Les stucs de l’antiquité tardive de Vouneuil-sous-Biard (Vienne)
|Introduction
Texte intégral
1La publication scientifique des stucs découverts à Vouneuil-sous-Biard (Vienne) arrive à terme aujourd’hui pour réparer un oubli : celui d’un site du département de la Vienne pratiquement inédit et plus encore celui d’un ensemble exceptionnel de stucs découverts lors de la fouille de 1984-1986. Nous n’avons pas souhaité séparer ces deux aspects même si, avec le temps, l’établissement de leur relation n’est pas toujours aisé. Il s’agissait pour nous de donner leur dimension à ces découvertes exceptionnelles, tant d’un point de vue régional que dans une perspective élargie. Celui qui se rend aujourd’hui sur les lieux ne peut en effet avoir idée de l’importance de la découverte et de la complexité du site, en dépit des efforts de la municipalité de Vouneuil-sous-Biard pour présenter certains éléments dans le hall de la mairie et de la création d’une petite crypte archéologique protégeant les structures mises au jour il y a vingt ans.
- 1 Plus d’une centaine : cf. Wyss, 1996, p. 52-55 et Sapin, 2004, p. 138- 142.
- 2 Environ 220 fragments ; cf. Barraud, 1983, p. 69 ; Rapport de fouilles..., SRA Aquitaine, Bordeaux. (...)
- 3 180 fragments, cf. Sapin, 1995, p. 67-100.
2Vingt annnées ont été nécessaires pour qu’émergent dans la connaissance, non seulement quelques fragments déjà connus énonçant la qualité peu courante de ces stucs, mais pour que l’on puisse mesurer l’importance en nombre d’un tel ensemble. En effet, avec près de 2 500 fragments, il se situe par la quantité bien au-dessus des lots découverts en France au cours de ces cinquante dernières années, que ce soit à Saint-Denis1, Bordeaux2 ou Saint-Jean-de-Maurienne3.
- 4 Notice dans le Bulletin de liaison et d’information de l’Association des archéologues des Antiquité (...)
- 5 Plusieurs pièces ont eu l’honneur d’être présentées au Grand Palais, à Paris, à l’occasion de l’exp (...)
3Lors de l’apparition de ces stucs dans le mobilier de la fouille de Vouneuil, Marie-Reine Sire et Michel Aucher en ont rendu rapidement compte auprès des autorités de l’époque et des chercheurs4. Marie-Thérèse Camus (professeur à l’université de Poitiers) a publié plusieurs d’entre eux, en soulignant, dès 1989, leur intérêt5 et en les plaçant dans un cadre plus large (Camus, 1990, p. 151- 152 ; 1992, p. 69-83 ; 1996, p. 56-60). Depuis, une exposition publique avec la publication d’un catalogue au musée de Poitiers en 2004 a prolongé les premières approches avec de nouvelles hypothèses et des matériaux comparatifs, en parallèle au travail de recherche ici présenté (Sapin, 2004).
4En portant de nouveaux efforts à la fois sur les stucs et sur la connaissance du site, avec la collaboration de l’un des inventeurs, nous avons souhaité redonner une dimension archéologique à cette découverte. En reprenant les données historiques, spatiales, stratigraphiques, nous avons pu préciser ou écarter certaines hypothèses émises dans les premiers temps de la découverte. Il apparaît ainsi peu probable que les stucs proviennent directement des murs de l’abside où ils ont été trouvés ; les auteurs précédents avaient été en cela souvent prudents. Il semble, à la lumière notamment des nouvelles approches par la prospection géophysique, que la partie de Vouneuil étudiée ici constitue un élément d’une occupation, probablement d’habitat, beaucoup plus ample. Nous devrons ainsi observer la même prudence en souhaitant que ce vaste site soit un jour mieux connu.
LE STUC, NOUVELLES RECHERCHES
- 6 Parmi les exemples les plus anciens de stucs, on compte des bas-reliefs trouvés au palais de Cnosso (...)
