Versione classicaVersione mobile

Délos

 | 
Philippe Bruneau
, 
Michèle Brunet
, 
Alexandre Farnoux
, 
et al.

La ville, le territoire et la population

Testo integrale

1Sur cette île exiguë, il existait aux côtés du sanctuaire de renommée internationale une cité-État (polis) qui, comme toute cité grecque, comprenait un centre urbain, plus ou moins développé selon les époques, et un territoire, scrupuleusement exploité et mis en valeur. Comparée à ses contemporaines, cette cité délienne se singularise par une douille originalité : l’absence d’enceinte urbaine et, à partir de la fin du ve siècle, l’éloignement de la nécropole qui fut alors implantée sur la côte est de Rhénée, face au sanctuaire et à la ville. Ces deux traits remarquables ont un même fondement religieux : il était interdit de mourir sur le sol délien. Par conséquent, l’île se trouvait à l’abri des guerres (et, de fait, cette neutralité fut respectée jusqu’en 88) et ses habitants, assurés de la protection divine d’Apollon, se dispensèrent d’ériger un rempart autour de l’agglomération, de protéger leur territoire par des ouvrages défensifs et de fortifier leurs fermes isolées dans la campagne ; il en résulte une organisation de la ville et du territoire inconnue ailleurs.

La ville de Délos : histoire et morphologie urbaines

2Toute ville évolue au fil de son histoire, mais généralement les métamorphoses qu’elle subit s’inscrivent dans le cours d’une croissance lente et continue. Tout au contraire, la ville délienne connut une brusque expansion, conséquence de la décision politique du Sénat romain qui fit de Délos un port franc à partir de 166. Il s’ensuivit le soudain afflux d’une population commerçante cosmopolite et, partant, l’extension démesurée de la ville qui quintupla presque sa superficie en quelques décennies. L’équilibre d’origine entre les divers secteurs de l’agglomération s’en trouva profondément modifié et la campagne agricole environnante fut par la même occasion considérablement réduite.

3De toutes les villes fouillées en Grèce propre, Délos est sans nul doute la mieux conservée et ses ruines spectaculaires l’apparentent, toutes proportions gardées, aux cités campaniennes englouties sous les laves du Vésuve. Mais, en réalité, notre connaissance en est assez imparfaite car les fouilleurs, délaissant les quartiers les plus périphériques de cette immense agglomération, se sont surtout intéressés aux centres religieux et civique et aux secteurs résidentiels à proximité immédiate du sanctuaire d’Apollon. C’est donc uniquement l’observation des éboulis et amoncellements de ruines qui permet d’évaluer l’extension globale de la ville. En outre, les fouilles du début du siècle privilégièrent l’état hellénistique au détriment des états ultérieurs, qui furent généralement détruits, et des états antérieurs, insuffisamment repérés. D’où les difficultés que nous rencontrons à la fois pour restituer le faciès urbain des époques anciennes (archaïque et classique) et pour analyser dans le détail la structure de la ville hellénistique.

La ville de Délos vers I 70 av. J.-C.

La ville de Délos vers I 70 av. J.-C.

On lit sur ce plan schématique l’emprise des différents secteurs de la ville, définis selon leur principale fonction. A cette époque, l’habitat est encore fort peu développé en regard de l’importance des zones sacrées.

Dessin N. Bresch.

4Compte tenu île cette situation créée par la fouille, il s’avère impossible de retracer une histoire périodisée de la croissance urbaine délienne, et nous devons nous contenter d’esquisser une opposition entre deux états de la ville hellénistique, avant et après le bouleversement que constitue l’extension rapide du milieu du iie siècle. Pour cette raison, on parlera ici d’un état « ancien », présumé s’inscrire peu ou prou dans une continuité de la structure urbaine héritée des époques archaïque et classique, qui correspond à l’aspect que pouvait avoir la ville aux environs de 170 et que l’on restitue autant par le croisement de divers témoignages épigraphiques que par l’observation directe des vestiges. On le distinguera d’un état dit « récent » bien mieux connu, saisi à l’apogée de la ville vers 90, juste avant les destructions occasionnées par les incursions guerrières de 88 et de 69. Enfin, un troisième état de la ville se laisse deviner, celui de la Délos impériale et paléochrétienne, quand le départ de la population commerçante entraîna un abandon des quartiers les plus excentrés et un reflux de l’occupation vers les abords immédiats du Sanctuaire.

Morphologie de la ville « ancienne », vers 170

5Abritant une population peu nombreuse, la ville classique et de la haute époque hellénistique était implantée le long de la côte occidentale, dans la plaine et sur les collines en contrebas du flanc nord du Cynthe.

  • 1 Artémision Plan, 46
  • 2 Dôdékathéon Plan, 51
  • 3 Létoon Plan, 53

6Cette ville ne se présentait pas comme un ensemble compact et dense, mais était composée de plusieurs regroupements de volumes bâtis, répartis sur une vingtaine d’hectares, entre lesquels s’intercalaient des espaces non construits. Une certaine spécialisation fonctionnelle des différents secteurs de la ville se dessine, les zones de terrain plat étant plutôt dévolues aux édifices publics - religieux, politiques, sportifs -, les zones à flanc de colline étant majoritairement réservées à l’habitat, bien que certains sanctuaires moins importants que ceux de la plaine aient été disséminés sur les pentes du Cynthe. Dans la partie ouest de la plaine, au bord de l’anse du port sacré, les sanctuaires d’Apollon et d’Artémis1 et celui des Douze dieux2 qui étaient enceints de murs de péribole, le sanctuaire de Léto3 formaient trois espaces dégagés juxtaposés, à l’intérieur desquels autels, temples ou trésors furent édifiés peu à peu à partir de l’époque archaïque. Une ceinture de jardins plantés sur la zone humide du bassin inférieur de l’Inopos bordait ces ensembles sacrés à l’est et au nord et les séparait des installations sportives, situées plus au nord-est, qui constituaient une sorte de faubourg urbain « extérieur », tout comme dans bien d’autres cités classiques où ces établissements nécessitant de grandes surfaces planes se situaient d’ordinaire en lisière d’agglomération.

