Une préparation au combat

1Qui sont ces athlètes qui font la gloire d’Olympie ? Tout d’abord, il s’agit de bien préciser la différence entre le citoyen grec qui, quotidiennement, s’adonne aux exercices gymniques et l’athlète de compétition qui vient concourir à Olympie. Sous le premier cas de figure peuvent se regrouper tous les Grecs libres et valides, dont une des occupations majeures est la pratique du sport. La seconde catégorie est beaucoup plus limitée : il n’est alors question que des meilleurs, de ceux qui, dans leur spécialité, sont susceptibles de triompher. Pendant longtemps – au moins jusqu’aux vainqueurs aristocratiques célébrés par Pindare au v^e siècle – ce sont surtout des individus appartenant à la classe des dominants, naissance et richesse étant alors liées. Ces privilégiés sont mieux à même de pouvoir s’entraîner intensément, en tout cas plus que les autres hommes libres dont le travail ne leur permet que de rares passages par le gymnase. Toutefois, progressivement, les choses évoluent, et l’on voit apparaître dans les listes de vainqueurs de plus en plus de paysans, ou de « dockers » du Pirée par exemple. Certes, cette « démocratisation » ne va pas sans une certaine spécialisation, les aristocrates triomphant alors davantage dans les épreuves dites légères ou à l’hippodrome, et les humbles récoltant des victoires dans des disciplines particulièrement rudes – et dégradantes physiquement – comme le pugilat.

2Une chose est certaine : ces hommes doivent être libres, les esclaves étant exclus de l’agôn. Pendant longtemps, ils ne peuvent être que des Grecs, mais à partir de la fin du iv^e siècle av. J.-C, des distorsions sont apportées à cette règle : des Macédoniens d’abord – d’authentiques Hellènes mais que certains Grecs considèrent parfois comme des « semi-barbares » –, puis des Romains vont pouvoir participer aux jeux Panhelléniques. Enfin il faut souligner ce qui apparaît comme une évidence, à savoir que les athlètes qui se présentent à Olympie doivent être aptes à subir les épreuves. Comme le chante Pindare, « là se juge la vitesse des jambes et la hardiesse endurante de la force ».

3La mentalité grecque a tendance à distinguer trois classes d’âge : les enfants ; les jeunes gens susceptibles de porter les armes (les éphèbes) ; les « hommes faits ». L’art (peinture sur vase, sculpture) représente essentiellement la classe d’âge intermédiaire, ce qui permet à tant d’historiens de l’art de privilégier le doux nom d’éphèbe – avec ses connotations érotiques, alors qu’en fait il désigne la période du service militaire – au détriment de celui d’athlète qui semble les gêner. À Olympie, les concurrents sont répartis en deux groupes, celui des « garçons » (le pais est l’adolescent « qui n’a pas encore de poil au menton ») et celui des adultes, réunissant l’éphèbe et l’homme mûr (aner).

4Si la victoire aux Jeux est l’un des buts de l’entraînement intensif du gymnaste, il convient de rappeler que c’est loin d’être le seul. L’homme grec aime le sport pour lui-même, et son goût pour l’athlétisme n’est pas lié uniquement à la notion d’agôn. Il y entre pour beaucoup l’admiration pour la beauté des corps et de l’effort partagé. Le citoyen qui s’adonne aux exercices gymniques n’a donc, la plupart du temps, pas l’intention de conquérir une couronne de vainqueur, mais celle de sculpter son corps, de le maintenir en bonne santé, de l’harmoniser avec une mentalité saine. D’autre part, on ne peut nier que ces disciplines aient un caractère paramilitaire, comme l’indique l’absence de sports purement ludiques comme les jeux de ballon ou de balle. Les exercices qui donnent lieu à des concours sont tous plus ou moins liés au combat : course, saut, lancers, sports de combat, la parenté est évidente, sans compter que les souffrances subies, endurance ou épreuve des coups, constituent une préparation aussi bien morale que physique aux dures lois de la guerre, si présente dans le monde grec. Et ce n’est pas parce que certains auteurs, dès l’Antiquité, ont contesté ce lien – prétendant que l’on peut être bon soldat sans être bon athlète (ce que personne ne nie, mais c’est tout de même plus facile en l’étant !) – que l’on doit refuser son évidence. On peut citer, entre autres auteurs antiques, Lucien qui écrit dans Anacharsis ou Des exercices de corps : « […] tu connaîtras dans quel dessein nous avons institué ces exercices, et pourquoi nous obligeons les jeunes gens à soumettre de bonne heure leur corps à la fatigue. Ce n’est pas uniquement dans la vue des jeux publics […] persuadés que de pareils habitants feront fleurir la cité pendant la paix, la préserveront des ravages de la guerre, et lui conserveront son bonheur et sa liberté. » Et encore : « Cet exercice ne leur est point inutile, puisqu’il leur fait acquérir la première et la plus précieuse des qualités : celle d’un corps endurci à la fatigue, et presque insensible à la douleur […] à la guerre, s’ils se trouvent dans la nécessité de faire usage de cette science, ils s’en serviront avec plus d’adresse. […] Si nous cherchons à nous procurer ces avantages, Anacharsis, c’est pour le combat qui se passe les armes à la main. Nous pensons que ces soldats formés par ces exercices serviront plus utilement la patrie ; et lorsque nous aurons soumis leurs corps nus à la fatigue, que nous les aurons endurcis aux travaux, ils deviendront plus robustes, plus vigoureux, plus agiles, plus capables d’une forte tension, et par cela même plus redoutables à leurs adversaires. »

L’encadrement des athlètes

5Si le sport est pratiqué d’un bout à l’autre du monde grec, les athlètes qui se présentent à Olympie ont quant à eux un très haut niveau. Cette qualité supérieure, ils la doivent certes à leur valeur physique et mentale, mais aussi à la compétence de ceux qui les encadrent. Les gymnases – qu’ils soient publics ou privés – ne sont pas seulement une infrastructure architecturale, un lieu, mais aussi une cellule sociale où des hommes sont au service des athlètes. Entre le gymnasiarque, directeur de l’établissement chargé en particulier de l’approvisionnement en huile – le poste, honorifique et coûteux, est souvent détenu par un notable – et la foule des employés subalternes, les fonctions importantes sont celles de gymnastes, paidotribes et aleiptes.

6Les deux premiers ont été pendant longtemps confondus, le mot le plus ancien étant toutefois celui de paidotribe. Comme son nom l’indique, ce personnage s’occupe surtout des enfants et des adolescents. Cet entraîneur, généralement un ancien athlète, est avant tout un technicien, mais il peut avoir une certaine formation intellectuelle : on en voit qui sont sophistes ou spécialistes de diététique.

