Peindre la révolte
|Troisième partie. Peindre la révolte..
Chapitre X. Saint Jacques, la foudre et l’Apocalypse
Texte intégral
1Le propos de ce chapitre sera d’analyser le contenu ethnologique et culturel sous-jacent de deux des amates (fig. 72 et pl. 1) faisant partie de la série élaborée en réaction contre le projet de barrage durant l’année 1991. Ces œuvres, en particulier celle représentant saint Jacques envoyant le feu du ciel sur le barrage, illustrent la manière dont la vie paisible des villageois va être bouleversée par la retenue hydro-électrique. Ces images seront décryptées à la lumière des représentations symboliques liées au milieu environnant.
Les peintres : le groupe d’Oapan
2Pour réaliser cet ensemble de peintures, il a été fait appel aux peintres les plus réputés des villages amateros. On doit l’amate illustrant les méfaits du « serpent du barrage » (fig. 72) à Félix Jiménez, tandis que Marcial Camilo a exécuté deux des peintures de la série : les méfaits de la ville, et le châtiment de saint Jacques sur les ingénieurs (fig. 69 et pl. 1). Tous deux sont originaires du village de San Agustín Oapan et comptent sans contexte parmi les artistes les plus talentueux, ayant développé chacun un style et des recherches plastiques personnalisées sans pour autant renier ce qui fait la base de l’art de l’amate : la décoration, (comme c’est ici plus perceptible pour Eusebio Díaz. peintre d’Ameyaltepec, auteur des Quatre Cavaliers de l’Apocalypse ; fig. 68).
3Marcial Camilo se trouve être à la croisée de la plus ancienne tradition céramique préhispanique locale et des techniques picturales de l’art contemporain occidental. Avec lui, l’amate devient un art ethnique et la dichotomie entre le peintre qui « copie » – soit la majorité des artisans – et le créateur – l’artiste – qui innove et « se risque » apparaît clairement.
Figure 68 – Les quatre cavaliers de l’Apocalypse. « Y el fin apocaliptico del mundo... ». Eusebio Dîaz (Ameyaltepec), 1991. Encre de Chine sur papier amate, 58 x 38 cm. Coll. J. Amith.
©. X Zepeda
4Marcial Camilo, dont la mère fabriquait des objets en céramique, a commencé à peindre tout enfant en aidant son père à décorer des objets en bois. Puis son frère aîné, Juan, se procura des feuilles d’amates et commença à peindre des oiseaux. En 1965, toute la famille émigre à Acapulco pour vendre son artisanat. En 1970, Marcial Camilo part s’installer à Cuernavaca et travaille pour un collectionneur et galeriste nord-américain, Edmund Barkin. C’est là que son goût pour l’expérimentation plastique peut se donner libre cours. Barkin lui prête des livres d’art et lui présente une amie peintre qui l’initie à la peinture à l’huile et lui enseigne la manière d’apprêter ses toiles ou le contreplaqué, plus durable que l’amate. Il apprend également à utiliser du fixatif en bombe aérosol pour terminer ses ébauches. Les peintures se vendent bien et Marcial fait alors venir sa femme, Gloria, à Cuernavaca. Ses deux filles, Talia et Oliva, vont y naître.
5À partir de cette expérience, Marcial regroupe autour de lui quelques amis d’Oapan. À l’instigation du galeriste, le rejoignent ses deux frères, Felix et Juan, Inocencio Jiménez et son frère Félix, puis Roberto Mauricio. Le « groupe des six » d’Oapan est formé, se caractérisant par son intérêt pour les techniques et par leur talent de dessinateur. L’association, fructueuse, va durer plusieurs années. Edmund Barkin organise avec succès une exposition aux États-Unis des œuvres du groupe. Il monte ensuite, à Cuernavaca, une exposition personnelle des peintures de Marcial Camilo au palais de Cortés. Le peintre raconte :
Quand l’inauguration a eu lieu, beaucoup de mes paisanos [d’Oapan] qui vendaient sur un côté du palais de Cortès se rendirent compte que mes œuvres étaient exposées à l’intérieur et nombre d’entre eux sont venus les voir. Ils mangeaient car on offrait de la nourriture à l’intérieur. Pour eux. ce fut une surprise de voir mes peintures dans un lieu exceptionnel comme ce musée. Ils sont devenus plus curieux : “Où avais-je pris cette idée ?” En ce temps-là, je peignais beaucoup de thèmes des traditions qui se pratiquent à Oapan. Il s’agissait d’œuvres plus personnelles dépassant leurs ambitions ou leurs rêves. Lorsque quelqu’un réfléchit de manière plus personnelle, il produit autre chose. C’est comme ça que nous avons commencé...
6Puis, les ventes commençant à baisser, les peintres décident de changer leur fusil d’épaule, hormis Marcial qui continue jusqu’en 1979 à travailler pour Barkin, date à laquelle ce dernier repart pour Santa Fe, aux États-Unis. Inocencio part s’installer à San Miguel d’Allende où le tourisme américain haut de gamme permet de vendre des peintures de qualité. Félix Jiménez prend un stand dans la ville de Mexico au Bazar del Sábado et aussi dans le parc Sullivan, autre « place du Tertre » mexicaine. Marcial, accompagné de sa famille, retourne un temps à San Agustín Oapan, mais les débouchés commerciaux sont très aléatoires. Désormais, il s’est fixé dans la ville de Taxco, ce qui lui permet d’être en contact direct avec ses clients et de faire des séjours réguliers au village pour y exercer ses devoirs envers la communauté. Il a par exemple été mayordomo de San Miguel, responsable de mener à bien la fête du saint, raison pour laquelle il a dû vivre pendant un an à Oapan. L’un de ces derniers projets est de s’associer avec le peintre Nicolás de Jésús, d’Ameyaltepec, qui veut monter un atelier de gravure à San Agustín Oapan.
Figure 69 – Peinture sur les méfaits de la ville. « No ha sido facil... ». Marcial Camilo Ayala (Oapan), 1991. Encre de Chine sur papier amate, 60 x 40 cm. Coll. J. Amith.
©. X Zepeda
7Marcial Camilo rompt avec les règles de représentation qui sont la norme pour l’artisan amatero. À l’oppposé de la stylisation de l’historia classique où il n’existe pas de portraitisation des individus, Marcial peint un portrait de sa fille, seule, vêtue d’un tablier, à l’intérieur d’une maison moderne de briques (fig. 70), des paysages à la manière d’un Douanier Rousseau, des intérieurs de maison. Par cela même, il capture les changements dans les modes vestimentaires et dans l’habitat (des briques au lieu d’adobe ou de branchages entrelacés). Le sujet a les traits individualisés et regarde de face, ce qui contraste avec les amates où tous les personnages sont représentés de manière uniforme. De cette manière, il comble le vide qui existait entre les peintures traditionnelles d’amate et le discours collectif : « Nous autres, nous peignons ce que nous vivons, comment nous travaillons. » Autre corde à son arc : des natures mortes dans la tradition picturale mexicaine des Rivera et Kahlo.
Figure 70 – Intérieur de maison. Marcial Camilo Ayala (Oapan), 1995. Acrylique et encre de Chine sur papier amate, env. 30 x 20 cm. Coll. A. Hémond.
© A. Hémond
- 1 Le Douanier Rousseau aimait laisser croire à ses contemporains que ses paysages exotiques lui avaie (...)
8Et pourtant, paradoxe, c’est au moment même où Marcial Camilo renouvelle profondément la technique et le regard de représentation qu’à nos yeux il fait le plus figure d’artiste « naïf »– malgré le caractère en général non justifié de ce terme pour les amates traditionnels –, à cause de certains traits communs avec la peinture dite « naïve » : en particulier la représentation fantastique et paradisiaque de la nature (arbres, végétations, papillons, fleurs, proche de celle du Jardin de Paradis du Douanier Rousseau1) ; des personnage figés mais possédant des traits et représentés de face ; une perspective « maladroite » ; des dessins ayant « l’ingénuité » de ceux d’enfants ; la manière de représenter les personnages (corps larges et potelés, plutôt trapus, chez le Douanier Rousseau et Marcial Camilo). De plus, il puise parfois son inspiration dans ses rêves et son « imagination » qui rapprochent, au nom du subconscient, l’art moderne, l’art « naïf » et celui de l’enfant.
9Mais ces « collusions » se font sur la foi de ressemblances formelles illusoires car la peinture d’enfant touche à l’apprentissage des formes tandis que la peinture des naïfs est issue de leur monde personnel : « [...] le phénomène est vécu très différemment chez l’artiste, chez les naïfs, et chez l’enfant. Pour le premier, il s’agit d’oublier ce qu’il a appris, chez le deuxième de n’avoir pas appris et chez le troisième la création pure cesse avec l’apprentissage » (Néret, 1986 : 9).
- 2 RufinoTamayo. l’un des plus grands peintres mexicains du xxe siècle, illustre aussi l’horror vacui (...)
10Le souci du détail et du remplissage, la tendance au décoratif est également un trait de convergence, bien que l’horror vacui ne soit pas l’apanage des naïfs2. D’autres types de peintures, comme les dessins de schizophrènes, sont aussi caractérisés par le fait que les peintres remplissent la surface totale (ce qui est désigné du nom de plénitude ou de remplissage), ce qui serait le cas avec Alfonso Lorenzo et son « pointillisme obsessif ».
- 3 L’exposition Die Kunst der Naïven en 1975 au Kunsthaus de Zurich regroupait encore sous cette appel (...)
11Marcial a eu connaissance de l’œuvre de certains naïfs par le biais de reproductions dans des livres d’art de la bibliothèque d’Edmund Barkin. Il est en outre curieux de la tradition picturale européenne et de la Renaissance et a une expérience visuelle de nombre de courants plastiques. Quant à une limitation de la technique et de la perspective, qui est aussi souvent donnée comme représentative de la peinture naïve, ce n’est pas son cas puisqu’il possède toute une gamme de savoir-faire. Le naïf est associé à la notion d’ignorance, le peintre naïf étant censé être préservé de toute influence visuelle et de toute éducation académique. Ce terme de « naïf » ou de « primitif » sert à désigner aussi bien les peintres italiens du xiiie au xve siècle que l’art ethnographique d’Afrique, d’Océanie ou d’Amérique3. Il est assez piquant de voir que les primitifs italiens avaient eu un ou plusieurs maîtres et tous avaient, à leur tour, instruit dans leur atelier des élèves auxquels, souvent, l’âge et le succès venus, ils faisaient peindre leurs propres tableaux suivant des recettes personnelles. Marcial Camilo est à la fois ce peintre qui a goûté de la « peinture de la ville » et également celui qui s’organise autour de la logique de production de l’atelier familial, proprement amatero (avec un peintre principal qui a la maîtrise du thème et de la composition ; l’épouse travaillant en « mineur » ; les enfants qui mettent en couleur. Une constante l’enracine bien dans sa terre : la représentation omniprésente des paysages rêvés de la vallée du Balsas, avec le ruban du fleuve qui se découpe entre deux aplombs de collines (qui correspond à la vision du fleuve telle qu’on la voit à Oapan. fig. 52).
L’amate du barrage-serpent (Félix Jiménez)
12Le thème de l’amate (fig. 72) est la destruction des villages par le barrage qui emprunte la forme d’un monstrueux serpent, à langue fourchue, dont le corps serait le lac de retenue. La composition est ordonnée selon un axe oblique, du coin inférieur gauche au coin supérieur droit, où la ligne d’horizon remonte lorsqu’on va vers le dernier plan, à la manière des peintures japonaises.
13Seuls les clochers émergent, point culminant des villages désormais engloutis. À la surface des eaux flottent des croix arrachées au cimetière, ce qui veut dire que l’on ne pourra jamais venir prier sur les tombes des morts. Cette hydre monstrueuse a causé la destruction de la vallée et a créé un peuple d’errants.
Figure 72 – Peinture du serpent-barrage. « Si se levants la presa... », Félix Jiménez Chino (Oapan), 1991. Encre de Chine sur papier amate, 58 x 38 cm. Coll. J. Amith.
©. X Zepeda
- 4 Ce récipient de céramique a la panse percée de multiples trous pour rincer le maïs mis à détremper (...)
14Refoulés sur les cimes, les Nahuas organisent leur survie : en caravanes, hommes, femmes et mulets transportent quelques biens. C’est l’occasion pour le peintre de placer quelques petites scènes sur la vie quotidienne à la manière des amates traditionnels : une femme prépare le repas dans une cabane, entourée d’animaux domestiques. Au premier plan, une famille, qui porte des musettes (moral), des gourdes faites d’une calebasse et un tlachikuhtli4 cherche un endroit où s’installer. Dans le coin inférieur gauche, une femme assise au sol, tenant un nourrisson, pleure alors que son mari lui tient la main et que son fils tente de la consoler. Cette scène de pleurs se répète un peu plus haut sur la gauche. D’autres personnages traînent leurs ânes qui refusent de gravir les pentes. D’autres animaux nagent dans le lac de retenue avec des oiseaux qui se sont posés sur leurs flancs. Un balai, symbole dérisoire de la vie domestique bien organisée, flotte entre une croix et un clocher. La vie s’est désormais réfugiée au sommet des montagnes et le peintre a accentué les vallonnements que les personnages doivent gravir. Les animaux sauvages, dérangés dans leur domaine habituel, se sauvent ou courent dans les collines ; les oiseaux survolent toute la scène, cherchant un endroit où se poser.
15Dans le firmament à gauche, un soleil triste éclaire toute cette scène désolée où la finesse décorative du dessin de Félix Jiménez est visible dans les replis du terrain, dans le soin apporté aux multiples traits composant les collines, l’empierrage du lac et les rayons du soleil. Du point de vue plastique, c’est un croisement assez subtil entre le dessin amate traditionnel (muñecos classiques, grandes fleurs et grecque d’une grande finesse) et la diversité des postures qu’un peintre amatero commun ne saurait représenter (intérieur de cabane). Dans cette scène gentiment historiée, l’utilisation du premier plan est particulièrement habile avec la personnification du barrage sous forme du féroce serpent, dont la tête accroche tout d’abord le regard.
La vision de la terre
16Lorsque la nouvelle du projet se répand à la fin de l’année 1990, les habitants comprennent rapidement que le projet hydro-électrique doit inonder les villages et les parcelles alluviales sur les berges du fleuve, ne laissant que les terres dites incultes pour les aménageurs et qui constituent pour les balseros les lieux génériques du monte (domaine des animaux, des doubles-animaux et des morts). La population locale a une vision bien nette de la situation : « Ils veulent nous envoyer dans les collines, dans la “brousse” avec les animaux, là où il n’y a même pas d’eau ! » La consternation est vive, tout ce qu’ils ont réussi à posséder – avec de grands sacrifices parfois –, va être englouti par les eaux :
Ils disent que tout va être recouvert, nos petites maisons vont être inondées, bien qu’elles ne soient pas belles comme celles de la ville, elles vont être ensevelies, nos animaux vont mourir.
Où allons-nous aller ? Où allons-nous vivre ? Nous ne savons pas, parce que là-bas dans les collines, il n’y a pas d’eau ? Comment allons-nous boire ? Il n’y en a pas !
Et alors, où irons-nous semer ? Nous plantons des haricots et du maïs pour nourrir nos enfants, la famille, nous travaillons à la saison des pluies, maintenant en cette saison, nous semons nos champs, nos vergers, nous semons de la coriandre, là-bas vers le fleuve où il y a beaucoup de poissons.
