1Après l’étude des multiples plans, il y a lieu d’envisager les latrines d’un point de vue structurel et architectural. Si, dans l’imagerie populaire, elles sont synonymes de « belle architecture », il convient d’en étudier chaque type, du plus modeste au plus luxueux, en considérant leur enveloppe extérieure, les structures permettant leur isolation, mais également leurs nombreux aménagements intérieurs, qu’ils soient strictement fonctionnels ou liés au bien-être de l’utilisateur ou à son hygiène. Une attention particulière doit être portée aux flux des liquides, qu’ils soient souillés ou propres.

le gros œuvre

2Dans la plupart des cas, les parois des latrines ne sont pas décrites car elles sont constituées du même appareil que celui des constructions environnantes. Il varie donc selon les périodes ou les aires géographiques, mais non pas, pour une large part, selon la fonction des pièces. On retrouve ainsi l’appareil disposé en assise aux Bons-Villers à Liberchies, ou l’opus testaceum aux Thermes du Sud à Toulouse/Saint-Michel-du-Touch. Dans la majorité des cas, il est question de l’opus vittatum dont la régularité varie d’un site à l’autre. Quelques mentions concernent des structures s’éloignant de la norme précédemment évoquée. Dans les latrines 41 de la villa de Pardigon 3 à Cavalaire, les parois sont constituées d’opus craticium, un colombage hourdé de fragments de tuiles en partie découvert dans le comblement de l’égout (voir supra, chap. premier, fig. 42). Dans celles de Saint-Vincent de Couladère à Cazères, les parois sont édifiées en briques (mur nord) ou en pierres (mur est) et s’appuient aux angles sur des poteaux dont il ne subsiste que la base en pierre. Rue Hannong à Strasbourg, il ne reste que deux trous de poteau d’angle ; la salle était limitée par des parois probablement en bois et terre, maintenues par une forte armature cornière. Au théâtre d’Augst, si l’une des parois est mitoyenne avec le bâtiment public, il semble que les trois autres soient édifiées en terre et reposent sur des sablières basses1.

3Lorsque les latrines font partie d’une pièce plus vaste vouée à d’autres fonctions, le coin qui leur est réservé a pu être isolé par une cloison de bois. C’est ce qui a été envisagé dans la Maison à la Mosaïque aux Méandres ou dans la Maison D2 à Orange, bien qu’il n’en reste pas de trace. Dans la Maison des Amours Dorées à Pompéi (IV 16, 7-38), une cloison de bois dont on conserve l’empreinte dans le sol et la paroi adjacente était longue de 1,53 m et haute de 1,45 m (Seiler, 1992, p. 69).

4Reste le problème de ces innombrables fosses – généralement plus modestes que celle de la rue Hannong – pour lesquelles on ne connaît pas de structures en creux – sablières basses ou trous de poteau – pouvant délimiter une pièce. On ne peut pas mettre cette absence de documentation sur le compte d’un mauvais état de conservation des vestiges car tel n’est pas toujours le cas. Il faut donc envisager l’hypothèse de structures très légères – bois, tentures ? – qui, en se désagrégeant, ne laissent aucune trace2. La question ne se pose d’ailleurs pas uniquement pour les latrines à fosse, elle se pose également pour les latrines sises à proximité des thermes de Cherré à Aubigné-Racan où la fonction de l’espace est déduite de la présence – sur une longueur de 13 m – de parois d’égout plus épaisses qui auraient pu accueillir la banquette percée. Aucun mur périphérique n’est par ailleurs connu. Seul le comblement de la fosse 73 d’Oberaden a livré des planches et des traces de clayonnage qui n’ont pas été interprétées comme des vestiges du cuvelage de la fosse mais proviennent de la pièce la surmontant. La paroi délimitant au sud la fosse 21 de la Maison du Propriétaire à Mâlain se prolonge jusqu’au mur de la cour, ce qui laisse présumer l’existence d’un appentis à l’ouest.

5On est donc en présence de murs de construction très variée, qui peuvent faire appel à la pierre, mais également à des matériaux plus modestes : bois et terre.

LES TOITURES

6Les renseignements directs sur la nature des toitures sont rares. Celle-ci ne pose un problème que dans certains cas précis. En effet, lorsque les latrines sont insérées dans des bâtiments plus vastes – édifices publics, villae, domus – on peut raisonnablement penser qu’il s’agit du même type de toiture (tegulae et imbrices) que celui du reste de la construction. Ceci explique la rareté des mentions dans les publications.

7Pour la couverture des latrines à égout latéral des Bons-Villers à Liberchies, dont l’architecture était peut-être en matériau périssable, des tuiles ont été cependant utilisées. Pour les latrines de la rue Hannong à Strasbourg, il en était de même. Le constat relatif à l’absence de renseignements sur les parois des fosses isolées3 peut être réitéré au sujet des toitures, à une exception près. La fosse 4 du site de la Römerstrasse 169A, à Oberwinterthur, a livré dans son comblement des éléments de bardeaux provenant du couvrement ; ceux-ci ont peut-être été employés pour la couverture de la fosse 41 de la parcelle 9 de l’Unteres Bühl à Oberwinterthur. La couverture des latrines du camp d’Usk (Grande-Bretagne) a également été restituée en bardeaux (Manning, 1981, p. 150). On peut raisonnablement penser qu’il devait en être de même dans bon nombre d’autres structures.

LES ACCÈS

LES BAIES ET LES SEUILS

8De nombreux accès ne sont pas connus. Dans certains cas, ils peuvent être restitués en considérant l’emplacement de la pièce dans son environnement. Lorsqu’ils sont retrouvés, une distinction doit être faite entre les baies et les seuils, car les dimensions des premières ne correspondent pas forcément à la largeur nécessaire à l’usager pour le franchissement des seconds. Le tableau X (p. 83) regroupe des mesures de baies4.

9Quelques enseignements peuvent être tirés du tableau X et du graphique 2 qui l’illustre. Jusqu’à 1,30 m de largeur, les baies appartiennent majoritairement aux latrines privées ; au-dessus, au contraire, ce sont les latrines publiques qui l’emportent. Celles des constructions publiques qui intègrent la première catégorie témoignent pour la plupart du caractère modeste des aménagements. En considération de leurs surfaces, elles pourraient être classées comme appartenant aux latrines privées. Les seules exceptions concernent les Fontaines-Salées à Saint-Père-sous-Vézelay (1 m) et les Thermes du Nord à Saint-Bertrand-de-Comminges (1,15 m). Ceci ne sous-entend pas que les portes des latrines publiques soient obligatoirement plus larges que celles des privées ou qu’il existe de très grandes différences. La distinction se fait pour une large part au niveau du traitement des piédroits qui, dans les bâtiments publics, sont en grand appareil et reposent sur la dalle de seuil. La disparition des blocs, souvent récupérés, donne alors à la baie une largeur bien supérieure à celle qu’elle avait dans l’Antiquité.

10Il est parfois possible de se faire une idée de leurs dimensions originelles. Dans les Thermes des Lutteurs à Saint-Romain-en-Gal, les dalles de seuil des deux portes mesurent chacune 1,70 m. Pour celle du nord, on distingue les négatifs des blocs de grand appareil des piédroits qui réduisent la largeur utile à environ 1 m. Cette mesure est de 1,20 m pour le passage sud où les piédroits sont conservés. À Martigny, la baie est large de 1,50 m, mais si on exclut les piédroits, elle atteint 1,10 m et 1 m seulement si l’on fait abstraction du diamètre de la crapaudine. Une entrée se distingue toutefois des autres par son ampleur : celle des latrines de Chassenon avec 2,77 m de largeur.

Graph. II. – Largeur des baies des seuils des latrines.

11Même en restituant des piédroits monumentaux – ce dont les dalles n’ont conservé aucune trace – l’accès demeure particulièrement vaste.

12Dans un certain nombre de cas, le seuil lui-même peut être étudié. Dans les latrines de Gaujac, la pierre sans feuillure5, longue de 0,80 m, est entièrement lisse (fig. 52a) ; elle présente de fortes traces d’usure en partie centrale. Bien que la dalle soit plus importante (1 m), on note la même absence d’aménagement dans l’Ensemble XXIX d’Alesia (Mangin, 1981, II, pl. 122). La pierre des latrines 26 de la Maison des Messii à Vaison-la-Romaine, longue de 0,93 m, ne conserve ni crapaudine ni trace d’usure (fig. 52b). Dans les latrines de Chassenon, le vaste seuil est constitué de trois dalles plates juxtaposées.

13Ailleurs, les systèmes de fermeture sont plus évidents. Dans les Thermes du Nord à Saint-Bertrand-de-Comminges, il n’existe pas de différence de niveau entre le pas et la feuillure, mais seulement deux négatifs carrés ayant reçu des crapaudines métalliques (fig. 52c). Elles délimitent un pas étroit6 de 0,10 m et leur emplacement témoigne de la présence de deux vantaux s’ouvrant vers l’intérieur de la pièce. L’absence de trou de gâche dans le seuil laisse supposer que le vantail dormant était maintenu fermé directement dans le linteau. La zone utilisable par l’usager est large de 0,76 m, si l’on exclut les chambranles de bois et les crapaudines. Les fortes traces d’usure visibles sur le 0,38 m de l’axe du seuil prouvent que les deux vantaux étaient obligatoirement en position ouverte lorsque les latrines étaient accessibles. Dans les Thermes des Lutteurs à Saint-Romain-en-Gal, le seuil nord garde la trace d’un intense passage (fig. 52d). Contre son bord est, deux petites dépressions carrées correspondent à des négatifs de crapaudine en métal. L’absence de trou de gâche prouve que le ventail dormant était maintenu dans le linteau. Le seuil sud de la même pièce présente un aménagement semblable à son extrémité méridionale mais, à l’opposé, une échancrure perpendiculaire à l’axe de la pierre sert d’évacuation pour les eaux de nettoyage de la pièce7 (fig. 52e). Aucune trace de gâche n’est décelable.

14Ce sont les latrines de Vaison-la-Romaine qui nous livrent le plus de renseignements sur les systèmes de fermeture. Dans les latrines 34 de la Maison du Prétoire, une dalle longue de 1,17 m est actuellement visible (fig. 52f). Elle présente un pas étroit8 de 0,16 m, en surélévation de 0,025 m par rapport à la feuillure, et deux trous circulaires de crapaudine qui témoignent de l’existence de deux vantaux. Les clichés pris au moment de la fouille effectuée par le chanoine Sautel9 montrent qu’aucun seuil n’a été retrouvé en place et que la dalle actuellement visible provient très probablement d’un sondage réalisé au sud de l’entrée, dans le couloir 35 où la pierre a pu être utilisée en remploi comme couverture de l’égout (voir fig. 53-54). Il est donc assuré que le seuil n’est pas celui qui obturait le lieu d’aisance dans l’Antiquité.

Fig. 52 – Seuils de latrines (vue depuis l’extérieur de la pièce) (dessins A. Bouet, sauf mention contraire).

15Fort de ce constat, il convient d’analyser les autres seuils de l’agglomération avec circonspection. L’accès sud aux latrines 4 de la Basilique comprend une dalle longue de 1,50 m, recouverte sur 0,30 m par le piédroit est remonté après la fouille (fig. 52g). La dalle a été l’objet de deux utilisations avant son remploi dans les latrines10 (fig. 52h) : elle a constitué un seuil à pas large doté de deux encoches quadrangulaires pour des chambranles de bois, ne laissant qu’un passage large de 0,48 m, puis un seuil à rainure longitudinale sans battant11 tel que l’on en trouve généralement comme système de fermeture des boutiques. Il est impossible de déterminer la chronologie relative de ces remaniements. La pierre est ensuite utilisée comme seuil des latrines ; aucun creusement ne correspond à cette fonction, ce qui rapproche cet exemple des seuils sans feuillure évoqués plus haut. Le dernier cas est celui des latrines 26 de la Maison du Buste en Argent. Il s’agit d’un seuil à pas étroit, long de 1 m, auquel a été accolée une dalle étroite et allongée large de 0,20 m (fig. 52i). Sa partie septentrionale manque sur une longueur de 0,06 m à 0,20 m. Son extrémité méridionale conserve la cavité circulaire d’une crapaudine. Comme dans le cas précédent, le caractère partiel de la dalle qui ne s’adapte que maladroitement à la baie suggère l’idée d’un remploi ou la pose de la pierre au cours des restaurations du chanoine Sautel. On distingue très nettement que le parement côté jardin a été maladroitement remonté après restauration (voir fig. 55).

Fig. 53 – Vaison-la-Romaine, Maison du Prétoire : vue des latrines avant restauration depuis la porte ; aucun seuil n’est visible

Fig. 54 – Vaison-la-Romaine, Maison du Prétoire : vue depuis l’ouest des latrines avant restauration ; le seuil, posé sur le mur, provient probablement du sondage voisin

16Dans l’état 3 des latrines 12 des Thermes du Forum à Martigny, le seuil est large de 1,50 m et comprend à son extrémité sud un trou de crapaudine retaillé à trois reprises (fig. 52j). L’hypothèse a été émise qu’il s’agissait de la dalle de l’état précédent, remployée ici. À l’origine, celle-ci était destinée à une porte plus grande car sa partie nord est largement encastrée dans le piédroit, ce qui a oblitéré la seconde crapaudine12. La présence de plusieurs traces de remaniements témoigne d’une histoire complexe que ne peut expliquer simplement son emploi dans deux états de latrines. On peut donc se demander si les crapaudines étaient nécessaires dans la dernière utilisation du seuil.

Fig. 55 – Vaison-la-Romaine, Maison du Buste en Argent : escalier d’accès aux latrines

17Les seuls exemples attestés d’un système de fermeture par crapaudine se trouvent dans les Thermes du Nord à Saint-Bertrand-de-Comminges et dans ceux des Lutteurs à Saint-Romain-en-Gal. Pour le premier, il a été montré que lorsque les latrines étaient accessibles, les vantaux restaient obligatoirement en position ouverte. Les traces d’usure du seuil sud des Thermes des Lutteurs permettent d’aboutir à la même conclusion. Quant au seuil nord sans feuillure contre laquelle venait buter le vantail, celui-ci était tenu obligatoirement ouvert pendant le temps de fréquentation de la pièce. On note cependant que dans la villa de Bad Kreuznach, les latrines sont aménagées dans un recoin d’une salle plus vaste qui s’ouvre sur le péristyle. L’entrée de celle-ci est barrée par un seuil à deux crapaudines (fig. 56).

18Au terme de ces quelques remarques, on note qu’un certain nombre de seuils ne présentent aucun aménagement susceptible de recevoir une fermeture utilisant la crapaudine. Lorsque tel est le cas, ceux-ci sont en remploi – lorsqu’ils ne sont pas placés là après restauration contemporaine – et l’on ne possède pas de preuve que les encastrements visibles dans la pierre aient été réalisés lorsqu’ils barraient l’accès aux latrines. On peut d’ailleurs penser que les baies les plus étroites (inférieures à 1 m ?), qui représentent presque la moitié des exemples retenus ici, étaient munies de pierre sans feuillure, la présence d’une ou deux crapaudines réduisant d’autant la largeur utilisable par l’usager.

Fig. 56 – Bad Kreuznach : vue depuis l’entrée de la pièce 14. Au fond, les latrines et leur égout

19Les seuils sans feuillure sont les plus simples. Lorsqu’une étude exhaustive peut être menée sur un site, on constate qu’ils ne sont pas en nombre important : trois exemples assurés, deux hypothétiques sur un total de trente à Olbia par exemple. S’ils sont présents à l’époque romaine, on les retrouve fréquemment, au moins dans le Midi de la Gaule, à la fin de l’âge du Fer (Bouet, 1994- 1995, p. 10-15). L’idée a été avancée qu’en l’absence de crapaudine, ces seuils étaient plus destinés à éviter les infiltrations d’eau qu’à recevoir un quelconque système de fermeture (Michelozzi, 1982, p. 70). Si l’hypothèse peut être envisagée pour les dalles intérieures ou celles donnant sur un espace privatif, il ne peut en être ainsi pour un espace ouvert sur la rue ; on peut alors supposer une fermeture par des vantaux fixés aux chambranles à l’aide de charnières13.

20Les seuils des latrines appellent toutefois quelques commentaires. Si l’on retient dans la majorité des cas la présence de charnières, il est étonnant de constater que ce mode de fixation a été utilisé presque exclusivement dans ce type de pièce, alors que les pierres sans feuillure sont minoritaires. La raison d’un tel choix s’avère tout à fait obscure. Une autre hypothèse doit être envisagée ; un seuil sans feuillure s’accommode parfaitement de l’autre système d’obturation qu’est la tenture, conservant à la totalité de la baie sa largeur utilisable. Cet aménagement convient à la fonction de latrines ; ces pièces, qu’elles soient privées ou publiques, devaient être accessibles – sauf cas exceptionnel comme dans les Thermes du Nord précédemment évoqués – de jour comme de nuit14. Elles ne nécessitaient pas d’obturation fixe, mais simplement un écran destiné à empêcher les regards extérieurs15. Une preuve supplémentaire est apportée par les thermes de Sergilla (Syrie). Le bâtiment, parfaitement conservé, a livré des latrines ouvertes directement sur le frigidarium. Les piédroits de la porte large de 1 m présentent encore le négatif de la tringle de la tenture (Charpentier, 1994, p. 128).

21Ces exemples viennent conforter l’importance des rideaux déjà mise en évidence par Y. Thébert, au sujet des péristyles de domus dont l’espace pouvait être subdivisé différemment suivant les heures de la journée, en fonction des activités du maître (Thébert, 1985, p. 376-377)16. Parmi tous les seuils des latrines des maisons de Pompéi, seuls deux suggèrent la présence d’une porte, à moins que la pierre soit utilisée en remploi (Jansen, 1997, p. 126) ; ce qui laisse envisager la possibilité de tissus (Barattolo, Romaldi, 2000, p. 265). Dans la Villa Hadriana à Tivoli, selon G.C.M. Jansen (2003, p. 125), de nombreuses salles possèdent une porte. Le dépouillement de son inventaire met en évidence quatre seuils seulement pour les dix-huit pièces17 ; des crapaudines ne sont mentionnées qu’une seule fois18. Un nouvel examen de la documentation dans cette perspective mériterait d’être réalisé.

22Le seuil des latrines de la Palestre romaine de Philippes (porte large de 1,40 m, piédroits non compris) ne comporte également aucune crapaudine (Lemerle, 1937, pl. XI), comme celui de la Palestre du Lac à Délos (Delorme, 1961, p. 105) ou celui des Thermes des Six Colonnes à Ostie (IV V, 11), large de 0,77 m19. Les latrines proches du forum de Conimbriga (Portugal) sont accessibles, au nord et au sud, par une porte. Celle du sud est barrée par une dalle lisse. Celle du nord, aux dires des fouilleurs, est identique aux seuils des boutiques avec feuillure à l’ouest, passage des planches de 0,21 m/ 0,22 m et petite porte de fermeture à l’est (Alarcão, Étienne, 1977, p. 147). Le relevé montre très clairement que l’on est en présence d’un seuil très rare du type « à rainure longitudinale sans battant »20, dont la seule possibilité de comparaison en Gaule doit être recherchée à Hyères-les-Palmiers/Olbia. Il se caractérise par une saignée perpendiculaire à celle dans laquelle les planches de fermeture venaient s’encastrer. Considérant la façon dont il est disposé dans les latrines de Conimbriga, la fermeture ne pouvait se faire que depuis l’extérieur de la pièce ; ceci prouve le remploi. Le seuil des latrines des Thermes du Nageur à Ostie (V X, 3) est très usé dans sa partie centrale, ce qui a fait disparaître complètement la rainure longitudinale (fig. 57a). Il serait toutefois du même type. Ici aussi, on peut douter de la présence effective d’une fermeture de la pièce car, pour être efficace, le système ne peut être manié que depuis l’intérieur de la salle et ces latrines ne possèdent qu’une entrée...

Fig. 57 – Seuils de latrines (vue depuis l’extérieur de la pièce)

23On mentionnera enfin les seuils présentant une crapaudine uniquement dans leur partie centrale. On les retrouve aux deux entrées des latrines de la voie de la Forica (I XII, 1) à Ostie (fig. 57b). Nous étions sceptique jusqu’à ce que nous puissions les étudier précisément et relever les traces de frottement ; il faut se rallier à l’hypothèse de l’existence d’une sorte de tourniquet servant à masquer la vue vers l’intérieur de la pièce plutôt que d’un véritable système de fermeture (Hallier et al., 1982, p. 68). Le passage était étroit, de l’ordre d’une cinquantaine de centimètres environ. Un seuil du même type barre l’accès de la salle précédant les latrines de la Zone de Service nord (anciennement caserne des Vigiles) de la Villa Hadriana à Tivoli (fig. 57c).