Le développement du Quartier du Théâtre

Le développement du Quartier du Théâtre

A l’origine limité à un ensemble d’habitations situé en bord de grève, le quartier se développa en direction du nord et de l’est, le long de la rue menant au Théâtre. Il s’agrandit enfin vers l’ouest par la construction d’un îlot sur des remblais.

Dessin N. Bresch.

  • 4 Ekklésiastérion Plan, 47
  • 5 Artémision Plan, 46
  • 6 Agora des Déliens Plan, 84
  • 7 Portique sud Plan, 4
  • 8 Propylées Plan, 5
  • 9 Portique de Philippe V Plan, 3
  • 10 Réservoir inférieur de l'Inopos Plan, 97
  • 11 Théâtre Plan, 114

7Hormis l’Ekklésiastérion4, peut-être localisé au nord de l’Artémision5, les bâtiments municipaux, peu nombreux et de dimensions modestes, jouxtaient étroitement le sanctuaire d’Apollon au sud et à l’est, et bordaient l’unique agora civique et commerciale existant à cette époque, l’Agora des Déliens6 (ou Tétragone). Entre le milieu du iiie et le début du iie siècle, l’agencement de ce secteur fut nettement régularisé au moyen de portiques jouant sur des lignes parallèles et perpendiculaires : ainsi, l’aire de l’agora fut délimitée sur trois côtés par le Portique sud7 et le Portique coudé, de même que la voie processionnelle (Dromos) conduisant aux Propylées8 du Sanctuaire fut encadrée par le Portique sud et par celui qu’offrit Philippe V9 de Macédoine. Cet ensemble formait charnière avec les deux quartiers résidentiels installés plus au sud, l’un en bord de mer et sur les croupes de la colline du Kolonos (du théâtre selon la dénomination moderne), l’autre autour du Réservoir inférieur de l’Inopos10 qui faisait office de citerne collective. Le port, le cours de l’Inopos et le Théâtre11 semblent donc avoir joué le rôle de pôles attractifs dans la topographie urbaine ancienne en cristallisant autour d’eux l’habitat.

Le développement du Quartier du Théâtre

8L’analyse du plan de masse du quartier dit « du Théâtre » permet d’en restituer la croissance progressive, qui se produisit dans le courant du iiie siècle en relation avec la construction de l’édifice achevé peu après 250. Tel qu’il apparaît dans son état final, ce quartier est constitué de cinq îlots d’habitations de tailles inégales et est parcouru par deux voies principales, peu larges et dallées, la « Rue 5 » proche du rivage, à peu près rectiligne du nord au sud, et la « Rue du Théâtre », qui conduit de la zone du port au Théâtre moyennant de nombreux décrochements. Très vraisemblablement, le quartier se limitait à l’origine au groupe de maisons destiné à devenir l’îlot III, vaste ensemble à trame dense, qui était bordé à l’ouest par la Rue 5, une sorte de « paralia », pour reprendre le terme grec moderne qui désigne une rue longeant la mer (ce n’est en effet qu’à la période suivante que cette rue se retrouva « à l’intérieur » des terres, par suite d’un remblayage qui repoussa la ligne de rivage plus à l’ouest). Au cours de la première moitié du iiie siècle, la construction du Théâtre, dont l’emplacement fut déterminé par l’existence d’une rupture de pente favorable à l’adossement des gradins, créa un pôle d’attraction à Test pour l’habitat, et l’espace entre la mer et le nouvel édifice fut progressivement loti et construit, sans véritable plan régulier, conformément à la topographie de la colline et en prenant appui sur Taxe que constituait la rue conduisant au Théâtre. Cette chronologie de la croissance du quartier se fonde sur la constatation qu’aucune des maisons de l’îlot III n’est accessible depuis la Rue du Théâtre : cette dernière leur est donc postérieure et son tracé épousa dans sa partie basse la limite nord du noyau d’habitat préexistant, tandis que les maisons des autres îlots, au nord de cette rue, ouvrent sur elle. Mais si la logique du développement de l’ensemble peut être ainsi mise en lumière, il n’en est pas de même du parcellaire interne à chaque îlot, car il subit des refontes importantes à l’époque suivante ; on constate simplement que dans ce quartier, et particulièrement dans l’îlot III, les maisons petites ou moyennes de plan irrégulier sont plus nombreuses qu’ailleurs et que, dans leur grande majorité, elles ne possèdent pas de cour à péristyle, aménagement caractéristique des maisons plus récentes construites dans les quartiers neufs.

La « Rue du Théâtre »

La « Rue du Théâtre »

Cette voie dallée bordée de boutiques a une largeur qui varie entre 1,50 m et 5,35 m ; son tracé procède par décrochements successifs.

9La ville ancienne de Délos à la veille des bouleversements du milieu du iie siècle est donc le produit d’un lent modelage commencé à l’époque archaïque ; mais en pleine époque hellénistique elle conserve encore deux traits caractéristiques de ce que l’on a coutume d’appeler les « vieilles cités » de la Grèce : la discontinuité et l’irrégularité du tissu urbain, résultats d’une croissance agglutinante et assez anarchique qui n’obéit à aucun plan d’urbanisme préétabli. Elle se distingue cependant par quelques caractères originaux :

  • en premier lieu l’absence d’enceinte, déjà soulignée. Partant, il n’existait aucune coupure nette dans le paysage entre ville et campagne, l’agglomération urbaine se signalant à la vue uniquement par la concentration des édifices monumentaux dans la plaine et par quelques groupements denses d’habitat en bordure de grève et à flanc de colline. Il y a là en germe la possibilité d’un développement libre et illimité de la ville, sans solution de continuité entre les zones construites ;

  • ensuite, l’emprise importante des espaces sacrés, évidemment due au rayonnement international du culte de l’Apollon Délien. Elle fait ressortir par contraste la faible étendue de l’habitat et la modestie du centre civique et politique, qui n’est pas nettement séparé du sanctuaire d’Apollon dans lequel il vient s’enclaver. On n’observe donc à Délos aucune division topographique et fonctionnelle opposant une ville basse qui serait le domaine des hommes à une acropole réservée aux dieux, structure urbaine si fréquente qu’on l’a souvent érigée en parangon de la cité grecque antique.

