GÉOLOGIE, MORPHOLOGIE DE LA CAVERNE, FORMATION

GÉOLOGIE

1En Périgord, les cavités d’origine karstique s’échelonnent à tous les étages du Crétacé. Peu nombreuses dans le Provencien, l’Angoumien et le Santonien, elles abondent au contraire dans le Maestrichtien et le Coniacien qui bordent les vallées de la Vézère et de la Dordogne2.

2La morphologie actuelle de la région a été influencée par les déformations tectoniques des dépôts crétacés, dont le pendage allait vers l’océan. Entre Aubas et Montignac, le Coniacien a une pente de 6 % vers le sud-ouest, ce qui a favorisé la percée de la Vézère à Aubas. Rectiligne en aval de cette localité, la rivière butte à Montignac contre une barre de calcaire provencien très dur, ce qui la rejette sur le versant sud de la vallée et l’oblige à forer son chemin dans le Coniacien supérieur en de multiples méandres, de Thonac aux Eyzies.

3Aux poussées verticales de la pénéplaine cénomanienne sous-jacente, qui a donné l’anticlinal La Bachellerie/Les Farges/Montignac/Saint-Léon-sur-Vézère/Le Bugue et au-delà, s’ajoutent deux poussées latérales : l’une provenant du sud et du sud-ouest d’origine pyrénéenne, l’autre du sud-est.

4Au Miocène, les Alpes se plissent et le Massif central se gonfle en se fracturant selon des orientations méridiennes.

5Les masses calcaires se brisent en diaclases orthogonales, orientées nord-ouest - sud-est, accompagnées de failles secondaires septentrionales, que les éruptions volcaniques du Cantal, en activité jusqu’au Néolithique, entretiendront périodiquement.

6Cette théorie, développée par Paul Fénelon (1951), a favorisé [l’hypothèse de] la formation de cavités karstiques, grâce à la présence de nappes phréatiques profondes en contact avec des horizons marneux.

7Le cas de Lascaux en est un exemple typique.

Fig. 4 — Coupe géologique de la vallée de la Vézère au niveau de la grotte de Lascaux (dessin A. Glory). Pour faciliter la compréhension, la hauteur du massif de la colline a été exagérée par l’auteur.

8La Vézère coule à Montignac au pied de la colline, à 65 m d’altitude [au-dessus du niveau de la mer], dans l’Angoumien supérieur, qui forme à 90 m d’altitude un socle quasi horizontal, sur lequel reposent les trois assises supérieures.

9D’abord, une couche de marne coniacienne, épaisse d’une dizaine de mètres, ensuite les strates du Coniacien jaune sableux qui montent jusqu’à 190 m environ, enfin le Santonien qui coiffe le sommet de la colline, situé à 216 m environ.

10Lascaux s’insère vers 185 m d’altitude, à la jonction des deux calcaires, Santonien et Coniacien, selon l’orientation des diaclases mentionnée plus haut nord-ouest - sud-est (ce volume, fig. 4). Marquée par les mêmes caractères, la grotte de la Balutie, dite grotte Delsol, est incluse dans le même massif, due aux mêmes phénomènes de creusement karstique.

11Ils peuvent s’expliquer en quatre phases.

1^re phase

12Les nappes de marnes et argiles coniaciennes forment une assise imperméable aux eaux profondes qui résurgent en de multiples filets, au coude de la route actuelle qui monte à la grotte.

13Dans une première phase, précise P. Fénelon, « seuls jouent les phénomènes de dissolution : à de grandes profondeurs dans l’intérieur du sol, à plusieurs centaines de mètres peut-être, les calcaires du Coniacien supérieur baignent dans une nappe phréatique constituée par de l’eau chargée de gaz carbonique et soumise à une légère pression par suite de l’épaisseur de la nappe » (op. cit., p. 421).

14Retenues par cette alèse marneuse, les eaux dissolvent le calcaire dans les vides produits par les fractures nord-ouest - sud-est, en les élargissant de haut en bas en forme de V.

15Si ces eaux ne sont pas stagnantes, le plan varie entre le lit mineur et le lit majeur, selon le volume des précipitations, et leur écoulement souterrain suivra les joints de stratification dont le pendage s’abaisse vers le sud-ouest : les ruisseaux souterrains s’immiscent, dégorgeant leurs eaux, pulsées de l’amont nord-est vers l’aval sud-ouest.

16En empruntant le jeu des diaclases, les cours d’eau vont se faufiler vers leur bassin d’écoulement en agrandissant leur parcours en une suite de galeries se recoupant à angle droit.

17Il en résulte que la grotte de Lascaux a une orientation générale et une ouverture dirigées vers le nord-ouest, comme la plupart des grottes forées dans le Coniacien, et que ses galeries suivent le plan des failles et des diaclases à croisement orthogonal sud-ouest - nord-est.

2^e phase : l’abrasion

18Les particules siliceuses contenues dans le Coniacien (la pierre de taille des châteaux du Périgord), les tests siliceux de la microfaune coquillière, entiers ou déchiquetés, les Rhynchonelles, les Térébratules, les Hémiasters et leurs spicules, fournissaient à l’eau une matière abrasive de première force pour forer les galeries qui deviennent serpentiformes ; des effets tourbillonnants créent des profils sphériques à plafonds incurvés ou creusés de dômes. Tous ces phénomènes sont très visibles à l’intérieur de la grotte : taraudage serpentiforme au plafond du Diverticule axial3, coupole de la grande salle [des Taureaux], et denticulation rocheuse des parois du Diverticule des Félins4.

3^e phase : la descente

19Le niveau de base du bassin d’écoulement s’abaissant par suite de lents mouvements tectoniques, l’érosion marine et fluviatile des mouvements d’eau entraînera une descente du réseau hydrologique souterrain. Les plans d’eau et les rivières souterraines abandonnent leur habitat supérieur pour reprendre leur activité à un étage sous-jacent, ce qui donne de nouvelles galeries inférieures, généralement en contact périodique avec un réseau hydrologique vivant. À Lascaux, le phénomène est visible par les corniches en saillie, étagées dans les galeries, et par la présence de la galerie inférieure du Puits, décalée de 8 mètres en profondeur.

20À cette phase succède la dernière, le remplissage.

4^e phase : le remplissage

21Les cavités mortes se remplissent lentement, par la pesanteur, d’alluvions locales de sables sidérolithiques que, par sondage en Périgord (à la grotte de Bara-Bahau au Bugue et à celle de Lascaux), on peut énumérer ainsi : sable grossier, sable fin et blanc, argile versicolore de dépôts de kaolin, argile homogène de décalcification, galets de granite, de schiste et [de] basalte roulés, résultat de trois niveaux d’érosions tertiaires, d’après P. Fénelon : l’un débute à l’Éocène ; le deuxième est préstampien ; le troisième débute au Miocène et s’arrête au Pliocène. Lascaux a plus de 6 m de remplissage, et Bara-Bahau plus de 15 m.

22Comme il est certain que les dépôts de kaolin de Roumayère, près des Eyzies, et que les sables sidérolithiques de Bara-Bahau, qui se trouvent au niveau de la terrasse rissienne, étaient venus dans ces grottes avant le creusement des vallées, on peut avancer que l’âge de la deuxième phase et de la troisième phase karstique est pré-quaternaire. La morphologie interne de Lascaux n’a pas varié depuis 20 000 ans et nous estimons que son remplissage a été de 15 à 20 cm [d’épaisseur] : soit 1 cm par millénaire5.

23Durant cette période, comme nous le verrons plus loin, si les circonstances n’ont pas changé, les 6 m de poussière détritique nous donneraient, par extrapolation, 600 000 ans d’âge dans une cavité déjà creusée.

24P. Fénelon attribue à la période oligocène les plus anciennes zones de karstification, situées à plus de 150 m dans le Ribéracois et dans la région du Bugue. Nous ne pouvons tenir compte des dents de Carcharodon megalodon [grand requin], recueillis non scientifiquement dans les déblais du sondage de la grotte de Bara-Bahau (Bergounioux, 1960, p. 105) et, à notre avis, d’origine exogène à cette région, pour assigner au Miocène le remplissage des couches de 15 m à Bara-Bahau. Mais il me semble raisonnable, compte tenu de la stabilité du calcaire campanien, d’en attribuer hypothétiquement la karstification à partir du Miocène jusqu’au Pliocène, étant donnée son altitude de 100 m.

25Rien ne s’oppose à émettre un âge analogue au creusement de la grotte de Lascaux par une rivière souterraine de petite envergure, dont le plus grand vide de creusement vertical ne dépasse pas 15 m sur une largeur optimum de 5 m, ce qui est relativement modeste comparé au creusement des cavités de Rouffignac et de Villars.

MORPHOLOGIE GÉNÉRALE DE LA CAVERNE

26Le profil et les coupes de l’ensemble des galeries, relevées par les Ponts et Chaussées le 10 décembre 1949, montrent un parcours souterrain d’une portion de rivière longue de 120 m. L’axe principal du parcours des eaux est indiqué à la fois par la profondeur de pénétration de descente du lit souterrain et par l’intensité de son érosion karstique.

27Les deux points les plus élevés, masqués par 4 m et 1 m d’épaisseur de voûte, sont situés à l’entrée actuelle de la grotte et à l’extrémité de la galerie du Puits.

28Les deux points les plus profonds sont à l’extrémité du boyau du Diverticule axial et à celle du Diverticule des Félins, avec 16 m d’épaisseur de voûte. C’est dans ce dernier, le plus long, jalonné de deux puits et de quatre cheminées colmatées, aux basses parois perforées en multiples denticulations, que devait s’écouler le courant souterrain. C’est d’ailleurs dans cette partie que se sont dirigés les trop-pleins des eaux des gours, dès la reprise des précipitations vers 8 000 ans BP.

29C’est dans cette direction que l’on pourrait découvrir d’autres salles, si on poursuivait les terrassements.

30Il semble donc qu’il y eut, d’abord, un premier stade de creusement, comprenant : l’entrée des eaux par la galerie du Puits, avec l’apparition des salles hautes (dans lesquelles n’existe aucun dessin) et leur écoulement dans le Diverticule des Félins ; ensuite un deuxième stade de creusement plus intense, marqué par l’entrée actuelle, avec écoulement principal vers le Diverticule des Félins et écoulement secondaire dans le Diverticule axial.

31Jusqu’à présent, c’est cette dernière entrée qui a livré des témoignages de pénétration humaine dans la grotte, alors que l’enlèvement de la base des déblais de la première entrée de la galerie du Puits n’a donné aucun indice de passage ou de présence humaine.

32Existe-t-il des chances de continuation des galeries en horizontal et en vertical ? Le coude du Diverticule axial était rempli d’argile, remaniée à la découverte, laissant un vide de 15 cm. Les guides ont déblayé la galerie basse, haute de 60 à 70 cm, sur une longueur de 5 m. Nous avons poursuivi le travail sur une dizaine de mètres et l’on voit toujours une continuation du boyau.

33C’est le même cas pour l’extrémité du Diverticule des Félins. Le boyau est plus ample et l’on aperçoit au loin la prolongation de la galerie mais avec une orientation différente. Nous avons exploré des boyaux analogues en Périgord. Ils ne dépassent pas, en général, une cinquantaine de mètres et aboutissent quelquefois à des salles basses et sans issue.

34La coupe complète de la galerie du Puits, que nous avons obtenue en enlevant les terres du sous-sol jusqu’au coincement des pelles à main par le resserrement des parois, montre que, en profondeur, la fracture se poursuit sans avoir été travaillée par les eaux. Il est donc probable que c’est vers l’altitude de 80 à 90 m que se situent les grands vides et non pas immédiatement au-dessous. S’il existe un second réseau hydrologique sous-jacent, il doit être assez bas, en contact avec la couche des marnes coniaciennes.

ÉTUDE DU REMPLISSAGE PAR LES COUPES GÉOLOGIQUES

35À la demande du public et pour la sauvegarde des peintures, la Commission supérieure des Monuments historiques, en accord avec le propriétaire, la famille de La Rochefoucauld-Montbel, avait décidé de climatiser l’atmosphère de la grotte et de placer l’ensemble des machines sous les escaliers de l’entrée actuelle, qui reposaient sur la pente d’un ancien cône d’éboulis (fig. 5).

36Les premières brouettes ayant mis au jour des silex, on nous fit l’honneur de nous confier la mission délicate de sauver tous les vestiges anciens que les pelles et les pioches de dix ouvriers pourraient exhumer. Depuis le 13 décembre 1957 jusqu’au 15 avril 1958, nous avons suivi pas à pas la progression des manœuvres et, quand les conditions de travail s’y prêtaient, nous avons pu fouiller certaines parcelles privilégiées appelées à disparaître6.

Fig. 5 — Grande coupe longitudinale de l’entrée, du cône d’éboulis et de la salle des Taureaux (dessin A. Glory). Cette coupe a été levée lors de l’enlèvement du cône d’éboulis situé sous les deux volées d’escalier de l’entrée (travaux de 1957-1958). Voir la figure suivante (fig. 6).

37Le programme des travaux comprenait :

• enlèvement d’un volume de 350 m³ de terre7 du cône d’éboulis, situé sous les deux escaliers d’entrée des deux sas ;

• ouverture de tranchées traversant la salle des Taureaux, le Diverticule axial, le Passage, la Nef : leur largeur, selon les endroits, de 1 m à 1,30 m et leur profondeur de 0,50 m à 1,80 m étaient destinées à recevoir les conduits d’air ;

• terrassement de plusieurs petites fosses entamant toute la largeur de la galerie à la salle des Taureaux, au Cheval inversé, au Passage, à l’Abside et au bas de la Nef pour maçonner des bouches de pulsation et d’aspiration d’air ;

• abaissement du sol du Passage et enlèvement de la berge occidentale8.

38Au cours de ces opérations, nous avons dressé onze coupes géologiques à travers le sous-sol des différentes galeries, ce qui porte leur nombre à quatorze en ajoutant celles déjà relevées auparavant9 (fig. 6). Ces fronts de taille, soigneusement centimétrés, ont été photographiés lorsque l’emplacement des appareils s’y prêtait et portés sur un plan d’ensemble10.

LE CÔNE D’ÉBOULIS

Coupe A

39À l’intérieur de la grotte, en plus de la conservation des témoins habituels, nous avons gardé, ouverte par une fenêtre encadrée de béton, la partie centrale de la coupe A d’un intérêt majeur, puisque, sous le premier escalier, elle mesurait 8 m en hauteur et 10 m en largeur.

40Cette coupe11 (fig. 7 et tabl. I), que nous allons décrire en détail, est d’un grand intérêt pour la connaissance de l’histoire scientifique de la grotte, car, obstruant une ancienne galerie haute de 8 m, elle contient un ensemble de dépôts qui se sont amoncelés depuis plus de 20 000 ans.

41Elle se divise, à l’œil, en 18 couches de sédiments, de gravats gélifs, d’éboulis de plateaux, de dépôts argileux et arénacés, numérotés de bas en haut.

42L’échelle des mètres portée sur la coupe est celle qui a servi de mesure durant la fouille en 1958. Elle permet de localiser les trouvailles et les prises d’échantillons de terre, dont le point zéro est la dalle en béton de la salle d’entrée.

Coupe B

43Cette coupe12 (fig. 8 et tabl. II) a été relevée au bas du premier escalier, à mi-course de l’éboulis. Elle a l’avantage de montrer en place les détails des dépôts supérieurs qui manquaient sur la coupe précédente, mais elle a le désavantage de ne pas posséder la totalité des couches inférieures : les principales subsistent, mais les secondaires, intercalaires, n’ont pas eu la force d’étaler entièrement leur nappe de sédiments. Aussi, nous avons gardé la numérotation précédente pour montrer la continuation des couches [de la coupe A à la coupe B]. La coupe en profil de tout le cône d’éboulis, incluant les deux fronts de taille A et B, éclaire l’intelligence des dépôts (voir infra, fig. 9, p. 33)13.

44D’après le témoignage des inventeurs, dont nous donnerons l’historique dans la relation concernant les peintures et les gravures14, ces derniers, le 12 sep tembre 1940, auraient d’abord dévalé les pentes d’une petite doline d’effondrement, dont le fond embroussaillé se terminait par une petite ouverture encombrée de pierrailles. En l’agrandissant, ils ont atterri, tête la première, sur le sommet de ce cône d’éboulis, qui devait se trouver à une profondeur de 3 ou 4 m seulement du sol du plateau15.

Fig. 6 — Plan de la grotte de Lascaux (d’après C. Bassier, Spéléo-club de Périgueux et Lascaux inconnu, 1979, fig. 22, 43 et 61). Emplacements des 14 coupes stratigraphiques de A. Glory : A et B (et A-B) dans le cône d’éboulis ; C (C1, C2 et C3) dans la salle des Taureaux ; D (D1 et D2) dans le Diverticule axial ; E, F, G, H et I dans le Passage ; L et M dans la Nef ; N, O (et N-Q) dans le Diverticule des Félins ; R (et R’) dans le Puits. Emplacements des 8 sites d’observation et/ou de recueil d’objets : J et K dans l’Abside ; L’, M’, M’’ et M’’’ dans la Nef ; P et Q dans le Diverticule des Félins (dessin B. et G. Delluc).

Fig. 7 — Cône d’éboulis. Coupe transversale A (dessin A. Glory). La couche archéologique est indiquée par des triangles clairs (voir Lascaux inconnu, fig. 30, p. 50).

45C’est dans ce trou que les gens du plateau jetaient, pour s’en débarrasser, leurs détritus et leurs cadavres d’animaux.

Les trouvailles archéologiques dans le cône d’éboulis

46Dès la découverte de la grotte, le 12 septembre 1940, dans un grattage superficiel du sol de l’Abside et du Puits, des silex travaillés, des sagaies, des charbons de bois constituèrent les « souvenirs » des premiers chercheurs, MM. Laval, Marsal, Ravidat16. Nous décrirons plus loin leurs collections. En 1948, MM. Breuil et Blanc17 sondèrent la base de l’éboulis du Puits et y découvrirent des sagaies, des silex taillés et environ une soixantaine de « lampes ». Les objets conservés entre les mains de M. Blanc n’ont pas encore été publiés. Mais les « lampes »18, déposées dans une salle perdue du transformateur, furent jetées aux orties en 1955 par des ouvriers électriciens qui rénovaient le bâtiment. Les fouilles contrôlées scientifiquement eurent lieu de 1958 à 196119.

47Au cours des exposés précédents [sur les fouilles du cône d’éboulis], sept points de trouvailles archéologiques ont été indiqués. Ils sont marqués de lettres simples sur les dessins et les photos de la coupe B (A à D) et de lettres bissées pour ceux de la coupe A (A² à C²) (fig. 9).

Fig. 8 — Cône d’éboulis. Coupe transversale B, avec localisation des lieux de découverte des objets en B, C et D (dessin A. Glory). La couche archéologique est indiquée par des triangles clairs. Voir Lascaux inconnu, fig. 28, p. 48.

48[Au point] A² – Un fragment de scapula (apophyse), déterminé comme Renne par M. le Pr Hans Schaub de Bâle, trouvé le 2 avril 1958 sur la berge senestre de la base argileuse n^o 1 en aval de la coupe [A], à une profondeur de 4,75 m (fig. 9).

49[Au point] B² – À 0,05 m au-dessus de la berge dextre d’argile de base (couche n^o 1), enrobé dans les éléments moyens correspondant à la couche 5, à 4,75 m de profondeur et à 3 m en aval de la coupe A, se situe un groupe d’objets importants20 (fig. 9) :

• 1 fragment de tibia de renne (détermination de M. Schaub) ;

• des débris d’os et une lamelle osseuse indéterminable, usée par érosion ;

• 3 burins d’angle sur troncature oblique, dont 2 entiers21 ;

• 3 éclats et lamelles atypiques en silex noir ;

• 3 « lampes » calcaires retournées ;

• 1 palette teintée de manganèse noir ;

• 1 plaque de peroxyde de fer minéralisé ;

• de nombreux restes de charbon de bois ;

• et 5 pièces de gros matériel :
  

• 1. 1 large écrasoir, sorte de coquille en silex noir de 22 x 19 x 7 cm, à plateau légèrement incurvé. Le dessous a gardé le cortex, dont plusieurs mamelons forment les pieds. C’est une chaille en silex qui a été ouverte en deux parties aux pôles.
     

  2. 1 large écaille calcaire (26 x 17 x 9 cm), de forme ovalaire, à plateau concave, à bord relevé en coquille. Le fond très épais est plus ou moins pyramidal. La couverture d’argile du plateau et de calcite poudreuse à la base ne permet pas de voir des traces de charbon. Elle est du type lampe.
     

  3. 1 large écaille calcaire, sans forme typique, avec plateau cupulaire renfermant des charbons au centre et du rouge sur le côté, très mélangés à l’hydrocalcite (27 x 20 x 6 et 10 cm).
     

  4. 1 écaille calcaire épaisse, type oblong, avec manche épais et cupule à l’autre extrémité, garnie de bouillie noirâtre, mélangée à l’hydrocalcite22.
     

  5. 1 petite plaquette en calcaire, rougie par le feu. Trace de noir de fumée. Plateau légèrement concave, de forme quadrangulaire, brisée par les ouvriers (13 x 13 x 1 cm).

50[Au point] C² – À une profondeur de 3,75 m, noyé dans la couche 6 argileuse, un débris d’os indéterminable est le dernier témoin d’occupation de la grotte (fig. 9).