24Quelques rares documents évoquent les systèmes de fermeture des portes des latrines, mais ils sont bien antérieurs à l’époque considérée ici et présentent une réalité qui a pu être sensiblement différente. Dans un document des archives de Zénon (P. Mich. Zen. 38, 31), apparaît le terme apokoresis évoquant des latrines, très probablement celles de la Maison de Diotimos construite en 254 av. J.-C.21. Il s’agit d’un contrat passé avec des menuisiers pour la fourniture de portes et de fenêtres dans plusieurs pièces. Les deux portes à un seul battant, hautes de trois coudées (environ 1,56 m), sont destinées l’une à l’escalier, l’autre à l’apokoresis, chacune coûtant quatre drachmes (Husson, 1983, p. 42).

LES AMÉNAGEMENTS NÉCESSITÉS PAR L’ISOLATION DES LATRINES

25L’obturation directe de la baie d’accès n’est pas le seul système permettant d’isoler la pièce de l’espace environnant. D’autres aménagements complémentaires peuvent également être mis en évidence.

26Le plus efficace est l’intercalation d’une pièce intermédiaire entre les latrines et l’extérieur. Dans les Thermes du Nord de Nice/Cimiez, c’est un petit vestibule aménagé en avant de la porte (fig. 58a), qui oblige l’utilisateur à tourner sur sa droite lorsqu’il vient de la rue, sur sa gauche en venant de la palestre et empêche tout regard indiscret lorsque l’on s’éloigne un peu. Dans les latrines de la Basilique de Vaison-la-Romaine, la personne doit, depuis la rue, traverser une salle – à l’heure actuelle incomplètement dégagée ; le principe est identique dans les Thermes impériaux de Trèves. À Chassenon, il fallait emprunter, depuis la cour de service, la galerie périphérique de l’enceinte des thermes puis bifurquer sur la gauche. Un système semblable existe dans les latrines du bâtiment public de l’Îlot des Cordeliers à Poitiers où la salle est aménagée au-dessus du réservoir servant à la vidange de l’égout. Les latrines publiques d’Alesia (Ensemble XI) comprennent un double aménagement : une pièce qui encadre sur trois côtés le lieu d’aisance et une entrée en chicane. Dans la villa de Bad Kreuznach, la salle se situe dans le renfoncement d’un espace plus vaste qui ouvre sur un des portiques du péristyle.

Fig. 58 – Latrines précédées d’une pièce intermédiaire.

Fig. 59 – Latrines séparées par une cloison intermédiaire.

27Les latrines de la Maison aux Poissons à Saint-Romain-en-Gal sont séparées du reste de l’habitation par un couloir en « L » qui les rend accessibles aussi bien depuis la maison que de la rue. Dans les latrines 41 de la villa de Chassey-Lès-Montbozon, un couloir relie la cour de la villa à l’extérieur ; à Mehring, il en va de même pour le frigidarium. Dans la villa d’Avenches, les latrines sont situées à l’une de ses extrémités comme dans l’état 2 de la villa d’Oberweis. On parvient aux latrines de Rottenburg am Neckar, en contrebas de l’axe de circulation, par un escalier en « L » situé à l’extrémité d’un étroit vestibule intermédiaire. Ce sas apparaît à Liberchies, bien que la salle soit au même niveau que l’espace environnant. On accède aux latrines 9 des Grands Thermes à Xanten par le couloir d’entrée du bâtiment.

28Dans l’état 3 des Thermes du Forum à Martigny, c’est un mur qui a été érigé en oblique, à quelque distance en avant de la porte (fig. 59a). Ainsi, la vue était impossible depuis la cour 1. On retrouve un aménagement semblable, mais non identique, dans les latrines de Gaujac où une cloison, longue de 1,05 m, probablement en matériau périssable, a été disposée légèrement en oblique à l’intérieur de la salle (fig. 59b ; voir infra, fig. 67). Il n’en reste que les trois pierres de sa base22. C’est sans doute un aménagement voisin qui prévalait dans la villa d’Oberweis (fig. 59c).

29Les deux dispositions précédentes sont juxtaposées dans la salle des Fontaines-Salées à Saint-Père-sous-Vézelay (fig. 59d). Une petite pièce relie l’extérieur à une rotonde chauffée des thermes. La porte des latrines est rejetée à l’extrémité de la paroi droite. Sitôt le seuil franchi, le regard du visiteur est arrêté par un court muret.

30L’aménagement le plus simple consiste enfin à placer la banquette percée de façon à ce qu’elle ne soit visible qu’une fois le seuil franchi (fig. 60) ; elle est alors absente de la paroi opposée à l’accès. C’est ce que l’on retrouve le plus fréquemment dans les latrines privées23, mais parfois aussi dans certains bâtiments publics (Hyères-les-Palmiers/Olbia ; état 1 des Petits Thermes du Nord-Est à Saint-Romain-en-Gal24 ; Thermes du Nord à Saint-Bertrand-de-Comminges ; Kastelen 2 à Augst) ou semi-publics (latrines 45 de La Brunette à Orange). Les latrines de la villa de Martigues, bien qu’aménagées dans la chambre de chauffe des thermes, se situent dans un renfoncement ; elles sont donc invisibles pour quiconque pénètre dans la pièce. Les latrines 33 des Grands Thermes à Xanten ont une organisation originale. Elles ouvrent directement sous le portique 3 bordant la rue orientale. Face aux deux entrées, la paroi est scandée d’une niche accueillant statue ou vasque25, seule visible depuis l’extérieur, ce qui renforçait la majesté de l’endroit.

Fig. 60 – Latrines dont les banquettes ne sont pas visibles depuis l’entrée.

31Aménagement particulier que celui des latrines 33 de la Maison des Messii à Vaison-la-Romaine. Placées à l’étage, on y accède par un escalier droit ; les banquettes ne peuvent être vues qu’une fois le seuil passé.

32Dans la plupart des cas, ces aménagements se retrouvent dans les latrines publiques, souvent de grande taille ; ce n’est pourtant pas une règle absolue (Gaujac) ; ils sont parfois attestés également en contexte privé. De plus, ils ne sont pas caractéristiques des régions étudiées26.

LES SIÈGES

33Ils se composent d’une banquette percée reposant sur différents types de supports.

LES SUPPORTS

34Sauf cas contraire mal documenté, les sièges se situent sur les côtés de l’espace dévolu aux latrines. Ils s’appuient donc contre une ou plusieurs de leurs parois. Le support peut prendre plusieurs formes.

35La plus simple consiste à aménager un ressaut dans le mur du fond afin d’y asseoir la banquette horizontale. Cette technique a dû être employée plus souvent que ce que l’inventaire des régions étudiées fait apparaître car, pour qu’elle soit décelable, il faut que les vestiges soient relativement bien conservés en élévation (sur 0,50 m environ), ce qui n’est pas le cas partout. Un ressaut de ce type a ainsi été repéré dans les Thermes du Nord à Nice/ Cimiez27 (fig. 61, et voir infra, fig. 69), dans la Maison des Messii à Vaison-la-Romaine (latrines 33) (fig. 62), dans le Bâtiment public de l’Îlot des Cordeliers à Poitiers ou dans l’état 3 des Thermes du Forum à Martigny. Il se situe à environ 0,40 m au-dessus du niveau du sol ; il est large de 0,10 m à Nice/Cimiez et de 0,09 m à Vaison-la-Romaine28. Dans la villa Derrière la Tour d’Avenches, l’aménagement est légèrement différent. La paroi de l’égout double le mur de la salle et s’élève à 0,45 m au-dessus du sol (voir infra, Catalogue, fig. 308). C’est elle – et non pas le mur – qui supportait la banquette.

Fig. 61 – Nice/Cimiez, Thermes du Nord : vue de la banquette et de l’égout des latrines

Fig. 62 – Vaison-la-Romaine, Maison des Messii : vue depuis l’est des latrines 33

Fig. 63 – Différents types de consoles supportant les banquettes des latrines.

36Dans d’autres cas, celle-ci est maintenue par des consoles fixées dans la paroi, disposées transversalement par rapport à l’égout. Elles prennent diverses formes. Dans la pièce 53 de la Maison au Dauphin à Vaison-la-Romaine, ce n’est pas la totalité de la pierre qui pénètre le parement, mais simplement un tenon haut de 0,15 m, long de 0,18 m, situé dans sa partie haute (fig. 63a). Bien qu’aucune n’ait été actuellement retrouvée dans les latrines de Chassenon, le principe devait y être identique. Les dimensions des encastrements (0,20 m de hauteur ; 0,15 m de largeur), leur disposition par rapport au niveau du sol de la salle, permettent de déterminer la présence d’un tenon dans la partie basse.

37Dans les latrines 33 de la Maison des Messii à Vaison-la-Romaine, seules les traces d’encastrement des consoles ont été découvertes (voir supra, fig. 62). Au vu de leurs dimensions (0,40 m de hauteur ; environ 0,30 m de largeur), on peut penser que la totalité de la pierre était insérée dans la paroi.

38Dans les Thermes du Forum à Saint-Bertrand-de-Comminges, on pouvait douter a priori de la proposition d’interprétation comme support de sièges des deux pieds de banc moulurés29, hauts de 0,34 m et 0,36 m, retrouvés dans d’autres pièces des thermes, du fait de la moulure dont on imaginait mal la fonction par rapport à la plaque verticale avant (fig. 63b). Compte tenu des découvertes réalisées dans les Thermes des Lutteurs à Saint-Romain-en-Gal, il faut bien admettre que l’idée est recevable (fig. 63c). En effet, les latrines ont conservé deux consoles en place de même profil. La restitution de la banquette qui a été proposée dans le cadre de la mise en valeur des vestiges avec une plaque avant verticale rectiligne s’appuie sur ce que l’on connaît dans d’autres édifices, mais n’explique pas la nécessité d’une telle moulure (voir infra, fig. 65 et 66a). Les consoles sont prises dans ce cas dans la paroi ; conservées partiellement à Saint-Bertrand-de-Comminges, on ne peut pas savoir s’il en était de même30. Trois consoles de ce type (hautes de 0,335 m, 0,331 m et 0,325 m) ont été mises au jour dans les latrines proches du forum de Conimbriga (Portugal) (Alarcão, Étienne, 1977, p. 148) (fig. 63d). Dans celles de la Palestre romaine de Philippes, les profils sont identiques (Lemerle, 1937, pl. XI) (fig. 63e) ; les consoles sont en saillie sur la plaque orthostate et scandent ainsi la banquette en maintenant les dalles qui la constituent. Dans les exemples de la Gaule, un tel aménagement ne peut être restitué : les consoles en place des Thermes des Lutteurs prouvent qu’elles n’étaient pas suffisamment saillantes pour rythmer la banquette et leurs faces latérales ne conservent pas de feuillure destinée à recevoir les plaques. On peut se demander si la mouluration des consoles nécessitait réellement la présence d’une fermeture avant et si elle ne servait pas uniquement d’ornementation. On aurait ainsi un égout qui serait largement accessible entre les consoles (voir infra, fig. 66b). Il convient d’analyser les différents arguments. Dans les Thermes des Lutteurs, seule pièce où elles sont en place, les dalles situées sous les pieds des utilisateurs conservent les traces d’ancrage des consoles, mais aucune n’est en relation avec les plaques avant. Ceci ne peut pas être un élément déterminant car, même lorsque leur présence est assurée, de telles traces ne sont pas toujours discernables.

39Autre argument en faveur de l’absence de la plaque avant : l’épaisseur de la dalle horizontale percée d’environ 0,15 m, la plus épaisse de celles repérées dans les régions étudiées, pourrait s’expliquer par le fait qu’elle était supportée uniquement par les consoles des extrémités et qu’elle avait une portée de 2 m. On pourra objecter que la pierre des Thermes du Nord de Nice/Cimiez (avec 0,12 m) et celle de la Maison du Prétoire à Vaison-la-Romaine (avec 0,125 m) ne sont guère moins épaisses et l’on est assuré qu’il existait là une plaque avant31.

Fig. 64 – Pied de banc de l’apodyterium des Thermes de Saint-Vincent à Gaujac

40Un autre argument nous paraît toutefois décisif. À Saint-Bertrand-de-Comminges, à Saint-Romain-en-Gal et à Conimbriga (voir fig. 63b-d), la face supérieure des consoles est dotée d’un petit ressaut qui s’interrompt au droit de la moulure. Les consoles de Philippes, qui gardent trace de l’encastrement de la plaque avant, ne possèdent pas ce ressaut à l’emplacement de la banquette (voir fig. 63e) ; celui-ci apparaît uniquement au-devant, au niveau de la moulure. On peut en déduire que le ressaut des premiers exemples correspond exactement à la largeur de la dalle percée et prouve donc l’absence de plaque. G.C.M. Jansen (1998, p. 118 ; 2002b, p. 155-156) a montré que dans certaines latrines modestes à égout latéral d’Ostie, lorsque le conduit ne possédait pas d’alimentation propre, la banquette n’était pas fermée afin de pouvoir y jeter des seaux d’eau lors du nettoyage. On connaît également les deux sièges individuels de latrines en marbre rouge, richement décorés, dont l’un est au Louvre et l’autre au Vatican, qui proviennent tous les deux de Rome32, ainsi que celui de l’abbaye de Montecassino, tous parfaitement conservés et ne présentant pas de plaque avant.

Fig. 65 – Saint-Romain-en-Gal, Thermes des Lutteurs : vue depuis le nord de la banquette des latrines

41Dans les cas étudiés, les salles ont de grandes superficies et la conduite latérale est parcourue par un flux d’eau important. Il faut peut-être voir dans ces aménagements un souvenir archaïsant. Quoi qu’il en soit, l’étude des supports prouve une diversité de banquettes qui va à l’encontre de ce que l’on restitue dans l’imagerie traditionnelle, certains égouts étant totalement masqués, d’autres largement visibles entre les pieds des utilisateurs33.

42Les consoles des latrines de la Maison du Prétoire à Vaison-la-Romaine présentent un profil différent des précédentes (voir supra, fig. 53-54). Deux d’entre elles, qu’il nous a été possible d’étudier, disposent à la base de leur partie avant d’une zone en saillie de 0,08 m pour une hauteur de 0,18 m, qui prouve que la plaque verticale n’avait pas la même épaisseur sur toute sa longueur (fig. 63f-g). La dernière console au sud-est ferme la banquette qui ne s’appuie pas à l’angle de la pièce. Sa base est moulurée en congé et sa face latérale nord est munie d’une feuillure oblique large de 0,04 m destinée à recevoir la fermeture avant (fig. 63h).

Fig. 66 – Saint-Romain-en-Gal, Thermes des Lutteurs : les différentes hypothèses de banquette

43Les quelques consoles étudiées ci-dessus – mais sont-elles représentatives de l’ensemble ? – se différencient par leur complexité de celles constituées d’un simple bloc quadrangulaire tel que mis en œuvre dans les latrines du forum ou dans celles des Thermes de Stabies à Pompéi (Koloski-Ostrow, 1996, p. 82). L’explication est peut-être chronologique, les lieux de la cité campanienne étant antérieurs aux années 80 apr. J.-C. Datées de la première moitié du ii^e s., les consoles du Bâtiment à l’Ouest du Canope dans la Villa Hadriana de Tivoli sont plus travaillées (Jansen, 2003, p. 150). En revanche, celles d’Ostie sont toutes constituées d’un simple bloc de pierre.

44Les consoles sont disposées à distance régulière et varient en fonction de la dimension des salles, de 0,66 m à 1,54 m dans la Maison des Messii, tous les 0,90 m à Chassenon34, tous les 2 m dans les Thermes des Lutteurs. Cette très grande disparité entre les bâtiments et parfois à l’intérieur d’une même salle n’est pas caractéristique des régions étudiées : dans les latrines des abords du forum de Bolsena, les consoles sont distantes de 0,80 m à 1,60 m (Hallier et al., 1982, p. 66). En revanche, elles sont régulièrement espacées de 2,20 m dans les latrines du Marché sud de Milet (Turquie) (Knackfuss, 1924, p. 179), de 1,90 m dans la Palestre romaine de Philippes (Lemerle, 1937, pl. XI), de 1,42 m35 à l’Agora de Side (Turquie) (Mansel et al., 1956, p. 30) ; les distances sont également constantes36 au Gymnase de Salamine (Chypre) (Karageorghis, 1965, p. 287).

45La présence contre le mur d’un ressaut d’appui de la banquette n’est pas antinomique avec l’existence de consoles. Dans les latrines précédemment évoquées de la Maison des Messii, les deux aménagements retrouvés sont contemporains (voir supra, fig. 62). En revanche, dans les latrines des thermes de Gaujac, rien ne subsiste. La pièce est pourtant située en contrebas de la palestre et sa paroi est suffisamment bien conservée pour montrer un parement lisse. Il faut donc envisager des consoles simplement appuyées et récupérées par la suite ou des cadres de bois disparus (fig. 67).

46La plupart des sièges devaient être en bois, mais il n’en reste généralement aucune trace. Quelques indices subsistent toutefois. Dans la Schola de l’Îlot des Cordeliers à Poitiers, la banquette n’a pas été retrouvée ; la paroi nord de la pièce conserve de façon régulière, sur cinq assises, des encastrements de dimensions à peine plus grandes qu’un moellon de petit appareil ; on n’en retrouve pas dans le mur opposé. Ils ont été interprétés comme les ancrages des supports de la banquette. Dans l’Insula LIII d’Augst, la fosse 4, dans son état 2b, a livré des traces de planches maintenues à chaque angle par un poteau et formant un siège de 0,96 m de côté (fig. 68). Dans la Maison aux Xenia à Lyon, deux trous de potelet situés de part et d’autre de l’avaloir délimitent un aménagement d’environ 0,50 m sur 1 m (voir supra, chap. premier, fig. 20-21).

Fig. 67 – Gaujac, Saint-Vincent : vue en écorché depuis l’est des latrines. La banquette percée est maintenue par des cadres en bois

Fig. 68 – Augst, Insula LIII : état 2b de la fosse 4

LES BANQUETTES PERCÉES37

47Elles reposent directement sur le sol de la salle et beaucoup plus rarement – Thermes des Lutteurs à Saint-Romain-en-Gal (fig. 66), Maison du Prétoire à Vaison-la-Romaine (voir supra, fig. 53), thermes du Vieil-Évreux, latrines 75 de la villa de Loupian38 – sur un marchepied qui les surélève légèrement. Les matériaux employés dans leur construction sont essentiellement la pierre ou le bois. Le premier est évidemment le plus courant puisqu’on le trouve dans les Thermes du Forum à Saint-Bertrand-de-Comminges, dans les Thermes du Nord à Nice/Cimiez (fig. 69), dans ceux des Lutteurs à Saint-Romain-en-Gal, dans la Maison du Prétoire à Vaison-la-Romaine (fig. 70), à Barzan (fig. 71) ainsi que dans la villa de Bad Kreuznach (voir supra, fig. 56). Parfois, un élément indirect fait pressentir son existence : dans les latrines de Kastelen 2 à Augst, c’est la présence d’un bloc monolithe creusé d’un canal disposé uniquement à l’emplacement de la banquette qui suggère que celle-ci était en pierre (fig. 72) ; à Rottenburg am Neckar, la zone démaigrie qui s’étend sur 0,10 m de largeur le long de l’égout pourrait être la trace d’accrochage d’une banquette en pierre39.

Fig. 69 – Nice/Cimiez, Thermes du Nord : plan et coupe de la banquette des latrines.

Fig. 70 – Vaison-la-Romaine, Maison du Prétoire : vue de la banquette percée des latrines

Fig. 71 – Barzan, Bâtiment I : fragment de lunette de latrines

Fig. 72 – Augst, Insula I, Kastelen 2 : vue depuis l’est des latrines 8

48Dans quelques cas, la banquette n’est pas constituée de dalles mais maçonnée comme dans les latrines 81 de la villa des Prés-Bas à Loupian. Dans la Maison des Antes à Glanum, le piédroit avant de l’égout conserve une assise établissant la présence d’une voûte, ce qui fait supposer une maçonnerie.

