L’Église catholique au Viêtnam
p. 179-188
Texte intégral
1Il ne saurait être question, dans le cadre de ce colloque sur « Les chemins de la décolonisation de l’Empire français », de 1936 à 1956, de présenter l’ensemble des problèmes auxquels l’Eglise du Viêtnam a été affrontée, soit à cause de l’évolution politique, économique et sociale, soit à cause des événements qui ont contribué à préparer l’indépendance des trois Etats issus de l’ancienne Indochine française. D’autre part, progressivement, on assiste, durant cette période, à une évolution de la situation de l’Eglise ; de plus en plus, le clergé viêtnamien se développe, les premiers évêques viêtnamiens sont nommés par Rome. L’influence des missionnaires étrangers, particulièrement des Pères des Missions Etrangères de Paris, reste importante, mais des responsabilités et des fonctions nouvelles sont confiées au clergé viêtnamien. Cependant, les Missions sont toujours dirigées par des Vicaires apostoliques qui dépendent directement de la Congrégation de la Propagande. Ce n’est que le 24 novembre 1960 que sera érigée officiellement la hiérarchie catholique au Viêtnam, avec archevêques et évêques suffragants.
2Nous présenterons d’abord les données statistiques concernant l’Eglise catholique, en Indochine française, au début des années trente. Puis, nous étudierons successivement les principales étapes de l’évolution de l’Eglise au Viêtnam, en fonction de l’évolution politique, économique et sociale :
- l’Eglise durant les années précédant la Deuxième Guerre mondiale ;
- l’Eglise durant la Deuxième Guerre mondiale et la Première Guerre d’Indochine (1946-1954).
I. DONNÉES STATISTIQUES
3Elles concernent l’Eglise, en Indochine française, au début des années trente :
4Elles ont été publiées dans le Petit Atlas des Missions catholiques de Mgr André Boucher1, dans L’Année missionnaire de Paul Lesourd2. Des statistiques très précises, mais concernant uniquement les Vicariats apostoliques confiés aux Missions Etrangères, ont été publiées dans le Compte Rendu des travaux 1930 de la Société des Missions Etrangères, conservé aux Archives de la Société des Missions Etrangères3.
5En 1931, dans le cadre des divisions administratives de l’Indochine française, Cochinchine, Annam, Tonkin, Cambodge et Laos, la répartition des catholiques est très inégale. Si certaines provinces (Tonkin et Centre-Annam) comptent d’importantes minorités catholiques, le nombre des catholiques est plus faible en Sud-Annam et en Cochinchine. Le nombre des chrétiens cambodgiens est très faible, si l’on excepte les catholiques viêtnamiens résidents au Cambodge.
6Le Tonkin compte alors environ 7 160 000 habitants ; il est divisé en 9 Vicariats et Préfecture apostoliques : les Vicariats de Vinh, Phat Diêm, Thanh Hoa, Hung Hoa et Hanoï sont alors confiés à la Société des Missions Etrangères de Paris. Le premier Vicaire apostolique du Tonkin fut Mgr François Pallu, l’un des principaux fondateurs de la Société des Missions Etrangères, nommé par un Bref du pape Alexandre VII, le 29 juillet 1658. Depuis la fin du xviie siècle, les Dominicains espagnols, originaires de la province des Dominicains de Manille, sont chargés de l’évangélisation de la partie nord-est du Tonkin : Vicariats apostoliques de Bui Chu, Haïphong et Bac Ninh. La Préfecture apostolique de Lang Son, de création récente, est administrée par les Dominicains français de la province de Lyon.
7Vinh compte, en 1931, 144 072 catholiques, avec 24 Pères français des Missions Etrangères de Paris (MEP), 180 prêtres viêtnamiens, 152 religieuses et 150 catéchistes viêtnamiens. Phat Diêm recense 134 459 catholiques, avec 35 Pères MEP, 135 prêtres viêtnamiens, 123 religieuses et 225 catéchistes. En janvier 1933, un prêtre viêtnamien, le P. Tong, sera nommé par le Saint-Siège évêque coadjuteur, avec future succession, du Vicaire apostolique de Phat Diêm. Le Vicariat de Phat Diêm sera le premier au Viêtnam à être confié entièrement au clergé viêtnamien. Le Vicariat de Thanh Hoa sera créé en avril 1932, après démembrement du Vicariat de Phat Diêm, et confié aux Missions Etrangères.