51[Au point] A – Enfoncées à 0,30 m dans le sommet de la berge senestre d’argile, correspondant à une profondeur de 5,50 m [dans le] niveau de base de la couche 5 à éléments moyens, deux lames épaisses non retouchées, en silex noir bleuté moucheté de beige, ont été trouvées le 26 décembre 1957 (fig. 9 et 10a).

52[Au point] B – Enrobée dans les éléments moyens des cailloutis de la couche 5, à 5,30 m de profondeur, une belle lame en silex noir (longue de 0,105 m) était associée à une ramure de jeune renne23 et à deux petits fémurs. L’extrémité de la lame, non retouchée, possède des écailles d’utilisation (fig. 8, 9 et 10).

Fig. 9 — Cône d’éboulis. Détail de la coupe longitudinale A-B, entre la coupe A et la salle des Taureaux, avec localisation des lieux de découverte des objets en A à D et A2 à C2 (dessin A. Glory). La couche archéologique est indiquée par des triangles clairs. Tout le cône d’éboulis, situé sous les deux volées d’escalier, a été enlevé lors des travaux de 1957-1958. Voir Lascaux inconnu, fig. 27, p. 48.

Fig. 10 — Cône d’éboulis. Coupe transversale, légèrement décalée, vers l’intérieur de la grotte, par rapport à la coupe B : a, dessin A. Glory ; b, cliché J. Lagrange. Le dessin de la coupe montre l’emplacement des points de découverte d’objets : A, B, C et D. Hauteur de la coupe : 3,20 m. Voir Lascaux inconnu, fig. 29, p. 49.

53[Au point] C – À 5,15 m de profondeur dans la même couche (fig. 8, 9 et 10) gisait un lot d’ossements de daim probable, déterminé par M. Schaub : calcanéum sans épiphyse d’un jeune presque arrivé à l’état adulte ; phalange incomplète ; deux fragments de tibia sans épiphyse ; métatarsien antérieur incomplet ; métacarpien postérieur complet ; radius incomplet. D’après la profondeur de la gouttière postérieure axiale du métacarpien, ces os appartiendraient à un jeune cervidé voisin du daim (Hans Schaub, Bâle, le 24 mai 1957).

54[Au point] D – Dans un vide, sous une dalle d’effondrement de la couche 14, était tombée une tête de fémur de cerf (fig. 8, 9 et 10).

55Cet ensemble archéologique, très modeste pour un volume de 350 m³ de matériaux, est néanmoins suffisant pour être reporté sur un profil général de la coupe A-B, donnant l’emplacement et l’inclinaison des couches décrites dans les coupes faciales [c’est-à-dire transversales] précédentes. La pente des couches est d’environ 30 (fig. 9). Cette épure nous montre que tous les vestiges archéologiques s’échelonnent à la base et à l’intérieur des couches 4 et 5, dont les lits 6 et 7 ne sont que des ampliations24.

56Cet horizon, constitué d’argile à la base, représentant un climat humide puis un climat plus sec vers le haut, est en contact direct avec la première zone d’effondrement de dalles. Les Hommes préhistoriques seraient arrivés à Lascaux en dévalant cet énorme éboulis. Aux endroits où les dalles ne recouvraient pas le sol argileux (couche n^o 1), il était naturel d’y retrouver leurs outils, semés ou cachés sur les berges d’argile qui s’écrasaient en hauteur sur les parois latérales (étiage à 3 m sur la coupe A ; étiage à 4 m sur la coupe B).

Commentaires sur la formation du cône d’éboulis

57Ces trois coupes (fig. 7, 8 et 9) permettent, en outre, de résoudre en partie ce qui a été considéré comme une énigme par les préhistoriens, car, obstruant une ancienne galerie haute de 8 m, les dix-huit feuillets, qui se sont amoncelés depuis plus de 20 000 ans, content chacun leur histoire. On peut en résumer les caractères, en partant de la base vers le haut, grâce aux divers prélèvements qui ont pu être opérés.

58Avant le maximum de la glaciation würmienne, vers 20 000 ans, un ruisselet extérieur, provenant du sommet du plateau de la Balutie et du Régourdou (calcaire santonien), s’était écoulé à l’intérieur de la caverne creusée, elle, dans du calcaire coniacien C 7b.

59Les eaux ont évidé, à la manière d’une érosion fluviatile de vallée, l’épais substratum d’argile plastique, pâte colloïdale que les spéléologues appellent souvent « la terre à ours », en l’entraînant avec elles dans les profondeurs du sol. Le fond de la diaclase comblé, les eaux ont séjourné plus longtemps dans cet ancien lit fossile, avant d’être lentement absorbées, et y ont déposé des galets roulés de type gréseux santonien et des sables, qui montent jusqu’à la cote de 6 m, en formant la couche n^o 2.

60Cette époque diluvienne de creusement a pris ensuite un caractère moins violent ; les écoulements d’eau sont devenus moins rapides en passant dans la phase de remplissage. Le ruisseau a fini par devenir stagnant, en déposant vers 6 m un manteau d’hydrocalcite blanc, visible sur la photo (fig. 10b)25. Ce tapis curviligne était formé de fins cristaux de calcite fibreuse, dont on connaît la formation progressive par l’alternance d’époques sèches et humides ; il est la couche de base, sur laquelle s’édifient les gours dans les grottes26. Ils n’ont pas eu le temps ici de se constituer ou ils ont été détruits par le cataclysme de la zone27 n^o 3.

61Il est logique de penser que ces eaux, dont on retrouve plus anciennement les dépôts arénacés d’éléments très fins et très blancs (provenant de la lente désagrégation des calcaires coniaciens), à des niveaux très bas à l’intérieur de la grotte, passaient sous un porche, dont l’ouverture orientée vers la vallée de Montignac devait être située à une quinzaine de mètres plus loin que l’entrée actuelle.

62Cette voûte de faible épaisseur, 3 à 4 m, désarticulée par les grands froids glaciaires, s’est soudain effondrée, semble-t-il très rapidement, peut-être sous l’effet de secousses sismiques produites par les éruptions cantaliennes en pleine activité. Les bandes coniaciennes, déchaussées de leur support, se sont amoncelées de 6 m à 4 m, en formant un empilement de dalles tabulaires de si grandes étendues qu’elles ont dû être débitées au marteau pneumatique ; quelques-unes mesuraient 2,50 m de long sur 1,75 m de large. Elles ont glissé sur les berges argileuses de l’ancien ruisseau en s’entassant en oblique ; elles ont laissé un étroit passage, haut de 2 m, dans l’axe de l’évidement qui s’est rempli de plaques et de petits carreaux calcaires noyés dans des sédiments argilo-calciteux, bien visibles sur la photo (fig. 10b).

63Il semble qu’il faille rattacher à ce phénomène tectonique les écailles tombées des parois à l’intérieur de la grotte, dont les emplacements ont été recouverts de lignes peintes.

64L’Homme est venu dans la grotte, après cette hécatombe, à plusieurs reprises et pendant un laps de temps dont la durée équivaut à un remplissage d’écailles calcaires d’éléments moyens d’une puissance de 0,50 m à 0,70 m environ, selon les endroits. Aux impedimenta qui trahissent sa présence, s’ajoute le nombre assez étonnant de pollens, peut-être introduits inconsciemment par lui, dans ses vêtements en tresse végétale, ou simplement dans les brassées de bois qu’il traînait derrière lui. Les analyses de Mme Leroi-Gourhan28 indiquent, à 4,50 m de profondeur, une population forestière à climat tempéré plutôt sec (absence de tilleul). Les essences d’arbres sont les mêmes que celles d’aujourd’hui : pins, chênes, genévriers, noisetiers, noyers, châtaigniers, ormes, saules, aulnes et bouleaux. Puis, vers 3,75 m, les grands froids du troisième würmien apparaissent, amoncelant une épaisseur stérile de 2,50 m de petits cailloutis, disposés en quatre couches de petites écailles calcaires à vides interstitiels, éclats gélives, séparées par six lits argilo-calcaires granuleux, tous orientés dans le même sens.

65Cela dénoterait des poussées d’adoucissement de température, des sortes de micro-interstades tempérés, s’insérant à plusieurs reprises dans la retombée de la quatrième glaciation. La palynologie confirme les données géologiques, en indiquant un climat tempéré chaud à la couche 8 (profondeur 3 m) et à la couche 10 (profondeur 2,50 m), plus argileuse que karstique.

66À part quelques silex moustériens tombés du plateau, que l’on retrouve d’ailleurs à tous les étages de cet éboulis, très reconnaissables par leur patine blanchâtre, aucune trace de présence humaine ne fut décelée et, ce qui est étonnant, aucun ossement d’animal, même de microfaune, comme si la vie avait déserté la colline.

67À la fin de ces temps froids, soit à la suite d’un réchauffement de la température, soit sous l’effet d’une nouvelle secousse sismique, ou plutôt [de] la conjonction des deux phénomènes, la poussée tectonique abattant les roches désarticulées par le gel et se décollant par réchauffement du climat, un nouvel effondrement de la voûte se produisit, beaucoup plus désastreux que le premier. Comme le montre la coupe A-B de profil (fig. 9), toute la partie frontale de la voûte s’est détachée jusqu’au milieu de l’éboulis en larges tables calcaires, recouvrant par glissement toute la longueur de la pente des dépôts précédents jusqu’au seuil de la salle des Taureaux (couche 14). Dans l’un des nombreux vides de ce chaos rocheux, était tombé un fémur de cerf ([au point] D) (fig. 8 et 9).

68L’abattement de cette lourde couverture agrandissait l’entrée et permettait aux eaux de ruisseler davantage à l’intérieur, en entraînant les bois morts, les racines d’arbres et les arbustes qui l’ombrageaient. Les empreintes de feuilles de chêne et de noisetier, pétrifiées dans la calcite, traduisent une végétation forestière de chênaie mixte. Les débris de bois tourbifiés et carbonifiés, très abondants dans la couche 17, ont été prélevés pour être soumis à Groningen29 à l’épreuve des compteurs Geiger, du C14. M. de Vries, dans son analyse n^o 1182, a trouvé 8270 ± 100 ans BP, soit 6 300 ans environ avant J.-C. C’est la période boréale de Clark, caractérisée en Baltique par Ancylus, petite coquille d’eau douce, marquant la fin de la grande période würmienne, qu’il date de 6800 à 5300 avant J.-C., précédant la période atlantique dans le Nord.

69La douceur de la température, favorisant l’humidité, a provoqué une forte dissolution du calcaire et la formation des couches 16 et 17 de calcite dure et d’hydrocalcite, accompagnées de la croissance de colonnes et de draperies stalagmitiques, qui ont contribué à obstruer la nouvelle entrée et à la verrouiller presque complètement. Notons les rapports de remplissage : en 8 680 ans, de 16 950 à 8 270 [BP], le seuil de l’entrée s’est comblé de 4 m environ de sédiments, alors que, pour une période égale de 8 270 à nos jours, il n’y a que 0,50 m environ de calcite et environ 0,40 m à 0,50 m de cailloutis post-calcaires, à mise en place récente.

70En effet, ces déblais n’ont pas couvert toute la surface semi-conique de l’hydrocalcite, mais la pente de la zone centrale, à partir du haut du sas 2, à l’endroit de leur chute. Le long des parois surbaissées, à droite et à gauche, la croûte crayeuse d’hydrocalcite était couverte d’un dépôt de poussière noirâtre, incrustée. Cette crasse des siècles n’a pu se former que pendant une période d’assèchement dans cette partie de la grotte et en l’absence de toute présence d’éboulis. [Elle est] de formation assez récente, remontant tout au plus à 200 ans, comme nous verrons dans la partie historique de la publication des gravures30.

LA SALLE DES TAUREAUX

71Cet important ruissellement, qui n’a pas tari depuis quatre-vingts siècles, a envahi la salle des Taureaux en édifiant quatre rangées de gours cristallins, toujours emplis d’eau au moment de la découverte. Le trop-plein se déversait dans le couloir du Passage jusqu’au seuil du Diverticule des Félins, déposant, sur le sol du Passage et de la Nef, une carapace de calcite englobant des charbons de bois entraînés par les eaux.

72Au milieu du Passage, c’est-à-dire à une cinquantaine de mètres de l’entrée, je prélevais, à l’aide d’un sondage, une cinquantaine de grammes de charbons de bois carbonifiés, mais non carbonisés, et des bois tourbifiés au-dessus du sol d’argile, en contact direct et même enveloppés de cristaux de la couche de calcite, que je supposais être la continuation des nappes 16 et 17 de l’entrée31. N’ayant trouvé aucune preuve de présence humaine à ce niveau, les bois n’avaient pu être apportés que par flottaison. J’avais choisi cet endroit à cause de la présence de petits gours32, qui ne se construisent en général que grâce à des petits reliefs de terrains, pierres, galets, barrette de sable ou de bois. L’analyse GrO n^o 1514 détectait 8 060 ± 75 ans BP33.

73Les eaux de l’entrée s’étaient d’abord répandues dans la salle des Taureaux, avaient été absorbées dans le sous-sol par un trou d’effondrement qui a été retrouvé et bouché en 1948 au seuil du Diverticule axial34. Puis, quand le sous-sol fut saturé, elles se dirigèrent vers le Passage, où elles construisirent la série des petits gours que nous avons vus remplis d’eau en 1940 à l’époque de la découverte. Leur trop-plein dévalait la pente naturelle du sol, coulant dans la Nef, s’accumulant dans les bas-fonds du seuil du Diverticule des Félins, où un sondage a révélé une épaisseur de 25 à 35 cm d’hydrocalcite recouvrant un magma d’ossements de renne.

74Cette précieuse couverture de calcite, dont la formation remonte à 8 000 ans BP, nous a permis de suivre et de remonter, sans crainte d’erreur possible, la stratigraphie des anciens sols sous-jacents, à travers toute la grotte. Nous allons décrire les autres coupes géologiques (au total au nombre de 14). Pour faciliter leur lecture, nous énumérerons les couches de haut en bas.

75La nécessité d’établir, au seuil du Passage, une bouche de soufflerie (qui puisse être assez dissimulée et pourtant assez large pour alimenter l’atmosphère de la salle des Taureaux et du Diverticule axial et dont le souffle puissant puisse être dirigé vers une aire suffisamment éloignée des peintures et des vêtements des visiteurs) a fait choisir le rebord de la dernière vasque de la série des gours. Les terrassements coupèrent donc le sol de la salle des Taureaux sur une longueur de 7,90 m et une profondeur de 1 m à 1,50 m [cette tranchée correspond à la coupe C]. Nous y avons sélectionné trois sites, le milieu C1 et les deux extrêmes C2 et C3 (fig. 11)35.

Fig. 11 — Salle des Taureaux. Coupe transversale C (dessin A. Glory). Elle est faite du segment central C1, au milieu d’un gour, et des deux segments latéraux C2 (à l’est) et C3 (à l’ouest). La couche archéologique est indiquée par une ligne ponctuée. Le segment C3 est situé près de l’entrée du Passage. Voir Lascaux inconnu, fig. 39, p. 55.

Coupe C1

76À Lascaux, les gours, qui se sont formés par l’apport de calcite flottant sur une réserve d’eau périodiquement asséchée, ont la caractéristique d’une croûte calcaire épaisse et homogène. À la découverte, ils occupaient toute la largeur de la salle.

77Les travaux d’aménagement de 194836, en créant un passage dallé pour les touristes (les dalles ont été supprimées en 1958 et remplacées par un chemin de terre battue), recouvrant un coffrage de protection pour la conduite des câbles électriques, ont fait disparaître [une bande d’une largeur de] 1,50 m à 2 m de formation de calcite, le long de la paroi septentrionale des peintures. Le fond et les bords étaient revêtus d’une enveloppe faite de fins cristaux buissonneux, très enchevêtrés, qui semblait d’origine capillaire et ne renfermait pas de corps étrangers.

78Le dévers des cinq rangées de gours, [est] de forme convexe. [Le] revers [est] haut de 35 cm, concave, au bord incurvé penché vers l’arrivée des eaux (nord – nord-ouest, c’est-à-dire vers l’entrée actuelle de l’éboulis). L’accumulation des sels de calcite au milieu de la largeur de la salle des Taureaux atteignait 0,50 m d’épaisseur, ce qui indique une longue période de stagnation d’eau dans cette salle. Les profils que nous avons examinés ne contenaient aucun silex et aucun charbon, mais la base reposait sur des charbons tourbifiés qui doivent dater de 8 000 ans et non de 15 000 ans comme pouvait le penser l’abbé Breuil en 1946 (Breuil, 1950, p. 356).

79F. Windels, en présence de l’abbé Breuil, avait creusé une petite fosse dans le fond du dernier gour pour une prise de photo au grand angulaire du panneau des Grands Taureaux37. Il en retira une bouillie de bois de renne, de silex et de charbons de bois. Il avait atteint la couche archéologique en y mélangeant au passage la couche post-glaciaire.

80Située vers la partie terminale [de la salle], au seuil du Passage, la coupe principale C1 rétablissait l’ordre des valeurs (fig. 11) :

1. Hydrocalcite et calcite. Épaisseur moyenne : 0,30 m ; 0,20 m vers le Passage et 0,50 m vers le milieu de la salle. À la base, charbons de bois pris dans la calcite reposant sur la couche n^o 2.

2. Argile humide stérile contenant des larges plaques de calcaire décollées du plafond, en position horizontale. Les terrassements sous la Vache38 de 5,50 m en ont mis au jour cinq, enterrées dans cette couche. Si elles étaient peintes, la couleur avait totalement disparu. C’est le point le plus faible de la voûte. À la découverte, quatre dalles jonchaient le sol. Elles ont été placées, redressées sur l’accotement de la paroi, où on peut toujours les voir à l’endroit où elles étaient tombées au-dessus des derniers remplissages de terre. D’autres chutes se préparent. En octobre 1956, nous avons ramassé sur le sol une écaille couverte de cristallisations peintes en noir, tombée durant la nuit. Une large écaille, décollée de 3 cm, ne tient plus que par son pédoncule. Fâcheusement, elle porte une petite partie du tracé de la corne gauche du Grand Taureau. Il semble cependant, étant donné l’absence de déchets dans l’hydrocalcite, que c’est surtout entre 17 000 ans et 8 000 ans [BP] que s’est produit le plus grand nombre de chutes. Épaisseur de la couche : 0,15 m.

3. Paléosol39 important, épais de 0,03 m environ, contenant de nombreux charbons et une grande quantité de bois de renne brisés et spongieux.

4. Argile de base stérile.

81Des infiltrations d’eau venant de l’entrée percolent sous la calcite en s’infiltrant dans la couche archéologique hétérogène. [Cette couche] doit être assez riche sous les autres gours, qui perdent de plus en plus de fraîcheur. Si on envisage de les supprimer dans le futur, les fouilles seront délicates à conduire pour sortir intact le mobilier osseux.

Coupe C2

82Le paléosol (fig. 11) semble ne plus exister au contact de la paroi des peintures, où l’argile de base est en connexion directe avec la couche stérile n^o 2 surmontée de l’hydrocalcite (Peyrony, 1950, p. 135). M. Laval n’a pu fouiller cet endroit, qui était recouvert par la prolongation des gours en calcite, comme je l’ai vu le 28 septembre 1940 en visitant la grotte. La veine de sable blanc se trouve généralement dans le paléosol.

83Les silex de la collection Laval n’ont pas été trouvés au pied de la Licorne [comme on a pu le dire], mais remis à M. Laval par ses élèves MM. Marsal et Ravidat. Ces derniers m’ont confirmé les avoir recueillis au site J [dans l’Abside].

Coupe C3

84Sur le bord ouest, au seuil du Passage, la calcite est surmontée d’un lit d’argile et de sable, ce qui est rare dans la grotte (fig. 11) :

1. Lit de sable : 0,02 m.

2. Couche d’argile sableux : 0,13 m.

3. Nappe de calcite : 0,12 à 0,15 m.

4. Lit d’argile très mince : 0,01 à 0,02 m.

5. Paléosol, silex, manganèse : 0,02 à 0,03 m. Charbons (quand la couche d’argile couvrant le paléosol est si ténue, il vaut mieux s’abstenir de placer des charbons dans la boîte du C14, car ils peuvent être pollués par le contact de ceux de la calcite).

85Le recoin situé en arrière de cette coupe n’a pas été fouillé. Il risque d’être bouleversé par des travaux d’aménagement, si on n’y prend pas garde.

86En face, à l’angle du Passage et de la salle des Taureaux, côté est du Passage, retournée tête en bas dans l’argile [de la] couche 4 précédente, une énorme masse de pierre siliceuse, en silex brun jaune enveloppé d’une gangue gréseuse, d’un poids de 15 kg, était à mihauteur cimentée dans la calcite (fig. 12). La base arrondie disparaissait dans la couche d’argile n^o 2. Haute de 0,20 m, large de 0,25 m, redressée sur sa base convexe, la partie supérieure portait une cupule ronde de 0,10 m de diamètre40, 0,025 m de profondeur ; aucun sillon de déversement sur le côté. Le fond de la cupule semble avoir subi l’action du feu par des traces rougeâtres41. Un bloc semblable avec cupule a été trouvé par M. Lapeyre, dans la même position retournée, sur le côté gauche de la salle d’entrée de la grotte à gravures de La Mouthe, dont l’abbé Breuil nous a chargé de publier les dessins par testament olographe42. La situation des deux blocs et leur cupule donnent à penser à une lampe tribale d’éclairage fonctionnel constant43. Nous en avons projeté le profil au pointillé sur la coupe C344.

