1Avec le recul du temps et compte tenu du fait que l’Algérie a obtenu son indépendance après une longue et cruelle guerre de libération, l’histoire de la décolonisation de notre pays se doit de mettre l’accent sur le problème de la préparation à l’action armée tant sur le plan idéologique que sur celui de la pratique révolutionnaire.

2Cette question mériterait une longue étude et pourrait faire l’objet d’une thèse importante. Dans ce court exposé, nous ne pouvons que nous limiter à quelques orientations susceptibles de nous faire comprendre la problématique de l’action menée dans l’histoire de l’Algérie sous domination française.

3La résistance armée algérienne a d’abord été une réalité historique durant tout le dix-neuvième siècle ; elle est devenue par la suite un souvenir exaltant et une référence pour tous ceux qui ont commencé à rêver d’une nation algérienne indépendante. Le recours à la force armée était implicitement sous-entendu dans les programmes du mouvement nationaliste qui, dès 1926, réclamait pour l’Etat algérien la souveraineté, un gouvernement et un Parlement, revendications que ne pouvait accorder la puissance coloniale sinon contrainte par la force. La formulation exprimée par une avant-garde devait l’être par les masses populaires ; à l’éveil politique de la conscience nationale devait succéder l’action armée. Il a fallu plusieurs hésitations, de nombreux tâtonnements, des échecs lourdement payés, avant qu’une crise du parti nationaliste, conséquence de toutes ces difficultés et des contradictions d’une impossible politique légale, ne débouchât sur le premier novembre 1954.

LES LEÇONS DE LA RÉSISTANCE ARMÉE

4La réalité de la résistance armée contre la conquête et l’occupation française a été retenue par la mémoire populaire ; elle a été soulignée par des essais et des écrits de la presse nationaliste qui ont fait des combats d’hier une référence et un espoir pour les luttes à venir.

5Les écrits des historiens français avaient déjà souligné l’importance et la durée de cette résistance armée. Elle fut d’abord le fait de l’armée des janissaires, aidée des contingents des trois beyliks et des tribus algériennes dont les délégués réunis dès juillet 1830, à Tamentfous, décidèrent de répondre par la guerre à la présence française. L’Etat restauré de la nation regroupée autour de l’Emir Abdelkader a dirigé cette résistance jusqu’en 1847. La résistance armée prit avec les chérifs – Boumaza, Bou Baghla, Bou Sif –, un caractère mystique et opiniâtre. Les multiples insurrections qui ont secoué le pays, celle de 1864 chez les Ouled Sidi Cheikh, de 1871 en Kabylie où se conjuguèrent la foi religieuse des Rahmaniya et la fierté de chefs aristocratiques, les révoltes des tribus du sud prolongèrent cette résistance jusqu’à la fin du siècle. Des soulèvements locaux maintinrent la flamme au vingtième siècle, à Miliana-Margueritte, dans les régions de Batna, de Mascara, de Perrégaux.

6La mémoire collective retint des noms de villes, Zaâtcha, Constantine, Icheriden..., de héros, Bou Mezrag, Abdelkader, Ahmed Bey, Cheikh El-Haddad, Mokrani... Chaque région a ses noms sacrés dont la gloire était pieusement racontée par les anciens aux jeunes générations. Une étude quantitative de la presse nationaliste révélerait certainement la place importante occupée par l’histoire de cette résistance. Des essais écrits par des Algériens ont privilégié et glorifié certains noms. Dans l’imagerie populaire, c’est surtout le nom d’Abdelkader qui émerge. La référence à son combat a suffi à l’administration française pour classer son petit-fils comme nationaliste antifrançais1.

7Les pionniers du nationalisme ont été contemporains des soulèvements du vingtième siècle. Les plus importants eurent lieu au début de la Première Guerre mondiale, dans l’Oranie et le Sud constantinois. Ces révoltes, causées le plus souvent par le refus de la conscription, l’ont été également par la surexcitation d’une opinion publique rurale encouragée par les récits des premières défaites militaires françaises devant les Allemands et par la turcophilie de l’époque qui laissait espérer une victoire germano-turque et une éventuelle libération de l’Algérie par les Turcs.

8Bien avant la guerre, des troubles avaient été occasionnés par les tentatives d’application de la conscription. En août 1914, des représentants des tribus Sidi Daho, Beni Chougrane, Medjahed, Ouled Khelifa, Bordja, dans l’Oranie se réunirent, discutèrent de la guerre, des pertes françaises, de la participation turque et décidèrent de s’opposer par les armes à la conscription. Ils envoyèrent des émissaires auprès des autres tribus et cherchèrent à unifier le mouvement de résistance. Le 5 octobre 1914, des feux allumés sur le sommet des montagnes donnèrent le signal du début de l’insurrection. Seuls les Beni Chougrane de la région de Perrégaux passèrent à l’action. Il y eut de nombreuses opérations, l’armée utilisa les grands moyens ; une colonne militaire rasa au canon des douars ceux de Ferraguig et des Djebali en particulier. Le 25 octobre, les Beni-Chougrane durent faire leur soumission ; le soulèvement avait échoué faute de cohésion et d’engagement.

