L’assemblée algérienne et l’application des réformes prévues par le statut du 20 septembre 1947
p. 367-375
Texte intégral
1A l’issue de la Seconde Guerre mondiale, des nationalismes mieux organisés et plus déterminés posent ou reposent (sous forme de soulèvements armés dans certains cas) dans la majeure partie du domaine colonial, la question de la redéfinition des rapports avec les puissances coloniales ou de la rupture pure et simple de ceux-ci.
2En Algérie, la déclaration de guerre en septembre 1939 met pour un temps une sourdine aux revendications ; la mobilisation s’effectue sans incident majeur. Le P.P.A. (parti du peuple algérien) et le P.C.A. (parti communiste algérien) avaient été dissous ; Messali Hadj, de nouveau emprisonné. Dès la fin de l’année 1942, les partis politiques reprennent une certaine activité. Le P.C.A. est de nouveau autorisé, les chefs du P.P.A. bénéficient d’une remise de peine mais sont astreints à résidence surveillée.
3La guerre et ses conséquences intérieures et extérieures ont profondément modifié la nationalisme algérien. En 1943, F. Abbas avait rendu public le « Manifeste » ; le 8 mai 1945 éclatent les sanglants incidents de Sétif suivis d’une répression massive. Un nationalisme nouveau tente de s’exprimer. Les élections de l’immédiat après-guerre montrent qu’il bénéficie d’un large soutien populaire. Il présente trois caractéristiques propres : il est en rupture avec le nationalisme d’avant-guerre. C’est également dans l’après-guerre qu’il prend, comme mouvement politique de masse, un réel essor. De cette période date enfin la diffusion plus large de l’idée d’une nation algérienne indépendante et souveraine. Les partis nationalistes envisagent les relations entre l’Algérie et la France soit dans un cadre fédéral (Union démocratique du Manifeste algérien, U.D.M.A.), soit dans le cadre de l’indépendance de l’Algérie (P.P.A.).
4Après de multiples hésitations, le gouvernement français, pressé par les nationalistes, sensible aux exigences de la colonisation et de la population européenne, cherche à donner satisfaction aux uns et aux autres. Il tente de libéraliser légèrement les relations entre l’Algérie et la France et d’assurer la satisfaction des revendications nationalistes en faisant adopter le statut du 20 septembre 1947 par le Parlement.
5Le statut, adopté après bien des difficultés et malgré les protestations et les oppositions aussi bien des représentants de la population européenne que des représentants nationalistes, constitue bien un compromis dans toute l’acception du mot. Il est destiné à donner des gages à la fois aux Algériens, à la population européenne d’Algérie et à une fraction importante de l’opinion publique française. Il donne une légère satisfaction aux demandes d’autonomie des nationalistes et sauvegarde l’essentiel des intérêts de la communauté européenne.
6Il repose sur deux principes politiques : le premier d’assimilation (l’Algérie, territoire français), le second de décentralisation (l’Algérie, unité particulière de plusieurs départements). Le principe d’assimilation exclut tout pas en avant qui pourrait conduire à l’autonomie interne et a fortiori à l’indépendance. Les concessions sont de détail et limitées ; elles prennent la forme d’une démocratisation plus poussée que dans les assemblées antérieures (délégations financières puis assemblée financière) : l’égalité entre les deux communautés est reconnue ; les votes sont acquis, sauf cas prévus, à la majorité simple.
7Les deux pièces maîtresses du statut sont la création d’une Assemblée algérienne et une série de réformes, la première devant mettre en œuvre les secondes. De 1948, date des débuts de ses travaux à 1954, l’Assemblée algérienne se montre peu soucieuse de l’application des réformes prévues par les articles 31, 50, 53, 56 et 57. Si elle aborde, sans trouver de solution, la suppression des communes mixtes, le vote des femmes d’origine musulmane, l’organisation de l’enseignement de la langue arabe, la séparation de l’Etat et du culte musulman ce n’est que poussée et contrainte par les délégués de l’opposition. En 1954, les différentes réformes n’ont reçu aucune application à l’exception de la réorganisation des Territoires du Sud.
1. L’IMMOBILISME DE L’ASSEMBLÉE ALGÉRIENNE
8Les délégués de l’U.D.M.A. s’intéressent particulièrement à la suppression des communes mixtes, à l’organisation de l’enseignement de la langue arabe, et au culte musulman. Le vote des femmes d’origine musulmane ne retient pas leur attention.