Fig. 12 — Gros bloc de silex à cuvette piquetée, découvert renversé dans la couche archéologique, dans la salle des Taureaux, entre l’entrée du Diverticule axial et celle du Passage (20 sur 25 cm). Posée sur le rebord de la cuvette, une pierre considérée par A. Glory comme « son pilon » (cliché B. et G. Delluc).

LE FOND DU DIVERTICULE AXIAL

87Toutes les coupes ont été prises avant l’achèvement des travaux de climatisation. Aussi montrent-elles l’aspect des lieux avec l’ancienne installation des canalisations électriques, qui, en général, sauf dans la salle des Taureaux et le Passage, n’avaient pas [encore] entamé la couche archéologique, comme le montre la coupe D1.

Coupe D1

88Ou coupe du Cheval inversé45 (fig. 13) :

1. Déblais modernes mélangés à une couche d’argile remaniée et canalisation en béton.

2. Nappe très mince de calcite dont le niveau est visible sur les bas-côtés de la paroi débarrassée des terres. Épaisseur : 0,01 m.

3. Argile arénacée de couverture. Épaisseur : 0,10 m.

4. Paléosol. Épaisseur : 0,10 m. Cet endroit retiré de la grotte forme une alcôve, autour d’un rocher en surplomb sur lequel a été peint en jaune un cheval renversé. Ce lieu a servi de petit atelier pour tailler les lames de silex, comme l’indiquent 4 éclats en silex blond, habillés de leur cortex. L’un d’eux s’adapte parfaitement à l’un des côtés, épannelé, d’un nucléus blond, muni de son cortex. Dans ce site, 8 lamelles en silex noir, dont une retouchée en grattoir, et 4 lamelles en silex blond, plus ou moins complètes.

89À 0,40 m du sol, trois lames, deux noires et une jaune, groupées ensemble, avaient été cachées dans une perforation naturelle de la paroi (fig. 14). L’une d’elles, noire, longue de 0,07 m et large de 0,015 m, était couverte, sur les deux faces et à moitié de longueur, de peinture rouge sur la moitié la plus mince, opposée au bulbe épais, qui devait être tenu en main46.

90Dans le Diverticule axial, peu de matériel en silex : un gros éclat noir utilisé comme racloir, une lamelle, un débris de lame épaisse et un mince bout de lame avec encoche bilatérale et bout légèrement retouché.

91Le paléosol se poursuivait sous un retrait de la paroi, parsemé de granulations de charbons de bois, de poudre colorante et d’une colonie d’une centaine de myriapodes entièrement calcifiés47. Pattes, antennes étaient intactes sur un corselet annelé, évidé, d’une légèreté telle qu’un souffle le portait en l’air.

Fig. 13 — Fond du Diverticule axial. Coupe transversale D1 (dessin A. Glory). La couche archéologique est indiquée par une ligne ponctuée. Voir Lascaux inconnu, fig. 63, p. 71.

92[Le paléosol] s’engageait aussi dans un boyau étroit, mais comblé de terre, sur une longueur d’à peine un demi-mètre (voir la coupe D2). Une grande quantité de charbon de bois carbonisé [y] démontre un séjour prolongé.

935. La couche sous-jacente était formée d’argile feuilletée avec des sables gris clair. Épaisseur : 0,35 m.

946. L’argile de base, plastique et homogène, [est] d’épaisseur inconnue.

Coupe D2

95Diverticule axial. Cheval inversé. Fouilles de 1954. Derrière le Cheval inversé se trouve une sorte de petite chambre donnant accès à un diverticule bas, que les guides avaient déblayé sur une longueur de 5 m environ48. Comme nous avions découvert au plafond des gravures49 qui se prolongeaient dans le lointain, nous avons continué le travail de déblaiement. Ce diverticule se présente sous l’aspect suivant de haut en bas (fig. 15)50 :

96– 0,20 m à 0,30 m, vide supérieur ;

97– 0,05 m (plus ou moins), couche d’argile brune compacte et silt ;

Fig. 14 — Fond du Diverticule axial, avec, sur la paroi gauche, le Cheval inversé (ou renversé) et, sur la paroi droite, le Bison et le Cheval rouge « à côtes » [selon l’expression de A. Glory]. La flèche indique l’emplacement d’une anfractuosité dans le rocher : elle contenait trois lames de silex (photomontage J. Lagrange).

Fig. 15 — Fond du Diverticule axial, sous le Cheval rouge. Coupe D2, le long de la paroi. A. Glory, devant cette coupe, le corps étendu dans le Méandre, montre le niveau de la couche archéologique : a, dessin A. Glory ; b, cliché J. Lagrange. Voir Lascaux inconnu, fig. 64, p. 72.

98– 0,15 m à 0,25 m, couche d’argile claire et sablonneuse contenant charbons, silex, os, colorants ;

99– à partir de 0,30 m à 0,40 m du sol, argile foncée, feuilletée, stérile, compacte et sèche.

100Dans la seconde couche et dans les zones supérieures, nous avons recueilli (avec Fontalirant, Fouillade, Roussot) :

101– des petits os d’oiseau, de taupe, de campagnol et de lérot, une chrysalide et des débris d’un œuf de volatile, remis à M. le Pr. Jean Piveteau et déterminé par Jean Bouchud ;

102– un morceau de nucléus en silex gris, un racloir en silex noir, une lamelle en silex gris retouchée, une lamelle atypique en silex noir, un débris de lame épaisse et 3 minuscules [silex] : planche 4, n^os 9, 10, 11, 12 (fig. 16)51 ;

103– des débris minéraux de matière colorante (ocre, rouge sanguine, ocre rose, ocre jaune, manganèse, kaolin blanchâtre) et une petite palette triangulaire n^o 1652 ;

Fig. 16 — Planche 4, dessinée et légendée par A. Glorya. « Collection Glory

104– des fossiles et débris de fossiles provenant de la décomposition de la paroi (petite dent de requin, radioles d’oursin, petites Ostrea du calcaire crétacé).

105En 1954, fouilles Michou53 : 2 débris de silex, marqués sans numéro, un osselet du carpe de patte antérieure gauche de renne, une extrémité proximale de radius de patte antérieure gauche de renne (détermination par F.-E. Koby et A. Glory, Bâle, 27 février 1955), [un] métatarsien de jeune bouquetin (F.-E. Koby).

LE PASSAGE

106Comme le montre la coupe H, le Passage a été garni de couches de base obliques, de sable et d’argile, sur lesquelles se sont déposés les paléosols sur toute la largeur de la galerie. Les électriciens en avaient enlevé une bande de 1 mètre en largeur et la partie haute, le long de la paroi occidentale, s’était déchiquetée en partie. Aussi, nous n’avons relevé que la zone orientale, grâce à un élargissement de 0,75 m de l’ancien passage.

107Le trop-plein des gours de la salle des Taureaux s’y est engagé en façonnant une série de gours secondaires jusqu’au point G54, marquant une perte importante dans une fissure latérale.

Fig. 17 — Deux burins très semblables : a, celui découvert au point B2 du cône d’éboulis ; b, celui découvert par J. Lagrange dans le Passage, au niveau de la coupe E. Ils étaient considérés par A. Glory comme les témoins de la contemporanéité de la couche archéologique de la grotte et de celle du cône d’éboulis

Coupe E

108À 4 m du seuil du Passage débute la coupe E55 :

1. Calcite de gour surmontée d’hydrocalcite. Épaisseur : 0,10 m.

2. Argile compacte stérile. Épaisseur : 0,10 à 0,15 m.

3. Paléosol brun parsemé de charbons, de matières colorantes et de silex. Épaisseur : 0,03 à 0,04 m. Un burin d’angle épais sur troncature oblique en silex noir56 a la même taille, la même forme et la même teinte que celui mentionné [au point] B2 de la coupe A, ce qui confirme la similitude d’époque des deux niveaux57 (fig. 17 et fig. 18, n^os 1 et 2).

4. Couche sableuse avec convections globuleuses. Épaisseur : 0,02 m.

5. Couche d’argile fendillée, compacte. Épaisseur : 0,10 m.

6. Sable fin clair de ruisseau. Épaisseur : 0,15 m à 0,25 m.

7. Argile compacte. Épaisseur : 0,10 m.

8. Lit de sable fin. Épaisseur : 0,02 m.

9. Argile feuilletée avec alternance de lentilles de sable fin. Épaisseur inconnue.

Coupe F

109À 5 mètres de l’entrée :

1101. L’hydrocalcite a disparu ne laissant que de la calcite de base, compacte. Épaisseur : 0,03 m.

1112. Argile compacte et sable clair stérile. Épaisseur : 0,09 m.

Fig. 18 — Planche dessinée par A. Glory. 18 burins. La légende de cette planche n’a pas été rédigée par A. Glory. Onze pièces ont été identifiées grâce aux planches publiées dans Lascaux inconnu (fig. 73, n^os 3 et 5 ; fig. 74, n^os 1 à 6 ; fig. 75, n^os 1 à 3) et l’origine de certaines d’entre elles est précisée : 1, 3 et 4 viennent du Cône d’éboulis ; 2 et 7, du Passage ; 8, des déblais du Puits (travaux de 1959) ; 13, de l’Abside ; 9 et 17, de la Nef, au niveau des Blasons. Les sept autres pièces n’ont pas pu être identifiées : n^os 10 à 12, 14 à 16 et 18.

1123. Paléosol rougeâtre. Épaisseur : 0,03 m. Contenant une sagaie58 et une aiguille à chas59, des charbons de bois et des matières colorantes rouges. La sagaie (fig. 19), en position horizontale, était placée perpendiculairement à l’axe de la galerie. La base [est] rouge, avec les empreintes stalagmitées d’un enroulement d’un lien ayant servi à l’emmanchement (fig. 20). Cette partie préhensible était tournée vers le milieu du Passage et l’autre pointe libre était dirigée vers la paroi. L’aiguille (fig. 21) était en position horizontale à proximité (fig. 22).

113Dans cette couche et dans la couche suivante, argileuse, était tombée du plafond une pluie de deux espèces d’écailles de calcite : les unes [sont] blanches, sous le paléosol et dans le paléosol, et les autres sont colorées en rose, au-dessus du paléosol, dans la couche n^o 2. Cette observation indique que le revêtement stalagmitique granuleux de la voûte et des côtés, sur lequel subsistent encore des chevaux peints en partie détériorés, a commencé à desquamer avant l’arrivée des Hommes et après leur départ de la grotte, et que les peintures du Passage, qui ont disparu, sont celles qui étaient peintes sur le calcaire qui a été limé par les circuits de convection d’air. Depuis 8 000 ans, aucune desquamation des parois ne s’est produite. C’est ce que nous avons déjà dit à propos de la couche 2 de la coupe C1.

Fig. 19 — Sagaie en ivoire blanc « Bugue 01 », couverte partiellement d’une croûte d’argile jaune calcitée, découverte dans le Passage (coupe F). Longueur : 23 cm

Fig. 20 — Détail de la base de la sagaie « Bugue 01 », découverte dans le Passage (coupe F). Cette pièce remarquable conserve, sous la croûte d’argile calcitée, dans le mastic à l’ocre rouge, l’empreinte du lien qui la solidarisait à son emmanchement

Fig. 21 — Aiguille à chas « Bugue 03 », découverte dans le Passage (coupe F). La pointe fait défaut. Une cassure a été réparée avec un papier collant. Longueur : 4 cm

1144. Couche d’argile. Épaisseur non mesurée.

Coupe G

115[Coupe du] Gour du Cerf60 (fig. 23), [située] entre 6,50 m et 7 m de l’entrée61 :

1161. Le gour proprement dit, profond de 0,20 m, est constitué par de la calcite homogène, dure, à bord incurvé vers l’amont, arrivée des eaux. La zone d’hydrocalcite, épaisse de 0,10 m, constituée par des cristaux très fins, enchevêtrés entre eux à la manière des coraux par le dépôt périodique (annuel ou bisannuel) de calcite flottante en période d’assèchement, avait enrobé des bois entraînés de l’extérieur. Ces derniers étaient groupés dans la poche du fond, engagés dans la calcite dure, épaisse de 0,03 m. Nous en avons recueilli environ 50 grammes pour l’analyse du C14 à Groningen (GrO n^o 1514 : 8 060 ± 75 BP).

Fig. 22 — Planche dessinée et légendée par A. Gloryi

Fig. 23 — Passage. Coupe transversale G, au niveau du « Gour du Cerf »

1172. Couche argileuse peu épaisse en contact avec des charbons de bois pulvérulents et pourris et deux palettes calcaires avec traces de peinture rouge au centre. Lorsque les objets préhistoriques ont une forte épaisseur ou qu’ils sont entassés, leur sommet dépasse la couche archéologique et traverse les couches supérieures. C’est leur base seule qui indique leur ancienneté. Épaisseur : 0,03 m maximum.

1183. Paléosol peu épais : 0,02 m, contenant62, à côté des palettes (fig. 24, 25 et 26), un crayon de manganèse, avec stries de raclage, et un petit morceau de peroxyde de fer carmin violacé. À proximité, gisaient un andouiller de massacre de cerf, long de 0,25 m (fig. 27), 5 débris et une lamelle en silex63 (fig. 28, n^os 8, 9, 10 et 11), une grande esquille d’os taillée en burin bec de flûte, émoussée par l’usage (fig. 29), un débris d’os atypique et des charbons de bois recueillis à la pince dans les parties les plus profondes de l’argile, à cet endroit et dans les environs, y compris dans la coupe F en contact avec l’aiguille à chas. Nous avons reçu du laboratoire de Groningen l’analyse n^o 1632 (16 950 ± 135 BP), soit 17 000 ans à partir du temps présent. Cette date permet donc de dater le dernier et seul paléosol de la grotte.

Fig. 24 — Objet minutieusement relevé et légendé par A. Glory : « Gour du Cerf. Plaquette calcaire surchargée d’ocre rouge et couverte en superficie d’une légère couche de concrétion blanche. Couleur se rapprochant du rouge violacé ». Le relevé montre les plages colorées, avec une légende préparée sur un bout de papier (non reproduite ici) : ligne en zig-zag, rouge diffus ; traits obliques parallèles, rouge foncé ; trait tireté, crête ; trait pointillé, crête douce ; cup, cupule. Un relevé schématique de cet objet apparaît sous le n^o 3 de la figure 74.

Fig. 25 — Godet en calcaire façonné, découvert dans le « Gour du Cerf » du Passage (14,5 cm x 13,5 cm et 2,5 cm d’épaisseur). La cupule, piquetée, conserve du pigment rouge (cliché B. et G. Delluc).

1194. Couche d’argile plastique. Épaisseur : 0,08 m.

1205. Zone de terre sableuse jaune clair, truffée de concrétions ocrées gréseuses, d’épaisseur inconnue.

Coupe H

121[Coupe située] à 8 m du seuil du Passage64 (fig. 30 et 31) :

1. Nappe de calcite. Épaisseur : 0,10 m.

2. Lit d’argile compacte. Épaisseur : 0,06 m.

3. Paléosol contenant des charbons de bois et des lamelles en silex, des granulations de manganèse et d’hématite. Épaisseur : 0,03 m.

4. Couche d’argile brunâtre. Épaisseur : 0,04 m.

5. Mince filet plus clair d’un paléosol plus ancien révélé par de rares granulations de charbon de bois. Épaisseur de quelques millimètres.

6. Zone argilo-sableuse claire, parsemée de pisolites gréseux et inconsistants. Épaisseur : 0,13 m.

7. Lit sableux rougeâtre. Épaisseur : 0,03 m.

8. Nappe d’hydrocalcite. Épaisseur : 0,03 m.

9. Argile compacte fendillée. Épaisseur : 0,20 m à 0,30 m.

10. Sable fin clair de ruisseau. Épaisseur : 0,04 m.

11. Argile feuilletée alternée de lentilles de sable clair. Épaisseur : plus de 0,90 m.

122Cette coupe, que nous avons descendue assez bas à dessein, nous révèle, pour la première fois à Lascaux, la présence d’un second paléosol, plus ancien que le premier, mais si ténu que nous n’avons trouvé, jalonné sur plusieurs mètres jusqu’à la coupe I, qu’un grain de charbon tous les 1 à 2 m, ce qui était insuffisant pour une analyse de C14.

123Au-dessous, les périodes de dépôts d’argile (eaux boueuses) alternent avec des dépôts de sable clair (eaux courantes).

Coupe I

124[Coupe située] à 12,40 m du seuil du Passage :

1251. Nappe de calcite épaisse de 0,05 m à 0,08 m.

1262. Argile compacte stérile. Épaisseur : 0,05 m.

1273. Paléosol constitué par des charbons, des granulations de matières colorantes et une lame de silex.

1284. Couche sableuse claire. Épaisseur : 0,05 m.

1295. Réapparition d’un mince paléosol constitué par des granulations de charbons, analogue à la coupe H.

Fig. 26 — Planche 7m dessinée et légendée par A. Glory. « Collection Glory. Fouille du Gour [du Cerf]

Fig. 27 — Andouiller de cerf découvert dans le « Gour du Cerf » du Passage. Longueur 25 cm (cliché B. et G. Delluc).

1306. Zone perturbée d’argile et de sable avec concrétions brunes et petits blocs d’argile bouleversés, d’épaisseur inconnue.

131Sur la berge d’en face, côté occidental, subsistaient par endroits des lambeaux de paléosol, constitués par une croûte rougeâtre de micro-paléosols tassés. Nous en avons tamisé un certain nombre, pour en retirer des lamelles de silex et des débris de matières colorantes. Nous avons gardé quelques plaquettes à titre de témoins et pour servir à des analyses ultérieures. La couche de calcite était absente, seule une nappe d’argile arénacée, tassée par les piétinements des premiers visiteurs, servait de couverture.

132Vers 12 m [du seuil du Passage], entre les coupes H et I, sous le panneau gravé des Chevaux (paroi occidentale)65 comprenant des restes de peinture rouge habillant un cheval et une tête très fine de vache gravée, se trouvaient réunis côte à côte une palette de couleurs en calcaire garnie de rouge, un godet stalagmitique empli de rouge, un silex et deux petites écailles de calcaire enduites de charbon de bois.

133Lampe d’éclairage, palette du peintre, godet à peinture et silex pour racler la matière colorante, groupés sur une surface restreinte, sur un sol à 0,80 m du plafond et de la paroi, marquaient l’endroit où le peintre avait opéré66. Nous avons été obligé de nous étendre sur le dos, les bras en l’air et recroquevillé à genoux, pour relever les gravures de cet endroit en 1953. Il est fort probable qu’utilisant la même hauteur de sol, à 10 cm près, le peintre avait pu avoir la même position, pour être libre de ses gestes sur une pente à 30^o 67.

L’ABSIDE

Site J

134D’après le témoignage des guides, MM. J. Marsal et M. Ravidat, les silex et les sagaies de leurs collections ont été recueillis à cinq doigts de profondeur au seuil du Puits, dans la salle de l’Abside, en 1940 (fig. 32 à 37)68.

135Sous le Bison à sept flèches, au début de la Nef, il y avait 2 coquillages percés et, dans le Diverticule des Félins, des lamelles en silex avaient été enfoncées dans les cavités des bas-côtés des parois69.

Fig. 28 — Planche 6, dessinée et légendée par A. Glory. « Collection Glory. Puits et Gour du Cerf

Fig. 29 — Deux fragments de diaphyse d’os long, provenant du Passage (Bugue 28 et Bugue 29). Bugue 28 a été trouvé en 1957 dans le « Gour du Cerf ». A. Glory pensait qu’ils avaient pu servir à graver : a, Bugue 28 (longueur de 100 mm) ; b, détail de la pointe du verso de Bugue 28 ; c, Bugue 29 ; d, détail de la pointe du verso de Bugue 29 (cliché B. et G. Delluc).

Fig. 30 — Passage. Coupe H vue de l’Abside vers la salle des Taureaux, avec indication de la tranchée des visiteurs (dessin A. Glory). Voir Lascaux inconnu, fig. 42, p. 57.

Fig. 31 — Aspect du Passage en 1975 pendant la mission dirigée par Arl. Leroi-Gourhan, pour préparer Lascaux inconnu. Vue de la salle des Taureaux vers l’Abside (cliché A. Leroi-Gourhan).

Fig. 32 — Planche 1, dessinée et légendée par André Glory. « Collection Laval. Objets lithiquesu

Fig. 33 — Planche 2, dessinée et légendée par A. Glorykk. « Collection Ravidat-Marsal. Planche aux sagaiesll

Fig. 34 — Planche 3, dessinée par A. Glory. « Collection Ravidat. [Objets] trouvés devant le Puits dans l’argilemm :

Fig. 35 — Planche dessinée et légendée par A. Glorynn. « Collection Marsal. Objets lithiques et osseux trouvés dans l’Abside

Fig. 36 — Planche dessinée et légendée par A. Glory.

Fig. 37 — Planche dessinée par A. Glory. Deuxième partie de la « sagaie Ravidat » (longueur 19,5 cm). Elle apparaît brisée en trois morceaux. En fantôme, la trace de la première partie (fig. 36, n^o 1).