49Beaucoup plus rares sont les attestations de banquettes de bois. Une seule découverte se rapporte à la zone étudiée ici : celle de la parcelle 1139 d’Eschenz (fig. 73a). Ailleurs, il s’agit, la plupart du temps, d’hypothèses40 ; parfois des indices en apportent la preuve : dans l’état 3 des Thermes du Forum à Martigny, c’est son empreinte sur le mur du fond qui a été déterminante ; dans l’état 3a2 de la villa de Loupian, la fouille minutieuse a permis de conclure à une telle présence : le sédiment d’infiltration et le tassement des couches archéologiques dans l’égout s’expliquent par la chute dans le conduit, lors de la destruction du bâtiment, de pièces de bois, probablement la banquette, comme à Saint-Romain-en-Gal (fig. 74). Dans la villa Derrière la Tour d’Avenches, ce sont des traces de bois carbonisé dans l’égout qui fondent l’hypothèse. La découverte d’Eschenz permet de penser que les innombrables latrines sur fosse – qui devaient être couvertes d’un plancher – possédaient des banquettes de bois, plus légères que des structures en d’autres matériaux41. La découverte de Martigny prouve que le bois n’était pas destiné uniquement aux latrines les plus modestes, mais qu’il était employé dans les structures publiques de moyenne importance42.

50Hors de notre champ d’étude, les banquettes de bois sont tout aussi peu fréquentes. Toutefois, on peut citer la découverte de Neatham (Grande-Bretagne) dans le comblement d’un puits de la fin du iii^e s. apr. J.-C. (Redknap, 1976)43 (fig. 73b). Dans les latrines collectives de la Villa Hadriana à Tivoli, le recours au bois est de règle, l’utilisation du travertin ou du marbre s’avère exceptionnelle (Jansen, 2002a, p. 76 ; 2003, p. 148). La lunette d’Eschenz est importante à plus d’un titre. Outre l’emploi d’une matière très fragile et rare, cette découverte prouve que les banquettes étaient identiques, qu’elles soient aménagées dans des latrines à égout latéral ou sur fosse.

Fig. 73 – Banquettes en bois de latrines.

51La plupart du temps, seule la dalle horizontale est retrouvée, mais non la plaque verticale avant44. Les épaisseurs sont très variables : 0,05 m à Barzan ; 0,06 m dans les Thermes du Forum à Saint-Bertrand-de-Comminges45 ; maximum 0,12 m dans les Thermes du Nord à Nice/Cimiez ; 0,125 m dans la Maison du Prétoire à Vaison-la-Romaine ; 0,15 m pour son négatif dans la paroi du fond des Thermes des Lutteurs à Saint-Romain-en-Gal46. Seule la pièce de Bad Kreuznach a conservé une série de dalles dressées, cassées au niveau du sol, appartenant à la base de la banquette (voir supra, fig. 56). À Eschenz, la planche qui a accueilli la lunette est épaisse de 0,03 m à 0,06 m ; elle a conservé à une extrémité une rainure de 0,05 m de largeur et de 0,03 m de profondeur, empreinte de la planche verticale latérale. La découverte de Neatham est épaisse de 0,035 m (Redknap, 1976, p. 288).

Fig. 74 – Saint-Romain-en-Gal, Maison aux Poissons : reconstitution d’une banquette en bois dans les latrines 17. Manque d’entretien ou archéologie expérimentale ?

52Les dalles avant étaient disposées verticalement dans les latrines de Nice/Cimiez (voir fig. 69) et il en était peut-être de même dans la Maison au Dauphin à Vaison-la-Romaine (voir supra, fig. 63a). En revanche, dans la Maison du Prétoire, la feuillure latérale creusée dans la console prouve qu’elles avaient été volontairement placées en oblique (voir supra, fig. 63h). Cet aménagement que l’on retrouve ailleurs – Thermes des Cyclopes à Dougga (Tunisie), Thermes du Rivage à Sabratha (Libye) (voir supra, Introduction, fig. 2), Thermes d’Hadrien à Leptis Magna (Libye), par exemple – donnerait à l’utilisateur une position plus décontractée, moins crispée et serait un témoignage de la fonction sociale du lieu (Neudecker, 1994, p. 45, 49 et 69). Nous verrons plus loin47 ce que nous pensons de cette hypothèse ; on peut déjà noter que ce type de banquette ne se retrouve pas seulement dans les latrines luxueuses où une telle fonction est susceptible d’être mise en avant mais, au contraire, tant dans les régions étudiées que dans les autres provinces, où sa fréquence semble48 plus grande dans les petites structures.

53La profondeur des banquettes est également variable : 0,50 m dans la Maison du Prétoire à Vaison-la-Romaine ; 0,60 m dans les Thermes des Lutteurs à Saint-Romain-en-Gal ; 0,66 m dans les Thermes du Forum à Saint-Bertrand-de-Comminges ; 0,77 m dans les Thermes du Nord à Nice/Cimiez. La variété existant dans la largeur des égouts49 induit une plus grande diversité que celle perçue à travers les quelques chiffres évoqués50. À la largeur de la conduite, il faut parfois ajouter la distance séparant son piédroit de la paroi du fond, les deux parements ne se confondant pas toujours. Dans les thermes de Nice/Cimiez, si la mesure qui vient d’être évoquée concerne les branches est et nord, la banquette ouest devait dépasser 1,30 m. Dans la villa d’Avenches, le conduit n’est large que de 0,44 m et la profondeur de la banquette devait être de l’ordre de 0,95 m (voir infra, Catalogue, fig. 308). Dans la Schola de Poitiers, on peut l’estimer à 1,05 m. À l’inverse, si l’hypothèse de latrines est exacte dans l’état 1a des Thermes publics de Bliesbruck, la largeur de l’évacuation, de 0,15 m seulement, laisse présumer une profondeur de banquette bien moindre51. Dans tous ces cas, les emplacements sont juxtaposés le long des murs. Dans les latrines de la rue Hannong à Strasbourg, les six lunettes situées au-dessus de la fosse centrale ont été restituées en deux séries de trois, les utilisateurs se tournant donc le dos. La banquette était très large, de l’ordre de 1,20 m à 1,30 m52 (fig. 75).

54Les hauteurs des banquettes sont mal connues, du fait de l’absence déjà évoquée des dalles avant : 0,50 m53 dans les Thermes des Lutteurs à Saint-Romain-en-Gal ; 0,52 m dans les Thermes du Nord à Nice/Cimiez et dans la Maison du Prétoire à Vaison-la-Romaine. Dans l’état 3 des latrines des Thermes du Forum à Martigny, la banquette de bois n’était pas partout uniforme du fait de la pente du sol : elle était de 0,36 m au sud-ouest et 0,55 m au nord-est54.

55Les diamètres des lunettes ne varient pas énormément : 0,185 m à Barzan ; 0,19 m aux Thermes du Forum à Saint-Bertrand-de-Comminges, dans les Thermes du Nord de Nice/Cimiez, dans la Maison du Prétoire ainsi que pour la lunette de bois d’Eschenz. Il s’agit de simples ouvertures taillées avec plus ou moins de régularité. Les exemples ne sont pas suffisamment nombreux dans les régions étudiées pour savoir si la différence de facture est consécutive à des phases de remaniements. Dans un seul cas, l’aménagement est plus complexe que la simple ouverture : dans les Thermes du Forum à Saint-Bertrand-de-Comminges, chacune est entourée, ainsi que la saignée, d’un bandeau55 large de 0,046 m/0,055 m (fig. 76). Un aménagement identique en creux apparaît dans les latrines de l’Asclépiéion de Pergame (Turquie) (Deubner, 1938, p. 50-52) (fig. 77), dans celles des Thermes d’Hadrien à Leptis Magna (Ward-Perkins, 1981, p. 382) (fig. 78), dans la Palestre romaine de Philippes (Lemerle, 1937, pl. XI) (fig. 79a) et au Marché sud de Milet (Knackfuss, 1924, p. 179) (fig. 79b). Qui s’est assis un peu longuement sur une lunette de latrines antiques découvre que l’endroit est rapidement inconfortable ; la rainure périphérique, en cassant l’arrête, tend à accroître le confort56.

Fig. 75 – Strasbourg, Rue Hannong : reconstitution de l’intérieur des latrines

Fig. 76 – Saint-Bertrand-de-Comminges, Thermes du Forum : l’égout des latrines au moment de son dégagement. À droite, fragment de banquette percée

Fig. 77 – Pergame, Asclépieion

Fig. 78 – Leptis Magna, Thermes d’Hadrien

56La lunette est complétée par une saignée verticale qui se prolonge sur la dalle avant, facilitant un meilleur positionnement de la verge et le passage de l’éponge57. Généralement, on ne possède que son départ au niveau de la lunette car cette dalle est rarement retrouvée ; la forme de la saignée est donc mal connue. Dans les Thermes du Nord de Nice/Cimiez, sa forme est grossièrement trapézoïdale, large au maximum de 0,11 m pour une hauteur totale de 0,18 m (voir supra, fig. 69). Elle ne se termine pas de façon horizontale, mais présente une pente de 45 % vers l’intérieur de l’égout. Dans les latrines de la Maison du Prétoire à Vaison-la-Romaine, la saignée rectiligne est large de 0,065 m sur toute l’épaisseur de la pierre horizontale, à savoir 0,125 m (voir supra, fig. 70). On ne sait pas comment elle se terminait puisque aucune dalle verticale n’a été dégagée. Actuellement, l’aspect des banquettes résulte des restaurations, mais il ne peut être considéré comme la réalité antique58. On écartera les autres interprétations de lunettes qui nous paraissent peu satisfaisantes : le bloc parallélépipédique de la villa des Cloisets à Colmiers-le-Bas et son canal cylindrique de 0,175 m s’évasant en entonnoir (voir infra, fig. 120) ou les pierres percées dans les rues d’Augst (diamètre de l’ouverture 0,30 m) et du vicus de Schwarzenacker59.

Fig. 79 – Banquettes percées de latrines avec bandeau en creux.

57Il semble que les diamètres des lunettes des régions étudiées soient plus homogènes que ce que l’on observe ailleurs60 : 0,15 m dans les petites latrines tardives du Bain-Gymnase de Sardes (Turquie) (Yegül, 1986, p. 23) ; 0,16 m dans la Palestre romaine de Philippes (Grèce) (Lemerle, 1937, pl. XI) ; 0,165 m au Marché sud de Milet (Turquie) (Knackfuss, 1924, p. 179) ; 0,18 m à Belalis Major (Tunisie) (Hallier et al., 1982, p. 66, note 33), à l’Agora romaine d’Athènes (Hallier et al., 1982, p. 66, note 33) et dans les thermes de La Magliana dans les environs de Rome (Broise, Scheid, 1987, p. 35 et 37) ; 0,19 m à Neatham (Redknap, 1976, p. 288) ; 0,20 m dans la Domus de la Fortuna Annoraria61 à Ostie (V II, 8) et 0,205 m dans les Thermes du Philosophe de la même ville (V II, 6-7)62 ; 0,21 m au forum de Volubilis (Maroc) (Hallier et al., 1982, p. 66, note 33), aux Grands Thermes sud de Timgad (Boeswillwald et al., 1905, p. 250) et sur le siège du Musée du Louvre63.

58Parmi les quelques exemples pris en considération, G. Hallier distingue trois types de dimensions de lunette : le demi, le deux-tiers et le trois-quarts de pied (Hallier et al., 1982, p. 66, note 33). Au terme de cette liste, il se dégage l’impression d’une diversité entre sites, mais d’une homogénéité à l’intérieur de chaque pièce. Or, les mesures que nous avons pu prendre dans plusieurs latrines d’Ostie, rassemblées dans les tableaux ci-dessous (tabl. XI-XIV), donnent une image différente.

59Il existe en fait une grande diversité de diamètres à l’intérieur d’une même pièce, même si, de façon générale, les mesures sont moindres dans les latrines des Thermes du Forum que dans celles de la Voie du Temple Rond et de la Schola de Trajan, elles-mêmes plus réduites que dans la pièce de la Voie de la Forica. À Rome, les deux diamètres relevés dans la Grande Forica du Largo Argentina, de 0,148 m et 0,16 m, témoignent du même écart. On pourrait penser que les lunettes d’Ostie, appartenant pour la plupart à des édifices tardifs, ont été réalisées avec moins de soin. Telle n’est pourtant pas la réalité. Celles de la Grande Forica témoignent d’un travail bien plus fin que dans la ville portuaire et l’on constate pourtant la même disparité. Si l’on revient aux régions prises en compte dans cette étude, les lunettes de Nice/Cimiez, pour lesquelles on possède – cas unique – deux mesures, témoignent également de cette irrégularité ; l’une est circulaire, l’autre ovalaire. On se rend donc compte que les lunettes ne font pas l’objet d’une grande standardisation à l’intérieur d’une même pièce, les tailleurs de pierre se contentant de mesures approximatives64. L’impression de standardisation qui semblait se dégager sur les autres sites est due en fait à la faiblesse de l’échantillon (une seule mesure par pièce) ou à la généralisation faite par le fouilleur à partir de quelques relevés65.

Tabl. XI – Latrines de la Voie de la Forica à Ostie (I XII, 1).

Tabl. XII – Latrines des Thermes du Forum à Ostie (I XII, 6).

Tabl. XIII – Latrines de la Voie du Temple Rond à Ostie (IV IV, 4).

Tabl. XIV – Latrines de la Schola de Trajan à Ostie (IVIV, 15).

60Le nombre limité de découvertes ne permet pas de connaître l’entraxe exact des lunettes. Rappelons que nous avons utilisé comme mesure 0,60 m d’axe en axe dans les restitutions théoriques proposées dans le catalogue. Il est de 0,55 m à 0,56 m dans les Thermes du Nord à Nice/Cimiez ; de 0,59 m dans la Maison du Prétoire à Vaison-la-Romaine ; de 0,67 m à 0,71 m dans les Thermes du Forum à Saint-Bertrand-de-Comminges. Dans les Thermes des Lutteurs à Saint-Romain-en-Gal, les distances varient selon les branches : 0,68 m à l’ouest, 0,60 m au sud, 0,70 m au nord66. Les latrines d’Eschenz ne comportaient qu’une seule lunette taillée dans une banquette d’au moins 1,29 m de longueur. C’est un entraxe de 0,50 m qui a été retenu pour le calcul théorique des capacités des latrines de la Villa Hadriana à Tivoli (Jansen, 2003, p. 148, note 12)67 ou de celles de Pompéi (Jansen, 1997, p. 126, note 11). L’entraxe est de 0,51 m à Belalis Major ; de 0,54 m à 0,59 m à l’Agora romaine d’Athènes ; de 0,545 m au Marché sud de Milet (Knackfuss, 1924, p. 179) ; de 0,58 m dans la Palestre romaine de Philippes (Lemerle, 1937, pl. XI)68 ; de 0,59 m dans les Thermes du Philosophe à Ostie. Dans les Thermes du Forum de la même ville, les distances varient de 0,589 m à 0,722 m69, dans la pièce de la Voie de la Forica de 0,387 m à 0,862 m70, dans celles de la Voie du Temple Rond de 0,417 m à 0,552 m71, dans la Schola de Trajan de 0,497 m à 0,51 m72. On ne possède malheureusement pas assez de mesures sur des bâtiments bien datés pour tenter de repérer une évolution chronologique tendant à prouver un accroissement des distances, témoin de l’amélioration du confort73.

61Il ne semble pas qu’il soit fait grand cas de la disposition des lunettes sur les dalles horizontales de la banquette : dans les Thermes du Nord de Cimiez, une dalle de 1,41 m de longueur accueille deux lunettes et demi, c’est-à-dire que la dernière se trouve à cheval sur deux plaques, ce qui ne manquait pas de provoquer un point de faiblesse74 (voir supra, fig. 69).

62L’origine des pierres formant la banquette est rarement mentionnée ; il s’agit dans tous les cas de pierres locales : calcaire à Barzan, molasse marine de Beaumont dans la Maison du Prétoire à Vaison-la-Romaine ; seul à Saint-Bertrand-de-Comminges le marbre est mentionné. On peut penser à une provenance de Saint-Béat. Même si l’on est en présence d’un matériau en apparence plus prestigieux, le cas de figure est identique aux précédents car Saint-Bertrand-de-Comminges se situe à proximité des carrières.

63On considère généralement que la dalle de la banquette repose simplement sur ses supports. Celle découverte dans les Thermes du Forum à Saint-Bertrand-de-Comminges apporte la preuve qu’elle pouvait également être profondément scellée dans la paroi. La plaque est large de 0,95 m pour une largeur de banquette de seulement 0,66 m, soit une pénétration dans le parement de 0,27 m (Aupert et al., 2001, p. 52). Ceci apporte une précision sur le plan technique : soit la banquette – et par conséquent le sol sur lequel elle repose – était aménagée en même temps que le gros œuvre de la maçonnerie, soit une saignée horizontale était conservée dans la paroi en vue de l’aménagement ultérieur des sièges, ce qui risquait de la fragiliser75.

64Malgré leurs dimensions différentes, ces banquettes, qu’elles aient été ouvertes ou non, offrent toutes un aspect semblable. Il convient toutefois de s’interroger sur les sièges que l’on doit restituer dans les latrines si particulières de la villa de Las Peiras à Rabastens. Rappelons qu’il s’agit de sièges individuels disposés chacun dans une niche. L’état très médiocre des vestiges n’a pas permis d’en retrouver la moindre trace. On pourra, selon le niveau de richesse et de décor que l’on restituera, imaginer différents types de sièges : simples sièges individuels mais d’aspect semblable aux précédents (fig. 80), sièges plus élaborés à l’instar de ceux dégagés dans la Maison de la Gorgone à Dougga (Grassnick, 1982, p. 5) (fig. 81), voire luxueux comme ceux conservés en place dans le palais impérial du Palatin dont les accoudoirs sont formés de deux consoles ornées (Daremberg, Saglio, 1904, III, p. 988) (voir supra, chap. premier, fig. 44c) ou ceux en marbre rouge, décorés de pieds léonins, aux accoudoirs rehaussés de palmettes et de volutes provenant de Rome et déposés pour l’un au Musée du Louvre (fig. 82), pour l’autre au Musée du Vatican (Richter, 1966, p. 99-100)76, ou enfin celui de l’abbaye de Montecassino (Italie) (Pisani Sartorio et al., 1999, p. 229).

Fig. 80 – Rabastens, Las Peiras : évocation de l’intérieur des latrines

LES FENÊTRES

65Contrairement aux portes, les fenêtres sont mal connues car leur attestation nécessite un bon état de conservation des vestiges en élévation. Les seules ouvertures retrouvées se trouvent dans la villa Derrière la Tour d’Avenches. Les latrines sont situées au sous-sol de la demeure et les trois soupiraux qui éclairent la salle devaient donc affleurer le niveau du sol antique extérieur77. Il s’agit ici de petites ouvertures. Ailleurs, les témoignages sont indirects. À Chassenon, l’étude des enduits peints permet de restituer, en zone haute de la paroi, des fenêtres aux ébrasures soulignées de peinture rouge. Aux Bons-Villers à Liberchies, ce sont des fragments de verre à vitre retrouvés dans la fouille qui attestent l’existence de fenêtres. On peut donc penser que ces ouvertures n’étaient destinées qu’à l’éclairage de la pièce et non pas à l’aération78. Le problème ne se posait pas dans les Thermes des Lutteurs à Saint-Romain-en-Gal ; en effet, le nymphée ornant la partie centrale de la pièce était à l’air libre, entouré d’une colonnade abritant la banquette percée. L’ouverture dans la toiture apportait donc lumière naturelle et aération (voir infra, chap. III, fig. 118).

Fig. 81 – Dougga (Tunisie), Maison de la Gorgone : siège monolithe de latrines

Fig. 82 – Paris, Musée du Louvre : siège de latrines provenant de Rome

66Les urbanistes antiques, comme Julien d’Ascalon (vi^e s. apr. J.-C.), distinguent trois catégories de fenêtres : les basses à fonction panoramique, les hautes et en forme d’archère à fonction exclusive d’éclairage (Saliou, 1994, p. 248-250). Considérant les soins pris par les architectes pour isoler les latrines de l’espace environnant79, on peut raisonnablement penser que les fenêtres appartenaient à la deuxième catégorie80 et qu’aucun regard ne pouvait être jeté à l’intérieur de la pièce, même si l’on ne peut pas exclure les fenêtres vitrées basses car le verre antique, translucide et non transparent, ne laissait passer que la lumière (Broise, 1991, p. 61).