LA SUPPRESSION DES COMMUNES MIXTES
9L’article 53 a prévu la suppression des communes mixtes, l’application de cette mesure devant faire l’objet de décisions de l’Assemblée algérienne. Aussi dès le 12 avril 1949, A. Chekkal présente un projet de réforme qui est une étude du titre VIII du statut fixant ainsi le cadre de la future réforme.
10Un an plus tard, un second rapport est présenté par Lehuraux et Hacene au nom de la première commission sur un projet de loi portant suppression des communes mixtes et création de communes rurales. Lors de la même séance, Brahimi avec douze autres délégués indépendants et Papillon dépose une motion visant à obtenir « le renvoi de la discussion et demandant à la haute administration de déposer un projet de loi sur l’organisation des nouvelles communes »1. L’auteur de la motion désire voir l’administration préciser le mode d’élection des Assemblées municipales, les modalités de leur administration, la représentation des Français et des Musulmans. Contre l’avis de l’U.D.M.A., du P.C.A. et du M.T.L.D. la majorité adopte la motion Brahimi. L’Assemblée algérienne entérine ainsi une manœuvre de retardement et surtout se dessaisit au profit de l’administration pour l’élaboration d’un projet de loi. Nous retrouvons cette attitude vis-à-vis de toutes les réformes contenues dans le statut.
11L’Assemblée est saisie le 27 décembre 1950 d’un projet de loi relatif à la création de communes rurales en Algérie. Celui-ci a été élaboré dans les bureaux du ministère de l’Intérieur et du Gouvernement général et reprend une expérience tentée en 1937 et en 1947 dans certaines régions de la colonie. Le gouverneur général Léonard se montre très tôt favorable aux communes rurales estimant que c’est une bonne idée et envisage leur création surtout en Kabylie où « des institutions démocratiques fonctionnent traditionnellement »2.
L’ORGANISATION DE L’ENSEIGNEMENT DE LA LANGUE ARABE
12Cette question abordée en 1952 est aussitôt délaissée par l’Assemblée algérienne malgré les efforts de l’U.D.M.A. Ferhat Abbas dépose une proposition de décision tendant à organiser à tous les degrés l’enseignement de la langue arabe en Algérie, en application de l’article 57 du statut. Elle rend « l’enseignement de la langue arabe obligatoire pour tous dans les écoles du premier degré... à raison de sept heures par semaines... avec épreuves obligatoires d’arabe au C.E.P.E. et à la sixième... enseignement donné par les moudérrès et les instituteurs formés dans les écoles normales bilingues »3. Une série de propositions de résolution organise de manière complète l’enseignement de la langue arabe. La première délimite un programme, la seconde crée une école normale, la troisième entend laisser la liberté à l’enseignement religieux et faciliter la tâche à tous ceux qui sur le plan privé veulent donner un enseignement en langue arabe.
13Les mesures préconisées par l’U.D.M.A. cohérentes et réalistes réveillent aussitôt une vieille querelle au sein du second collège, querelle reprise par la majorité pour repousser l’organisation de l’enseignement de la langue arabe. L’U.D.M.A. aux prises avec le M.T.L.D. se montre favorable à l’arabe classique et le M.T.L.D. à l’arabe parlé.
14Les élus du premier collège reprennent à leur compte la querelle entre l’U.D.M.A. et le M.T.L.D. J. Chevallier et R. Mayer, au moment de la discussion du statut devant le Parlement avaient posé la même question pour éviter des dispositions favorables à l’enseignement de la langue arabe. En 1952, cette argumentation est reprise par la majorité de l’Assemblée algérienne qui conclut implicitement qu’il ne faut enseigner ni l’un, ni l’autre. La seconde réforme promise par le statut tombe ainsi dans l’oubli.
LE CULTE MUSULMAN
15En 1950, l’Assemblée algérienne n’a pris aucune mesure d’application de l’article 56 du statut qui vise à assurer « l’indépendance du culte musulman à l’égard de l’Etat... au même titre que celle des autres cultes, dans le cadre de la loi du 9 décembre 1905 et du décret du 27 septembre 1907 »... « Cela tient pour une bonne part à la complexité des problèmes que soulève cette application et la crainte qu’une discussion en séance publique n’offre aux éléments nationalistes l’occasion de critiques de la politique religieuse suivie jusque-là »4 remarque un observateur des questions religieuses.
16Avant le dépôt d’un mémoire de l’U.D.M.A. sur la séparation du culte musulman et de l’Etat, cette question est abordée à plusieurs reprises à l’occasion du vote du budget ou sur l’initiative de personnalités religieuses ou d’élus du second collège.