10Cette morphologie très particulière exprime sans aucun doute la vocation première de la ville, à l’origine simple émanation du sanctuaire international dont elle est le siège, et la précarité de son statut politique en tant que cité-État : la cité délienne subit longtemps des ingérences de la part de cités étrangères et ne connut qu’une brève période d’Indépendance, durant environ un siècle et demi. Or, c’est précisément à cette époque que la ville commença à s’agrandir et qu’une activité édilitaire importante s’y déploya.

Morphologie de la ville à son apogée, vers 90

11En devenant une place de commerce internationale, Délos ne perdit nullement sa vocation religieuse, qui fut même accrue par l’introduction de cultes étrangers ; toutefois, l’équilibre antérieur entre les diverses fonctions urbaines fut rompu : la petite ville qui vivait en étroite symbiose avec le sanctuaire d’Apollon et avec sa campagne, cité jalouse de son indépendance et recherchant donc à ce titre une certaine forme d’autarcie grâce à l’agriculture et aux échanges commerciaux à l’échelle régionale, se transforma en une ville populeuse et cosmopolite, sorte de Pirée au cœur des Cyclades. Ce changement de vocation de la cité eut des conséquences drastiques sur l’échelle et la morphologie urbaines.

12Les limites de la ville. La ville, abritant désormais une population estimée à 25 000 habitants ou même plus (voir ci-dessous), s’étendit pour atteindre une superficie de 95 ha. De nouvelles zones résidentielles furent aménagées : en direction du nord, jusqu’à la limite des presqu’îles de gneiss directement exposées aux vents dominants qui offraient des terrains peu propices à la construction ; en front de mer au nord-ouest, où des maisons adossées à une colline prennent appui sur des dalles de granit pour se développer sur plusieurs niveaux face au large ; en contrebas du Cynthe, à l’est ; mais surtout vers le sud, jusqu’à la baie de Fourni où l’on discerne l’existence d’une sorte de « banlieue résidentielle » à trame lâche, avec de très grandes demeures de type urbain isolées les unes des autres et surimposées à un paysage agricole de terrasses alors abandonnées.

La ville de Délos vers 90 av. J.-C.

La ville de Délos vers 90 av. J.-C.

Formant désormais une grande agglomération d’un seul tenant, la ville cosmopolite du ier siècle se caractérise par l’extension des secteurs d’habitat et l’Importance des zones dévolues aux activités commerciales.

Dessin N. Bresch.

  • 12 Létoon Plan, 53
  • 13 Agora des Italiens Plan, 52
  • 14 Agora de Théophrastos Plan, 49
  • 15 Agora des Compétaliastes Plan, 2

13Densification du périmètre ancien. L’ancienne agglomération, qui apparaît désormais comme le « cœur historique » de la cité, fut donc enchâssée dans ces nouveaux quartiers construits en l’espace de quelques décennies. A l’intérieur du périmètre ancien, on chercha par tous les moyens à gagner de la place pour les constructions et on occupa systématiquement toutes les réserves d’espaces non bâtis, quel que fût leur statut, sacré ou privé : les jardins furent sacrifiés, on réduisit les domaines des divinités dont le culte était quelque peu tombé en désuétude - comme celui de Léto12 dont le vaste sanctuaire fut partiellement concédé à la communauté italienne pour l’implantation de son Agora13 - et enfin, tout au long de la façade occidentale, on étendit les surfaces constructibles en gagnant sur la mer par des remblais, sur lesquels furent aménagés les nouveaux quais du port en avant du sanctuaire d’Apollon, deux places-carrefours - Agora de Théophrastos14 au nord, Agora des Compétaliastes15 au sud - et des magasins et entrepôts à l’ouest de la Rue 5.

14Régularisation de la trame urbaine. La morphologie d’ensemble de la ville fut régularisée et mieux ordonnancée. Les nouveaux quartiers résidentiels furent édifiés selon un plan quasiment régulier, avec un réseau de voies orientées nord-sud/est-ouest, plus larges que dans l’ancien Quartier du Théâtre. Il ne s’agit cependant pas de la juxtaposition d’un urbanisme « hippodaméen » à un centre historique ancien marqué par l’irrégularité, mais d’une tentative pour organiser la croissance urbaine en l’uniformisant et en la normalisant par un système simple, orthonormé, de conception des îlots. Cette régularité de la trame d’ensemble affecta également par voie de conséquence le parcellaire interne des îlots, plus libre de ses dimensions, qui reproduit le système des quartiers à l’échelle des habitations. Toutefois, le vieux Quartier du Théâtre dut conserver un certain attrait, car il fit l’objet de refontes parcellaires (extension de maisons) et de travaux de modernisation ponctuelles des demeures (adjonction de péristyles dans quelques cours).

  • 16 Terrasse des Lions Plan, 55

15Un réseau de circulation cohérent. Enfin, la ville se dota d’un réseau de circulation cohérent à la mesure de l’agglomération élargie, destiné à articuler le cœur historique avec les quartiers neufs et à faciliter les communications entre les installations portuaires et l’intérieur de la ville. Les deux nouvelles places, Agora de Théophrastos et Agora des Compétaliastes, eurent ainsi un rôle essentiel de « charnières » dans cette structuration de la trame urbaine, car elles assuraient la jonction entre le port et les zones résidentielles et commerciales, de part et d’autre du sanctuaire d’Apollon qui formait barrage le long de la façade portuaire et que l’on devait donc contourner, soit par le nord soit par le sud, pour accéder en ville. Ce dispositif fut complété par deux rues longeant le mur de péribole, au nord et à l’est, qui achevaient ainsi de rendre autonome cet espace sacré. Mais les nouvelles nécessités de circulation des hommes et des marchandises dans cette ville étendue conduisirent également à convertir en axe de circulation des lieux qui auparavant avaient une tout autre fonction : c’est le cas de la Terrasse des Lions16, esplanade originellement liée au sanctuaire de Léto, qui devint un carrefour important, presque une place, entre la zone du sanctuaire d’Apollon, l’Agora des Italiens et les Quartiers nord récemment construits.