8Les Dominicains, d’origine espagnole, contrôlent les Vicariats de Bui Chu (330 000 catholiques, 27 Pères dominicains, Espagnols et Viêtnamiens, 180 prêtres viêtnamiens, 700 religieuses et 690 catéchistes), de Haïphong (92 000 catholiques, 22 Dominicains, 69 prêtres viêtnamiens, 135 religieuses et 328 catéchistes, et de Bac Ninh (44 250 catholiques, 14 Dominicains, 56 prêtres viêtnamiens, 80 religieuses et 110 catéchistes).
9Hanoï est confié aux Missions Etrangères, avec 164 620 catholiques, 35 prêtres MEP, 143 prêtres viêtnamiens, plus de 400 religieuses et 402 catéchistes.
10Langson, de fondation récente, ne compte que 2 012 catholiques, avec 12 Pères dominicains français et 5 prêtres viêtnamiens.
11Dans tout le Tonkin, la grande majorité des religieuses sont viêtnamiennes, ainsi que tous les catéchistes, qui vivent en communauté selon le système dit de la Maison-Dieu, établi par Mgr Lambert de la Motte, premier Vicaire apostolique de la Cochinchine, lors du synode pastoral de l’Eglise du Tonkin, tenu à Dinh Hiên (Nam Dinh), le 14 février 1670.
12L’Annam compte alors 5 100 000 habitants, dont 90 % d’ethnie viêtnamienne. Il y a aussi sur les Hauts Plateaux de nombreuses ethnies d’aborigènes. Le Vicariat de Huê compte 74 650 catholiques, 30 prêtres MEP, 100 prêtres viêtnamiens et 552 religieuses. Celui de Qui Nhon recense 73 134 catholiques, 44 prêtres MEP, 89 prêtres viêtnamiens, 242 religieuses et 204 catéchistes. Le 11 janvier 1932, le Saint-Siège érige le Vicariat de Kontum, détaché de celui de Qui Nhon et également confié aux Missions Etrangères de Paris. Ce Vicariat sera spécialement chargé de la Mission des Bahnar, Rongao, Jarai, Rhade, Sodang et des autres minorités ethniques des Hauts-Plateaux.
13La Cochinchine compte alors 2 650 000 habitants. Le Vicariat de Saigon est confié aux Missions Etrangères. Mais il ne comprend qu’une partie de la Cochinchine ; les provinces de l’Ouest cochinchinois (Trans-Bassac) dépendent du Vicariat apostolique du Cambodge. Le Vicariat de Saigon comprend 91 634 catholiques, 30 prêtres MEP, 102 prêtres viêtnamiens et plus de 780 religieuses, en grande majorité viêtnamiennes.
14Le Cambodge est alors peuplé de 2 700 000 habitants. Une infime minorité de Khmers est catholique (quelques milliers). Les catholiques sont des Viêtnamiens résidant au Cambodge. Les statistiques du Vicariat enregistrent aussi les Viêtnamiens de l’Ouest cochinchinois qui dépendent du Vicariat de Phnom Penh, confié aux Missions Etrangères. Le Vicariat compte 35 prêtres MEP, 72 prêtres Viêtnamiens, 400 religieuses, en majorité Viêtnamiennes et 74 000 catholiques.
15Dans l’ensemble du Viêtnam, les institutions d’enseignement sont florissantes et se développent. Les Vicariats ont des séminaires pour la formation du clergé. Il faut remarquer que le but premier de la Société des Missions Etrangères, depuis sa fondation au xviie siècle, est la formation d’un clergé autochtone, capable de prendre un jour en mains la direction de son Eglise particulière.