17Le véritable point de départ est constitué par la rédaction d’un mémoire que l’association des Oulémas adresse en mai 1950 à tous les délégués. Le président de l’Assemblée algérienne qui reçoit de nombreux télégrammes répond dans un communiqué de presse que « la question sera inscrite au programme de l’année 1950-1951, aussitôt que les éléments utiles auront été réunis et suffisamment étudiés pour permettre un débat en connaissance de cause »5.
18Le 30 décembre 1950, l’U.D.M.A. dépose une proposition de décision comprenant quatre titres et douze articles traitant des biens habous des édifices de culte, des associations cultuelles et de nombreuses dispositions générales6 reprenant dans ses grandes lignes le mémoire distribué aux délégués par les Oulémas.
19L’initiative de l’U.D.M.A. est suivie en novembre 1951, soit un an après, par la désignation des membres d’une commission spéciale du culte qui comprend des élus des deux collèges. Cependant, les membres du premier collège entendent ne pas s’immiscer dans une affaire qui ne concerne que les Musulmans. Bareteaud demande à l’Assemblée « ... de faire confiance à l’ensemble des collègues du deuxième collège pour étudier ce problème délicat qui les intéresse au premier chef »7. Mesbah désigné comme rapporteur dépose en mars 1952 un avant-projet que la commission accepte comme base de discussion et adopte avec quelques variantes en janvier
201953 : il est paradoxal, selon le commissaire du gouvernement, de demander à l’Etat laïc de créer une véritable église en donnant un cadre rigide au culte musulman. Cette opinion est confirmée par le Conseil d’Etat8 et par le gouverneur général selon qui le projet présente deux inconvénients : « Il crée une orthodoxie et il est difficile à la France chrétienne de réformer l’Islam. De plus, il organise des élections purement musulmanes »9.
21Mesbah donne sa démission de rapporteur et se trouve remplacé en 1954 par Lakhdari. Jusqu’en 1956, la commission du culte poursuit ses travaux sans parvenir toutefois à trouver une solution. L’opposition de l’administration, le désintérêt de la majorité de l’Assemblée empêchent la séparation du culte musulman et de l’Etat.
LE VOTE DES FEMMES D’ORIGINE MUSULMANE
22Cette disposition du statut de 1947, contrairement aux précédentes, ne fut pas abordée une seule fois durant tout le fonctionnement de l’Assemblée algérienne. Un large consensus semble exister pour repousser le droit de vote des femmes d’origine musulmane. Ni les délégués des partis nationalistes, ni les délégués féminins (Mme Charles-Vallin, Mme Lleu) ne soulèvent la question. Aucun délégué du premier collège pas plus que le gouvernement général ne prend l’initiative dans ce domaine. « Les délégués européens et musulmans ne sont guère favorables aux femmes »10 et l’administration se montre prudente car « il n’y a ni dans le pays, ni dans l’Assemblée algérienne de majorité favorable au vote des femmes » selon le gouverneur général Léonard.
23La surestimation des réactions de l’opinion, la crainte de heurter les consciences religieuses, le conservatisme des délégués et de l’administration ont repoussé toute discussion sur le droit de vote des femmes d’origine musulmane.
24L’attitude de l’Assemblée algérienne est fort différente en ce qui concerne la dernière réforme contenue dans le statut : la réorganisation des Territoires du Sud.
2. L’UNITÉ ADMINISTRATIVE DE L’ALGÉRIE
25Selon l’article 50 du statut « le régime spécial des territoires du sud est supprimé. Ces territoires sont considérés comme départements. Une loi prise après avis favorable de l’Assemblée algérienne fixera les conditions dans lesquelles ces territoires seront constitués, en tout ou partie, en départements distincts ou intégrés dans les départements existants ou à créer... ». Cette disposition retient très tôt l’attention des délégués grâce au dynamisme du commandant Lehuraux, élu des régions sahariennes. La quasi-totalité des membres de l’Assemblée se montre favorable au rattachement des régions sahariennes aux départements du nord.
26Cependant, une longue bataille s’engage entre l’Assemblée algérienne et le gouvernement qui néglige son avis. Dans un second temps, l’Assemblée doit faire face à une tentative de séparation des régions sahariennes de l’Algérie du Nord.
L’OPPOSITION ENTRE L’ASSEMBLÉE ALGÉRIENNE ET LE GOUVERNEMENT
27L’Assemblée algérienne est saisie, sur sa demande, le 15 novembre 1949, d’un projet de loi portant réorganisation des régions sahariennes. Aussitôt, les délégués manifestent leur opposition à la création du département de Bône et au découpage des régions sahariennes.