16Néanmoins les rues, tortueuses ou rectilignes selon leur ancienneté, avaient une largeur maximale de 5 m, ce qui autorisait le passage des piétons et des bêtes de somme mais non de véhicules. Qui plus est, cette largeur se trouvait parfois réduite par l’empiétement, sur un côté de la rue, de rangées de colonnes qui soutenaient un balcon ou une avancée de l’étage en surplomb. La plupart de ces voies passaient entre les murs aveugles des rez-de-chaussée de maisons ; certaines cependant étaient bordées de boutiques qui complétaient les marchés centraux, situés sur les agoras proches du port et du Sanctuaire.

  • 17 Fontaine Minoé Plan, 30

17L’eau, compromis entre l’individuel et le collectif. Comme dans toute agglomération urbaine de quelque importance, on conçut à l’échelle de chaque quartier un réseau d’égouts avec collecteurs enterrés sous les chaussées ; en revanche, l’alimentation en eau ne relevait que très partiellement d’un système collectif : les fontaines telle la « Kréné Minoé17 » et les citernes publiques qui fournissaient les anciens quartiers subsistèrent, mais elles étaient désormais largement insuffisantes ; dans les quartiers neufs, des citernes individuelles creusées sous les cours des maisons étaient couplées avec un puits, lorsque cela était possible.

La « Rue du Stade »

La « Rue du Stade »

Cette voie rectiligne, en contrebas de la terrasse du Stade soutenue par un mur de granit à contreforts, était bordée dans sa partie sud par des colonnes de granit qui devaient supporter une avancée de l’Immeuble situé de l’autre côté de la rue.

18Bien qu’aucun document ne nous éclaire sur les modalités foncières et architecturales de la croissance urbaine, il est très vraisemblable qu’elle fut dirigée dans ses grandes lignes, à défaut d’être totalement maîtrisée et planifiée, par l’autorité politique athénienne soucieuse d’introduire un certain ordre dans la structure de la ville, même si l’initiative et le financement de bien des édifices ou aménagements de la nouvelle agglomération furent privés. Cette ville d’un seul tenant et à la texture dense s’étendait en un vaste hémicycle autour d’un centre où la nouvelle fonction commerciale s’était souplement greffée, par une sorte d’extension de l’intérieur, au secteur religieux ancien de la cité. Délos offre donc l’exemple frappant d’une réinvention urbaine globale, opérée non par des destructions mais par un jeu d’assemblages, de juxtapositions et de connexions entre éléments anciens et nouveaux, qui fut certainement facilité par l’absence du carcan que constitue tout rempart.

19On verra plus loin que les deux incursions guerrières de 88 et de 69 sonnèrent le glas de la splendeur délienne : les quartiers les plus excentrés furent désertés, la population se concentra à nouveau autour du sanctuaire et du port dans une petite agglomération qui retrouvait à peu près les limites de la ville ancienne. A l’époque paléochrétienne, elle n’était plus qu’un gros bourg agricole vivant de l’exploitation du territoire, comme en témoignent les nombreux pressoirs à vin installés dans les ruines de monuments depuis longtemps abandonnés.

La citerne du Théâtre

La citerne du Théâtre

Elle mesure 22.50 m sur 6,50 m ; sa couverture aujourd’hui disparue était soutenue par huit très beaux arcs en granité à vingt et un claveaux parfaitement conservés. iiie siècle av. J.-C.

Cliché E. Desroches.

Histoire et morphologie du territoire

20Les campagnes de la Grèce ancienne sont à ce jour encore assez mal connues, car les textes antiques les concernant sont généralement rares et peu explicites mais également parce que les archéologues les ont délaissées jusqu’à une époque récente au profit des villes et des sanctuaires. Aussi la situation documentaire dont nous bénéficions à propos du territoire délien apparaît-elle tout à fait exceptionnelle : notre information repose en effet à la fois sur des inscriptions - qui forment une série homogène couvrant une durée relativement longue (fin du ve-première moitié du iie siècle av. J.-C.) - et sur une prospection archéologique intensive des deux îles qui constituaient le territoire île la cité.

21Ce double éclairage est extrêmement précieux car ces sources sont, dans une large mesure, complémentaires : d’une part, les inscriptions consignent des contrats de bail avec inventaire des bâtiments et des plantations ainsi que des enregistrements de fermages, qui concernent des propriétés agricoles sacrées appartenant à Apollon (dix à Délos et dix à Rhénée). D’autre part, la recherche sur le terrain (qui rencontre à Délos comme à Rhénée le cadre idéal d’îles quasiment désertes, où aucune végétation ne risque de dérober les vestiges à la vue) a confirmé l’existence de fermes isolées, une dizaine concentrées dans la partie sud de Délos, autant à Rhénée, mais elle a également apporté des compléments essentiels touchant leurs caractéristiques d’implantation et les installations qui leur sont associées ; de plus, elle a permis de recenser les autres éléments du paysage antique - terrasses de culture, chemins, carrières et phares - qu’aucune source épigraphique ne mentionne.

22Il faut néanmoins avouer les limites qui s’imposent à la confrontation des textes et des vestiges : par nature les inscriptions, qui sont des comptes rendus de gestion rédigés par les magistrats en charge de la fortune du dieu, ne s’intéressent qu’aux domaines agricoles sacrés, alors qu’il existait également des fermes privées dans l’île, à propos desquelles nous ne possédons aucun renseignement aussi détaillé. En outre, les noms des fermes sacrées (« Les palmiers », « La rade », « Domaine de Skiton ») ne permettent aucune localisation précise sur le terrain et l’état des ruines rend impossible toute identification en rapport avec les états des lieux figurant dans les baux. Enfin, les archives épigraphiques qui nous sont parvenues datent de l’époque où la campagne délienne était bien plus étendue, avant l’expansion urbaine du milieu du iie siècle qui entraîna certainement la disparition d’un certain nombre de domaines agricoles, sacrés et privés.