9En novembre 1916, l’insurrection éclata dans l’arrondissement de Batna. Les révoltés attaquèrent Mac Mahon (Ain Touta), brûlèrent des magasins et tuèrent de nombreux Français dont l’administrateur et le sous-préfet. Dans le Bélezma, une colonne militaire qui escortait des conscrits fut attaquée au cours d’une embuscade, des soldats furent tués, les conscrits musulmans rejoignirent les attaquants. En décembre 1917, les Aurès prirent la relève du Bélezma, de nombreux postes français furent attaqués ; la révolte s’étendit à la région de Sétif et au Hodna. On fit venir des troupes de différentes régions d’Algérie de Tunisie et même de France ; on utilisa les zouaves, l’artillerie et l’aviation. Les Français ne purent maîtriser la situation qu’en mars 1917 encore que de nombreux groupes purent se disperser et se réfugier dans la montagne.

10Dans les soulèvements de la fin du dix-neuvième et du début du vingtième siècle, il convient de noter le rôle prépondérant joué par les fellah. L’attachement à une terre réduite par l’expropriation coloniale – que l’on essaye de sauvegarder et de racheter –, le refus charnel des valeurs culturelles françaises et l’intensité de la foi islamique ont été à la base du refus de l’ordre français. Les fellah algériens ont acquis au cours de leurs longues luttes contre la domination française une conscience nationale que Desparmet a appelé al ghira al ouatania. Les nationalistes révolutionnaires s’en sont souvenus au cours des années qui suivirent la Seconde Guerre mondiale.

11De cette histoire, les nationalistes ont tiré plusieurs leçons. La première, c’est que l’échec final de la Résistance a été surtout dû à l’absence d’unité et donc de coordination entre les différents mouvements et entre les principaux dirigeants. La seconde, c’est que la Résistance a tiré sa force du patriotisme populaire animé par la foi et l’attachement aux valeurs islamiques. La troisième, c’est que la stratégie de la guerre de partisans2, peut mettre en échec des forces coloniales supérieures en nombre et en armes. Aussi a-t-on tiré les conclusions suivantes : nécessité de réaliser l’unité du peuple autour de l’idée nationale par la mise en œuvre de facteurs politiques modernes de mobilisation, mais surtout en faisant appel à la force des sentiments islamiques et possibilité pour de futurs maquisards algériens de pouvoir faire face à l’armée française. Dans les années cinquante, les activistes nationalistes étaient convaincus qu’ils pouvaient comme leurs ancêtres partisans mener le combat armé ; un soulèvement général ne serait pas une aventure mais le début d’une guerre de libération.

LES PROGRAMMES RÉVOLUTIONNAIRES DU MOUVEMENT NATIONALISTE

12Le contenu d’un programme politique laisse sous-entendre les moyens susceptibles de le réaliser. Réclamer la souveraineté de la nation algérienne, l’indépendance totale et un gouvernement algérien, c’est opposer la nation française à la nation algérienne, l’Etat algérien à l’Etat français, ses institutions aux siennes. C’est poser le problème algérien en termes de conflit, avec des objectifs que ne pouvaient admettre les autorités et les partis politiques français, fussent-ils très avancés. Les nationalistes algériens ne pouvaient, – et ils le disaient entre eux, surtout depuis la fin de la Deuxième Guerre mondiale – atteindre leurs objectifs que par la lutte armée.

13L’action révolutionnaire s’est d’abord manifestée par le verbe. En nous limitant aux idées et aux programmes politiques exprimés après la Première Guerre mondiale, on peut rappeler le caractère extrémiste de certains journaux, celui des déclarations d’un Khaled et le contenu révolutionnaire des programmes politiques du mouvement nationaliste qui va de l’Etoile nord-africaine au P.P.A.-M.T.L.D. Déjà au début du vingtième siècle, quelques journaux des Jeunes Algériens, en particulier ceux rédigés en langue arabe, affirmèrent leur refus de l’assimilation et leur attachement à la personnalité algérienne3. Les communistes, lorsqu’ils étaient fidèles aux thèses de la Troisième internationale, défendaient l’indépendance et préconisaient la voie révolutionnaire4. Dans une lettre adressée au président Herriot, les premiers Algériens musulmans qui crurent au communisme avaient retenu particulièrement ce point5. L’indépendance de l’Algérie et le recours à la voie révolutionnaire, les communistes les ont défendus seulement entre 1926 et 1933, avant de rejoindre la voie réformiste, prêchant l’assimilation et tournant le dos à la nation algérienne et à l’indépendance. Après le virage opéré en 1946-1947, les communistes reconnurent la personnalité algérienne, parlèrent même d’Etat algérien, mais toujours dans le cadre français et par des moyens légaux, adoptant en gros les mêmes positions que les nationalistes modérés de l’U.D.M.A.

14La plate-forme la plus révolutionnaire, nous la retrouvons dans les programmes – même s’il y a des nuances dans les formulations qui s’imposaient aux responsables désirant faire renaître le parti après une dissolution – du mouvement nationaliste représenté par la lignée Etoile nord-africaine, P.P.A. et M.T.L.D.