Fig. 38 — Planche dessinée et légendée par A. Glorytt. « Collection Parvau. Objets lithiques provenant de l’Abside. Silex provenant de la boîte ‘‘abbé Breuil’’, trouvés en 1940 dans la salle de l’Abside devant le Puits

Site K

136D’après un témoignage oral, M. l’abbé Breuil, en 1940, avait fouillé le sol très sableux de l’Abside, au pied du panneau du Cerf gravé de la paroi sud73. À 5 et 6 cm de profondeur, il a retiré 6 lamelles sans retouches, en silex noir, gris et jaune, que j’ai dessinées (fig. 38), et un paquet de fines aiguilles sans chas. La seule qui me soit parvenue74 (fig. 39), longue de 82 mm, sera décrite plus loin75 : planche 9, n^o 2 (fig. 22, n^o 2).

LA NEF

Coupe L

137Dans la profonde tranchée, creusée au début de la Nef pour y placer l’exutoire d’air climatisé, une coupe stratigraphique (fig. 40) fut photographiée du côté de la frise des Cerfs, sous la verticale du [cerf] n^o 3. Nous en donnons la description, à l’aide d’un calque sur lequel sont silhouettés les parcours des couches déformées par l’objectif76 :

Fig. 39 – Très fine aiguille sans chas « Bugue 02 », découverte au site K dans l’Abside par l’abbé H. Breuil. Longueur 8,2 cm (dessin A. Glory, voir fig. 22, n^o 2 ; cliché B. et G. Delluc).

Fig. 40 — Nef. Coupe L, au pied de la paroi ouest, sous la frise des Cerfs : a, A. Glory, étendu, montre la couche archéologique, au niveau d’un os (cliché J. Lagrange) ; b, dessin de A. Glory pour expliciter la photographie. Voir Lascaux inconnu, fig. 44, p. 58.

1. Sous une couche de 0,20 m de déblais d’aménagement (1945), un lit d’argile arénacée, épais de 0,15 m, descendait la pente de la Nef.

2. Nappe de calcite blanche provenant du trop-plein des gours du Passage. Épaisseur : 0,03 m.

3. Argile brune stérile. Épaisseur : 0,07 m.

4. Paléosol clair contenant os, charbons, silex (ce silex est une lame de crête, à section triangulaire, long éclat d’un ravivage de nucléus) et matières colorantes. Épaisseur : 0,04 m.

5. Argile sableuse stérile. Épaisseur : 0,06 m.

6. Lit d’argile compacte avec rares charbons. Second paléosol. Épaisseur : 0,04 m.

7. Couche sableuse beige claire stérile. Épaisseur 0,20 m.

8. Argile compacte de base. Épaisseur inconnue.

138En face, dans l’autre berge77, un gros amoncellement de charbons de bois était mélangé à des ramures de renne brisées. Une mâchoire de renne78 (fig. 41) [était] posée à plat sous une pile de plaquettes calcaires appelées « lampes » (fig. 42).

Fig. 41 — Mandibule de renne (aujourd’hui séparée en deux hémi-mandibules, A et B, d’une longueur respective de 12 cm et 18 cm), découverte sous une pile de « lampes » en calcaire, dans la Nef, au site L’ (cliché B. et G. Delluc).

Coupe M

139À la hauteur des damiers tricolores appelés « Blasons », sur un rebord rocheux naturel [au point M’], étaient posés un crayon d’ocre jaune sur une plaquette calcaire, nommée palette79. Ces objets, non recouverts de terre, situés en hauteur à 2,40 m du sol de la découverte, ont été recueillis en septembre 1940 et remis au propriétaire. Il est curieux que le matériel du peintre, oublié sur une corniche80, n’ait pas été touché par les spectateurs de l’époque, alors que les silex étaient soigneusement cachés dans des trous rocheux. Ces objets étaient considérés peut-être comme tabous, ou le droit de propriété était estimé avec crainte.

Fig. 42 — Lampe en calcaire à cupule façonnée par piquetage, découverte dans la Nef, au pied de la paroi des Cerfs. Longueur 24 cm (cliché B. et G. Delluc).

140Au pied de ces Blasons (fig. 43), nous avons relevé la coupe suivante81 (fig. 44) :

1. Sous une couche de 0,30 m de déblais modernes s’étendait de l’argile arénacée ancienne, épaisse de 0,20 m.

2. Nappe de calcite compacte très dure. Épaisseur : 0,10 m.

3. Mince lit d’argile, absente vers la berge occidentale. Épaisseur : 0,02 m à 0,03 m.

4. Paléosol assez épais contenant une grande quantité de lampes et d’ossements de renne et de charbons. Épaisseur : 0,10 m.

141Alignées contre la paroi des Blasons [au point M’’], 11 plaquettes calcaires sur 3 rangs superposés (certaines encore vierges de tout charbon) semblent indiquer une réserve de matériel d’éclairage. Une ramure entière d’un renne82 (fig. 45) a pu être retirée en partie au milieu d’un grand amoncellement d’ossements, associés avec de nombreux silex et une grande quantité de charbons de bois. Nous en avons réservé une cinquantaine de grammes pour le C14. La mort de M. de Vries a suspendu les opérations, mais la boîte d’échantillons est toujours à Groningen. Trois lames de silex ont été trouvées à cet endroit, ainsi que des plages de manganèse en poudre.

142Les ouvriers ont creusé le sous-sol jusqu’au seuil du couloir menant au Diverticule des Félins. Entre le resserrement des parois [au point M’’’], en aval des Bisons acculés, formant une sorte de cuvette, l’hydrocalcite avait atteint une épaisseur de 0,50 m. Elle recouvrait un monceau d’ossements et de ramures de renne, noyés dans de l’argile poisseuse, qui a été laissé en place, l’entreprise ayant reçu l’ordre d’arrêter les terrassements à cette profondeur.

LE DIVERTICULE DES FÉLINS

Coupe N

143La rampe d’accès, accessible par une étroite chatière, débouche dans un petit vestibule et une salle basse longue de 2 m, appelée Cabinet des Félins (fig. 46). À 1,50 m en contrebas du panneau gravé des Félins83, sur la paroi ouest, se trouve, incluse dans l’étroit sol calcaire, large de 0,50 m, une sorte de baignoire naturelle, longue de 1 m. Elle était comblée de sédiments anciens superposés en 3 couches :

1441. Sol tassé et durci par le piétinement des visiteurs qui ne pouvaient avancer qu’en rampant. Apparentée au silt, l’argile brune contenait des granulations calcaires et charbonneuses. Épaisseur : 0,03 m.

1452. Paléosol d’argile arénacée, ocre jaune clair, enrobant une poche placée contre la paroi aux dessins et à l’extrémité sud de l’excavation. Cette dernière [poche] (fig. 46, n^o 2) contenait des particules d’ocre rouge, une grosse poignée de charbons de bois. Un fragment pâteux blanc rosé (kaolin mélangé avec de la sanguine) enveloppait 2 belles lames en silex noir84. La première, longue de 81 mm, ainsi que la seconde, longue de 48 mm, a gardé sur toute sa face ventrale des taches de cet enduit qui pouvait être utilisé en peinture. Dans une petite fissure (fig. 46, n^o 1), était coincée l’épiphyse proximale d’un métacarpien gauche de renne femelle (détermination F.-E. Koby et A. Glory au Muséum de Bâle, Suisse).

Fig. 43 — Nef, au pied de la Vache noire et des Blasons. Le genou de l’archéologue se trouve approximativement à la hauteur de la couche archéologique de la coupe M. La photographie a été prise par J. Lagrange à la fin des terrassements de 1958, après que A. Glory eut dessiné les coupes L et M.

Fig. 44 — Nef. Coupe transversale M, à l’aplomb du cerf n^o 3 de la frise, avec les lieux de découverte d’objets : M’, sur la corniche, à la hauteur des Blasons (crayon d’ocre jaune et palette) et M’’, au pied de la paroi (plaquettes calcaires en réserve). À ce niveau, dans la couche archéologique (en ligne pointillée), furent découverts de nombreux objets : le grand bois de renne, des ossements de renne, des silex, des charbons de bois et du manganèse (dessin A. Glory). Voir Lascaux inconnu, fig. 45, p. 59.

Fig. 45 — Grand bois de renne (long de 45 cm), découvert au pied de la paroi des Blasons, dans la coupe transversale M (cliché B. et G. Delluc).

1463. La couche profonde en contact avec la roche encaissante tapissait le fond de cette excavation. Elle était constituée par de l’argile feuilletée, marquée de fleurs de manganèse. C’est l’argile de base déjà indiquée précédemment.

Fig. 46 — Diverticule des Félins. Plan et coupe longitudinale N-Q, avec emplacement des coupes N et O, des sites d’observation P et Q et des lieux de découverte d’objets 1 à 10. Plan et coupe mis au propre par M. Orliac pour Lascaux inconnu (Leroi-Gourhan Arl., fig. 46, p. 61), complétés par B. et G. Delluc grâce aux indications fournies par A. Glory dans son manuscrit.

Fig. 47 — Diverticule des Félins. Venant de la Galerie du Mondmilch, A. Glory pénètre dans le Cabinet des Félins. Il montre trois traits noirs sur le panneau portant les Félins (cliché collection A. Glory, MNHN).

147Les petites cuvettes calcaires, qui jalonnaient les bas-côtés de ce lieu, étaient remplies des deux lits précédents : à la base, la couche n^o 3 et, en surface, la couche n^o 1.

148En décapant l’argile des cupules naturelles (fig. 47), qui garnissaient le sol reliant le Cabinet des Félins au Cabinet des Chevaux (longueur : 2,30 m)85, nous avons observé que la roche mise à nu était teintée d’ocre rouge, parsemée de particules charbonneuses provenant de « lampes » manuelles que nous avons retrouvées dans un puits situé à quelques mètres86. Le soufflage de la poudre rouge sur les parois peut expliquer cette coloration d’ambiance.

Coupe O

149Le Cabinet des Chevaux, faisant suite, présente la même érosion karstique au pied de la paroi ouest, peinte et gravée presque uniquement de chevaux. Le sol est creusé par une fissure étroite de 0,20 m à 0,50 m, profonde de 0,40 m. La longueur de 3,70 m se divise en 3 petites cavités, dont le remplissage était identique à celui du Cabinet des Félins :

1. Croûte d’argile brune dure et tassée. Épaisseur : 0,03 m.

2. Argile arénacée jaune clair avec lentilles de paléosol. Épaisseur : 0,30 m à 0,35 m.

3. Couche d’argile de base. Épaisseur : 0,05 m.

150Au fond de la première cavité (fig. 46, n^o 3), dans un paquet d’argile ocrée, saupoudrée de manganèse pulvérulent et truffée de charbons de bois, une petite lamelle en silex noir, au bord arasé de fines retouches87, était associée à une petite palette en calcaire dur, en forme de coupelle, munie d’un manche naturel plus épais (0,095 mx0,08 m), à profil légèrement incurvé. Son usage était double : la partie convexe est couverte d’ocre rouge et la partie concave porte d’anciennes traces de manganèse. Elle était en connexion avec un osselet pyramidal du carpe droit d’un petit renne, probablement femelle d’après M. le Dr F.-E. Koby.

151Ces associations d’osselets de renne avec du matériel à peinture, en cinq endroits de la grotte, dont les deux derniers sont exclusifs, uniques et de sexe femelle, ne semblent pas être une pure coïncidence. Coupe A : renne ; coupe B : daim ([au point] C) ; coupe D : osselet du carpe [de] renne ; coupe N : métacarpien de renne femelle ; coupe O : osselet carpien de renne, probablement femelle.

152Une intention de conjonction magique entre ces os, symbolisant les pieds de l’animal, et les peintures, destinées à des cérémonies d’envoûtement, peut être mentionnée à titre d’hypothèse. Ces os peuvent aussi avoir servi de pilon pour broyer les couleurs, tout en leur vouant une vertu magique bénéfique.

153Dans un agglomérat d’ocre rouge et de bois tourbifié de la seconde cavité (fig. 46, n^o 4), se trouvait, à 0,20 m de profondeur, un burin à coup oblique, du type bec de flûte, en silex noir88.

154Au bout de la troisième cavité (fig. 46, n^o 5), contre la paroi proche du Gouffre, sous 0,15 m de profondeur, dans un paquet d’ocre rouge et de charbons de bois, était déposée une palette en calcaire gréseux, de forme plus ou moins triangulaire, longue de 0,12 m, large de 0,105 m. La partie évidée était teintée d’ocre rouge. Elle recouvrait 2 lames en silex noir. L’une, très épaisse, est longue de 75 mm ; son bord droit concave a gardé son cortex pour la préhension ; son bord gauche, convexe, est grossièrement retouché puis finement abrasé, à arête émoussée par utilisation ; des particules d’ocre rouge indiqueraient que ce bord a servi à racler la matière colorante89. L’autre débris de lame, large, possède aussi des traces d’ocre rouge sur le bord écaillé, et les deux faces sont couvertes du même enduit blanc signalé plus haut90.

155Au-dessus (fig. 46, n^o 6), vers 0,05 m du sol, les restes tourbifiés d’une corde tressée en matière végétale, longue d’environ 0,30 m, étaient écrasés entre deux feuillets d’argile. Placée dans l’axe du passage, son extrémité aboutissait à une gouttière naturelle tombant dans le Gouffre, comme si elle avait été brisée à cet endroit (fig. 46, n^o 7 et fig. 48)91. Nous en donnerons, plus loin, la description et les analyses d’authenticité.

Site P

156Après cette extraordinaire découverte, s’ouvre un chapelet de gouffres profonds de 4 mètres environ92, dont la largeur est commandée par l’étroitesse de la diaclase. Le fond très étroit est à la profondeur du seuil de la chatière, de sorte que, par les eaux d’infiltration, il a été bourré de mondmilch ou d’hydrocalcite (Ca CO³ 6 H²0), épaisse de 0,15 m à 0,20 m. Dessous [cette hydrocalcite], un lot d’une dizaine de plaques calcaires ayant servi de bougeoirs formait une sorte de dallage (fig. 46, n^o 8). Sous l’une d’elles et vers la paroi gravée du Bison n^o 8093, enrobée d’ocre rouge et de charbon de bois abondant, se trouvait, vers 0,30 m de profondeur, une lamelle en silex, à bord et à bout travaillés94. C’est le type de lamelles que D. Peyrony attribuait à la culture périgordienne, s’échelonnant du faciès II au [Périgordien]final.

Fig. 48 — Diverticule des Félins. A. Glory montre l’endroit où il découvrit les vestiges d’une corde (au point 6, voir fig. 46). Au premier plan la gouttière naturelle tombant dans le Gouffre (cliché collection A. Glory, MNHN).

157Sous ce paléosol, la couche de calcite inconsistante ou mondmilch se continue profondément.

Site Q

158Au-delà du Gouffre, au fond de cette galerie, au pied du premier Bison gravé95, le sol renfermait un petit foyer, à 0,30 m de profondeur composé de charbons et d’un gros os long d’animal, diaphyse sans épiphyses, brisé en plusieurs endroits (fig. 46, n^o 9).

Fig. 49 — Boulettes d’argile mêlée à du manganèse, provenant d’une boîte, marquée par A. Glory : « Lascaux. Manganèse mêlé à de l’argile, proche du fond de la Galerie des Félins ». La boîte contient une trentaine de boulettes d’argile mêlée à du manganèse, d’une taille allant de celle d’un pois chiche à celle d’une prune, sans compter les menus fragments et la poussière. La couleur de cette argile mêlée de manganèse est brun tabac plus ou moins foncé.

159À 1,75 m plus loin, au début d’une nouvelle galerie comblée d’argile, nous avons recueilli, en essayant de la déboucher, une dent jugale de lait, supérieure, d’un Equus de forte taille, et mis au jour, à côté, une cachette de bioxyde de manganèse (fig. 46, n^o 10). La poche noire pulvérulente mesurait 0,25 m en profondeur et 0,15 m à 0,20 m en largeur (fig. 49). Elle contenait, en outre, un morceau de pyrolusite minéralisé (manganèse cristallisé), gros comme une noix, et un paquet ocre jaune d’or, du volume d’une orange.

160C’était la réserve la plus importante de peinture, d’une quantité de 10 dm³ de poudre noire, dans l’endroit le plus retiré de la grotte. De quoi refaire un autre Lascaux !

161Cette précaution dénoterait la valeur commerciale qu’on attachait aux matières colorantes, pour pouvoir servir sans doute de monnaie d’échange.

LE PUITS

Fouilles du Puits

162Les coupes rendent bien compte des différents aspects du sous-sol de la galerie du Puits [et des changements] subis en l’espace de 20 ans. Nous avons reconstitué celle de 1940 à l’aide des marques que le paléosol avait laissées contre les deux parois, d’après les communications orales de l’abbé Breuil, les conversations que j’ai eues avec M. Blanc et nos premiers souvenirs de descente de 1940 à 1948.

163Nous avons dessiné la couche archéologique en une bande striée, inclinée à 25^o environ, surmontée d’une ligne pointillée représentant la silhouette du sol à la découverte en 1940 (fig. 50). Il s’agit d’un remplissage de pente analogue à celui du seuil de l’entrée : les couches d’éboulis étaient inclinées à 30^o. Nous en connaissons la genèse depuis qu’un trou d’effondrement s’est ouvert dans l’Abside en 196196 : il indique le passage par où étaient descendues autrefois les terres venant des galeries supérieures, lesquelles nous avons supposé dater du début du Quaternaire97. Comme nous avons aussi signalé que l’épaisseur des dépôts n’était pas synchronisée avec le temps, mais dépendait de l’agressivité de l’érosion, on peut encore remonter plus haut dans le temps. Nous n’avons pas de preuves de la présence de sables sidérolithiques du Tertiaire dans ce remplissage. Peut-être ont-ils été aspirés plus bas ?

164En 1947 et 1948, MM. Breuil et Blanc ont enlevé le bas de la descente en étalant les déblais vers le fond de la galerie : nous avons pu [en] mesurer l’épaisseur, grâce à un lit de feuilles de fougères que les fouilleurs avaient pris la précaution de disposer auparavant. Le profil obtenu est indiqué [sur la coupe longitudinale] par la ligne tiretée horizontale se relevant avec un front de taille à deux paliers, cotée par les Ponts et Chaussées en 1949 : point le plus bas à 82,50 m ; bas de l’échelle à 84,60 m (fig. 50 à 53).

165À la suite d’une visite sur les lieux et par une lettre du 17 juillet 1960 de l’abbé [Breuil], nous savons qu’une grande sagaie en os, longue de 0,46 m98, présumée en position verticale, gravée d’une rainure axiale, se trouvait en bas de la couche descendant très fort. Elle fut retirée par M. Blanc qui, la tête en bas, ne pouvait passer que le bras seul dans l’étroiture (fig. 53).

166« Je suis convaincu que si l’on pouvait doubler latéralement ce détroit par l’au-delà du Puits, on trouverait, dans le couloir sous-jacent se rélargissant, un tas appréciable de résidus tombés d’en haut dans un couloir actuellement inaccessible... Ce serait épatant si on trouvait un puits à offrandes, peut-être bien conservées, à l’étage inférieur. Je suis en train de rêver peut-être, mais qui ne projette rien n’a rien...»99

Fig. 50 — Coupe longitudinale et coupe transversale schématique de la galerie du Puits. Elles montrent l’emplacement des différentes fouilles et l’évolution du niveau du sol au fil du temps depuis la découverte en 1940 jusqu’en 1962. En pointillé fin, la ligne de sol après la fouille de H. Breuil et S. Blanc en 1949. Le trait millésimé 1960 délimite la masse de sédiments enlevés du sol du Puits en 1959- 1960, avant le début des fouilles proprement dites de A. Glory. En 1, la 1^re coupe, au début des fouilles de A. Glory en 1959. En 2, la 2^e coupe (ou coupe R), à 0,50 m de la première. En 3, la 3^e coupe, à la fin des fouilles de A. Glory en 1961. Voir Lascaux inconnu, fig. 55, p. 65.

167Un croquis de l’abbé [Breuil] montre que l’étroiture était constituée par deux saillies rocheuses opposées sous lesquelles se trouvait une poche plus large qu’il m’avait recommandé de vider.

168En pratique, pour poursuivre les fouilles dans ce puits étroit, il fallait évacuer tous les anciens déblais. J’en profitais pour dégager la diaclase jusqu’au sol rocheux.

169L’opération a débuté le 19 décembre 1959 avec l’aide de 5 manœuvres. Elle comportait la remontée des terres d’une profondeur de 10 mètres, uniquement dans des seaux portatifs, et leur évacuation à l’extérieur loin de l’entrée pour ménager le site. Cet épuisant travail fut interrompu le 24 décembre : on ne pouvait plus respirer par manque d’oxygène.

170En branchant un manchon en tissu sur l’exutoire d’air frais climatisé de la Nef, les terrassements, repris le 25 avril, se sont terminés le 4 mai 1960. Environ 20 m³ de terre furent ainsi soigneusement tamisés avant leur évacuation100. Les ouvriers estiment qu’il faut 15 à 16 brouettes par m³. Nous avons ainsi recueilli un canon et un tibia de renne, des dents et osselets de microfaune, 10 petits morceaux et 7 importants débris de fûts et de pointes de baguettes, sagaies, lissoirs, alênes, à section ronde et ovale, un crayon de peroxyde de fer minéralisé, violacé, un morceau de sanguine onctueuse, une dizaine de plaquettes calcaires, noircies de carbone, 35 microlamelles, lamelles à bord écrasé et à bord abattu, généralement brisées. L’une d’elles était encore enrobée d’un enduit rose cristallisé avec empreinte du manche en bois101, un burin axial et un autre d’angle sur troncature ; 200 fragments de bois de cervidés, sans doute du renne ; un coquillage marin, gastéropode, à test épais et usé, avec essai de sciage à la base du péristome102.