16Il y a donc, en 1931, une communauté de catholiques viêtnamiens d’environ 1 300 000 personnes sur environ 15 millions de Viêtnamiens. Le Laos (1 500 000 habitants) reste peu touché par l’évangélisation : 18 964 catholiques. Le Vicariat du Laos, érigé en 1899, est aussi confié aux Missions Etrangères. Mais le Vicariat du Laos comprend aussi le Nord-Est du royaume de Siam, qui reprendra le nom de Thaïlande, et le Vicaire apostolique réside à Nong Seng, en Thaïlande.
1. L’ÉGLISE AU VIÊTNAM AVANT LA DEUXIÈME GUERRE MONDIALE (1930-1939)
17Les Comptes Rendus des Travaux, année après année, publiés par la Société des Missions Etrangères (en abrégé C.R. M.E.P.) et conservés aux Archives M.E.P., donnent une idée relativement précise de l’évolution religieuse et politique, bien qu’ils donnent surtout le point de vue des Vicaires apostoliques et des Pères des Missions Etrangères.
18La gravité de la situation économique dans certaines provinces du Viêtnam est signalée par de nombreux Comptes Rendus. Celui de Hanoï signale les dégâts considérables causés par un typhon (C.R. M.E.P., 1930, p. 149). Ces dégâts n’ont pas empêché l’administration coloniale d’exiger de la Mission des impôts fonciers et des taxes sur « les biens meubles et immeubles de la Mission, sans excepter les séminaires, Carmel, écoles, hôpitaux et autres œuvres gratuites d’éducation et de bienfaisance ». La Mission de Hanoï avait des œuvres d’assistance regroupant orphelinat, hôpital, maison pour incurables et des écoles de paroisse accueillant 7 146 élèves.
19Le Compte Rendu de 1930 signale aussi les troubles qui ont affecté la paix publique au Tonkin et en Indochine. Dans la nuit du 9 au 10 février 1930, à cause des « menées secrètes d’un prétendu parti nationaliste fortement apparenté à la Troisième Internationale », les nationalistes aidés par des tirailleurs indigènes tentent de s’emparer de la caserne de Yen Bay. Des officiers et soldats français sont massacrés. Des bombes sont lancées à Hanoï. Le rapport signale l’échec de la tentative d’insurrection : il y eut 12 condamnations à mort et près de deux cents insurgés furent déportés à Poulo Condore. Mais le Compte Rendu de 1930 confond l’activité du Viêt Nam Quôc Dân Dang (Parti National Viêtnamien), fondé par Nguyên Thai Hoc et influencé par le Kouomintang, responsable de la révolte de Yen Bay, et celle du Dông Duong Công San Dang (Parti communiste indochinois).
20L’action du Parti communiste indochinois est aussi précisée, bien que les auteurs du Compte Rendu de 1930 paraissent ignorer les personnalités qui le dirigent. La propagande du Parti communiste indochinois inspire de l’inquiétude. Le rapport précise que « la situation reste confuse » : le Parti est affilié à Moscou ; il reçoit « en cachette » des subsides volontaires et des contributions forcées. Malgré les arrestations et la surveillance de la Sûreté, les journaux communistes (polycopiés) et des tracts, « au signe de la faucille et du marteau », sont diffusés dans les provinces.
21Le Rapport de Vinh (C.R. M.E.P., 1930) s’inquiète aussi des progrès du communisme. Selon ce rapport, le communisme a été « importé » de Chine et de Russie par des Viêtnamiens qui ont été formés aux « méthodes bolchevistes ». Les militants distribuent des tracts et donnent des conférences. Ils répandent des doctrines révolutionnaires et se posent en libérateurs des opprimés et en défenseurs de leurs droits. Ils préconisent le partage des biens et la suppression des impôts et visent à « renverser les gouvernements français et annamite ». Cette propagande porte fruit et flatte « les passions humaines et l’instinct national ». Les perspectives pour l’avenir restent sombres ; selon l’auteur de ce rapport : « Il est à craindre que bientôt toute une partie de la population ne soit intoxiquée par le virus communiste et que nos chrétiens eux-mêmes ne soient contaminés, du moins dans certaines régions plus troublées » (C.R. M.E.P., 1930, p. 153).
