Fig. 4 – Carte géologique (d’après Roger 2007 ; DAO : Y. Daune, Metz Métropole).

Fig. 5 – Carte pédologique de Lorraine (d’après Nüsslein 2016a et Florentin 2005, sur fond de carte pédologique européenne, ERC RurLand ; DAO : G. Asselin, Y. Daune, Metz Métropole).

CADRE NATUREL

1Les opérations de diagnostic et de fouille ont permis d’observer un espace de près de 80 ha et d’en restituer les formes originelles.

2La zone étudiée appartient à la bordure occidentale du Plateau lorrain. Elle est attenante à la vallée de la Seille qui rejoint la Moselle à hauteur du centre-ville de Metz. Le paysage se caractérise par des collines au relief peu prononcé de nature marneuse, situées sur la rive droite de la Moselle, qui contrastent avec le relief marqué de la cuesta du Bajocien sur la rive gauche.

3Les formations géologiques constituant le substrat de la partie occidentale du Plateau lorrain se sont déposées dans une mer épicontinentale lors du Jurassique inférieur (Pautrot, Hanzo 2006).

4À la base, on rencontre une formation indurée de grès conglomératique datée du Rhétien, sur laquelle repose une alternance de niveaux marneux et calcaires, purement marins, compris entre l’Hettangien et le Carixien.

5Sur le site D, à proximité du ruisseau des Linières, une alternance de niveaux marneux gris bleuté à jaune et de bancs de calcaire gris riches en fossiles a été observée. Ponctuellement, des passées bitumineuses ont été rencontrées (Pannet et al. 2008). Ces formations correspondent aux « calcaires à gryphées » de l’Hettangien-Sinémurien (Jurassique inférieur) (fig. 4). Elles sont notées I2-3a sur la feuille de Metz (Maubeuge 1972) ou n^o 47 sur la carte harmonisée de Moselle (Roger 2007).

6Dans la partie sud du terrain, sur le site A, les argiles bleuâtres à Promicroceras planicosta du Lotharingien inférieur (Jurassique inférieur) ont été mises au jour (I3b ou n^o 46).

7Les marnes et argiles ont la propriété d’être imperméables et les bancs de calcaire à gryphées sont homogènes avec une épaisseur moyenne de 15 cm (Pautrot, Hanzo 2006). Ils offraient de bons matériaux de construction abondamment utilisés sur le site comme moellons ou imperméabilisant pendant les phases historiques.

8Situées en bordure du Bassin parisien, ces formations se sont soulevées, plissées et faillées dès le début du Crétacé. Elles présentent ainsi un pendage incliné vers l’ouest. Le réseau hydrographique d’orientation Nord-Sud s’est mis en place à la fin du Crétacé et a encaissé progressivement les formations crétacées, puis jurassiques. Cette érosion s’est accélérée durant les phases interglaciaires du Quaternaire. Ainsi, les terrasses alluviales les plus anciennes conservées à hauteur de Metz sont datées entre le début et le milieu du Pleistocène moyen (Cordier 2004).

9Parallèlement, des limons éoliens (lœss) se sont déposés lors des phases glaciaires au cours du Pléistocène. Mêlés à des niveaux de débordement alluviaux ou à d’anciennes terrasses de la Seille, ils ont formé les « limons de plateau » (Maubeuge 1972 ; Roger 2007 ; Naton 2015) (fig. 4).

Fig. 6 – Carte du relief dans l’environnement de la ZAC du Technopôle II (DAO : Y. Daune, Metz Métropole).

10Ces formations géologiques superficielles viennent masquer les niveaux du Jurassique sur une épaisseur parfois supérieure à 1 m. Ces plaquages constituent des sols de type néoluvisol rédoxique ou sol brun lessivé hydromorphe (fig. 5) constitués d’environ 25 % d’argiles et de 50 à 70 % de limons. Ils comportent donc très peu de sable et deviennent de plus en plus argileux en fonction de la profondeur. Drainés régulièrement et depuis longtemps, ces sols épais et homogènes fournissent de bons et réguliers rendements agricoles (Florentin 2005). Les néoluvisols sont aussi référencés comme Luvic Cambisol dans la Reference Soil Groups de la World reference base (fig. 5) (Baize, Girard 2009). Sur les pentes douces des versants des talwegs, les limons de plateau ont souvent colluvionné (Naton 2015) et parfois piégé du matériel archéologique (voir supra, p. 14).

