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Délos

 | 
Philippe Bruneau
, 
Michèle Brunet
, 
Alexandre Farnoux
, 
et al.

La finance

Texte intégral

1Un sanctuaire fortuné, une cité à son aise et une communauté de citoyens gérant avec-scrupule les biens publics,’ telle est l’image que donnent de Délos les documents du ve au iie siècle, si l’on ne considère que le strict point de vue financier. Image sans aucun doute trop idyllique qui cache une histoire autrement mouvementée : spoliation, confiscation de biens, lutte pour le pouvoir entre-Athéniens et Déliens.

La fortune sacrée

2La fortune appartenait essentiellement aux dieux, et avant tout à Apollon. Cette richesse se composait d’offrandes précieuses thésaurisées, de réserves de monnaie, de biens fonciers (fermes et maisons).

3La piété des particuliers ou celle des cités était le ressort privilégié de l’accroissement de ces biens. Parmi les généreux donateurs, il est des noms célèbres comme ceux de Lysandre, le Spartiate vainqueur d’Athènes, et du Thébain Épaminondas qui consacrèrent à Apollon des couronnes d’or. Les rois ou leurs familles ne sont pas en reste : toutes les dynasties de l’époque hellénistique firent assaut de générosité envers le dieu, fondant des fêtes et offrant des cadeaux précieux ; au milieu du iiie siècle, la reine Stratonice offrit une couronne d’or de 2,8 kg pour la statue de culte d’Apollon.

4Il est plus difficile de savoir comment s’était constituée la réserve monétaire dont disposait le dieu en 373, 49 talents 3 220 drachmes (abrégé désormais en T et en dr), soit 1 277 kg d’argent, pour ne compter que les sommes servant aux prêts publics et privés. Nous en sommes réduits aux hypothèses : accumulation des bénéfices tirés des revenus du dieu, dons sous forme de monnaies, monnayage occasionnel des offrandes précieuses, dîme sur les revenus de l’Empire athénien versée à Apollon.

5L’histoire de la fortune foncière d’Apollon met en lumière les diverses manières dont le dieu s’enrichissait : dons, confiscations, saisies. En 523, Polycrate, tyran de Samos, s’empara de Rhénée et offrit l’île à Apollon : ce don qui équivaut, selon le côté où l’on se place, à une action pieuse ou à une spoliation, est à l’origine des dix fermes que les administrateurs des biens sacrés mirent en location jusqu’en 167. En 417, une autre ferme fut achetée pour 1 T 4 000 dr par un Athénien en vue, le pieux Nicias, qui en fit cadeau au dieu : les revenus devaient servir à financer une fête et des sacrifices. D’autres domaines furent confisqués sur la fortune de Déliens condamnés pour sacrilège ou pour n’avoir pas payé leurs dettes.

6La richesse globale d’Apollon a varié : les sources permettent d’en présenter les composantes à différents moments de l’histoire délienne. Le montant des offrandes précieuses thésaurisées peut être évalué à 36 T d’argent en 364/3 (928 kg), à 46 T en 279 (1 187 kg) et à 55 T (1 419 kg) en 179. Le volume de l’encaisse disponible pour les prêts atteint 20 T 2 856 dr en 410/9, 49 T 2 600 dr en 377/6, et, selon toute probabilité, il reste encore 46 T disponibles dans les années 170. A cela s’ajoutent les domaines (quinze pendant la période amphictyonique, puis une vingtaine au iiie siècle, dix-neuf répertoriés dans les années 150) et les maisons (vingt-sept en 359/8, treize seulement en 282, puis une vingtaine au cours du iiie siècle dont seulement dix-sept ou dix-huit sont louées, enfin au moins trente maisons à partir de 157/6). La valeur des biens fonciers ne peut être estimée car nous n’en connaissons que les revenus.

7Fortune considérable pour l’époque ? Les éléments de comparaison manquent : quelques Athéniens au ve siècle étaient presque aussi riches que le sanctuaire d’Apollon et les grands évergètes du iie siècle jouissaient de fortunes colossales. Mais ce sont des cas exceptionnels. Avec un revenu annuel de l’ordre de 4 T par an en 377-373, l’Apollon de Délos - thésaurisateur par essence et grand propriétaire plutôt par accident - figure parmi les grosses fortunes du moment : cette fortune, la cité délienne en disposait à son profit, tout en respectant le capital et en veillant même à l’accroître.