5En préambule à l’exposé des nouvelles recherches sur le stuc médiéval, un rappel historique et technique s’avère nécessaire. Le stuc est une production artistique connue dès l’Antiquité et elle semble avoir été abondante en Gaule6, sous la domination de l’Empire romain. En France, l’étude des stucs antiques de la Gaule a été conduite principalement par Michel Frizot, du point de vue de la fabrication, de la composition et du registre décoratif des vestiges mis au jour au cours des fouilles archéologiques contemporaines.
6Les écrits de Vitruve (Les dix livres d’architecture, éd. 1995, livre VII, chapitres 2-3) sur l’art de bâtir nous apprennent que le stuc antique est fabriqué à partir de chaux et non de plâtre, et l’étude des échantillons archéologiques confirme cette information (Frizot, 1977). La fabrication des stucs utilise donc les mêmes matières premières que les mortiers de maçonnerie et les enduits de surface : de la chaux éteinte associée à une charge. Selon les indications de l’architecte romain, la charge est composée de marbre réduit en poudre fine, mais un calcaire plus ordinaire peut convenir également.
- 7 Par exemple, les thermes de Poitiers (ier-iie s.), cf. Sapin, 2004, p. 34.
- 8 Des exemplaires de terres cuites ont été retrouvés à Saintes aux ier et iie s., cf. Sapin, 2004, p. (...)
7Du point de vue de sa mise en œuvre, le stuc antique est caractérisé par le façonnement de corniches et de petits motifs à l’aide de profils et de gabarits. Les vestiges archéologiques de corniches montrent que la partie principale du relief est souvent composée de mortier traditionnel (chaux et sable de provenance locale) et que seule la couche de surface est composée d’un mélange blanc de chaux et de poudre calcaire. Le relief est généralement fixé à la paroi à l’aide de chevilles en bois ou de clous, mais dans l’ouest de la France, ces matériaux sont remplacés par un système plus original d’esquilles d’os débitées à cet usage7. Les motifs ornementaux sont ensuite estampés à la surface du relief, à l’aide peut-être de reliefs en terre cuite, comme on en trouve parfois en fouille8. Dans la tradition antique, le motif de stuc est généralement couvert d’un badigeon blanc, quelquefois peint. Mais il est le plus souvent réservé en blanc sur un fond d’enduit peint de couleur, qui le met en valeur et accentue le relief. Afin de mettre en lumière l’héritage antique des stucs de Vouneuil-sous-Biard, Claudine Allag et Nicole Blanc proposent une série d’exemples comparatifs, d’Italie et de Gaule, qui illustrent les modèles et les techniques employés entre le ier et le vie s. apr. J.-C. (Allag, Blanc, in Sapin, 2007).
8Rappelons que, avant les travaux récents, le stuc comme technique et comme décor est resté longtemps mal connu. La vision de son usage sous la seule forme de plâtres et gypserie aux xviiie et xixe s. a longtemps éclipsé son utilisation au Moyen Âge. Si Viollet-le-Duc et quelques auteurs y font allusion, c’est toujours de manière marginale. Après les travaux étrangers comme ceux de E.L. Wadsworth (1924) ou de F. Berndt (1932), il faut attendre, pour la France, les recherches spécifiques de M. Frizot (1977), alors dans un laboratoire du CNRS, pour que s’affirme un intérêt pour ce décor et sa technique. Cet auteur mettra en particulier en évidence pour l’Antiquité une continuité des techniques de fabrication et amorcera une première ouverture à caractère scientifique vers le Moyen Âge.
- 9 Nous renverrons ici à quelques exemples, pour les autres points d’analyses et de comparaison, voir (...)
- 10 Par exemple : Biscontin, Driussi, 2001.
- 11 En particulier pour les plus récents : Exner, 1996a ou Hoernes, 2002.