23Tous ces écueils n’empêchent cependant pas de reconstituer l’histoire du territoire délien, qui fut marquée par deux temps forts.

La création des paysages agraires détiens

24Dans la seconde moitié du vie siècle, le rattachement de Rhénée à Délos par la volonté du tyran Folycrate de Samos (qui exerçait alors son hégémonie sur les Cyclades) fut un événement décisif pour la formation du territoire délien. Certes, il existait à Rhénée une cité indépendante (dont le centre urbain se trouvait sur la côte nord-ouest), qui disposait elle-même d’un territoire dont il est malheureusement impossible à ce jour d’estimer l’extension ; mais vraisemblablement, la majeure partie de l’île devint à partir de ce moment une sorte de très grande annexe territoriale délienne. Dans ce finage désormais très vaste et réparti sur les deux îles-sœurs, on consacra au cours du ve siècle une partie des terres à Apollon - souvent par le biais de confiscations d’exploitations privées -, ce qui entraîna très probablement une refonte généralisée du parcellaire foncier. C’est alors que furent construites les fermes et que l’on procéda à des aménagements de pentes indispensables à une mise en culture intensive. En effet les murs de terrasse, qui résultent d’un colossal travail d’épierrage et de débitage des amas rocheux pour dégager îles surfaces cultivables, forment de vastes ensembles conçus en conformité avec le relief et en relation avec les fermes, ce qui laisse supposer un projet collectif et unitaire, confirmé d’ailleurs par l’homogénéité architecturale des murets.

25Les fermes furent installées soit près du rivage, soit plus fréquemment sur les hauteurs, là où les affleurements de la roche rendent toute culture impossible. Certaines étaient dotées d’aires île dépiquage pour les céréales et la plupart bénéficiaient, à proximité immédiate des bâtiments, d’un point d’eau naturel, dont l’absence était palliée par une citerne dans les plus gros établissements rhéniotes. Il est malheureusement impossible de restituer avec précision le parcellaire foncier sur les deux îles (dans l’Antiquité, les limites de propriétés étaient le plus souvent marquées par de simples bornes de pierre, aujourd’hui disparues ou difficilement repérables) ; toutefois, à une échelle globale, un contraste majeur se dessine entre Rhénée, où les fermes étaient relativement distantes les unes des autres et occupaient donc des terroirs vastes, et Délos, où l’on est frappé par la densité des établissements, séparés seulement par quelques centaines de mètres dans la partie sud de l’île. Le parcellaire agricole propre à chaque exploitation est tout aussi insaisissable : d’après les inscriptions, les fermes sacrées possédaient toutes un jardin (sans doute potager), attenant aux bâtiments et vraisemblablement enclos, et toutes pratiquaient (mais dans des proportions variables) une pluriculture - céréales, vignes, arbres fruitiers - associée à de l’élevage, surtout ovin. La très faible quantité de murs de clôture repérés au cours de la prospection incite à penser que seules les parcelles de vignoble, peu nombreuses à Délos, étaient encloses afin d’être protégées de la divagation du bétail, et que le paysage dans son ensemble se présentait comme une juxtaposition de champs ouverts en gradins, irrégulièrement complantés de figuiers et de grenadiers.

Les terrasses de culture antiques du sud délien

Les terrasses de culture antiques du sud délien

On distingue sur le plateau au premier plan, derrière les murs de pierres sèches, les deux montants de la porte d’une ferme et à l’arrière, les terrasses de culture couvrant les pentes de la colline de Katô Vardhia.

26Cette organisation des terroirs fut complétée à Délos par l’établissement d’un réseau de circulation, très simple dans son principe : un chemin principal bordé de murs, situé à peu près sur la ligne de partage des eaux, jouait le rôle d’une épine dorsale orientée nord-sud, sur laquelle venaient s’articuler des chemins secondaires desservant les fermes, implantés entre les groupes de terrasses.

27On exploita également à différentes échelles les gisements de pierre (à Délos, marbre, peu abondant et de piètre qualité, gneiss et surtout granit ; gneiss et poros à Rhénée), pour satisfaire aux besoins courants de la construction. Il ne s’agit généralement pas de carrières étendues ; très logiquement, les premiers lieux d’extraction, rapidement épuisés, se situent aux abords immédiats des quartiers anciens et ils furent comblés par l’extension urbaine. Seule la plus grande carrière de marbre détienne, sur le flanc sud-est du Cynthe, près de la mer, semble avoir connu une exploitation prolongée.

28A partir du ve siècle, conformément à l’idéal d’autarcie qui animait toute cité grecque, le territoire délien fait figure de finage vivrier, où chaque portion d’espace était aménagée à des fins agricoles de la manière la plus rationnelle possible compte tenu des seules contraintes du milieu, de l’équipement technique et de la main-d’œuvre disponible, puisque nulle préoccupation défensive ne venait perturber les logiques agraires et foncières d’organisation de l’habitat et des cultures. Ce sont également ces différentes contraintes, ainsi que l’organisation socio-économique spécifique à la cité grecque, qui justifient la présence de bâtiments de ferme, occupés de façon permanente, à très faible distance de la ville elle-même : les exploitations, privées ou sacrées, étaient confiées à des régisseurs qui y résidaient en compagnie de quelques esclaves, pour satisfaire tout au long de l’année aux impératifs d’un calendrier agricole chargé et île l’entretien du bétail. L’existence de domaines sacrés n’est cependant pas une particularité délienne : dans toute la Grèce, la plupart des sanctuaires, quels que fussent leur importance et leur degré de notoriété, disposaient de biens fonds qu’ils mettaient en location pour toucher des revenus nécessaires à leur fonctionnement (sacrifices, entretien). De tait, les loyers constituaient à Délos durant la période de l’Indépendance la plus grosse rentrée annuelle du trésor d’Apollon. 11 est toutefois notable que, dans un territoire relativement peu étendu, les propriétés sacrées aient été si nombreuses et aient occupé sur Rhénée la majorité des terres agricoles. Ces constatations viennent donc confirmer l’étroite imbrication des destins de la cité et du sanctuaire, d’ores et déjà soulignée à propos de la morphologie urbaine ancienne.