Finances sacrées et finances publiques : indépendance et complémentarité

  • 1 Lac sacré Plan, 56

8Des revenus du dieu, tout d’abord, nous avons déjà parlé en décrivant sa fortune : prêts publics et privés, location de fermes et de maisons. Il faut y ajouter de menus profits tirés de l’élagage des arbres sacrés ou de la vente des animaux sacrés (oies, perdrix, paons et tourterelles) ou du guano. Les taxes n’entraient que pour une part minime dans la fortune du dieu. Chaque année, les hiéropes affermaient les taxes frappant la traversée entre Délos et Rhénée, Délos et Myconos, le passage à sec des bateaux sur l’isthme de Rhénée et de Myconos, la pêche du murex ou celle qui se pratiquait dans le Lac sacré1, l’utilisation du port sacré... Le montant global en est faible (quelques centaines de drachmes, 662 dr en 272, 362 dr en 179) : les finances du dieu ne sont donc pas liées à la rente fiscale.

9Des revenus de la cité, d’autre part, nous savons que les taxes constituaient l’essentiel des rentrées de la caisse publique, même si la cité touchait aussi des loyers sur les boutiques de l’agora qui devaient lui appartenir. Les droits de deux pour cent ad valorem (un cinquantième) sur les importations et les exportations rapportaient 2 T 2 200 dr en 279, et près de 3 T en 278. S’y ajoutaient une taxe sur les loyers, la pêche et le poisson, le dixième sur le blé, les droits sur les adjudications.

10Les dépenses de la caisse sacrée se distribuent en quatre chapitres : frais de culte qui pouvaient être assez lourds, entretien et construction de bâtiments, salaire du personnel subalterne, nouveaux prêts. En 375/4, le trésor sacré débourse plus de 4 T (plus de la moitié des dépenses de 377-374) pour la célébration de la grande fête des Délia qui revenait tous les quatre ans. Pendant l’Indépendance, le budget de celle des Posidéia, qui réunissait tous les citoyens mâles, donnait lieu à une subvention d’État de 600 dr qui ne couvrait pas tous les frais.

11L’Assemblée du peuple, chaque année, déterminait le budget : remboursement des emprunts consentis par la caisse sacrée (ou plutôt des avances de trésorerie, car le prêt était net d’intérêt s’il était remboursé dans l’année), sommes destinées à l’achat de céréales, montant des dépenses pour les travaux publics (notamment entretien du port et extension des digues). Est mentionnée aussi en 298 une somme de 5 000 dr pour la défense contre les Tyrrhéniens (pirates occidentaux, notamment étrusques, qui faisaient périodiquement des raids dans l’Égée). Parmi les dépenses non négligeables figurent les couronnes d’or qui étaient décernées aux puissants en récompense de leurs bienfaits (plus de 4 000 dr par an au début du iie siècle, sans compter le coût des statues honorifiques). Une partie du budget public et sacré passait donc en dépenses ostentatoires, mais l’entretien ou l’extension des infrastructures portuaires, le régime de prêts aux particuliers, l’achat de céréales par la cité, pour réguler le marché, profitaient à la communauté et donnaient aussi à ce budget un caractère « social ».

12Le système délien repose à la fois sur un partage rigoureux des biens et des obligations entre le dieu et la cité, et sur une dépendance totale du sacré par rapport à la communauté des citoyens. Les Déliens, maîtres du jeu financier, n’en étaient pas moins débiteurs à l’égard du dieu dont ils devaient préserver les biens.

Une gestion financière scrupuleuse

13Il est coutume, chez les auteurs contemporains, de dénigrer la gestion financière des magistrats déliens ; on leur fait souvent reproche d’une certaine négligence à faire rentrer le capital des prêts et du manque de clarté des comptes (certains fonds ou certaines dépenses ne sont pas systématiquement enregistrées). Pourtant les documents laissent plutôt l’impression d’une grande minutie et d’une bonne répartition des tâches.

14Pendant l’Indépendance, les trésoriers, à la fois receveurs et paveurs, étaient de simples gestionnaires qui exécutaient les décisions de l’assemblée : leurs comptes étaient examinés mensuellement par un collège de commissaires aux comptes, les logistes ; à la fin de l’année, ces derniers visaient le bilan et introduisaient les comptes avec avis devant un tribunal populaire qui donnait quitus ou infligeait des pénalités. Un même contrôle s’exerçait sur les hiéropes, qui, chaque année, faisaient l’inventaire précis des sanctuaires et s’occupaient des revenus et des dépenses de la caisse sacrée. Cette gestion, assez « moderne » dans sa forme, puisqu’elle est soumise au principe de la séparation des pouvoirs (décision, gestion, contrôle, jugement), porte aussi dans ses pratiques la marque de la cité antique : les gestionnaires ne sont pas des « fonctionnaires », mais des citoyens élus pour un an exerçant une magistrature responsables sur leurs biens des finances publiques (trésoriers et membres du Conseil) et devant rendre des comptes devant la justice populaire.