22Le rapport de Phat Diêm signale une grave disette dans une grande partie du Vicariat, au cours de l’année 1930. Durant trois ou quatre mois, des centaines de familles n’ont pu prendre qu’un repas par jour et encore « leur unique repas suffisait à peine à les empêcher de mourir d’inanition » (C.R. M.E.P., 1930, p. 169).
23Les difficultés et troubles ne se limitent pas au seul Tonkin. Le rapport de Quinhon (C.R. M.E.P., 1930, p. 177) signale des troubles parmi les minorités ethniques Sodang, Alakong, Jolong, au Nord et Nord-Est de Kontum. Les tribus en révolte ont été soumises à la suite de l’intervention de la Milice indigène. Le rapport de la Mission de Saïgon énumère les activités communistes dans la région de Cao Lanh, près du village chrétien de An Binh (C.R. M.E.P., 1930, p. 178).
24Les difficultés économiques au Tonkin ont entraîné une immigration des travailleurs tonkinois vers la Cochinchine et le Cambodge. Le Compte Rendu de Phnom Penh le remarque. Les difficultés économiques ont conduit 2 175 chrétiens du Vicariat de Bui Chu à s’installer sur le territoire du Vicariat de Phnom Penh. Les grands concessionnaires du Sud de l’Indochine « n’ignorent pas cet état de choses qui leur donne facilité pour enrôler des travailleurs ». La Société d’Exploitation de Phu Quôc a organisé une politique de recrutement de familles chrétiennes en s’adressant au Vicariat apostolique de Bui Chu (C.R. M.E.P., 1930, p. 187).
25Le Compte Rendu de 1931 insiste sur la gravité de la crise économique qui sévit, particulièrement au Tonkin. Le rapport de Hanoï fait remarquer que la crise touche de nombreux groupes sociaux. Les fonctionnaires, dont les appointements restent assurés, semblent ne pas en ressentir les effets. La crise a pour conséquence le marasme des affaires et la mévente du riz, car une partie de la population n’a pas les moyens d’en acheter. Les paysans ont beaucoup souffert de la perte de la récolte du cinquième mois et de l’augmentation des impôts due au rétablissement des impôts provinciaux. Cette situation favorise les activités des partis nationalistes et communiste.
26Les idées nationalistes atteignent même certains groupes d’élèves du Petit Séminaire de Hanoï, dans les classes supérieures. Le Supérieur dut fermer en 1931 certaines classes. Cette agitation de séminaristes est expliquée par « l’esprit d’indépendance et d’insubordination qui souffle sur le pays depuis plusieurs années » (C.R. M.E.P., 1931, p. 139). Une commission de discipline réglera la question et plusieurs élèves seront renvoyés.
27A Vinh, le rapport parle de tracts communistes répandus dans les villages, y compris dans l’enclos de l’évêché. En mars 1931, on pouvait estimer que les huit dixièmes des villages païens du Vicariat de Vinh étaient gagnés à la cause communiste. Le thème de la propagande dispensée par ces tracts est simple : suppression des impôts et partage des terres.
28Certains tracts sont plus précis : ils exigent la création de Soviets d’ouvriers, de paysans et de soldats et une action révolutionnaire pour renverser le régime colonial et mettre un terme « aux infortunes de nos frères et sœurs » (C.R. M.E.P., 1931, p. 143). Mais il y a des causes à cette agitation : l’augmentation de l’impôt foncier, les prélèvements dus à l’impôt forestier, l’impôt sur le sel particulièrement élevé. Une nouvelle mesure est particulièrement impopulaire : l’obligation pour les « indigènes » de se procurer une carte personnelle dont le coût est de trois piastres. Pour payer cette carte, le journalier devra prélever sur son maigre salaire, de 20 à 25 cents par jour, une somme de 4 à 8 cents, durant une période de 35 à 70 jours. Or, ces ouvriers ont tout juste le minimum nécessaire pour subsister. Selon le rapport, les communistes exploitent aisément cette situation.