Le territoire de la cité commerçante après 166

29Tout comme les jardins urbains, la campagne délienne fut dans une certaine mesure sacrifiée à l’accroissement de la ville. Sans doute faut-il y voir le signe d’un changement profond du statut de l’agriculture dans l’économie de la cité, dorénavant dominée par les échanges commerciaux. Nonobstant ces aléas de la conjoncture historique et économique, la structure d’ensemble du territoire fut préservée sans modification importante : dès les années 150, on reconstitua les propriétés sacrées moyennant un certain nombre de retouches du parcellaire foncier et, si l’on ne construisit aucune nouvelle ferme, on rénova soigneusement les anciens bâtiments ruraux.

30C’est sans doute à cette époque que, pour répondre à l’énorme besoin de matériaux de construction en ville, on ouvrit de nouvelles carrières de granit dans l’extrême sud délien et que, par suite de l’intensification de la circulation maritime à destination du port, l’île fut dotée d’un ensemble de phares. Pour guider les navires en provenance des quatre points cardinaux, on installa un phare à chaque extrémité de l’île, l’un à la pointe de la presqu’île nord-est, l’autre au sud sur l’îlot de Kherroniso, un troisième se trouvait à l’est sur le cap Sykia et enfin, on suppose logiquement un quatrième phare à l’ouest, à l’entrée du port sacré. Ce dispositif fut complété par un cinquième phare, situé sur l’éminence de Marmarokopio au sud-est de Rhénée, juste en face de celui de Kherroniso, ces deux fanaux balisant ainsi l’entrée de la passe sud, la plus large et la moins dangereuse, qui conduisait au port.

La population

31Pour les périodes archaïque et classique, nous ignorons totalement quel pouvait être le nombre d’habitants à Délos ; toutefois la présence d’étrangers résidants semble avoir été une caractéristique de l’île dès ces époques anciennes : ainsi au temps de l’Amphictyonie, un groupe d’Athéniens, dont certains étaient fermiers ou locataires des biens sacrés, vivait aux côtés des Déliens.

Arbre généalogique d’une famille délienne

Arbre généalogique d’une famille délienne

Cette famille, dont la solidarité entre frères, ascendants et descendants fut constante, a fourni à la cité indépendante un grand nombre de magistrats. Elle possédait une solide richesse et semble avoir tiré l’essentiel de ses revenus de l’exploitation des fermes sacrées.

D’après Cl. Vial, Délos indépendante, 1984, stemma 28.

32Pour la période qui va de 314 à 167, les comptes des administrateurs du sanctuaire fournissent en revanche des indications intéressantes sur la composition de la population et autorisent également une évaluation du nombre des citoyens - mais d’eux seuls, malheureusement. En effet, les chapitres de comptes relatifs à la fête des Posidéia ont permis de calculer que les Déliens adultes de sexe masculin étaient 1 200 environ dans le premier tiers du iie siècle. Par ailleurs, la reconstitution des arbres généalogiques de plusieurs dizaines de familles sur plusieurs générations a montré que la natalité a été forte parmi les Déliens durant toute cette période et qu’il était fréquent chez eux que trois ou quatre enfants des deux sexes nés d’un même père parvinssent à l’âge adulte. En tenant compte de la mortalité infantile élevée qui caractérise le monde grec, il faut donc imaginer une communauté délienne d’au moins 6 000 personnes, dont les jeunes constituaient la majorité.

Cléopatra et Dioscouridès

Cléopatra et Dioscouridès

Les statues des époux propriétaires, des Athéniens du dème de Myrrhinonte, étaient exposées dans I a cour de leur maison du Quartier du Théâtre. Seconde moitié du iie siècle.

33Bien que les seuls Déliens aient eu le droit de posséder des terres et des maisons, il y avait toujours des étrangers établis dans l’île, dont certains obtinrent par décret du peuple un droit de propriété égal à celui des citoyens. Il semble même que leur nombre ait augmenté tout au long du IIIe siècle, si l’on admet que l’augmentation des revenus procurés par les loyers des propriétés bâties d’Apollon (leur montant est doublé entre 274 et 250) peut correspondre à un accroissement du nombre des étrangers résidants, attirés sans doute par le développement des activités portuaires. On n’a pourtant, ici encore, aucune idée précise du nombre des étrangers libres et encore moins de celui des esclaves à la fin de la période, mais il est hautement probable que la communauté délienne représentait moins de la moitié de la population totale. Ces étrangers venaient pour la plupart des îles de l’Egée : jusqu’en 250, la moitié des entrepreneurs étrangers dont on connaît l’ethnique étaient des insulaires. Avec le temps, une diversification s’est certainement produite, même si les Grecs demeurèrent encore l’élément dominant jusqu’en 167. Une association du Sarapieion, les Décadistes, « rassemblés » par un Corcyréen, comptait parmi ses membres un homme de l’île d’Amorgos et deux Mylasiens, un père et son fils, des Cariens largement hellénisés.

Le cosmopolitisme délien après 167

34Après que les Romains eurent donné leur île à Athènes en 167, les Déliens furent obligés de quitter en masse leur patrie. La plupart des étrangers vivant déjà dans l’île restèrent probablement sur place, mais beaucoup d’autres vinrent alors s’y installer. De fait, l’expansion soudaine et rapide, à la façon d’une ville-champignon, de l’agglomération délienne dans la seconde moitié du iie et au début du ier siècle est due à l’afflux d’une population très nombreuse et cosmopolite, mais nos sources sont incapables de nous en faire connaître l’importance exacte. Le chiffre de 25 000 à 30 000 habitants, ordinairement avancé pour les années 166-88, ne repose que sur des intuitions ; de plus, à la population fixe s’ajoutaient, pendant la saison de navigation, des gens de passage dont le nombre variait considérablement.

