuroscientifiques pour le concept de libre arbitre : la thèse de l’épiphénoménalisme de la conscience. Nous avons tenté d’examiner quels différents aspects cet épiphénoménalisme pouvait revêtir, dans sa version philosophique, qui implique une inefficacité causale de tous les événements mentaux, ainsi que dans sa version « modulaire », telle qu’elle est défendue par Daniel Wegner. Nous avons vu néanmoins que les expériences de Libet elles-mêmes, non plus que les différents exemples fournis par Wegner, ne permettaient d’affirmer que la volonté consciente n’a à jouer qu’un rôle d’épiphénomène dans la production de nos actions. Même si cela peut être le cas dans certaines situations, cela n’implique pas qu’elle soit, de manière générale, inefficace. Mais nous avons également recensé des expériences en psychologie expérimentale qui vont dans le sens d’une limitation de la conscience, en ce que nous ne serions pas conscients de certains mécanismes qui nous influencent dans nos prises de décision. Or, cet aspect est crucial, car il semble remettre en cause notre capacité à agir en fonction de raisons et de principes que nous reconnaissons comme nôtres, et sur lesquels nous pensons fonder nos comportements.
2Il convient dès lors d’examiner dans quelle mesure notre conscience se trouve limitée, et en quoi cette limitation peut avoir une influence sur notre conception de nous-mêmes en tant qu’agents, ainsi que sur la question de l’existence du libre arbitre. Nous examinerons ces limitations en prenant appui sur les découvertes récentes relatives à ce que les neuroscientifiques nomment « l’inconscient cognitif ». Nous montrerons en quoi cet inconscient se distingue de l’inconscient freudien, bien qu’il s’en rapproche également sous certains aspects. Les limites de la conscience seront donc étudiées négativement, par la mise en évidence de l’étendue des processus inconscients qui échappent à notre « soi conscient ». Cette étude des limites de la conscience nous amènera enfin à effectuer une théorisation de l’action volontaire qui puisse inclure ces données. En effet, celles-ci remettent en question notre façon de concevoir certains concepts liés à la philosophie de l’action, tels que ceux d’intention, de contrôle, et donc, par extension, celui de libre arbitre. Nous serons également amenés à redéfinir le concept de « soi », qui est central pour une théorisation de l’action volontaire.
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Lucien Lévy-Bruhl
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