29A Phat Diêm, en 1931, la récolte a été partout déficitaire et beaucoup de paysans sont dans la misère. Certains paysans, païens et chrétiens, sont obligés de s’expatrier. Tous ne trouvent pas de travail et certains sont devenus des vagabonds qui errent « à la recherche d’une nourriture misérable et problématique » (C.R. M.E.P., 1931, p. 156).
30Le rapport de Qui Nhon, de 1931, signale des mouvements de conversion au catholicisme, dans le Quang Nam (Tra Kiêu), mais insiste aussi sur les activités des communistes dans le Vicariat. Certains villages chrétiens craignent de voir se renouveler les massacres de 1885 et 1886, au Tonkin.
31Dans la province de Quang Ngai, la plus troublée, un chrétien a été assassiné, en février 1931. A Bong Son, province de Binh Dinh, un groupe de 1 500 partisans communistes a fait une incursion à l’église de Gia Huu, a incendié l’ancienne école et brisé la croix du tombeau d’un missionnaire (C.R. M.E.P., 1931, p. 171). Cette situation inspire de l’inquiétude aux chrétiens, mais ces excès ne se sont pas renouvelés.
32D’autres rapports insistent sur les difficultés propres à l’enseignement catholique, financé uniquement par les Missions et les paroisses. L’Instruction publique se développe alors, en Indochine, avec tout un réseau d’écoles indochinoises (enseignement franco-viêtnamien). De nombreux comptes rendus de Mission déplorent la neutralité de l’Enseignement public en Indochine. Ils affirment que, sous couvert de laïcité, beaucoup d’écoles encouragent la diffusion du bouddhisme et du caodaïsme, nouvelle religion syncrétiste, apparue en Cochinchine en 1926.
33Durant cette période, les activités catholiques, jouissant d’une liberté effective, progressent. Elles touchent de nombreux domaines. Dans l’enseignement, on fait appel à de nouveaux groupes religieux : les prêtres Sulpiciens français sont progressivement chargés du Grand Séminaire de Hanoï. De nouveaux collèges des Frères des Ecoles chrétiennes sont fondés (Collège d’Adran, Dalat). Les religieuses augustiniennes (Dames des Oiseaux) fondent un collège à Dalat (Notre-Dame du Lan Bian). Les Pères des Missions Etrangères font aussi appel à de nouvelles congrégations religieuses, comme les Franciscains français qui s’établiront à Vinh, puis à Nha Trang et les Dominicains français (province de Lyon) chargés de l’apostolat auprès des étudiants, à Hanoï.
34La papauté cherche aussi à réorganiser les Missions d’Indochine. Une Délégation apostolique avait été établie en Indochine par le pape Pie XI, en 1925. Mgr Aiuti fut le premier Délégué. En 1934, l’ensemble des Vicaires apostoliques d’Indochine se réunissent, sous la présidence de Mgr Dreyer, Délégué apostolique, pour le premier Concile plénier d’Indochine (16 novembre-6 décembre 1934). Les Supérieurs des Ordres religieux et des théologiens missionnaires étrangers et prêtres viêtnamiens participent aux discussions. Des décisions sont prises pour la viêtnamisation progressive de l’Eglise et le développement de l’Action catholique, pour tous les milieux.
35A la suite de ce Concile plénier, on assiste à un développement des mouvements catholiques pour la jeunesse : Scouts, Jeunesse étudiante catholique, Jeunesse ouvrière catholique.
36L’apostolat auprès des ethnies montagnardes se développe avec la création du nouveau Vicariat de Kontum, détaché de Quin Nhon (11 janvier 1932). Une école de catéchistes montagnards est établie à Kontum. De nouvelles missions pour les montagnards de Dalat et de Djiring sont fondées. Les trois premiers prêtres bahnars sont ordonnés en 1932.
37Des prêtres viêtnamiens accèdent progressivement à l’épiscopat. Le premier évêque viêtnamien sera Mgr Nguyên Ba Tong, nommé évêque coadjuteur, avec succession, de Phat Diêm (1933). Mgr Hô Ngoc Cân sera nommé évêque coadjuteur de Bui Chu, avec droit de succession. Il est sacré, à Huê, le 29 juin 1935, par Mgr Dreyer, Délégué apostolique, devant un grand concours de chrétiens. Il avait travaillé 33 ans à Huê. Le 8 janvier 1938, le pape Pie XI crée le nouveau Vicariat de Vinh Long, par division de celui de Saïgon. Le nouvel évêque est Mgr Ngô Dinh Thuc, frère de Ngô Dinh Diêm. Mgr Thuc est sacré à Huê le 4 mai 1938.