17La terre, c’est aussi le lieu des morts, des cimetières et des églises. Les femmes de San Agustín Oapan sont unanimes dans leurs inquiétudes : « Et ceux qui sont morts, mon grand-père, ma grand-mère, ma mère ? Et saint Augustin ? Où allons-nous les emporter ? »
- 5 Lettre « à l’opinion publique », San Miguel Tecuiciapan, Guerrero, 30 décembre 1990, signataires po (...)
18Les villageois perçoivent le sort qui leur est réservé sur un mode apocalyptique : la perte du territoire, si intimement lié à l’individu, entraînerait la perte des repères spatiaux et de l’identité du groupe. Et c’est dans le monte que les ingénieurs veulent les déplacer après avoir inondé les villages et les terres irriguées. Cette fin de l’ordre social, de l’ordre humain, c’est donc un renversement de valeurs : on envoie les humains vivre comme les animaux et, au sens littéral, directement « rejoindre leurs ancêtres » qui sont cachés – de même que les forces et les puissances de la fertilité – dans les entrailles et les failles des montagnes où surgissent et se forment les nuages. L’ordre naturel et social qui hiérarchise les espaces est donc anéanti, bouleversé à jamais. Le CPNAB, comme porte-parole officiel de toute cette conscience communautaire apocalyptique, explique dans ses premiers documents la résistance au projet de barrage5 :
Ils veulent nous envoyer dans les collines stériles où il n’y a pas de terres à cultiver ni d’herbe pour les animaux. Nous avons déjà vu comment les animaux meurent quand ils descendent boire l’eau de retenue d’un barrage et comment ils restent pris dans la vase. [...] Ils projettent de reformer des villages sans respecter nos traditions et notre manière de vivre. Actuellement, nos cultures et nos artisanats nous ont rendus prospères, fiers de notre langue et de nos traditions. Là-bas dans les collines, nous allons mourir ou devoir émigrer.
19Comme on l’a dit au chapitre VIII, la logique d’aménagement du territoire des technocrates s’oppose à la logique d’identification à la terre des Nahuas et à l’appropriation symbolique et matérielle de leur espace. Les porte-parole du Conseil le soulignent, la terre, dans sa matérialité, est celle qui procure la nourriture – le maïs, base indispensable de l’alimentation –, et la terre argileuse nécessaire à la céramique. Le cycle des activités lui est lié, les Nahuas amateros vivent sur des terres qu’ils sèment et exploitent selon les mêmes pratiques sociales. La terre constitue aussi le support de début et de fin de tout être, l’alpha et l’oméga des références identitaires. Chaque nouveau-né est lié symboliquement à sa terre de naissance, dès lors que l’on enterre le placenta et le cordon ombilical sous le foyer, dans de vieux chiffons que l’on recouvre d’une pierre. En grandissant, la personne acquiert de plus en plus la conscience qu’elle est émanation de la terre dont elle se nourrit. En somme, la disparition de ces références créerait un vide de sens car le territoire est aussi ce qui constitue la mémoire culturelle et les marqueurs paysagers de ses habitants : arbres, groupes de rochers, lignes de crête des collines constituant la limite des terres communales entre villages... L’importance de ces repères spatiaux est telle qu’elle constitue l’un des thèmes privilégiés des peintures d’historia, qui expriment entre autres la logique du recorrido – le parcours du territoire – ainsi que la représentation du milieu.
20Imposé par des conditions historiques et climatologiques particulières, ceci inscrit les communautés amateras d’aujourd’hui dans un contexte riche de sens où l’on a ancestralement un enracinement profond et viscéral dans le sol dont on est issu et une mobilité acquise par des contacts commerciaux extérieurs répétés.
Le serpent du barrage
- 6 Il existe une abondante littérature ethnologique sur le symbolisme du serpent, voir notamment Merce (...)
- 7 Disselhoff et Linné, 1961 : 87.
21Ce barrage qui « serpente » signale que les forces du mal, les forces diaboliques, sont à l’œuvre. Dans les croyances locales, les serpents occupent une place symbolique ambivalente : autant dans le mal que dans le bien, mais reliés généralement à la richesse ou à la pluie6. Rappelons que, si la Bible personnifie le diable sous la forme d’un serpent, ce reptile jouait un grand rôle dans les conceptions symboliques et religieuses de l’ancien Mexique. L’époque aztèque les représentait en serpents à sonnettes, enroulés, prêts à l’attaque. Le serpent à plumes, Quetzalcoatl, est aussi le nom de l’une des plus grandes divinités préhispaniques : à Teotihuacan, il est représenté au milieu de coquillages, ce qui l’associe à la mer et à la pluie7.
22Dans la région du Balsas, on rencontre le serpent corail, très dangereux (coralillo ; inan tzicatl), le serpent niño (techichi) et le iuech. Exemple du cas de richesse : les serpents « porte-bonheur » qui possèdent deux petites cornes, l’une argentée et l’autre rouge. Si l’on croise cette couleuvre sur son chemin, il faut faire tomber l’une de ses cornes. La corne rouge permet de faire pousser tous les fruits et légumes rouges – tomates, piments et même les fraises – en abondance, sans que jamais cela se termine. Cette personne chanceuse peut les vendre à volonté. La corne argentée, en revanche, est un réservoir d’argent inépuisable. Une femme de Xalitla gronda son mari qui lui racontait avoir croisé une jolie couleuvre :
Je revenais des champs, je ramenais les bœufs pour leur donner à boire quand soudain j’ai vu une couleuvre, petite, très jolie, comme faite d’argent, bien calme. Elle s’est dressée, avec la tête qui dansait. Et je n’ai pas eu peur ! En général les couleuvres ont peur très vite, quand elles te voient elles s’en vont tout de suite. Celle-là non ! Je suis resté comme hypnotisé. Je la regardais fixement, j’ai vu qu’elle avait deux cornes. Et je suis resté au moins deux minutes à la regarder fixement.
– Idiot, lui répond sa femme, c’était une couleuvre porte-bonheur ! Tu lui aurais jeté ton chapeau dessus, alors elle aurait baissé la tête et toi, avec un bâton, tu aurais fait tomber sa petite corne dans le chapeau et elle ne t’aurait rien fait. Toi tu reprends le chapeau. tu l’amènes à la maison et tu le caches dans un coin de ton coffre ou dans l’armoire dans un chapeau. Le jour d’après, le chapeau est plein d’argent.
- 8 Une variante de ce conte, recueillie par Eustaquio Celestino (1997) à San Juan Tetelcingo associe c (...)
- 9 À ce sujet, consulter Mercedes de la Garza, 1984.
23Dans des variantes de cette croyance, les cornes de ce serpent peuvent être blanches et noires ou argentées et dorées, mais elles attirent toujours l’abondance, en nature (par une récolte miraculeuse) ou en argent8. La relation entre le serpent et la richesse rappelle ici Quetzalcoatl9.
24Par ailleurs, des serpents sont associés aux nuages (serpiente de nube, couatl de moxtli) et à la pluie (culebra de agua) et vivent en haut des collines. Parfois, une sorte de brume tombe sur les montagnes et devient noire : « Alors on dit que le serpent se lève et emporte les nuages ailleurs. Parce que ce serpent reste là-bas]en haut des collines] et l’eau ne peut pas tomber parce qu’il avale les nuages. »
- 10 Cf. Celestino, 1997.
- 11 On retrouve la même conception chez les Mixtèques de la Montana où le serpent rentre dans la montag (...)
- 12 Neff, 1994.
- 13 Audenet et Goloubinoff, 1994.
- 14 Cf. Hémond et Goloubinoff, 1997. Notons qu’en espagnol, le mot serpent est du genre féminin, tout c (...)
25Le serpent de brume noir ferait fuir et dérouterait les nuages. Pour certains paysans de San Juan, cette nuée noire et épaisse qui laisse présager un orage terrible et des torrents de pluie dévastateurs pour les jeunes pousses est le serpent de nuage noir ; la seule chance de l’éloigner est que les « marmites à vents » (yeyecaconte) soufflent si fort qu’elles fassent fuir le serpent et que la pluie tombe plus loin. Chasser les nuages se dit d’ailleurs « mettre le serpent en morceaux » (oquicocotonque couatl)10. Le serpent de nuage serait donc responsable des fortes précipitations. Certains font aussi une distinction entre le serpent de nuage blanc qui, en bramant dans les collines, apporte une pluie abondante, et le serpent de nuages noirs, maître de la pluie dévastatrice. Par ailleurs, les villageois qui ont observé la nature se rendent compte que les cours d’eaux souterrains attirent les nuages, et donc la pluie. Vers Ixcateopan, on parle du serpent d’eau qui va vers la mer de manière souterraine11. Dans les villages d’Acatlán ou de Zitlala, on fait des offrandes de tamales en forme de serpent pour la pluie12. À Xalitla, à l’inverse, lorsqu’on est victime d’une frayeur due à un serpent, on doit faire une offrande aux entités de l’eau avec des petites figurines de pâte de maïs personnifiant les aires13. Dans le cycle des rites agricoles, la fête de saint Michel, le 29 septembre, est le jour butoir annonçant la fin de la saison des pluies. L’interprétation des villageois est que saint Michel a terrassé le dragon de la pluie14.
26À côté des serpents de nuages, il existe également des créatures très laides et méchantes, mélange de dragon des contes européens et du serpent à plume de la cosmogonie préhispanique. Le serpent est également associé au diable, entité qui prend souvent la place des anciens maîtres de la fertilité et du monte dans les ethnies actuelles, et peut être la personnification du mal, à la manière du serpent de la Genèse. Son pouvoir de méchanceté est décrit dans plusieurs contes de la région où il tient sous l’effroi les villages qui doivent, par exemple, lui sacrifier une jeune fille. Un informateur d’Analco raconte qu’« apparut un beau jour un serpent ailé, comme un dragon. Le village lui donnait régulièrement en offrande une jeune fille, car il terrorisait le village ». Il faut l’intervention d’un héros culturel qui, avec son astuce et sa capacité de se transformer en aigle, va combattre le serpent :
Le jeune homme arriva a la maison d’une vieille femme et retira ses ailes. On entendait la musique de la fanfare [banda]. Et le jeune homme demande : « Que se passe-t-il ici, il y a beaucoup de musique, c’est la fête ? » Mais ce n’était pas une fête, c’était comme une cérémonie. Il y avait un serpent immense. Les gens du village amenaient des jeunes filles dans la montagne. Ils faisaient une grande cérémonie et le serpent venait les chercher et les emmenaient. Le jeune homme dit : « Je reviens de suite, je vais me promener par là. » [...] Et il s’en fut. Et il vit la jeune fille qu’ils allaient donner au serpent. Chaque mois, celui-ci voulait manger un être humain. Alors, les villageois faisaient une cérémonie et ils lui livraient une personne. Le serpent emmenait la jeune fille et la mangeait. [...] Le jeune homme fut à la fête et il vit la jeune fille pleurer. « Pourquoi pleures-tu ? C’est que le serpent arrive et il va me manger, il va m’emporter. – Attends, ne pleure pas, laisse-moi faire. »
Ils entendirent une grand bruit du sommet de la colline, le serpent arrive. Le jeune homme a remis ses ailes. C’est un aigle, de nouveau. Et il monte, il vole. Quand le serpent arrive, il le tue en mille morceaux. Et il avait douze langues, douze têtes, et des ailes comme un dragon [...].
- 15 Voir Sébillot, 1983a et L
- 16 Eliade, 1975 : 149.
- 17 Ces contes sur le combat entre un aigle et un serpent offrent un parallèle avec la célèbre légende (...)
- 18 Voir l’analyse de Muller sur saint Patrick expulsant les serpents d’Irlande (1993 : 324-325).
27Des animaux alliés (vautours, fourmis) prêtent leur concours au héros au cours de ses mésaventures suivantes – tous ces animaux étant également reliés à la fertilité, et au maïs qui naît dans les montagnes –, et permettent au village du conte de revenir à l’état normal et au cycle temporel et social de continuer. La jeune fille se marie avec le héros assurant ainsi la reproduction sociale. Ce conte contient des structures probablement d’origine européenne15 et on pourrait l’analyser en partie dans les termes de Muller (1993) au sujet des légendes irlandaises du roitelet : le serpent-nature empêche la jeune fille de procréer et l’homme la tue pour permettre la fertilité. D’ailleurs, aux quatre coins du monde, le serpent est le maître des femmes et de la fécondité16. Le combat de l’aigle contre le serpent, s’il figure l’emblème mexicain moderne17, représente dans le symbolisme agraire la lutte entre le domaine des airs et le domaine chtonien avec des animaux qui sont tous deux liés au cycle de l’abondance et de la pluie. Lorsque l’oiseau est vainqueur, il tue le serpent qui empêche la conception (en retirant les jeunes filles aux hommes) et qui mange les nuages, répandant ainsi la stérilité et la mort. L’oiseau ou le héros culturel (comme le jeune homme du conte) rétablissent ainsi la fertilité et l’abondance annuelle18.
28Une peinture d’Alfonso Lorenzo d’Ameyaltepec dépeint cette couleuvre ailée enroulée autour d’un Jesús crucifié. L’intention du peintre, imprégné d’une culture plus livresque que ses concitoyens, était de représenter le choc de la religion préhispanique (le serpent à plumes) contre la Bible (le Christ). Mais les commentaires des villageois sur cette œuvre sont beaucoup plus ancrés dans la tradition orale. La plupart y voient une référence à un serpent ailé qui vivait dans la colline des Mochis (non loin d’Ameyaltepec), qui dévorait les gens, et que les chasseurs tuèrent, il y a de cela huit ans.
- 19 Disselhoff et Linné, 1961 : 87.
29Le serpent, dans son aspect bénéfique, est donc le dispensateur des trésors cachés de la terre. Des variantes des contes sur les serpents porte-bonheur en font les gardiens de trésors cachés dans des poteries qui, elles-mêmes, évoquent la panse, la matrice, d’où jaillit l’abondance. Quant à l’aspect maléfique, le serpent apporte stérilité et mort et noie la terre au lieu d’être enfermé sous terre, puisque l’eau est censée être contenue dans les montagnes. Ces serpents représentent la force brutale de la nature et sont une sorte de croisement entre le serpent de nuage noir et le dragon. Le culte des serpents, à l’époque préhispanique était d’ailleurs relié à la pluie et au tonnerre et ils étaient un attribut du dieu de la pluie19.
30Dans l’amate, l’hydre du barrage descend des montagnes pour s’approprier la vallée fertile et inonder les lieux de culture ; elle vient y porter le désespoir et la sauvagerie. Quel héros culturel arrêtera cette épreuve ? On va le voir avec saint Jacques...
L’ amate de saint Jacques (Marcial Camilo)
31L’amate que je me propose maintenant d’analyser – que j’appellerai conventionnellement « amate de saint Jacques », faute de titre – a été réalisé par Marcial Camilo Ayala, peintre de San Agustín Oapan, village fer de lance de la mobilisation religieuse contre le projet de barrage. Cette œuvre est l’un des plus beaux exemples de l’école d’art ethnique qu’est devenu le mouvement pictural de l’ amate et synthétise l’opposition symbolique profonde des Nahuas. Elle représente saint Jacques, en général conduisant l’armée nahua à l’assaut du barrage et déclenchant raz de marée et feu du ciel pour détruire l’ouvrage des ingénieurs (pl. 1). Dans la série de peintures consacrées aux méfaits du barrage, elle fait ici le contrepoint à celle du barrage-serpent, monstre souterrain et aquatique, en présentant l’autre aspect des divinités de la pluie et du tonnerre : saint Jacques, héros solaire et aérien.