7Le mot et la fonction de gymnaste se multiplient à partir du iv^e siècle av. J.-C, et cela est à mettre en rapport avec le développement de l’athlétisme et la spécialisation des athlètes. Même s’il est souvent un ancien athlète, le gymnaste est un « intellectuel » à côté du paidotribe. Il possède de solides connaissances médicales et un sens aigu de la physionomie qui lui permet de déceler, au premier regard, les qualités d’un individu. L’autorité du gymnaste sur les athlètes est grande, parfois tyrannique. Il intervient par exemple dans leur régime alimentaire, les sanctionnant sévèrement en cas d’incartade. Son impact moral est immense : plus qu’un entraîneur il est un véritable maître de conduite, stimulant le mental lors de l’épreuve, s’immisçant dans la vie privée de ses élèves, dont il étudie même l’hérédité. Philostrate nous rapporte quelques anecdotes savoureuses sur ce point, comme celle du gymnaste de Promachos qui, s’étant aperçu que son disciple était amoureux, lui promit les faveurs de sa maîtresse en cas de victoire1. La plus significative, comme illustration de l’autorité absolue de ces maîtres, est celle où l’un d’eux écrivit à la mère du pancratiaste Mandrogénès : « Si vous apprenez que votre fils est mort, croyez-le ; mais si on vous dit qu’il est vaincu, ne le croyez pas. » Philostrate ajoute : « Plein de respect pour cette lettre, Mandrogénès dit qu’il montrerait un courage à toute épreuve, afin que le gymnaste ne reçût pas de démenti… » Le gymnaste est socialement supérieur au paidotribe dont il supervise l’enseignement pratique. Ce dernier est, de plus en plus, un spécialiste, instructeur pour la course, le pentathlon ou les sports de combat. Quant au gymnaste, il arrive qu’il dirige purement et simplement un établissement athlétique auquel il donne alors son nom. Quoi qu’il en soit, les deux catégories – difficiles à distinguer l’une de l’autre sur les représentations figurées, avec leur long manteau pourpre et leur bâton fourchu – sont très honorées par les athlètes vainqueurs. À Olympie comme ailleurs des statues leur sont élevées, et elles sont également mentionnées sur les socles de celles que l’on élève pour les athlètes ou dans les odes à leur gloire.

8Dans la vie athlétique, au gymnase comme le jour de l’épreuve, un autre personnage – l’aleipte – joue un rôle non négligeable, dont l’importance ne fera que croître tout au long de l’Antiquité, avec les progrès de la médecine. Il est responsable des massages et des onctions. D’un bon aleipte dépend la qualité d’une prestation athlétique sans les claquages ou les crampes qui peuvent en être le lot.

9Le massage n’est pas le même avant ou après l’effort. C’est une science très élaborée. Les prescriptions tardives d’un Galien reflètent certainement une connaissance ancienne. L’important est de faire affluer le sang dans les muscles, graduellement, toujours dans le sens de la circulation vers le cœur. Les frictions doivent être plus énergiques avant l’entraînement, légères après, où l’on recherche la détente des fibres. L’onction d’huile et de « sable » est un des éléments fondamentaux de cette préparation. L’huile est tantôt fournie par le gymnase, tantôt apportée par l’athlète dans un récipient de terre cuite, de verre ou de métal (bronze le plus souvent), que l’on appelle alabastron. Sa fonction est d’assouplir les muscles bien plus que d’augmenter la difficulté des prises –comme on le répète trop souvent. Ensuite, sur le corps luisant et humide, on répand une poussière boueuse – qui justement permet, alors, les prises – et dont le but est de protéger la peau contre les atteintes du soleil ou du froid, en évitant une trop grande transpiration. Tout sportif sait que la déshydratation est un danger ; sous le soleil méditerranéen, elle peut arriver d’autant plus vite que les athlètes s’entraînent surtout en extérieur. Il existe un grand choix de poussières, adaptées aux besoins, celle des « poteries » ouvrant les pores, la « bitumeuse » réchauffant les parties refroidies, la jaune rendant « les athlètes brillants et agréables à voir2 ».

Gymnase et palestre

10Les lieux où les athlètes s’entraînent n’ont pendant longtemps été que des surfaces fournissant une « carrière » (espace permettant l’exercice), un ombrage (arbres nombreux) et un point d’eau (ruisseau ou source permettant le bain). A partir de l’époque classique et surtout hellénistique, une véritable infrastructure se met en place. Gymnases et palestres, qu’ils dépendent de la cité ou d’un particulier, sont désormais des bâtiments bien organisés, que l’on retrouve partout dans le monde grec. Leur développement semble lié aussi bien à celui d’une certaine démocratisation du sport qu’à sa professionnalisation croissante.

11À Olympie, la palestre1 a peut-être été bâtie aux frais d’un roi hellénistique, au iii^e siècle av. J.-C. Exclusivement réservés à l’entraînement des athlètes de haut niveau venant concourir aux Jeux de Zeus, les deux édifices sont situés à l’ouest du mur d’enceinte de l’Altis, entre celui-ci et le Kladéos. Ce torrent capricieux a d’ailleurs irrémédiablement détruit la partie occidentale du gymnase2, édifié au ii^e siècle av. J.-C. Dans ce grand bâtiment rectangulaire, autour d’une vaste cour propice aux lancers du disque et du javelot, s’ordonnaient les « chambres des athlètes3 » – non retrouvées –, et des portiques. Il faut mentionner tout spécialement le xystos, piste de course couverte située à l’est du dispositif, longée par la paradromis qui elle, est à ciel ouvert. Ce xystos est à Olympie une double piste avec colonnade intermédiaire, ayant exactement la même longueur que celle du stade (192,28 mètres), avec un semblable dispositif de lignes de départ et d’arrivée. On pouvait s’y entraîner à la course lorsqu’il faisait mauvais temps ou que le soleil était trop ardent. Au milieu du ii^e siècle, on dota le gymnase d’une majestueuse entrée monumentale, à l’angle sud-est, édifice doublement prostyle à colonnes corinthiennes, dont l’entablement est orné de têtes de taureaux.

12Jouxtant le mur sud du gymnase, la palestre est, selon le schéma le plus répandu, de plan carré. A l’origine, on y accédait par deux entrées situées au sud, mais ensuite par un propylée à l’ouest. Autour de l’espace central où s’entraînent les sauteurs et les athlètes « lourds » – rappelons que la lutte, palè, a donné son nom à la palestre – fut élevée une vaste colonnade dont 32 des 72 colonnes ont été remontées. Elle donne accès à un ensemble de salles bien caractéristiques d’un tel complexe : les vestiaires – où l’on peut laisser ses affaires sans danger, la loi punissant durement les éventuels voleurs ; l’élaiothésion où l’on pratique l’onction d’huile ; la salle réservée au saupoudrage ; le korykéion où pugilistes et pancratiastes peuvent s’exercer en frappant dans un sac de cuir (korykos) bourré de sable ; la salle de bain (loutrôn) où, après l’entraînement et le raclage de la peau avec le strigile, on se livre à des ablutions rafraîchissantes, etc. Soulignons la présence de salles de détente et de salles de conférences, qui donnent à la palestre une dimension hédonique et intellectuelle. Est-il besoin de rappeler que ces endroits étaient aussi des lieux de rencontres (souvent amoureuses), d’échanges d’idées, et que philosophes, poètes, artistes et médecins y prodiguaient leur art et leur savoir ?