15La bonne organisation de la gestion financière se reflète aussi dans les règlements concernant les contrats publics de location des domaines du dieu. Rien n’est laissé au hasard : le « contrat sacré » du début du iiie siècle qui régit les baux prévoit un inventaire complet des lieux, deux garants responsables sur leur fortune - eux et leurs descendants mâles -, des clauses de résiliation en cas de mort du fermier ou d’un garant avec saisie des biens en cas de défaut (esclaves compris), des pénalités concernant les locataires, les garants, les hiéropes quand un loyer n’est pas payé dans les délais impartis.

16Les contrats de prêt ne sont pas moins soigneusement rédigés : vers 150, ils mentionnent la date, le nom des parties, le montant du prêt, le taux de l’intérêt, la description du bien hypothéqué, le nom des cautions et du dépositaire du contrat, lequel, pendant la période athénienne, se trouve être un banquier.

La logique du profit et ses limites

17La cité veillait toutefois à atténuer les conséquences sociales des règles dures qu’elle avait fixées en matière de pénalités ; sous son contrôle, le dieu se conduisait en créancier débonnaire plutôt qu’en usurier sévère.

18S’il prête son capital, il agit en rentier plutôt qu’en spéculateur. Fixés une fois pour toute à 10 %, les taux d’intérêt ne suivaient pas les « lois du marché ». Ce taux, s’il est favorable pour l’emprunteur au ve et au ive siècle où l’on connaît des taux à 12 ou 18 %, semble plutôt élevé pour les deux siècles suivants.

19Pourtant, c’est sans peine que les avoirs du dieu étaient placés auprès des particuliers et des cités ; si les administrateurs étaient peu soucieux de faire rentrer le capital (certains prêts sont reconduits pendant un siècle !), c’est qu’il n’était pas possible de trouver ailleurs un meilleur rapport. Le seul fait que le prêt fût toujours consigné dans les comptes suffisait, semble-t-il, à préserver les droits du trésor sacré et à prémunir les débiteurs contre la vengeance du dieu. Les saisies, après le début du iiie siècle, semblent avoir été limitées, les magistrats se contentant d’imposer des pénalités financières.

20Les prêts aux particuliers atteignent rarement des montants importants. Déjà au ive siècle, le sanctuaire offre des prêts de 300 et 150 dr, adaptés, dit-on, aux besoins d’une clientèle locale moyenne ou modeste. Pendant la période de l’Indépendance, quarante-huit emprunts dépassent 500 dr, quatre-vingt-quinze sont situés entre 200 et 500 dr, et des dizaines sont inférieurs à 200 dr. La modicité des chiffres, la durée des emprunts font penser qu’il s’agit de prêts de « nécessité » (difficultés momentanées à « joindre les deux bouts », constitution île dots, gros achats divers). A titre de comparaison, une famille vit à Athènes à l’époque classique avec 200 dr l’an, un esclave mâle en bon état vaut île 70 à 240 dr et une paire de bœufs se paie à Délos 150 dr vers 310. Prêts de nécessité, sans doute, mais non pas à des nécessiteux : sous l’Indépendance, les bonnes familles déliennes comptent parmi les emprunteurs. Il a été justement supposé que les plus gros emprunts ont pu être contractés pour lancer des affaires (achat de cargaison par exemple), mais rien ne prouve qu’il y ait eu un rapport étroit entre le monde des emprunteurs et celui des marchands.

21En revanche, les finances du dieu et de la cité entretenaient, à l’intérieur de la société délienne, un secteur animé par le risque et le profit. Toutes les taxes étaient affermées annuellement et les biens du dieu étaient loués tous les dix ou cinq ans selon le principe île la meilleure enchère : des hérauts proclamaient publiquement, aux dates fixées par la loi, les adjudications. L’adjudicataire d’une ou de plusieurs taxes gagnait la différence entre la somme qu’il s’était engagé à verser à l’État ou au dieu et les rentrées réelles qu’il avait réalisées, mais il devait aussi assumer les déficits éventuels. Les loyers des domaines sacrés ont globalement baissé pendant la période île l’Indépendance ; si le dieu v a sûrement perdu on ignore, en l’absence île comptes d’exploitation, si l’affermage est devenu moins rentable. Cependant, il n’était apparemment pas trop difficile de trouver des adjudicataires pour les taxes et des locataires pour les domaines et les maisons : les défauts de paiement, qui sont bien attestés par les textes, révèlent des difficultés individuelles et non une crise généralisée.