38A la veille de la Deuxième Guerre mondiale, le catholicisme viêtnamien continuait à progresser, par l’accroissement du nombre des chrétiens et un apport régulier de nouveaux convertis. Le développement du clergé viêtnamien et la promotion de prêtres viêtnamiens à l’épiscopat manifestent la volonté de l’Eglise et des Sociétés missionnaires de préparer l’avenir de l’Eglise au Viêtnam.
II. L’ÉGLISE AU VIÊTNAM DURANT LA DEUXIÈME GUERRE MONDIALE (1939-1945) ET LA PREMIÈRE GUERRE D’INDOCHINE (1946-1954)
39Durant les années 1939-1945, l’activité des missionnaires est affectée par la guerre. Certains Pères français sont mobilisés en Europe ; d’autres reçoivent une affectation militaire, sur place, en Indochine. Cependant il est difficile d’envoyer de nouveaux missionnaires, à cause de la mobilisation générale en France, puis de la défaite de la France et de l’occupation. En Indochine, sous le gouvernement de l’Amiral Decoux, les activités de l’Eglise se poursuivent, dans un calme relatif. Mais, après le coup de force japonais du 9 mars 1945, toute l’Indochine tombe sous leur pouvoir. Certains missionnaires français sont incarcérés ou regroupés, en résidence surveillée. Dans tous ces cas, le clergé viêtnamien assure la continuité de la pastorale des paroisses et de l’évangélisation.
40Après la reddition du Japon (2 septembre 1945) et la proclamation de l’Indépendance du Viêtnam par le Parti Viêt Minh (2 septembre 1945), la situation reste délicate pour de nombreux missionnaires français, encore sous la garde de troupes japonaises, restées sur place, en attendant l’arrivée d’unités de l’armée britannique dans le Sud et de l’armée chinoise dans le Nord.
41La Société des Missions Etrangères n’a publié qu’un Compte Rendu des travaux de 1941 à 1947 (C.R. M.E.P., 1941-1947). Les rapports ne donnent pas de nouvelles sur les Vicariats confiés aux évêques et au clergé viêtnamien. A partir de 1948, les Comptes Rendus sont publiés annuellement.
42Le rapport de Hanoï, après avoir brièvement rappelé les principaux événements politiques au Viêtnam, la proclamation de l’Indépendance du 2 septembre 1945, l’échec de la Conférence de Fontainebleau (10 septembre 1946) et la signature d’un « Modus vivendi » entre la France et la République démocratique du Viêtnam (14 septembre 1946), signale que Mgr Chaize, Vicaire apostolique de Hanoï, a été invité à un dîner officiel à l’occasion du retour du Président Hô Chi Minh. A cette occasion, Mgr Chaize demande au Président Hô l’autorisation pour les missionnaires de rentrer dans leurs postes. Il sollicite aussi le droit de visiter les paroisses du Vicariat. Le Président lui répond : « Monseigneur, il faut attendre encore, je suis responsable de votre sécurité » (C.R. M.E.P., 1941-1947, p. 55). Lors de l’ouverture de la séance inaugurale de l’Assemblée nationale, un télégramme signé par quatre évêques est envoyé au Saint-Père (Pie XII) pour solliciter son appui en faveur de l’indépendance du Viêtnam.
43A l’origine, de nombreux catholiques viêtnamiens avaient pris position en faveur de l’indépendance. Le 23 septembre 1945, à Hanoï, environ 40 000 fidèles et de nombreux prêtres et séminaristes défilèrent en acclamant l’indépendance et le Gouvernement de la République démocratique. Parmi ses conseillers, le Président Hô Chi Minh avait choisi Mgr Lê Huu Tu, sacré évêque et nommé Vicaire apostolique de Phat Diêm, en octobre 1945.