L’entraînement des athlètes

13Les disciplines athlétiques devant être analysées ultérieurement, envisageons ici les méthodes et le déroulement de l’entraînement. Les citoyens ordinaires s’exercent généralement une demi-journée au gymnase, mais les athlètes de haut niveau ou les professionnels y passent le plus clair de leur temps. C’est le cas bien sûr à Olympie, où ils sont même logés sur place durant le mois qui précède les Jeux. Après une bonne séance de massage, l’onction d’huile et le saupoudrage, l’entraînement commence. Dans un premier temps, il consiste en exercices d’assouplissement et d’échauffement musculaire, accompagnés fréquemment de jeux de balle ou de mouvements de force. Les peintures sur vases montrent parfois les athlètes soulevant une grosse pierre ou un sac très lourd, ce type d’effort faisant travailler tous les muscles.

14Ensuite intervient l’entraînement spécifique. À Olympie, si par exemple un pancratiaste peut occasionnellement courir à l’entraînement ou dans une épreuve, il est évident que l’on s’entraîne presque exclusivement dans sa discipline. Les séances sont très dures, gymnastes et paidotribes cherchant à concilier deux méthodes de base : l’encouragement à se surpasser constamment (mental) et l’amélioration du style (technique) ; ce dernier aspect n’étant pas seulement lié à l’efficacité mais tout autant au souci de la beauté. Cette volonté d’harmonie apparaît dans la présence d’aulètes accompagnant certains exercices, comme le saut. Certes, le rythme saccadé de l’aulos (« flûte » double) aide les athlètes dans leurs mouvements, mais surtout ceux-ci revêtent un caractère esthétique qui était apprécié par les Grecs.

15Les gymnastes décèlent dès le plus jeune âge les qualités d’un individu et l’orientent vers telle ou telle discipline, avec un régime diététique adapté : nourriture plus riche pour les sportifs de combat que pour les coureurs ou les pentathlètes qui, bien que vigoureux, doivent être plus sveltes. Les maîtres discernent aussi le tempérament de leurs élèves qu’ils classent en catégories : lymphatiques, sanguins, colériques, etc. Ils sont capables d’observer leurs progrès et leurs faiblesses, de même que de diagnostiquer les blessures – fréquentes – et parfois d’y remédier. La rudesse de l’entraînement est d’ailleurs adaptée à l’âge, les jeunes garçons courant par exemple la moitié de la distance du stade, ou utilisant des disques et des haltères faisant la moitié du poids de ceux des adultes. À l’époque romaine se répandra une méthode d’entraînement particulière, la tétrade, consistant en un cycle périodique rigoureux de quatre jours, où varie le degré d’intensité des exercices : premier jour, échauffement ; deuxième, maximum de possibilités ; troisième, effort un peu moindre ; quatrième, niveau modéré. Ce système a certainement été efficace – il rappelle l’entraînement alternatif préconisé de nos jours pour le marathon : résistance douce, résistance dure, endurance. Néanmoins, son caractère contraignant dans la régularité lui valut une forte opposition. Philostrate notamment le dénonce, considérant que l’entraîneur doit pouvoir moduler selon l’état de son élève, les conditions atmosphériques, etc.4 C’est le cas à Olympie, où les athlètes sont d’une telle qualité qu’ils n’ont plus besoin de ce dressage, et où ils doivent en revanche être à l’écoute de leur corps, à quelques jours de l’épreuve. Il n’empêche que leur entraînement est redoutable, comme l’évoque Épictète : « Tu veux vaincre à Olympie ? Moi aussi par les dieux ! Mais réfléchis à l’entraînement préalable et à ses suites. Tu devras te plier à une discipline sévère, manger d’après les ordonnances, renoncer aux pâtisseries. Tu devras t’entraîner au commandement et à l’heure prescrite, qu’il fasse chaud ou froid. Tu ne devras boire ni eau froide ni vin quand tu en auras envie. Bref, il te faudra te livrer à ton maître comme à un médecin. » Et le stoïcien d’évoquer ensuite la rudesse des exercices. Après ceux-ci vient le moment de détente. L’on se racle le corps avec le strigile, enlevant le mélange d’huile, de terre, de sueur et parfois de sang qui le recouvre. Au bain, l’on se nettoie avec de la soude, utilisant les grosses éponges qui font partie du paquetage de tout athlète. Après quoi l’aleipte pratique un massage léger et une nouvelle onction qui relaxe les muscles. Désormais l’on peut flâner sous les portiques, y converser avec des amis, y entendre des conférences dont le sujet porte aussi bien sur la philosophie que sur l’athlétisme ou la diététique.

16Si, jusqu’à la professionnalisation croissante de l’athlétisme, la plupart des athlètes concourant à Olympie sont issus de la classe aisée, à même de subvenir aux frais de l’entraînement de haut niveau, cette appartenance sociale est encore plus accentuée pour les courses hippiques. Les dépenses sont ici considérables, et seuls des princes ou des gens très fortunés peuvent supporter le coût de l’élevage des chevaux et de l’entretien d’une écurie de course. Il arrive parfois qu’une association, ou une cité, prenne en charge les frais d’un quadrige ou de chevaux « communaux », et leur transport jusqu’en Élide. Notons que dans ces disciplines, si le cavalier ou le cocher sont honorés – l’aurige de Delphes en est l’exemple le plus célèbre – c’est surtout le commanditaire, particulier ou collectif, qui est auréolé de la gloire d’une victoire, toujours prononcée en son nom.

Une trêve sacrée

17L’une des principales caractéristiques des Jeux d’Olympie est l’ékécheiria, trêve inviolable qui régnait pendant les périodes prévues pour l’arrivée et le retour des participants, et qui incluait le déroulement de la manifestation. L’institution de cette trêve sacrée remonte aux premiers jeux historiques, en 776 av. J.-C. Dès l’origine, des hérauts (spondophoroi) sont chargés de la proclamation de la solennité. Depuis le vii^e siècle, ils sont au nombre de trois, choisis dans l’aristocratie éléenne. Véritables ambassadeurs, ils parcourent le monde hellénique accompagnés d’une suite nombreuse, annonçant la date officielle des Jeux. Emissaires de règles inviolables, ils sont partout reçus par des hôtes que l’administration d’Olympie a nommés jusque dans les contrées les plus lointaines, les théorodochoi.