67Les constructions bien conservées d’Italie apportent des compléments d’information. Les latrines des Thermes de Stabies à Pompéi, mises en place dans leur dernière phase de développement au début de l’époque augustéenne, sont éclairées par de très petites fenêtres situées au sommet de la paroi (Koloski-Ostrow, 1996, p. 81 ; 2000, p. 291). Dans les latrines du forum en cours de construction au moment de l’éruption du Vésuve, les deux ouvertures situées en hauteur sont plus grandes ; la pièce est donc un peu mieux éclairée que la précédente (Neudecker, 1994, p. 21 ; Koloski-Ostrow, 1996, p. 82)81. Dans les petites latrines de la même ville, les fenêtres représentent l’exception (Barattolo, Romaldi, 2000, p. 265) ; lorsqu’elles sont à hauteur d’homme, elles sont petites et étroites ; celles qui se situent en hauteur sont plus grandes (Jansen, 1997, p. 126). Tout aussi modestes sont les ouvertures des latrines de la Place du Cinquecento à Rome (Bandini et al., 1997, p. 156). En revanche, les toilettes individuelles ou collectives de la Villa Hadriana à Tivoli sont percées de larges fenêtres (Jansen, 2002a, p. 77, 81 ; 2003, p. 149) ; celles des latrines au sud-est du Canope, large de 1,10 m pour une hauteur de 1,50 m, sont perchées à 3 m (Jansen, 2002a, p. 81 ; 2003, p. 143), d’autres s’ouvrant dans des lieux individuels sont par contre en position basse et devaient être obturées par des vitres (Jansen, 2002a, p. 81). Les deux vastes salles du Macellum de Pouzzoles (Italie), daté probablement de l’époque sévérienne, sont éclairées chacune par trois fenêtres – celle du centre ayant 2,10 m de largeur, les latérales 1,80 m – situées en partie haute de la paroi orientale (de Ruyt, 1983, p. 155). Dans les thermes de Fuorigrotta à Naples (Italie), cinq fenêtres éclairent les latrines de plan semi-circulaire (Laforgia, 1981, p. 4)82. Dans les latrines de la Crypta Balbi de Rome, on en retrouve trois, de 1,20 m de largeur (Saguí, 1990, p. 12). Dans toutes les latrines qu’il nous a été possible de visiter à Ostie, les fenêtres sont vastes83 et toujours situées en hauteur84 : 1,90 m au-dessus du sol dans les latrines des Thermes du Forum ; 2,30 m dans l’Immeuble des Auriges.

68L’état de conservation très médiocre des vestiges étudiés ici ne permet pas de saisir les différences d’éclairage qui devaient exister d’un bâtiment à l’autre et a gommé irrémédiablement toute l’évolution chronologique que l’on peut pressentir ailleurs : des latrines sombres et austères du i^er s. apr. J.-C. à celles bien plus lumineuses à partir du ii^e s.85.

LA CIRCULATION DES LIQUIDES

69Dans bon nombre de latrines, comme celles constituées d’une simple fosse, le problème de la circulation de l’eau ne se pose pas car elle est inexistante. Ailleurs, lorsque les structures sont plus élaborées, elle devient omniprésente car elle est utilisée tant pour l’évacuation des déjections que pour l’hygiène des utilisateurs et leur bien-être.

LES CUVELAGES DES FOSSES

Le bois

70Le cuvelage en bois a probablement été bien plus utilisé que ce que les vestiges archéologiques nous transmettent, du fait de la fragilité du matériau. Il peut prendre différents aspects86.

Type 1

71Dans bon nombre de cas87 (fig. 83a-f) il se compose de planches ou de madriers horizontaux maintenus aux angles par des poteaux88. Il peut y avoir des aménagements complémentaires destinés à renforcer la structure :

• piquets verticaux : côté nord de la fosse 19 de Besançon (état 2), fosse 79 de l’Unteres Bühl, parcelle 12 d’Oberwinterthur (fig. 83g) ;

• planches : côté est de la fosse 7 de Brumath ;

• coffrage : arrière de la paroi sud de la fosse 56 de la parcelle C de Kellerei, à Ladenburg.

72Dans la fosse 4 de la Römerstrasse 169A à Oberwinterthur, les poteaux se trouvent à l’intérieur de la fosse, dans sa partie nord. Dans la fosse 21 de la Römerstrasse 186 à Oberwinterthur, les parois forment un cône dans la partie basse dans laquelle sont implantés les pieux d’angle. Ceux-ci étaient renforcés par des planches disposées en biais (voir fig. 83h). Rue Hannong à Strasbourg, la fosse est taillée en gradins.

Type 2

73Dans un seul cas (fosse 80 de la parcelle 14 de l’Unteres Bühl, à Oberwinterthur), le coffrage est constitué de pieux juxtaposés (fig. 84). Dans les angles, d’autres, plus importants, maintenaient une entretoise assurant la stabilité de l’ensemble89.

Type 3

74Ailleurs, il est question d’un clayonnage de branches maintenu par des poteaux90 (fig. 85). Ceux-ci sont distants de 1,50 m dans la fosse 58 d’Oberaden.

Type 4

75Le type 4 est constitué d’une « vannerie » qui recouvre la paroi de la fosse. Tel est le cas pour l’état 2b de la fosse 4 de l’Insula LIII d’Augst où les parois sont tapissées de branches de sapin (fig. 86a). La découverte d’une couche de copeaux de sapin au fond de la fosse 4 de la Maison XI du vicus de Zurzach (fig. 86b) a fait envisager aux fouilleurs la même structure, mais l’hypothèse a été abandonnée. À Augst, l’idée a été émise que ce « panier », une fois rempli, pouvait être sorti de sa cavité pour être vidé en vue d’une réutilisation. L’hypothèse paraît peu vraisemblable.

Type 5

76Le cuvelage peut également être formé d’un tonneau91 qui trouve ici un remploi inattendu, comme dans la fosse 54 de la parcelle 12 de l’Unteres Bühl à Oberwinterthur et dans les fosses 60, 64, 65 et 66 d’Oberaden.

77Il peut aussi faire appel à deux modes de construction. La fosse 56 d’Oberaden est délimitée, à l’est et à l’ouest, par un coffrage de planches et au nord comme au sud par un clayonnage. Dans un certain nombre de cas, si le cuvelage de bois est attesté, sa nature exacte demeure inconnue92.

Fig. 83 – Fosses avec cuvelage en bois. Type 1 : a-f) coffrage de planches horizontales maintenues par des poteaux ; g) structure renforcée par des piquets verticaux ; h) coffrage de planches disposées en biais.

Fig. 83 (suite)

Fig. 84 – Fosse avec cuvelage en bois. Type 2 : Oberwinterthur, Unteres Bühl, Parcelle 14, fosse 58

78Bien souvent, le cuvelage ne concerne que les parois et le cas du plancher est plus rare : fosses 19 et 48 de la parcelle B de Kellerei à Ladenburg, fosse 56 de la parcelle C de Kellerei à Ladenburg. Dans la fosse 41 de la parcelle 9 d’Unteres Bühl à Oberwinterthur, le fond est formé de deux madriers formant croisillon (fig. 87). Ailleurs, c’est le substrat en place, le gravier naturel de la Rue Hannong à Strasbourg. Toutes ces techniques n’assurent pas l’étanchéité de la fosse.

79En conclusion, le cuvelage de type 1 est le plus fréquemment employé puisque vingt-cinq exemples ont pu être identifiés. Il est présent sur la plupart des sites. Vient ensuite le type 3 avec six cas qui proviennent tous d’Oberaden ; le type 4 ne serait représenté qu’une fois (à Augst), le type 5 cinq fois (quatre à Oberaden, une à Oberwinterthur). On ne peut pas affirmer que tel ou tel cuvelage a été utilisé dans des structures plus modestes ou plus importantes que d’autres.

80Les cuvelages ne sont pas propres aux latrines. Les madriers horizontaux sont visibles, entre autres, sur le site de Saint-Jean à Besançon (Passard et al., 1997, p. 184-188), dans une fosse de 1 m de côté et de profon deur du secteur 1, chantier 2 de Feurs (Loire) (Vaginay, Guichard, 1988, p. 28) et dans une cave du parking de la mairie à Besançon (Doubs) (Guilhot, 1994, p. 138). Le coffrage, constitué de pieux juxtaposés, est présent à Besançon sur le site de Saint-Jean (Passard et al., 1997, p. 177) et dans une cave du parking de la mairie (Guilhot, 1994, p. 138). Les clayonnages se retrouvent sur le site de Saint-Jean à Besançon (Passard et al., 1997, p. 176-177), à Perthes (Ardennes) (Buchsenschutz, 1984, p. 192), à Achenheim et Ehl (Bas-Rhin) (Deyber, 1984, p. 97). La claie recouvrant une des fosses du même site se rapproche de la « vannerie » formant le type 4 (Passard et al., 1997, p. 174). Parfois, le cuvelage peut être mixte, comme dans la fosse de la rue Sarrail à Besançon où il est constitué de planches verticales ou de clayonnage (Chouquer, Guilhot, 1992, p. 53). Les tonneaux servent aussi fréquemment de cuvelage de puits. C’est l’une des raisons qui expliquent l’importance du nombre de découvertes (Marlière, 2002, p. 41).

Fig. 85 – Fosse avec cuvelage en bois. Type 3 : coffrage de clayonnage de branches maintenu par des poteaux.

Fig. 86 – Fosses avec cuvelage en bois. Type 4 : a) Augst, Insula LIII : état 2b de la fosse 4. Le cuvelage est constitué d’une « vannerie » (Hufschmid, Sütterlin, 1992, p. 145-146) ; b) Zurzach : la fosse 4 de la maison XI du Vicus

Fig. 87 – Fosse avec cuvelage en bois. Type 5 : Oberwinterthur, Unteres Bühl, Parcelle 9 : fond de la fosse 41

La pierre

81On peut distinguer deux types de cuvelages : ceux montés sans liant ou à la terre (fig. 88a-e)93, ceux faisant appel au mortier (fig. 89a-b)94. Les premiers sont plus fréquents (trente) que les seconds (onze). Seule la fosse 16 de l’Ensemble XXVIII-XXIX-XXX de l’Insula F d’Alise-Sainte-Reine/Alesia est constituée de moellons liés au mortier dans la partie supérieure et d’autres équarris non maçonnés dans celle inférieure. Les cuvelages sans mortier sont pour la plupart en appareil irrégulier, les autres en petit appareil. Plus rares sont les autres modes de construction : moyen appareil à Melun (4, 5, 6), opus spicatum dans la partie haute de la fosse 13 de Poitiers.

82Les cuvelages mixtes, juxtaposant pierre et bois, sont peu fréquents : dans la fosse 21 de la Maison du Propriétaire à Mâlain, trois parois sont en pierre, la quatrième a été restituée en bois ; dans les fosses 4 et 5 du 19^bis Rue de la Rochette à Melun, le fond serait en bois et les parois en pierre, mais il s’agit d’une hypothèse. La fosse 65 de Barzan est délimitée par les deux murs des bâtiments adjacents, alors que les deux autres parois n’ont aucun parement. Celle du sud est creusée de deux encoches taillées dans la terre permettant à une personne d’y descendre (voir supra, chap. premier, fig. 7t).

83Le fond des fosses peut être traité de différentes façons : il peut comporter un dallage, comme à Glanum ; il peut aussi n’être formé que du rocher95, parfois entaillé sur plus ou moins de profondeur96. Pour le sommet, seule une margelle est mentionnée dans

Fig. 88 – Fosses avec cuvelage en pierre, sans liant ou avec liant de terre.

84la fosse 20 de l’Ensemble XXVIIIa de l’Insula F d’Alise-Sainte-Reine/Alesia.

85Si, bien souvent, le cuvelage se prolonge jusqu’au fond de la fosse, ce n’est pas toujours le cas : dans la fosse 67 des Thermes publics de Bliesbruck, il s’interrompt à 0,82 m au-dessus du fond ; dans la fosse 8 de l’Arboretum II d’Auxerre, le parement sud fait de même à 0,60 m de la base (voir supra, chap. premier, fig. 7k).

Fig. 89 – Fosses avec cuvelage de pierres liées au mortier.

86Il n’existe pas de différence de construction entre les fosses qui recueillent directement les déjections et celles qui servent de puisard97. Le parement de la fosse 8 des latrines publiques XI d’Alesia est en pierres sèches, celui de la fosse 3 d’Orléans est en matériaux divers : pierres, tuiles, blocs de mortier et de tuileau remployés. Le béton de tuileau98 ou le mortier99 recouvrent parfois le cuvelage, ce qui témoigne d’un souci d’étanchéité et rapproche ces structures des égouts100.

87La volonté d’étanchéifier la structure apparaît lorsque la pierre se retrouve tant dans les parois qu’au fond ou lorsque les cuvelages sont recouverts d’un enduit. Si tel n’est pas le cas, le cuvelage sert en priorité à maintenir la pression des terres environnantes. On est donc, la plupart du temps, bien loin des préceptes d’un Julien d’Ascalon qui conseillait de construire un « cuvelage épais d’au moins une coudée, dont les moellons sont liés au mortier et le fond dallé de pierre ou de bronze » (Traité d’urbanisme, 43, 1), ce qui confirme la volonté d’exécuter une étanchéité de grande qualité101.

88De façon générale, les fosses avec cuvelage de pierre ont des volumes plus importants que celles étayées par du bois, mais les exceptions sont nombreuses.

La brique

89La brique est peu utilisée. On la trouve à Baldringen102, à Immerath, au marché Gayot à Strasbourg où le cuvelage est formé d’éléments disposés à plat pour les assises supérieures et en opus spicatum pour les assises inférieures.

LES ÉGOUTS

La construction des égouts

90Les égouts sont construits à partir de matériaux divers et les formes sont différentes ; il s’agit généralement de moellons plus ou moins bien taillés. Les autres modes de construction sont rares, comme la brique à Cazères, à Toulouse/Saint-Michel-du-Touch (région pauvre en pierre) mais également dans la Maison à l’Emblema mosaïqué de Lyon (état 2b) – les briques sont disposées de chant –, à Montréal, à Fitten, dans le Complexe d’Angle B à Lyon – où se mêlent briques et pierres – et à l’Église Saint-Michel d’Orléans. Dans d’autres cas, ce sont des blocs monolithes taillés en « U » comme aux Thermes du Forum à Martigny, dans les latrines 4 de La Brunette à Orange, à Chassenon, dans celles de Kastelen 2 à Augst (voir supra, fig. 72). À Oberüttfeld, l’aménagement ne concerne que les parois (fig. 90). À notre connaissance, seuls les murs de l’égout des latrines de Nice/Cimiez sont en béton banché103. Les parois sont parfois recouvertes de béton de tuileau qui imperméabilise le conduit104 (fig. 91).

Graph. 3 – Largeur des égouts des latrines.

Fig. 90 – Oberüttfeld, Auf der Burg : vue des parois de l’égout depuis le sud-est des latrines

91Les fonds, pour une large part, sont constitués d’éléments de terre cuite105, tegulae106 ou briques107, voire, plus rarement, des deux à la fois108. Dans les latrines de la Basilique et dans celles de la Maison du Prétoire à Vaison-la-Romaine comme dans le Bâtiment I de Barzan, à Pleidelsheim, Bourbonne-les-Bains, Mâlain et peut-être Limoges, il s’agit de pierres plates, parfois simplement équarries comme à Barzan (voir infra, fig. 95), dont les aspérités pouvaient être autant de freins à la bonne évacuation des eaux chargées de déjections109. À Liberchies, on trouve du gravier mêlé à du mortier rose. Dans le cas du bâtiment très original de Rabastens, la présence de béton de tuileau est limitée aux niches recevant directement les rejets.

92Dans d’autres cas, il n’existe pas de différence de traitement, les parois comme le fond étant recouverts d’une couche d’enduit hydraulique110, avec une seule variante dans les latrines 41 de la villa de Chassey-Lès-Montbozon, où les parois sont couvertes de béton de tuileau et le fond de mortier blanc. Lorsque les parements ou le fond utilisent un autre liant, le béton de tuileau n’est toutefois jamais très loin, car il est employé comme scellement.

93On le trouve parfois en base de parement sous forme de quart-de-rond d’étanchéité, à Martigues (fig. 92), dans le Bâtiment public de Poitiers, à Rouen, Stahl, Wasserliesch.

94Enfin, il existe des égouts qui font largement appel au bois. On peut penser qu’il en était ainsi pour les parois de la conduite des latrines 75 de Loupian ; seul le fond était constitué de tegulae. Dans le Complexe d’Angle B à Lyon, c’est le fond et la couverture qui se présentent ainsi à l’état 2, puis l’ensemble de la conduite à l’état 3, comme à Vieux (fig. 93). Autre exemple surprenant, celui des latrines de Kastelen 2 à Augst, où une partie de la conduite, située très vraisemblablement sous la banquette, est formée d’un bloc monolithe taillé en « U » alors que le reste est en bois (voir supra, fig. 72). Dans ces exemples, seul subsiste le négatif de la conduite car le matériau périssable a disparu. En revanche, sur d’autres sites111 au sous-sol gorgé d’eau, il demeure et il se dégage l’impression trompeuse que le recours au bois était plus fréquent en Germanie qu’ailleurs.

Fig. 91 – Nice/Cimiez, Thermes du Nord : vue de la paroi de l’égout en béton banché des latrines

95Les égouts situés dans les pièces ne comportent évidemment aucune couverture sous la banquette percée. Tel n’est pas le cas toutefois à l’extérieur. À Orléans, elle était formée de briques soutenues par des poutres de bois.

Fig. 92 – Martigues, Saint-Julien-lès-Martigues : vue du parement de l’égout depuis le sud-ouest des latrines

Les dimensions des égouts

96Les dimensions des égouts varient évidemment en fonction des volumes d’eau à évacuer. Il faut tenir compte cependant, en ce qui concerne les mesures rassemblées dans les publications, de la volonté de simplification de certains auteurs ayant tendance à arrondir les chiffres. Le graphique 3112 (p. 123), histogramme faisant état des largeurs, en est pour partie le reflet avec une forte représentation des dizaines. Quoi qu’il en soit, on note que bon nombre de largeurs sont comprises entre 0,30 m et 0,40 m. Les mesures inférieures, comme celles supérieures à 0,80 m, sont très minoritaires.

Fig. 93 – Vieux, Maison du « Bas de Vieux » : négatif de l’égout d’évacuation des latrines

97On pourrait formuler la même remarque concernant les profondeurs. Il convient toutefois de ne pas s’y attarder car celles-ci sont liées à la topographie et varient au sein même d’une pièce du fait de la pente113. On peut toutefois constater que les hauteurs supérieures à 1,50 m114 sont tout à fait exceptionnelles et s’apparentent aux profondeurs des grands collecteurs publics que l’on retrouve sous les voiries115.

Les pentes, ruptures de pente et vannes

98Le tableau ci-dessous (tabl. XV) rassemble les quelques pentes mesurées dans divers égouts de latrines.

99Il existe une grande diversité des pendages, totalement dépendants du terrain puisque la conduite s’adapte à la topographie. Malgré tout, cela suggère plusieurs remarques. L’absence de pente est extrêmement rare ; la majorité des pourcentages se concentre entre 0 et 5 %. Les mesures supérieures sont moins nombreuses. Ce n’est probablement pas un hasard si deux des trois pendages les plus importants ont été relevés dans les latrines de Gaujac dont on a vu que les thermes étaient vraisemblablement alimentés par une citerne, ce qui rendait la circulation d’eau moins fréquente et moins abondante.

100Ces pourcentages ne sont pas évocateurs en eux-mêmes. Il convient de les comparer à ceux des aqueducs. Dans ce cas, l’eau doit simplement s’écouler dans le conduit, ni trop lentement pour ne pas risquer de déborder, ni trop rapidement pour ne pas user la maçonnerie. On note une certaine diversité des pentes dépendant elles aussi de la topographie, qu’il s’agisse des sources textuelles comme des réalités archéologiques : minimum 0,02 % pour Pline l’Ancien (Histoire naturelle, XXXI, 57) ; 0,5 % pour Vitruve (VIII, 6, 1) ; 0,97 % pour Palladius (De l’Agriculture, IX, 11, 1) ; 0,659 % pour l’aqueduc du Gier à Lyon. A. Trevor Hodge estime que la plupart des pentes connues oscillent entre 0,15 % et 0,3 % (Trevor Hodge, 1992, p. 216-217). Elles varient également au sein d’un même ouvrage : 0,05 % en amont du Pont du Gard, sur l’aqueduc de Nîmes ; 0,007 % à 0,03 % en aval (Leveau, 2000, p. 284). On est toujours en présence de mesures largement inférieures à la plupart de celles réalisées dans les égouts. La pente, dans ces dernières structures, a donc été accentuée fortement pour permettre un effet de chasse. Celle-ci est encore plus forte dans des bâtiments comme ceux de Gaujac lorsque les volumes d’eau sont moindres.

101Dans les égouts du xix^e s., les pentes les plus satisfaisantes sont comprises entre 0,01 % et 0,03 % pour les petits gabarits. Elles peuvent être beaucoup plus faibles dans les grands égouts. Plus les conduites sont petites, plus la pente doit être forte pour que l’effet de chasse d’eau ait partout la même force. M. Bechmann, dans son Traité d’assainissement, recommande de dépasser une pente de 0,03 % dans les petits égouts non visitables ; dans ceux qui le sont, le radier ne tarde pas à devenir glissant au-dessus de 0,03 % (Wéry, 1898, p. 83-84). La quasi-totalité des mesures relevées dans les égouts antiques est très largement supérieure aux normes contemporaines, ce qui pourrait témoigner d’une irrégularité de la circulation du liquide car, plus la pente est faible, plus les moyens de lavage doivent être puissants et réguliers (Wéry, 1898, p. 143).