11Sur le site D, les limons de plateau sont entaillés par le ruisseau des Linières qui a déposé des alluvions constitués de limons et d’argiles sableux (colluviosols brunifiés rédoxiques) (Florentin 2005). Ces formations sont localisées le long du ruisseau.

12Une érosion importante des sols a été constatée sur la pars urbana de la villa du site D ; elle oscille entre 0,25 et 0,40 m tandis que, le long du ruisseau, les dépôts alluviaux atteignent environ 1 m d’épaisseur au-dessus des niveaux de sol antiques (voir infra, p. 51). Cette érosion a probablement été accentuée par les labours et l’agriculture intensive pratiquée sur la parcelle depuis les années 1950.

13Du fait de la nature marneuse du substrat et de la présence d’une épaisse couche de limons de plateau, le relief est peu marqué. Le terrain montre une légère butte localisée en partie sud, près du site G. À cet endroit, l’altitude atteint environ 231 m NGF (fig. 6). Sur le premier tiers sud du terrain, la pente vers le nord-ouest s’incline à 6,70 %. Cette zone est marquée par un vallon sec creusé en direction du nord-est. Sur les deux derniers tiers, un vallon peu marqué est encore aujourd’hui occupé par le ruisseau des Linières, qui divise le site du sud-ouest vers le nord-est. La pente du fond du talweg actuel est inférieure à 1 %. Ces versants présentent des inclinaisons moyennes de 1,60 % au nord-ouest et de 2,50 % au sud-est. L’altitude la plus basse, avoisinant 200,50 m NGF, est ainsi localisée au niveau de cette dépression.

14La source du ruisseau des Linières n’est située qu’à 1,85 km à l’ouest de l’actuel cours de la Seille, mais sur l’autre versant de la colline de Queuleu (fig. 6). Le ruisseau ne rejoint pas directement la Seille, mais un de ses affluents : la Cheneau à environ 1 km. Ce n’est qu’au bout de 4,50 km, que ces eaux rejoignent l’actuel cours de la Seille (5,40 km pour son ancien lit), puis la Moselle au bout de 5,90 km.

15Le talweg formé par le ruisseau des Linières est resté en eau durant toute la période historique. Conjuguée aux propriétés imperméabilisantes du substrat géologique, la permanence de l’eau dans le fond du talweg a permis la conservation de la matière organique, notamment le bois. D’ailleurs, la toponymie du lieu le Petit Bois l’Eau laisse peu de doute sur l’environnement immédiat des vestiges.

16L’eau du ruisseau des Linières ne semblait toutefois pas avoir été utilisée exclusiment durant l’Antiquité. Une deuxième source localisée sur les Hauts de Queuleu a été découverte à environ 750 m au nord-ouest (Boulanger 2007).

17Le vallon sec situé à l’extrémité sud du terrain a été étudié sur le site A (Naton 2015). Ce talweg a été en eau à une période indéterminée, peut-être dès l’âge du Bronze comme semblerait l’indiquer la présence de fragments de terre cuite dans l’un des comblements humides du talweg. L’eau qui s’écoulait de ce talweg devait rejoindre le ruisseau des Linières à une centaine de mètres à l’ouest du site D.

AVANT LA VILLA

18Plusieurs vestiges matériels s’échelonnant du Mésolithique à la fin de l’âge du Fer précèdent la mise en place de la villa romaine (fig. 7). Pour les périodes les plus anciennes, les découvertes se limitent à du mobilier lithique découvert en position secondaire. À compter de la fin du Néolithique, quelques fosses ont été documentées tandis qu’à l’âge du Bronze, des traces d’occupation agro-pastorale plus structurées du Bronze moyen puis du Bronze final dessinent des petits habitats. Au premier âge du Fer, une tombe féminine privilégiée est édifiée. Cette dernière devait être isolée dans le paysage. À la fin de La Tène, quelques indices fugaces témoignent de l’exploitation du terroir ; ils inaugurent une nouvelle forme d’occupation au tournant de l’ère.

DES VESTIGES TÉNUS DU SECOND ÂGE DU FER

19Les traces d’occupation attribuables au second âge du Fer se résument à cinq fosses. Découverts sur le site D, ces creusements témoignent d’une fréquentation antérieure à la construction de la villa romaine. Les vestiges les plus structurés s’organisent en un module de quatre poteaux porteurs assimilables à un grenier : le bâtiment O. De plan carré, cette construction découverte au sud de l’emprise, couvre une superficie au sol de 7,35 m² (fig. 8A). En phase avec ce bâtiment, une fosse (fs. 935) à plan ovalaire a été mise au jour à l’est de la fouille (fig. 8B). Son remplissage particulièrement riche en résidus charbonneux et en particules d’argile rubéfiée, associés à de nombreux fragments de céramique, évoque un dépotoir1.