18La trêve proclamée par les spondophores – que l’on appelle aussi théoroi – entraîne la suspension des hostilités dans toutes les cités grecques participant aux Jeux, pendant le temps de la hiéroménie. Hieromenia est un mot qui désigne non seulement la fête religieuse, mais aussi la période pendant laquelle on la prépare et les quelques jours qui la suivent. Durant ce laps de temps, la région d’Olympie est décrétée inviolable, aucune armée ne devant y pénétrer. Lorsque cette clause ne fut pas respectée, les Éléens rayèrent de la liste des olympiades les Jeux s’étant déroulés en situation de guerre (par exemple la 8^e et la 34^e), les coupables étant frappés d’une véritable « excommunication ». De lourdes amendes et toutes sortes de malédictions punissaient en outre les coupables de violence envers les concurrents ou les pèlerins se rendant à Olympie. Dans l’ensemble, la trêve sacrée eut toujours une grande autorité, les plus belliqueux et les plus puissants étant moralement obligés de s’y soumettre.

Les Hellanodices

19La présidence et l’organisation des jeux Panhelléniques sont confiées à des magistrats très importants, les agonothètes. À Olympie, on les nomme hellanodikai, c’est-à-dire « juges des Grecs », ce nom même étant une allusion au caractère exclusivement grec de tout concurrent – du moins jusqu’à l’époque hellénistique. Leur autorité est immense et, s’ils sont justiciables de leurs actes devant l’assemblée olympique (sorte de conseil chargé du contrôle de la stricte observance des rites et règlements), ils garderont toujours, et jusque sous la domination romaine, des attributions rappelant la quasi-souveraineté dont ils étaient investis à l’origine. Vêtus de pourpre dans les cérémonies, ils interviennent dans les sacrifices, procèdent à des purifications, prononcent des sentences de justice et reçoivent les serments. Élus pour la durée d’une olympiade – sauf l’hellanodice héréditaire, descendant d’Oxylos, qui lui est installé à vie – ils sont, à partir du milieu du iv^e siècle où Élis l’emporte définitivement sur Pise pour le contrôle des Jeux, choisis dans l’aristocratie éléenne. Leur nombre a varié jusqu’en 348 av. J.-C, date à partir de laquelle ils seront toujours dix. Le président du collège fait fonction d’athlotète, distribuant les prix aux vainqueurs. Les neuf autres Hellanodices se répartissent en trois commissions de trois membres, chargées respectivement d’organiser et de surveiller les épreuves hippiques, le pentathlon et les autres disciplines.

20Les Hellanodices, étant élus dix mois avant l’ouverture des Jeux, séjournent pendant toute cette période à Élis, dans un bâtiment spécialement conçu pour les recevoir, l’Hellanodikaion. Ils y prennent connaissance, sous la direction des conservateurs des règlements (nomophylaques), des devoirs de leur charge et des lois des Jeux Olympiques. L’essentiel de celles-ci – qui connaîtront des aménagements au fil des siècles – se trouve résumé sur le fameux disque d’Iphitos, au temple d’Héra3, à Olympie. Pausanias nous informe que les lignes du texte n’y sont pas horizontales mais en cercle, épousant la forme du disque. Outre les modalités de la trêve, les principales règles sont les suivantes :

• pour concourir aux Jeux, il faut être libre et Grec ; les esclaves et les Barbares (autrement dit tous les non-Grecs) sont donc exclus des compétitions, mais peuvent y assister en tant que spectateurs ;
• sont également exclus les repris de justice, les homicides, les sacrilèges, les citoyens qui n’ont pas acquitté une amende ;
• il est strictement interdit – sous peine de mort – aux femmes mariées d’assister aux Jeux, mais les jeunes filles le peuvent.
• les concurrents doivent obligatoirement se faire inscrire sur une liste spéciale (leukoma), dans les délais légaux, les retardataires étant d’office exclus ;
• ils doivent avoir accompli un stage préalable au gymnase d’Élis (pour y subir l’examen des juges) et avoir prêté le serment rituel de respect du règlement : défense absolue de tuer son adversaire, même accidentellement ; de tricher ; de recourir à l’intimidation, à la corruption (de l’adversaire ou des juges) ; de manifester son désaccord avec les arbitres ;
• les entraîneurs – nus, de façon à éviter qu’une femme travestie ne se glisse parmi eux –, sont préalablement regroupés dans une enceinte spéciale près du stade.
• les Hellanodices sont exclus de toute participation au concours.

21La journée des hellanodikai est bien remplie, surtout dans le mois qui précède les Jeux. A Élis, ils sont logés près du gymnase et dès avant le jour ils s’y rendent pour observer et surveiller l’entraînement des athlètes. Familiers des diverses disciplines, ils s’occupent essentiellement de classer les compétiteurs, en particulier selon leur âge. La tâche est parfois difficile, car il n’y a pas d’acte officiel pour fixer une date de naissance. Il arrive que des candidats d’âge éphébique tentent de se faire enregistrer dans une catégorie où ils jugent leurs chances de succès plus grandes. Il faut donc procéder à des enquêtes et à un rigoureux examen des capacités physiques. L’après-midi, les agonothètes sont à l’agora, proche du gymnase. Là, ils assistent à l’entraînement des chevaux sur des pistes aménagées entre les portiques.

22Au terme de cette période préparatoire, durant laquelle juges et compétiteurs ont eu le temps de bien se connaître, tous quittent Élis en direction d’Olympie. On emprunte la voie sacrée qui longe le littoral, et non le chemin le plus court par les montagnes. Le voyage, solennel, dure deux jours, ponctué par une halte incontournable : à la source Piera, sur l’ancienne frontière entre Élis et Pise (ou Pisa), ont lieu les cérémonies de purification, obligatoires pour quiconque exerce une fonction dans l’Altis. Elles consistent dans le sacrifice d’un porc, suivi de lustrations avec le sang de la victime et l’eau de la source. Ce n’est que le lendemain que le cortège fait son entrée à Olympie.

23Où les Hellanodices sont-ils logés à Olympie ? Il est difficile de le dire avec certitude car il y a plusieurs possibilités, les opinions des spécialistes étant divergentes. Selon Laloux et Monceaux, ce serait au Léonidaion4, hôtellerie bâtie au milieu du iv^e siècle, au sud-ouest de l’Altis, par l’architecte Léonidas de Naxos. Mais cet édifice fut avant tout destiné aux hôtes de marque avant de servir de résidence aux dignitaires romains. C’est un vaste bâtiment quadrangulaire entouré extérieurement d’une colonnade ionique, tandis que l’intérieur abrite des pièces ouvrant sur une cour dont les colonnes sont, cette fois, doriques.