171Ces objets gisaient dans les couches supérieures des terrassements et ne furent plus rencontrés au cours du second mètre. Les trois derniers mètres étaient absolument stériles ; il est impossible qu’il y ait eu succion des terres à l’époque des peintures et que les Préhistoriques soient descendus aussi bas puisqu’il n’y a pas de galerie inférieure.

Fig. 51 — Première étape d’une planche en cours d’élaboration, avec comme compléments les figures 52 et 53 (dessin A. Glory). La légende de la planche complète était rédigée : « Collection Blanc

172Comme on le voit sur la coupe [transversale schématique] AB (fig. 50), haute de 14,50 m, la diaclase se rétrécit au point de n’être plus qu’une fissure large de 0,10 m, que l’ouvrier a dégagée avec une pelle à main étroite et un crochet. Nous avons enlevé une profondeur de 5,50 m de dépôts argileux venant buter sur le pied de l’éboulis qui doit être plus ancien : le profil de ce travail est indiqué par un trait pointillé et tireté, millésimé 1960.

173Il était, dès lors, facile de reprendre les fouilles sur une plate-forme en bois suspendue et de remplir la fissure sous-jacente avec les nouveaux déblais soigneusement tamisés. Elles se termineront en 1961, nivelant le sol à une altimétrie de 82 m environ, profilé par une ligne pleine, millésimée 1962.

Nouvelles fouilles103

174Le front de taille débutait à la verticale des pieds arrière du Rhinocéros104, entre la largeur des deux parois matérialisée par une règle en bois, longue de 1,15 m, dont les bouts s’encastraient dans des coches creusées dans le rocher. À partir de cet horizon (le point zéro de la couche A [est] surélevé de 20 cm), un cadre en bois, peint en bleu, couleur discernable sur les kodachromes, carrelé ultérieurement en décimètres carrés par des fils tendus, divisait le plan de la fouille en carrés de 10 cm de côté. Les objets numérotés sur place étaient repérés au fil à plomb et reportés sur un papier millimétré, à l’échelle de réduction de 1/5 (fig. 54 et 55).

Fig. 52 — Complément de la figure 51 (dessin A. Glory). À droite, sagaie décrite sous le n^o 2, avec un détail de son décor (à gauche), et un autre dessin de l’objet décrit sous le n^o 5 (en haut, au milieu). En outre, un autre dessin du décor de la sagaie décrite sous le n^o 4 (au milieu).

Fig. 53 — Complément de la figure 51 (dessin A. Glory). Grande sagaie décrite sous le n^o 1.

Fig. 54 — A. Glory et J.-L. Villeveygoux, en 1960, pendant leurs fouilles dans le Puits. Le panneau Homme-Bison est situé sur la paroi droite, au-dessus de A. Glory (cliché J. Lagrange).

175Pour mesurer la profondeur, un second cadre était tendu verticalement à partir de la règle initiale. Les objets, repérés au niveau d’eau, étaient marqués par projection sur une coupe millimétrée renouvelée tous les 50 cm. Lorsqu’un objet méritait une mention particulière, par exemple le brûloir en grès et le bougeoir (voir plus loin), nous dessinions tous les détails des couches et des accidents terreux sur un transparent cellophane, appliqué directement sur le front de taille et réduit à l’échelle sur un papier millimétré (fig. 56 et 57).

176Enfin, pour servir de témoignage et pour conserver aux archives un document authentique, nous avons réussi, avec le concours de M. Bohmers, conservateur du musée de Groningen, Hollande, à retirer de la fouille, une coupe stratigraphique de 0,40 m x 0,01 m, formée des éléments naturels terreux (sable, graviers, argile, pierrailles, silex, charbons, etc.), enrobés dans un rideau de celluloïd plastifié. Le tout, sous verre, a été encadré (fig. 58)105. À notre connaissance, en France, c’est la première expérience de ce genre qui ait été tentée en grotte.

Coupe R

177Coupe à 0,50 m du front de taille106 (fig. 59) :

178A. Couche d’argile compacte tassée brune, mouchetée de granulations calcaires, avec résidus modernes (allumettes, ampoules de lampes électriques...). À la base, une nappe plus claire de calcite. Épaisseur : 0,05 m.

179Nous pensons que le sol de la découverte doit se situer [au niveau de] la couche de calcite qui recouvrait, comme un tapis de neige, tout le sol de la grotte en septembre 1940. Depuis, il s’est chargé des terres descendues par les premiers visiteurs utilisant d’abord un arbre ébranché, puis une échelle de corde.

180B. Argile arénacée de teinte claire, homogène stérile. Épaisseur : 0,10 m.

181C. Complexe archéologique débutant par des chapelets de grains de charbons épars : 2 déchets de taille de plaques calcaires. À gauche, contre la paroi, assemblage de plaquettes calcaires constituant un luminaire (voir description plus loin). Reposant sur une assise de poudre de manganèse et d’ocre rouge largement étalée, silex et charbons de bois [étaient] groupés dans des lentilles d’argile brune dans un ensemble plus clair arénacé.

182Ces étagements de nids d’homme107, échelonnés le long des côtés des deux parois rocheuses, marquent plusieurs époques d’occupation. Épaisseur : 0,15 m à 0,20 m selon les endroits.

Fig. 55 — Plan de la couche archéologique établi par A. Glory pendant ses fouilles dans le Puits (1959-1961), avec l’emplacement des coupes dessinées (1^re, 2^e et 3^e coupes), l’emplacement de la coupe moulée (en 18) et le détail des objets. On reconnaît particulièrement le « brûloir » en 5 et le « chandelier » en 23-26. La légende de ce plan est la suivante : a, paroi ; b, vestiges provenant des déblais ; c, fragment de charbon ; d, colorants ; e, lame à arêtes doucies ; f, lame à dos avec mastic ; g, lamelle à dos ; h, vestige lithique ; i, vestige osseux ; j, lampe ou fragment de lampe ; k, plaquette, palette ; l, nappe d’ocre rouge et de manganèse. Ce dessin de A. Glory a été mis au propre par M. Orliac pour Lascaux inconnu (Leroi-Gourhan Arl., 1979, fig. 59).

Fig. 56 — Puits. Coupe transversale au début des fouilles de A. Glory en 1960 (1^re coupe). A, calcite ; B, argile ; C, couche archéologique, indiquée par une ligne pointillée ; D, sable ; E, paléosol argilo-sableux, avec rares charbons ; F, sable et argile. Voir Lascaux inconnu, fig. 56, p. 66.

183D. Couche d’argile arénacée de teinte claire stérile. Épaisseur : 0,05 m à 0,10 m.

184E. Mince nappe d’argile ondulée, jalonnée de rares charbons, surmontée à droite d’un paquet de poudre colorante rouge. Épaisseur : 0,01 m.

185Est-ce la réplique du second paléosol inclus dans la coupe H ? Il est bien difficile de l’affirmer, car il est au niveau du brûloir, et les zones d’occupation sont disséminées en îlots. Au début des fouilles, une ligne de paléosol très ténue et continue, marquée par des granulations charbonneuses et située à cette profondeur, était nettement plus différenciée.

186F. Tapis de sable blanc très fin alterné avec des feuillets d’argile. Épaisseur : 0,10 m à 0,15 m.

187G. Zone à plaquettes d’argile feuilletées, brassées, sans orientation définie, sorte de petit chaos de blocs d’argile déchaussés. La cause de cette dislocation, que l’on rencontre également dans la zone [ou plutôt le niveau] n^o 6 de la coupe I, ne semble pas être due à une violente arrivée d’eau, qui l’aurait cimentée, ni à la présence d’animaux fouisseurs, mais à des vibrations des parois latérales provoquées sans doute par de violentes secousses sismiques.

188Nous avons déjà présenté, dans la revue Gallia, la coupe du front de taille, à l’occasion de la publication de la découverte du brûloir108. La coupe R [est située] à 0,50 m du point zéro.

189Le plan [de la couche archéologique] relate l’emplacement de tous les objets par projection verticale. [Leurs] positions ne sont pas dues au hasard. Ce plan nous suggère les déductions suivantes qui s’appliquent aussi à l’ensemble de la fouille.

OBSERVATIONS SUR LES FOUILLES DU PUITS ET CELLES DES GALERIES

LE PUITS : ÉTAT DU PALÉOSOL

190Le paléosol occupait tout l’espace compris entre les deux parois et s’étendait devant tout le panneau peint, jusqu’aux pieds arrière du Bison éventré, en remontant une pente naturelle de 25^o. Il était constitué par des plages lenticulaires d’argile brune, imbriquées dans une couche d’argile arénacée jaune clair, épaisse de 0,10 m à 0,15 m, en forme de poche épaisse au centre et amincie sur les bords, remontant vers les parois.

LE PUITS : AMÉNAGEMENT DU PALÉOSOL

191Il ne semble pas que la surface du sol ait été aménagée par les Préhistoriques, que la pente ait été redressée en paliers. Cependant certains objets, comme le brûloir, les luminaires, les palettes, avaient été équilibrés horizontalement avec le concours de cales en terre ou en pierre. Les Préhistoriques, de préférence, ont occupé les bas-côtés des parois.

192Les silex, les chutes des matières colorantes, les luminaires ont été trouvés à droite et à gauche, échelonnés le long du roc qui a gardé la trace de ce voisinage.

Fig. 57 — Puits. Coupe transversale à la fin des fouilles d’A. Glory en 1961 (3^e coupe). Les objets 62 et 63 n’étaient pas situés dans la couche archéologique, mais à la surface de la couche B, c’est-à-dire sur le sol de 1940, tout au fond de la galerie. Ils figurent sur le plan de la figure 55 sous la rubrique « déblais ». La couche archéologique est en D. Voir Lascaux inconnu, fig. 58, p. 67.

193À l’aplomb du Rhinocéros, les parois sont passées à la peinture noire. À 0,75 m à la verticale, sous les pieds de l’Homme, et à 0,60 m sous les sabots du Bison éventré, une dizaine de taches noires avec éclaboussures sont imprégnées dans la roche non peinte. Des essais de gravure sous la forme de petites lignes courbes ont été tracés [à] 0,60 m en verticale au-dessous du Bison109.

194En face, à 0,85 m au bas du Cheval noir, la paroi est aussi couverte de grosses taches noires éclaboussées, mais, en plus, elle porte des traînées noires très localisées. Outre les chutes de peinture liquide, elle a donc été peinte intentionnellement.

LE PUITS : ASSOCIATION DES SILEX ET DES COLORANTS

195Les 47 silex, recueillis entre 0,12 m et 0,30 m de profondeur, se divisent en trois catégories fonctionnelles :

• les éclats de taille ;

• les lames et lamelles non retouchées ;

• les lamelles très fines, travaillées. Celles-ci, presque des aiguilles, ont un côté abrasé ou abattu avec soin. Ces dernières, marquées de restes de peinture rouge, épaisse, montrent qu’elles ont servi au malaxage de la pâte colorée. On peut se demander si ces fines aiguilles, recueillies surtout à cet endroit, où les peintures pariétales rouges n’existent pas, n’ont pas été utilisées à d’autres fins lors des cérémonies d’initiation110.

196La coupe R montre des plages d’ocre rouge et de manganèse assez étendues, très homogènes dans leur inclusion dans le paléosol, mais qui se désagrégeaient en poudre fine au simple contact de la pince ou de la spatule. Il semblait qu’autrefois, la poussière colorante était liée par un liquide ou un lipide qui s’est absorbé.

Fig. 58 — Puits. Tranche de sédiments prélevés en 18 du plan (fig. 55), à quelques centimètres en avant de la coupe R (ou 2^e coupe). Ce prélèvement a été inclus dans du celluloïd (cliché collection A. Glory, MNHN).

197Si la présence de manganèse en poudre et de nodules de pyrolusite était attendue devant ces panneaux peints en noir (à gauche le Bison éventré, à droite le Cheval)111, on ne peut expliquer, d’une façon utilitaire, la présence de noisettes minéralisées d’ocre rouge (hématite) et d’une petite palette à ocre rouge, calée avec des boulettes d’argile au pied de ces mêmes panneaux.

198Ces teintes rouges ont été employées sur place, à cet endroit retiré de la grotte, à des opérations que l’abbé Breuil et nous avions supposées rituelles, soit pour parer de dessins, de tatouages ou de scarifications la peau de jeunes initiés, soit pour enduire les sagaies et les pointes en os et leur conférer, par cette consécration, une puissance de frappe plus juste.

LE PUITS : ASSOCIATION DES OBJETS EN OS ET DES COLORANTS

199Nous n’avons pas trouvé, dans nos fouilles, un seul objet osseux. Ils avaient dû glisser au bas de la pente. Les instruments incomplets ne manquaient pas dans les déblais. Ils seront décrits plus tard.

200Nous sélectionnons les plus importants : un fût de baguette long de 0,095 m à section demi-ronde ; 2 pointes de sagaie à section ovale ; 2 fines pointes d’alêne, à section ronde, longues de 0,085 m et 0,10 m ; un fût de spatule à bout aplati, long de 0,14 m ; 3 pièces ont été brisées anciennement. Toutes ont été frottées avec de l’ocre rouge, l’une avec de l’ocre brune. Examinées au binoculaire, les mouches éparses de fleur de manganèse qui les tachent recouvrent les pigments rouges insérés dans la patine de l’époque. Le même caractère existe sur la plupart des menus morceaux des autres pièces. La sagaie entière, que nous avons extraite à la coupe F112, était entièrement enrobée d’ocre rouge, ce qui a permis à la cordelette, qui la ligaturait à la hampe, de laisser son empreinte à l’un des bouts.

Fig. 59 — Puits. Coupe transversale R (ou 2^e coupe), à 0,50 m du début des fouilles. On remarque en particulier les éléments du « chandelier », les nappes de colorants : a, manganèse et ocre rouge ; b, ocre rouge. Les chiffres renvoient à l’inventaire du plan (fig. 55). Voir Lascaux inconnu, fig. 58, p. 67.

201Ce badigeonnage intentionnel, qui ne peut être mis sur le compte d’un contact accidentel avec un dépôt de couleurs ou l’action colorante de la couche environnante, ne peut être expliqué que par des intentions mystiques. Lucien Lévy-Bruhl avait déjà, dès 1912, attiré l’attention des chercheurs [sur le fait] que, chez les Primitifs, les armes qui servent à la guerre ou à la chasse doivent, avant usage, acquérir des vertus mystiques par des opérations magiques (Lévy-Bruhl, 1922, p. 383). Les études ethnographiques ont confirmé les rites chez les peuples sibériens (Lot-Falck, 1953, p. 158, avec des rappels ethnographiques [sur les] rites de chasse). Les indigènes divers d’Australie recherchent avec empressement l’ocre rouge qui leur sert de succédané au sang humain dans les cérémonies d’initiation (Page, 1941, p. 45).

202Les hommes agglutinent leurs cheveux avec de l’ocre rouge mélangée de graisse et de boue. Les femmes, pour maintenir leur résille, emploient, comme épingle, une baguette de bois de la taille d’un crayon. Ces baguettes en bois de renne pouvaient avoir le même usage.

203Si nous ignorons le genre d’opérations magiques qui se livraient en ce lieu, nous pouvons du moins, par déduction, en prouver l’existence et en recueillir les objets, en notant le rôle rituel que ceux d’aujourd’hui peuvent jouer dans les cérémonies des peuples chasseurs actuels. À titre d’exemple, au cours des rites propitiatoires des Goldes (Sibérie), « dans les armes empilées sur le sol sont plantées des baguettes qu’on ramasse à l’issue de la cérémonie en s’exclamant sur le nombre d’animaux tués. De toute évidence, le contact entre les armes et les baguettes symbolisant le gibier, préfigure la chasse du lendemain, et, sous les coups des Goldes, tombera une quantité d’animaux égale à celle des baguettes » (Lot-Falck, 1953, p. 121).

Fig. 60 — Emplacement du « brûloir » dans le paléosol du Puits. Cette vue du brûloir « en place » est, en fait, une mise en scène (cliché et schéma de A. Glory : Gallia Préhistoire, 1961, p. 175, fig. 1). En effet, comme le raconte avec précision l’archéologue, la découverte du « brûloir » a été faite au tout début des fouilles, le 8 juillet 1960, en creusant une sorte de terrier par-dessous l’objet : l’extrémité du manche avait été repérée sur la coupe primitive. A. Glory, après cette découverte faite dans des conditions non orthodoxes, a continué à fouiller sur 50 cm de large, le long de la paroi nord de la galerie, correspondant à la moitié environ de sa largeur, et sur une longueur de quelques dizaines de centimètres. Sur ce cliché, en arrière-plan, on voit une coupe : celle qu’il a moulée (fig. 58) et dont il a localisé la position en 18 du plan (fig. 55). C’est seulement ensuite qu’il a repris la fouille sur toute la largeur de la galerie.

LE PUITS : LE BRÛLOIR EN GRÈS ROSE

204Nous avons déjà exposé dans cette revue (Glory, 1961)113, que c’est à la base de la couche C, à 0,30 m de profondeur et à 0,37 m de la paroi (fig. 60), qu’avait été déposé horizontalement, sur la pente du paléosol au bas duquel se tenait le porteur, un brûloir en grès d’une perfection étonnante (fig. 61).

205Cette pièce unique par sa conservation n’était pas un objet usuel. Le choix du grain de la pierre, sa taille équilibrée, sa forme artistique, son polissage soigné, sa décoration reproduisant les signes stylisés gravés sur les sagaies, que certains ethnographes considèrent comme des adjuvants de prière silencieuse (Lot-Falck, 1953, p. 89), orientaient cet objet vers une destination religieuse. Elle n’était pas seule à cet endroit, le bord d’une seconde pièce brisée à l’époque gisait au fond du couloir114 (fig. 62 et 63).

Fig. 61 — Le « brûloir » en grès rose, découvert, le 8 juillet 1960, par A. Glory dans le Puits (longueur : 22,4 cm). La cupule conserve des vestiges de combustion. Ce cliché a été pris par A. Glory très peu de temps après la découverte.

206Le fond de la cupule contenait des débris de végétaux qui n’avaient pas été déplacés depuis leur combustion, par la chance inouïe d’une entorse à la règle des fouilles qui permit d’extraire le cuilleron par chute libre de haut en bas115.

207Les résidus charbonneux avaient la forme de deux petites pelotes et de trois petits cocons, longs d’une douzaine de millimètres, qui, au binoculaire, apparaissaient constitués par des fibrilles végétales entrelacées. Elles étaient groupées au centre de la coupelle, les pelotes à gauche, les cocons à droite, sur un amas de poussière noire et grise de 4,5 cm d’étendue (fig. 64).

Fig. 62 — Fragment du second « brûloir » en grès rose : a, avers ; b, revers (longueur : 3 cm). Cet objet a été découvert dans les déblais qui ont été extraits du Puits en 1959-1960 pour permettre au chercheur de commencer ses fouilles (cliché B. et G. Delluc).

208Les premiers résultats de l’étude micrographique, faite par le Centre technique du Bois, indiquent la présence de feuilles de genévrier calcinées.

209Comme la surface intérieure de la cupule n’avait pas de cerne de l’action directe du feu, nous avons pensé à de la combustion lente de feuilles séchées, enroulées en cigare, dont un bout aurait reposé sur le bord gauche de la margelle. À cet endroit, une pellicule de carbone avait pénétré dans la pierre.

210Les fumigations ont toujours joué un rôle important dans les préparatifs de chasse, soit pour enfumer les chasseurs et leurs armes, ce qui leur enlève l’odeur d’homme humée à distance par l’animal méfiant, soit pour éloigner les mauvais esprits chez les peuples sibériens. Est-ce une coïncidence, une persistance ou une rémanence des vieux rites paléolithiques, que les herbes aromatiques et le genévrier ont une vertu purificatrice chez les Beltirs de Sibérie ? (d’après Zelenine, 1952, p. 36 et 212)116.

Fig. 63 — Dessin par A. Glory du fragment du second « brûloir », interprété par comparaison avec le premier (Glory, 1961, p. 181).

L’ÉCLAIRAGE : LES CHANDELIERS ET LES RATS DE CAVE

211Le célèbre panneau du Bison éventré, au pied duquel fumigeait un brûle-parfum, la frise des Cinq Cerfs déroulée sur 5 m, le Taureau noir long de 4 m du Diverticule axial et la longue procession des Taureaux noirs de l’entrée [de la salle des Taureaux], étalée sur un fond calcaire de 25 m pour être appréciés à distance, réclamaient un éclairage d’ensemble bien réparti dans les salles, pour en noyer les ombres.

Fig. 64 — Fouilles du Puits. Flacon marqué par A. Glory : « Gros morceaux de charbon de bois de la lampe 8.7.60 ». Il contient cinq morceaux de charbon allant de la taille d’une cerise à celle d’une demi-prune, très légers, comme des cendres sorties d’un foyerbbb.

212Aussi a-t-on appelé « lampes » plus de 200 plaquettes calcaires, trouvées dans les fouilles, exposées prudemment, sans pouvoir en préciser l’emploi.