22Il faut faire une place à part aux emprunts publics sur lesquels on est bien renseigné pour la période amphictyonique, puis qui disparaissent presque complètement de nos sources. Le revenu que le dieu en tirait était sans commune mesure avec ce que rapportaient les prêts aux personnes privées : en 373, 43 T 2 600 dr ont été prêtés à treize cités des Cyclades et une d’Eubée contre 6 T engagés auprès de particuliers. Pendant la période de l’Indépendance, seulement deux prêts à des cités étrangères sont connus dont un que l’on suit sur un siècle et demi de 301 à 140. II est probable que d’autres prêts furent contractés : c’est la seule façon d’expliquer le budget de la cité des années 170, gonflé de 46 T que rien ne laissait soupçonner jusque là. La caisse du dieu a enregistré des emprunts dont elle n’assurait pas auparavant la comptabilité et qui devaient passer par les banques. Les prêts à l’étranger comportaient de hauts risques puisqu’il fallut en 280 l’intervention de l’amiral de la flotte lagide pour faire rentrer l’argent. Comme dans le cas des particuliers, il s’agit sans doute d’emprunts de nécessité pour combler les trous de budget en cas de guerre, de famine ou de constructions dépassant les moyens de la cité emprunteuse.

Un prêt en 157/6
« Sous l’archonte d’Athènes Anthestérios, au mois de Skiro-phorion, les commissaires à la garde des biens sacrés et des autres revenus du dieu... [noms] ont prêté à Sarapion fils d’Ammonios du dème de Pambotadai 3 000 drachmes d’argent pour cinq ans... à dix pour cent, sous condition d’une hypothèque sur une maison sise... [indication des voisins et d’une rue] en sorte que la maison est un bien sacré, gage pour le dieu jusqu’à ce que soit reversé le prêt avec les intérêts ; au moment fixé par le contrat, que Sarapion reverse le prêt, et qu’il verse les intérêts chaque année aux commissaires des biens sacrés. S’il ne le reverse pas, que les commissaires des biens sacrés opèrent une saisie sur la maison hypothéquée, sur tous les autres biens de Sarapion et sur les biens de tous les garants, partout. Les commissaires ne sont pas responsables ni ne peuvent encourir un procès pour la saisie... [trois garants] ; [trois témoins] ont déposé le contrat chez les banquiers Démion et kléandros. »

23Par les emprunts qu’il consentait, le trésor sacré jouait le rôle d’une banque locale et régionale dont l’encaisse métallique en monnaies étrangères reflète les ramifications : les monnaies de l’Eubée (Histiée) et de Rhodes, deux centres importants du trafic méditerranéen, étaient particulièrement bien représentées dans les caisses publiques et sacrées. Il incombait aux banquiers, selon les besoins, de faire le change.

Banques privées et banque publique

  • 2 Agora des Italiens Plan, 52

24On connaît un certain nombre de banquiers privés résidant à Délos à l’époque hellénistique, surtout à partir du début du iie siècle. Leur profession n’est assurée que quand ils sont explicitement désignés comme tels ; ils ne se confondent pas forcément avec les autres bailleurs de fonds et hommes d’affaires opérant sur l’île. Sous l’Indépendance, les banquiers ne sont jamais des Déliens, mais des étrangers (Nymphodoros de Syracuse, probablement père de Timon, dont l’activité est attestée de 194 à 192, Héracleidès de Tarente, Mantineus de Ténos...). Sous la seconde domination athénienne, certaines banques continuent leurs activités, mais désormais les Italiens exercent une sorte de monopole, en tous cas pour les officines les plus importantes : plus que les banquiers Démon et Cléandros, les inscriptions évoquent Marius Gerillanus, d’origine campanolucanienne, M. Minatius ou L. Aufidius. Le seul Oriental attesté - Philostrate d’Ascalon, actif dans la seconde moitié du iie et le début du ier siècle - est lui-même très lié aux milieux italiens. Il dédie, dans l’Agora des Italiens2, le portique dorique du côté nord et une grande exèdre. Parmi ses amis, obligés ou relations d’affaires, figurent trois Egnatii, Midas (originaire d’Héraclée de Lucanie) ou les Italikoi. En récompense de sa politique, il reçoit la citoyenneté napolitaine entre 100 et 97, devenant ainsi membre de droit de la communauté italienne.