44Cependant, dans certaines régions du Viêtnam, lors de la proclamation de l’indépendance, des excès avaient été commis. A Saigon, le 2 septembre 1945, lors des manifestations en faveur du Viêt Minh, un missionnaire, le P. Tricoire fut massacré. Plusieurs missionnaires français furent arrêtés, puis remis en liberté sur l’ordre des Japonais. Dans la banlieue de Saigon des églises et résidences paroissiales furent pillées et incendiées. En Cochinchine, le petit séminaire de Cu Lao Gien (Long Xuyên) est occupé par les Viêt Minh le 20 août 1945 ; le 21 novembre, avant leur départ, ils incendièrent le séminaire et le couvent des religieuses. Le retour de l’armée française dans le Sud n’arrange pas toujours la situation des chrétiens dans les zones contestées. Deux sœurs françaises sont assassinées dans la région de Bac Liêu, le 6 mars 1946. Dans la même région, un prêtre viêtnamien, le P. Diep, est assassiné, le 12 mars 1946.
45Avec la reprise de la guerre entre la République du Viêtnam et la France, le 19 décembre 1946, la situation de l’Eglise est délicate. Dans les Vicariats, une partie des chrétiens est sous contrôle des Viêtminh, une autre dans les zones occupées par l’armée française, ou par l’armée franco-viêtnamienne, après les Accords de la Baie d’Along (5 juin 1948) et la reconnaissance, par la France, de l’indépendance du Viêtnam en faveur de Bao Daï (8 mars 1949).
46La situation des missionnaires et des prêtres viêtnamiens varie beaucoup d’une région à l’autre, durant ces années de guerre. A Vinh, tous les prêtres français sont arrêtés et placés en résidence surveillée dans le presbytère de Vinh. Ils ne retrouveront leur liberté qu’en 1954.
47A mesure que le fossé s’accroît entre les communistes viêtnamiens et les autres partis nationalistes qui, comme le Quôc Dân Dang, sont éliminés, la situation des diocèses viêtnamiens de Phat Diêm et de Bui Chu se complique. Mgr Lê Huu Tu organise une administration autonome pour cette zone du delta du Fleuve Rouge, en majorité catholique, avec l’accord, au début, du gouvernement de Hô Chi Minh. Il lève des milices locales et cherche à maintenir une enclave nationaliste, hostile à la fois aux troupes françaises et aux Viêtminh. Le fossé qui sépare ces miliciens catholiques viêtnamiens des Viêtminh s’explique aussi par la politique de ces derniers qui vise à imposer une idéologie unique : celle du marxisme-léninisme. De nombreux nationalistes viêtnamiens, anticolonialistes d’ailleurs, s’étaient réfugiés dans les diocèses catholiques, sous la protection des milices de Mgr Lê Huu Tu.
48La tentative de Mgr Lê Huu Tu d’organiser une zone autonome ne put réussir : les Viêtminh reprochaient aux évêchés du delta de ne pas participer à la lutte patriotique contre les colonialistes, les Franco-Viêtnamiens de l’armée de Bao Dai critiquaient leur politique de neutralité. Dès la fin de 1947, la radio Viêtminh accuse les catholiques de Phat Diêm de rompre l’unité du front national et d’être socialement réactionnaires et non révolutionnaires. Mgr Lê Huu Tu, dans des lettres pastorales, répond à ces accusations en affirmant son nationalisme et en dénonçant les fondements matérialistes de la doctrine marxiste. Le décret du Saint-Office, du 1er juillet 1949, promulgué par Pie XII, condamnant le caractère athée de la doctrine communiste et interdisant aux catholiques de participer à des organisations communistes, eut aussi des répercussions au Viêtnam.
49En septembre 1949, des troupes Viêtminh occupent le Siège épiscopal de Bui Chu et le 15 octobre elles attaquent le Siège épiscopal de Phat Diêm. Mais le lendemain, 16 octobre, des parachutistes de l’armée de Bao Dai reprirent les évêchés catholiques de Bui Chu et de Phat Diêm.