28Le projet de loi proposé par l’administration est adopté par 63 voix contre 4 et 4 abstentions (le M.T.L.D. vote contre, l’U.D.M.A. s’abstient) sous réserve des modifications suivantes :
- Les Oasis d’Abadla et de Taghit sont maintenus dans le futur arrondissement de l’Ouest saharien, tandis que les communes mixtes de Méchéria, Ain Sefra, Géryville et la portion nord de Colomb-Béchar seront rattachées au département d’Oran.
- Metlili sera maintenue dans le futur arrondissement, conformément au désir des Chaamba et au vœu du Conseil général d’Alger. Les communes mixtes de Djelfa, Laghouat et la partie nord de l’annexe de Ghardaïa seront rattachées au département d’Alger.
- Biskra sera maintenu dans l’arrondissement de Batna, la nouvelle sous-préfecture devant être installée conformément au vœu du Conseil général de Constantine à Touggourt, où les bâtiments nécessaires existent déjà. Les communes mixtes de Biskra, Ouled Djellal, Touggourt et la moitié nord de l’annexe d’El Oued seront rattachées au département de Constantine.
29Les deux autres sous-préfectures à créer seront rattachées respectivement aux départements d’Alger et d’Oran et fixées conformément au projet gouvernemental à Laghouat et Aïn Sefra.
30En définitive, les différentes circonscriptions forment dans chaque département des arrondissements. Le reste des territoires sahariens constituera deux arrondissements, celui de l’Ouest saharien (chef-lieu : Béni-Abbès) et de l’Est saharien (chef-lieu : Ouargla). Ils sont divisés en communes sahariennes ayant à leur tête un administrateur ou un officier des affaires sahariennes. A la tête de chacun des deux arrondissements sera placé un officier supérieur. Le gouverneur général continuera d’y exercer les attributions administratives et militaires qui lui étaient dévolues dans les territoires du sud.
31Après les protestations de l’U.D.M.A. et du M.T.L.D. contre le maintien d’une zone non rattachée aux départements du nord, l’Assemblée adopte un vœu demandant que soit accélérée, dans les territoires maintenus sahariens, la mise en place d’une administration civile. L’Assemblée adopte ainsi un texte fidèle à la philosophie du projet de loi gouvernemental. Cependant, le 5 septembre 1951, les commissions de l’Assemblée nationale adoptent un rapport Rabier qui néglige l’avis de l’Assemblée algérienne en reprenant le projet initial épuré des modifications apportées par l’Assemblée d’Alger. Celle-ci se trouve en opposition avec l’Assemblée nationale et déclenche une large campagne de protestations. Lehuraux, président de la première commission adresse le télégramme suivant au ministre de l’Intérieur, au président de l’Assemblée nationale, au président du Conseil de la République : « Commission administrative et législation Assemblée algérienne proteste énergiquement contre proposition Fonlupt-Esperaber reconnaissant compétence de l’Assemblée de l’Union française concernant problèmes algériens et particulièrement création arrondissements sahariens »11.
32En effet, l’Assemblée de l’Union française a été saisie de la réforme du régime des territoires du sud. Le télégramme transformé en motion par Lehuraux est facilement adopté le même jour par l’Assemblée algérienne qui a déjà adopté une motion protestant contre le peu de cas qui était fait de son avis, et demandant la « maintien du texte de l’Assemblée algérienne... »12.
33Le rapport Rabier n’ayant pas été discuté par l’Assemblée nationale avant la fin de la législative, la nouvelle commission de l’intérieur doit se saisir de nouveau de la question. Entre temps, une vaste campagne tendant à ériger les territoires du sud en région autonome détachée de l’Algérie du Nord est entreprise par Bélime soutenu par divers milieux économiques et financiers et quelques parlementaires. L’Assemblée algérienne, en tant que corps ou par l’intermédiaire de délégués agissant à titre individuel, intervient pour s’opposer au projet Bélime.
L’OPPOSITION AU PROJET BÉLIME
34En 1951, apparaît le projet d’une « nationalisation » du Sahara ou plutôt de son remembrement. Il s’agit de regrouper en un seul territoire le Sahara partagé entre l’Algérie, la Tunisie, le Maroc, l’A.O.F. et l’A.E.F. et de le constituer en une unité administrative directement rattachée à la métropole. En mai 1951, Bélime, constructeur du barrage de Sansanding et directeur de l’Office du Niger, lance dans la revue « Hommes et Mondes »13 l’idée de la nationalisation du Sahara. B. Simiot, directeur de la revue, ouvre une large enquête sur les modalités de sa réalisation. Diverses publications spécialisées encouragent ou critiquent cette enquête qui atteint finalement la grande presse.