25Ces personnages travaillent seuls, mais aussi en association : au iie siècle, Nymphodoros a pour partenaire Héracleidès dans ses opérations avec le sanctuaire ; Pactyas est associé à Philophôn, Philistos à Héphaistiôn, Silénos à Philôn, Mantineus et Alantithéos à Hellèn ; Démôn et Cléandros reçoivent en dépôt dans leur établissement les contrats de trois prêts sacrés en 157/6 et 1 56/5.

  • 3 Sanctuaire des dieux syriens Plan, 98

26Les banquiers sont des notables fortunés, notamment sous la seconde domination athénienne. Les inscriptions l’attestent, non des témoignages directs : aucune maison ne peut leur être attribuée sûrement, qu’il s’agisse de la Maison dite de Philostrate ou même de la Maison des sceaux. Leur aisance leur permet de multiplier les largesses : Philostrate offre divers vases en métal précieux aux dieux (dont deux rhytons en or à Apollon), quelques autels, souscrit à l’aménagement de l’Agora des Italiens et à celui du théâtre dans le Sanctuaire des dieux syriens3. Libéralités et affaires ne sont pas incompatibles : disposant d’une grosse fortune, ces personnages se montrent généreux envers les cités (Ténos), les confédérations (Nésiotes) ou les associations de marchands. M. Minatius avance de l’argent aux Poseidoniastes de Bérytos et leur fait notamment un don de 7 000 dr ; Aufidius Bassus fils se montre particulièrement conciliant envers la cité de Ténos étranglée de dettes (moratoires répétés, taux moins élevés qu’ailleurs, intérêts simples, etc.). Cette attitude leur vaut la reconnaissance de leurs obligés, les fait reconnaître comme évergètes et leur assurent une autorité réelle : on leur offre des statues - deux pour Aufidius, trois pour Gerillanus, quatre pour Philostrate ; on loue (parfois en vers) leur justice et leur munificence et on leur accorde des honneurs classiques : proxénie, couronne, droit de propriété, droit de cité. Leurs activités sont mal connues dans le détail et rarement sur le long terme, même pour des personnages aussi considérables que Philostrate. Les dédicaces nous renseignent sur leur importance sociale, non sur les opérations qu’ils effectuent. Sous l’Indépendance, on connaît avant tout les transactions qu’ils font avec le trésor et le temple.

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Empreintes de sceaux provenant de la Maison des sceaux

Empreintes de sceaux provenant de la Maison des sceaux

Ces pastilles d’argile, cuites par l’incendie de la maison, offrent un répertoire complet des thèmes et styles de la glyptique hellénistique. La qualité de la gravure des matrices permet de reconnaître des masques de théâtre, des portraits et de nombreuses divinités.

28On a pu dire que « la banque est une profession commerciale qui consiste à recevoir des dépôts de clients auxquels le banquier fournit un service de caisse, et à prêter les fonds disponibles à des tiers en agissant en créancière ». Les banquiers jouent donc un rôle actif dans la circulation des capitaux et sont un relais essentiel du monde des affaires. Rien ne prouve qu’ils aient été mêlés en tant que tels au commerce des esclaves, ni qu’ils aient été spécialisés dans le prêt maritime ou à la grosse aventure. Les banquiers accordent des crédits, y compris à des cités à la fin de la période : Lucius Aufidius père accorde à la cité de Ténos, soit à la fin du iie, soit dans le premier tiers du ier siècle, des prêts à un taux que son fils ramènera à 12 %.

29Dans une île où, dès l’Indépendance, les monnaies étrangères les plus diverses circulent, où l’activité commerciale prend un énorme essor après la création du port franc, et surtout après la destruction de Corinthe en 146, le change est un aspect essentiel de leurs activités. L’opération exige des compétences, mais elle est lucrative, puisqu’elle inclut un agio. Enfin, les banquiers reçoivent également des dépôts, réguliers et irréguliers.