50L’échec de la politique de neutralité des évêchés catholiques de Bui Chu et de Phat Diêm aggrava les incompréhensions réciproques entre le Viêtminh et une partie des catholiques. Dans les zones Viêtminh, les activités catholiques furent étroitement contrôlées, les déplacements des prêtres soumis à une autorisation.
51De leur côté, les évêques du Viêtnam, au cours de leur réunion, à Hanoï, du 5 au 10 septembre 1951, ont publié une lettre pastorale reprenant, dans ses grandes lignes, les thèmes du décret du Saint-Office contre » le grave péril du communisme athée ».
52Cependant, un nouveau prêtre viêtnamien accède à l’épiscopat : Mgr Trinh Nhu Khuê, évêque désigné de Hanoï depuis le 18 avril 1950, est sacré à Hanoï le 15 août. Il sera plus tard le premier Cardinal viêtnamien de l’Eglise. Les prêtres des Missions Etrangères de Hanoï continueront leur travail sous la direction de Mgr Khuê.
53Dans la nuit du 20 au 21 juillet 1954, les Accords de Genève mirent fin à la guerre d’Indochine. L’indépendance et l’unité du Viêtnam étaient reconnues. Cependant, le Viêtnam était divisé, provisoirement, en attendant des élections prévues pour 1956, en deux zones, au Nord et au Sud du 17e parallèle. La clause 14 d des Accords prévoyait la possibilité pour chaque civil, résidant dans une zone et désirant se rendre dans l’autre zone, de le faire. Une Commission internationale de contrôle devait garantir, en particulier, le libre choix des populations.
54Il y avait, au Nord-Viêtnam, en 1954, 1 100 000 catholiques, c’est-à-dire les deux tiers des catholiques du Viêtnam. 700 000 d’entre eux, avec 618 prêtres, presque tous les religieux et séminaristes viêtnamiens, entreprirent un difficile exode vers le Sud Viêtnam. Ne restèrent au Nord, dans la République démocratique du Viêtnam, que 400 000 catholiques, avec 375 prêtres viêtnamiens et 25 missionnaires étrangers. Ces derniers durent quitter le Viêtnam entre 1955 et 1960. Tous les évêques du Nord, viêtnamiens et étrangers restèrent à leur poste, selon les instructions du Délégué apostolique, Mgr Dooley, qui rappelait, dans une lettre adressée à Mgr Khuê « les obligations particulières de ceux qui ont la charge de guider les autres ». Seuls les évêques de Phat Diêm et de Bui Chu se rendirent au Sud, compromis qu’ils étaient par l’affaire des évêchés catholiques.
55L’exode de 1954 vers le Sud Viêtnam ne concerne pas seulement les catholiques. Environ 1 million de personnes quittèrent le Nord pour le Sud du Viêtnam. Mais les catholiques formaient plus des deux tiers des réfugiés. Les autorités du Nord-Viêtnam tentèrent de s’opposer à cet exode, tandis que le nouveau gouvernement du Sud, dirigé par Ngô Dinh Diêm le favorisa. Les réfugiés furent aidés par les autorités françaises et les organisations caritatives françaises et américaines.
Bibliographie
SOURCES
Compte Rendu des Travaux, Société des Missions Etrangères : de 1930 à 1955.
BIBLIOGRAPHIE
Gheddo, Piero, Catholiques et bouddhistes au Viêtnam, Editions Alsatia, Paris, 1970.
Lange, Claude, L’Eglise catholique au Sud-Viêtnam de la libération à la réunification, 1re partie : Trois siècles et demi d’histoire de l’Eglise au Viêtnam, Echange France-Asie, Dossier n° 20, septembre 1976, Paris, 26 rue de Babylone.
Notes de bas de page
1 Boucher, Mgr A., Petit atlas des Missions catholiques, 2e édition, Hatier, Paris, 1933.
2 Lesourd, Paul, L’Année missionnaire, Desclée, Paris, 1931.
3 Société des Missions Etrangères, Compte Rendu des Travaux 1930, Paris, Séminaire des Missions Etrangères, 1931 ; hors commerce, en dépôt aux Archives des Missions Etrangères.
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