213En général, elles étaient soit groupées par deux ou trois écailles placées à plat sur le sol, soit entassées les unes sur les autres le long des parois rocheuses. La plupart étaient renversées, recouvrant des débris charbonneux.

214Avant la fouille du Puits, nous avions été impressionné par le nombre d’escarbilles vermiculées qui garnissaient le centre des plaquettes, généralement pourvues d’une petite dépression naturelle. Nous avions admis, avec l’abbé Breuil, que des brindilles végétales, sorte de longues allumettes, avaient été piquées dans un socle graisseux ou argileux et que, tenue à la main, cette sorte de chandelier portatif117 avait été d’un emploi commode pour graver les parois et les plafonds situés à 3 m au-dessus du sol de l’époque118.

215Cette hypothèse de travail tenait également compte des découvertes du même genre faites dans les autres grottes ornées. En 1942, M. Cazedessus nous avait montré dans ses collections de nombreuses plaquettes en schiste, trouvées à l’abri de la Roque, commune de Montespan (Haute-Garonne) (Cazedessus, 1923). Il pensait qu’elles avaient dû servir d’assiettes, mais d’autres collègues y voyaient des supports d’éclairage.

216Dans la caverne des Trois Frères, entre deux planchers stalagmitiques, H. Breuil avait extrait, entassées comme une pile d’assiettes, des plaquettes en grès fissile, adossées contre une colonne stalagmitique. À l’intérieur des galeries ornées, on en avait ramassé un lot assez abondant, une centaine, dispersées ou réparties en certains points, ayant servi, « je pense, écrit l’abbé Breuil, de ‘‘lampions’’ mobiles à paquet de graisse, munis d’une mèche à une extrémité qui porte généralement des traces de brûlures (souillures charbonneuses et rubéfaction de l’extrémité large de la plaquette), en somme une sorte de chandelle ». D’autres plaquettes en schiste, plus rarement en calcaire, avaient des traces fugitives de gravure ; éparpillées un peu partout dans la caverne, elles avaient aussi servi de chandeliers (Bégouën, Breuil, 1958, p. 103, 104 et 105).

217En Italie, dans la grotte de la Sorcière (Grotta della-Basua), une attachée au Service des Antiquités de Gênes, Virginia Chiappella Montezemolo, remarqua des petits tas de charbons de bois, qui apparaissaient en surface ou sous un revêtement d’argile. Ils étaient particulièrement fréquents dans la salle la plus éloignée de l’ouverture, où l’on parvient après 400 m de parcours souterrain. F. Lona détermine ces charbons comme appartenant à des conifères et des chênes. A.-C. Blanc propose d’y voir des restes de torches de bois résineux, plantées dans le sol où elles ont brûlé jusqu’au bout (Blanc, 1957, p. 60).

218Enfin, dans la grotte ornée d’Aldène ou de Fauzan (Hérault), où nous avons relevé des gravures et découvert une figure en 1944 (Glory, 1957a, p. 536), des brandons de genévriers, déterminés par M. Jacquiot de l’Institut technique du Bois, étaient plantés dans le sol argileux d’une nouvelle galerie récemment ouverte par l’abbé D. Cathala. L’âge paléolithique était attesté par le sceau d’une empreinte stalagmitée de hyène (Malvesin-Fabre et Parriaud, 1955, p. 429).

219Le curieux bâti d’un amoncellement de plaquettes calcaires, à 0,50 m du front de taille, dessinées sur le plan et sur la coupe R119 (fig. 55 et 59), confirmait120 toutes les découvertes précédentes.

220Appuyée en biais contre la paroi rocheuse gauche, la plaquette n^o 26, échancrée à un bout, formait une sorte de caniveau, à angle obtus avec le bord mitoyen, également échancré, de la plaquette n^o 24. La position oblique de cette dernière avait été obtenue grâce au soutènement de deux cales en calcaire n^os 25 et 25^bis et de quatre boulettes d’argile pressée.

221Les deux échancrures conjointes enserraient un chapelet de bâtonnets de charbon de bois, dont la base, incurvée à droite, passait sous l’écaille 24. La partie supérieure de ce qui avait été le flambeau s’épanouissait en panache : des filaments blanchâtres retombaient sur le côté gauche, tassés sous le poids de la plaque 23, évidée naturellement en son centre, faisant office de couvre-feu. Malheureusement notre appareil photo était en panne et mon assistant absent pour quérir un photographe. Je dessinais sur mon bêtisier ce curieux phénomène. Au contact de la pince, cette formation cristalline s’est réduite en poudre, que nous avons placée dans un tube pour un examen optique au binoculaire. Le cigare en charbon de bois a été introduit dans un autre tube pour être déterminé par l’Institut technique du Bois121 (fig. 65).

222La terre sur laquelle reposait l’appareil de pierre avait été rubéfiée par la chaleur ; elle était aussi saupoudrée d’ocre rouge, farcie d’escarbilles de charbon de bois que je supposais appartenir à un résineux, car une petite partie de la croûte du paléosol du Passage avait beaucoup d’empreintes d’aiguilles de pins.

Fig. 65 — Fouilles du Puits. « Lascaux, mèche en bois, à côté du chandelier 1960 ». Gros morceau de charbon, avec de belles facettes d’éclatement du bois (longueur 3,3 cm ; largeur 15 mm ; 12 mm de section). Cliché B. et G. Delluc.

223J’ai dessiné sur place la disposition de toutes les pierres numérotées et, plus tard, en laboratoire, dans un coffret de bois, j’ai reconstitué avec les mêmes documents, ce qu’on pourrait appeler luminaire ou chandelier de caverne122 (fig. 59).

224Beaucoup de petits problèmes s’éclaircissaient.

225Les petites écailles jumelées ou triplées, placées côte à côte, enserraient donc, à leur jonction et vers le centre, une mèche en bois. Les écailles de calcaire servaient donc de bobèche. Ce qui explique pourquoi elles sont ignifiées123 d’un côté seulement et couvertes de vermiculations charbonneuses.

226Nous avons trouvé dans le paléosol beaucoup de petits déchets de taille, triangulaires ou anguleux, en calcaire. Ils provenaient de la préparation des bobèches qui, nous le verrons, ont des formes géométriques124.

227Enfin l’échancrure marginale était destinée au passage de la mèche.

228Dans le procès-verbal d’essais du 15 mars 1961, MM. Campredon, Jacquiot, Boisson, signataires, ont déterminé que la mèche provenait de deux essences résineuses, genévrier (Juniperus sp.) et Sequoia xylon125. La première mèche enfonça le résidu de la seconde, ce qui explique qu’un morceau avait dévié par pression sous le bloc n^o 26^bis.

229Mais il reste à éclaircir le rôle des filaments stalagmités. Le procès-verbal complémentaire du 20 juillet 1961 indique des essences feuillues de saule. Le saule commun ou saule blanc, qui borde habituellement les prairies marécageuses au bas de la colline de Lascaux, produit, dans sa tête noueuse, un menu bois, réservé autrefois à la chauffe des fours de campagne et comme allume-feu des foyers. Que les Préhistoriques en aient découpé de fines lamelles avec leurs micro-silex, qu’ils les aient reliés à la mèche en pinceau, c’est la seule explication plausible qui vient à l’esprit.

230Il serait évidemment rationnel de le confirmer par une contre-épreuve de laboratoire. Nous en avons l’intention.

231Ce genre de luminaire était fixe. D’après le nombre de 200 plaquettes recueillies126, soit sporadiquement dans les galeries, soit empilées ou groupées dans des réserves, au gouffre du Diverticule des Félins, au pied des Bisons acculés de la Nef et au fond du Puits au Bison éventré, en tenant compte de celles qui restent encore dans le sol non fouillé du Passage et de la salle des Grands Taureaux, on peut évaluer à une centaine les chandeliers qui ont servi à éclairer les peintres.

232Mais les gravures ? La difficulté que nous avons eue à relever, ligne par ligne, les gravures abritées dans les galeries à voûte basse, le corps ployé en deux dans le Diverticule des Félins, étendu sur le dos et sur le côté dans la galerie du Passage, le bon éclairage qu’il fallait pour distinguer les poils serrés des crinières des chevaux, les stries de remplissage dans les blasons de la coupole du Puits127, dont la densité varie de 8 à 6 traits au centimètre, demandait une lumière mobile et orientée. Ce ne sont pas ces plaquettes de schiste ou [de] calcaire, comme nous l’avions supposé un moment avec l’abbé Breuil, qui auraient pu assurer cette fonction128.

233En étudiant à Byblos, au Liban, la genèse des luminaires dans la Préhistoire orientale, pays où l’astuce pratique valait bien celle des Cro-Magnons, la visite des collections me porta à demander à M. Dunand, directeur des fouilles, les moyens d’éclairage qu’avait le menu peuple au Néolithique. D’après son aimable réponse, on ne connaissait pas, au III^e millénaire, les lampes à bec. Un tesson de poterie bombée, le bris d’un vase ou le fond d’une coupe servait de support à une simple mèche imbibée de graisse ou d’huile, pendant sur le bord. Vers 2 700 ans, au Bronze ancien final, apparaît une gouttière en terre cuite, munie d’un pédoncule de préhension sur le dessous. Longue de 6 à 7 cm, on posait, dans le creux, une mèche imbibée de graisse. Le bout pendant donnait une flamme assez vive, activée par le courant d’air du déplacement (Dunand, 1926-1932, p. 247, n^o 3636 ; p. 319, n^o 4387 ; p. 341, n^o 5085). Ces petites gouttières en terre cuite129, dont nous reproduisons trois exemplaires d’après l’atlas de M. Dunand, ont des dimensions apparentées. Longueur de 0,066 [m] à 0,052 [m], largeur de 0,035 [m] à 0,02 [m]. Les extrémités portent des traces de combustion.

234Si le tesson de poterie rappelle l’usage des godets magdaléniens, dont nous parlerons plus loin, la gouttière pourrait être l’héritage d’une idée plus ancienne qui aurait pris naissance au Paléolithique130.

235J’ai été intrigué à Lascaux par une trentaine d’os de renne provenant de fémurs et de métacarpiens, brisés aux épiphyses. Ces débris ont tous un air de famille : ils ne proviennent pas d’un broyage d’une hyène ou d’un félin des cavernes qui fournissent des éclats de forme différente, comme nous l’avons vu après une expérience faite à Bâle. [Ils sont] longs de 7 à 8 cm. Une extrémité a une pointe angulaire soit axiale, soit latérale ; l’autre est plus ou moins pointue. Certaines de ces gouttières avaient un des bouts ignifié ou charbonneux, bien qu’isolé de tout contact, dans la couche, avec un débris de charbon de bois. Nous avons figuré deux pièces particulièrement caractéristiques, longues de 7,5 cm, larges de 1,5 cm à 2,5 cm, dimensions analogues aux gouttières en terre cuite de Byblos131. D’autres avaient leur bout coloré, en rouge ou en noir, et servaient à une autre fonction.

236Ces « rats de cave »132, faciles à déplacer et à fabriquer, étaient l’éclairage idéal pour un graveur qui devait travailler dans toutes les positions, et souvent à des hauteurs périlleuses, comme à huit mètres au-dessus du vide, à la voûte du Puits133. Ailleurs, comme à Badegoule, la gouttière solutréenne était aménagée dans un test fossile de grosse coquille d’Ostrea, par des enlèvements d’écailles sur les bords (Cheynier, 1949, fig. 25, p. 77).

237Cette conjecture, fondée sur la similitude des réactions humaines très simples devant le même besoin de voir, n’efface pas l’emploi des godets à graisse134, car la cupule n’est pas l’apanage des encensoirs. Le musée de Saint-Germain et celui de Toulouse135 ont une remarquable exposition de godets en granite magdaléniens. La collection Lartet, qui a figuré à l’Exposition universelle de 1867, acquise au musée de Toulouse, comprend neuf massettes, ovoïdes en profil et discoïdes en plan, munies au pôle supérieur d’une petite cupule sans margelle, ni gouttière. Les fonds des cupules sont rugueux par piquetage, abrasif au toucher, car tous en granite. C’est le type même du broyeur manuel du droguiste, utilisé en préhistoire pour pulvériser les matières colorantes.

CHANDELIER À CUPULE OU BRÛLE-PARFUM ?

238Il en est autrement des objets cupulaires en calcaire, comme Lascaux nous [en] a livré un exemplaire au bas de la frise des Cerfs (fig. 42).

239C’est un petit bloc, sommairement dégrossi par taille et raclage de façon à obtenir une face supérieure aplanie, des côtés abrupts et un manche en saillie, ce dernier angulaire par l’abattage de deux plans. Longueur : 23 cm. Largeur : 16,5 cm.

240La cupule ellipsoïde (longue de 10 cm et large de 8 cm) n’est pas orientée dans l’axe de la pièce, mais vers l’axe du manche. [Elle] présente une fossette bien polie intérieurement, profonde de 1,5 cm. À la périphérie, on a ébauché une margelle, large de 1,5 cm, avec trace de noir de fumée sur le fond gauche. Ce bloc, assez lourd mais maniable, se tenant bien en main, n’est pas décoré136.

241Il a été dégagé, le cuilleron tourné vers le sol, comme les autres plaquettes calcaires [et] les bobèches des chandeliers, par le manœuvre que je suivais à la trace, n’ayant pas reçu mission de fouiller mais mission de surveillance et de sauvetage des pièces trouvées dans les terrassements de la climatisation. S’il avait fallu appliquer, aux autres galeries, la méthode des fouilles du Puits, la grotte de Lascaux n’aurait pu être visitée au moins avant dix ans.

242Cet objet est en tous points semblable à plusieurs de ceux trouvés par M. David à la grotte du Gabillou, qu’il nous a aimablement montrés dans sa résidence du Petit Mas137. Est-ce un brûle-parfum ? Est-ce une lampe ? Sa position en terre l’avait vidé de son combustible, mais il y en avait eu comme l’indiquent des traces noires au fond de la cupule et uniquement sur une petite partie du bord gauche. Celui du Gabillou, publié par le Dr Gaussen (1960, p. 60), a une gouttière fonctionnelle, qui n’a pas servi à déverser la graisse ou l’huile puisque son lit est plus bas que le fond de la cupule. La rigole aurait porté le bâton végétal odoriférant que l’on poussait au fur et à mesure de sa combustion. La matière noirâtre, contenue dans le cuilleron du Gabillou, même si elle avait été identifiée comme genévrier, pourrait être le résidu des feuilles employées comme encens ou le résidu des tiges utilisées comme lumière.

Fig. 66 — Lampe en calcaire à large cupule façonnée (pierres n^os 3 et 7 du Bugue ; voir note 13, p. 14). Son origine précise dans la grotte n’est pas connue. Elle est comparable à la lampe en calcaire façonnée retrouvée au pied de la frise des Cerfs, dans la Nef. Longueur : 26 cm (voir fig. 42).

243Dans l’ambiance des découvertes faites à Lascaux et exposées plus haut, ce brûloir, trouvé à proximité d’une réserve de bobèches importante, aurait plutôt été une cassolette (fig. 66).

CARBODENDROLOGIE

244Les commentaires particuliers relatifs aux différents endroits de fouilles, au nombre dépassant la vingtaine, sont à compléter par des gloses générales sur la carbodendrologie, la corde, la faune, les matières colorantes, la datation au C14 et l’époque à laquelle on peut attribuer cette civilisation, après la description des différentes pièces archéologiques (matériel lithique et matériel osseux)138.

LES RÉSIDUS DU PALÉOSOL

245D’après les résultats de la palynologie139, le paysage paléolithique de la région de Lascaux ne différait guère de son aspect actuel. La colline [était] couverte de pinèdes et de chênaies, sans doute plus touffues, enserrant des lagunes retenues par l’alèse marneuse du plateau. La crête des bordures n’avait pas été détériorée par les effondrements massifs du Tardiglaciaire : elle se couvrait de genévriers arborescents, ainsi que la pente, encore très abrupte, descendant vers la plaine.

246Les nombreuses sources, qui jalonnent la couche marneuse coniacienne imperméable, se dirigeaient vers la Vézère en de petits ruisseaux bordés de saules et d’aulnes, au milieu de prairies à herbes folles, coupées de temps à autre par des boqueteaux de bouleaux, d’ormes, de châtaigniers et de noyers. Dans cette forêt-prairie, dont on a retrouvé tous les pollens insérés dans la couche archéologique de l’entrée, les Préhistoriques pouvaient prélever la matière ligneuse dont ils choisissaient les essences, selon les fonctions auxquelles elles étaient destinées.

247Nous pensons tout de suite à la nécessité d’édifier des échafaudages pour graver à 3,50 m du sol de l’Abside et à 8 m au plafond du Puits140 (fig. 67). Dans une petite fissure, nous avons recueilli, avec des grains d’ocre rouge, des restes de bois charbonneux. Nous avons aussi retrouvé, sur les côtés du Diverticule axial, l’empreinte stalagmitée de l’appui des poutrelles entrecroisées qui avaient servi à peindre le Grand Taureau noir141.

248Ils avaient également besoin de bois pour s’éclairer, se chauffer et emmancher leurs outils. Les Préhistoriques ont apporté des bois dans la grotte, dont les déchets sont tombés sur son sol d’argile arénacée, particulièrement apte à en conserver la structure interne142.

249Les premières recherches datent de 1950. Elles sont le fruit du professeur E. S. Barghoorn, de l’université d’Harvard, mentionnées par M. Movius143 dans une lettre à M. Blanc datée du 16 novembre 1950 : « The botanical identification of the materiel in question seems absolutely certain... In all its details of structure, the Lascaux charcoal can be matched with the wood of Abies pectinata D.C., the European Silver Fr... It is more likely a branch than a young stem in view of the prevailing orientation of the rays to the trachieds these being not at right angles, as is normal in erect stems... » Il s’agit donc bien d’une détermination certaine d’une petite branche, plutôt que d’une tige, d’Abies pectinata, sapin argenté d’Europe. On sait que son extension actuelle va de l’Allemagne à la Corse.

Fig. 67 — H. Breuil et A. Glory, installés sur l’échafaudage de l’Abside, examinent les petits cervidés du panneau VIII (Vialou, 1979, p. 224 et fig. 254-255), gravés sur la voûte, au-dessus du Puits (cliché collection A. Glory, MNHN).

250Les secondes recherches furent confiées à l’Institut technique du Bois, dont la patience et les soins des spécialistes n’ont eu d’égale que leur compétence, exprimée en quatre procès-verbaux des 30 septembre 1959, 27 novembre 1959, 15 mars 1961 et 30 juillet 1961.

251Les résidus charbonneux étaient particulièrement abondants dans le réduit du Cheval inversé, dans la partie basse de la Nef et dans le fond du Puits. Ils se présentaient sous la forme de morceaux de ramilles de la gracilité des allumettes, de gros bois comme des quartiers de braise, des bouts de branches de la taille d’un gros crayon et, quelquefois mais rarement, du volume d’un pouce. L’aspect charbonneux revêtait plusieurs états : l’état crissant du charbon de bois, l’état fibreux et mou avec reflets fauves (sans doute tanins ou résines) et l’état pulvérulent. Bois carbonisés, bois plus ou moins calcifiés, bois tourbifiés devaient se partager notre souci de les extraire avec des pinces molles, le plus complet possible.

252Plusieurs boîtes métalliques de 50 grammes furent remises, étiquetées, à M. Jacquiot144.

253La présence de Séquoia a étonné beaucoup de préhistoriens145, comme la perfection des peintures a surpris beaucoup d’artistes. Le Séquoia, qui pousse naturellement en Floride, à diverses altitudes même à des températures assez fraîches, et qui a été récemment introduit en Europe où il croit normalement, avait disparu en Gaule, croyait-on, au Tertiaire, comme l’attestait le gisement landais, Arjuzaux. Il faut maintenant admettre qu’il a subsisté dans l’ouest de la Gaule jusqu’au début du Würm III : « Il apparaît donc comme possible, écrit M. Clément Jacquiot et Mme Marie-Christine Hermier dans la communication présentée à l’Académie des Sciences par M. Philibert Guinier à la séance du 23 novembre 1959, que la Taxodiacae découverte à Lascaux, descendante de l’espèce du Tertiaire, ait été éliminée lors des périodes froides ultérieures ». Pour [que] cette essence – qui, en raison de son analogie anatomique avec celle du Sequoia gigantea (dont la hauteur peut atteindre 130 m en Californie et 100 m en Alsace), a reçu le nom de Sequoia xylon] – ait échappé aux grands froids rissiens, il faut bien admettre que le Périgord est une zone privilégiée, à petites vallées bien abritées, favorisant la permanence des microclimats, recherchés de tout temps par les entités de la biosphère.

254L’ensemble des espèces identifiées par M. Jacquiot et Mme Hermier (Pin, Séquoia, Genévrier, Noisetier, Chêne, Bouleau, Châtaignier, Saule, Aulne, If, Peuplier, Prunier) et la texture faible des essences résineuses (dont le bois initial constitue la plus grande partie de l’accroissement annuel) indiquent un climat tempéré, même doux, avec printemps précoce, très comparable au climat actuel des plaines occidentales de la France.

255La carbodendrologie confirme en tous points les espèces végétales identifiées grâce à leurs pollens, y compris l’herbacée monocotylédone, ce qui justifie l’appellation « interstade de Lascaux », marquant une étape climatique bien caractérisée dans le Würmien finissant146.

256Avec le concours de M. Jacquiot, les échantillons, d’après leur abondance, ont été classés par pourcentage de choix et par grosseur des bois jeunes et âgés (tabl. III et IV).