32Pour comprendre la dynamique que revêt cette image d’une grande richesse formelle, il faut analyser un système symbolique complexe qui se centrera sur la représentation de l’eau et la mobilisation religieuse des villageois. J’établirai que la culture nahua a été historiquement dominée par la peur de l’engloutissement sous l’élément liquide, cataclysme qui est, en dernier terme, une représentation culturelle de la fin du monde. Enfin le paradoxe de cette peinture est celui du détournement d’un symbole culturel : celui de saint Jacques qui, de patron de la Conquête de la Nouvelle-Espagne, a été annexé par les Indiens qui en ont fait l’un de leurs protecteurs religieux privilégiés et le maître de la foudre. Je relierai également cette iconographie à la mobilisation religieuse intercommunautaire et aux « nouveaux mythes » sur les apparitions de saints, dont les intercessions ont permis de tenir en échec les ingénieurs.
Description de la peinture
33Réalisé sur papier d’écorce de couleur blanche, tirant vers le jaunâtre, l’amate de saint Jacques présente le format standard de 40 cm sur 60 cm, comme les peintures précédentes. La bordure supérieure présente des traces de déchirure, signe qu’une autre plante de la famille des moracées, le jonote, a été employée au lieu de l’habituel Ficus tecolutensis désormais rare du fait de la déforestation. Marcial Camilo utilise les peintures acryliques de manière plus élaborée que le commun des peintres amateros, en mariant les cernes de couleurs précis pour les personnages, aux brumes estompées qui accentuent la sensation de « brouillage » et de bouleversement du paysage.
34L’iconographie de la scène centrale s’organise autour de saint Jacques (Santiago el Mayor en espagnol), qui chevauche dans les cieux un cheval blanc richement harnaché surplombant un arc-en-ciel qui unit le ciel à la terre. Le saint, pourvu d’une barbe noire, occupe la place centrale du firmament et son auréole projette des rayons aussi lumineux que le soleil. Oriflamme décorée d’étoiles et d’une croix dans la main gauche, il orchestre, de son glaive levé en dextre, le déchaînement d’éclairs et de foudre qui s’abat sur la montagne et sur la vallée du Balsas, nichée entre deux contreforts montagneux. Tout autour de lui. l’horizon est traversé de météores : étoiles, boules de feu ou comètes, blanche nuée d’étoiles filantes, nuées noires débouchant du sud-est d’où naissent des éclairs. Sous l’impulsion du saint, toute la partie gauche du tableau est dévorée par les flammes. Les éclairs, jaillissant de nuées noires, s’abattent dans un déluge de feu et d’eau et provoquent des éboulements. Les fils électriques sont balayés comme des fétus et pendent lamentablement. Des boules de feu roulent en fond de vallée et brûlent jusque dans l’eau du fleuve. Des multiples iconographies que l’on connaît de l’apôtre (évangélisateur, pèlerin...), celle présentée par le peintre correspond à Santiago Caballero, avatar américain du saint Jacques Matamore (Matamoros : « tueur de Maures »), cavalier foulant aux pieds ses ennemis, glaive levé. Dans le ciel, à la droite du saint, on distingue, entre lui et une boule de feu, un petit cheval ailé bleuté chevauché par un personnage : c’est un caballero (sorcier nahual ayant le pouvoir de se transformer en « comète »).
35En arrière-plan, enclavé entre deux versants rocheux, on aperçoit le rideau du barrage pris d’assaut par une colonne de combattants nahuas aux bâtons levés. À la tête des insurgés, saint Jacques, à cheval et glaive brandi, déclenche le raz de marée ouvrant une brèche définitive dans le mur de retenue, face au soleil levant. L’immense vague, soulevant l’eau du fleuve, menace d’engloutir sous un déluge d’eau, de feu et de vent l’étroite plaine alluviale et ses habitants, ainsi que les maisons du village de San Juan Tetelcingo groupées autour du point central de l’église. La composition est fragmentée en deux scènes représentant les « deux temps » de la vengeance du saint courroucé contre le barrage. Ce procédé est couramment utilisé dans les peintures sur papier d’écorce, mais rarement le peintre a su mettre autant d’habileté à « gommer » les contours et la séparation entre ces deux scènes : le gros plan que constitue saint Jacques déchaînant les flammes dans le firmament, et la scène miniaturisée de l’arrière-plan où il charge à la tête des troupes nahuas. Le peintre met ainsi l’accent sur la double nature du saint en tant que maître de la foudre dans la conception nahua, et de chef militaire, de guerrier vainqueur, hérité de la tradition ibérique. Nous reviendrons sur ces deux aspects plus avant dans le texte.
36Toujours en arrière-plan, sur le côté droit, une colline est coupée en deux par une faille béante. Il s’agit du site appelé Apantipan (« le lieu au-dessus de l’eau » en nahuatl), choisi pour établir le rideau du barrage et dans lequel ingénieurs et manœuvres avaient commencé en 1990 à déchirer les entrailles de la colline en forant deux tunnels de soutènement. Au premier plan, les techniciens, reconnaissables à leur casquette, fuient en courant. Cette scène de désolation est accentuée par les camionnettes, renversées et balayées par le déluge d’eau. Serpents, chevaux, ânes, chiens et hommes, tous fuient devant le raz de marée qu’a soulevé le saint. Même les caïmans mangeurs d’hommes, que célèbrent nombre de danses de la région, sortent du fleuve, poussés hors de leur habitat naturel. Plusieurs personnes, au premier plan, sont avalées par la terre ou se noient, tendant désespérément leurs bras au-dessus d’elles ; des femmes, serrant leurs enfants contre elles, fuient devant le raz de marée.
37La scène centrale est entourée d’une double frise décorative qui révèle la grande habileté du peintre. Les motifs de la frise intérieure sont en effet formés de fleurs tourbillonnantes, entourées de rameaux spiralés, le tout accentuant l’impression de remolino (tourbillon) et faisant ainsi écho à la thématique apocalyptique de la scène centrale.
38Ce spectacle montre la colère des divinités régissant le territoire et les eaux et le cataclysme qu’elles peuvent déclencher devant l’obstination aveugle des constructeurs à édifier un barrage qui noierait la vallée, les sources, et déplacerait ses habitants séculaires. Le cataclysme emprunte les voies par lesquelles il y a eu transgression : de la terre (séisme), du ciel (feu de la foudre) et de l’eau (inondation, raz de marée).
39Cet amate est l’illustration contemporaine et réactualisée, dans le contexte de lutte identitaire contre le barrage, d’une danse exécutée à Oapan dont saint Jacques est l’un des principaux protagonistes. La peinture fait également référence à la lutte religieuse menée dans le secret des oratoires d’Oapan, village dont Santiago est l’un des patrons spirituels et qui, avec la menace d’engloutissement, a vu son culte resurgir et s’amplifier. Auparavant invoqué pour arranger des problèmes entre particuliers ou guérir certaines maladies, saint Jacques est alors imploré par les Oapanecos pour arrêter la construction de la retenue. Les oraisons qui lui furent adressées dépassèrent en ferveur tout ce qui s’était vu auparavant. Selon l’exégèse locale, c’est d’ailleurs l’efficacité religieuse et symbolique dont ont fait preuve les habitants, et en particulier les femmes âgées par leurs jeûnes et leurs prières, qui a entraîné la victoire des Nahuas, en soutenant de manière occulte les actions politiques plus médiatisées :
- 20 C’est-à-dire d’une journée et non pas d’une demi-journée comme c’est l’usage.
La croyance est que si nous prions saint Jacques, nous sommes sûrs qu’il nous défendra de ce danger [du barrage]. Nombre de femmes ont jeûné, des jeûnes complets20, elles sortaient [de l’église] vers les 5 heures de l’après-midi. En vérité, c’était très émouvant parce que beaucoup de femmes pleuraient, elles demandaient à Dieu que le barrage ne se construise pas. Une dame en particulier s’était chargé d’organiser les prières et les jeûnes à Santiago, elle vient de mourir. Elle nous disait toujours qu’elle ne voulait pas, quand elle serait morte, être sous les eaux. Même les journaux ont rapporté cet exemple ! Elle commençait [à prier] là-bas dans l’église [centrale du village] et elle terminait ici dans la chapelle [de saint Jacques].
40Marcial Camilo, en peignant l’amate de Santiago, rend ainsi hommage à une action de résistance spécifique de son village : « Et surtout, je l’ai peint de cette manière parce qu’ici, quand on a commencé à entendre qu’il allait se construire un barrage, beaucoup de femmes ont commencé à jeûner et elles ont commencé à prier là-bas toute la journée Santiago, qui est “hébergé” dans la chapelle de saint Michel. »
- 21 Le village est en effet actuellement divisé en trois quartiers : le centre avec l’église principale (...)
41La statue de saint Jacques, dont l’aspect détérioré montre l’ancienneté, provient en effet d’un autre quartier d’Oapan21. Les habitants du quartier de Santiago seraient partis fonder le village actuel de Tula et auraient abandonné leur saint qui fut « recueilli » par saint Michel. Il « habite » désormais avec ce dernier dans sa chapelle.
42Mais par quel étrange détour de l’histoire, saint Jacques, chef spirituel de la reconquête de la péninsule Ibérique contre les Maures, et dont les conquérants qui soumirent l’Amérique portaient la bannière, est-il à présent, pour les Nahuas et pour nombre de populations amérindiennes un saint protecteur ? Le chemin que j’invite le lecteur à suivre revient tout d’abord sur l’histoire européenne et coloniale du saint cavalier, avant d’aborder les fonctions de meneur des « croisades justes » et la symbolique de maître de la foudre qui lui est attachée.
Saint Jacques le Matamore, symbole de onze siècles d’histoire
- 22 Voragine, 1967 (I) : 472.
- 23 Actes des Apôtres, 12 : 1-2.
- 24 Voragine, 1967 (I) : 471-480.
- 25 Ibid. (II) : 470.
- 26 Ibid. (I) : 474.
43Après l’Ascension du Christ, on rapporte que saint Jacques le Majeur, apôtre et frère de Jean, serait parti évangéliser les populations d’Espagne durant plusieurs années. Sa ferveur n’aurait rencontré que peu d’écho parmi les populations locales, puisqu’il n’aurait converti que neuf disciples22. De retour en Judée, il fut décapité à l’épée entre 41 et 44 par Hérode Agrippa, lors des premières grandes persécutions contre les communautés chrétiennes23. Le martyre de l’apôtre et l’emplacement de sa sépulture appartiennent ensuite au domaine des multiples récits merveilleux que La Légende dorée de Jacques de Voragine, ce recueil d’hagiographies, rassemblera au xiiie siècle24. Il y est rapporté qu’à la suite de sa décapitation, le corps supplicié du saint fut caché dans un bateau par ses disciples. Au terme d’une traversée miraculeuse, celui-ci aborda sur les côtes de Galice où il aurait été vénéré jusqu’au iiie siècle, puis oublié. Le tombeau est redécouvert sous le règne de Charlemagne et d’Alphonse II le Chaste, roi des Asturies (789-842), à la faveur d’une étoile miraculeuse – ou d’une apparition de l’apôtre à Charlemagne, selon les versions25. Il devient l’origine d’un culte local puis le but d’un pélerinage à Compostelle où son corps aurait été transporté un 25 juillet (date qui fut retenue par l’Église catholique pour célébrer sa fête26).
- 27 Barrai i Altet, 1993 : 20.
- 28 Celle-ci est marquée par la bataille de Las Naves de Tolosa en 1212 qui signe la défaite de la puis (...)
44L’axe Pyrénées-Compostelle est alors une position stratégique aux frontières de la chrétienté. Les débuts du pélerinage à Saint-Jacques-de-Compostelle – qui deviendra un pélerinage majeur, faisant concurrence à Rome et à Jérusalem – coïncident avec les premières tentatives de Reconquista de la péninsule Ibérique contre les royaumes musulmans. La tradition rapporte que, lors de la bataille de Clavijo en 844, qui oppose Maures et Asturiens, saint Jacques apparut sous la forme d’un cavalier éblouissant, l’épée à la main, chevauchant un cheval blanc. Cela fait de lui, à partir de ce moment, le symbole spirituel de la lutte contre les Infidèles. On l’appelle saint Jacques le « Matamore » (matamoros), c’est-à-dire le « Tueurs de Maures ». L’ordre de chevalerie de Saint-Jacques créé au xiie siècle à l’image du saint, se donne comme tâche de lutter contre les Arabes27. De cet épisode de Clavijo naîtrait le célèbre cri de guerre des Espagnols : « Santiago » ou « Santiago y cierra España » (« Saint Jacques et reste ferme, Espagne ! ») qui retentira désormais dans toutes les combats jusqu’à la fin de la Reconquête28. Evangélisateur et libérateur des Espagnols, la figure de saint Jacques accompagne les guerriers jusqu’à l’expulsion des maures et des juifs hors d’Espagne en 1492. La même année, Christophe Colomb découvre l’archipel des Bahamas et l’île d’Hispaniola (l’actuelle Haïti et Saint-Domingue).
- 29 Warman, 1985.
- 30 Dans l’herméneutique chrétienne, l’Occident est en effet placé sous le patronage de saint Jacques p (...)
45La Conquête et l’asservissement d’un Nouveau Monde peuplé d’infidèles va offrir une nouvelle vie aux symboles hérités de la sainte croisade de l’Espagne contre les Maures. Les conquistadors amènent le culte de saint Jacques – de même que celui de la sainte-croix (symbole de la croisade) et la fête de Corpus Christi29 – dans tout l’hémisphère occidental, incarnant ainsi sa mission de patron de l’Occident30.
- 31 Warman, 1985 : 58.
46Saint Jacques, sous sa forme de Santiago « MataIndios ». le « Tueur d’Indiens », devient alors l’emblème de la nouvelle Conquista. Les chroniqueurs rapportent ainsi que l’apôtre cavalier participa à la conquête du Mexique et en particulier à celle de Jalisco où il assaillit férocement les Indiens par trois fois dans la bataille31. L’iconographie de saint Jacques se fait écho dans les deux continents. La Reconquista le représente l’épée à la main et l’oriflamme de la croix de son ordre dans l’autre, foulant aux pieds de son cheval l’infidèle Sarrasin défait dans la bataille. Puis, il traverse l’Atlantique et devient aux yeux de la population amérindienne l’image même du conquistador. Barbu, il est l’incarnation de l’Européen parmi les Indiens au système pileux peu développé – comme le représente dans l’amate étudié le peintre nahua cinq siècles plus tard –, de nouveau foulant aux pieds de son cheval l’Indien vaincu. Van Herwaarden (1985) remarque à ce propos que « la liaison avec Jacques Matamore se fit plus étroite du fait que les Indiens avaient coutume de s’asseoir par terre : ils correspondaient à la représentation des infidèles piétinés par saint Jacques Matamore à cheval ».
Les danses de saint Jacques
- 32 Du verbe mitotia, « danser » en nahuatl : fêtes rituelles aztèques au cours desquelles on dansait.