15L’Etoile nord-africaine réclamait, dès 1927, le droit pour l’Algérie de disposer d’elle-même6 ; elle le réaffirma à son congrès de 19337 et le présenta en 1936 au gouvernement du Front populaire8. Le P.P.A. insista sur le refus de l’assimilation qui « ne peut se faire ni juridiquement, ni historiquement » et affirma « sa volonté de travailler pour l’indépendance totale de l’Algérie sans pour cela se séparer de la France ». Cependant, l’inspiration nationaliste extrémiste des origines restait la même. Le P.P.A. adopta la formule suivante : « Parlement algérien et suffrage universel »9, ce qui signifiait pratiquement élimination de la minorité européenne et souveraineté algérienne. Le mot « indépendance » a été par ailleurs prononcé au cours de plusieurs réunions politiques par les leaders du parti et repris dans de nombreux tracts et écrits d’El Ouma et du Parlement algérien.

16Le P.P.A. fit triompher ses thèses au congrès des « Amis du manifeste et de la liberté » (mars 1945) et les imposa aux modérés de Ferhat Abbas. Les A.M.L. optèrent alors pour l’indépendance totale et le rejet de l’Union française. Le M.T.L.D. qui se voulait parti légal et par conséquent décidé à utiliser tous les moyens légaux ne renonçait pas pour autant aux sources nationalistes de l’Etoile et du P.P.A. Son congrès, en 1947, fixait ainsi ses objectifs : « Abolition de la domination impérialiste, rétablissement de la souveraineté du peuple algérien, et constitution d’un Etat national avec toutes les attributions de la souveraineté » (exercice du pouvoir exécutif, législatif et judiciaire). Dans Réalités algériennes, organe du P.P.A./M.T.L.D., le nationalisme était ainsi défini : fidélité au mot-clé de 1927, « indépendance », réalité de la nation algérienne et caractère libérateur du nationalisme algérien.

17A examiner les actions légales du M.T.L.D. – propagande politique par des réunions et des meetings publics, par la presse et la participation aux élections, certains activistes l’ont accusé de s’être enlisé dans les voies légale et électorale et de n’avoir pas préparé les conditions de la lutte révolutionnaire. Ce reproche n’est, à notre avis, pas très fondé, le M.T.L.D. a été un aspect du mouvement nationaliste, l’action clandestine du P.P.A. a continué, du moins jusqu’en 1949-1950 et pour certains militants jusqu’en 1954. Et surtout le P.P.A.-M.T.L.D. a été à l’origine de la création de l’Organisation secrète (l’O.S.) chargée de préparer l’action armée.

18Le P.P.A.-M.T.L.D. regroupait des militants dont la grande majorité était décidée à utiliser tous les moyens pour une réelle libération nationale. Cela était clairement perçu par les autres partis qui ont souvent critiqué ses thèses extrémistes au nom du réalisme politique. De nombreux administrateurs français ont également saisi la nature révolutionnaire du P.P.A.-M.T.L.D. Dans L’Algérie du demi-siècle10, plusieurs rapports notent que la jeunesse algérienne est gagnée aux idéologies extrémistes du P.P.A.-M.T.L.D., qui ne conçoivent la perspective de l’indépendance que dans la rébellion contre l’autorité établie11. Le parti nationaliste est considéré comme un mouvement de prolétaires et de fellah pauvres, partisans des mesures de force, qui a des activités politiques mais qui ne néglige pas pour autant les opérations paramilitaires12. La crainte qu’inspire l’activisme du P.P.A.-M.T.L.D. était d’autant plus grande que ses idées révolutionnaires avaient gagné non seulement les villes mais aussi les centres ruraux et le bled et qu’elles représentaient l’avenir, car « concentrées principalement sur les jeunes de 15 à 30 ans »13. Le parti était jugé comme étant le seul à pouvoir « provoquer une explosion du fanatisme » sous-entendu une rébellion sérieuse. L’éducation donnée aux jeunes dans les médersas, aux scouts musulmans, dans les Jeunesses du parti les préparaient aux luttes futures. Il n’y a qu’à se référer à leurs chants14.

LES FACTEURS D’ACCÉLÉRATION

19Les luttes de libération dans le monde, et dans le Maghreb en particulier eurent une influence considérable sur l’opinion musulmane algérienne. Les jeunes scouts musulmans saluèrent avec fierté, comme s’il était le leur, le drapeau du Pakistan qui était levé le premier jour de l’indépendance au jamboree de Moissons en août 194715. La guerre du Viêt-Nam était soutenue par la presse nationaliste qui s’est associée à toutes les campagnes lancées en faveur de l’indépendance des Viêtnamiens. Mais ce sont surtout les luttes des pays frères voisins qui exaltèrent les jeunes nationalistes. L’indépendance de la Libye fut saluée avec enthousiasme, El-Manar souligna « la joie enivrante qui gagne les Musulmans lorsque un peuple s’affranchit de l’impérialisme (...), l’indépendance de la Libye annonce l’aube de la liberté et de l’indépendance pour tous les peuples »16. La Tunisie avec son Front national libre regroupant tous les Tunisiens partisans de l’indépendance est donné en exemple17. Après les répressions françaises en Tunisie, « les nationalistes maghrébins sont convaincus de la vanité des discussions avec les oppresseurs français pour lesquels il n’est d’autre moyen que la force, ni d’autre langage que celui des mitraillettes et des canons »18.