9Pour cette période, Paul Deschamps avait abordé la question du point de vue de l’histoire des formes lors d’un colloque international en 1959, publié en 1962 (Deschamps, 1962, p. 179-185), en montrant la présence du stuc au haut Moyen Âge ou à l’époque romane dans les textes ou sur quelques édifices encore en place. Nous reprendrons plus loin certains de ces éléments qui n’avaient été qu’évoqués par l’auteur et qui peuvent présenter des analogies ou des choix différents dans les techniques ou les compositions. À Vouneuil, pour mener à bien le travail avec Bénédicte Palazzo-Bertholon sur la spécificité de la production découverte sur ce site, il a été en effet nécessaire de reprendre, si ce n’est d’analyser directement, les échantillons comparatifs provenant de sites mentionnés par P. Deschamps ou M. Frizot9. En collaboration avec d’autres collègues de diverses régions, il a été possible de commencer un examen plus méthodique et systématique des ensembles repérés. Ces recherches, en vue d’un corpus national sur ce matériau souvent ignoré ou délaissé par les archéologues ou les conservateurs de musée, ont bénéficié, entre autres, de l’avancement des travaux menés en Europe au cours de ces dernières décennies. Plusieurs séminaires ou colloques italiens10 ou allemands11 ont rendu compte de ces nouvelles approches.
10L’exposition et son catalogue sur le « Stuc, visage oublié de la sculpture médiévale », ainsi que le colloque de Poitiers en septembre 2004, ont également contribué à rendre compte de ces nouvelles recherches en France et en Europe.
MÉTHODES, ICONOGRAPHIE ET DATATION
11En étudiant chaque élément de stuc comme un objet archéologique capable de livrer des informations sur sa réalisation et sa place dans un décor complet, il a été possible d’obtenir pour Vouneuil des résultats novateurs. Il fallait pour cela se pencher systématiquement sur chaque pièce en déterminant, comme nous le préciserons plus loin, les différents états de réalisation, non seulement des stucs eux-mêmes, mais aussi des couches picturales et des badigeons. Très souvent, ces deux approches sont distinctes alors que, de manière évidente, ces phases de réalisation se croisent pour aboutir à un seul objet et à un seul décor. Cela a permis aussi de préciser des changements, des repentirs ou des restaurations intervenant dans une chronologie historique de ce décor. De même l’étude des traces d’accrochage au dos des stucs, des éléments de fixation, des bordures mêmes des pièces, ont été autant d’indices pour comprendre les techniques et les modes de mise en œuvre dans l’espace. C’est à partir de ces indications et du travail en connexion sur l’iconographie que Bénédicte Palazzo-Bertholon et moi-même avons pu, avec Gilles Fèvre, dessinateur, comprendre progressivement les pièces essentielles pour tenter de restituer un puzzle monumental dispersé.
12Jusqu’à présent, les observations faites par nos prédécesseurs sur les fragments de stucs conservés avaient pu identifier des formes parfaitement définies : visages, parties de personnages, etc. Ceci s’était fait dans les premiers temps de la découverte sans que réellement on puisse reconstituer les dimensions disparues et les formes générales se rapportant à une iconographie particulière. L’intérêt des nouvelles recherches, et de l’apport non négligeable d’un nombre important de fragments « secondaires » qui n’avaient pas encore été réunis aux premiers lots, est d’avoir permis une nouvelle avancée décisive. À force de patience et de méthode sur un temps long passé à observer chaque fragment connu, et d’autres que ne connaissaient pas nos prédécesseurs, il a été possible de proposer des restitutions, en particulier un jeu d’arcatures monumentales avec personnages, qui autorise désormais une réflexion sur l’iconographie originelle.
13On verra que l’ensemble des données nouvellement recueillies modifie également les anciennes hypothèses de datation qui reposaient sur quelques données et sur des comparaisons avec un seul site, Disentis (Suisse). Ceci avait conduit à ne retenir qu’une datation tardive de la première moitié du viiie siècle, longtemps adoptée dans les articles. Cette datation précarolingienne est aujourd’hui, comme on le verra, remplacée par une proposition calée sur d’autres arguments deux siècles plus haut, ce qui a pour conséquence non seulement une autre perception des stucs et du site, mais plus encore, situe désormais l’ensemble des stucs de Vouneuil à l’intérieur du chaînon, souvent manquant dans l’histoire des formes en Gaule, de la fin de l’Antiquité tardive (fin du ve s. - début du vie s.). Avec les nouvelles approches sur les sarcophages du Sud-Ouest et d’autres ensembles sculptés, Vouneuil participe ainsi à la création d’une autre image des temps dits longtemps « barbares ».