Pseudo-athlète

Pseudo-athlète

Cette statue d’un Romain fut découverte dans la Maison du Diadumène. Musée National d’Athènes.

  • 18 Palestre de granit Plan, 66

35Tout comme pour la période précédente, il est impossible de connaître la répartition de la population par sexe et classe d’âge ainsi que la proportion des esclaves par rapport aux personnes libres. Une petite étude anthropologique menée sur quelques squelettes découverts dans la nécropole de Rhé-née fournit cependant certains éléments d’information sur la morphologie des habitants de l’île à cette époque. Ils sont plutôt graciles et petits - 1,55 m pour les femmes, 1,64 m pour les hommes en moyenne. L’échantillon examiné confirme par ailleurs la forte mortalité infantile et offre l’intérêt de montrer aussi qu’à vingt ans, un quart seulement des individus pouvait espérer atteindre ou dépasser la cinquantaine. Des statues nous font connaître l’apparence de quelques individus : s’il ne reste plus des Athéniens Dioscouridès et Cléopatra que leurs corps drapés acéphales, une très belle tête de bronze trouvée à la Palestre de granit18 représente peut-être un Levantin et la statue d’un Romain allie un corps d’athlète, tel qu’il était devenu traditionnel dans la statuaire grecque, à une tête très individualisée que caractérisent un crâne chauve et des oreilles décollées. Mais ce mélange d’idéalisation et de réalisme nous avertit que ces portraits n’ont rien d’une photographie d’identité !

Mosaïque représentant le signe de Tanit dans le vestibule de la Maison des dauphins

Mosaïque représentant le signe de Tanit dans le vestibule de la Maison des dauphins

Ce symbole, très rare en Grèce propre mais très répandu dans le monde punique, était tourné vers ceux qui pénétraient dans la demeure en signe de bon augure. Les occupants de cette maison pourraient avoir été des Phéniciens.

36Pour l’analyse de la composition ethnique de la population, les sources épigraphiques s’avèrent les plus utiles, mais hormis quelques rares chapitres concernant des prêts, ce ne sont plus, comme à la période précédente, des documents administratifs qui nous instruisent mais, d’une part, les stèles de la nécropole de Rhénée et, d’autre part, les dédicaces honorifiques ou votives, les listes d’usagers du gymnase ou des palestres, celles de dévots et les textes d’associations ; encore doit-on noter que l’importance relative des divers groupes ethniques apparaît quelque peu différente selon que l’on s’appuie sur les stèles funéraires ou sur les inscriptions exposées à Délos même. En outre, les sanctuaires des divinités étrangères, non seulement en raison de leurs inscriptions mais aussi de leurs bâtiments et de leurs consécrations, sont une source majeure sur les communautés nationales, leurs tendances à l’isolement ou à l’ouverture dans ce milieu cosmopolite, ainsi que sur la place tenue par les femmes ou les esclaves. La nouvelle population de Délos se répartit désormais en trois groupes principaux : les Athéniens, les Italiens et les Orientaux.

37La communauté des Athéniens était la plus petite. Certains d’entre eux s’installèrent à demeure, tel Gorgias fils d’Asclépiadès qui, arrivé peu après 166, fut prêtre, gymnasiarque et agoranome et repose à Rhénée, où sa stèle funéraire a été retrouvée. Des familles ont donc fait souche, mais beaucoup n’ont fait que séjourner plus ou moins longtemps à Délos.

38Les Italiens, fort nombreux, venaient d’Italie du sud, notamment de Naples, de Tarente et d’Héraclée de Lucanie, et d’Italie centrale, de Préneste ou même de Rome : on discute si étaient majoritaires les gens du Latium ou ceux de Campanie. Les uns étaient des « Romains » ingénus ou affranchis, d’autres étaient citoyens de cités pérégrines, d’autres encore n’étaient qu’esclaves.

  • 19 Synagogue Plan, 80

39La liste des pays et villes d’origine des habitants que l’on regroupe sous l’appellation d’Orientaux est longue et diversifiée : Phéniciens venus de Tyr, de Sidon et de Bérytos (Beyrouth) ; nombreux Syriens originaires d’Hiérapolis, d’Antioche-sur-l’Oronte, de Laodicée-sur-Mer, de Séleucie de Piérie, de Damas, mais aussi d’Apamée et d’Arados ; Alexandrins. Le Premier livre des Macchabées fait état de la présence de Juifs à Délos au iie siècle et de fait, on y a découvert une Synagogue19, la plus ancienne qui soit connue hors de Palestine. Les fidèles du Temple de Jérusalem avaient pour voisins « les Israélites qui versent contribution au saint et sacré Garizim », c’est-à-dire les Samaritains. Il y avait aussi des gens d’Ascalon et des Arabes.

Le péristyle de la Maison du trident

Le péristyle de la Maison du trident

Deux avant-trains de lions, à gauche, et deux avant-trains de taureaux, à droite, jouaient le rôle de consoles soutenant les architraves latérales du « péristyle rhodlen ». Le choix de ces symboles de divinités syriennes conduit à penser que la maison fut édifiée par un marchand syrien.

40La petite île de Délos était ainsi le lieu le plus cosmopolite de la Méditerranée à la fin du iie siècle. Même si quelques groupes ethniques préféraient demeurer entre eux pour célébrer leurs cultes particuliers, la majorité des habitants libres de Délos vivaient en symbiose. Les cultes égyptiens attiraient à la fois Athéniens, Italiens et Orientaux et il en était de même, à partir des années 110, du culte d’Atargatis. Les jeunes gens de toute origine se retrouvaient dans le gymnase, les palestres et sur les gradins des édifices de spectacle. Aucun quartier n’était le fief d’une nationalité et chacun avait pour voisins des gens d’origine différente de soi ; on verra plus loin combien cette bigarrure ethnique contraste avec l’uniformité architecturale des maisons. En somme, les seuls véritables éléments de discrimination étaient la fortune et le statut des personnes.