20Pour les nationalistes algériens, la voie était tout indiquée. Un dirigeant du P.P.A.-M.T.L.D. confia à un journaliste français : « On ne s’intéresse pas à l’Algérie parce qu’elle est trop calme. Il faudrait agir comme les Tunisiens ou les Marocains pour que l’opinion française tienne compte de notre action »19. On était convaincu que l’Afrique du Nord avait commencé son combat armé pour « lutter contre les méthodes de gouvernement moyenâgeux des Français et leur mentalité d’un autre âge »20. La voix des Arabes du Caire commença en juillet 1954 une émission consacrée au Maghreb intitulée « la lutte de l’Afrique du Nord »21. Radio Karachi dénonçait dans chacune de ses émissions les crimes colonialistes et évoquait les héros maghrébins. Djakarta consacrait une causerie hebdomadaire à la lutte des peuples maghrébins. La voix du Maroc libre de Tétouan exaltait les hauts faits de la résistance marocaine. A partir de mai 1954, Radio Budapest reprenait des thèmes puisés dans la presse anticoloniale d’Algérie.

21De nombreux militants trouvaient anormal le fait que le parti nationaliste algérien, réputé le plus combatif au Maghreb, n’ait pas encore déclenché la lutte armée, comme l’avaient fait les Tunisiens et les Marocains. On entendait souvent des réflexions de ce genre : « c’est une honte pour les Algériens. Qu’attendons-nous pour faire comme les Tunisiens ». Messali lui-même, lorsqu’il entra en conflit avec le Comité central, posa cette question.

22L’histoire du mouvement nationaliste est celle des répressions successives qui se sont abattues sur ses militants. Avec celle qui a suivi mai 194522, les nationalistes ont parlé de « génocide ». Une bonne partie des cadres révolutionnaires de la période qui a suivi a été marquée par cette répression et en a tiré la conclusion qu’il n’y avait rien à faire avec l’administration française. Le refus des autorités françaises de dialoguer avec les nationalistes et la violence des répressions multiformes de 1945 à 1954 renforcèrent ces conclusions.

23Le dialogue n’a été possible ni au Parlement français, ni à l’Assemblée algérienne, ni aux conseils généraux et municipaux d’Algérie. Les truquages électoraux l’ont faussé au départ. La fraude électorale, déjà pratiquée dans le passé, a été érigée en système par le gouverneur général Naegelen23 et ses successeurs l’ont tolérée. Elle a été dénoncée non seulement par la presse musulmane, mais par de nombreuses personnalités françaises qu’on ne pouvait pas soupçonner d’être sympathisantes aux nationalistes24. En février 1954, le vice-président de l’Assemblée de l’Union française, Begarra, dénonça les proclamations des résultats de vote qu’il trouvait effarants, condamna les moyens utilisés, « méthodes en honneur dans les pays totalitaires sans que s’émeuvent les âmes bien pensantes », et prophétisa pour bientôt le début de troubles violents : « bafouer le suffrage universel, ce n’est pas renforcer la présence française, c’est préparer des lendemains redoutables »25.

24On peut dresser une longue liste des incidents violents provoqués par la police, voire par des forces militaires, pour empêcher les délégués électoraux nationalistes de veiller au bon déroulement des élections ; citons un exemple, celui qui a eu lieu à Oran en 1953 ; au cours des élections municipales, la police prit d’assaut le bureau de vote de l’école Langevin afin de permettre à son président (un candidat administratif installé à la place d’un élu sortant) de bourrer les urnes. Des coups de feu blessèrent plus de 100 personnes, 59 furent arrêtées et traduites devant les tribunaux26. Le résultat des truquages permit à l’administration de faire élire des hommes à sa solde, – le « beni-oui-ouisme » a été pratiqué jusqu’à la veille du premier novembre –, majoritaires dans les assemblées et imposant leur loi aux quelques nationalistes élus pour sauver les apparences.

25Le meilleur exemple est celui des premières élections à l’Assemblée algérienne. L’Administration – sur directives des autorités locales et du gouverneur lui-même –, empêcha le triomphe des nationalistes, qui, aux dires de nombreux témoins, avaient remporté la presque totalité des sièges. La plupart des candidats se retrouvèrent en prison. Dans les assemblées, les propositions des rares élus nationalistes n’étaient pas prises en considération et souvent même pas entendues27. A la rigueur, ces élus pouvaient faire quelques propositions, dans les domaines économique et social, mais seuls quelques conseils municipaux les écoutèrent, et très rares furent ceux qui leur donnèrent satisfaction. Ces faibles résultats renforcèrent les convictions des nationalistes activistes qui n’avaient pas vu d’un bon œil la participation électorale de leur parti et qui estimaient que le mouvement nationaliste s’était fourvoyé dans une voie négative et avait dévié de son objectif premier, la lutte révolutionnaire pour l’indépendance.