102Afin d’accroître l’efficacité du flux d’eau, les architectes ont prévu des aménagements complémentaires à la simple linéarité de la pente. Il s’agit de la mise en place, à l’entrée de l’égout dans la pièce, d’une marche à double fonction : éviter le reflux de l’eau dans la conduite en cas d’obstacle116 ne pouvant pas être évacué immédiatement, accroître l’effet de chasse par la création d’une petite cascade. Elle est de 0,22 m dans les Thermes publics de Bliesbruck (état 1b), 0,30 m à Liberchies (fig. 94), 0,34 m à Gaujac, 0,57 m à Wasserliesch117. Dans d’autres cas, comme à Évreux, la marche de 0,11 m se trouve à la sortie de la pièce et sa fonction est identique à la précédente : accélérer le flux. Dans les Thermes du Forum à Saint-Bertrand-de-Comminges, haute de 0,15 m, elle se trouve à environ 0,50 m de la paroi servant d’exutoire (voir supra, chap. premier, fig. 28). S’il n’existe pas de marche, c’est la pente de l’égout qui a été accentuée à la sortie de la pièce afin de provoquer le même effet. À Liberchies, l’ouverture d’évacuation dans l’épaisseur du mur a une pente de 20 % ; dans le Bâtiment public de Poitiers, elle s’accentue sur 1 m environ à la sortie de la salle, au niveau de la citerne, puis au-delà, dans le tronçon parallèle à la rue, passant de 2,5 % au nord à 4 % au sud.

103Un dernier type d’aménagement peut être étudié : les vannes. Celles-ci se retrouvent en deux endroits, au départ de l’égout ou à sa sortie. Deux exemples forment le premier groupe : Bâtiment I de Barzan et Bâtiment public de Poitiers. Dans le premier cas, il ne reste qu’un des piédroits constitué d’un bloc monolithe creusé d’une rainure verticale (fig. 95) ; dans le second, un piédroit et la dalle du fond sont identiquement aménagés. Ces vannes servaient uniquement à créer un effet de chasse lorsqu’elles étaient ouvertes, libérant ainsi une grande quantité d’eau118. À Poitiers, le liquide provient de la citerne voisine ; à Barzan, il ne peut s’agir que d’eau de pluie.

Fig. 94 – Liberchies, Les Bons-Villers : plan et coupes du déversoir dans l’angle sud-est des latrines

Fig. 95 – Barzan, Le Fâ, Bâtiment I : piédroit de la vanne et égout des latrines 40 vus depuis le sud

104Lorsque la vanne se trouve à la sortie de la pièce, sa fonction paraît double : servir de chasse d’eau, mais également maintenir un niveau d’eau constant dans le conduit afin d’éviter la remontée des mauvaises odeurs. Deux exemples sont attestés. Le premier se trouve dans les Thermes du Forum à Saint-Bertrand-de-Comminges (voir supra, chap. premier, fig. 28). Il restait, au moment de son dégagement, une pierre épaisse de 0,16 m, taillée en « U », haute de 0,50 m, entaillée d’une rainure continue large de 0,031 m et profonde de 0,032 m. Dans les latrines de la maison de Villevielle, le principe est identique, bien que plus modeste. En effet, il ne s’agit pas de latrines à égout latéral, mais d’une fosse avec égout d’évacuation. Le logement de la vanne se situe à la jonction entre la fosse et le départ de la conduite (fig. 96). Il est possible qu’une structure semblable ait existé à la sortie des latrines de la Schola de Poitiers, car la paroi a conservé les traces d’arrachement de blocs en grand appareil. Un autre aménagement se distingue plusieurs mètres en aval sur l’égout : sur le fond, une rainure large de 0,04 m, profonde de 0,02 m et, à 0,60 m et au-delà, deux petites cupules. Les fouilleurs ont interprété ces traces comme l’empreinte d’une planche ou d’une dalle maintenue en arrière par deux piquets en oblique pouvant correspondre à une chasse d’eau secondaire119.

Fig. 96 – Villevieille, Les Terriers, Zone 4-sud : la fosse des latrines et le négatif de la vanne (à droite) vus depuis l’ouest

105Un dernier aménagement suscite plus de perplexité : celui de la conduite d’évacuation placée entre la piscina et la fosse des latrines de la villa de Gevrey-Chambertin. Il s’agit d’un scellement en fer fixé au plomb au milieu du conduit, qui aurait servi de pivot à une petite vanne en bois actionnable depuis le sol du frigidarium (fig. 97). Nous ne voyons pas comment la chose est techniquement réalisable sans entraîner un débordement de l’eau, alors qu’il aurait été plus simple de prévoir un obturateur au tuyau de plomb du bassin froid. Pour autant, nous ne pouvons proposer d’autre explication plus plausible. Il n’est pas impossible qu’un aménagement aussi énigmatique ait existé dans des conduites en bois, comme on peut le voir avec l’égout 7 dans l’état 2 de la parcelle 1139 d’Eschenz, au milieu duquel a été retrouvé fiché un puissant poteau de 0,23 m de diamètre.

106Des vannes, de forme identique à celles des latrines, se retrouvent dans d’autres contextes120. Des thermes thérapeutiques de Gréoux-les-Bains (Alpes-de-Haute-Provence), on connaît essentiellement une vaste piscine alimentée directement depuis les failles du rocher qui en forme le fond. L’eau était évacuée par un égout haut de 1,50 m. À la jonction entre le bassin et l’évacuation, se trouvent les traces d’encastrement d’une vanne à double fonction : permettre d’une part la vidange totale du réservoir, maintenir d’autre part un niveau d’eau constant lorsqu’il était utilisé, le trop-plein s’évacuant par-dessus (Bonnet et al., 1988, p. 17). Sur l’aqueduc de Nîmes, le bassin de régulation du débit de l’eau du Val d’Eure ou celui du quartier de la Balozière, en amont du Pont du Gard, fonctionne grâce à un système de deux doubles vannes juxtaposées (Fabre et al., 2000, p. 66-67 et 85-87)121. Les découvertes d’au moins deux autres bassins ont été réalisées anciennement sur le tracé, l’une entre Lafoux et le Pont du Gard, l’autre entre Vers et le dit Pont. Tous les deux étaient dotés de vannes (Veyrac, 1999, p. 254-255). Il en existe également sur le réservoir de l’aqueduc d’Arles, en amont de Barbegal ; les rainures ayant été obturées dans l’Antiquité par les concrétions calcaires, non enlevées au moment de la fouille, elles n’ont pu être observées avec précision (Guendon, 2005, p. 89). De petites vannes sont mentionnées anciennement pour la régulation du débit de l’eau du sanctuaire de la Fontaine à Nîmes (Veyrac, 2006, p. 61). Dans l’un des bassins de régulation de l’aqueduc de Reims, l’emplacement des vannes a été déterminé à partir d’observations réalisées sur place et sur d’autres sites (Ardhuin, 1997, p. 339). Trois autres vannes ont été mises au jour dans la villa de Careiron et Pesquier à Milhaud (Gard) (Conche et al., 2005, p. 52) ; il en existe également sur l’aqueduc de Terracina (Italie) (D’Onofrio, 1999, p. 76). Le nymphée du Grand Triclinium (jadis interprété comme un serapeum) de la Villa Hadriana à Tivoli était alimenté par des canaux barrés par six petites vannes (fig. 98).

Fig. 97 – Gevrey-Chambertin, En Carrougeot : l’égout d’alimentation de la fosse des latrines. Sur le fond, scellement au plomb

107Tous ces aménagements de latrines ne sont pas antinomiques les uns des autres. Ils peuvent se conjuguer pour accroître l’efficacité du système. Ainsi, dans les Thermes du Forum à Saint-Bertrand-de-Comminges, on retrouve une marche dans l’égout et, à proximité, une vanne de sortie. On constate enfin que ces installations destinées à assurer une meilleure efficacité du système d’élimination des déchets ne se retrouvent que dans un petit nombre d’exemples. Dans l’immense majorité des cas, l’égout de la pièce est continu, sans aucune rupture avec ses tronçons situés en amont et en aval.

L’origine de l’eau

108L’eau circulant dans les égouts a plusieurs origines. Les latrines privées ou publiques étant situées souvent à proximité des thermes, celle-ci provient dans la majorité des cas de la piscina du frigidarium122. Les vidanges d’autres structures thermales sont beaucoup plus rares : réservoir de la chambre de chauffe et au-delà peut-être solia du caldarium à Cavalaire (état 3) et La Chapelle-Vaupelteigne ; solium à Cazères (état 2)123 et dans les Thermes des Femmes à Augst ; piscinae et natatio dans les Thermes du Forum à Saint-Bertrand-de-Comminges ; natatio dans les Thermes du Sud à Toulouse/Saint-Michel-du-Touch et dans ceux du Nord à Saint-Bertrand-de-Comminges (état 1) ; eaux de nettoyage (?) du frigidarium à Sarreinsming ; piscina et caldarium à Wasserliesch et probablement Kloten (latrines 45), Köln et Oberüttfeld ; la plupart des bassins de toutes natures à Chassenon, Évreux, Vieil-Évreux ; pièce thermale indéterminée à Avenches.

Fig. 98 – Tivoli, Villa Hadriana : vanne sur la conduite alimentant le nymphée du Grand Triclinium (ex Serapeum)

109L’eau peut avoir également plusieurs provenances dépendant de facteurs naturels et/ou humains qui peuvent aussi, en se combinant, conditionner son arrivée et assurer une plus grande régularité du nettoyage : drainage des eaux de pluie et de la piscina à Buoux, Cavalaire (état 2), Gaujac, Bliesbruck (état 1b), Mandern, et aux Grands Thermes à Xanten, peut-être état 1 des Petits Thermes du Nord-Est à Saint-Romain-en-Gal ; drainage de la piscina et des eaux de nettoyage du frigidarium à Draguignan et Newel, Pleidelsheim ; solium et autre partie de la demeure dans la Maison des Messii à Vaison-la-Romaine (latrines 26) ; origine inconnue et drainage des eaux pluviales à Limoges et Bad Kreuznach ; origine inconnue et piscina à Aubigné-Racan ; natatio et portiques de la palestre dans les Thermes du Nord à Saint-Bertrand-de-Comminges (état 2b), ensemble des thermes à Montréal. Deux origines indéterminées dans les Thermes de l’Ouest à Lunel-Viel. On notera également les cas très particuliers et rares de latrines alimentées par les eaux provenant d’autres lieux d’aisance, comme la pièce 11 de Menthon-Saint-Bernard124 et la pièce 55 de Kloten.

110Ailleurs, l’origine ne peut être précisée car le trajet en amont de l’égout retrouvé dans la pièce est inconnu. Il faut donc envisager qu’il pouvait être alimenté par une canalisation125 probablement en plomb (Thermes du Forum à Martigny, Loupian, Martigues, Maison à la Mosaïque aux Méandres à Orange, Maisons aux Cinq Mosaïques, aux Colonnes, aux Poissons, de Sucellus, état 1b de la Maison des Dieux Océan [latrines 70, état 1c], Petits Thermes du Nord-Est à Saint-Romain-en-Gal [état 2], Maison au Dauphin à Vaison-la-Romaine126, Echternach127, Nennig, Bourbonne-les-Bains, Escolives-Sainte-Camille, Orbe), mais également peut-être en bois (Chassey-Lès-Montbozon).

111Considérant les exemples les plus modestes d’Ostie, on peut également supposer que certaines banquettes dépourvues de plaque avant étaient simplement nettoyées à l’aide de seaux d’eau128. Au Marché de Saint-Romain-en-Gal, l’hypothèse a été émise d’un approvisionnement depuis l’étage du monument.

112Il existe un drainage qui n’a pas recours aux eaux thermales, mais s’effectue par vidange de certains éléments : bassins par exemple des péristyles des états successifs de la Maison des Dieux Océan à Saint-Romain-en-Gal, trop-plein du bassin du péristyle à Vieux ou bassins situés dans des parties non caractéristiques de la Maison du Prétoire à Vaison-la-Romaine. Il s’agit de citernes dans le Bâtiment public et la Schola de Poitiers qui jouent le rôle de réservoirs de chasse129. Dans le bâtiment de la Rue de la Fontaine à Lyon, comme dans celui de Kastelen 2 à Augst, le drainage s’effectue grâce à tous les types de rejets pouvant se retrouver dans un collecteur de rue. Dans les Thermes du Nord à Nice/ Cimiez, ce sont les trop-pleins des deux vastes citernes bordant la pièce sur deux cotés qui l’assurent. Elles devaient servir à stocker l’eau pour le bâtiment ou même le quartier. Le liquide n’est donc pas souillé. Même système vraisemblablement pour la caisse à eau destinée à l’Ensemble XI d’Alesia.

113L’eau peut également avoir une origine plus lointaine sans qu’il soit possible d’être plus précis, faute d’extension des fouilles : villa d’Arbin, Maison des Messii (latrines 33) et Maison du Buste en Argent à Vaison-la-Romaine.

114Dans certains cas, l’eau alimentant des latrines privées provient du domaine public, qu’il s’agisse de la Maison des Antes à Saint-Rémy-de-Provence/Glanum (égout de la rue) ou de la plupart des exemples de Mâlain130 (surface drainante de la chaussée). Ceci induit un rapport privé/public original qui va à l’encontre de ce que l’on imagine traditionnellement131. Dernier exemple enfin, se différenciant grandement de tous les autres, celui du Bâtiment I de Barzan. Contrairement aux exemples venant d’être évoqués, la seule alimentation provient du drainage des eaux de pluie sans autre possibilité car aucun aqueduc n’alimente ce quartier haut de l’agglomération et les puits reconnus se situent à un niveau inférieur.

115La hauteur du niveau de l’eau dans les égouts n’est pas aisément restituable. À Rouen, ce sont les dépôts calcaires des parois qui permettent de l’estimer à 0,30 m ou 0,40 m132.

116On constate donc à travers ces quelques exemples une très grande diversité des eaux circulant dans les égouts des latrines, du liquide parfaitement propre des trop-pleins de citerne à celui fortement souillé provenant d’autres lieux d’aisance, en passant par l’eau des bassins chauds ou froids de thermes133. Les concrétions présentes dans quelques rares conduits témoignent d’une eau limpide, car celles-ci ne se déposent pas lorsqu’elle est souillée.

117Il existe enfin une dernière catégorie d’eau circulant dans les égouts – toujours propre celle-ci – mais qui n’a pas la même destination que les précédentes. Il s’agit de celle qui sert à l’alimentation des secteurs environnant des latrines. Les égouts sont en effet parfois utilisés comme galerie technique accueillant les tuyauteries d’approvisionnement134. Un seul exemple est attesté pour les latrines : il s’agit des Thermes du Forum à Saint-Bertrand-de-Comminges dont le comblement de la conduite a livré un fragment de tuyau de plomb de 0,30 m de longueur, qui permet de penser que le circuit de distribution de l’eau empruntait le réseau d’évacuation. Il pouvait également en être ainsi dans les Thermes du Sud à Néris-les-Bains (Allier) où un égout a livré un tuyau en plomb de 0,24 m de diamètre (Grangé, 1997, p. 79) et dans la galerie G de la citerne Berelle à Lyon (Rhône) (Burdy, 1979, p. 269). Ce type d’aménagement n’apparaît pas spécifique aux bains. Il semble se retrouver de façon plus générale dans les égouts sous la voirie à Saint-Romain-en-Gal (Prisset et al., 1994, p. 39-40).

118Les galeries parisiennes du xix^e s. abritaient des conduites d’eau135, d’air comprimé et raréfié, les fils télégraphiques et téléphoniques. À l’étranger, elles servaient en revanche rarement à loger de telles tuyauteries (Wéry, 1898, p. 7, 101, 395 et 557)136.

LES RIGOLES

Les différents types de rigoles

119Toutes les rigoles, à l’exception de celle de la villa d’Attricourt137 (fig. 99), se situent dans des latrines à égout latéral ; trois types peuvent en être distingués. La rigole la plus répandue court parallèlement à la banquette percée, pour se déverser à angle droit dans l’égout. Dans plusieurs cas (Nice/Cimiez [fig. 100], Maison au Dauphin à Vaison-la-Romaine [fig. 101], Rottenburg am Neckar [fig. 102]), des diverticules, greffés sur la conduite à intervalles plus ou moins réguliers, mènent au canal latéral. Ailleurs, elle court le long d’une paroi sans banquette, sur toute sa longueur (Basilique de Vaison-la-Romaine [fig. 103], Ensemble XI d’Alise- Sainte-Reine/Alesia [fig. 104]), ou partiellement (Nice/ Cimiez, Tourves [fig. 105]).

Fig. 99 – Attricourt, Le Trésor : vue depuis l’est des latrines dans la cuisine 3

Fig. 100 – Nice/Cimiez, Thermes du Nord : vue de la banquette percée, de la rigole périphérique et d’un de ses diverticules

Fig. 101 – Vaison-la-Romaine, Maison au Dauphin : vue depuis le nord des latrines 52

Fig. 102 – Rottenburg am Neckar, Sprollstrasse : vue depuis l’est des deux rigoles et d’un diverticule

Fig. 103 – Vaison-la-Romaine, Basilique : vue depuis le sud-ouest des latrines 4

Fig. 104 – Alise-Sainte-Reine/Alesia, Insula C, Ensemble XI : vue de la rigole périphérique

Fig. 105 – Tourves, Muscapeù : vue depuis le sud-est des latrines 32

120La rigole relevant du deuxième type a pour origine la paroi opposée à la banquette qu’elle longe avant de bifurquer le long du mur perpendiculaire à celle-ci et de se jeter directement dans l’égout. Sa fonction diffère de celle des autres types : l’eau, de nature différente car ayant servi à d’autres fins, ne peut pas être employée par les utilisateurs des lieux138. Il n’y en a que deux exemples : Maison des Messii à Vaison-la-Romaine (latrines 26) (fig. 106), villa de la Tête de Fer à Grimault (fig. 107).

Fig. 106 – Vaison-la-Romaine, Maison des Messii : vue de la rigole à l’extrémité est des latrines 26 ; à gauche, l’égout périphérique

Fig. 107 – Grimault, Tête de Fer : vue de la rigole des latrines 9

121Dans le troisième type, on ne trouve que les latrines particulièrement luxueuses de Rottenburg am Neckar (voir fig. 102). La rigole longeant la banquette est doublée, à 0,53 m, d’une seconde, parallèle, plus large (0,18 m). Elle est alimentée (par une fontaine ?) depuis la partie sud non dégagée. On peut penser qu’elle se jetait au nord, comme la première, dans l’égout latéral.

La fonction des rigoles

122Nous ne parlerons ici que de la rigole rencontrée le plus fréquemment, celle qui longe la banquette percée. Si l’interprétation la plus couramment retenue est celle d’un courant d’eau destiné à imbiber l’éponge servant aux utilisateurs pour s’essuyer, d’autres hypothèses ont été émises. Chr. Goudineau (1979, p. 164) suppose qu’elle facilitait le nettoyage à grande eau ou recueillait les eaux de pluie s’écoulant d’un auvent disposé au-dessus des sièges. Si le rôle d’exutoire des eaux de propreté doit être envisagé139, il ne peut cependant s’agir que d’une fonction très ponctuelle et donc secondaire140. Concernant l’idée d’une évacuation pluviale, il existe dans de nombreux cas une alimentation spécifique en eau propre141, ce qui va à l’encontre de cette hypothèse. Si l’on peut discuter de l’opportunité d’une couverture dans les latrines de la Maison au Dauphin à Vaison-la-Romaine142, ailleurs, il ne fait aucun doute que la pièce soit isolée (Thermes du Forum à Martigny, par exemple) ou insérée dans une construction plus vaste. Dans le cas de grandes latrines, l’étendue de l’aire découverte aurait nécessité des supports intermédiaires, non retrouvés. Dans les Thermes des Lutteurs à Saint-Romain-en-Gal, seul exemple de latrines se rapprochant du type « à égout et colonnade intérieure »143, la rigole n’est pas placée à la limite entre les zones découverte et couverte, mais demeure intimement liée à la banquette. Dans le cas d’une rigole accolée aux sièges144, l’eau tomberait de l’auvent sur les pieds des utilisateurs. Enfin, les latrines de la villa Derrière la Tour d’Avenches, bien que situées en sous-sol de la bâtisse, possèdent l’une des rigoles les plus importantes. Elles permettent d’écarter définitivement l’hypothèse de la récupération des eaux pluviales.