- 33 En 1150, lors du mariage de Ramón Berenguer IV, comte de Catalogne, avec la reine Pétronille d’Arag (...)
- 34 Ces danses de moros y cristianos existaient encore dans les années 1930, notamment dans la région d (...)
- 35 Ricard, 1932 : 64.
47Mais les tribulations de l’apôtre conquérant dans les nouvelles colonies d’outre-mer ne s’arrêtent pas là... Les missionnaires, exploitant le goût des Indiens pour la danse, remplacèrent les anciens mitotes32 par des danses à thèmes chrétiens ayant pour racine des drames, farces et spectacles médiévaux de la péninsule Ibérique et du sud de la France33. Ce théâtre édifiant était un outil didactique dans l’œuvre d’évangélisation, aussi les œuvres furent-elles traduites en nahuatl et interprétées par des Indiens34. Elles relatent différents épisodes de l’histoire et des traditions populaires liées aux batailles de la Reconquista ainsi que de la geste de Charlemagne (auquel saint Jacques est associé depuis le haut Moyen Age). Dans plusieurs de ces danses, dont les moros chinos, moros y christianos, danza de Santiagos ou santiagueros, saint Jacques est l’un des personnages primordiaux, jouant le rôle du deus ex machina qui permet de gagner les saintes batailles. C’est au chroniqueur Bernal Díaz de Castillo (1977 (II) : 190), qui suivit Cortès dans ses campagnes, que l’on doit la première mention d’une danse des moros y cristianos en Amérique. Celle-ci eut lieu en 1524-1525, trois ans après la destruction de Mexico-Tenochtitlan, sur le chemin menant à Coatzacoalcos où ils furent reçus en grade pompe : « avec des arcs de triomphes et des joutes de chrétiens et de Maures, et autres grandes réjouissances et inventions de jeux » (ibid.). Le frère franciscain Motolinia (1967) indique qu’à Tlaxcala, à partir de 1538, le personnage de Santiago, monté sur un cheval blanc, fut représenté par un acteur indigène. Au cours du xviie et du xviiie siècle, les fêtes de moros y cristianos se multiplièrent, souvent liées au culte de la Croix35.
- 36 Brody Esser, 1984 : 115.
- 37 Ces populations vinrent du Nord par vagues successives pour peupler le plateau central (parmi eux l (...)
48Les danses de saint Jacques vont connaître une grande diffusion dans les groupes indigènes du Mexique, en particulier lors des fêtes patronales où elles sont interprétées en langue vernaculaire. Elles trouvent une continuation particulièrement vivace dans le Guerrero actuel, l’un des États les plus réputés pour la variété de ses danses. Dans la région du Balsas, plusieurs versions des danses issues de ce groupe de la Reconquête sont mises en scène par les villageois : les doce Pares de Francia à Xalitla, les moros chinos à Ahuehuepan et San Juan Tetelcingo, les Gachupines et Retos à San Juan Tetelcingo et, enfin, la Danza de Santiagos à San Agustín Oapan. Cette dernière revêt une importance particulière dans le nord et le centre du Guerrero, notamment à Apango – où elle est connue sous le nom de Santiaguitos36 –, ainsi qu’à Taxco et Zumpango (villes minières de l’époque coloniale). Comme dans le village balsero d’Oapan, la figure de saint Jacques conduit les protagonistes sur son « cheval blanc » (le danseur ayant le corps pris dans une armature d’osier en forme de cheval). Les combattants s’affrontent à l’arme blanche et au son de la banda (fanfare) du village qui accompagne dialogues, monologues, chants et chorégraphies guerrières. Le contexte historique est extrêmement légendé, tout en gardant l’opposition entre les deux camps : les chrétiens, soutenus par saint Jacques, et les infidèles, qui peuvent être musulmans, turcs, romains, juifs ou bien, adaptation locale, chichimèques. Le terme méprisant de chichimeco (ou « mangeurs de chiens ») désignait les tribus nomades du Nord37. Warman (1985 : 81) indique qu’à la fin du xvie siècle, les Maures (moros) des danses sont souvent substitués par les Chichimèques qui symbolisent l’hérésic et le danger des frontières. Le personnage de saint Jacques y ferait ses premières apparitions, barbu et à cheval, caractéristiques qu’il conserve aujourd’hui. Une danse des Memecos est encore exécutée à Ahuelican et se faisait, il y a quelques décennies, à San Juan Tetelcingo, le village du site prévu pour le barrage.
49Quelle peut être la morale que retirent les Indiens de ces chorégraphies guerrières ? Elle est, pour le moins, ambigüe : les Nahuas s’identifient aux vaincus, d’autant plus que la victoire sur les Maures est souvent symbolisée par la prise du drapeau du Mexique par le groupe des chrétiens. Mais, par ailleurs, ayant été parmi les premiers Indiens à être christianisés et se considèrant eux-mêmes comme des « être moraux et religieux »– bien plus que les mètis qui manquent de sens moral et ne respectent pas la parole donnée –, les Nahuas s’identifient également aux chrétiens, c’est-à-dire aux gens de bien. Autant dire que le combat, dans cette danse, est celui des justes (Indiens) contre les barbares (infidèles)...
Saint Jacques Caballero, défenseur des indiens
50Les danses de la Conquête, ou celles des Maures et des chrétiens, s’approprient ainsi l’iconographie de l’ennemi et, en termes plus génériques, mettent en scène la lutte fondamentale des forces du bien et du mal. Rapidement, les apports indigènes, essentiellement nahuas, se mêlent aux épisodes de l’histoire ibérique légendée et trouvent leur réactualisation dans le contexte local. De saint Jacques, les vaincus portent l’épée, le cheval et le masque, ils rejouent la bataille et s’en font un allié.
- 38 Boccarra, 1991 : 176.
51Ainsi, deuxième aspect de ce saint : celui de Santiago Caballero, qui signifie « saint Jacques Cavalier »– le cheval étant depuis la Conquête un symbole de pouvoir et de prestige parmi les groupes indigènes – mais aussi « Chevalier » et qui devient le meneur des « croisades justes », donc le défenseur des Indiens. D’où son pouvoir d’invocation parmi les populations indiennes révoltées : il ne faut pas oublier que saint Jacques a été l’un des guides spirituels de la guerre des castes mayas (1847-1853). Une oraison s’adressait à lui en ces termes : « Saint Jacques, roi de la guérilla, donne-nous la victoire38. » Saint Jacques est ici le motif du cavalier magique. La force de l’allégorie est telle qu’elle renverse les conditions historiques de son apparition, ancrées dans l’imagerie de la Reconquista espagnole. Santiago devient alors le symbole universel de la révolte identitaire d’une fraction dominée contre un pouvoir coercitif central. Il s’agit là d’une image symbolique particulièrement opératoire dans la lutte que les Nahuas balseros mènent contre le modèle de développement imposé par la société métisse dominante. C’est ce que résume l’amate étudié ici dans la force immédiate de son iconographie : saint Jacques est le guide vengeur d’une minorité opprimée et le général des armées nahuas. Ironie du sort, l’infériorité numérique, la certitude de leur bon droit à garder leur territoire, ainsi que des alliés puissants et surnaturels, sont autant de traits que, par-delà les siècles, les Nahuas d’aujourd’hui partagent avec les Aragonais, Asturiens, Catalans et Castillans de l’époque de la Reconquista.
52L’extension de ces danses dans la région, ainsi que les images pieuses et les statuettes de l’apôtre cavalier déposées sur les autels domestiques, forment donc un fond hagiographique et iconographique extrêmement riche. Les symboles de l’apôtre conquérant sont ainsi réemployés et détournés par le peintre Marcial Camilo, pour les besoins de sa cause, son amate étant dédié au combat contre le barrage. Le peintre s’approprie l’iconographie du saint qui, toujours barbu et à cheval, est devenu un saint local. Ainsi, le glaive par lequel le saint a péri décollé, et qui est aussi l’instrument de sa victoire contre les Maures, devient dans l’ amate l’arme chargeant les nouveaux infidèles que sont les aménageurs, les ingénieurs et les manœuvres à leur solde. Mais elle est aussi l’arme foudre, servant à déclencher le rayo (l’éclair) et les feux du ciel, caractéristiques locales sur lesquelles je vais maintenant me pencher.
Saint Jacques : patron de la foudre
53Dans la vallée du Balsas, saint Jacques est également considéré par les Nahuas amateros comme une divinité régissant la foudre et les pluies torrentielles. La fête du saint, le 25 juillet, tombe à un moment crucial du cycle agricole, dans la période d’arrêt des pluies appelée la « canicule ». Il s’agit d’une sécheresse relative qui se produit d’ordinaire au milieu de la saison des pluies et se caractérise par une baisse momentanée des précipitations, de 50 à 60 % en moyenne. Des trombes d’eau, tout autant dommageables pour les cultures, peuvent aussi se produire vers la date charnière du 25 juillet. La sécheresse peut parfois durer un mois et la fête de saint Augustin, le 28 août, marque souvent l’heureuse reprise d’une pluviosité normale. Ces deux fêtes sont à la charge du village d’Oapan. Voici de quelle manière le fêtent les villageois :
Quand approche le jour de sa fête, saint Jacques commence à boire et à cavalcader sur son cheval. Et comme il s’enivre, il ne sait plus quand est sa fête. Ce qui se passe c’est qu’[avant], quand arrivait la fête de Santiago, on entendait comme du tonnerre à l’est, comme si la pluie venait, mais on ne voyait aucun nuage. Mais cela ressemblait au bruit que l’on entend quand il y a un tremblement de terre, on pouvait entendre comme du tonnerre [trueno], de la foudre [rayo]. Quand approche la fête de saint Jacques, beaucoup de gens croient encore que c’est l’époque où il est en train de se promener à cheval.
54Quelqu’un d’autre ajoute :
Il est irascible [...]. Les gens ne veulent pas qu’il sache quand est son anniversaire. Il paraît qu’il se promène en cavalcadant, très content, et qu’il soulève beaucoup de vent. C’est comme ça dans la tradition, on dit qu’un jour avant son anniversaire, on le soûlait [...] et que son anniversaire était dépassé. Et si ce n’avait pas été le cas, l’eau serait tombée bien violemment. Et [comme on l’a enivré], il y a eu peu de vent, et l’eau est tombée bien doucement.
- 39 On trouve la même croyance chez les Totonaques (Kelly, 1966).
55L’idée exprimée par les villageois est donc que saint Jacques, tout joyeux de sa fête proche, provoque par ses cavalcades intempestives dans le ciel des bourrasques qui amènent des trombes d’eau non désirées par les agriculteurs39. Ceux-ci craignent en effet de voir leurs plants de maïs fraîchement semés en juin se noyer. Il faut donc l’enivrer pour qu’il ne se mette pas en tête de cavalcader. Les villageois d’Oapan déposent donc sur son autel, un ou deux jours avant la date « officielle » de son anniversaire, des offrandes d’alcool que le saint est censé ingurgiter. Notons que le roulement des sabots du cheval est assimilé au tonnerre et au son assourdi d’un tremblement de terre, comme il s’en produit souvent dans cette région sismique, tandis que les cavalcades sont censées être la cause des bourrasques. Déjà en 1656, le chroniqueur Jacinto de la Serna rapporte que le granicero (faiseur de pluie indien) ajoutait à ses pratiques préhispaniques pour conjurer les nuages et les tempêtes, des appels à la Vierge Marie mais aussi à Santiago qu’il nommait « le vainqueur, l’homme valeureux » (Serna, 1987 : 290).
- 40 Évangile selon saint Marc. 3 : 17.
- 41 Voragine, 1967 (I) : 471.
56Il semble que cette association entre saint Jacques et la foudre soit fort ancienne. Dans les évangiles, Jacques le Majeur est surnommé « Boanergès », c’est-à-dire « fils du tonnerre » par le Christ40. Cette croyance est reprise par La Légende dorée qui précise que ce surnom viendrait du caractère irascible du saint. En effet, il aurait voulu envoyer le feu du ciel sur un village qui se refusait à se convertir41.
- 42 Par exemple, saint Marc, dont la fête est le 25 avril, est devenu la représentation catholique de W (...)
- 43 Monaghan, 1987 : 421-427.
- 44 Les cabañuelas sont un rite d’observation du temps réparti sur l’ensemble du mois de janvier et qui (...)
- 45 Motte-Florac, 1997.
- 46 Warman, 1985 : 117.
57Avec la Conquête se sont opérées une substitution et une fusion des anciennes divinités responsables de la pluie dans une forme de religiosité catholique paysanne. Beaucoup de saints catholiques ont alors pris des attributs de divinités précortésiennes. Saint Jacques est ainsi, de l’Amérique moyenne aux Andes, une puissance rattachée à la foudre, au tonnerre et à l’éclair, aidé en cela par les coïncidences hagiographiques, de date, et des éléments convergents de croyances populaires européennes. La foudre a pu également être identifiée à d’autres saints42. En passant en Amérique, cette symbolique se mêle à des éléments préhispaniques ayant trait au rôle de la foudre et des vents, des montagnes et des grottes, dans la formation de la pluie, et il joue un rôle dans les rites propitiatoires de la fertilité. Ainsi, dans plusieurs régions du Mexique, il est associé, de même que d’autres saints, à la pluie. Dans le village mixtèque de Santiago, Nuyoo (Oaxaca), trois processions sont faites avec, à chaque fois, une image différente de saint Jacques pour demander la pluie43. La première est réalisée en janvier, le mois des cabañuelas44, la seconde au 1er mai (l’une des dates majeures des pétitions de pluies) et enfin, lors de sa fête principale du 25 juillet. Santiago est donc ici associé au cycle pluvial dans son ensemble. À Sicuicho, dans le Michoacán, on dit que les orages sont déclenchés en frappant l’enfant Jesús qui est placé sous la statue à cheval de Santo Santiago, saint patron du village45. À Veracruz, la danse des moros y cristianos est connue sous le nom de Hijo de trueno, « fils du tonnerre »46, du fait de l’importance du personnage de saint Jacques.
- 47 Ainsi, à Grenade, au début du xviiie siècle, un frère carmélite « se moque de ceux qui pensent que (...)
- 48 On avait cru, dans l’Antiquité, que la Voie lactée était la route des âmes qui quittent le monde ; (...)
- 49 Selon la Chronique fabuleuse de Turpin, saint Jacques apparut à Charlemagne dans la Voie lactée qu’ (...)
- 50 Les Dakota disent que le premier cheval a été apporté, selon le mythe, par l’éclair (Beckwith, 1930 (...)
58Mais il y a dans cette association entre le saint et la foudre, la reformulation d’un fond plus archaïque. C’est probablement par le biais de son cheval que se fait l’association symbolique du saint avec le tonnerre, parce que les sabots du cheval au galop évoqueraient le bruit du tonnerre grondant47. Les croyances populaires européennes l’associent également avec la Voie lactée, le chemin des morts, par le biais de son cheval blanc. L’image du passeur sur le fleuve des âmes (la Voie lactée) est une image existant dès l’Antiquité et reprise au Moyen Age48. L’étymologie populaire a d’ailleurs toujours rapproché « Compostelle », le pélerinage à saint Jacques, de Campus stellae (« champ de l’étoile »), c’est-à-dire de la Voie lactée49. Nombre de populations amérindiennes, jusqu’en Amérique du Nord50, ont assimilé le cheval, cet animal inconnu, avec la faune locale associée à l’éclair ou au tonnerre. Mixcoatl, le dieu « serpent de nuages » aztèque était associé à la foudre, à la pluie et à la voie lactée. Selon Boccarra (1983), les Mayas désignent le cheval du terme de tsimin qui signifiait tapir. Le cheval a donc pris la place du tapir, qui représentait aussi la Voie lactée dans la mythologie maya. Il est encore perçu par les Mayas contemporains comme la monture des esprits de la pluie, ou Chac (ibid. : 51), et saint Jacques était identifié comme le chac de l’ouest (Granado 1813, in Boccara 1983 : 292).