UN SITE UNIQUE ET MAJEUR
14On regrettera de ne pouvoir encore mieux restituer la configuration du site de Vouneuil d’où provient l’ensemble des stucs. Son statut et son évolution sont ici présentés en première partie de l’ouvrage, avec les premières hypothèses émises par les inventeurs M.-R. Sire et M. Aucher. Les observations et relevés effectués depuis, avec en particulier une prospection géophysique, complètent cette approche avec de nouvelles conclusions qui restent cependant des pistes de travail pour une fouille archéologique complète du site, que ne permettent pas actuellement les moyens de la recherche. Il n’en demeure pas moins que, quelle que soit la restitution proposée des bâtiments disparus (sanctuaire ou grande villa), le décor de stucs de Vouneuil demeure, par son nombre, sa qualité, sa datation et l’iconographie représentée, un ensemble unique et majeur pour le haut Moyen Âge en Europe (fig. 1). Il démontre la permanence des traditions et devient un relais nouveau pour l’histoire des formes et celle des sociétés pré-médiévales.
Notes
1 Plus d’une centaine : cf. Wyss, 1996, p. 52-55 et Sapin, 2004, p. 138- 142.
2 Environ 220 fragments ; cf. Barraud, 1983, p. 69 ; Rapport de fouilles..., SRA Aquitaine, Bordeaux. Voir également les notices sur Bordeaux : Sapin, 2004, p. 11-114 et Palazzo-Bertholon, 2004.
3 180 fragments, cf. Sapin, 1995, p. 67-100.
4 Notice dans le Bulletin de liaison et d’information de l’Association des archéologues des Antiquités de Poitou-Charentes, 14 (1985), p. 83-84.
5 Plusieurs pièces ont eu l’honneur d’être présentées au Grand Palais, à Paris, à l’occasion de l’exposition « Archéologie de la France, 30 ans de découvertes » ; notice de M.-Th. Camus sur les huit pièces présentées (catalogue, Grand Palais, Paris, 1989, p. 239). La même année, certaines de ces pièces et nombre d’autres ont été présentées au public lors de l’exposition « Romains et Barbares entre Loire et Gironde, ive-xe siècle », au musée Sainte-Croix de Poitiers, du 6 octobre 1989 au 28 février 1990 (Boissavit-Camus, Rérolle, 1989, p. 74-79).
6 Parmi les exemples les plus anciens de stucs, on compte des bas-reliefs trouvés au palais de Cnossos en Crète, dès la 18e dynastie (xive s. av. J.-C.), sous la forme de portraits, puis d’ornements de sarcophages et de tombes. La Grèce hellénistique fait également usage du stuc sous la forme d’appliques (pilastres, frise) à Priène, dès les iiie et iie s. av. J.-C. et à Délos, cf. Bulletin de correspondance Hellénique, 84 (1960), p. 854-856.
7 Par exemple, les thermes de Poitiers (ier-iie s.), cf. Sapin, 2004, p. 34.
8 Des exemplaires de terres cuites ont été retrouvés à Saintes aux ier et iie s., cf. Sapin, 2004, p. 32-33.
9 Nous renverrons ici à quelques exemples, pour les autres points d’analyses et de comparaison, voir Palazzo-Bertholon in Sapin (dir.), 2004.
10 Par exemple : Biscontin, Driussi, 2001.
11 En particulier pour les plus récents : Exner, 1996a ou Hoernes, 2002.
Table des illustrations
Titre | Fig. 1 – L’Aquitaine seconde et ses principales villes au ve s. (dessin et DAO G. Fèvre, CEM). |
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URL | http://books.openedition.org/editionscnrs/docannexe/image/47540/img-1.jpg |
Fichier | image/jpeg, 46k |
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