26Réduits à l’impuissance dans les différentes assemblées où ils avaient pu avoir quelques élus – et où, malgré tout, ils avaient eu une tribune –, les nationalistes devaient surtout compter sur leur presse et leurs publications pour faire entendre la voix du Parti. Mais dans ce domaine aussi, la répression se fit sentir, les journaux nationalistes étaient régulièrement saisis. On peut citer l’exemple de L’Algérie Libre, lancée en août 1949 et contre laquelle s’acharna la police : perquisitions illégales, arrestations arbitraires de ses responsables, diffuseurs arrêtés, torturés, lecteurs menacés... De 1949 à 1953, quinze poursuites furent exercées à l’encontre de la publication 300 000 francs d’amende infligés et 53 numéros saisis et interdits sur 75 qui avaient été imprimés28.

27Le parti nationaliste connut plusieurs grandes vagues d’arrestations celles de 1937 et 1939 touchant les dirigeants nationaux et quelques responsables locaux dont beaucoup connurent les camps de concentration et celles de l’après-guerre qui peuplèrent les prisons non seulement de responsables mais de simples militants, de sympathisants et de suspects : en mai 1945, en 1949 après les élections à l’Assemblée Algérienne et en 1951 à la suite de la découverte de l’O.S... Le soutien aux détenus et la lutte contre la répression devenaient, non seulement pour le parti nationaliste, mais pour toutes les organisations algériennes, la préoccupation constante29.

28Le bilan était éloquent : de 1948 à 1953, 64 nationalistes condamnés aux travaux forcés à perpétuité, 329 aux travaux forcés à temps sans compter les condamnés à mort non exécutés après les révoltes de mai 1945, 393 condamnations en vertu de l’article 80 du Code Pénal, d’avril 1948 à janvier 1953...30.

29Les incidents violents se multiplièrent, la presse des dernières années qui précédèrent novembre 1954 en fourmille. Les réunions de nationalistes leurs manifestations, les tournées de leurs dirigeants, en particulier celles de Messali, sont le plus souvent interdites31. La police n’hésite pas à intervenir ; ainsi en octobre, à Nemours, à Philippeville, elle tire sur la foule sans sommations faisant des blessés et des morts. Des interventions armées eurent lieu dans les Aurès32. Même en France, les nationalistes sont victimes des brutalités de la police ; le 14 juillet 1953, près de 40 000 Algériens participèrent aux défilés, la police tira sur eux et « assassina délibérément 6 d’entre eux »33. Même des éléments modérés estimèrent que les moyens pacifiques ne menaient à rien : « loin de nous consterner, ces assassinats nous rassurent. C’est à chaux et à ciment qu’ils nous lient à des destinées meilleures34. A Laghouat, à l’occasion des fêtes de Camerone, des légionnaires tirèrent contre des Algériens faisant un mort et plusieurs blessés35. Des échauffourées eurent lieu un peu partout ; ainsi à Nédroma, en octobre 1954, celles au cours desquelles furent arrêtés et condamnés 58 patriotes36. Des femmes passèrent à l’action ; le 7 janvier à Nédroma sept d’entre elles lapidèrent des gendarmes, elles furent arrêtées et, rapidement, jugées, condamnées à trois ou six mois de prison. L’Algérie Libre souligna le fait : « Aujourd’hui les femmes elles-mêmes entrent en scène et participent dans la mesure de leurs moyens à l’entreprise nationale. Honte à ceux qui s’attaquent à des femmes qui n’ont pour armes que leur foi et leur courage »37.

30La répression ne réglait pas le problème algérien, le mécontentement était toujours aussi grand, et la sécurité toute relative. L’Algérie du demi-siècle fourmille de rapports alarmants prévoyant des évolutions aussi brusques qu’imprévisibles pouvant succéder au calme apparent. On peut citer quelques-uns de ces rapports ; dans la région de Saida les foyers hostiles à la France subsistent, « Reibell peut devenir le théâtre d’événements graves mettant en péril l’ordre public et la vie des éléments européens », à Aumale on craint une éventuelle flambée des esprits musulmans, à El Milia la situation deviendrait vite grave en cas de rébellion, à Guelma la population jugée peu évoluée et fanatique reste toujours susceptible de suivre l’élan le moins raisonnable...

31L’administration algérienne et le gouvernement français restaient cependant sourds aux revendications politiques algériennes. Ils n’eurent même pas la sagesse d’écouter les modérés qui réprouvaient toute forme de violence. Abbas condamnait le terrorisme qui « frappe aveuglément et sans discernement »38. « Il ne faut pas, écrivait La République Algérienne, prendre exemple sur les résistants français qui ont lutté les armes à la main, il ne faut pas compter sur les attentats qui peuvent se retourner contre leurs auteurs ». La libération viendra de l’éducation des peuples, de l’action des masses et de l’union la plus étroite avec le peuple de France39. El-Bassair, organe des Oulamas condamna elle aussi le terrorisme car « le recours à l’assassinat d’où qu’il vienne déconcerte »40. Finalement, les modérés eux-mêmes découragés confieront à leurs proches qu’il n’y avait plus rien à espérer de la France mais faute de moyens ils ne pouvaient la combattre militairement.

32Le référendum lancé en 1953 par El-Manar sur la nécessité de l’union de tous les partis politiques révéla un grand nombre de partisans de la tenue d’un congrès national et de la constitution d’un organisme national de libération nationale, l’action politique étant jugée dépassée41.