- 51 Autre correspondance avec les récits merveilleux colportés sur le saint au Moyen Age : dans le Livr (...)
- 52 Signorini, 1997.
- 53 Monaghan, 1987 : 446.
- 54 Historia de los Mexicanos por sus pinturas, 1988.
- 55 L’explication réside peut-être dans le fait que Pedro de Alvarado, gouverneur du Guatemala, du Hond (...)
- 56 Rivière, 1997 ; de Véricourt, 2000.
59Pour les Nahuas amateros, l’épée de Santiago renvoyant la lumière est un attribut de son pouvoir sur l’éclair, et donc sur la pluie. Cette anthropomorphisation du tonnerre et de la foudre sous la forme d’un cavalier à la parure étincelante, que saint Jacques sur son cheval blanc, le glaive levé et l’auréole flamboyante, incarne dans le Balsas51, se retrouve chez les Huaves de la côte méridionale de l’isthme de Tehuantepec. Ceux-ci pensent que les pluies sont l’œuvre conjointe de la foudre (rayo) et du vent du sud. Le rayo est appelé teat monteok, qui veut dire señor rayo (« Seigneur éclair »). Les monteok sont figurés sous la forme de cavaliers, le tonnerre étant causé par le retentissement de leurs casques tandis que l’éclair résulterait du flamboiement du fil de leur machete52. L’épée, de même que la machette, est associée avec l’éclair (ou la foudre) et a probablement pris la place symbolique du couteau d’obsidienne préhispanique qui était en relation avec la foudre. Les Mixtèques de Santiago Nuyoo (État d’Oaxaca) disent encore aujourd’hui que l’obsidienne est produite par la foudre, ou qu’elle est la foudre53. À l’époque aztèque, les tlaloques, aides de Tlaloc le dieu de la pluie, brisaient les jarres d’eaux dans le ciel à l’aide de bâtons, produisant ainsi éclairs et grondements de tonnerre54. Au Guatemala, le conquistador Pedro de Alvarado et les saints militaires sont vénérés comme des saints météorites55. En Bolivie, Santiago est étroitement associé à la foudre et est aussi en rapport avec le culte des montagnes56.
L’atenxalapoctli et l’Apocalypse
60L’aspect belliqueux et irascible de l’apôtre est mis en avant par les Nahuas car ce trait de caractère leur permet de faire coïncider la figure hagiographique du saint avec leur propre conception du cycle pluvial. Le rayo est bénéfique car il provoque les pluies et défait la sécheresse. Mais il peut également être cause de grands dégâts et d’incendies et c’est aussi le châtiment que réserve Santiago à ses adversaires Infidèles, de même que les pluies torrentielles que le saint déclenche sont associées au tremblement de terre et à l’apocalypse.
61La danse d’Oapan, dont s’est inspiré le peintre pour figurer l’amate, met en scène ce saint Jacques tonnant, aux accents apocalyptiques :
- 57 Texte nahuatl de Marcial Camilo, traduit et publié par J. Amith (1992).
Ikwak newa ninotekestewa |
Cuando yo me levanto |
Quand je me dresse |
Astah sitlalih popoka |
Hasta las estrellas humean |
Même les étoiles fument |
Astah tonahli notsakwa |
Hasta el sol se oscurece |
Même le soleil s’obscurcit |
Astah tlahli tekwini |
Hasta la tierra se incendia |
Même la terre s’enflamme |
Astah atenxalapoctli noteka |
Hasta el río se alza |
Même le fleuve sort de son lit57 |
62Notons le terme nahuatl atenxalapoctli, qui recouvre toute une attitude culturelle face à l’élément liquide.
- 58 On pourrait rapprocher ce témoignage des présages et des songes prémonitoires aztèques relatifs à l (...)
63Les inquiétudes des habitants, devant le péril du barrage, se focalisent sur le manque d’eau dont ils vont souffrir si on les envoie dans les collines. Paradoxe, cette situation sera la conséquence d’un « surplus » d’eau produit par l’inondation causée par le barrage et qui recouvrira tous leurs biens. Mais, comme on l’a déjà dit, ce ne sont pas uniquement les possessions matérielles qui vont être englouties par les eaux du barrage mais le lieu des morts, des cimetières et surtout des églises, cœur des communautés. Une vieille dame témoigne : « Ici, à Xalitla, nous ne voulions pas que ce village soit recouvert, on disait que l’eau allait arriver jusqu’aux marches de l’église, qu’elle allait entrer jusque là ! C’est pour cela que les gens ici n’ont pas voulu [que se fasse le barrage]58. »
- 59 La décomposition du mot est la suivante : aten (tli) [fleuve, cours d’eau] -xal (li) [sable ou lit (...)
64En d’autres termes, cette personne explique que la vive opposition au barrage naît, bien sûr, du traumatisme de perdre son territoire et les lieux saints, mais aussi de la manière de les perdre : par l’engloutissement sous les eaux. Ce que représente l’amate avec le rideau du barrage détruit par un raz de marée, est appelé en nahuatl atenxalapoctli. Mot à mot, atenxalapoctli signifie : le fleuve-sable-eau-fumée59. Il s’agit d’une « fumée d’eau », c’est-à-dire d’un soulèvement d’eau et de vapeur d’eau que rend le terme « fumée », soulèvement qui se produit dans le lit du fleuve. Le peintre explique le terme : « atenxalapoctli : c’est le vent avec l’eau, quand un fort vent la soulève, comme une vague ». En définitive, c’est donc une inondation majeure, un raz de marée. Cette catastrophe, dans la danse de Santiago d’Oapan, est la résultante de l’action menée par le saint contre les infidèles. Dans les croyances locales, saint Jacques est en effet également associé avec le vent, les secousses sismiques et les raz de marée :
Ces boules de feu, je les ai peintes parce que le seigneur saint Jacques dit [dans la danse] : « Quand je me lève, même le ciel s’obscurcit, même les étoiles fument... », alors le soleil s’obscurcit et il y a comme une éclipse de soleil ou de lune. Et la pluie tombe en tonnerre et il y a une pluie de feu. Alors Santiago arrive et il survient comme un séisme, comme une apocalypse. On fait le lien entre Santiago et le séisme quand il y a un raz de marée.
- 60 Ce verbe se décomposerait de la manière suivante : xittomo (nia) – momoloca : de xittomonia qui sig (...)
- 61 Dans le conte « Orfée nahua » recueilli dans la sierra Norte de Puebla par M.-N. Chamoux (1980), un (...)
65À cinq siècles de distance, il est tout à fait intéressant de constater, par ailleurs, la similitude de description entre l’apocalypse par le raz de marée « fumant » des Nahuas du Balsas et les présages annonçant aux anciens Mexicains l’arrivée des Espagnols et la destruction de leur empire. Le cinquième présage, en particulier, évoque la destruction de la ville de Mexico par l’eau : la lagune commence à se soulever sans qu’il y ait du vent, détruisant au passage toutes les maisons, à la grande frayeur de ses habitants (Codex Florentino, 1955, L. XII, c. I, 14). Une précision importante nous est donnée par le texte en nahuatl de ce présage, conservé dans le Codex Florentino : lorsque l’eau de la lagune de Mexico se soulève, il semble qu’elle bout. Le verbe utilisé est xixittemomomoloca60 : « l’eau qui bout en émettant un son craquant et en jaillissant », donnant ainsi l’impression que l’eau, avec la création de vapeur d’eau, est en train de bouillonner, ce qui rappelle l’eau « fumante » (poctli) de l’amate61. On est frappé par la continuité culturelle que manifestent les Nahuas dans leur description de la destruction de la société. Le fait est d’autant plus marquant que, contrairement aux Aztèques qui vivaient dans la crainte d’une inondation de leur ville, l’environnement semi-désertique des amateros ne les prédispose pas a priori à ce type de représentation.
- 62 Sur l’analyse des causes de la chute de l’Empire toltèque, puis aztèque, entendues comme un ensembl (...)
- 63 Ainsi, la rumeur laisse entendre que plusieurs personnes disparurent lorsque le barrage de Tepecoac (...)
- 64 Sur l’importance du mouvement hélicoïdal dans la cosmogonie méso-américaine, voir López Austin (199 (...)
66Selon la perception nahua, les entités responsables de l’eau et des montagnes, ainsi que les saints dont les églises sont menacées, se révoltent contre ceux qui viennent éventrer la terre et la noyer. Le tremblement de terre et l’eau du fleuve qui se soulève sont considérés comme des catastrophes engendrées par l’inconscience humaine, et les hommes sont punis par là où ils ont péché. On retrouve ici l’implacable conception aztèque de la transgression de l’équilibre cosmique62. Cette conception de la faute humaine se mêle ultérieurement à la notion de péché chrétien. Il faut payer beaucoup de vies humaines lorsque se construit un ouvrage gigantesque comme l’est un barrage63. De fait, la notion de l’équilibre de l’environnement, et du déséquilibre induit par les actions humaines au cours de l’année, qu’il faut racheter par des offrandes, est l’un des grands principes qui structurent les rituels communautaires, en particulier ceux accomplis pour la venue des pluies (quiawi) et des vents (yeyecatl). Cette « obsession culturelle » nahua se traduit aussi dans les rituels de balayage (limpia), de remise en ordre, les rites de guérison exercés par un guérisseur (curandero), ainsi que dans les maladies que l’on se représente notamment sous la forme de tourbillons. La notion même du tourbillon (remolino) est une composante clé de la symbolique nahua : le tourbillon est à la fois métaphore de la vie et de son mouvement, du désordre, du mouvement ascensionnel des vents nécessaires à la pluie, mais aussi des ouragans dévastateurs et des tourbillons d’air et de poussière. On dit par exemple que certaines personnes ont la capacité de se changer en nahual remolino. Ils préparent ainsi de méchantes farces à leurs concitoyens qui se hasardent hors du village, dans le monde sauvage du monte, refuge des entités surnaturelles, en les soulevant avec poussière et déchets pour les laisser ensuite retomber, de manière à ce qu’ils se brisent les os. Les remolinos existent aussi dans l’eau et ne sont pas moins dangereux. Là aussi, ils peuvent être des doubles des humains (nahuales). Au passage, souvenons-nous du motif formant la frise qui entoure la scène pricipale de l’amate : une sorte de rose aux pétales tournant autour de son cœur, telles les pales d’un ventilateur, et indiquant le mouvement tourbillonnant destructeur. À sa manière, il nous rappelle l’idée du glyphe aztèque ollin, ou « mouvement-tremblement de terre » qui périra de sa propre force centrifuge64.
- 65 Soustelle, 1979.
- 66 Il y est annoncé un grand tremblement de terre et un grand bouleversement dans le ciel où les étoil (...)
67Le cataclysme est une réaction en chaîne qui rompt l’équilibre fragile du monde. Dans le texte de la danse de Santiago se marient également la cosmogonie nahua et le millénarisme chrétien très bien accueilli et absorbé par les Nahuas, car il correspond à leur conception cyclique des changements de l’univers65. Marcial Camilo est un familier de l’Apocalypse, ce qui se perçoit dans la vision de chaos que présente l’amate, qui illustre particulièrement le sixième et le septième sceau de la Révélation faite à Jean et la figure de saint Jacques, le quatrième cavalier qui envoie la foudre66.
68C’est là où la composante apocalyptique bien intégrée par les amateros, grands connaisseurs des récits bibliques, se mêle à la propre perception autochtone des catastrophes : la conviction que notre monde finira dans un tremblement de terre et un raz de marée. Selon Sybille Toumi, cette peur de l’engloutissement serait une constante de la culture nahua, car l’eau est considérée comme un espace de perdition (1992 : 21 1). La submersion du barrage réactive donc cette peur culturelle de l’engloutissement qui est, de loin, la punition la plus terrible.
La conception de l’eau
69Quels sont les rapports qu’entretiennent les Nahuas avec l’élément liquide ? L’eau est tout d’abord vue comme l’élément fécondant par excellence, source de la subsistance. Comme toutes les sociétés agraires vivant dans un milieu semi-aride, les Balseros entretiennent des relations ambivalentes avec l’eau. Le contraste entre la saison sèche qui dure près de neuf mois et une courte saison des pluies, de juin à septembre, où tombent la majeure partie des précipitations est une donnée fondamentale pour comprendre les espérances et les angoisses liées à l’arrivée des pluies et les rituels propitiatoires qui y sont attachés. L’eau versée « fertilise » : on doit, par exemple, faire pleurer les enfants le samedi saint (sábado de gloria) pour qu’ils puissent grandir dans l’année ; de même si l’on « bat » ses animaux, ils auront une nombreuse descendance. Une symbolique complexe associe, dans certains rituels pratiqués chez les Nahuas de la Montaña de Guerrero, le sang à l’eau comme élément fertilisant (combats de danseurs déguisés en tigres à Zitlala et Acatlan).
- 67 Siméon, 1981 (1885) : 29).
- 68 Goloubinoff (communication personnelle). Ainsi, une légende du village nahua de San Miguel Tzinacap (...)
70Depuis l’époque préhispanique, l’eau est fondatrice de la communauté des humains : c’est ce que nous rappelle le terme altepetl, littéralement « eau-montagne », qui veut dire « village ». Plusieurs villages de la région amatera doivent leur nom à la proximité des eaux. Ainsi, le toponyme « Ameyaltepec » est construit sur la racine ameyalli qui signifie « source », avec tepetl (« colline », « montagne »). C’est en effet à la présence de deux sources que ce village doit son établissement sur une colline surplombant la vallée alluviale, bien loin de l’eau dispensée par le fleuve. Quant à Analco, communauté en vis-à-vis d’Oapan sur la rive opposée, son nom signifie, depuis l’époque préhispanique, « au bord de l’eau », « près du littoral67 ». De même, le village de San Juan Tetelcingo est placé sous un signe aquatique, son saint patron est en effet Jean le Baptiste, fêté le 24 juin, et qui, en vertu de son baptême dans le Jourdain, a été assimilé dans de nombreux endroits du Mexique à des divinités préhispaniques régissant l’élément liquide. Dans la région du Balsas, dans le village d’Ahuehuepan, en cas de grande sécheresse, on sort les statues de saint Jean, mais on craint de le faire en même temps que saint Jacques car, à eux deux, ils peuvent déclencher des orages mémorables68.
- 69 Depuis Teotihuacan, les représentations de l’au-delà voient le Tlalocan, paradis terrestre et séjou (...)