24Selon d’autres sources, le logement des juges serait la proedria dont parle Pausanias, probablement située au sud de l’Altis. Une autre tradition indique que les Hellanodices auraient disposé de deux bâtiments, l’un pour leur résidence, l’autre pour les archives et le trésor, le premier situé au sud-est aurait été occupé jusqu’au règne de Néron, époque à partir de laquelle ils se seraient installés au Théokoléon5. Les archives et le trésor auraient, quant à eux, occupé une partie du Bouleutérion6.

25Cet édifice, siège du Conseil olympique, fut construit dans la deuxième moitié du vi^e siècle, au sud de l’Altis. Au v^e siècle, on le doubla d’une structure similaire – de plan rectangulaire se terminant à l’ouest par une abside – ces deux « ailes » encadrant un bâtiment carré autour de l’autel consacré à Zeus Horkios (« des serments »). Les trois édifices contigus seront dotés, vers le iv siècle, d’un portique ionique constituant leur façade commune à l’est.

26C’est là que se rendent, dès leur arrivée à Olympie, les Hellanodices et les délégations athlétiques, pour y accomplir un rite capital : après le sacrifice d’un porc, les juges reçoivent devant l’effigie de Zeus Horkios le serment par lequel les concurrents, leurs entraîneurs et leurs parents s’engagent à respecter le règlement olympique. À leur tour, les Hellanodices jurent de juger les épreuves en toute équité et d’être incorruptibles.

27Pendant le temps qui précède l’ouverture des jeux, les Hellanodices ont encore de nombreuses tâches à accomplir. La surveillance des exercices des athlètes et des chevaux se fait plus étroite, et la liste des concurrents est définitivement dressée. C’est aussi le moment où l’on accorde les autorisations de parler en public à ceux qui souhaitent lire leurs œuvres, ou énoncer leurs idées philosophiques, à l’occasion du grand rassemblement panhellénique. Enfin, les Jeux n’ayant lieu que tous les quatre ans, il est nécessaire de faire effectuer des travaux de remise en état dans les lieux d’entraînement, ainsi qu’au stade7 et à l’hippodrome8.

Application du règlement et sécurité

28Certes, dans l’organisation de la célébration quinquennale, les Hellanodices sont secondés par un personnel nombreux, civil et religieux. Les fonctionnaires du culte sont en premier lieu les devins puis les grands prêtres, assistés de sacrificateurs, de greffiers, de joueurs de flûte, de danseurs, et d’employés subalternes aux fonctions plus laïques (échanson, médecin, architecte, cuisiniers, porte-clefs…). Pour le contrôle des rites et règlements, les juges sont aidés par les bouleutes membres du Conseil olympique ; l’exécution des consignes et le maintien de l’ordre sont assurés par une véritable police des Jeux, les alytes, qui n’étaient qu’une vingtaine. Ces derniers, appelés aussi mastigophores car ils portent des fouets, sont en effet des agents mis à la disposition des Hellanodices. Ils sont commandés par une sorte de préfet de police, l’alytarque. Ce haut magistrat et cette milice ont un certain nombre d’attributions : ils sont chargés de placer les spectateurs et de leur faire respecter les barrières, à coups de fouet si nécessaire ; l’alytarque est responsable du tirage au sort des concurrents et veille à ce qu’aucune compromission ne puisse s’établir ; dans l’application du règlement des concours – dont ils sont les gardiens rigides – les alytes ont aussi pour mission de vérifier qu’aucune femme mariée ne se trouve dans le sanctuaire. Cette infraction est punie de mort, la seule femme ayant le droit d’assister aux Jeux étant la prêtresse de Déméter Chamyné. Cette vénérable matrone siège sur un autel bordant le stade au nord, en face de la tribune des juges. Elle est généralement issue d’une bonne famille locale, et les Éléens l’élisent pour quatre ans. Les jeunes filles ne semblent pas exclues des Jeux6 et ne risquent pas, comme les épouses surprises « en deçà de l’Alphée », d’être précipitées du haut d’un rocher du mont Typaion.

29Toutefois, malgré la dureté de cette loi, il est arrivé qu’elle ne soit pas appliquée. Ce fut le cas pour Kallipateira, une vigoureuse Rhodienne qui s’était travestie en paidotribe pour venir encourager son fils au pugilat. Reconnue, on l’épargna car elle était fille, sœur et mère de vainqueurs olympiques. Mais c’est la raison pour laquelle, désormais, les entraîneurs durent assister nus aux concours.

30On conçoit aisément la difficulté de la tâche des alytes en présence des foules innombrables rassemblées dans l’Altis, foules qui, au stade ou à l’hippodrome, sont facilement surexcitées par l’enthousiasme ou la déception. Néanmoins, aucune manifestation n’est tolérée contre les arrêts des Hellanodices. Ceux-ci peuvent en effet exercer une juridiction disciplinaire. C’est le cas lorsqu’un adversaire se comporte de façon déloyale, ou avec haine : par exemple au pugilat ou au pancrace – sports particulièrement violents – si l’un des deux adversaires est tué, c’est lui qui est couronné, son « vainqueur » étant condamné. Les sanctions s’exercent aussi à rencontre des actes de corruption. La violation du règlement, dans ce domaine, peut entraîner, outre la disqualification honteuse, des amendes considérables, et le fouet pour ceux qui tenteraient de soudoyer les juges. Lorsqu’un concurrent ou ses parents ont obtenu à prix d’argent une victoire facile sur leurs adversaires, ces derniers sont aussi condamnés. Et si les fautifs se refusent à payer, leur cité, rendue solidairement responsable, est exclue des Jeux jusqu’au paiement de l’amende. Au iv^e siècle, Athènes protesta contre la condamnation d’un de ses athlètes, Kalippos, qui avait corrompu ses concurrents au pentathlon ; les Éléens furent intraitables, et les Athéniens, s’entêtant, se virent interdire l’accès aux concours d’Olympie. Finalement, ayant consulté l’oracle de Delphes, ils durent se soumettre. Le prix des amendes est élevé : au v^e siècle, les Hellanodices ayant jugé que Théagènes, bien que vainqueur contre Euthymos au pugilat, avait voulu l’humilier, le condamnent à payer la forte somme de deux talents, l’un à Zeus, l’autre à l’offensé. La corruption coûte encore plus cher. Le produit des amendes, à partir du iv^e siècle – jusque-là on ignore s’il y avait des fraudes, ou si elles étaient sanctionnées de cette manière – sert à faire exécuter des statues de Zeus en bronze. Ces sculptures, appelées Zanes, sont alignées le long de la voie que les athlètes empruntent pour se rendre au stade. On peut en voir encore les bases sous la terrasse des Trésors. Sur ces piédestaux sont gravés les noms des fautifs et les circonstances de leur condamnation, sévère avertissement pour ceux qui voudraient suivre leur exemple. On y loue aussi l’équité des juges et l’on y rappelle que « ce n’est pas à prix d’argent, mais par la légèreté des pieds et la vigueur du corps que l’on doit mériter la victoire à Olympie7 ».