LE TRIOMPHE DE LA THÈSE DE LA RÉVOLUTION PAR LES ARMES

RÊVES D’INSURRECTION

33L’histoire du mouvement nationaliste fourmille de discussions et de projets, voire de tentatives d’insurrections. Leur recensement et leur étude qui restent à faire – révéleraient l’importance qu’accordaient les militants nationalistes à la question de la révolte armée. Rappelons quelques faits : multiples causeries de responsables du Parti aux militants sur les possibilités d’organisation de l’action armée, tentatives du Comité d’Action Révolutionnaire Nord-Africain de se procurer en 1939 des armes par l’intermédiaire des Allemands, ébauche à la suite de la défaite française en 1940 d’un plan de soulèvement par des étudiants de l’Université d’Alger (ils finirent par rejoindre le P.P.A.), projet d’évasion de Messali devant coincider avec le début de la révolte, départ enthousiaste d’étudiants du lycée de Ben Aknoun pour gagner les maquis kabyles en 1945, projet insurrectionnel conçu par des étudiants de Montpellier, remis en 1949 à un candidat à l’Assemblée algérienne et trouvé par la police au moment de l’arrestation de ce dernier, multiples plans verts discutés par les dirigeants de l’O.S... Les projets étaient encore plus nombreux à l’échelle locale, surtout après les causeries sur les soulèvements irlandais, la résistance en Europe occupée par le nazis, la guerre du Viêt-Nam... Que dire de ces multiples ébauches et tentatives, sinon qu’elles témoignaient de l’impatience de la jeunesse algérienne de passer à l’action.

LES MAQUISARDS

34A la fin de la Seconde Guerre mondiale on commença à parler de maquisards : la résistance en Europe avait donné une grande résonance à ce terme. La montagne était depuis longtemps le refuge des hors-la-loi, condamnés de droit commun, bandits d’honneur, victimes des abus de l’administration. Poursuivi par les forces de l’ordre colonial, le hors-la-loi était souvent considéré comme un patriote ; le P.P.A. les enrôla de gré ou de force dans ses rangs et en fit ses exécutants dans les opérations menées contre les agents zélés de l’Administration coloniale. La répression aveugle faite par la police et l’Armée dans certains douars amena de nombreux Algériens à rejoindre le maquis.

35L’agitation commença en Kabylie dès décembre 1946 : recherches de déserteurs au douar Beni Mendés, opérations policières et expéditions punitives menées à partir de Tizi-Ouzou et Bordj Menail au printemps 1947 à la suite de l’accueil triomphal réservé à Messali par la population, bandits d’honneur ralliés à l’autorité de Krim Belkacem et exécutions de caïds dans l’été 1948 et en 1949. Les opérations policières furent particulièrement violentes dans la région d’Haussonvilliers et au douar Sidi Ali Bounab où les maisons furent perquisitionnées et certaines détruites, dechra après dechra. Des actions militaires répressives eurent lieu dans d’autres régions : un détachement, à la recherche d’un hors-la-loi au douar Maoudhi près d’El Goléa saccagea en février 1949 un grand nombre de maisons ; à Mascara des incidents eurent lieu en avril 1949, les légionnaires saccagèrent de nombreuses boutiques. L’insécurité gagna les Aurès et une véritable atmosphère de guerre régna à partir de la fin 1949. Les tribus des Toualba et de Beni Slimane avaient de nombreux bandits d’honneur qu’on appelait dans la région khematis. On chantait les exploits d’Ali Ben Dernoun, terreur d’Arris qui avait en 1949 réussi à arrêter des gendarmes lancés à sa poursuite et à les faire marcher pieds nus pour les punir. De nombreux rescapés de l’O.S. – dont nous parlerons plus loin – se réfugièrent dans les maquis de Kabylie et de l’Aurès. Ils reçurent l’ordre de renforcer la structure politique des douars et de contrôler les bandits d’honneur. Dans les Aurès huit militants de l’organisation secrète, dont de futurs dirigeants nationaux du F.L.N., Bitat, Ben Tobbal..., furent d’abord chargés d’assumer le rôle de contrôleur du Parti dans les douars où ils étaient affectés avec pour mission de prendre en mains la situation politique, mettre fin aux rivalités des tribus en faisant prévaloir l’action unitaire et révolutionnaire nationaliste et mettre la force et la réputation des khematis au service du Parti. Après une intense propagande et à la suite d’une réunion avec les responsables nationalistes les principaux khematis, dont Ben Zelmat Messaoud, Saddek Chebchoub, Hocine Berili..., rallièrent le Parti, constituèrent une cellule et finirent tant bien que mal par accepter la discipline imposée. En 1951, les dirigeants du vaste mouvement clandestin de l’Aurès furent renforcés par l’arrivée de quatre évadés de la prison de Bône, dont le futur chef du Nord Constantinois, Zighoud Youssef. L’Administration se rendit compte qu’il y avait quelque chose de changé dans l’Aurès ; elle essaya par une habile propagande de dresser les populations contre « les étrangers » qui les trompaient. Elle recruta des hommes de main pour faire la chasse aux militants nationalistes. La milice constituée par l’Administration comprenait trois groupes répartis entre les douars Tighanimine, Oued Labiod, et Ichemoul. Certains miliciens affirmaient avoir été chargés de liquider Ben Boulaid, alors président de la djemaâ M.T.L.D., et plusieurs notables des Toualba et des Beni Slimane.