257Cette répartition étonne au premier abord et pourrait servir de base à une courbe cumulative qui se divise nettement en quatre sections :

• bois très abondants : Chêne, Genévrier ;

• bois d’usage courant : Pin, Séquoia147, Noisetier ;

• bois moins abondants : Bouleau, Châtaignier, Saule, Aulne ;

• bois peu utilisés : Peuplier, Prunier.

258Comme l’analyse pollinique montre que les pinèdes étaient très répandues sur les collines de Lascaux (il est vrai que les grains de pollens de pin sont toujours très nombreux dans la nature) et que l’analyse carbo-dendrologique n’en relate au contraire que 6,5 %, il faut bien admettre que le manque de coordination dans les statistiques est dû à la présence de l’Homme. Le choix des essences apportées dans la grotte et la quantité des grumes étaient guidés par les intentions d’utilisation fonctionnelle, difficiles à saisir en détail, mais très probables lorsqu’il s’agit de besoins naturels d’hommes vivant en société, réunis périodiquement pour un travail précis ou des festivités tribales.

259Notons aussi que, d’après l’ampleur des courbes de croissance nettement visibles sur les microphotographies, il a été possible de reconnaître que les chênes poussaient en futaie serrée et que, débités au dehors, les troncs et les grosses branches âgées étaient choisis de préférence à du bois jeune. Il en est de même pour les résineux, pin maritime et séquoia148, alors que, pour le genévrier, le châtaignier et le saule, ils ont apporté des scions et des ramilles jeunes.

260Il fut également possible de s’apercevoir que les Préhistoriques avaient raboté l’aubier et les assises péridermiques pour ne garder que la partie centrale, le cœur du genévrier, du séquoia, du saule et de l’aulne. Enfin, ils ont été attentionnés à ne prendre du bouleau que la moelle d’une tige. Le cœur des bois durs augmente de matière ferme avec l’âge, en s’enrichissant en carbone et en s’imprégnant plus fortement de substances chimiques, comme le tanin pour le chêne, et surtout les résines pour les pins, sapins, séquoias149 et genévriers. Aucun vestige d’écorce ne fut remarqué dans les charbons.

261Les bois ont donc été apportés tout préparés dans la caverne, élagués, comme le montre la présence d’un nœud, et sans doute façonnés en rondins et en poutrelles à extrémités équarries, comme l’indiquerait l’empreinte des points d’appuis dans l’argile stalagmitée du Diverticule axial.

262Ce travail préparatoire offrait plusieurs avantages majeurs. Dans l’édification des échafaudages, on évitait un pourrissement rapide dans un milieu saturé d’humidité constante. À cette œuvre ont dû être employés des résineux plus tenaces contre la corruption, comme le pin et le séquoia. Le noisetier est souvent utilisé avec les précédents à l’érection de barrière, passerelle, échelles du type perroquet (trois puits abrupts à Lascaux150).

263Comment expliquer l’abondance du stock chênegenévrier ?

264Les botanistes savent que le bois de genévrier ne contient pas de canaux résinifères continus mais des chapelets de cellules séparées et dispersées, d’autant plus nombreuses et gorgées de résine qu’on se rapproche de la zone centrale parenchymateuse, et des rayons médullaires.

265Nous avons fait l’expérience à Lascaux qu’une branche de genévrier, débarrassée de son phelloderme, se consume rapidement sans laisser de résidus charbonneux solides, en produisant une flamme claire sans vapeurs appréciables. Nous avons vu que ce bois avait servi à l’éclairage, monté ou appuyé comme mèche sur ces fameux chandeliers, dont nous avons parlé plus haut. Comme aussi un gros rameau de séquoia151 à la manière des Moïs-Lays de l’ancienne Indochine française qui s’éclairent à l’aide de « bûchettes de sapin maintenues en l’air sur un chandelier formé d’une double fourche de métal » (Neis, 1881, p. 33), comme la « loutchina » russe encore employée de nos jours.

266Le genévrier servait aussi à la mise en route d’allumage de foyers, comme on le pratique toujours en Dordogne. Pour provoquer une flambée de bûches de chêne dans le « cantou », la paysanne l’amorce toujours avec des brindilles de genévrier, de bruyère, d’aiguilles de pin. Dans le Passage, nous avons pu retrouver une pluie d’aiguilles de pin, tourbifiées entre deux feuillets sableux d’une portion de paléosol que nous avons mise sous verre152.

267Les 52 % de chêne représentent une partie des braises laissées par de petits foyers que l’on entretenait un peu partout pour se chauffer lors des séances réservées aux travaux pariétaux, peintures et gravures. On ne peut négliger les fêtes tribales, si nous admettons que cette grotte a servi de refuge à la pratique des rites de chasse ou d’initiation. Les rapports des ethnographes concernant les peuples primitifs relatent tous l’importance des feux rituels, soit dans les légendes mythologiques récitées ou chantées, soit dans les cérémonies de purification avant la chasse et de propitiation pour que l’âme animale après la chasse soit expulsée par la fumée. Les Sibériens se servent aussi couramment de genévrier, de l’écorce de sapin et de certaines racines odoriférantes qui réjouissent les narines des esprits bénéfiques (Lot-Falck, 1953, p. 135, 184 et 207 ; Zelenine, 1952, p. 66)153. Ce pourrait être le rôle des herbacées reconnues par M. Jacquiot.

268Un frottis charbonneux, dans le Diverticule des Félins, fait aussi songer au ravivage d’une tête de torche ou de brandon en pin, sapin ou séquoia154.

269Les bois de bouleau, châtaignier, saule et aulne sont des essences qui étaient réservées à des opérations spécialisées. Sans pouvoir les préciser, on peut en deviner l’usage en questionnant l’économie rurale qui est à peu près la même dans tous les pays, selon leur latitude.

270Autrefois, les habitants du nord employaient le bois et l’écorce de bouleau pour couvrir leur cabane, façonner des canots et des ustensiles de ménage, tresser des corbeilles, des sandales et des cordes. Dans les cités lacustres, l’écorce roulée en cigare servait de chandelle, grâce à l’huile qu’elle contient naturellement.

271Le saule, qui croît avec l’aulne au bord des rivières et des prairies marécageuses, produit des rameaux longs et flexibles (Salex vitellina ou osier jaune). Les paysans de la Dordogne emploient des scions de l’année pour lier les bottes d’herbe et les fagots de petits bois et de bruyère, et dresser frauduleusement des pièges à collet aux léporidés. La corde de Lascaux, que nous décrirons bientôt, montre que le tressage était connu des Magdaléniens. Découpé en minces lanières, le saule blanc sert à tresser des petits paniers, des chapeaux et de menus objets. Les gravures de l’Abside portent des petites huttes et des sortes de capes formées de stries obliques qui pourraient bien être des vêtements155.

272Le peuplier et le prunier semblent être des impromptus dans cette grotte à peintures. Le bois du peuplier, mou, très léger, employé à façonner de menus objets de menuiserie, pourrait avoir servi à fabriquer les hampes des flèches et des manches d’outils. Le prunier, qui pousse toujours avec succès sur le plateau et les pentes argilo-calcaires de Lascaux, a la vertu de posséder des fruits qui, même sauvages, sont toujours acceptés pour se désaltérer. Ces deux dernières essences recèlent peut-être des petits secrets sur la vie intime de nos lointains ancêtres qu’on peut, hélas, entrevoir à peine.

LA CORDE

273Nous avons mentionné, dans la coupe stratigraphique O, la place exacte occupée par l’empreinte tourbifiée d’un débris de corde fossile, qui semble avoir servi aux hommes paléolithiques à descendre au fond d’un puits abrupt de 4 m et à le franchir, pour graver au-delà un bison156 sur les parois de cette galerie.

274Un fragment de corde, long de 30 cm environ, large d’un diamètre de 7 à 8 mm, en contact avec le paléosol contenant les os de renne, a pu être reconstitué.

275Entre les feuillets de quatre paquets d’argile tassée, qui furent ouverts comme les pages d’un livre par la frappe d’une lame de couteau157, se trouvait écrasée une sorte de bandelette noire à contexture torsadée. Après une lente déshydratation du support, balayé en lumière frisante, on distinguait nettement les torsades de trois brins de ficelle, eux-mêmes pourvus de boursouflures hélicoïdales provenant de la rotation de fabrication.

276Un document si inattendu demandait l’emploi de méthodes exceptionnelles pour en entreprendre l’étude : reconstitution par la photographie et le calque ; analyse microscopique et chimique des restes charbonneux ; fabrication d’un objet analogue en laboratoire ; recherche en ethnographie d’un objet semblable158 ; utilisation de cet objet dans l’économie des primitifs actuels et, d’après les analogies, confrontation et extrapolation dans l’économie du Sapiens avec des documents iconographiques, lithiques et osseux de l’époque159.

Reconstitution par la photographie et le calque

277Des photographies agrandies furent tirées de chacun des quatre fragments de l’empreinte positive ainsi que des fragments de leur empreinte négative. En plaçant un calque cellophane sur chacune des photos et en suivant au tire-ligne le contour des traces charbonneuses, on obtient le dessin détaillé de la structure de l’objet.

Fig. 68 — Macrophotographie d’un fragment de la corde : 3 enroulements sur 2 cm en moyenne (cliché collection A. Glory, MNHN).

278En complétant le relevé graphique par les ombres des bossettes et des fibres, que mettait en valeur un éclairage approprié sur les pièces originelles, nous avons pu reconstituer l’allure que pouvait présenter autrefois cette corde, avec toutes les réserves d’usage que comporte toujours ce délicat travail.

279La corde, épaisse de 7 à 8 mm, semblait avoir été façonnée avec trois brins torsadés vers la droite. La ficelle des brins avait été grossièrement tordue avec des filaments ligneux qui avaient gardé leur rugosité. Il ne s’agissait donc pas de fibrilles étrillées ou peignées, comme le pratique la corderie moderne. La torsion des brins avait produit des oves, au nombre de quatre par spire, et la superposition des calques de l’empreinte positive sur l’empreinte négative révélait une composition de trois brins régulièrement spiralés, pas très serrés, avec une moyenne de 3 enroulements sur une longueur de 2 cm (fig. 68).

Analyse microscopique et chimique des restes charbonneux

280Les observations optiques, à la loupe binoculaire, montraient que les brins étaient constitués par une filasse à fibres lignifiées, mais des faisceaux libériens de jeunes écorces ne semblaient pas exclus. Leur apparence rustique faisait penser à une simple préparation de rouissage, comme la pratiquent les Primitifs africains, soit le rosage (exposition des tiges fibreuses à l’air humide ou à la rosée), soit le pourrissage en eau calme.

281Apparemment l’objet fossile était transformé en matière charbonneuse. Il ne semblait pas carbonisé, c’est-à-dire avoir subi l’action du feu, mais carbonifié, c’est-à-dire que la matière organique avait été transformée en dérivés tourbifiés, selon le processus des tourbières vosgiennes ou celles des lacs suisses. Au Fourneau-du-Diable, D. Peyrony a été le premier fouilleur à remarquer des traces noires profilant des trous cylindriques de trois poteaux d’un diamètre de 10 à 20 cm, enfoncés à 40 cm de profondeur. Les fibres ligneuses avaient été transformées en matière tourbeuse (Peyrony, 1932, p. 64). Était-ce l’indice d’un temps écoulé très long ? L’analyse chimique pouvait-elle donner une réponse ?

282La composition chimique des cellules lignifiées est encore mal connue. On a pu séparer la lignine de la cellulose. Ces deux éléments se désagrègent avec le temps, sous l’action des bactéries et celle des agents corrosifs naturels, en débris minéraux (CO₂, H²O, NH³...) et en substances humiques, qu’on avait appelé autrefois dopplérite. Mais la cellulose, produit de condensation du glucose, disparaît avec le temps selon les recherches récentes du Dr Waksman. La lignine se transforme en une substance brun foncé, noirâtre, de l’aspect de l’asphalte (que certains nommaient dopplérite), que les lessives alcalines dissolvent et dont la quantité augmente avec le temps. C’est ainsi que les lignites tertiaires en contiennent la moitié, et même plus, de leur poids. Cette dopplérite contient les trois groupes de composés suivants : les humines, les acides fulviques et les acides humiques. Malgré de nombreuses analyses de laboratoire, on ne connaît pas encore leurs formules chimiques, mais on les discerne par leurs propriétés chimiques. Les acides humiques, en quantités plus importantes, résistent plus longtemps à la dégradation et seraient un complexe de protéines et de lignines plus ou moins oxydées.

283Il était utile de rappeler, ici, ces questions générales, car les préhistoriens confondent souvent les restes de bois carbonisés et les restes carbonifiés que laisse, dans les paléosols, la transformation des végétaux, des corps animaux et humains. Elles aideront à apprécier le résultat de l’analyse chimique faite par M. le Pr Lemée, Institut de botanique de la faculté des sciences de Strasbourg, et par son assistant, M. P. Lossaint. Nous les en remercions vivement. À cet effet, nous avons sacrifié environ 2 cm de la corde fossile et nous avons soumis les autres fragments à l’observation microscopique pour être assuré d’un tiers examen.

284Les recherches de laboratoire, qu’il était possible d’entreprendre en raison de l’état de fossilisation avancée de cette corde, montrent qu’il s’agissait d’une matière végétale à fibres ligneuses, pas nécessairement d’origine corticale. L’état de tourbification assez prononcé, ne permettant plus de distinguer la forme des cellules fibreuses, est une confirmation de sa grande antiquité.

285Les autres points (fabrication d’un objet analogue en laboratoire, recherche en ethnographie d’un objet semblable, utilisation de cet objet dans l’économie des primitifs actuels et, d’après les analogies, extrapolation et confrontation dans l’économie du Sapiens avec des documents iconographiques, lithiques et osseux de l’époque) ont été exposés longuement dans l’étude des Mémoires de la Société préhistorique française (Glory, 1959), et nous n’y reviendrons plus ici, si ce n’est pour mettre en valeur le rôle important de la tresserie dans la vie artistique, d’après d’autres documents trouvés à Lascaux.

Le rôle de la tresserie à Lascaux

286Dans l’Abside, on est surpris du graphisme de quatre grandes huttes à forme ogivale, d’une hauteur d’environ 1,50 m, d’une autre plus petite au toit en forme de dôme. De larges bandes striées longitudinalement sont recoupées par des stries horizontales dessinant un fin carrelage d’une trame de 2 mm de côté. Elles sont surmontées d’une touffe en éventail. Un tel travail si précis en gravure rupestre s’interprète comme une construction en branchages recouverte d’un rideau de fibres, de penderie de nattes tressées, dont les ficelles et les cordes servaient de lien.

287Un autre motif graphique évoque aussi le tressage. Dans [le Diverticule des Félins]160, sur les parois de l’Abside et de la coupole dominant le Puits, sont gravés des quadrillages de forme rectangulaire, à séparation rectangulaire. Certaines cases sont remplies intérieurement soit de couleurs, soit de stries très serrées longitudinales, recouvertes d’une trame tout aussi dense de traits fins horizontaux. Ils sont brodés d’une frange extérieure de petits traits analogues à des bouts de fibres végétales que les indigènes laissent dépasser dans leurs pièces tressées en tapa (Ficus indica, Palmier nala)161.

288Le vêtement le plus indispensable, que les hommes de tous les âges et de tous les continents ont toujours porté, est bien le pagne. Si la nudité rituelle n’en exigeait pas, comme le montre l’Homme du Puits, le pagne rituel est un objet sacré dans les rites d’initiation. Le port ordinaire en est prouvé chez les Paléolithiques par un millier de petits coquillages, des nasses (Nassa neritea162) soigneusement perforés, qui ceignaient le tour du bassin jusqu’à la hauteur des genoux de deux squelettes d’enfants de quatre et six ans exhumés à Menton163 en 1912. É. Cartailhac, qui avait vu la disposition de ces sortes de perles, les avaient supposées cousues sur un vêtement en filet. Il avait même songé à un tissu que les fines trames de Lascaux sont loin de contredire.

289Nous avons relaté, dans la coupe F, la position perpendiculaire à la paroi d’une sagaie, dont la base était dirigée vers le milieu du Passage. Cette partie préhensible était couverte d’un épais enroulement linéaire rouge, stalagmité, reste d’un lien disparu entourant, sur près de 6 cm, le bout conique de la sagaie en bois de renne soigneusement poli. Quoique la couleur ait légèrement pâli depuis, à la lumière du jour, l’enroulement est toujours visible actuellement.

290Enfin, pour clore ce chapitre sur le tressage, on ne peut passer sous silence les nombreuses empreintes noires de tiges herbacées que nous avons retrouvées dans le paléosol du Passage. Restes de litières, de vêtements, de touffes à flamber, de boutefeux, mais aussi de matière première à faire des liens.

291Le monde végétal intéressait les artistes de Lascaux, puisqu’ils en ont gravé une mystérieuse liane sur la paroi nord de l’Abside. Couvrant une série d’animaux, elle semble faite de deux tiges raboutées, l’une verticale puis oblique, l’autre horizontale. L’ensemble forme un tout avec pétiole, hérissé à droite et à gauche de la tige centrale, de 130 aiguilles en longueur décroissante. Son allure tient à la fois d’une longue palme et d’une plume164.

292Notons aussi que la corde à Lascaux était une bienvenue pour dresser les échafaudages au-dessus du Puits, dont les gravures de la petite coupole dominaient un vide de 9 m au-dessus de l’ancien sol. Il était impossible de graver des cervidés aussi petits et poilus d’une grandeur de 20 cm165, sans prendre appui sur un plateau consolidé où était posé l’éclairage.

DATATION AU C14

LES DATATIONS ANCIENNES

293Les premières mesures de datation au C14, datent de 1948 sur des charbons de bois recueillis au fond du Puits par MM. Blanc et Breuil. L’échantillon envoyé aux Drs Libby et Arnold à Chicago, inventorié sous le n^o 406, fut publié en 1951 avec un résultat de 15 566 ans ± 900166.

LES DATATIONS NOUVELLES

294Le 23 avril 1957 nous avons envoyé au Pr de Vries, Natuurkundig Laboratorium der Rijks Universiteit, Groningen, Hollande, 3 boîtes de charbons de bois d’un volume de 50 cm³ environ chacune :

• boîte A : charbons prélevés dans le paléosol argileux, couche 3 de la coupe G, contenant silex et un fragment de bois de cerf ;

• boîte B : charbons prélevés au-dessus de la palette de couleur teintée d’ocre rouge, pris dans la couche d’hydrocalcite n^o 1 de la coupe G du Passage ;

• boîte C : charbons de bois prélevés dans la couche d’hydrocalcite n^o 16 de la coupe B, au-dessus d’un fémur de cerf élaphe à l’entrée de la grotte.

295M. de Vries m’informait dans une lettre du 21 mai 1957 qu’avec le Pr Waterbolk, paléobotaniste, ils avaient étudié le contenu de la boîte A : « Nous n’avons pas trouvé de bois carbonisé, mais du sable et de l’argile, couverts de quelque chose de noir, que je ne connais pas et qui disparaît après un traitement de HCl (concentration à 1 %). Avec le même traitement, il restait 0,3 gramme de charbon de l’échantillon B. Enfin, après un traitement avec NaOH (concentration de 1 %), la matière organique a presque entièrement été dissoute. »

296Ces trois échantillons n’ayant pu être analysés au C14, M. de Vries me demandait de renouveler ces envois en augmentant les doses. Le 28 mai 1957, un sachet de 150 grammes de matières charbonneuses, prélevées dans la couche n^o 16 de la coupe B de l’Entrée, fut expédié à Groningen. Il put être daté le 19 juillet. [Résultat] GrO, 1182 : 8 270 ± 100 BP.

297Le 28 juillet 1957, furent prélevés, à la base de la chape stalagmitique des gours du Passage (à la coupe G), environ 200 grammes de charbons de bois, qui purent être datés le 30 décembre de la même année. [Résultat] GrO, 1514 : 8 060 ± 75 BP.

298Cette datation a été confirmée le 24 mai 1962, par MM. les Pr. Dr H. de Waard et Dr J.-C. Vogel, sur un autre échantillon du Passage provenant de la couche 1. [Résultat] GrN, 3184 : 9 070 ± 90 BP.

299Le paléosol des peintures, représenté par les couches n^o 3 de toutes les coupes décrites précédemment, contenait une trame serrée de résidus de charbons de bois. Une sélection de gros fragments, retirés à la pince de la base de la couche archéologique du Passage (coupes E, F, G, H et I), riche en silex, en ossements de renne, en palettes de couleurs et en une grande variété de matières colorantes, fut confiée à M. le Pr de Vries. Le compteur de la machine, le 10 mars 1958, chronomètre environ 17 000 ans. [Résultat] GrO, 1632 : 16 950 ± 135 BP.

300À la suite des travaux des successeurs du Pr de Vries, décédé, M. le Pr H. de Waard nous a informé le 22 mars 1962 que toutes les valeurs indiquées précédemment par le sigle GrO avaient subi la correction SUESS, qui était de 240 ans et s’en distinguaient par un nouvel indicatif GrN. En ce qui concerne la dernière analyse, il faut lire : GrN, 1632 : 17 190 135 BP.