35E. Bélime étudiant l’avenir de l’Union française soulève « l’idée originale et captivante de l’annexion du Sahara, de la conversion de cette immensité en territoire national au même titre et sous les mêmes lois que le territoire métropolitain »14. Les fondements de la nationalisation seraient selon Bélime stratégiques, économiques, politiques. De plus, il apparaît pour B. Simiot que la chose est certaine : « la France doit annexer le Sahara et le convertir en territoire national, au même titre que la Corse ou la Bretagne comme les Etats-Unis ont décidé d’intégrer l’Alaska et d’en faire un Etat comme les quarante-huit autres »15.
36Le projet est soutenu par des personnalités de groupes très divers. Le général Catroux trouve « l’idée juste et séduisante »16. « L’unité du Sahara découle de la géographie et de l’histoire »17 et à ce titre cette région doit bénéficier d’une organisation particulière selon Ch. Beau. Pour F.C. Tonnerre, ancien député d’Alger, il s’agit de « soustraire notre Alaska saharien aux difficultés et aux aléas de nos futurs Porto-Rico »18. L’Académie des sciences coloniales adresse un vœu dans ce sens au gouvernement. Enfin, le général Preaud considère que toute amputation de ces territoires au profit des départements du nord aggrave la fragmentation politique et militaire du Sahara19 car il est entendu, comme conclut B. Simiot, que « ce serait une très grave erreur de rattacher le Sahara à Alger et non à Paris »20.
37L’Assemblée algérienne s’oppose précisément au projet Bélime sur ce point. En France et à l’étranger, l’idée d’une nationalisation du Sahara rencontre peu d’échos. Une opposition extra-française qui concerne surtout l’utilisation des ressources se manifeste. Le Daily Mail affirme que « l’exploitation du Sahara ne doit pas être réservée à la France et à l’Union française, mais à l’Europe et à des organismes tels que l’O.E.C.E., meilleur moyen d’assurer la vieille indépendance de cette partie de l’Afrique »21.
38L’opposition au projet Bélime se manifeste surtout en Algérie menacée d’amputation et s’exprime dans le cadre de l’Assemblée algérienne. Le projet soulève une profonde émotion dans tous les milieux, dans les deux collèges.
39« Nous serons des Français de seconde zone »22 déclare A. Farès à la tribune de l’Assemblée algérienne. « Il faudra établir un pont au-dessus de l’Algérie pour aller dans le Sahara »23 déclare un délégué indépendant. La presse locale, y compris la presse nationaliste qui déclare qu’il faut « protéger notre Sahara »24, soutient l’Assemblée.
40Le 27 novembre 1951, celle-ci adopte une motion demandant que « le Parlement inscrive à l’ordre du jour avant la fin de l’année 1951 le projet de loi portant réorganisation des territoires du sud (...) pour mettre fin à l’équivoque... »25.
41Le 5 juillet 1952, l’Assemblée s’élève de nouveau contre une proposition de loi tendant à « l’intégration du Sahara algérien dans une organisation territoriale qui comprendrait l’ensemble du Sahara directement rattachée à la métropole »26. En 1953, elle confirme sa volonté de « s’opposer de toutes ses forces à tout projet qui ferait perdre à l’Algérie, les territoires sahariens qui forment son prolongement naturel et insiste pour que soit inscrite à l’ordre du jour de l’Assemblée nationale la proposition de loi portant réorganisation des territoires du sud de l’Algérie dans les mêmes termes adoptés par elle, les 8 et 9 février 1950 ».
42La tentative d’E. Bélime trouve son aboutissement avec le dépôt d’un projet de loi July, du nom de son auteur, en 1952, lequel est repoussé par l’Assemblée nationale. L’opposition de l’Assemblée algérienne, si elle ne fut pas déterminante, est responsable en partie de l’échec de l’idée de nationalisation du Sahara. Sur cette question, celle-ci fait preuve d’un dynamisme exceptionnel. La réorganisation des territoires du sud la préoccupe pendant les six premières années de fonctionnement.