36Le M.T.L.D. a voulu faire de l’O.S., (Organisation Secrète), l’outil devant préparer la Révolution armée. C’est à son congrès de février 1947, que fut décidé le principe de la création de l’O.S. ; il a fallu près de six mois pour mettre en place les structures et constituer les cellules de base. A la tête de l’O.S., il y avait un état-major (nom significatif pour préparer la guerre) avec un chef, Belouizdad, un instructeur national et des chefs de zone42. Belouizdad malade céda la place à Ait Ahmed qui fut remplacé par Ben Bella en décembre 1950, à la suite du complot berbériste.

37A la réunion du Comité Central élargi tenue à Zeddine, à la fin de 1948, Ait Ahmed fit adopter un rapport qui dénonçait l’impasse à laquelle avait abouti la voie légaliste et présenta les mesures appropriées pour préparer la Révolution. Il préconisait un programme de prise en charge politique des masses paysannes seules capables de supporter les dures épreuves d’un conflit prolongé », une intense activité diplomatique pour se procurer les appuis et les armes nécessaires, le renforcement de l’O.S. Un calendrier des échéances de l’action armée et la désignation d’une commission du Comité central pour suivre l’application des décisions devaient mener à la guerre de libération. Une délégation de l’O.S. proposa aux nationalistes tunisiens et marocains d’unifier les objectifs stratégiques dans les trois pays. Les Tunisiens refusèrent, tout en permettant à Ben Bella de prendre contact avec quelques activistes ; les Marocains estimèrent qu’une stratégie commune n’était pas d’actualité43.

38L’O.S. réorganisa ses structures : l’état-major composé de quatre hommes fut chargé de la stratégie et le Conseil supérieur aux Armées regroupant les chefs de zone, de l’exécution. Bien structurée, forte du soutien du M.T.L.D. et de son secrétaire général, Lahouel Hocine, l’O.S. était dès 1949 un grand espoir pour la Révolution algérienne. L’O.S. réussit à récupérer et à acheter quelques armes et du matériel. Elle fit quelques opérations : exécutions de traîtres à la cause nationale, – un assassin à gages du bachagha Ait Ali, douze miliciens de Bordj Menaîl –, attaque de la poste d’Oran pour gonfler le trésor de guerre, tentative de destruction d’un monument inauguré par Naegelen, considérant sacrilège le fait que le responsable de la répression puisse feindre d’honorer et se servir du passé d’un héros national algérien. Cependant l’action de l’O.S. n’a pas débouché sur un soulèvement généralisé. Les six mois prévus pour l’instruction militaire et l’entraînement terminés, il a fallu refaire une autre période de six mois, quelquefois une troisième. L’ordre de passer à l’action ne venant pas, les militants commencèrent à se décourager.

39En 1950, l’O.S. est découverte et plusieurs militants arrêtés. Ceux qui ont pu fuir se réfugièrent dans les maquis, partirent en France, au Caire ou furent affectés par le Parti dans d’autres régions que la leur. L’action militaire projetée par l’O.S. avait finalement abouti à un échec. A qui la faute ? Au Parti qui n’avait pas mis tous les moyens qu’il fallait, comme le lui ont reproché les activistes ? A l’état-major qui, au lieu de se contenter de préparer les cadres nécessaires, a gonflé les effectifs et n’a pas présenté un plan concret de soulèvement ? Pourquoi l’ordre d’insurrection n’a pas été donné après la (devenue les) période de six mois d’instruction ? Les questions restent posées. Le bilan de l’O.S. est positif, l’Histoire l’a montré. Avec l’O.S. qui était l’Organisation Secrète du M.T.L.D., créée et soutenue par ce Parti – on a eu souvent tendance à l’oublier –, on est passé à une phase pratique de la préparation de la Révolution. Les rescapés de l’O.S. gardèrent l’espoir de reprendre la lutte. Des armes restèrent cachées, des caches inviolables, des expériences acquises, des liaisons clandestines sûres... Dans l’exil, dans les prisons, dans les maquis ou dans leurs nouveaux postes au sein du Parti, les militants de l’O.S. restaient l’avant-garde révolutionnaire aguerrie et expérimentée du nationalisme algérien. La crise du Parti allait leur donner l’occasion de reprendre l’initiative.