71Enfin, le lieu choisi par la CFE pour établir le rideau du barrage se nomme Apantipan. Ce terme du « lieu au-dessus de l’eau » s’explique par le cadre géographique de cette gorge encaissée d’où jaillit une source de la montagne qui tombe en cascade dans le fleuve. Grâce à une dérivation établie à partir de la cascade, les villageois de San Juan Tetelcingo ont établi un magnifique verger sur l’autre rive. Cet endroit est, pour les Nahuas, ce qui se rapproche le plus de l’image du paradis sur terre : l’eau de source coule en abondance, irrigue arbres fruitiers et fleurs et attire oiseaux et papillons69. C’est une scène que les amates représentent à plaisir. C’est précisément ce site, qui contraste si fortement avec l’aridité ambiante, qu’ingénieurs et manœuvres ont, à partir de 1990, commencé à détériorer en creusant des tunnels de soutènement dans le versant montagneux d’où jaillissait la cascade.
- 70 Musset. 1991 : 232. Les Anales de Tlatelolco rapportent que la première inondation eut lieu en 1382 (...)
72Mais si l’eau est source de toute vie, elle peut tout autant être destructrice. Elle provoque tempêtes, éclairs et tonnerre, dont l’un des maîtres est saint Jacques. En saison des pluies, de véritables cataractes peuvent endommager les toits des maisons, emporter des animaux et des hommes dans les crues soudaines, gâcher la croissance du maïs. L’eau peut être source de mort ou de déséquilibre ; près d’elle, on peut attraper des maladies, appelées espanto de agua. On sait que les Aztèques, dans un environnement tout différent – la ville de Mexico-Tenochtitlan était aménagée dans une lagune d’eau salée –, vécurent dans la crainte permanente d’une crue qui emporterait tout sur son passage et des famines qui en résulteraient70 ; de là la perception des eaux comme forces à ménager, à concilier, à réguler, qu’elles soient célestes, terrestres ou souterraines.
- 71 L’ahuehuetzin rappelle l’ahuizotl aztèque (Florentine Codex, 1955, livre XI).
- 72 M. Goloubinoff, communication personnelle.
- 73 Les cimetières étaient autrefois accolés à l’église à l’intérieur des villages mais, à partir de la (...)
73Dans la géographie symbolique des villages nahuas balseros, le fleuve – ou « grande eau » (weiatl ou atentli) – occupe une place à part. Son aspect anthropomorphisé est souligné par ses riverains. En période de crue, les Xalitecos disent que le fleuve Tepecoacuilco, qui partage le village, est macho, « homme », c’est-à-dire qu’il emporte tout sur son passage, alors que le fleuve Balsas, vers Oapan, plus large donc mieux contenu, est dit être « femme ». Mais les riverains d’Oapan et de San Juan considèrent que le fleuve Balsas est traître et ils craignent par-dessus tout les tourbillons d’eau (remolinos de agua) qui peuvent attraper les malheureux qui se baignent ou pêchent, immergés jusqu’à mi-corps. On redoute aussi le caïman, appelé lagarto (aquetzpalin), représenté dans l’ amate de saint Jacques, bien qu’il ait quasiment disparu aujourd’hui. Certains villageois affirment cependant que deux ou trois de ces sauriens grandiraient secrètement dans quelque trou profond. Symboliquement, cet animal est perçu comme étant en contact avec les failles et les gouffres menant par l’eau à l’inframonde, il est l’habitant par excellence de cet univers aquatique des profondeurs. Le fleuve constitue en effet une porte vers le monde a-humain, le monde des morts et des entités surnaturelles (de même que les lieux de passage comme les croix, les croisées de chemins sont d’autres lieux de passage entre ce monde et l’au-delà). La croyance en un espace aquatique parallèle dans le fleuve est vivace : nombre d’entités vivent dans l’eau comme la sirène (l’alamatzin, appelée aussi la « maman des poissons » et qui régit cette population piscicole) et son époux, l’ahuehuetzin71. Quand on se noie, on dit aussi que c’est l’ahuehuetzini, le « vieux de l’eau », qui a tiré la personne dans le fleuve. On faisait d’ailleurs autrefois, à San Juan, une danse des poissons (Mimichimê) pour s’attirer leur grâce en abondance. À Tecuezcontitlan, village voisin aujourd’hui mètis mais de tradition nahua, on pense que des huanitos (« nains ») vivent dans l’eau, ce qui rappelle les tlaloquê aztèques, aides de Tlaloc, dieu de la pluie72. Quant aux Xalitecos, ils disent que les défunts doivent franchir un fleuve après leur mort et que les noyés sont censés y habiter. De même, à l’époque aztèque, la mort était conçue comme une immense étendue d’eau qu’il fallait traverser avec l’aide d’un chien (Toumi, 1992 : 185). En nahuatl, il existe une étroite association linguistique – et par conséquent symbolique – entre la mort et l’état de liquide. C’est la conclusion que tire Sybille Toumi de l’analyse de la métaphore nahuatl mani, synonyme de miqui : « mourir ». Ce verbe signifierait en effet : « se diluer, sans orientalion possible, dans un espace infini » (et s’appliquerait aussi à un liquide qui se répand sur une surface plane) (ibid. : 191). Les cimetières sont aujourd’hui placés en dehors des villages, dans le monte, notamment à Xalitla et Ameyaltepec ; dans les villages balseros comme San Juan Tetelcingo et Oapan, ils sont situés sur une petite éminence surplombant les berges du fleuve, à une extrémité des villages73. Dans la classification vernaculaire, le cimetière, domaine des morts, et le fleuve appartiennent au même espace du monte, qui est le monde sauvage, des ancêtres et des entités, par opposition au village, communauté des humains. La nuit, on ne doit pas se promener près du fleuve, du cimetière ou dans les collines, sous peine de rencontrer des entités surnaturelles, les morts noyés dont l’âme (sombra) rôde, et d’attraper une peur mortelle (susto ou espanto). Cette méfiance n’est cependant pas liée qu’au fleuve car l’eau n’est pas réductible à sa quantité. Les Nahuas se gardent tout autant de l’eau du tanque, la cuve à eau familiale auprès de laquelle on peut aussi attraper un espanto de agua. L’eau que l’on boit peut vous boire aussi, on peut se « noyer de l’intérieur » (Toumi, 1992).
Santiago, les caballeros et le cycle des eaux
74Tournons-nous à présent vers un autre aspect de saint Jacques, qui amplifie son pouvoir de maître de la foudre : celui de patron des caballeros.
75Dans l’amate, on remarque que Santiago, le « cavalier magique », envoie un éclair vers l’est, incarnant à la fois sa personnalité de fils du tonnerre dans la tradition chrétienne et de patron des caballeros. Celui-ci est représenté par un petit cheval ailé bleuté, œuvrant dans le firmament à la droite de saint Jacques, ainsi que sous sa forme de météore-boule de feu (bolas de fuego). Les caballeros sont probablement des comètes, ou des feux Saint-Elme ou de la foudre. Ce sont des feux du ciel qui précèdent et provoquent la pluie. À cause de cela, les Nahuas appellent aussi Santiago le señor flechitas, autre terme signifiant « boules de feu mais plus étendues ».
76Quelle est la nature du caballero, cet être étrange, de feu, mais dont le pouvoir est sur l’élément liquide ? Une Xaliteca tente de débrouiller l’écheveau :
Ce sont des caballeros d’eau, c’est du feu mais d’eau. Comme ce sont des personnes, ce n’est pas du feu, comme le feu qui s’éteint si l’eau tombe, ce sont des personnes. « De feu », c’est simplement pour expliquer qu’ils ont une grande force, un grand pouvoir, mais ce sont des humains.
77On peut mettre ceci en parallèle avec un passage de la danse des Santiagos de Taxco dont nous avons déjà parlé plus haut. Au cours de l’action, saint Jacques envoie un ambassadeur auprès du roi de Jérusalem, Pilate, pour lui enjoindre de rendre la ville. L’émissaire menace Tibère, son homologue, en ces termes :
- 74 Fernando Horcasitas, 1980 : 120.
Con infamia al gran Santiago |
Avec infamie, au grand saint Jacques |
le han querido hacer traición. |
Vous avez voulu le trahir. |
Eso no quieren los cielos ; |
De cela, les cieux ne veulent pas |
que es mi querido patron. |
Car il s’agit de mon bien-aimé patron. |
Será un rayo |
Ce sera la foudre |
que sustentará mis fuerzas. |
Qui soutiendra mes forces |
Habla el Secretario |
Le secrétaire parle |
« Será un cometa animal |
« Est-ce que ce sera une comète animale |
que echará lumbre por los ojos |
qui fera jaillir le feu par les yeux |
y por las pestañas rayas. » |
et la foudre par les cils ? »74 |
- 75 Foster, 1944 ; López Austin, 1989.
78La « comète animale » à laquelle fait allusion la dernière apostrophe du secrétaire est en réalité un caballero. Les caballeros occupent une place à part à l’intérieur de la classe des nahuales. Le nahual (nahualli) est un sorcier qui se transforme en animal ou en phénomène météorologique. Ce peut être aussi un animal compagnon, un aller ego, dont le sort est lié à celui de l’individu et réciproquement. Le complexe culturel du nahualisme est très largement partagé par les sociétés indigènes mésoaméricaines75 et il revêt une importance très grande chez les Nahuas amateros. De par sa nature météorique, le caballero fait partie des nahuales les plus puissants et les plus dangereux. Il est lié à la foudre et au feu du ciel, et saint Jacques est leur maître, étant lui-même caballero. Les caballeros ont des pouvoirs particuliers, ils ont notamment la réputation de pouvoir respirer dans l’eau presque comme s’il s’agissait de l’air, on dit aussi qu’ils peuvent marcher au fond de l’eau comme sui-des chemins. Là encore, on retombe sur la conception d’un monde aquatique parallèle : « Mon grand-père, qui est caballero, vient de temps en temps et il m’explique comment on peut respirer à l’intérieur de l’eau. On respire par le nez très lentement, on inspire et on expire. Au début, cela fait peur et c’est pénible et après cela passe. Tu marches sous l’eau. »
79Le pouvoir sur les poissons est aussi un trait du caballero. On sait que si l’on rencontre la nuit ou à l’aube un pêcheur revenant avec de nombreuses prises, c’est qu’il s’agit d’un caballero : « Comment n’y arriveraient-ils pas ? Ce sont des caballeros ! Ils sautent et plongent et attrapent beaucoup de poissons. »
80On peut aussi déduire de certains témoignages que les boules de feu sont non seulement en relation avec l’eau, mais aussi avec la terre, puisqu’elles tombent dans les profondeurs souterraines : « Il existe des nahuales de feu (caballero). On dit que ces feux tombent jusqu’au fin fond de la terre. » Cela rejoint des croyances préhispaniques. À l’époque aztèque, Tlaloc le dieu de la pluie était symboliquement en relation avec la terre. D’abord par son nom venant du nahuatl, tlalli, qui signifie « terre », puis par certains de ses attributs : « Dans un contexte terrestre, Tlaloc était associé à la terre, à l’inframonde, au jaguar, aux grottes, à l’obscurité, à la nuit et au “Soleil nocturne” qui est comparable à l’astre dans son voyage dans l’inframonde » (Sullivan, 1974).
81Les caballeros sont associés au culte des montagnes car ils sont maîtres de la foudre et de l’eau. Ils sont gardiens des sources, de l’eau de source contenue dans les montagnes, comme en témoigne une Xaliteca :
J’ai demandé à mon oncle qui est nahual caballero : « Ces caballeros qui sont comme du feu. où tombent-ils ? » Il me répond : « Tu ne le sais pas ? » Je lui dis : « Non. Pourquoi tombent-ils, que font-ils, comment ils tombent ? – Écoute, ces caballeros sont bien méchants. – Pourquoi ? – Parce que ces caballeros tombent dans une colline mais seulement celle où ils savent qu’ils doivent tomber. Ils doivent tomber dans une montagne très haute parce que cette montagne peut contenir de l’eau. Il y a des collines qui ont de l’eau et d’autres non. Et sais-tu où il y a de l’eau ? Dans cette colline de Zacacomulco [qui se trouve entre le village d’Ameyaltepec et celui de Xalitla], là tombent de nombreux caballeros. Là-bas, à l’intérieur, on dit qu’il y a une sorte de lac, très large, très grand. Il y a des poissons énormes. Il y a beaucoup de poissons, une eau très profonde comme la mer ». Il me dit encore : « À l’intérieur de cette colline, l’eau est bien jolie, bien bleue, comme une mer, comme la mer ». Il dit : « Nous autres les caballeros, nous tombons à l’intérieur. – Et dans cette eau, il y a des gens ? – Seulement les caballeros, pas seulement de Xalitla mais aussi d’autres villages. »
- 76 Selon le Codex Florentine : « Et ils disaient que les montagnes ont une nature secrète, qu’ils sont (...)
- 77 Voir Broda. 1991.
82La montagne est en effet considérée comme le réceptacle, le réservoir des eaux, et en contact permanent avec les eaux souterraines. Cet espace est vécu par les Nahuas d’aujourd’hui – retrouvant ainsi une représentation symbolique préhispanique76 – comme étant la source des rivières et de la pluie et l’endroit de naissance des nuages. L’eau de la montagne est de l’eau de source. On trouve trace de cette conception dans le nom donné à la montagne où l’on va porter ses offrandes à Acatlan qui s’appelle le Cerro Azul (la montagne Bleue), couleur de Tlaloc et de la pluie et. de manière générale. la couleur bleue est associée à la pluie. Dans les villages balseros, nombre de croix du cimetière sont peintes en bleu (ce que montrent plusieurs amates), car les défunts sont aussi en relation avec la pluie, puisque celle-ci vient de l’au-delà, monde-matrice et source première de l’abondance et de la fertilité77. D’ailleurs, cette mer d’eau douce intérieure qu’abritent les montagnes les plus hautes est aussi la représentation du lieu générique de l’abondance, le « stock premier » de la ressource piscicole, d’où la réputation de formidables pêcheurs des caballeros, gardiens de cette « mer première ».
- 78 Cf. Gregorio Martinez, fig. 4 (in Stromberg, 1982).
- 79 Neff, 1994.
- 80 J. Broda (1991 : 478) souligne la cohérence de cette vision qui recoupe des arguments géologiques : (...)
- 81 Robichaux, 1997.
- 82 Katz, 1997.
- 83 Neff, 1994.
- 84 Katz, 1994.
- 85 Ramírez, 1988 : 59.
- 86 Katz, 1994 ; López-Austin, 1994.