31Soulignons que les condamnations pour fraude ou attitude déloyale furent rares. Pausanias, au ii^e siècle, ne recense qu’une demi-douzaine de cas en neuf cents ans de compétitions ! Certaines ont pu échapper à sa mémoire ou à la sévérité des arbitres, mais, en tout état de cause, le sport antique a fourni moins de tricheurs en douze siècles que notre époque en quelques décennies…

32Si les concurrents faisaient preuve d’un meilleur esprit sportif – et ce même avec la « professionnalisation » croissante –, les juges étaient aussi renommés pour leur sévérité et leur impartialité. Leur intégrité est si proverbiale que, jusqu’à la 102^e olympiade (372), ils peuvent eux-mêmes participer aux compétitions, notamment comme propriétaires de chevaux ou d’attelages. Mais à la suite d’une double victoire de l’un d’eux aux courses hippiques, une loi les exclut de tout concours. Il faudra attendre le règne de Néron pour voir des Hellanodices corrompus par l’empereur, qu’ils couronnent à l’hippodrome malgré sa chute. Encore durent-ils, plus tard, restituer la somme indûment perçue.

33Après les Jeux, les hellanodikai peuvent être jugés dignes d’une statue consacrée à Zeus Olympien, tout comme certains alytarques particulièrement efficaces. Parfois, c’est leur famille qui tient à perpétuer la gloire d’un des siens ; parfois c’est une cité, soucieuse de témoigner sa reconnaissance à un juge impartial, qui prend à ses frais la réalisation de l’œuvre.

34Certes le prestige de ces magistrats est grand, de même que le respect qu’ils inspirent : pendant quelques jours ils font obéir à leurs lois tous les Grecs présents dans la vallée de l’Alphée. Leur autorité et leur compétence sont telles que l’institution des Hellanodices se retrouve ailleurs, imitée semble-t-il de celle d’Olympie. C’est le cas par exemple à Argos, où une inscription mentionne douze hellanodikai présidant probablement les jeux Néméens ; on en voit également à l’époque impériale, dans des villes comme Antioche qui organisent des Jeux sur le modèle d’Olympie.

35Nous analyserons plus loin en détail les disciplines du stade et de l’hippodrome. Pour l’heure, après avoir présenté la préparation et l’organisation de la manifestation, il nous reste à évoquer son déroulement.

Le calendrier et le programme des Jeux

36Tout d’abord rappelons que ces jeux d’Olympie sont les plus anciens des quatre grands jeux Panhelléniques. Selon la tradition historique (parfois contestée dès l’Antiquité), ils ont été fondés en 776. En fait, cette date à laquelle sont remontés les historiens antiques n’est, probablement, que celle du plus ancien document d’archives connu alors ; à moins que ce ne soit la date où, pour la première fois, l’on a enregistré le nom du vainqueur à la course, qui donna son nom à la « première » olympiade, ainsi recensée bien que d’autres l’aient peut-être précédée. Quoi qu’il en soit les Jeux Olympiques sont organisés environ deux siècles avant les trois autres : Delphes (Jeux Pythiques, dédiés à Apollon) en 586 ; Jeux Isthmiques (célébrés près de Corinthe) et Néméens (Némée se situe non loin d’Argos), respectivement fondés en 582 et 573, consacrés à Poséidon et à Zeus. Si dans les Jeux Pythiques, la part accordée aux concours lyriques est plus importante qu’ailleurs, le programme et l’organisation de ces trois grands concours, ouverts à tous les Grecs, sont directement inspirés par ceux d’Olympie.

37Ces derniers constituent une fête pentaétérique, c’est-à-dire qu’ils se déroulent tous les quatre ans ou plus exactement, comme le calculent les Anciens, « chaque cinquième année ». Les fluctuations et les incertitudes des divers calendriers antiques ne permettent pas de fixer la date du festival avec précision. Ce qui est sûr c’est qu’elle se situe entre la fin du mois de juillet et le début de septembre, en pleine canicule donc, et l’on imagine ce que devaient endurer athlètes et spectateurs, exposés pendant des heures au soleil du Péloponnèse…

38Même dans les premiers temps où le festival n’a qu’une notoriété régionale, il s’échelonne sur plusieurs jours ; à plus forte raison lorsqu’il devient panhellénique : sa durée est alors de sept jours, dont cinq consacrés aux épreuves.

39Le programme varie selon les époques. Il s’enrichit au fil des siècles, et s’il nous paraît improbable de croire, comme tant d’auteurs, qu’à l’origine la seule épreuve était la course du stade, on ne peut nier l’apparition tardive (parfois éphémère) de certaines disciplines. Ajoutons que les Hellanodices ont le pouvoir de changer l’ordre des épreuves selon les circonstances, ce qui prouve que le règlement, pourtant très strict, a dans ce domaine une certaine souplesse. On le voit par exemple à la 142^e olympiade (212 av. J.-C), lorsque les juges décident que le pancrace précédera exceptionnellement le pugilat, pour permettre à un athlète se présentant aux deux épreuves d’affronter la seconde en « bonne forme », le pancrace étant moins redoutable.

40Les auteurs antiques divergent en ce qui concerne le calendrier des épreuves. Celles évoquées de façon mythique par Pindare dans sa deuxième olympique sont au nombre de six et constituent très probablement le programme originaire : course du stade, lutte, pugilat, course de quadriges, lancers du disque et du javelot. Au v^e siècle, la liste s’est allongée, avec la course double et la course longue, le pancrace, le pentathlon, les épreuves d’adolescents, la course en armes, etc. Certaines disciplines, notamment de l’hippodrome, ne dureront que quelques olympiades. C’est le cas, par exemple, de la course de chars attelés de mules (de 500 à 444) et de la course au trot (de 496 à 444).

41Essayons maintenant de retracer le programme type d’une olympiade, de l’ouverture à la clôture des Jeux. Nous ne le répéterons jamais assez, l’élément religieux occupe une large place : tout au long de la semaine, sacrifices et processions, vœux et consultations d’oracles alterneront avec les épreuves proprement dites, occupant même exclusivement le premier et le septième jours.

42La fête commence le « dixième jour de la lune ». Après les serments et le classement définitif des concurrents ont lieu des sacrifices au grand autel de Zeus, aux six autels doubles dont la fondation est attribuée à Héraclès, ainsi que les libations sanglantes au tombeau de Pélops. C’est également au cours de cette première journée, prélude aux agonismata, que se situe le concours des hérauts et des sonneurs de trompette, les candidats se présentant sur un autel placé près de l’entrée du stade9. Rien de musical, d’ailleurs, dans cet affrontement où seule la force des poumons entre en jeu. Les vainqueurs auront en effet l’honneur d’annoncer épreuves et athlètes les jours suivants, dans une enceinte surpeuplée et à ciel ouvert. Il est donc nécessaire qu’ils aient du souffle et un timbre puissant.