123J. Alarcão et R. Étienne (1977, p. 148), à la suite de H. Thédenat, avancent, pour leur part, l’idée qu’elle servait d’urinoir, et A. Trevor Hodge (1992, p. 271) suppose qu’elle était destinée à évacuer l’urine tombée sur le sol ou au lavage des mains, fonctions qui, comme cela a été noté par ailleurs (Wilson, 2000, p. 309), sont pour le moins contradictoires. Concernant enfin l’aspect hygiénique de cette structure, la présence de labra ou de fontaines145 dans des pièces possédant également une rigole prouve que l’idée n’est pas recevable.

124En définitive, on ne retiendra que l’hypothèse la plus répandue d’une fonction hygiénique, l’eau qui coule au pied de la banquette sert à imbiber l’éponge.

Les dimensions des rigoles

125Le tableau XVI (p. 124) rassemble les données concernant les dimensions des rigoles, à savoir leur largeur, leur profondeur et leur section. Les profils sont généralement semi-ellipsoïdaux, à l’exception de celui de l’Ensemble XI d’Alesia qui est semi-circulaire (voir fig. 104).

126Les sections sont très variées ; le rapport est de plus de 1 à 20. Si les grandes latrines publiques possèdent des rigoles généralement plus vastes que les autres, tel n’est pas toujours le cas cependant (Avenches, par exemple). Il n’existe qu’une hiérarchie très approximative en fonction du nombre de places ; la plus petite rigole correspond à la structure la plus modeste, la plus grande à celle la plus vaste, mais entre les deux, les exceptions sont nombreuses. La seule contrainte qui prévaut est celle de la quantité d’eau en circulation et non pas seulement l’importance du bâtiment. Il n’existe donc pas de standardisation architecturale à ce niveau. Les observations que nous avons pu faire sur les rigoles des latrines d’Ostie témoignent également d’une grande diversité, tant dans le profil que dans les dimensions (tabl. XVII, p. 124).

127La rigole de la Grande Forica du Largo Argentina de Rome, qui présente un profil en « U », est large de 19 cm et profonde de 8,5 cm.

128On restera circonspect devant les affirmations catégoriques de A. O. Koloski-Ostrow (1996, p. 82), qui considère que les rigoles – comme les sièges et les lunettes – sont strictement identiques à quelques centimètres près sur tous les sites italiens, témoignage, selon elle, de la grande standardisation de l’ingénierie romaine.

Tabl. XVI – Dimensions des rigoles (largeur, profondeur et section).

L’alimentation en eau des rigoles

129L’origine de l’approvisionnement des rigoles les plus nombreuses, celles parallèles à la banquette percée, est généralement mal connue. En effet, on ne retrouve aucun témoignage de l’arrivée d’eau, ce qui prouve la modestie de l’installation. Évaluant le peu de place disponible dans l’état 4a de la Maison au Dauphin à Vaison-la-Romaine, Chr. Goudineau (1979, p. 163) suggère avec raison la présence d’une simple tuyauterie (de plomb ?) ne pouvant provenir que de la banquette percée (voir fig. 101). Tel devait également être le cas dans les latrines de la Basilique de la même agglomération (voir fig. 103). Lorsque la place est plus importante – Thermes du Nord à Nice/ Cimiez, villa de Tourves (voir fig. 105), Thermes du Forum à Martigny –, on peut envisager un labrum ou une fontaine146. Dans un seul cas, celui de la villa d’Escolives-Sainte-Camille, une alimentation par le trop-plein d’un labrum se déversant dans une petite rigole oblique est certaine car la vasque a été retrouvée (fig. 108). La quantité de liquide devait être assez réduite, ce dont témoigne l’exiguïté de la conduite. On a ici la preuve que le pavement devait être en permanence partiellement humide, à l’instar de ce que pouvaient être les sols des salles thermales (Bouet, 2003b, I, p. 226). Malgré le passage répété des sandales plus ou moins souillées des usagers, l’eau était considérée comme encore suffisamment propre pour pouvoir nettoyer leurs postérieurs. L’alimentation de la rigole des latrines des Thermes des Lutteurs apparaît bien plus importante avec les deux trop-pleins du nymphée monumental, qui débouchaient au milieu de la branche occidentale et desservaient chacun la moitié de la pièce (fig. 109).

Fig. 108 – Escolives-Sainte-Camille, Pré du Creusot : vue depuis l’ouest des latrines 59

130Dans les latrines de Rottenburg am Neckar, l’approvisionnement de la seconde branche est inconnu, car située dans la partie non fouillée de la pièce. Il devait s’agir d’une fontaine plus ou moins monumentale. Le trop-plein du labrum qui se déverse sur son parcours ne devait fournir qu’un apport secondaire.

131L’eau des quelques rigoles qui se jettent directement dans l’égout latéral sans longer la banquette provient d’une même origine. Qu’il s’agisse de Vaison-la-Romaine ou de Grimault, elles récupèrent le contenu des solia des caldaria. Leur vidange se fait par un tuyau à Vaison, par deux à Grimault, comme le prouvent les deux cuvettes circulaires disposées sous leur exutoire (voir fig. 107). Une telle évacuation s’explique par la position élevée du bassin chauffé par rapport aux latrines. Généralement, les hypocaustes sont enterrés, ce qui permet de conserver un niveau de circulation identique à celui des espaces limitrophes. Dans ces deux exemples, tel n’est pas le cas, si bien que le fond du bassin se trouve à un niveau supérieur au sol des latrines. Deux possibilités s’offraient aux architectes : aménager au prix de creusements importants un égout ou installer une évacuation par le biais des latrines. C’est la deuxième solution qui a été adoptée, d’autant plus qu’un avantage visuel pouvait en résulter.

Fig. 109 – Saint-Romain-en-Gal, Thermes des Lutteurs : vue depuis l’ouest du double trop-plein alimentant la rigole périphérique

132L’eau issue du solium pouvait donner l’illusion d’une petite source chaude intermittente s’écoulant directement sur le sol des latrines, illusion renforcée par temps froid par la vapeur qui s’en dégageait. L’eau utilisée n’était d’ailleurs pas particulièrement souillée ; elle provenait en effet du bassin du caldarium affecté au bain de délassement faisant suite au bain de propreté pris dans le destrictarium. Lorsque le baigneur s’y immergeait, il était donc déjà propre147. Le liquide qui s’écoulait directement dans l’égout latéral n’était toutefois pas considéré comme suffisamment limpide pour servir au nettoyage de l’éponge, à moins que l’intermittence et la faiblesse du débit n’aient été un frein à un tel emploi.

L’emplacement des rigoles

133Les rigoles peuvent être positionnées différemment par rapport à la banquette percée. Certaines148 se trouvent immédiatement à son pied, d’autres en sont distantes de quelques centimètres, au plus 0,13 m dans la Maison du Prétoire à Vaison-la-Romaine (fig. 110). Un tel emplacement ne permet pas à la personne fréquentant les lieux de disposer ses pieds contre le siège, elle doit obligatoirement l’enjamber. En l’absence de dossier contre lequel appuyer le buste, la position s’avère inconfortable pour celui qui reste droit, alors qu’elle est bien adaptée à l’effort s’il est penché en avant.

134Dans d’autres cas, la rigole est suffisamment éloignée de la banquette pour permettre aux pieds de se positionner entre les deux149 (voir fig. 110). Le buste penché, la position n’est pas désagréable alors qu’elle le serait de façon générale le buste droit et les jambes repliées à angle droit, ce qui n’est même pas possible ici. La disposition des éléments principaux constituant les latrines a donc été particulièrement étudiée par les concepteurs antiques.

135Dix-sept rigoles seulement sur l’ensemble de l’aire géographique prise en compte ont été retrouvées. On y constate une certaine répartition. Si les rigoles proches de la banquette semblent se trouver un peu partout sur le territoire (carte 4a) – avec une prédominance toutefois pour sa partie sud –, on observe que celles qui en sont éloignées se concentrent plutôt dans la partie orientale, hormis le cas bien occidental de Chassenon (carte 4b). On peut se demander s’il n’y a pas là application de schémas régionaux150. Les exemples sont trop peu nombreux pour être affirmatifs ; il faudra attendre la multiplication des découvertes et des études similaires dans des régions voisines pour tenter de déterminer éventuellement des aires géographiques.

136L’emplacement de la rigole par rapport à l’égout permet de confirmer également certaines hypothèses concernant la nature de la banquette. À la villa d’Avenches, la distance de 0,38 m entre le bord de l’égout et la rigole ne permet de l’envisager qu’en bois151. En effet, une dalle en pierre plus épaisse n’aurait pas permis à l’usager de positionner ses pieds dans l’espace restant et, considérant la largeur du conduit, il était impossible qu’il le fît au-delà.

137Reste enfin l’hypothèse, soutenue par R. Neudecker152, de l’incidence de la forme de la banquette sur l’attitude de la personne fréquentant les lieux ; une plaque avant disposée en oblique lui permettrait une position plus décontractée. Cependant, il nous semble que le siège ne peut être seul pris en compte mais qu’il convient de considérer également la rigole qui induit obligatoirement la position des pieds. En somme, quel que soit le type de banquette, il n’existe que deux attitudes possibles : celles-ci sont difficilement adoptables lorsque le buste est droit, sans le support d’un dossier, alors qu’elles sont en revanche adaptées à une position oblique qui est celle de la défécation. On ne peut donc pas dire que le type de banquette induit des comportements différents. Nous verrons dans ces structures de simples variantes architecturales.

Un substitut aux rigoles ?

138Dans des latrines plus simples, la rigole peut être remplacée par des aménagements plus modestes de même fonction. Le cas le plus évident est celui de la rue Hannong à Strasbourg (voir supra, fig. 75). Il s’agit d’un lieu d’aisance constitué d’une simple fosse sur laquelle six places ont été restituées. Dans l’angle nord-ouest de celle-ci, à un niveau correspondant à peu près à celui du plancher, un chaudron en bronze à une anse (d’un diamètre de 0,30 m et une profondeur maximale de 0,12 m) a été retrouvé. Son rebord est enserré dans un anneau ou un boudin de fer. Il s’agit d’un ustensile culinaire qui trouve ici un emploi secondaire. Il a pu contenir de l’eau destinée aux utilisateurs.

139On est peut-être en présence d’un aménagement similaire au Camping G. S. 1975 à Martigny. À proximité immédiate des marches menant au lieu d’aisance, se trouve une amphore espagnole sans col ni anses, qui a pu contenir de l’eau, selon le fouilleur. Son éloignement ne permet pas toutefois d’évacuer totalement l’hypothèse d’un urinoir153.

Fig. 110 – Emplacement de la rigole à côté de la banquette percée des latrines par rapport aux pieds des usagers.

Carte 4 – Répartition des latrines avec rigole périphérique : a) latrines situées au pied de la banquette percée ; b) latrines éloignées de la banquette percée.

140On peut envisager de telles installations dans les latrines qui n’ont pas livré de rigoles et dont le sol est parfaitement conservé. Il ne faut pas en déduire que l’on est toujours en présence d’un « standing » moindre, comme le montre la pièce 34 de la villa de Loupian au sol en opus sectile. L’autre hypothèse serait d’envisager une façon différente de se nettoyer qui ne fasse pas appel à l’éponge et à l’eau154. On peut toutefois noter qu’à une exception près155, les rigoles n’existent que dans les latrines à égout latéral. Il faudrait imaginer que l’on s’y essuie de façon spécifique et qu’une autre technique est employée ailleurs. Cela est peu convaincant, et des aménagements légers aujourd’hui disparus devaient être bien plus fréquents que ce qu’il apparaît à présent.

141Il n’est donc pas nécessaire de restituer systématiquement une rigole dans toutes les latrines, contrairement à ce qui a été proposé dans la pièce 41 de la villa de Chassey-Lès-Montbozon (fig. 111). Les fouilleurs envisagent en effet ce type d’aménagement sur un plancher dont l’existence est indubitable. Le bois, rapidement gorgé d’eau, aurait rendu l’endroit impraticable et l’hypothèse doit, selon nous, être abandonnée.

Fig. 111 – Chassey-Lès-Montbozon, Pré Guillemin : restitution des latrines

142À Pompéi, trois latrines à fosse étaient dotées d’un petit bassin en briques destiné à recevoir l’eau pour le nettoyage de l’éponge156 (Jansen, 1997, p. 125). Leur mode d’alimentation n’est pas explicité et il est possible qu’ils aient été remplis manuellement. Dans la Maison des Noces d’Argent (V 2, 1), c’est un bassin en bronze qui a été retrouvé (Sogliano, 1896, p. 430) ; ce qui rapproche cet exemple de celui de Strasbourg157.

LES LABRA, LES FONTAINES ET LES NYMPHÉES

143Quelques latrines particulièrement importantes ont conservé des aménagements qui témoignent d’un certain raffinement, d’un souci de propreté ou d’esthétique réel, tels les labra, les fontaines ou les nymphées.

144Le labrum, vasque sur pied, représente la structure la plus modeste. Dans la villa du Pré du Creusot à Escolives-Sainte-Camille, ce type de vasque murale a été découvert et replacé contre la paroi occidentale (fig. 112a). Elle a un diamètre de 0,48 m, une hauteur de 0,36 m et une profondeur de 0,16 m (fig. 113a). Son pied massif quadrangulaire est décoré de chevrons sur trois de ses faces. Son rebord est entaillé de trois becs verseurs par lesquels l’eau s’écoulait. Celle-ci était recueillie ensuite par la rigole oblique aménagée dans le sol qui se dirigeait vers le conduit passant au pied de la banquette percée158 (voir fig. 108). L’aménagement est sensiblement identique dans le bâtiment de la Sprollstrasse, à Rottenburg am Neckar (fig. 112b). Le labrum circulaire (diamètre de 0,63 m, profondeur de 0,15 m et hauteur de 0,56 m) est disposé contre la paroi occidentale, entre les troisième et quatrième colonnes en partant du nord (fig. 113b). Son pied, massif, est orné d’un tore. Le trop-plein s’évacue directement sur le sol avant d’être récupéré dans une rigole. Dans les deux cas, il faut imaginer une alimentation en eau depuis la paroi voisine, aucun négatif de tuyauterie n’étant visible au centre de la vasque.

145Ailleurs, les indices sont indirects. Dans les Thermes du Nord de Saint-Bertrand-de-Comminges, c’est dans l’extension de la pièce de l’état 2b que le sol a conservé les traces partielles d’une rigole qui évoque la présence d’un labrum dans cette zone. Dans les Thermes du Nord de Nice/Cimiez, la rigole qui longe la banquette sur trois côtés se poursuit un temps sur le quatrième où elle se termine par une cuvette circulaire de 0,37 m de diamètre et profonde de 0,04 m (fig. 112c et 114). Ce même type de structure se retrouve dans la salle bien plus modeste de la villa de Muscapeù à Tourves (fig. 112d). Considérant l’aménagement de Rottenburg am Neckar, on peut penser que ce réceptacle devait recevoir les eaux du trop-plein d’un labrum mural situé à proximité159.

146Le cas est plus problématique dans la villa de Las Peiras à Rabastens, du fait du mauvais état des vestiges (fig. 112e). Le centre de la pièce terminée au nord et au sud par une abside est occupé, au-dessous du niveau du sol, par un socle bétonné de même plan que le bâtiment. Sa partie centrale, de forme ovale160, bâtie en béton de tuileau, est en saillie de 0,17 m. L’hypothèse qui vient à l’esprit est celle d’un labrum. La masse du pied n’est pas un obstacle à une telle interprétation (voir supra, fig. 80). Si celui-ci est généralement plutôt fin, celui des caldaria des Thermes de Stabies à Pompéi, des caldaria masculins des Thermes du Forum à Pompéi (VII 5) et à Herculanum (VI 1-10) est par contre très massif (Eschebach, 1977, p. 158, 163 et 170- 171)161. Cette restitution pose un autre problème. La forme du pied – et celle de la pièce elle-même – induit une vasque ovalaire. Or, tous les labra que nous connaissons sont circulaires162. On peut évidemment restituer une telle forme à Rabastens mais elle nuirait, nous semble-t-il, à l’harmonie de la salle. Doit-on dès lors imaginer dans cette pièce une vasque originale, en soulignant que la construction dans son ensemble sort de l’ordinaire...?163

Fig. 112 – Latrines avec labrum.

Fig. 113 – Labra de latrines.

Fig. 114 – Nice/Cimiez, Thermes du Nord : réceptacle alimentant la rigole au-devant de la banquette percée des latrines

147Les dimensions modestes et le profil ramassé des labra des régions prises en compte ici les distinguent très nettement de ceux des salles thermales ou d’autres lieux – publics ou privés – où ils ont un but purement décoratif (Cavalieri, 2001, p. 95-96) : ils sont en effet beaucoup plus larges et bien plus ouverts (Bouet, 2003b, I, p. 127-128).

148Il existe donc bien deux types de vasques sur pied destinés à des espaces de fonction différente164. Ceci est également confirmé par le labrum mural semi-circulaire des latrines des Thermes des Cyclopes à Dougga (fig. 112f et fig. 113c). Son pied est plus effilé, mais les dimensions sont voisines (hauteur de 0,90 m, diamètre de 0,75 m) (Grassnick, 1982, p. 4). À Herculanum, le récipient en pâte de dolium recevant l’eau dans la Maison IV, 10-11 présente une forme ramassée assez semblable à celle des labra évoqués ci-dessus (Maiuri, 1958, p. 433) ; un même constat s’impose pour le récipient en pierre volcanique retrouvé dans les latrines V, 19, identique à ceux des pistrinae utilisés comme pétrin (Maiuri, 1958, p. 441). Un aménagement probablement semblable est restituable dans les lieux des thermes de l’Insula 30 d’Ampurias (Espagne) (fig. 112g) où la vasque n’a pas été retrouvée, mais la position du pied contre la paroi autorise la restitution d’un labrum mural165 (Aquilué et al., 2002, p. 247-248). Au milieu du mur est des latrines du Marché sud de Milet (fig. 112h), entre deux contreforts, un aménagement semi-circulaire doté en son centre d’une tuyauterie de plomb pourrait également appartenir à une telle vasque, à moins qu’il ne s’agisse – avec moins de vraisemblance selon nous – d’une fontaine (Knackfuss, 1924, p. 180). C’est un argument qui permet d’avancer que le labrum complet (de 0,90 m de diamètre et 0,10 m de profondeur) retrouvé à l’entrée des latrines de la villa Derrière la Tour à Avenches, dont la partie centrale est creusée d’une cavité pour le passage d’un tuyau, ne provient pas de cette salle mais probablement d’autres pièces du rez-de-chaussée. Sa présence dans les latrines ferait d’ailleurs double emploi avec le bassin166.

149La forme des labra précédemment évoqués se rapproche de celle de l’élément en granit de la villa de Waldshut à Gurtweil dont il se distingue par l’absence du pied (fig. 115). De forme semi-circulaire de 0,48 m de diamètre, il est profond de 0,16 m. Il comprend, dans sa partie rectiligne, ce qui pourrait être une double arrivée d’eau et, sur le côté, un trop-plein et une vidange. Cette pièce avait été interprétée par H. Koethe (1940, p. 122) et à sa suite W. H. Heinz (1979, p. 106) comme un urinoir. L’hypothèse n’est pas recevable du fait des aménagements de la pierre : arrivée d’eau, évacuation, trop-plein. On peut noter, comme dans les cas précédents, que le liquide est rejeté directement sur le sol. Cette forme de cuve n’est d’ailleurs pas spécifique à la villa de Gurtweil. On retrouve de tels bassins en contexte artisanal dans les cellules qui bordent la Schola de l’Îlot des Cordeliers à Poitiers (Jouquand et al., 2000, p. 212, 214) ou dans la cuisine de la Maison II à Saint-Rémy-de-Provence/Glanum (Rolland, 1946, p. 72).

