Avant-propos à la deuxième partie
p. 85-86
Texte intégral
1Après avoir montré que le déterminisme causal en tant que tel ne remet pas nécessairement en question le concept de libre arbitre, il convient de s’interroger sur une seconde objection majeure à l’existence du libre arbitre, liée aux avancées neuroscientifiques : à savoir la place que la conscience occupe au sein des phénomènes naturels. Or, il s’agit d’une question fondamentale à laquelle il est aujourd’hui encore difficile de répondre, bien que les neurosciences s’attachent à identifier les « corrélats neuronaux de la conscience » (ou NCC). L’obstacle majeur à la résolution de ce problème fondamental provient des difficultés dues à l’évacuation fréquente, au sein de la démarche neuroscientifique, de toute référence au vécu subjectif. Or, l’étude de la conscience semble être profondément liée à la prise en considération de ce vécu. En effet, il est selon nous essentiel, afin d’identifier les bases neuronales de la conscience, de pouvoir mettre en parallèle les données en première et en troisième personne.
2Cette volonté d’évacuer toute référence aux données subjectives est issue du behaviorisme, introduit par John Broadus Watson dans les années 1910 et renforcé par Burrhus Frederic Skinner dans les années 1940. Ce courant issu de la psychologie a en effet tenté d’évacuer toute référence au mental dans l’étude des comportements humains. Les événements mentaux constituent ainsi une boîte noire qui se prête très peu, selon les défenseurs de ce courant, à la démarche objectivante de la science expérimentale. Toutefois, le behaviorisme a ensuite fait place à des théorisations du fonctionnement cognitif et à leur intégration dans l’étude des comportements, avec le développement des sciences cognitives. Celles-ci ont contribué à élaborer des modèles computationnels du fonctionnement mental avec une forte identification du fonctionnement mental au fonctionnement des ordinateurs. Néanmoins, cette analogie cerveau-ordinateur est aujourd’hui remise en question : même si le fonctionnalisme, en tant qu’assimilation de la pensée à une forme de calcul, subsiste, il prend désormais en compte les données biologiques, et ces données informent les modélisations issues des sciences cognitives. C’est ainsi que des théorisations de la conscience en neurosciences ont vu le jour, et notamment le modèle de l’espace de travail neuronal global développé par Stanislas Dehaene et Jean-Pierre Changeux, que nous aurons l’occasion d’étudier dans le prochain chapitre.
3Le statut de la conscience prête à discussion, ainsi que la possibilité de l’étudier grâce aux neurosciences. Cette discussion a trait à la relation qui unit les phénomènes conscients à nos états cérébraux, et de nombreuses positions métaphysiques distinctes concernant le caractère de cette relation ont été défendues. Nous allons donc dans un premier temps faire un rappel de ces diverses conceptions afin de mieux situer les enjeux du débat, et avant d’étudier les expériences scientifiques qui prétendent atténuer ou remettre en cause l’efficacité causale de la conscience. Mais afin de pouvoir parler d’efficacité causale, il faut tout d’abord savoir quelles sont les entités mises en relation. Cette première conceptualisation nous permettra d’identifier les différentes positions possibles concernant la relation esprit-cerveau afin d’étudier ensuite la menace de l’épiphénoménalisme de la conscience à la lumière de ces différentes conceptions.
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