30Dans le premier cas, ils sont dépositaires de fonds, mais aussi de documents : après 166, selon la coutume attique réintroduite par la nouvelle administration athénienne, ils conservent des contrats conclus par d’autres. Plus de quinze mille pastilles d’argile qui scellaient autrefois des actes privés ont été trouvées dans une maison du quartier nord, dite pour cette raison Maison des sceaux : hormis leur immense intérêt iconographique (les sceaux dont elles portent les empreintes représentent des dizaines de divinités grecques ou étrangères et de héros, des portraits, des animaux etc.), elles témoignent de ces pratiques contractuelles ; elles accompagnaient des documents juridiques privés ; les sceaux publics, comme ceux de villes ou de magistrats, étant rares.

31Si les banquiers font essentiellement des opérations sur place, leurs affaires dépassent le cadre de l’île : leur sphère d’activité est régionale, mais aussi internationale lorsque Délos devient un port franc en 166. Rien n’indique que Philostrate ait fait de Naples le centre de ses activités, mais l’étendue de ses liens professionnels a dû beaucoup l’aider à obtenir le titre de citoyen de cette ville.

32Leur clientèle est variée et très cosmopolite. Les gens de l’emporion, Grecs, Italiens et Orientaux, sont leurs partenaires naturels, mais non des clients exclusifs. Sous l’Indépendance, les banques privées servent d’intermédiaires à l’administration dans la gestion des fonds publics et sacrés, manipulant certaines années (en 179 par exemple) plus de 70 % de ces fonds. Leurs compétences sont utilisées pour des opérations de conversion de monnaie : pour unifier les comptes, les différentes monnaies sont comptabilisées selon un étalon unique (qui n’est pas celui de la monnaie locale). Hiéropes et trésoriers détiennent des comptes chez eux : les caisses déposées dans le temple n’étaient ouvertes qu’à dates fixes, sous certaines conditions, en présence de divers magistrats. Il était plus commode d’effectuer paiements et encaissements par l’intermédiaire d’un compte déposé dans une ou plusieurs banques. Un nombre croissant de banques (jusqu’à quatre), dont une sise à Ténos, collaborent avec les caisses publiques et sacrées : aucune n’a de situation de monopole, même si certaines manient des fonds plus importants que d’autres (banque de Nymphodoros et d’Héracleidès). Chacun y trouve son avantage : les magistrats voient leur tâche facilitée, les banquiers v gagnent en commissions et en réputation. Un profond changement intervient vers 160 : une banque publique, attestée dès 154/3 ou 152/1, prend la relève des banques privées dans les opérations concernant l’État. Elle est chargée de gérer les affaires du sanctuaire et dirigée par des magistrats athéniens élus pour un an, choisis parmi des citoyens en vue. Désormais banques privées et banque publique mènent séparément leurs affaires, sans se faire concurrence (puisque la banque publique n’a pas le monopole du change et ne semble pas faire d’opérations avec des particuliers) : si l’on en juge par l’aisance générale des banquiers, en perdant le maniement des fonds publics et sacrés ils n’ont pas subi une perte irrémédiable.

33Sur l’organisation de leur travail les renseignements sont rares : ils ont des boutiques dans un portique, pour lesquelles ils s’acquittent d’un droit de place et ne semblent pas organisés en association, même s’il leur arrive de faire une dédicace collective.

34A l’automne 88, Archélaos, général de Mithridate, saccagea Délos et fit transporter sous bonne garde à Athènes le trésor sacré. Sans doute fut-il dilapidé dans l’effort de guerre ou récupéré par les Romains : en tout cas, l’un des fondements de la prospérité délienne avait été détruit. Bien plus, entre 85/81 et 58, une partie des revenus fiscaux de l’île passa directement dans les caisses du peuple romain et fut affermée à Rome par les compagnies de publicains : l’argent fuyait l’île au lieu d’y rester. Certes, en 58, la loi consulaire restitua à Délos son ancien statut, mais il était trop tard : le « système » délien, capable d’entretenir sur l’île une communauté de plusieurs milliers d’habitants, avait fait son temps.

Notes

1 Lac sacré Plan, 56

2 Agora des Italiens Plan, 52

3 Sanctuaire des dieux syriens Plan, 98

Table des illustrations

Titre Empreintes de sceaux provenant de la Maison des sceaux
Légende Ces pastilles d’argile, cuites par l’incendie de la maison, offrent un répertoire complet des thèmes et styles de la glyptique hellénistique. La qualité de la gravure des matrices permet de reconnaître des masques de théâtre, des portraits et de nombreuses divinités.
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