43Les Jeux proprement dits occupent les cinq jours suivants. Après une entrée solennelle des juges et des athlètes dans le stade, les trompettes retentissent et le silence se fait. Un héraut s’avance et crie : « Que les coureurs se présentent ! » Le nom de chaque candidat est proclamé très haut, car on invoque le témoignage de la foule : si l’un d’eux est indigne de concourir, quelqu’un peut encore le révéler en cet instant suprême. Les juges adressent ensuite quelques mots d’encouragement puis, après le tirage au sort, chacun prend sa place. La trompette retentit et la lutte commence, sous les hurlements de la foule déchaînée.

44L’ordre des compétitions a souvent été bouleversé, nous l’avons vu. Généralement, le premier jour est consacré à l’épreuve reine, la course à pied des hommes (parfois, comme au i^er siècle, ce sont les adolescents qui se produisent en premier, à la course, à la lutte et au pugilat). Le deuxième jour ont lieu, le matin, les courses équestres (chars et chevaux montés) ; l’après-midi, le pentathlon (combiné de saut, lancers du disque et du javelot, course simple et lutte). Au v^e siècle av. J.-C, c’est le troisième jour que combattent les concurrents adultes de la lutte, du pugilat et du pancrace, alors qu’au i^er siècle apr. J.-C. s’affrontent les coureurs à pied. Le quatrième jour, après l’hécatombe (sacrifice à Zeus de cent bœufs), prennent place les épreuves d’adolescents – course, lutte et pugilat. Enfin le cinquième jour ont lieu d’autres épreuves hippiques (au v^e siècle notamment) ou les sports de combat des adultes.

45Malgré les variations de programme, la course en armes clôt généralement les agonismata. Philostrate considère qu’elle a un caractère symbolique, marquant la fin des Jeux et de la paix : « […] le bouclier signifie que la trêve est finie et qu’il faut prendre les armes. Si vous écoutez avec attention le héraut, vous reconnaîtrez que, toujours, il proclame que les Jeux où l’on distribue les prix ont cessé, et que la trompette annonce les travaux d’Arès en appelant les hommes aux armes. »

46Durant tous ces jours, les juges et leurs assistants sont surchargés de travail. Outre les obligations liées aux cérémonies religieuses et à l’arbitrage des épreuves – gestes déloyaux ou comportement révélant la corruption sont scrupuleusement notés et sanctionnés – ils doivent aussi apparier les concurrents. En effet les concours, dans chaque discipline, sont une succession d’épreuves éliminatoires basées sur le tirage au sort – comme de nos jours – les vainqueurs de ces séries partielles se trouvant réunis pour l’épreuve finale, d’où sortira le vainqueur.

47On ne cherche jamais à « faire un temps », ou à établir un record. Dans la mentalité grecque, ce qui compte c’est d’être le meilleur ; d’où le culte voué à des abstractions personnifiées dont les statues sont nombreuses à Olympie : Nikè (la Victoire), sous l’aspect d’une jeune femme ailée, Agôn (l’esprit de compétition) ayant quant à lui l’apparence d’un jeune homme athlétique tenant des haltères.

48Le dernier jour du festival, alors que la veille les vainqueurs ont effectué des sacrifices d’action de grâce, a lieu la clôture des Jeux : procession solennelle, accompagnée de sacrifices et d’hymnes, suivie d’un grand banquet qui réunit au Prytanée10 les officiels et les athlètes victorieux.

Prix et récompenses

49S’il est partout honorable de triompher aux grands Jeux Panhelléniques, nulle part la gloire n’est aussi grande qu’à Olympie. Là, le vainqueur est qualifié d’olympionike et ce titre envié lui procure une renommée éternelle. Certains vont même au-delà : ce sont les periodonikai, qui remportent la victoire aux quatre concours sacrés d’Olympie, de Delphes, de l’Isthme et de Némée (pas forcément d’ailleurs dans la même discipline) ; le sommet de la célébrité étant atteint par celui qui remporte ces quatre couronnes au cours d’une seule et même olympiade.

50Quelle est, à Olympie, la récompense du vainqueur ? D’abord et avant tout la gloire, pour lui, sa famille et sa cité, dont les noms sont proclamés par le héraut devant tous, dans le stade ou à l’hippodrome. L’émotion est si vive alors que certains ne la supportent pas, comme Ainetos, vainqueur au pentathlon au début du ii^e siècle, qui meurt de joie en cet instant, ou comme Chilon de Sparte qui à la 52^e olympiade s’écroule au moment de féliciter son fils, vainqueur au pugilat.

51Si, dans les récits mythiques comme l’Iliade ou dans ceux évoquant les origines des Jeux, les prix sont substantiels (notons que chez Homère, ils ne sont pas attribués qu’au seul vainqueur), à partir du début du vi^e siècle, s’il faut en croire Pausanias, le prix d’une victoire à Olympie consiste en une simple couronne d’olivier. Dans les trois autres Jeux Panhelléniques, il s’agit également d’une couronne de feuillage, et Hérodote rapporte le saisissement des Perses à l’idée du peuple qu’ils vont combattre, dont les champions endurent de telles souffrances, non pour des richesses, mais pour une récompense aussi médiocre8. A Olympie, les couronnes sont tressées à partir des feuillages de l’olivier sacré dont nous avons vu qu’il se situe près du temple de Zeus, entouré d’un petit mur d’enceinte. Aristote mentionne qu’il aurait eu la caractéristique d’avoir des feuilles vert pâle sur le dessus et non sur la face interne comme c’est généralement le cas. C’est un jeune garçon qui est chargé d’en couper les branches avec une faucille d’or, et il est tressé autant de couronnes qu’il y a de concours. Celles-ci sont disposées sur un trépied de bronze, puis à partir du v^e siècle sur la table d’or et d’ivoire dite « de Kolotès », placée dans le temple d’Héra11. Jusqu’à 107 av. J.-C, les vainqueurs sont couronnés devant la statue de Zeus après leur proclamation ; mais à partir de cette date, il semble que proclamation et couronnement aient lieu immédiatement après l’épreuve et sur les lieux de la victoire, où la table des couronnes est alors transportée. Les autres insignes distinctifs sont les bandelettes de laine que l’on attache autour de la tête, des bras et des jambes du vainqueur, et à une époque plus tardive une branche de palmier. Assez vite, des récompenses pécuniaires peuvent accompagner la couronne de feuillage. C’est ainsi qu’un édit de Solon prévoit l’attribution d’une somme de 500 drachmes à tout Athénien vainqueur à Olympie. Pour une victoire à Delphes, le même texte ne prévoit que 100 drachmes et cette différence en dit long sur le prestige des jeux de l’Altis.