301À une distance d’une quinzaine de mètres, au pied des Blasons, dans la Nef (coupe M), sous une couche épaisse de stalagmite, un fort amoncellement de charbons de bois était associé à des os de renne, silex travaillés, chandelier, couleurs minérales. Une cinquantaine de grammes fut confiée à M. le Pr Bohmers, au congrès de Monaco en septembre 1958, pour les remettre au laboratoire de Groningen. Le décès de M. de Vries a suspendu les recherches. Peut-être retrouvera-t-on la boîte ?

302En novembre 1960, pour être remis au service d’Électronique physique, je confiais à M. Labeyrie, du Centre d’études nucléaires de Saclay (France), un sachet de charbons provenant de la couche 3 du site R (fouilles du Puits). Un triage soigneux n’avait réuni que des fragments pris dans les zones profondes du paléosol, vers 0,30 m de la surface, [au] niveau du dépôt du brûle-encens en grès. Une lettre du 4 avril 1961 (réf. DE/EP/61, 4943) du chef de service d’Électronique physique, M.G. Delibrias, annonçait : 16 100 500 ans BP. Ce fut la dernière analyse.

303En résumé, la chronométrie du C14 a fourni deux dates, dont la certitude a été suffisamment établie par le nombre des prélèvements et la diversité des laboratoires167.

CONCLUSIONS CONCERNANT LES DÉPÔTS ARCHÉOLOGIQUES

304Le schéma des coupes exposées précédemment se réduit à trois couches primordiales (1, 2 et 3, de haut en bas) et deux autres couches non visibles partout (4 et 5) :

1. Nappe de calcite plus ou moins épaisse, selon les endroits, de 0,02 m à 0,30 m.

2. Couche d’argile de décalcification et de poussière minérale, déposée par les circuits d’air de convection, épaisse de 0,10 m à 0,15 m.

3. Paléosol résultant de la présence humaine dans la grotte, sous forme de nombreuses venues à temps limités, s’étalant sur une période de quelques millénaires.

305La base de la nappe de calcite, traduisant une période douce et humide, en contact avec la partie supérieure de la couche de dépôt n^o 2, a été datée de 8 060, 8 270, 9 070 ans BP. C’est l’époque chaude et humide boréale des premiers noisetiers [annonçant] l’extension de la chênaie mixte dans le sud de la Gaule, en avance sur les régions nordiques.

306Une couche stérile, sans charbon de bois, sans aucune trace d’occupation animale et humaine, n’a pu être datée. Elle a une épaisseur de dépôt lent, sans perturbation, de 0,10 m à 0,15 m, ce qui permet d’en déduire la durée, à condition de connaître l’âge de la couche suivante n^o 3.

307Cette couche archéologique est particulièrement instructive dans les coupes H et I, à partir du huitième mètre du seuil du Passage. Épaisse de 3 cm environ, assez dure et cassante, elle est constituée par un empilement arénacé rose de 12 à 13 micro-couches, diversement colorées, qui se clivent assez facilement. Des fragments témoins ont été conservés au laboratoire. Ces douze feuillets sont des minces paléosols tassés par la marche des artistes ou d’hommes fréquentant la grotte à un endroit où il fallait se baisser ou ramper autrefois pour passer.

308Les fragments de charbons, inclus dans ce niveau avec le mobilier osseux et lithique, ont été datés de 17 190 ± 135 ans (GrN 1632).

309Comme, entre les deux datations de 9 000 et de 17 000 ans, l’épaisseur moyenne de la couche n^o 2 est de 6 à 8 cm dans toute la grotte, on peut admettre une moyenne de dépôt arénacé de 1 cm en 1 000 ans, soit 1 millimètre en 100 ans ; ce qui est tout à fait normal dans une grotte close.

310En appliquant par extrapolation cette formule à l’épaisseur de la couche archéologique, dont les chances de croissance sont d’égale estimation par la présence ou l’absence du facteur humain168 (l’Homme, en tassant le sol, diminue son volume, mais peut y apporter des éléments complémentaires, comme boue extérieure, poudre colorante, charbons de bois brûlés), la fréquentation de la grotte aurait duré environ 3 000 à 4 000 ans, avec une douzaine d’abandons et de reprises, d’un rythme que le calcul évalue à 250 ans.

311Évidemment la psychologie humaine s’accommode mal de cette mathématique, dont la rigueur des chiffres est très relative. La vérité est dans l’ensemble de cet exposé chronologique : les détails n’ont qu’une valeur comparative, un ordre d’évaluation estimative.

312La même couche archéologique du Puits a fourni deux dates : 15 566 ± 900 ans169 et 16 100 ± 500 ans BP. Mais il est vraisemblable que, si l’appareillage de 1951 de Chicago avait bénéficié des progrès de l’analyse au gaz et si l’appareillage de Saclay, qui débutait, avait eu les minuties d’épuration et les éliminations des causes d’erreurs et de brouillage des rayons cosmiques parasitaires, ces deux chiffres se seraient approchés davantage de 17 000 ans avant le temps présent, qui est la datation moyenne la plus sûre que l’on puisse avancer concernant les peintures.

313En prenant comme unité relative le chiffre d’un remplissage de 1 cm en 1 500 ans170, la couche stérile n^o 4, [qui a] 4 cm d’épaisseur à la coupe H, 5 cm à la coupe I, 6 cm à la coupe L et 10 cm à la coupe R, représente une période d’environ 6 000 ans dans une estimation de chronologie la plus courte. La première occupation de la grotte aurait débuté vers 23 000 ans, peut-être 25 000 ans, pour ceux qui chercheraient une moyenne entre les quatre épaisseurs du premier paléosol des quatre coupes H, I, L et R.

314Ce maigre paléosol, si ténu, de la couche n^o 5, parsemé de quelques particules de charbon de bois, ne peut représenter qu’un rare passage d’un premier artiste, dont la brève présence n’a pu laisser que peu de dessins. La critique des superpositions des peintures et des gravures montre en effet que des premiers dessins tracés au doigt sur argile stalagmitée à Lascaux ont existé longtemps avant la période des fresques peintes171.

FAUNE ET CLIMAT

LIEUX DE TROUVAILLES DES OSSEMENTS

315Déterminations faites par MM. J. Piveteau, F.-E. Koby, J. Bouchud, H. Schaub et l’auteur. La presque totalité de l’inventaire des os a été donnée par M. J. Bouchud172.

Entrée

316– Cerf : 1 tête de fémur.

317– Chevreuil : 1 extrémité proximale d’un canon postérieur.

318– Daim : 1 calcanéum sans épiphyse de jeune (arrivé presque à l’état d’adulte), 1 phalange incomplète, 2 fragments de tibias, 1 métatarsien antérieur incomplet, 1 métacarpien postérieur complet et 1 radius incomplet. Tibia, phalanges, calcanéum d’un sujet jeune, radius, métacarpien et métatarsien.

319– Jeune cervidé voisin du Daim, d’après la profondeur de la gouttière postérieure axiale du métacarpien examiné par M. Schaub, de Bâle, en 1957. [Les remarques de E. Patte] (Patte, 1953) indiquent que les restes très rares et très incomplets de leurs bois présentent plusieurs variantes.

320– Renne : 1 calcanéum d’adulte, 1 épiphyse de canon, 1 fragment de scapula et 1 tibia, 1 épiphyse d’humérus non soudé indiquant un sujet jeune de 2 ans et demi environ.

Salle des Taureaux

321– Renne : bois très abondants.

Diverticule axial

322– Renne : 1 calcanéum et 1 phalange (au pied des Poneys) ; 1 calcanéum (au pied du Grand Taureau noir).

Cheval inversé [au fond du Diverticule axial]

323– Renne : 6 morceaux de vertèbres de jeune, 1 fragment d’atlas de jeune, 1 morceau de calcanéum d’adulte, 2 épiphyses de canon ([sujet de] 2 ans), 6 phalanges non épiphysées ([sujet de] 18 mois environ), 1 sabot de jeune, 2 morceaux de sternum, 1 base de crâne et des débris de côtes, 2 calcanéums brisés sans épiphyses ([sujet de] moins de 5 ans), 1 scaphoïde, 2 sabots, des fragments de vertèbres, 1 métacarpien gauche antérieur, débris de radius antérieur gauche.

324– Bouquetin : 1 métatarsien de jeune.

325– Lièvre : 2 dents de jeune et des fragments de côte.

326– Sanglier : 3 incisives, 1 molaire isolée, 2 phalanges de jeune.

327– Taupe, Campagnol, Lérot, Oiseau : débris d’os de jeunes et d’un œuf.

Passage

328– Cerf : 1 extrémité de gros andouiller.

329– Renne : 2 cubo-naviculaires droit et gauche, fragment de côte, 2 morceaux de mandibule.

Nef

330– Chevreuil : 1 fragment d’omoplate, 2 morceaux de canon postérieur, 1 omoplate brisée, 1 astragale gauche brisé.

331– Renne : environ une dizaine d’individus, selon J. Bouchud, d’après l’inventaire suivant. Radius : 3 extrémités proximales, 1 extrémité distale et 2 épiphyses ([sujet de] 3 ans environ), 2 morceaux de radius sans épiphyses ([sujet de] 3 ans environ). Cubitus : 6 cubitus brisés dont 1 sans épiphyses ([sujet de] 3 ans environ). Humérus : 4 morceaux d’humérus dont 2 sans épiphyse ([sujet de] 3 ans environ). 5 vertèbres de jeune. 7 morceaux de côtes. Calcanéum : 3, dont 1 adulte (2 brisés). Tibia : 1 diaphyse de très forte taille, 1 extrémité distale, 1 épiphyse distale, 1 épiphyse proximale ([sujet de] plus de 4 ans). 4 astragales, 3 droites et 1 gauche. 3 cubo-naviculaires. 3 scaphoïdes. 2 pyramidaux. 1 magnum. 1 unciformes. Canon antérieur : 3 morceaux d’extrémité proximale, 2 morceaux d’extrémité distale non épiphysée ([sujet de] 2 ans environ), 2 épiphyses de canon isolées ([sujet de] 2 ans environ). Canon postérieur : 2 morceaux de diaphyse, 1 morceau de diaphyse, extrémité distale non épiphysée, 1 morceau de diaphyse. Phalanges antérieures : 5 phalanges antérieures, 1 épiphyse soudée. Phalanges postérieures : 1 phalange à épiphyse soudée, 3 phalanges ([sujet de] 2 ans), épiphyse soudée. 1 omoplate brisée. Mandibule et bois.

Diverticule des Félins

332– Renne : 1 épiphyse proximale d’un métacarpien gauche d’une femelle ou d’un jeune, osselet pyramidal du carpe droit d’un jeune, probablement femelle.

333– Cheval : 1 dent jugale de lait supérieure.

Puits

334– Renne : ramures173 en grande abondance. 1 canon, 1 tibia et quelques esquilles d’os brisés indéterminables.

335– Loir, Lérot, Campagnol, Hérisson, Chauve-souris : voir p. 95, le détail de la microfaune du Puits.

OBSERVATIONS SUR LA FAUNE

Observations sur la répartition de la faune

336La répartition de la faune dans tout le paléosol de la grotte montre un éparpillement d’os brisés répartis au hasard, sauf en deux sites où il y a eu réellement concentration : le site du Cheval inversé et le site de la Nef.

337Le Cabinet du Cheval inversé est un recoin terminal du Diverticule axial, qui a servi de petit atelier de taille de lames en silex.

338Dans la Nef, les deux points de dépôts d’os les plus importants étaient au pied de la paroi des Blasons : au début, en face de l’Abside et, à l’autre extrémité, au pied des deux Bisons acculés, endroit où le sol en déclivité atteignait un très bas niveau. Souvent associés à des gros paquets de charbon de bois, on peut supposer qu’il s’agissait de reliefs de repas, mais aussi que les os ont été chauffés et brisés pour en extraire la moelle, liant précieux pour les pigments, et ensuite pour constituer des réserves en matière première propres à confectionner des gouttières à luminaire et des gouttières à peindre174.

Observations sur la grande faune

339D’après J. Bouchud (1960, p. 30)175 :

340« Le renne est l’animal dominant de la faune, dont il représente 80 à 85 %, le reste étant formé par le chevreuil (C. capreolus), le sanglier (Sus scrofa) et le lièvre (Lepus sp).

341« Toutes les parties du squelette sont représentées : elles appartiennent à des animaux d’âges très divers, mais les jeunes sont les plus nombreux. Des phalanges non épiphysées proviennent de rennes ayant moins de 18 mois abattus au début de l’hiver, des fragments de métapodes et d’os longs, dont l’épiphyse n’a point complètement disparu, attestent la présence d’animaux ayant de 2 à 3 ans. Enfin des vertèbres, pour lesquelles la soudure de l’épiphyse avec le corps demeure incomplète, ont appartenu à des bêtes de 4 à 5 ans. Les 4 astragales récoltés fournissent des renseignements concordants. L’un d’eux provient d’un jeune n’ayant pas plus de 2 ans, si l’on en juge par les petites dimensions de la pièce et la faiblesse de sa densité ; les autres, de taille moyenne, ont appartenu soit à des femelles adultes, soit à des mâles dont la croissance n’était pas terminée.

342« Des cadavres entiers de rennes furent donc apportés et consommés dans la grotte, car leurs os longs sont tous brisés. Il en fut de même pour les autres animaux, comme en témoigne l’état fragmentaire de leurs restes. »

343De cette faune triée par l’Homme, J. Bouchud, d’après la méthode établie par le tchèque Z. Hokr, détermine les traits essentiels du climat qui régnait à l’époque, il y a 17 000 ans. Ces derniers sont énumérés dans le tableau comparatif exposé ci-dessous (tabl. VI).

Observations sur la microfaune

344D’après J. Bouchud (1961, p. 60) :

345« La microfaune provient du Puits de Lascaux. Elle se trouve dans la couche 3 datée de 17 000 ans et qui a livré le brûloir de grès rose. »

346Les espèces identifiées sont les suivantes : le loir Glis glis Lin : 1 individu ; le lérot Eliomys quercinus Lin : 1 individu ; le campagnol Arvicola sp. : 1 individu ; le hérisson Erinaceus europaeus Lin : 1 individu ; les chauve-souris Myotis mystacinus Kunl : 1 individu et Rhinolophus hipposideros Bech : 1 individu.

347« Le loir (Glis glis) est représenté par deux mandibules dépourvues de molaires, mais dont le contour général et la section des incisives sont très caractéristiques. La longueur de la série dentaire mesure 7,4 mm, ce qui correspond aux grandes formes de l’Europe centrale.

348« Des bassins intacts ou brisés, des os des membres plus ou moins bien conservés et deux mandibules édentées appartiennent au lérot (Eliomys quercinus). Les séries dentaires mesurées à partir des bords extrêmes des alvéoles occupent respectivement 5,5 et 6 mm, c’est-à-dire qu’elles proviennent d’animaux plus robustes que leurs congénères actuels. En cela les lérots de Lascaux sont identiques à ceux de Cotencher (tabl. V).

349« La longueur des fémurs, dépourvus d’épiphyses, est estimée à 27,5 ou 28 mm, les mesures étant effectuées sur le côté externe. La longueur moyenne de l’humérus est d’environ 22 mm.

350« Deux fémurs mal conservés ont appartenu à un Arvicolidé de petite taille (campagnol).

351« Parmi les insectivores, il convient de citer la présence du hérisson (Eripaceus europoeus) et de deux chiroptères : le petit Fer à cheval (Rhinolophus hipposideros) et Myotis mystacinus. Les restes de hérisson comprennent deux fragments de crâne, deux morceaux d’os innominé et un fragment d’humérus. Le Fer à cheval est représenté par un humérus brisé vers le milieu de la diaphyse. Les dimensions de la partie restante et le modelé de l’articulation caractérisent l’espèce précitée. Moins certaine s’avère l’attribution d’un tibia brisé à Myotis mystacinus. Notons que cette dernière espèce se rencontre dans les couches de Paléolithique supérieur de la grotte de l’Adaouste (Bouches-du-Rhône), où nous avons trouvé deux crânes.

Conclusions climatiques des études sur la faune et la microfaune

352« Il est intéressant de comparer les données climatiques fournies par cet ensemble avec les données correspondantes obtenues l’an dernier par l’étude de la grosse faune » (exposée ci-dessus).

353« La technique d’Hokr est ici en défaut, car les exigences du renne, animal dominant, sont incompatibles avec celles du loir, du lérot et du petit Fer à cheval.

354« Comme les deux premiers rongeurs ne s’écartent pas de leur nid à plus d’un kilomètre (Grassé, 1955), on doit admettre le déplacement du renne vers le Massif central pendant l’été et le recul du Rhinolophus hipposideros vers le sud en hiver. »

355Le tableau VI permet de comparer les interprétations :

356« Le paléosol, daté de -17 000 ans, correspond à un climat tempéré humide ; il se situerait entre le Solutréen final et le début du Magdalénien, c’est-à-dire dans l’interstade Würm III/Würm IV. De telles conclusions confirment ce que nous avions jadis observé dans l’étude de la petite faune du gisement de Lachaud (Bouchud, 1952, p. 262-265) en Dordogne : un adoucissement du climat et une avancée de la forêt avaient été décelés pour la période allant du Solutréen au Magdalénien II.

357« On retrouve ainsi les données paléobotaniques de Mme Leroi-Gourhan (1965), qui considère la couche n^o 3 comme interstadiaire.

358« En Europe centrale, l’emploi de la méthode d’Hokr ne pose guère de problèmes : le savant tchèque pense que la rencontre d’une espèce aberrante pour un milieu déterminé résulte d’un mélange de couches.

359« En France, où les associations fauniques contradictoires sont assez nombreuses, une telle explication ne saurait être retenue. La proximité de la mer et l’harmonieux équilibre entre les plaines et le relief créent une multitude de climats variés, très proches les uns des autres par suite de la faiblesse des distances. Aussi les petits déplacements saisonniers des espèces suffisent-ils pour expliquer les rencontres paradoxales.

360« Dans les stations paléolithiques françaises, il faut donc appliquer cette technique avec prudence et discernement.

361« Le renne, animal errant par excellence, ne peut suffire à caractériser le climat. Il faut tenir compte aussi des éléments ‘‘sédentaires’’ de la microfaune. »

Remarques sur la fonction de la faune de Lascaux

362La macrofaune a été apportée par l’Homme alors que la microfaune, y compris le lièvre, s’est implantée d’elle-même dans la grotte, dans laquelle des campagnols des champs continuent toujours à vivre actuellement.

363L’Homme a introduit dans la grotte environ une dizaine d’individus de renne, ce qui est peu pour nourrir plusieurs générations d’artistes, mais c’est un nombre suffisant si on admet que ces animaux ont servi de matière première en peinture : en effet, dans la liste des os dressée par J. Bouchud, on relève une forte prédominance de pattes, quelquefois pourvues des cuisses. Les os sont généralement fractionnés en longueur, ou sectionnés au col de l’épiphyse : ces pratiques s’expliquent quand on veut se procurer de la moelle ; les déchets osseux en forme de gouttière ont servi de support à « des rats de cave » ou des objets à souffler la peinture.

364Deux esquilles taillées en biseau ont été utilisées comme un burin. Même le chevreuil et le daim ne représentent que des morceaux de pattes peu fournis en viande. Tibia, métacarpien et métatarsien ont été brisés comme ceux des rennes. Je ne pense pas qu’on puisse invoquer l’action masticatrice d’une hyène dont les canines auraient laissé des traces de raclure et la langue rugueuse des plages de léchage.

365Les autres espèces animales n’ont pas laissé des reliefs de repas mais des reliquats osseux non comestibles : un petit fragment d’andouiller de cerf, quelques dents isolées de sanglier, une dent isolée de cheval176.

Comparaison de la faune consommée et de la faune figurée

366En comparant les documents ostéologiques177 avec les documents graphiques (tabl. VII), on est surpris de constater que le pourcentage du renne chassé est inversement proportionnel à celui des chevaux et des bovidés dessinés.

367Le renne n’a pas été peint et, dans les 1 800 gravures, il n’a été représenté que quatre fois178. Pourtant, chassé et tué, le renne a été utilisé dans l’économie tribale. Aussi, il faut remarquer qu’à Lascaux ni la théorie de l’art pour l’art ni celle de l’envoûtement ne trouvent d’appui solide.

CONCHYOLOGIE

368La détermination de cinq espèces de gastéropodes, faite par M. Lothar Forcart, chercheur au Muséum d’histoire naturelle de Bâle, indique deux espèces terrestres (Pomatias elegans, Cepoea nemoralis) et trois espèces marines (Lunatica cantena, Neptunea attenuata et Mitra cornicula).

369Les premières prospèrent dans des zones à climat tempéré et humide. Elles ont dû être apportées à la grotte sans intention spéciale, véhiculées avec le feuillage et les arbustes mentionnés plus haut. M. Paul Wernert, comparant les éléments semblables trouvés dans le l ?ss alsacien, leur assigne également un climat doux dans un milieu subforestier humide (Wernert, 1957, p. 177-178).

370Les espèces marines, à tendance climatique peut-être plus chaude que le climat actuel, ont été introduites par les Préhistoriques qui pouvaient les porter sur eux en guise d’amulette ou d’ornement, comme l’indique un trou de perforation commencé sur l’une d’elle.

371Les peintres de Lascaux devaient avoir des relations avec les tribus océaniques : de temps à autre179, ils se rendaient sur les bords de l’océan, distant d’environ 200 km, peut-être pour y chercher du sel.

372[Le manuscrit d’André Glory s’achève ici, avec le titre du chapitre suivant : Matériel osseux180].