Fig. 115 – Gurtweil, Waldshut : a) plan des latrines ; b) plan et coupe du bassin des latrines

150Dans les aménagements plus importants comme celui d’une cuve destinée à une véritable fontaine, un seul exemple est parfaitement conservé. Contre la paroi nord-est de la salle de la villa d’Avenches se trouve une vasque de 1,20 m de longueur, 0,54 m de largeur, parois comprises, et 0,24 m de profondeur, alimentée par un tuyau qui traversait le mur (fig. 116a). Son rebord côté mur était haut d’une trentaine de centimètres et légèrement recourbé. Le centre du bassin est occupé par un orifice de 0,12 m de diamètre, évasé dans le dallage, qui s’apparente à une cuvette de décantation. Le trop-plein se fait sur le côté sud-ouest où est creusée une cupule dans le sol. De là, l’eau rejoignait l’égout latéral par des rigoles. L’autre exemple reste hypothétique : dans l’état 3 des Thermes du Forum à Martigny, seule une arrivée d’eau, peut-être par tuyau de plomb, a été découverte dans la partie orientale du mur sud (fig. 116b). Les fouilleurs ont imaginé qu’elle alimentait une fontaine dans l’angle sud-est de la salle, dont le trop-plein se déversait dans le canal latéral et dans la rigole creusée devant les sièges. À Liberchies, la découverte de frettes près de l’exutoire de l’égout témoigne de l’existence très vraisemblable d’une adduction d’eau en bois aboutissant à un bassin ou un labrum. Dans l’état 2c de la villa de Séviac à Montréal, les aménagements sont sensiblement différents. Aucun bassin n’a été retrouvé dans les latrines. Il en existe toutefois un de 0,64 m de côté dans la pièce voisine 22. Celle-ci a été interprétée comme une salle de service pour l’entretien du linge des bains. On peut toutefois proposer d’y voir une fontaine pour les usagers des toilettes. Dans la villa de Las Peiras à Rabastens, une petite fontaine (large de 0,45 m, longue de 3,50 m et profonde de 0,30 m) fait face à l’entrée (voir fig. 112e).

151Ces structures sont très fréquentes dans les latrines d’autres régions dès lors que les vestiges sont dans un état de conservation satisfaisant : latrines 2 de la villa de Piazza Armerina (Italie)167 (Carandini et al., 1982, p. 157) (fig. 116c) ; thermes de la Place du Cinquecento à Rome (Bandini et al., 1997, p. 156) (fig. 116d) ; Thermes du Nageur (fig. 116e), Thermes du Philosophe (Boersma, 185, p. 392) (fig. 116f), Thermes des Six Colonnes (Mar, 1990, p. 48) (fig. 116g) et latrines de la Voie de la Forica (Meiggs, 1960, p. 143) (fig. 116h) à Ostie ; des Praedia de Julia Felix à Pompéi (Parslow, 1998, p. 200) (fig. 116i) ; Thermes inférieurs de la villa d’Els Munts à Altafulla (Espagne) (García Entero, 2001, p. 330) (fig. 116j) ; villa III de São Cucufate (Portugal) (Alarcão et al., 1990, p. 114) (fig. 116k) ; forum de Timgad (Ballu, 1897, p. 112) (fig. 116l) ; Thermes de la Chasse à Leptis Magna (Squarciapino, 1966, p. 124) (fig. 116m). Dans les latrines de l’Agora à Side (Turquie), les trois niches face à la banquette ont probablement accueilli des bassins (Mansel et al., 1956, p. 30) (voir supra, chap. premier, fig. 39c).

152S’ils peuvent avoir une fonction ornementale plus ou moins accentuée168 par le bruissement de l’eau, qui pouvait peut-être faire oublier les odeurs, ces aménagements, labra ou fontaines, ont avant tout une fonction pratique, celle de permettre aux usagers de se rincer – même sommairement169 – les mains170. Ainsi Trimalcion, après avoir uriné dans une matella171, se trempe le bout des doigts avant de s’essuyer sur la tête d’un esclave (Satiricon, XXVII). Dans un autre passage (Satiricon, XLVII), Pétrone mentionne l’eau destinée à se nettoyer ou à se rincer les mains à côté des lasana utiles pendant le repas.

153Plus grandiose et plus décoratif, le nymphée, fontaine monumentale, dépasse par son ampleur celle des aménagements jusque-là évoqués172. Un seul exemple est attesté dans les provinces étudiées : celui des Thermes des Lutteurs à Saint-Romain-en-Gal (voir fig. 116n). Face aux banquettes, qui se développent sur trois côtés, un vaste bassin semi-circulaire (diamètre de 10,50 m, largeur maximale de 2,30 m et profondeur de 0,40 m) est alimenté par cinq fontaines situées à 1,60 m de hauteur dans autant de panneaux en retrait. Il est délimité par une colonnade de sept supports probablement haute de 4 m, portant la toiture de la salle et qui le laisse à l’air libre. Au-dessus de lui, le mur est décoré de panneaux séparés par des massifs dont les centres sont occupés par des colonnes engagées en briques (fig. 117a). Dans un deuxième temps, l’aspect général a été transformé, les colonnes engagées arasées et la paroi recouverte de marbre. Des pilastres remplacent les colonnes et abritent cinq édicules entourant les jets d’eau (fig. 117b et 118).

Fig. 116 – Latrines avec bassin ou nymphée.

Fig. 117 – Saint-Romain-en-Gal, Thermes des Lutteurs : les deux états du nymphée des latrines

154Ces aménagements monumentaux se retrouvent très fréquemment dans les latrines qui comprennent une colonnade intérieure délimitant un espace à l’air libre comme aux Thermes du Fleuve à Thamusida (Maroc), où le trop-plein d’un bassin quadrangulaire appuyé contre la paroi se déverse dans une structure de même forme (0,02 m à 0,03 m de profondeur) qui alimente la rigole au-devant de la banquette (Rebuffat, Hallier, 1970, p. 52-53) (fig. 116o). Dans les Grands Thermes sud de Timgad, la fontaine n’orne pas le mur droit, mais trône dans l’axe de la partie courbe (Boeswillwald et al., 1905, p. 251-252) (fig. 116p).

Fig. 118 – Saint-Romain-en-Gal, Thermes des Lutteurs : vue depuis le sud du nymphée des latrines

155Ce type d’aménagement se retrouve tout particulièrement en Afrique du Nord ; il est également connu, mais plus rarement, ailleurs. Dans les thermes de l’Insula 38 d’Ampurias, la pièce rectangulaire accueille contre la paroi sans banquette un bassin peu profond alimenté par le trop-plein d’un labrum173 situé en son milieu (Aquilué et al., 2002, p. 247) (voir fig. 112g). Dans les latrines de la Domus Augustana à Rome – dont le plan est proche de celles de la villa de Rabastens – un bassin semi-circulaire occupe le devant des sièges percés (Daremberg, Saglio, 1904, III, p. 988) (voir supra, chap. premier, fig. 44c).

156Ces aménagements, plus ambitieux que les simples fontaines, n’égalent pas en monumentalité le nymphée des Thermes des Lutteurs. Un seul autre ensemble est véritablement comparable ou plus grandiose encore : il se situe à côté des Thermes de l’Ouest de l’île de Cos (Grèce) du iii^e s. apr. J.-C. Il comprend deux niveaux ornés chacun de trois niches semi-circulaires au-devant desquelles s’ouvrent autant de bassins (Morricone, 1950, p. 232 ; Merletto, 2000, p. 297-301) (fig. 116q et 119).

157Un point commun rassemble ces structures plus ou moins imposantes : l’eau propre des trop-pleins ne disparaît pas directement dans les égouts, mais circule dans les rigoles au-devant des banquettes percées174. On retrouve là un phénomène déjà étudié dans les thermes où l’eau est utilisée de façon graduelle en fonction de son degré plus ou moins important de souillure (Bouet, 2003b, I, p. 232).

CIRCULATION D’EAU EN CONTINU, CIRCULATION D’EAU EN ALTERNANCE ?

158L’idée généralement répandue est celle d’une circulation d’eau en continu dans les égouts des latrines, ce que laissent sous-entendre les auteurs antiques qui en font le pendant des énormes volumes charriés par les aqueducs de Rome175. Que peut-on déduire des vestiges archéologiques ?

Fig. 119 – Cos : vue des latrines à côté des Thermes de l’Ouest

159Dans la plupart des cas, lorsqu’il s’agit de thermes, qu’il soit question des bassins chauds ou surtout des froids176, l’égout est alimenté à partir de la vidange de la cuve, et non pas de son trop-plein rarement connu. On serait donc plutôt en présence d’une eau circulant en alternance, selon un rythme impossible à restituer, mais variable d’un bâtiment à l’autre en fonction du mode d’alimentation.

160Dans quelques cas toutefois, la circulation en continu est envisageable177, comme dans la villa de Las Peyrous à Blagnac où l’eau provenait du trop-plein d’un labrum trônant au centre de la pièce. Plus grands pourraient être les volumes dans les latrines des Thermes du Nord de Nice/Cimiez, si l’on considère la taille des réservoirs qui les contiennent. Nous partons du principe que l’eau arrivait en continu dans ces citernes et qu’il n’existait donc pas de gestion en amont, ce dont nous n’avons cependant pas la preuve.

161Quoi qu’il en soit, il existe une certaine circulation continue de liquide dans les rigoles au-devant des banquettes, qui termine toujours sa course dans l’égout latéral. Les quantités charriées sont toutefois insuffisantes pour évacuer les déjections qui doivent attendre des apports de liquide supplémentaires.

162Dans la majorité des cas, le recours à la vidange d’une cuve d’eau froide – piscina ou natatio – n’est probablement pas le fruit du hasard, car on peut penser que les contenus étaient vidés plus régulièrement que dans le cas de bassins chauffés. Selon la première loi de Vipasca, l’eau chaude des bains de la mine d’Aljustrel (Portugal) doit être changée deux fois par jour, le matin pour les femmes, l’après-midi pour les hommes (Vip. I, 3, 2)178. Rien n’est précisé pour l’eau froide, qui ne devait poser aucun problème et devait circuler beaucoup plus facilement.

163Un indice témoigne d’une circulation d’eau en alternance. C’est l’exutoire de l’égout constitué d’un puisard qui a une contenance limitée, même si le liquide doit s’infiltrer au moins en partie dans le sous-sol. Un tel cas de figure se retrouve dans la maison du Secteur 2 à Lunel-Viel. N’oublions pas cependant les latrines modestes, nettoyées seulement par le seau d’eau que l’on y jetait plus ou moins régulièrement179.

LE CHAUFFAGE DES LATRINES

164Les latrines de la villa des Cloisets à Colmiers-le-Bas ont livré, à 0,88 m de leur angle sud-est, un petit foyer rempli de cendres, constitué d’une sole rectangulaire (fig. 120). Le contexte est malheureusement mal connu car la fouille est ancienne. On ignore si l’aménagement est contemporain de l’utilisation de la salle ou s’il s’agit d’une réoccupation postérieure. Quoi qu’il en soit, cette découverte pose le problème du chauffage éventuel des latrines. Nous n’avons trouvé aucune comparaison. La littérature, même récente (Carcopino, 1939, p. 54 ; Malissard, 1994, p. 67), rapporte le cas des latrines du Forum de César qui auraient été chauffées par hypocauste. Or, il a été démontré, depuis 1991, que cet aménagement est dû à la position particulière de la salle (Amici, 1991, p. 118). Celle-ci, accessible depuis le Clivus Argentarius, se situait au premier étage par rapport à la surface de circulation du forum. Afin d’aménager une différence de niveau suffisamment importante leur permettant d’installer le système d’égout, les architectes romains ont choisi l’hypocauste qui n’alourdissait pas inutilement le poids de la maçonnerie sur les substructures. Il est certain que l’hypocauste ne présente aucune trace de fonctionnement, ni aucun praefurnium, conjecture d’autant plus hasardeuse que la partie centrale de la salle est à l’air libre, délimitée par une colonnade.

Fig. 120 – Colmiers-le-Bas, Les Cloisets : vue depuis le sud des latrines 26. Au premier plan, le foyer ; au fond, la pierre percée faussement interprétée comme une lunette

165Si l’on se fie à la découverte de Colmiers-le-Bas, on pourra dire que les latrines ont pu être chauffées. Mais le chauffage ne pouvait se faire qu’à partir de structures modestes, peut-être tout au plus de braseros qui n’ont laissé aucune trace.

LES REVÊTEMENTS

LES SOLS

166Les sols des latrines peuvent avoir des aspects très divers, des plus modestes aux plus riches.

Les sols de terre et les planchers

167Les sols les plus modestes sont ceux formés d’une simple couche de terre battue. On les trouve dans quelques édifices publics mineurs (Hyères-les-Palmiers/Olbia) et dans bon nombre de latrines privées, qu’il s’agisse d’une pièce indépendante180 ou d’une installation s’intégrant dans un ensemble plus vaste comme une pièce de service181. Notons le cas particulier de la Maison à la Mosaïque aux Méandres à Orange, dont le sol est constitué d’une couche de béton, rapidement remplacée par de la terre battue182. Dans l’état 4b de la Maison au Dauphin à Vaison-la-Romaine, qui correspond à l’extension des latrines primitives, deux rangées de dalles sont visibles le long de la banquette où est creusée la rigole ; au-delà, plus vers l’est, on ne retrouve en continuité que la terre, ce qui constitue un aménagement unique.

168Le plancher est plus difficilement identifiable car il s’agit d’un matériau périssable. Plusieurs exemples sont toutefois attestés. Au Lycée Camille-Saint-Saëns à Rouen, les seuls témoignages sont représentés par deux pièces de bois carbonisées disposées à angle droit le long de la conduite. Dans la villa de Wittlich, les fouilleurs ont noté sur le substrat rocheux une épaisse couche de cendres qui pourrait témoigner là aussi de l’existence d’un plancher. Dans les latrines sur fosse, celui-ci est parfois identifiable dans la maçonnerie grâce aux négatifs des solives qui le supportaient. Dans les latrines 12 de la Domus 1 et dans celles de l’état 3 de l’Habitation 52 (voir supra, fig. 89b) du Parking du Calvaire à Poitiers, les solives sont au nombre de trois, régulièrement disposées, une à chaque extrémité, la dernière au centre. Dans la Domus 1, leur taille varie de 0,08 m de largeur et 0,12 m de hauteur à 0,18 m et 0,22 m. Un aménagement similaire est visible à Mâlain183, dans les latrines de la Maison de la Nymphe, dans celles à l’ouest de cette dernière et dans les latrines 26 de la Maison du Propriétaire (fig. 121). Dans le premier cas, les chevrons, larges de 0,10 m à 0,16 m, sont distants de 0,50 m à 0,63 m. Lorsque les vestiges ne sont pas suffisamment conservés pour avoir gardé la trace des encastrements comme dans la villa de Baldringen, c’est seulement la différence de niveau entre les latrines et les espaces environnants qui autorise une telle restitution.

Fig. 121 – Mâlain, Maison de la Nymphe : négatifs des solives du plancher des latrines 27

Fig. 122 – Augst, Théâtre : encastrement des solives au-dessus de la fosse des latrines de l’état 1a

169Les toilettes creusées au pied du mur périmétral du théâtre d’Augst regroupent les deux types de découvertes évoqués. En effet, dans la paroi de l’édifice de spectacle, quatre encastrements attestent d’un plancher et de la banquette recouvrant la fosse (fig. 122). Mais la trace d’une poutre se prolongeant au-delà de celle-ci vers l’est permet de penser que l’ensemble de la salle en était doté. Le comblement de la fosse 41 de la parcelle 9 de l’Unteres Bühl, à Oberwinterthur, a livré des bois carbonisés qui pourraient appartenir à la couverture de la fosse ; celle de la fosse 67 d’Oberaden a également été trouvée. Dans la fosse 52 du Camp de Zurzach, le pendage des couches de comblement laisse supposer la présence d’un couvrement en matériau périssable progressivement décomposé (voir supra, chap. premier, fig. 7a). Dans bon nombre d’autres cas, seul l’espace au-dessus de la fosse était recouvert de bois, celui environnant restant en terre battue. Est-ce le cas dans la fosse particulièrement vaste de la rue Hannong à Strasbourg ?

170Les latrines 41 de la villa de Chassey-Lès-Montbozon sont tout à fait originales car le bois y occupe une place plus importante qu’ailleurs. La pièce est divisée en deux, au niveau du sous-sol, par un muret en « U » avec traces d’encastrement, qui délimite un canal d’écoulement. Ce muret devait supporter un plancher prenant appui sur l’arase du mur en « U » et maintenu dans les cavités des parois. À la périphérie, se développait probablement la banquette dans le même matériau (fig. 111).

171À Chassenon, enfin, ce ne sont pas les latrines qui sont recouvertes de bois mais la galerie qui y mène184. Même principe dans le Bâtiment public de Poitiers. Le vestibule qui donne accès au lieu d’aisance est aménagé au-dessus de la citerne qui le précède. La paroi mitoyenne a conservé les traces des solives (larges de 0,20 m et espacées de 0,50 m) supportant les planches.

172Il est probable que les planchers ont été plus nombreux que ce que l’on perçoit à l’heure actuelle. S’ils ont été repérés pour la plupart du fait de leur destruction par le feu, ceux qui se sont naturellement dégradés n’ont pas laissé de traces, sauf attention particulière portée lors de la fouille185. On peut donc penser qu’un certain nombre d’exemples classés dans la catégorie des sols en terre battue ont été recouverts de bois. Il en était peut-être ainsi dans l’extension des latrines de la Maison au Dauphin à Vaison-la-Romaine où, au-delà des dalles de la rigole, un plancher est plus envisageable que la simple terre battue.

Les sols maçonnés

173Les sols construits sont, eux aussi, très divers186. Dans un certain nombre d’exemples, il s’agit d’aménagements strictement utilitaires qui prennent la forme d’une dalle de mortier187 ou, plus fréquemment, d’un béton de tuileau188. Parfois, un bourrelet d’étanchéité était aménagé au pied d’une ou de plusieurs parois189, afin d’éviter les remontées d’humidité lorsque la salle était lavée à grande eau190.

174Ces sols, de conception très simple, ne sont pas forcément réservés à des latrines fréquentées par des personnes de basse extraction. À Blagnac, les petits lieux d’aisance, accessibles directement depuis le frigidarium, étaient destinés aux utilisateurs des bains. On retrouve également ce type de sols dans des latrines publiques généralement de petites dimensions, mais qui peuvent avoir parfois une ampleur plus grande (Martigny)191. Il s’agit, dans ce dernier cas, d’un bâtiment relativement précoce, puisqu’il date de la seconde moitié du i^er s. apr. J.-C.

175Parfois, le sol est constitué d’éléments de terre cuite : briques à Cazères, dans la maison de l’Îlot IIIB à Fréjus et dans l’état 2 du Complexe d’Angle B à Lyon, bipedales et tegulae dans les latrines 81 de la villa de Loupian. Il s’agit de sols relativement simples qui allient rapidité d’exécution, solidité et faible coût, et que l’on retrouve dans des pièces très modestes. Tel n’était pourtant pas le cas des latrines des thermes de la Place du Cinquecento à Rome, revêtues de briques alors que la décoration pariétale est riche (Bandini et al., 1997, p. 156).

176Les sols plus luxueux sont moins répandus. Une mosaïque composée uniquement de tesselles blanches décore le sol des latrines de la villa d’Ordan-Larroque. Plus fréquents sont les dallages192 en pierre locale : schiste à Arbin, brèche à Chassenon, grès à Rottenburg am Neckar (voir supra, fig. 102). Seule la pierre des Thermes des Lutteurs à Saint-Romain-en-Gal provient d’un peu plus loin puisqu’il s’agit d’un calcaire dit « rose de Bourgogne », importé de la vallée de la Saône (Leblanc, 1995, p. 256)193. Le pavement des latrines 34 de la villa de Loupian tranche véritablement sur les autres puisqu’il s’agit d’un opus sectile de marbre blanc et d’ardoise dont il ne reste malheureusement, pour une large part, que les empreintes dans le béton sous-jacent. La salle était destinée uniquement aux baigneurs puisqu’elle communique avec le frigidarium et le décor se différencie nettement de celui des autres lieux d’aisance auxquels on ne parvient que depuis l’extérieur de la villa. On rencontre les dallages pour une bonne part dans les grandes latrines publiques, mais également – en plus du cas de Loupian précédemment évoqué – dans quelques autres latrines bien plus réduites dépendant de domus ou de villae. Les deux états successifs des latrines de Martigny pourraient témoigner d’une amélioration du « standing », le béton de tuileau originel étant remplacé, après reconstruction complète, par un dallage194.

177L’aspect ornemental des pavements est assez peu recherché dans les régions prises en compte, y compris dans les latrines les plus vastes, contrairement à ce que l’on peut voir ailleurs195, où l’on trouve essentiellement des décors géométriques simples – losanges noirs sur fond blanc encadrés d’une bande noire périphérique dans la Maison d’Hippolytus de Alcalá de Henares (Espagne) (García Entero, 2004, p. 153), bandes noires sur fond blanc dans les Grands Thermes de la Villa Hadriana à Tivoli (Jansen, 2003, p. 142) –, ou plus complexes – carrés, rectangles, hexagones, cercles, losanges et dans les angles des figurations de poissons ou de pintades dans les latrines de la Grande Colonnade d’Apamée (Syrie) (Schmidt-Colinet, 1984, p. 141-142) ; alternance de panneaux de marbre et de mosaïque et représentation de dauphins dans les Thermes de l’Ouest de Cos (Morricone, 1950, p. 232) ; représentation de dauphins dans les thermes de Fuorigrotta à Naples (Laforgia, 1981, p. 26) ; quadrillage avec motif floral dans les latrines 14 de Piazza Armerina (Sicile) (Carandini et al., 1982, p. 116) ; motif noir et blanc en éventail dans les Thermes des Filadelfes à Timgad (Algérie) (Germain, 1969, p. 79).