52Proclamation et couronnement sont suivis d’une longue procession qui, au milieu des chants et des cris de joie, conduit l’olympionike au Prytanée, pour un banquet solennel rassemblant les juges et les vainqueurs accompagnés de leurs parents et amis, chacun ayant revêtu ses plus beaux habits. Il faut imaginer la splendeur du cortège où l’on entonne, selon Pindare, des cantiques à Héraclès « sous la délectable clarté de la lune au beau visage » alors que « l’enceinte sacrée tout entière résonne de la joie des festins et des chants de victoire9 ». La fête se prolonge tard dans la nuit, et elle est suivie le lendemain par des actions de grâce et des sacrifices. Après quoi, les Hellanodices n’ont plus qu’à faire graver les noms des vainqueurs sur le catalogue officiel des olympioniques, exposé en permanence au gymnase.

53Si les récompenses en argent n’ont pas toujours été de règle, les privilèges liés à une victoire olympique ne furent jamais négligeables. Ils sont d’ordre honorifique et matériel.

54Si le vainqueur, ou sa cité, en ont les moyens, une statue commémorera à jamais l’événement. Pendant longtemps, l’origine aristocratique des concurrents leur permet de subvenir aux frais de la commande. Lorsque le vainqueur appartient à un milieu plus modeste, sa cité – sur laquelle rejaillit la gloire de son triomphe – se charge de rémunérer le sculpteur. Enfin, quand la proportion de « professionnels » parmi les vainqueurs sera devenue majoritaire, les fortes sommes qu’ils percevront leur fourniront les moyens d’honorer la commande.

55L’enceinte sacrée de l’Altis est donc envahie de statues de marbre ou de bronze – ces dernières ont plus de valeur –qui se pressent les unes contre les autres au milieu des temples, des autels ou des représentations divines. Cet extraordinaire musée de sculpture en plein air a malheureusement disparu. Il n’en subsiste que quelques œuvres, mais surtout des fragments et de nombreux socles portant les noms des vainqueurs, de leur père et de leur cité, de leur entraîneur, et la dédicace au dieu pour lequel ils ont concouru. Leur souvenir en est conservé grâce à Pausanias dans une énumération vertigineuse, où il précise pourtant qu’il ne les décrira pas toutes et où il rappelle d’ailleurs qu’on n’a pas érigé des statues à tous ceux qui ont remporté la victoire à Olympie ». Malheureusement notre guide, qui brille plus par son exactitude que par ses talents d’écrivain, se borne le plus souvent à nommer le vainqueur et la discipline dans laquelle il fut couronné, agrémentant parfois ces simples mentions de détails biographiques, mais ne donnant jamais de description plastique de l’œuvre.

56Outre le droit de se faire élever une statue, l’olympionike ou sa cité peuvent commander à un poète une ode triomphale, l’épinikia, le mot désignant à l’origine les festivités en l’honneur des vainqueurs. On s’adresse généralement à un poète de renom : Simonide, Bacchylide, Euripide, ont laissé des hymnes remarquables, mais le plus fameux des auteurs d’épinicies est sans nul doute Pindare (518-438), dont la période la plus créative se situe entre 480 et 460, le v^e siècle consacrant le genre. La passion pour les compétitions du stade et de l’hippodrome est telle qu’elle inspire aisément les poètes. L’objet de ces odes est d’exalter la victoire (évoquant brièvement, s’il y a lieu, les précédentes) ainsi que la famille, l’entraîneur et la cité du vainqueur. Ainsi fait Pindare dans la XII^e Olympique dédiée au coureur Xénophon de Corinthe : « […] sur les bords de l’Alphée, son père Thessalos a fait consacrer l’éclair de ses jambes agiles. À Delphes, le même jour l’a vu couronné au stade et au double stade et, dans le même mois, le jour aux pieds rapides, dans Athènes la rocheuse, posa sur sa chevelure trois couronnes magnifiques. » L’inspiration est très aristocratique (notamment chez Pindare) développant l’idée, fréquemment reprise, de la transmission des vertus héréditaires. Il existe d’ailleurs de véritables dynasties d’athlètes, pendant longtemps issues des couches supérieures de la société, plus tard produites par le professionnalisme et la spécialisation. La glorification du vainqueur et de sa patrie recourt à des thèmes traditionnels empruntés aux mythes. Ces référents légendaires sont d’ailleurs traités d’une manière allusive et symbolique plus que narrative, à l’aide d’images poétiques que tous comprennent. En fait, c’est la partie la plus importante de l’ode, les vers concernant l’athlète et les circonstances de sa victoire étant brefs. Ce qui importe c’est d’avoir vaincu là, sous le regard des dieux que le poète n’oublie jamais d’honorer, et qu’il en demeure un souvenir, poème musical dont les métaphores perpétueront l’ivresse du triomphe d’un jour : « Je veux élever une stèle des Muses, une stèle qui chante d’une voix forte, monument de vos jambes […]. Je me réjouis quand je donne à un exploit une louange méritée, et l’athlète voit ses fatigues se calmer par l’effet des chants !10 » Les odes triomphales peuvent être chantées soit à Olympie même, notamment lors du banquet solennel au Prytanée, soit dans la cité du vainqueur à son retour.

57En effet, après le succès et ses conséquences à Olympie même, le vainqueur va pouvoir bénéficier des fruits de sa victoire dans sa cité. Qu’elle soit sa ville natale ou sa patrie d’adoption, la ville où réside l’olympionike l’accueille triomphalement. Certes le cérémonial a pu varier selon les époques et les lieux, mais toujours le vainqueur est reçu en héros car une partie de sa gloire rejaillit sur sa communauté. Richement vêtu de pourpre et d’or, souvent monté sur un char, il effectue une procession ponctuée de sacrifices, d’actions de grâce, d’accomplissements de vœux faits avant l’épreuve, au milieu du délire de ses concitoyens. Sa statue peut être élevée sur l’agora et parfois des monnaies commémorent la victoire, comme celles frappées en Sicile par des vainqueurs aux courses de chars. Les épinicies ajoutent encore une touche lyrique à l’éclat de la réception.

58Celle-ci est accompagnée d’avantages plus substantiels : exemption d’impôts ; parfois donations monétaires ; prise en charge alimentaire, le vainqueur étant nourri jusqu’à la fin de ses jours aux frais de la cité – privilège appréciable pour les athlètes issus d’un milieu modeste. Le vainqueur, même d’humble origine, est désormais un notable, jouissant de la proedria au théâtre ou au stade : aristocrate, il occupera souvent les plus hautes responsabilités politiques ; homme du peuple, il devient généralement directeur d’un gymnase dont la renommée est liée à son prestige d’olympionike.

59Celui-ci est tel que certains athlètes particulièrement fameux feront même l’objet d’un culte après leur mort : héros de leur vivant, on finira ensuite par leur attribuer une origine divine, leur protection étant invoquée dans les périodes de crise de la cité.