LA CRISE DU PARTI NATIONALISTE À L’ORIGINE DU DÉCLENCHEMENT DE LA LUTTE ARMÉE

40Apparemment, la crise qui a secoué, à partir de 1950, le M.T.L.D. et qui a opposé son leader à la majorité de son Comité central, repose sur des questions subjectives. D’un côté, selon les centralistes, l’autoritarisme de patriarche du nationalisme, Messali, au pouvoir charismatique, plus absorbé par la jouissance de son pouvoir, la préservation de son auréole et la puissance de son verbe que par la réflexion théorique sur les voies et moyens de la future Révolution, et les problèmes d’organisation d’un Parti moderne. De l’autre les jeunes membres du Comité central qui ont transformé le M.T.L.D. en un puissant Parti de masse – en utilisant le prestige de Messali – et qui, selon Messali et les activistes du mouvement, « ont fourvoyé le Parti dans la voie légaliste, ont préféré le Réformisme à la lutte révolutionnaire et sont responsables de l’échec des actions politiques menées par le Parti ». Les incidents qui ont été à l’origine de ces critiques et qui ont opposé les deux tendances ont été nombreux, surtout à partir de 1950 : refus d’accorder la présidence à vie et le droit de veto à Messali, querelles sur le budget qui lui était alloué, conceptions différentes à propos des objectifs des tournées de Messali, de l’union à réaliser avec les partis modérés, et de la date à retenir pour le prochain congrès du Parti ; et élimination de partisans très proches de Messali du Comité de la nouvelle Direction politique installée en juillet 1953.

41La crise éclata au grand jour en décembre 1953, lorsque Messali porta à la connaissance des militants ses critiques à l’égard de la direction. Reproches réciproques, luttes pour avoir les biens et les appareils du Parti, tenue de congrès différents par chaque tendance, chacune excommuniant les dirigeants de l’autre, transformèrent la crise en scission.

42Les raisons profondes de la crise et de la scission doivent être analysées à partir de la situation politique à laquelle avait abouti le Parti en 1952-1953. Le P.P.A.-M.T.L.D. était devenu le parti le plus puissant ; drainant les masses prolétaires des villes, mobilisant les fellah dont l’intégration dans le courant nationaliste fit faire un grand progrès au mouvement révolutionnaire. Certes le P.P.A. s’était fondu dans le mouvement légal auquel il avait fourni ses cadres et les activités politiques du M.T.L.D. s’étalaient au grand jour. Mais il avait créé l’O.S., il l’a aidée et l’a soutenue. L’O.S. a été son organisation clandestine paramilitaire. La voie double choisie par le M.T.L.D., celle de la légalité avec un parti puissamment organisé, une presse, la participation aux élections et celle paramilitaire devant mener à la Révolution, a été décidée officiellement par les instances du Parti et acceptée par la majorité.

43Cette double voie a abouti à une double impasse. La répression a frappé les militants sortis de la clandestinité et devenus vulnérables, tout en rendant vaines leurs activités politiques légales et particulièrement leurs résultats électoraux. La découverte de l’O.S., les arrestations qui suivirent, la décision du Parti de dissoudre l’organisation paramilitaire stoppa les espoirs de l’avant-garde révolutionnaire. Une réflexion nouvelle s’imposait : comment s’en sortir ? Les querelles personnelles la firent s’appesantir sur les possibles responsables de ces échecs apparents.

44Messali accusa les éléments du Comité central d’être devenus des réformistes et estima qu’il fallait revenir à des positions plus révolutionnaires, ce qui lui permit d’avoir avec lui la grande masse des militants de base. Les membres du Comité central reprochèrent à Messali son révolutionnarisme verbeux, resté encore à la phase de l’agitation des premières années du mouvement et ne reposant pas sur une idéologie approfondie et une pratique moderne. Ils furent suivis par une bonne partie des cadres, les troupes leur échappèrent.

45Les deux clans nés de la scission avaient au fond le même but : la libération de l’Algérie. Mais pour Messali, la voie révolutionnaire devait être tracée par lui après l’élimination des centralistes « modérés » ; pour ces derniers la voie devait être déterminée par la majorité après que le Parti ait réuni certaines conditions : une meilleure organisation, un soutien moral et logistique des pays frères, la réalisation de l’Union nationale et de la relance plus méthodique de l’O.S.

46La crise nationaliste permit aux rescapés de l’O.S. de réaliser l’objectif révolutionnaire du mouvement nationaliste. En mars 1954, des anciens de l’O.S. créèrent, avec la participation des centralistes le Comité Révolutionnaire d’Unité et d’Action (C.R.U.A.) afin de maintenir l’unité du Parti, de lui donner une direction révolutionnaire et de dépasser la crise. N’ayant pas réussi à ressouder les deux clans, les anciens de l’O.S. décidèrent de précipiter l’action. Vingt deux anciens cadres de l’O.S. furent convoqués en juin 1954 par Boudiaf, Ben Boulaïd, et Didouche. La réunion du Clos Salembier condamna la crise du Parti et les dirigeants qui en étaient responsables, décida de juguler les effets de cette crise, de sauver le Parti et le mouvement révolutionnaire en mobilisant les militants pour la lutte armée.

47Un Comité de cinq membres, Boudiaf, Ben Boulaïd, Didouche, Ben M’hidi et Bitat, auxquels s’adjoignit Krim (Belkacem), le représentant des maquisards kabyles, fut chargé de mettre en application les décisions arrêtées.

48Le Comité des six fixa, malgré d’énormes difficultés, – insuffisance de la préparation, contexte politique intérieur peu favorable, absence de tête politique connue, armements promis par l’extérieur non arrivés – le déclenchement de la lutte armée au premier novembre 1954.

49Le mouvement nationaliste révolutionnaire commençait sa dernière phase, celle de sa guerre libératrice.