20Le comblement de l’un des poteaux (tp. 1521) du grenier surélevé a livré un fond de bouteille (104 g) partiellement brûlé en céramique protohistorique tournée fine et cuite en mode B (Deru dir. 2014, p. 186-191, PTB) (fig. 8C, n^o 1).

21Le remplissage de la fosse 935 a révélé, quant à lui, un lot plus abondant constitué de 89 tessons (1,10 kg) appartenant à un pot à bord éversé et large à fond plat non tourné (Bonaventure 2011, type M.309 ; Deffressigne, Tikonoff 2012) dont la pâte orange est riche en inclusions de calcaire coquillier (fig. 8, n^os 2 et 3). Un fragment d’épaule de bouteille/pot en PTB complète cet ensemble (Bonaventure 2011, type T. 314/32) (fig. 8, n^o 4).

22Les quelques formes identifiables au sein du mobilier céramique, dont notamment deux bouteilles en PTB et un pot non tourné, situent ces vestiges d’occupation à La Tène C/D. Cet horizon chronologique est corroboré par les résultats d’une analyse radiométrique effectuée sur un charbon de bois prélevé dans le remplissage d’un des poteaux du grenier qui fait remonter le bois de construction au iii^e s. av. J.-C. au minimum2. Ces quelques traces d’occupation ne permettent pas à elles seules de valider l’hypothèse d’un établissement qui précèderait la villa originelle dès la fin du second âge du Fer. Toutefois, la présence sur le site d’artefacts divers (céramique, monnaies, mobilier métallique) datés de cette période, découverts en position secondaire dans les niveaux postérieurs, pourrait plaider en faveur d’une occupation laténienne à l’origine plus vaste, en grande partie détruite par les aménagements antiques.

L’ENVIRONNEMENT PAYSAGER AU SECOND ÂGE DU FER

23On dispose de quelques élements pour aborder le milieu naturel. Ils sont issus de l’étude anthracologique, qui a porté sur les comblements des trous de poteau (tp. 1521, tp. 1684) appartenant au grenier (bâtiment O). Ce dernier a livré 77 charbons de bois. Deux autres comblements de poteau ont été échantillonnés (tp. 8, tp. 1684). Il s’agissait de petites excavations isolées au nord de l’emprise qui contenait un total de 140 charbons de bois de dimension supérieure 2 mm. Pour le second âge du Fer, deux trous de poteau ont révélé la forte présence de chêne à feuilles caduques et de hêtre. Dans une fosse (fs. 935), l’étude anthracologique a révélé la présence dominante du cerisier à grappes/merisier (Prunus padus/avium). Les chênes à feuilles caduques étaient encore très bien représentés, accompagnés des Pomoïdées. Le spectre anthracologique de l’époque protohistorique montre une exploitation des chênes à feuilles caduques, présents naturellement en grande quantité sur le Plateau lorrain, des Pomoïdées et Prunoïdées. Ces deux espèces sont probablement présentes dans le milieu naturel proche et liées à une exploitation alimentaire par les habitants. Pour le second âge du Fer, les études anthracologiques ont permis de mettre en évidence la présence d’une forêt mixte caducifoliée composée d’un étage arborescent de chênes à feuilles caduques, d’érables et d’aubépines. Les chênes à feuilles caduques sont le taxon le plus répandu dans la couverture forestière du Plateau lorrain, anthropisé depuis le Subboréal (du Néolithique final à l’âge du Bronze). On note également la présence de Pomoïdées et de Prunoïdées.

Fig. 7 – Localisation des sites d’occupation pré et protohistoriques mis au jour sur la ZAC du Technopôle II (DAO : S. Sedlbauer, Metz Métropole).