83Certains amates présentent une vision du globe où les continents sont figurés sous la forme d’îles assez étroites et aux rebords abrupts aboutissant dans la mer qui recouvre toute la surface78. On comprend que les terres flottent au-dessus, ainsi que le font les bateaux voguant sur l’eau, et que l’espace sous la terre est conçu comme rempli d’eau. L’eau et le ciel se rejoignent aux extrémités du disque. Dieu, au zénith, occupe la place du soleil et envoie la foudre sur la terre, tandis que les diables se disputent le monde souterrain. On trouve dans cette iconographie des traces de la conception préhispanique du monde. Selon Sahagún (1992 : 699), « le ciel s’unissait à l’eau dans la mer, comme s’il s’agissait d’une maison où l’eau aurait formé les murs et le ciel aurait été au-dessus ». López Austin (1989 : 65) explique que dans la cosmovision des anciens Mexicains, « la superficie de la terre était conçue comme un rectangle ou comme un disque entouré par les eaux marines, dressées à ses extrémités pour former les murs sur lesquels reposait le ciel ». Les nappes souterraines sont considérées comme étant connectées entre elles par des canaux, par les cavités de la montagne (comme c’est le cas à Apantipan). Les sources jaillissant à l’extérieur sont vues comme la manifestation de ce courant souterrain qui relie les fleuves et les sources à la mer en sous-sol. C’est pour cela que, dans la région nahua voisine d’Acatlán, on fait des offrandes aux cimes des montagnes, aux sources des montagnes, aux sources du village, et au fleuve, à des entités appelées les sirènes (sirenas). Ce cycle souterrain se mêle au cycle aérien (évaporation, condensation, précipitation), puisque l’on pense que l’eau des sources et des pluies, par des galeries souterraines, rejoint la mer, ce qui occasionne la formation de brumes retombant ensuite sous forme de pluie79. Broda (1991) explique que, dans la conception préhispanique, les nuages se formeraient sous terre et les nappes d’eau souterraines se rejoindraient avec la mer. formant ainsi les nuages par condensation. Poussés par des vents favorables, ils se groupent au sommet des hautes montagnes. La pluie est censée se former souterrainement, dans les grottes et les failles des montagnes80. Ces dernières seraient en communication avec l’océan. L’eau de mer s’évapore et forme de la brume qui se condense sous forme de nuages qui, poussés par les vents d’est, retomberont sous forme de pluie. Ceci explique pourquoi, dès l’époque de Teotihuacan, le dieu de la pluie Tlaloc a des attributs marins, et qu’on lui fasse des offrandes de coquillages, corail, dents de requin, carapaces de tortues marines, etc. On retrouve cette même conception chez les Nahuas balseros d’aujourd’hui ainsi que dans nombre de groupes indiens du Mexique. Ainsi, les Nahuas de Tlaxcala disent que l’on trouve de grandes jarres (allas) pleines d’eau à l’intérieur de la montagne appelée La Malinche81. Selon les croyances des Mixtèques, à l’intérieur des montagnes les plus hautes qui attirent la pluie, il existe des « maisons de la pluie » (ve’i savi) qui sont comme des grottes et d’où naissent la pluie et les nuages82. Plusieurs anecdotes des villageois amateros mettent en relation l’eau des puits et l’eau du fleuve avec la mer, où l’eau de mer aurait la fonction d’attirer l’eau souterraine des sources dans les puits ; à l’inverse, elle chasserait les eaux de surface, comme le fleuve. Chez les Mixtèques de la Montaña du Guerrero, on dit que le serpent rentre dans la montagne par des galeries souterraines et rejoint la mer, ce qui occasionne la formation de brumes retombant ensuite sous forme de pluie83. Dans la Mixteca alta d’Oaxaca, on considère que les nuages sont en gestation dans la terre et qu’ils s’élèvent sous forme des brumes qui sortent de certaines grottes84. Ainsi, à Xalitla, on dit encore que le fleuve naît d’une grotte85. Toutes les eaux sont d’ailleurs pensées comme froides et humides, de la même manière que les grottes et, plus généralement, l’inframonde, telle une matrice humaine86.
84Cette conception du cycle souterrain des eaux, et du rôle des montagnes comme réservoir, explique la résistance des Nahuas balseros pour qui la construction d’une retenue d’eau constitue une aberration :
Cette montagne du Platanal [nom espagnol d’Apantipan] contient beaucoup d’eau [...], il y aurait un très grand fleuve souterrain là-bas. C’est pour cela qu’ils n’ont pas retrouvé les machines et les personnes qui ont été englouties. Ils allaient recouvrir le fleuve et ne pas laisser l’eau passer par en dessous. Quand on a de l’eau stockée, emmagasinée, l’eau ne peut plus rentrer dans la terre. Dans la colline, cette eau sort ainsi que les sources, elles vont rester sous l’eau. Elles ne vont plus avoir de sortie, tout va être emmagasiné dessous. C’est pour cela que les gens ne sont pas d’accord.
85Apantipan constitue donc l’un des lieux de sortie de l’eau souterraine contenue dans les « réservoirs » des montagnes. Du point de vue des Nahuas, les ingénieurs veulent créer un lac artificiel, avec de l’eau exposée au soleil qui, selon la classification des eaux autochtones, va devenir de « l’eau morte » puisque stagnante, et le paradoxe voudra que la « bonne eau », l’eau vive et souterraine de la source d’Apantipan, ne puisse plus trouver de chemin de sortie et aille se perdre dans les eaux mortes du lac de retenue.
86Les individus ayant un caballero comme nahual ont la réputation d’être capables de trouver l’eau de source, mais aussi de se battre dans des combats entre sorciers de différentes communautés pour conserver les sources, élément instable et versatile par excellence : « Les caballeros prennent soin de l’eau et se protègent dans l’eau. » Il faut les empêcher de partir, soit par des combats, soit par des offrandes. Leur office est précieux car, en effet, l’eau est mouvante, changeante et les villageois ont sans cesse peur que la source s’en aille ailleurs au profit d’un autre village qui a su mieux se la concilier : « Elle s’est vexée » dit-on alors. De la même manière, on tente d’attirer les sources des voisins sur le territoire de sa communauté, d’où une dimension occulte des conflits agraires : « Ils se battent entre eux caballeros si tous ont comme nahual le caballero, ils se battent juste entre eux. Et cela peut tomber, ils se battent flamme contre flamme, feu contre feu [lumbre]. » Par ailleurs, les voies d’eau souterraines et leurs sorties servent aussi de chemins et d’accès occultes aux sorciers, en particulier aux nahuales caballeros et Apantipan est un lieu réputé pour abriter l’une de ces concentrations de sorciers, étant donné toute l’eau que contient la montagne, sur laquelle les caballeros sont chargés de veiller. Un Oapanèque témoigne :
Là-bas, à Huitziltepec [légèrement au sud de San Juan], il y a une lagune, cette lagune est souterraine et l’eau vient sortir jusque par ici avant San Juan, d’une colline [Apantipan], il y a un flot d’eau qui sort ! Alors les sorciers [caballeros] entrent par là-bas et sortent jusqu’ici dans la montagne.
87Par conséquent, les aménageurs s’attaquent directement au territoire de saint Jacques et à ses voies d’accès. Celui-ci peut riposter par ailleurs, via les nahuales caballeros et décider de retirer toute l’eau de la région : « Ils peuvent enlever l’eau parce qu’ils sont capables de passer dans la montagne. [...] Et l’eau les suit. En faisant un trou... » C’est que les caballeros sont des personnages difficiles à manier car « ils se mettent en colère ». C’est un autre lien avec leur maître à tous, saint Jacques, réputé pour son caractère irascible. Selon les conceptions locales, il existe en effet des affinités électives entre un saint et la population (ou des familles dans le cas de cultes privés) dont il est le protecteur, de même que dans les relations humaines. Or les gens de cette province ont une réputation de guerilleros depuis l’époque de l’indépendance : rien d’étonnant alors si les saints sont aussi susceptibles et combattants que leurs administrés ! C’est ce trait de caractère que met en scène l’ amate que nous analysons ici. Saint Jacques et les entités responsables du territoire et de la sauvegarde des eaux châtient ceux qui veulent bouleverser l’ordre du cosmos – les aménageurs et technocrates –, en noyant la terre, au lieu de la « conserver » dans les montagnes qui sont considérées comme les vrais réservoirs d’eau. Ce message historié est parfaitement clair pour les habitants qui le commentent en ces termes : « [Dans cet amate] les caballeros détruisent le barrage. Ils sont comme de la foudre. »
88Il existe un autre point de refus pour les habitants des programmes socio-économiques de « mise en valeur » régionale qu’on leur a fait miroiter un temps avec le lac de retenue du barrage. Celui-ci aurait permis, selon les dires des agences gouvernementales, un accroissement de la capacité halieutique, ressource économique dont les balseros n’ont que faire. Économiquement, ils savent bien qu’il vaut mieux être un artisan qu’un pauvre pêcheur, comme leur prouve l’exemple de leurs voisins du village de Mezcala (situé sur le barrage de Mezcala). Par ailleurs, ils sont conscients de l’évidente eutrophisation du système et se la représentent par le fait que la véritable origine de cette ressource serait alors « bouchée » par les eaux mortes de la retenue. Ni les caballeros ni les poissons ne pourraient alors se renouveler, ne pouvant circuler d’une montagne à l’autre (donc d’une profondeur à une autre) comme ils en ont l’habitude.
Les récits d’apparition de saints
89Revenons à saint Jacques qui détruit le barrage et fait disparaître les ouvriers dans les entrailles de la terre. Dans les mois qui vont suivre, des récits d’apparition de saints châtiant les ingénieurs vont se diffuser dans toutes les communautés affectées par la construction du barrage. Ces véritables légendes modernes se présentent comme des explications a posteriori de certains problèmes d’effondrement dans les tunnels de soutènement, puis de l’annulation des travaux par le gouvernement. Il est vrai que la « responsabilité des saints » est souvent évoquée lors d’événements inaccoutumés. Par exemple à Oapan, une explication du changement de régime pluvial (et donc de prospérité de la communauté) est attribuée au déplacement de l’un des cultes les plus anciens de la communauté, le Santo Entierro (ou Catafalque de Jésus). La version suivante est narrée par Marcial Camilo :
- 87 Militaire et politique de l’indépendance mexicaine. 11 s’allia à Vicente Guerrero et formule le pla (...)
À Oapan, les ancêtres racontent que ce village était l’un des plus riches en maïs ; même si l’on semait peu, on récoltait beaucoup. Il y avait une source, des cultures de maïs et plusieurs quartiers, ce n’était pas un village. On allait à Oapan pour couper le maïs. C’était à l’époque d’Iturbide87, semble-t-il, et il y avait une hacienda agricole. Le Santo Entierro apparut dans l’eau, là où il y avait le maïs. Quand il apparut, il pleuvait beaucoup et le maïs poussait beaucoup. Et aujourd’hui il ne pleut plus. Il y en a qui disent que le saint est apparu parce qu’il nous tenait en pitié, en compassion parce que les Espagnols allaient nous tuer. Le saint était ici dans le village et, pendant la révolution, des soldats sont venus. Les gens se réfugiaient dans l’église qui avait un toit de palme ; les soldats le brûlèrent, mais la seule chose qu’ils ne purent pas brûler c’est le saint. « Cela doit avoir de la valeur » pensèrent-ils et ils l’emportèrent. Ils voulaient l’amener jusqu’à Mexico mais ils étaient de moins en moins nombreux et ils finirent par le laisser là-bas à Taxco. Le Santo Entierro n’a pas voulut nous abandonner et il n’est pas parti très loin. Chaque année, le sixième vendredi de Carême, beaucoup de gens vont à Taxco, il est très miraculeux. Les ancêtres nous parlaient : « Il est très miraculeux, il vient d’Oapan. » Moi j’y crois car j’ai perdu trois fois la clé d’ici et je la retrouve toujours. [...] Et les gens touchent sa main que l’on sent douce (mano suave). Et on touche le cordon et on se nettoie de n’importe quelle maladie.
- 88 Version recueillie à San Juan Tetelcingo et à Xalitla (juin 1995), suivant des informatrices de plu (...)
90Tous les récits d’apparition de saint sur le site du barrage, quels que soient le village, l’âge et le sexe des informateurs sont structurés selon les mêmes séquences narratives. La version la plus courante est la suivante88 :
Ils voulaient construire le barrage. Un jour, arrive un homme qui ressemblait à tout le monde. On ne se rendait pas compte que c’était un saint. C’était le seigneur saint Jean. Ils allaient « recouvrir » l’eau et lui n’a pas voulu. Ils avaient commencé à travailler. Lui leur dit qu’il ne voulait pas, qu’il n’avait pas donné la permission aux ouvriers et aux ingénieurs de le faire. « Mais on nous a ordonné de le faire. – Et moi je suis venu vous avertir que vous n’allez pas construire le barrage parce que je ne le veux pas. – Mais qui es-tu ? – Quand vous voulez, je vous attend à San Juan. – Où vis-tu ? – Là-bas vous me rencontrerez, je vous y attends. » On raconte que quand il s’en alla, tout s’effondra. Ils pensèrent alors que cet homme n’était pas seulement un humain, peut-être un saint. Parce qu’une personne, n’est-ce pas, elle n’est pas capable de faire ça. On dit que les gens qui travaillaient sur le barrage [...] allèrent à San Juan, qu’ils demandèrent au comisario de convoquer une réunion avec tout le village. Mais il n’y en avait pas un qui ressemblait à cette personne. [...] Ils virent tous ceux qui s’appelaient Jean. « Ce n’est pas lui, lui non plus.... – Maintenant, allons à l’église ». On dit qu’ils entrèrent dans l’église et ils virent cet homme qui leur avait parlé ! « C’est celui-là – C’est le saint ! – C’est lui qui est venu nous dire qu’il ne voulait pas qu’on creuse. » On raconte qu’après cela, ils eurent tellement peur qu’ils ne revinrent jamais !
91Notons que, dans ce récit, la narratrice mentionne que « l’eau va être recouverte », alors qu’en toute logique, c’est l’eau qui devrait recouvrir la région. Il faut bien sûr le comprendre comme une allusion aux montagnes remplies d’eau qui vont être recouvertes par le lac de retenue.
92Les leitmotiv « on raconte », « on dit », placent d’emblée le récit sur le mode du conte. Sur ce canevas commun, la description du messager de la colère divine diffère :
On dit qu’une femme y est allée aussi. Une vierge qui alla leur dire de ne pas travailler. Ce sont des gens de Xalitla qui le raconte, ils sont allés à San Juan où on leur a dit. On dit que c’était la Vierge. Elle n’était pas vêtue avec un rebozo mais avec une sorte de voile qui lui couvrait la tête. Elle n’était pas très grande et portait des sandales. La Vierge aussi a été leur dire...
93Certains, comme Marcial Camilo, insistent plus sur le châtiment terrible qui attend les ingénieurs, avalés par les entrailles de la terre, en vertu de la cosmovision que j’ai analysée prédécemment :
Beaucoup de machines ont été recouvertes ici, elles se sont englouties, deux grandes avec lesquelles il étaient en train de faire le tunnel pour le barrage ici au Platanal. On dit que le tunnel arrivait déjà loin et que les machines allaient de plus en plus profond. Et voilà que le tunnel s’effondre et que les machines sont enterrées et que les gens meurent. Ils ont essayé de sortir les machines mais ils n’ont pas pu les retrouver. Tout a été englouti et perdu ! Au moment où ceux qui travaillaient sont rentrés dans le tunnel, un bruit énorme a été entendu et les machines ont été « avalées » au fond. Et on ne les a pas retrouvées. ]...] Les ingénieurs eurent peur et ils avertirent qu’ils avaient perdu des machines et des ouvriers. Leur chef a dit après que, quand ils allaient commencer à travailler, un homme à cheval est passé et leur a dit : « Arrêtez de travailler parce que, de toute façon, le barrage ne va pas se faire. » L’ingénieur le traita de pauvre fou et ne fit pas attention [...]. Mais l’autre insista : « Je vous dis de vous arrêter de travailler car le barrage ne se fera pas. » [...] Cet homme à cheval était venu les avertir, rien de plus. Ils ne firent pas attention et les machines et les techniciens fuent engloutis. C’était certainement le Seigneur saint Jacques avec son cheval [...].