178Certaines représentations peuvent être plus recherchées : cantare avec décor végétalisant dans les latrines 59 et animaux (âne, lièvre, perdrix, outarde, chat-pard) dans la pièce 2 de Piazza Armerina (Carandini et al., 1982, p. 157-158, 291) ou scène nilotique dans les Thermes de Neptune à Ostie (Becatti, 1961, p. 59-60) ou dans les Grands Thermes sud à Timgad (Germain, 1969, p. 134).

179S’il est vrai que quelques décors sont contemporains de la période où les latrines sont les plus nombreuses dans les régions étudiées (132-139 apr. J.-C. pour Ostie), la plupart appartiennent toutefois à des périodes bien postérieures : iii^e s. à Cos, milieu du iii^e s. à Timgad (Foucher, 1965, p. 141), vers 320-330 à Piazza Armerina196, v^e s. ou début du vi^e s. à Apamée.

LES MURS : ENDUITS ET LAMBRIS

180Les enduits sont encore moins bien connus que les sols, car les dégradations les ont bien souvent fait disparaître. Si leurs fragments peuvent se retrouver en fouille, la simplicité du décor a fait que – notamment dans les dégagements anciens – ils ont été bien souvent ignorés des chercheurs et ne se retrouvent pas dans leurs publications.

181Dans quelques cas, c’est l’absence d’enduit qui est relevée comme dans la Maison D2 à Orange, ce qui répond à la simplicité du sol en terre, et ce même dans des petites latrines ouvertes au public. Ailleurs, il s’agit d’une simple couche de mortier sans trace de décor, comme dans la Maison à la Mosaïque aux Méandres à Orange. On est là toutefois dans la chambre de chauffe des thermes dont une partie est occupée par les lieux d’aisance. La même simplicité prévaut également dans les latrines de l’état 2 des Thermes du Forum à Martigny où les parois ne semblent recouvertes que d’un enduit de béton de tuileau lissé.

182Bien plus nombreux sont les enduits blancs qui confèrent un aspect de propreté et de clarté à la pièce, apportent de la lumière, sont faciles d’exécution et donc d’un coût réduit. On en trouve dans les latrines publiques de Liberchies et dans les Thermes du Sud à Toulouse/Saint-Michel-du-Touch, dans la Maison d’Amour et Pan à Sainte-Colombe-lès-Vienne, peut-être dans les villae de Tourves et Colmiers-le-Bas. À cette série, il faut ajouter le cas hypothétique de la domus de la Place Formigé à Fréjus, pour lequel le problème d’interprétation de l’avaloir se posait197 (voir supra, chap. premier, fig. 23). Quoi qu’il en soit, des encastrements d’étagères sont visibles dans l’enduit au-dessus de l’ouverture.

183Ces vastes surfaces peuvent être rehaussées de décors très simples198. Dans les latrines du théâtre d’Augst, des restes d’enduit blanc barré au moins d’une bande noire horizontale et d’une autre verticale plus mince ont été découverts sur la paroi de l’édifice de spectacle sur laquelle s’appuie le lieu d’aisance. Ils ont été interprétés comme le décor de façade du premier, mais il pourrait également s’agir de celui des latrines. Dans la Schola de l’Îlot des Cordeliers à Poitiers, l’enduit est rehaussé d’un cercle noir.

184Les revêtements rouges sont connus à Oberüttfeld et dans les Thermes du Nord à Saint-Bertrand-de-Comminges199, tandis que dans la Maison du Prétoire à Vaison-la-Romaine, les surfaces sont recouvertes de grands panneaux rouges. À Chassenon, le décor est en cours d’étude, mais il semble déjà être somme toute relativement modeste : la partie basse est enduite de béton de tuileau peint en rouge, la partie médiane de mortier peint en blanc comporte un décor non restituable en l’état actuel de la recherche, la partie haute est percée de fenêtres aux ébrasures soulignées de peinture rouge. Dans les latrines de l’état 4 de la villa de Limoges, les parois étaient recouvertes d’un enduit gris-noir sur lequel était peint un décor de feuillages verts évoquant du lierre.

185Deux bâtiments seulement se distinguent du lot : ceux de Rottenburg am Neckar et des Thermes des Lutteurs à Saint-Romain-en-Gal. Dans le premier, les parois sont recouvertes d’enduits constitués dans leur partie basse d’une zone rouge haute de 0,60 m, que surmonte une succession de bandes horizontales auxquelles sont suspendues des guirlandes (fig. 123). La partie haute comprend un décor de feuillage sur fond blanc. Dans le second, les murs nord, ouest et sud sont recouverts d’une succession de panneaux hauts de 1,50 m, larges de 1,30 m à 1,40 m, à l’exception d’un mesurant 0,96 m de largeur, inscrits sous des arcades, sur lesquels figurent différentes activités sportives : lutte, pugilat, pancrace, lancer de disque, sous la férule d’un arbitre (fig. 124- 125). Un entablement dorique surmonte l’ensemble des scènes. Si la nature des représentations ne pose pas de problème dans le cadre de thermes qui accueillent la très grande majorité de l’iconographie athlétique (Decker, Thuillier, 2004, p. 166), leur véritable signification peut être sujet à discussion. S’agit-il d’un simple entraînement (dans la palestre voisine des thermes) ou de l’évocation de véritables épreuves ? Les épreuves appartiennent au pentathlon, mais n’apparaissent pas dans le bon ordre ; il existe pourtant un athlète tenant une récompense. Quoi qu’il en soit, cette peinture prouve l’engouement des Viennois pour les pratiques athlétiques, comme en témoigne le texte de Pline le Jeune évoquant l’agon gymnicus institué dans la ville où se situe la mosaïque dite des « athlètes vainqueurs » (Bouet, 1998b, p. 91-92). En l’état actuel de la recherche, la richesse et la précision de l’évocation font de ce décor un unicum dans les régions étudiées.

Fig. 123 – Rottenburg am Neckar, Sprollstrasse : décor des latrines

186Les lambris de marbre sont également évoqués par les fouilleurs parallèlement aux enduits peints, mais bien souvent sans autre précision : villa d’Ordan-Larroque, Thermes du Sud à Toulouse/Saint-Michel-du-Touch. Dans la pièce de Saint-Père-sous-Vézelay, les placages du premier état ont été remplacés ensuite par des enduits.

187Seules les latrines des Thermes des Lutteurs, à nouveau, témoignent d’un emploi massif des lambris et décor de marbre, en arrière de la banquette sur une hauteur de 0,90 m mais surtout dans l’état 2 du nymphée200 (voir fig. 117b) ; corniches, pilastres, chapiteaux, bases, plaques ont des origines diverses, parfois lointaines : calcaire marbrier rose de la vallée de la Saône, marbre gris-bleu (Cipolin) de la région de Karistos-Bey (Grèce), marbre blanc de Thasos (Grèce) et probablement de Carrare, marbre blanc veiné de violet ou de pourpre (Pavonazzetto) de Docimia (Turquie), marbre rose veiné de rouge (Leblanc, 1995, p. 256). L’importance du décor dans le nymphée transparaît ainsi au travers des marbres rares qui sont utilisés.

188À titre de comparaison, la seule étude d’ensemble en notre possession, qui prend en compte onze latrines, concerne Pompéi et Herculanum. Les décors y sont généralement assez simples (Jansen, 1993), le mur étant divisé en deux zones. La partie basse, plus ou moins importante, est peinte en sombre pour masquer les salissures. Elle n’est pas forcément monochrome : à Pompéi, zébrage noir dans les Thermes de Stabies (VII 1, 8) (Corrado Goulet, 2001-2002, p. 63-64), dans la Maison I 12, 11 (id., p. 85-86) ou, sous une forme légèrement différente, dans les Praedia de Julia Felix (II 4, 3) (id., p. 70), taches jaunes et rouges sur fond noir dans la Caupona d’Euxinus (I 11, 10). La zone haute, peinte en couleur claire, parfois ornée de lignes rouges foncées qui soulignent les angles et les encadrements de fenêtres, permet d’apporter un peu de lumière. Dans les toilettes du secteur III, 9 d’Herculanum, les lignes délimitent un simple panneau orné de petites tâches rouges. G. C. M. Jansen (1993, p. 30) note que les lignes rouges sont assez répandues dans les décors des latrines, puisque présentes également dans l’Immeuble des Auriges (III X, 1) et dans les Thermes de Neptune à Ostie (II IV, 2)201. Dans les latrines de la Domus Flavia à Rome, la zone basse est peinte en rouge sur une hauteur de 1,15 m, la zone haute en blanc (Carettoni, 1949, p. 67).

189À Pompéi, dans trois cas seulement, le décor apparaît un peu plus complexe : petit dauphin jaune sur le mur nord des latrines semi-publiques des Praedia de Julia Felix, guirlande de fleurs dans la Maison de Castor et Pollux (VI 9, 6), branches de fleurs sur les parois, hippocampe, dauphins et cornes à boire au plafond dans la Maison des Noces d’Argent (V 2, 1) (Barbet, 1985, p. 226-227). On est donc en présence de décors extrêmement simples qui sont tout à fait comparables à ce que l’on peut percevoir au travers des maigres vestiges des régions étudiées dans cet ouvrage.

Fig. 124 – Saint-Romain-en-Gal, Thermes des Lutteurs : décor peint des latrines

Fig. 125 – Saint-Romain-en-Gal, Thermes des Lutteurs : évocation du décor peint des latrines

190Les décors plus recherchés sont rares. Dans les latrines des thermes de la Place du Cinquecento à Rome, les lambris des parois, probablement en marbre, ont été récupérés et seul subsiste le décor de la voûte constitué, autour d’un cercle central, de panneaux délimités par des bandes alternativement rectilignes et curvilignes, panneaux ornés d’un dauphin, de deux hippocampes et d’un hippopotame (Bandini et al., 1997, p. 156-157).

191Dans les Thermes de la Chasse à Leptis Magna (Libye), le décor peint imite des panneaux de marbre (Ward Perkins, Toynbee, 1949, p. 188). Dans les thermes de Fuorigrotta à Naples, il s’agit d’un décor floral rouge sur fond jaune (Laforgia, 1981, p. 26), comme dans la Grande Forica du Largo Argentina à Rome (Marchetti-Longhi, 1970-1971, p. 40-41). Dans quatre latrines de Pompéi, on trouve une représentation de Fortuna202 (Jansen, 1993, p. 29) placée là pour des raisons apotropaïques – essentiellement chasser l’odeur nauséabonde (Fröhlich, 1991, p. 40, 59) – à moins qu’il ne s’agisse d’invoquer le secours de la divinité (Neudecker, 1994, p. 55). Dans les latrines du forum de Bolsena, datées des années 30-40 apr. J.-C., la partie basse est ornée d‘un placage de marbre sur 1,60 m ; au-dessus, on reconnaît diverses scènes figurées : scène nilotique, néréide montant en amazone un dauphin, dieu Océan, quatre chevaux emballés entraînant vers la mer un char vide, tandis que la partie haute comporte un double rinceau agrémenté de petites fleurs bleues et rouges sur fond blanc (Hallier et al., 1982, p. 69-70). Les parois des latrines nord-est des Thermes d’Antonin à Carthage ont conservé une partie de leur décor de stuc polychrome en relief sur le parement (Lézine, 1968, p. 44). Les toilettes de la Maison II d’Éphèse des années 400- 410 sont aussi petites que richement décorées. Elles comportent sur chaque panneau la représentation de personnages interprétés comme des philosophes (Strocka, 1977, p. 87-89). Ce motif iconographique a été rapproché des représentations des sept sages dans l’apodyterium des thermes du même nom à Ostie (III X, 2) (Pavolini, 1989, p. 135). Si la première lecture des textes d’Éphèse les apparente plutôt à des sentences philosophiques, on ne peut leur nier cependant tout sens scatologique203.

192Par sa qualité et par les sujets représentés, la peinture des Thermes des Lutteurs à Saint-Romain-en-Gal ne peut véritablement se comparer qu’avec celle datée de l’époque flavienne provenant des latrines – pourtant plus modestes et situées dans une zone de service204 – de la Domus Tiberiana à Rome (Tomei, 1991). Au-dessus d’une zone basse de couleur jaune, se trouvent représentés sur une paroi trois personnages (1,10 m de hauteur) et, sur la paroi perpendiculaire, deux autres appartenant à un munus gladiatorien. De plus la voûte, en partie conservée, est ornée de motifs végétaux et animaux sur fond blanc.

193Certaines latrines particulièrement luxueuses ne semblent avoir fait appel qu’au marbre. Tel est le cas des latrines du Forum de César à Rome205, également celles de l’Agora de Side (Turquie) (Mansel et al., 1956, p. 30 ; Mansel, 1963, p. 100) et de Magnésie du Méandre (Turquie) (Bingöl, 1998, p. 62-63) ou du Macellum de Pouzzoles. Dans ce dernier exemple, ce matériau, blanc, orne les parois sur 0,40 m au-dessus des sièges ; il est surmonté d’autres marbres de différentes couleurs dessinant des motifs géométriques (de Ruyt, 1983, p. 155).

Fig. 126 – Xanten, Grands Thermes : vue depuis le sud des latrines 33. Au premier plan, les vestiges du sol ; à gauche, l’abside ornementale

LA STATUAIRE

194Aucun élément de statuaire n’a malheureusement été retrouvé dans les latrines des régions étudiées. Au niveau de l’architecture, seule la pièce 33 des Grands Thermes à Xanten se distingue par les deux niches semi-circulaires larges de 1,50 m (fig. 126). Celles-ci, positionnées face aux entrées, sont suffisamment imposantes pour avoir accueilli des statues de taille humaine206. Dans les autres latrines d’aspect luxueux, si la statuaire a existé, elle devait se trouver dans des niches placées en hauteur et disparues aujourd’hui.

195Dans les autres latrines du monde romain, les témoins de la statuaire sont peu abondants. Dans celles du Gymnase de Salamine (Chypre), a été découvert un torse appartenant à une statue en marbre de satyre ou de Pan (Karageorghis, 1965, p. 289-290 ; 1966, p. 218). H. Manderscheid mentionne le corps sans tête de Bacchus qui pourrait provenir des latrines des Thermes du Rivage à Sabratha (Mandersheid, 1981, p. 24, 56 et note 223, 110). Les deux latrines des Thermes d’Hadrien à Leptis Magna ont gardé chacune une base située dans une niche axiale ; cet aménagement existe aussi dans les Grands Thermes de Madaure (Algérie) (Gsell, Joly, 1914, p. 95-97)207.

196Ailleurs, ne sont conservées que les niches ; les statues ayant à jamais disparu. Les parois latérales des latrines du Macellum de Pouzzoles en sont décorées chacune de trois, de 1,30 m de largeur ; celles du centre sont encadrées de colonnettes et possèdent un fond incurvé, les autres sont rectangulaires (de Ruyt, 1983, p. 155) ; cette même alternance se reproduit dans les toilettes des thermes au nord-est du Forum Novum de Khamissa/Thubursicu Numidarum (Algérie) (Krencker, Krüger, 1929, p. 205- 206) et dans celles de la Crypta Balbi à Rome (Saguí, 1990, p. 9-14). Dans les latrines de la Domus Augustana à Rome, trois niches probablement pourvues à l’origine de statues surmontent celles qui accueillent les sièges percés (voir supra, chap. premier, fig. 44c). On note une volonté d’alterner les voûtements : à la niche centrale, couverte d’une plate-bande appareillée encadrée par deux autres latérales voûtées probablement en cul-de-four du premier niveau, succèdent une niche centrale voûtée en cul-de-four encadrée de deux autres couvertes par une plate-bande appareillée. Les aménagements sont bien plus sommaires dans les deux petites latrines tardives de l’Hospitium de Huwariya (Égypte) (Rodziewicz, 1988, p. 269-271). Dans le traité Abodah Zarah du Talmud (III, 4), à l’occasion d’un dialogue entre un personnage dénommé Proclus et le rabin Gamaliel, ce dernier mentionne dans des thermes une statue d’Aphrodite située à l’orifice d’écoulement des eaux et devant laquelle tout le monde vient uriner. Elle était placée très vraisemblablement dans les latrines de ces bains.

197On considérera comme un épiphénomène le geste de Néron qui, après sa victoire au concours de musique d’Olympie qu’il avait organisé, fit abattre, traîner avec un croc et jeter (abj (i) cere) dans les latrines les statues et les portraits des anciens vainqueurs (Suétone, Néron, XXIV). Plutôt que d’imaginer que ces figures aient été physiquement déversées dans les égouts des latrines208, on peut penser qu’elles croupissaient désormais – détériorées vu le traitement infligé – dans les lieux d’aisance, ce qui doit être interprété comme un puissant signe d’humiliation.

198La présence de statues de divinités dans les toilettes ne témoigne pas forcément de l’existence d’un culte qui leur était rendu209. Tel était toutefois le cas dans la Caserne des Vigiles à Ostie (II V, 1). Une petite niche à fronton disposée en hauteur dans la paroi devait accueillir une statue en marbre ou en terre cuite (Meiggs, 1960, p. 305-306) de Sancta Fortuna, comme l’indique une inscription (CIL, XIV, 4282). Dans la salle, a été retrouvé un autel de marbre portant une dédicace (CIL, XIV, 4281) faite à la même divinité par C. Valerius Myron, beneficiarius du préfet des vigiles (Carcopino, 1911, p. 456-457 ; Sablayrolles, 1996, p. 671), qui témoigne qu’elle n’avait pas été placée là uniquement pour son aspect esthétique. Elle vient confirmer les dires sarcastiques de Clément d’Alexandrie (Le Protreptique, IV, 51, 1) qui, à la fin du ii^e s. apr. J.-C. ou au début du siècle suivant, fustige les Romains d’avoir donné à Fortuna un temple digne d’elle, les latrines210.

199On peut donc dire que la richesse du décor des latrines se traduit plus par la nature des matériaux utilisés dans les revêtements que par l’importance de la statuaire211. Il convient toutefois de relativiser cette richesse qui, de façon générale, est bien moindre que celle que l’on rencontre ailleurs, en Asie Mineure ou en Afrique par exemple, même si le médiocre état de conservation de bon nombre de vestiges nous prive pour une large part de la réalité antique.

LATRINES MODESTES, LATRINES LUXUEUSES

200Ce tour d’horizon des latrines permet de mettre en évidence la très grande variété des modes architecturaux. Bon nombre de structures sont avant tout utilitaires et ne témoignent d’aucun luxe ou d’aucun trait apparaissant superflu. Les parois des fosses sont en matériau périssable, les murs des pièces également. Les constructions apparaissent plus solides – mais pas toujours – lorsque l’on est en présence d’aménagements sur égout latéral.

201On constate une volonté d’isoler ces salles particulières du reste de l’espace environnant par différents aménagements, porte ou plus souvent tentures, vestibule intermédiaire, fenêtres hautes. Les banquettes, en pierre ou en bois, sur lesquelles les usagers s’assoient présentent des différences. Si la plupart sont fermées par une plaque verticale qui n’autorise pas l’accès à l’égout, quelques indices prouvent toutefois qu’elles pouvaient être également largement ouvertes. Cet aménagement était rendu nécessaire à l’origine du fait de l’absence d’évacuation des déjections par l’eau courante ; il semble parfois qu’il ait été conservé même lorsque l’égout était parcouru par un flux d’eau conséquent, dans une volonté d’architecture archaïsante.

202Les rigoles, qui ne sont pas présentes dans toutes les latrines, courent au pied des banquettes pour offrir aux usagers l’eau propre nécessaire à leur nettoyage. Elles sont de taille différente et ne dépendent que d’un élément : l’importance du volume du liquide qui les emprunte. Lorsque celui-ci est insuffisant, un récipient pouvait faire l’affaire. Certaines salles offrent une eau plus abondante : labra, fontaines servant au lavage des mains et les nymphées au plaisir des yeux.

203Les revêtements des sols sont très divers, les plus recherchés étant constitués de dallage tandis que la mosaïque s’avère quasiment absente. La même remarque prévaut pour les riches décors muraux qui demeurent rares. Même s’il faut tenir compte de l’état de destruction avancé de bon nombre de salles des provinces étudiées dans ce cadre, on peut toutefois affirmer que les lieux luxueusement décorés demeurent l’exception, contrairement aux idées reçues sur les latrines antiques, et confirmer ainsi ce qui avait déjà été noté pour les ensembles italiens (Koloski-Ostrow, 1996, p. 80-81).