Note

1 Artémision Plan, 46

2 Dôdékathéon Plan, 51

3 Létoon Plan, 53

4 Ekklésiastérion Plan, 47

5 Artémision Plan, 46

6 Agora des Déliens Plan, 84

7 Portique sud Plan, 4

8 Propylées Plan, 5

9 Portique de Philippe V Plan, 3

10 Réservoir inférieur de l'Inopos Plan, 97

11 Théâtre Plan, 114

12 Létoon Plan, 53

13 Agora des Italiens Plan, 52

14 Agora de Théophrastos Plan, 49

15 Agora des Compétaliastes Plan, 2

16 Terrasse des Lions Plan, 55

17 Fontaine Minoé Plan, 30

18 Palestre de granit Plan, 66

19 Synagogue Plan, 80

Indice delle illustrazioni

Titolo La ville de Délos vers I 70 av. J.-C.
Legenda On lit sur ce plan schématique l’emprise des différents secteurs de la ville, définis selon leur principale fonction. A cette époque, l’habitat est encore fort peu développé en regard de l’importance des zones sacrées.
Credits Dessin N. Bresch.
URL http://books.openedition.org/editionscnrs/docannexe/image/3930/img-1.jpg
File image/jpeg, 612k
Titolo Le développement du Quartier du Théâtre
Legenda A l’origine limité à un ensemble d’habitations situé en bord de grève, le quartier se développa en direction du nord et de l’est, le long de la rue menant au Théâtre. Il s’agrandit enfin vers l’ouest par la construction d’un îlot sur des remblais.
Credits Dessin N. Bresch.
URL http://books.openedition.org/editionscnrs/docannexe/image/3930/img-2.jpg
File image/jpeg, 512k
Titolo La « Rue du Théâtre »
Legenda Cette voie dallée bordée de boutiques a une largeur qui varie entre 1,50 m et 5,35 m ; son tracé procède par décrochements successifs.
URL http://books.openedition.org/editionscnrs/docannexe/image/3930/img-3.jpg
File image/jpeg, 1,5M
Titolo La ville de Délos vers 90 av. J.-C.
Legenda Formant désormais une grande agglomération d’un seul tenant, la ville cosmopolite du ier siècle se caractérise par l’extension des secteurs d’habitat et l’Importance des zones dévolues aux activités commerciales.
Credits Dessin N. Bresch.
URL http://books.openedition.org/editionscnrs/docannexe/image/3930/img-4.jpg
File image/jpeg, 300k
Titolo La « Rue du Stade »
Legenda Cette voie rectiligne, en contrebas de la terrasse du Stade soutenue par un mur de granit à contreforts, était bordée dans sa partie sud par des colonnes de granit qui devaient supporter une avancée de l’Immeuble situé de l’autre côté de la rue.
URL http://books.openedition.org/editionscnrs/docannexe/image/3930/img-5.jpg
File image/jpeg, 1,4M
Titolo La citerne du Théâtre
Legenda Elle mesure 22.50 m sur 6,50 m ; sa couverture aujourd’hui disparue était soutenue par huit très beaux arcs en granité à vingt et un claveaux parfaitement conservés. iiie siècle av. J.-C.
Credits Cliché E. Desroches.
URL http://books.openedition.org/editionscnrs/docannexe/image/3930/img-6.jpg
File image/jpeg, 1016k
Titolo Les terrasses de culture antiques du sud délien
Legenda On distingue sur le plateau au premier plan, derrière les murs de pierres sèches, les deux montants de la porte d’une ferme et à l’arrière, les terrasses de culture couvrant les pentes de la colline de Katô Vardhia.
URL http://books.openedition.org/editionscnrs/docannexe/image/3930/img-7.jpg
File image/jpeg, 2,1M
Titolo Arbre généalogique d’une famille délienne
Legenda Cette famille, dont la solidarité entre frères, ascendants et descendants fut constante, a fourni à la cité indépendante un grand nombre de magistrats. Elle possédait une solide richesse et semble avoir tiré l’essentiel de ses revenus de l’exploitation des fermes sacrées.
Credits D’après Cl. Vial, Délos indépendante, 1984, stemma 28.
URL http://books.openedition.org/editionscnrs/docannexe/image/3930/img-8.jpg
File image/jpeg, 488k
Titolo Cléopatra et Dioscouridès
Legenda Les statues des époux propriétaires, des Athéniens du dème de Myrrhinonte, étaient exposées dans I a cour de leur maison du Quartier du Théâtre. Seconde moitié du iie siècle.
URL http://books.openedition.org/editionscnrs/docannexe/image/3930/img-9.jpg
File image/jpeg, 2,1M
Titolo Pseudo-athlète
Legenda Cette statue d’un Romain fut découverte dans la Maison du Diadumène. Musée National d’Athènes.
URL http://books.openedition.org/editionscnrs/docannexe/image/3930/img-10.jpg
File image/jpeg, 1,1M
Titolo Mosaïque représentant le signe de Tanit dans le vestibule de la Maison des dauphins
Legenda Ce symbole, très rare en Grèce propre mais très répandu dans le monde punique, était tourné vers ceux qui pénétraient dans la demeure en signe de bon augure. Les occupants de cette maison pourraient avoir été des Phéniciens.
URL http://books.openedition.org/editionscnrs/docannexe/image/3930/img-11.jpg
File image/jpeg, 1,6M
Titolo Le péristyle de la Maison du trident
Legenda Deux avant-trains de lions, à gauche, et deux avant-trains de taureaux, à droite, jouaient le rôle de consoles soutenant les architraves latérales du « péristyle rhodlen ». Le choix de ces symboles de divinités syriennes conduit à penser que la maison fut édifiée par un marchand syrien.
URL http://books.openedition.org/editionscnrs/docannexe/image/3930/img-12.jpg
File image/jpeg, 2,3M

Il testo e gli altri elementi (illustrazioni, file importati) possono essere utilizzati con OpenEdition Books License, se non diversamente specificato.

Questa pubblicazione digitale è stata realizzata tramite il riconoscimento ottico dei caratteri automatico (OCR).
Cerca su OpenEdition Search

Sarai reindirizzato su OpenEdition Search