CONTEXTE HISTORIQUE ET ARCHÉOLOGIQUE

24Le site du Fossé des Pandours, qui constituait la capitale à l’époque gauloise, était assez éloigné, à 90 km à l’ouest, près du col de Saverne. Les terrains qui seront investis lors de la construction de la villa romaine se trouvaient dans un environnement différent, au cœur du territoire Médiomatrique, à seulement 4 km au sud-est de la confluence entre la Seille et la Moselle, où s’épanouissait l’oppidum de Metz (fig. 9). Dès La Tène moyenne, le secteur est occupé par divers types d’habitats, notamment des petites fermes indigènes telles que celles documentées à Metz-Borny. Un de ces établissements, localisé à 1 km au nord de Grigy, combinait une habitation et des espaces agricoles entourés d’un fossé périmétral. Par la taille et la forme, ces habitats sont très éloignés des résidences aristocratiques gauloises et ils devaient déjà produire en surplus pour alimenter l’oppidum gaulois (Flotté, Fuchs 2004, p. 62). Dans un périmètre proche, plusieurs établissements comparables ont été étudiés ces dix dernières années : à Courcelles-sur-Nied, à Peltre ou à la ZAC Sébastopol à moins de 1 km de Grigy (Nüsslein et al. 2017, p. 580).

Fig. 8 – Relevés en plan et en coupe : A, grenier attribué au second âge du Fer ; B, fosse 935 ; C, Mobilier céramique : 1, comblement du trou de poteau 1521 ; 2-4, comblement de la fosse 935 (DAO : Y. Daune, S. Marquié, F. Vorreux, Metz Métropole).

25L’oppidum de Metz connut un essor considérable après la Conquête. Sa position en bordure de la Moselle, qui constituait la principale voie navigable, a été déterminante dans son changement de statut en caput civitatis Divodurum. Les Romains ont ainsi donné une place importante à la ville, au cœur du réseau de transport – terrestre et fluvial – mettant en relation la Méditerranée au limes. Le site fortifié gaulois, qui était juché sur une petite éminence de 4 ha dans la zone d’interfluve, s’est développé après la Conquète, bien au-delà des limites naturelles induites par les bras de la Moselle et de la Seille.

26Divodurum est mentionnée une première fois par Tacite (Histoires, I, 63, 1). César (La Guerre des Gaules, IV, 10, 3 et VII, 75, 1-3) et Strabon (Géographie, IV, 3, 4) ne font état que du peuple des Mediomatrici, d’où est tiré le toponyme tardif Mettis. Aucun document ne permet de traiter avec précision du cadre administratif et institutionnel qui entoure la naissance de la ville romaine. Cité stipendiaire probablement, soumise à l’imperium de membres de la famille impériale, Diuodurum est devenue définitivement la capitale de la ciuitas, dans le système administratif que Tibère ratifia en 17 apr. J.-C. La cité a été placée sous l’autorité du légat propréteur siégeant à Reims et d’un procurateur résidant à Trèves (Demarolle 2004, p. 117). Elle est qualifiée de « cité alliée » par Tacite à une époque – au lendemain de la Conquête – où les prérogatives que ce statut apportait étaient caduques.

27L’obtention du statut de capitale eut un impact sur le dynamisme des campagnes avoisinantes, notamment à l’est et au sud-est où les sols étaient propices à l’agriculture. Les recherches archéologiques menées depuis près de dix années au sud-est de l’agglomération permettent d’envisager l’occupation du terroir à large échelle, au-delà des limites de la villa romaine. Le réseau routier est un élément important qui a structuré l’espace. Il est composé d’une route principale à laquelle viennent se greffer des chemins et des sentiers, et le long desquels les établissements romains sont implantés (fig. 10). Des sépultures isolées ou groupées et d’autres jalonnent les parcelles bordant la voirie.

Fig. 9 – Contexte archéologique autour du chef-lieu de cité, Metz/ Divodurum (DAO : Y. Daune, Metz Métropole).

Fig. 10 – Occupation des sols au sud-est de Metz/Divodurum, entre les cours de la Seille et de la Nied, de part et d’autre de la voie menant à Strasbourg (DAO : A. Nüsslein, EPHE).

28Généralement ces ensembles funéraires sont à mettre en relation avec des établissements ruraux. Entre le i^er et le iii^e s., le nombre d’habitats ne cesse d’augmenter sur ces terrains au substrat fertile irrigués par de nombreux ruisseaux. Le nombre de sites répertoriés dans le secteur d’étude passe ainsi de 16 à 79 en trois siècles (Nüsslein et al. 2017, p. 43). C’est dans ce contexte que la villa de Grigy s’est épanouie dès le i^er s. et a perduré, malgré les crises, jusqu’à fin de l’Antiquité tardive.