Conclusion
p. 309-310
Texte intégral
1Le suivi pas à pas du tracé, la multiplication des interventions archéologiques ponctuelles selon des problématiques qui, nécessairement, évoluent en fonction des analyses et les opportunités offertes par l’archéologie préventive ont permis, par l’acquisition de multiples données, de dépasser la vision traditionnelle de l’aqueduc résumée à quelques coupes et à la définition de la section utile et de la pente générale. « Un aqueduc, ça se fouille ! ». La démarche engagée et poursuivie, quitte à retarder la publication de synthèse, se solde par la restitution du projet d’adduction de Vorgium dans l’ensemble de ses aspects techniques et historiques. Ainsi, la récente fouille de Persivien a livré les clés pour comprendre les difficultés de réalisation de ce projet.
2Si un certain nombre d’études menées ces dernières décennies ont permis de renouveler en profondeur cette discipline particulière qu’est l’archéologie des aqueducs – citons entre autres les cas de Cologne, Lyon, Nîmes, Fréjus ou Arles –, elles se sont presque exclusivement intéressées à des conduits acheminant des eaux calcaires. Le cas de Carhaix constitue l’une des premières synthèses d’une étude archéologique portant sur la totalité d’une adduction non concrétionnée, spécificité qui a imposé l’élaboration d’une méthodologie adaptée et évolutive. En cela, cette synthèse apporte une contribution à l’archéologie des adductions antiques en général et à l’étude des aqueducs non concrétionnés en particulier.
3Le premier aqueduc de Carhaix, édifié dans la seconde moitié du ier siècle de notre ère, illustre le choix des élites de se doter coûte que coûte de l’eau courante, au moment où l’urbanisation de la cité prend son essor. Mais les problèmes financiers ont conduit le maître d’ouvrage à opter pour des solutions aléatoires : choix de sources insuffisantes, tronçon monoxyle très long, à multiples joints – innovation technique hasardeuse –, tentative de remplacement du canal en bois par un canal en béton ; toutes solutions qui, au final, se sont révélées catastrophiques et ont limité, pendant plus d’un siècle, l’arrivée de l’eau dans la ville. Il est aisé d’en imaginer les conséquences pour l’alimentation des thermes – la seule nappe phréatique ne pouvait suffire à un fonctionnement pérenne –, comme pour celle de la fontaine de la rue du Docteur-Menguy et des autres fontaines, et pour assurer le nettoyage des égouts soumis, dès lors, aux aléas de la pluviosité.
4C’est dans l’échec du premier projet qu’il faut chercher la justification du second aqueduc, beaucoup plus ambitieux par nécessité, calqué sur le projet initial mais réalisé par la construction d’une nouvelle canalisation de plus grand gabarit, optimisée du point de vue technique, et par le captage de sources pérennes et abondantes permettant un approvisionnement sécurisé. Ceci ne fut possible qu’au moment où la cité connut son plus grand développement, sous les Sévères. L’intervention d’une évergésie locale – telle celle du conventus des citoyens romains, actif à cette période – fut probablement déterminante. Pour autant, et suite à l’expérience fâcheuse du premier aqueduc, le maître d’ouvrage a choisi une réalisation à l’économie, empruntant le pont construit pour le premier canal à l’entrée de la ville et choisissant de franchir en passage inférieur les deux cours d’eau croisés par le canal plutôt que par l’érection de ponts. Le tunnel, ouvrage dont on ne pouvait se dispenser pour la réussite du projet, fut exécuté avec les seules compétences locales.
5Les aléas de mise en œuvre de tels programmes nous semblent parfaitement illustrés par la lettre de Pline le Jeune à Trajan, à propos de l’aqueduc de Nicomédie dont le projet initial avait été abandonné en cours de construction : « Certaines arches peuvent être érigées avec de la pierre de taille, tirée du premier ouvrage ; une autre partie, à mon avis, devra être bâtie en briques, ce qui sera en effet plus aisé et meilleur marché » (X, 37). Tout cela témoigne des problèmes de capacité financière des cités moyennes ou petites, comme Carhaix, en comparaison avec les réalisations des grandes villes telles Lyon, Nîmes, Cologne ou Carthage pour n’en citer que quelques-unes. Le summum de ces difficultés – et de l’ambition démesurée des élites locales – est atteint à Locmariaquer, agglomération secondaire de la cité des Vénètes, où un pont-aqueduc a été édifié au-dessus de la rivière d’Auray, ouvrage d’une complexité sans égale au niveau des fondations dans une ria soumise aux marées et à des courants violents, avec, au final, une canalisation qui ne fut jamais réalisée de part et d’autre du pont.
6En somme, Vorgium n’aura bénéficié de l’eau courante en abondance que durant un siècle tout au plus. L’abandon de l’adduction à la fin du iiie siècle ou au début de la période constantinienne s’inscrit dans une phase de régression soulignée par les travaux de G. Le Cloirec. Certes, une riche aristocratie se maintient au Bas-Empire et la ville semble conserver son statut de chef-lieu de cité, mais le maintien d’un coûteux service d’eau public, qui réclame un entretien permanent, n’est plus une exigence des nouvelles conditions de la vie urbaine.
7On le voit, l’histoire du projet d’adduction antique de Carhaix telle qu’elle est retracée à travers cette étude, de sa conception aux vicissitudes de sa réalisation et jusqu’à son abandon, offre un éclairage particulier sur l’histoire de la capitale de la cité des Osismes. L’étude archéologique de l’aqueduc de Carhaix, à l’instar de l’exemple de Nîmes, a permis d’inverser la démarche traditionnelle qui tendait à se baser sur l’histoire de la ville pour retracer celle de l’aqueduc : elle offre une contribution majeure à la connaissance de Vorgium, ville dont l’importance à l’échelle régionale a été soulignée par G. Le Cloirec.
8 L’émergence de la capitale de cité dans la seconde moitié du ier siècle s’est matérialisée par la conception d’un projet d’adduction pour la ville. Les difficultés de réalisation traduisent néanmoins les limites de cet essor. Le fait qu’un tel projet ne fût mené à son terme par la réalisation d’une nouvelle canalisation qu’à l’époque sévérienne illustre les aléas d’un développement qui n’a atteint son apogée qu’assez tardivement. À peine plus d’un siècle après la mise en eau d’un aqueduc opérationnel, de nouvelles mutations furent à l’origine de l’abandon de cette matérialisation de la prospérité de la ville romaine.
9Plus vaste agglomération de la péninsule armoricaine, chef-lieu de la cité des Osismes, la plus étendue des cités de la péninsule, reliée à l’une des routes maritimes majeures des provinces occidentales de l’Empire, Carhaix est la seule capitale de cité de la région à s’être dotée d’un ambitieux programme d’infrastructure hydraulique. Ce choix, par l’investissement à long terme qu’il nécessite et par la symbolique qu’il revêt, témoigne d’une adoption volontaire et sans réserve de la romanité. Se doter d’un aqueduc répondait incontestablement à des raisons ostentatoires autant qu’utilitaires : à l’entrée de la cité, le voyageur arrivant à Vorgium, venant des cités orientales de la péninsule, longeait sur près d’un kilomètre le pont-aqueduc, à la fois symbole du statut de la ville et emblème de la romanité dans les provinces.
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