43A cet égard, il faut signaler l’unanimité qui règne à l’Assemblée pour protester contre l’amputation territoriale de l’Algérie. Les deux collèges manifestent la même volonté de rattachement des territoires du sud à l’Algérie du Nord bien que les raisons soient différentes pour les uns et les autres. Grâce à cette attitude, l’Assemblée algérienne a empêché la rupture de l’unité de l’Algérie, résultat appréciable à mettre à son actif.
44De 1948 à 1954, l’histoire politique de l’Algérie se confond avec celle de l’application ou de la non-application du statut du 20 septembre 1947 dans ses deux dispositions principales : le fonctionnement de l’Assemblée algérienne et l’application des réformes. De ce double point de vue, les revendications nationalistes sont fort loin d’être satisfaites.
45De 1948 à 1954, le M.T.L.D., l’U.D.M.A. et l’unique représentant du P.C.A. participent aux travaux de l’Assemblée d’Alger. L’attitude de M.T.L.D. qui avait contesté dès 1947 le Statut27, consiste en une critique de la colonisation qu’il poursuit de séance en séance. Au renouvellement de 1951, il ne présente pas de candidat, s’éloignant ainsi un peu plus de l’action légale au profit de l’action clandestine entamée dès 1948. Les représentants de l’U.D.M.A. et du P.C.A. soulèvent les problèmes économiques et sociaux pour obtenir des modifications.
46Les délégués de l’U.D.M.A. cherchent par ailleurs à plusieurs reprises à faire appliquer par l’Assemblée des réformes prévues. Ils se heurtent tantôt au gouverneur général, tantôt à l’inertie de la majorité.
47La majorité refuse de prendre en considération leurs propositions. Elle se désiste dans plusieurs cas au profit des fonctionnaires du gouvernement général. Lors de ses travaux, elle ne manifeste aucun zèle, quand elle ne se désintéresse pas totalement, comme dans la question du culte musulman. Se réfugiant derrière les règles juridiques ou les interprétant dans un sens qui leur est favorable, les délégués du premier collège et les indépendants du second qui dominent l’Assemblée, écartent toute initiative. Ahmed Francis critique cet immobilisme, ajoutant que « les réformes constituent des revendications majeures des Musulmans ». Il estime que « l’Assemblée algérienne a grand tort d’ignorer systématiquement le Statut dans ce qu’il a de progressiste. Elle fait perdre à l’Algérie un temps précieux, accumulant les désillusions et la rancœur, sans pour cela, découvrir de solution aux problèmes importants, d’autant que nous savons les uns et les autres que de telles méthodes n’auront pas le dernier mot »28.
Notes de bas de page
1 J.O.A. Débats de l’Assemblée algérienne, séance du 2 février 1950.
2 Déclaration de R. Léonard.
3 J.O.A. Débats de l’Assemblée algérienne, séance du 31 mars 1952.
4 Revue juridique et politique de l’Union française, n° 3, juillet-septembre 1951, p. 4.
5 Echo d’Alger, 12 juin 1950.
6 J.O.A. Débats de l’Assemblée algérienne. Annexes au compte rendu de la 6e séance du 30 décembre 1951.
7 Ibid. séance du 20 décembre 1951.
8 Avis du Conseil d’Etat émis le 20 octobre 1952.
9 Déclaration de R. Léonard.
10 Déclaration de Me Sicard.
11 J.O.A. Débats de l’Assemblée algérienne, séance du 12 février 1951.
12 Ibid., séance du 29 novembre 1951.
13 Numéros à partir de mai 1951.
14 Hommes et Mondes, n° de mai 1951.
15 Ibid., n° de juin 1951.
16 Ibid., n° d’août 1951.
17 Ibid., n° d’octobre 1951.
18 Ibid.
19 Hommes et Mondes, n° de septembre 1951.
20 Ibid.
21 Daily-Mail du 22 août 1951.
22 J.O.A. Débats de l’Assemblée algérienne, séance du 27 novembre 1951.
23 J.O.A. Débats de l’Assemblée algérienne, séance du 27 novembre 1951.
24 La République algérienne, 12 décembre 1951.
25 J.O.A. Débats de l’Assemblée algérienne, séance du 5 juillet 1952.
26 Ibid., séance du 3 juillet 1953.
27 Le M.T.L.D. récuse la souveraineté française et par conséquence les pouvoirs de l’Assemblée nationale. C’est pourquoi ses deux représentants (Lamine Debaghine et Mezerna) refusent de discuter ce statut (Assemblée nationale, séance du 21 août 1947).
28 J.O.A. Débats de l’Assemblée algérienne, séance du 27 novembre 1951.
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