L’ingénieur en chef dit : « Une personne est passée m’avertir que nous arrêtions de travailler, il m’a menacé pour que nous arrêtions, que ce que nous faisions ne servait à rien parce que tout allait s’effondrer. Ce ne sont pas ces fichus Indiens qui vont m’arrêter, fichus sorciers, fichus Indiens ! Ils ne nous laissent pas travailler en paix et ils sont en colère, ce sont eux qui ont créé le problème ici ! »
L’ingénieur alla à la fête à San Juan, en mars. Et il entra dans l’église et il se signa. Et il dit : « C’est cette personne qui est venu m’avertir à cheval. C’est lui qui ne veut pas que l’on fasse le barrage ! » Mais je ne sais pas si c’est saint Jean qu’il a vu ou un autre saint, parce qu’il y a beaucoup de retables, de statues là-bas. beaucoup d’images. Et saint Jean n’a pas de cheval ! Seulement saint Jacques et saint Martin en ont un.
- 89 Les exemples en sont nombreux dans le panthéon aztèque protéiforme ; par exemple sur le dieu Quetza (...)
- 90 On l’a vu, en vertu de l’image-symbole nahuatl. l’ixiptla (le terme s’attache à la forme, aux multi (...)
94Saints et Vierges forment une famille élargie (sur le mode de parenté des Nahuas), ayant des pouvoirs spécifiques et contribuant au combat, chacun selon ses compétences (sorcellerie, feu du ciel et raz de marée, etc.). Ils sont en même temps des manifestations de la même puissance divine89 et il existe à la fois une démultiplication des saints : chaque village privilégie un épisode différent de la vie du saint ou de la Vierge, ou l’un des miracles accomplis. Toutes ces « divisions » des saints font partie du même personnage mais, en même temps, leurs fêtes sont autonomes, et leurs caractères peuvent être différents. Le Christ offre un bon exemple avec l’Enfant Jésus, le Crucifié et le Christ au tombeau (Santo Entierro) ; il existe aussi différentes incarnations de la Vierge (Vierge de la Nativité, Vierge de l’assomption du 15 août, Vierge de Guadalupe, des Remèdes, etc.). On considère toutes ces divinités comme cousines ou sœurs les unes des autres, elles vont se visiter et se reçoivent mutuellement, comme le font les familles à l’occasion des différentes fêtes patronales90. C’est le cas de la Vierge d’Ameyaltepec, « cousine » de celle de Maxela et de Xalitla, comme elle le sont d’autres villes plus éloignées. Par l’intermédiaire des saints, les communautés s’intègrent ainsi dans l’ensemble régional et stratifient les liens de parenté qui les unissent entre elles. À Oapan, le culte de Santiago cristallise ainsi la parenté de ce village avec le bourg actuel de Tula. Ce dernier, situé plus à l’est du Balsas dans le municipe de Copalillo, se trouve désormais être un autre allié d’Oapan et Xalitla dans le mouvement du CPNAB. Depuis deux ou trois ans, les habitants de Tula ont décidé de renouer avec le culte ancien à Santiago et ont coopéré à la fête d’Oapan en apportant des toritos (les feux d’artifices indispensables à une fête patronale) qui coûtent aujourd’hui fort cher. La reformulation nouvelle de ce culte réactive ainsi des anciennes relations de parenté intervillageoises.
95Ceci explique que chaque village, selon ses cultes les plus importants ou son saint patron, a créé sa version des apparitions de saints sur le site d’Apantipan. Saint Jean est régulièrement cité car beaucoup considèrent que « son courroux a été grand lorsqu’il a vu les ingénieurs », puisqu’il est le patron du village de San Juan Tetelcingo où le barrage est prévu. La version mettant en scène la Vierge est, bien entendu, presque exclusivement relatée par les habitants de Xalitla, dont elle est la patronne. Pour le village de San Marcos Oacatzingo, il s’agirait de saint Marc, leur patron. Quant aux gens d’Oapan, il nomme saint Jacques, car une variante décrit le saint vengeur comme un « homme à cheval ». C’est de cette version qu’a choisi de rendre compte Marcial Camilo dans l’ amate que l’on vient d’analyser.
96Sur ces récits d’apparitions, on pense immédiatement aux saints apparus aux Mazatèques, lors du grand déplacement de population qu’a entraîné le barrage Cerro del Oro (Bartolomé et Barabas, 1990). Mais, différence notable, alors que dans le cas de Cerro del Oro, les apparitions ne font en quelques sorte que conforter les Mazatèques dans leur acception du projet et leur renoncement à leurs terres, ici on assiste au contraire à la justification du combat.
Les amates de protestation et la vision du milieu
- 91 Bonniol, 1992 : 25.
97La structuration de l’ identité autour du terroir et des espaces, dont la relation est vécue comme symbiotique par leurs habitants, fait que, avec la mobilisation contre le barrage, c’est une resocialisation de la vallée du Balsas qui s’opère. Plus question d’espaces « retirés », habités par les « animaux sauvages » avec lesquels les hommes, « incultes et frustes », finissent par se confondre. Cependant, puisque l’on ne peut « concevoir l’identité sans l’altérité91 », c’est la ville qui est perçue, par essence, comme le siège central de la barbarie et dont les habitants « ne vivent pas comme nous et sont tous fous ». Émanations de cet espace maléfique, les aménageurs et gouvernants reprennent l’œuvre inachevée des Conquistadores, en voulant à leur tour anéantir la région en l’inondant. Dès lors, ils se placent du côté de la barbarie, des animaux, de l’inhumanité et du diable, prouvant par là, aux yeux des Indiens, qu’ils appartiennent au monte et qu’ils sont « plus sauvages » qu’Oapanecos et Xalitecos réunis. L’amate de Marcial Camilo est la fidèle interprétation de ce nouvel état d’esprit revendiqué.
- 92 On a d’autres exemples de la réappropriation d’un symbole culturel par une minorité. Ainsi, à l’oue (...)
- 93 À l’époque aztèque, les termes de atl-tlachinolli (« eau-incendie ») associés avaient le sens métap (...)
98Quand il y a menace sur le territoire, un miracle ou une apparition miraculeuse sert souvent de rassemblement et de ciment culturel et identitaire à un groupe menacé (John Frum au Vanuatu, la Vierge et saint Jacques dans la guerre des castes mayas...). La protestation politique et identitaire des Nahuas contre le projet de barrage s’est ainsi doublée de la puissance d’une véritable « armée des ombres », celle des alliés et des protecteurs religieux. Dans une cosmovision cautionnant les saints d’une démarche protectrice envers le territoire dont ils ont la charge, chaque communauté affectée par le barrage s’est choisi les patrons qui lui correspondent le mieux. Mais le cas de saint Jacques, à Oapan, reste le plus exemplaire, de par son lourd passé de patron de l’Espagne chrétienne. Ironie de l’histoire, ce symbole de la conquête américaine se trouve annexé par les propres descendants des peuples que son patronage avait contribué à asservir92. En prenant la figure de saint Jacques comme saint protecteur, Marcial Camilo se fait le porte-parole de sa communauté pour justifier de son « droit divin » à garder son territoire. L’iconographie et les représentations attachées au saint, analysées tout au long de ce chapitre, révèlent que son symbolisme associe les deux aspects de la punition divine : le feu du ciel et l’inondation. Depuis l’époque préhispanique, ce sont pour les Nahuas les deux allégories évoquant la guerre, la destruction de la cité, et donc de la société93.
99La scène est donc un avertissement clair du devenir apocalyptique qui attend les aménageurs s’ils construisent le barrage, acte contre-nature qui scellerait la rupture définitive entre le groupe et les divinités responsables du territoire. Par cela même, les Nahuas se désignent comme les intermédiaires privilégiés entre le monde naturel et celui des hommes. Leur « mission » consiste à rétablir l’harmonie et les valeurs morales, sous l’égide des puissances spirituelles qui leur apportent secours et assistance dans cette tâche.
Notes
1 Le Douanier Rousseau aimait laisser croire à ses contemporains que ses paysages exotiques lui avaient été inspirés par l’expédition au Mexique de Napoléon III (Néret, 1985 : 13). Il n’avait en réalité jamais voyagé, ne dépassant pas les serres du Jardin des Plantes.
2 RufinoTamayo. l’un des plus grands peintres mexicains du xxe siècle, illustre aussi l’horror vacui d’une tout autre manière (musée du Petit-Palais, 1982 : 33).
3 L’exposition Die Kunst der Naïven en 1975 au Kunsthaus de Zurich regroupait encore sous cette appellation art primitif, art des aborigènes, arts populaires, art des enfants, art des aliénés et des « peintres du dimanche » (Néret, 1986 : 7). Plus récemment, on a parfois adjoint à cette terminologie « l’art marginal » ou « l’art brut ».
4 Ce récipient de céramique a la panse percée de multiples trous pour rincer le maïs mis à détremper dans la chaux.
5 Lettre « à l’opinion publique », San Miguel Tecuiciapan, Guerrero, 30 décembre 1990, signataires pour le CPNAB : Sixto Cabañas, secrétaire général, Tito Rutilo, secrétaire de la section de Xalitla.
6 Il existe une abondante littérature ethnologique sur le symbolisme du serpent, voir notamment Mercedes de la Garza, 1984 ; Neff. 1994.
7 Disselhoff et Linné, 1961 : 87.
8 Une variante de ce conte, recueillie par Eustaquio Celestino (1997) à San Juan Tetelcingo associe ce serpent à cornes au maïs ; en effet le paysan l’ayant rencontré le garda dans son grenier à maïs et le lendemain l’argent était mêlé aux grains. On a ici une représentation de l’abondance sous sa forme ancienne (le maïs) et nouvelle (l’argent).
9 À ce sujet, consulter Mercedes de la Garza, 1984.
10 Cf. Celestino, 1997.
11 On retrouve la même conception chez les Mixtèques de la Montana où le serpent rentre dans la montagne par des galeries souterraines et rejoint la mer. ce qui occasionne la formation de brumes retombant après sous forme de pluie (Neff, 1994). Dans la Mixteca alta d’Oaxaca. il est dit que les nuages se forment dans le monde souterrain. Ils sont en gestation dans la terre et s’élèvent par les brumes, formant alors des nuages qui sortent de certaines grottes (Katz, 1990).
12 Neff, 1994.
13 Audenet et Goloubinoff, 1994.
14 Cf. Hémond et Goloubinoff, 1997. Notons qu’en espagnol, le mot serpent est du genre féminin, tout comme les reptiles monstrueux des légendes bourguignones (la sarpen : Verdier, 1979) et dans la tradition celtique (Muller, 1993).
15 Voir Sébillot, 1983a et L
16 Eliade, 1975 : 149.
17 Ces contes sur le combat entre un aigle et un serpent offrent un parallèle avec la célèbre légende babylonienne d’Etana, qui nous est connue par les textes en caractères cunéiformes gravés sur des tablettes d’argile exhumées de l’antique Chaldée (Delarue, 1976). Celui-ci commence par une association entre un aigle et un serpent qui dégénère en guerre. Quand à la tradition celtique, elle abonde en luttes entre aigle et serpent. Muller (1993 : 977) y interpréte l’aigle comme étant la moitié estivale et céleste, alors que le serpent serait la moitié hivernale et souterraine.
18 Voir l’analyse de Muller sur saint Patrick expulsant les serpents d’Irlande (1993 : 324-325).
19 Disselhoff et Linné, 1961 : 87.
20 C’est-à-dire d’une journée et non pas d’une demi-journée comme c’est l’usage.
21 Le village est en effet actuellement divisé en trois quartiers : le centre avec l’église principale (consacrée à saint Augustin), le quartier de San Miguel où habite le peintre, et celui de San Juan, ces deux derniers entretenant un oratoire dédié au saint qui porte leur nom. Il existait auparavant une autre zone d’habitation dédiée à saint Jacques proche du fleuve (notons l’emplacement stratégique pour le patron des caballeros).
22 Voragine, 1967 (I) : 472.
23 Actes des Apôtres, 12 : 1-2.
24 Voragine, 1967 (I) : 471-480.
25 Ibid. (II) : 470.
26 Ibid. (I) : 474.
27 Barrai i Altet, 1993 : 20.
28 Celle-ci est marquée par la bataille de Las Naves de Tolosa en 1212 qui signe la défaite de la puissance almohade en Espagne, réduisant les territoires arabes à l’Andalousie (Guerra, 1974 : 127).
29 Warman, 1985.
30 Dans l’herméneutique chrétienne, l’Occident est en effet placé sous le patronage de saint Jacques puisqu’il est assis à la gauche du Christ, alors que son frère Jean siège à l’Orient (droite du Christ) (Voragine. 1967 (II) 474). C’est d’ailleurs du fait de cette « prédestination » que saint Jacques, durant sa vie, est allé évangéliser à l’extrême ouest du monde connu, en passant par les colonnes d’Hercule (Gibraltar).
31 Warman, 1985 : 58.
32 Du verbe mitotia, « danser » en nahuatl : fêtes rituelles aztèques au cours desquelles on dansait.
33 En 1150, lors du mariage de Ramón Berenguer IV, comte de Catalogne, avec la reine Pétronille d’Aragon, on simula un combat entre Maures et chrétiens qui peut être considéré comme l’antécédent formel des danses des moros y cristianos (Warman, 1985 : 15). Horcasitas indique que ces pièces aragonaises du xiie siècle ont de fortes connexions avec le drame provençal appelé Ludus Sancti Jacobi (« Jeu » ou « Spectacle de saint Jacques ») qui furent populaires dans le sud de la France dès le xive siècle (1980 : 104).
34 Ces danses de moros y cristianos existaient encore dans les années 1930, notamment dans la région de Grenade, dans la province de Valladolid, en Galice et León, dans les îles majorquines (Ricard. 1932 : 83) et, de nos jours, dans les Pyrénées espagnoles (Katz, communication personnelle).
35 Ricard, 1932 : 64.
36 Brody Esser, 1984 : 115.
37 Ces populations vinrent du Nord par vagues successives pour peupler le plateau central (parmi eux les populations nahuas dont les Mexicas). Les Chichimèques étaient nomades et considérés comme de féroces guerriers. Aujourd’hui encore, le mot Mecos renvoie à l’idée « d’Indien sauvage, mauvais garçon ».
38 Boccarra, 1991 : 176.
39 On trouve la même croyance chez les Totonaques (Kelly, 1966).
40 Évangile selon saint Marc. 3 : 17.
41 Voragine, 1967 (I) : 471.
42 Par exemple, saint Marc, dont la fête est le 25 avril, est devenu la représentation catholique de Wuigo, le dieu du tonnerre chez les Tlapanèques de la Montaña du Guerrero (Dehouve, 1987 : 357). Chez les Nahuas de Temalacacingo, Guerrero, le raya est aussi représenté par la figure de saint Marc (Neff, 1994).
43 Monaghan, 1987 : 421-427.
44 Les cabañuelas sont un rite d’observation du temps réparti sur l’ensemble du mois de janvier et qui permet de prédire la quantité et la qualité des eaux qui tomberont au cours de l’année.
45 Motte-Florac, 1997.
46 Warman, 1985 : 117.
47 Ainsi, à Grenade, au début du xviiie siècle, un frère carmélite « se moque de ceux qui pensent que le cheval de saint Jacques produit le tonnerre en se déplaçant » (Castro, 1954, cité par Boccara, 1983 : 293).
48 On avait cru, dans l’Antiquité, que la Voie lactée était la route des âmes qui quittent le monde ; dans les légendes du Moyen Age, le chemin de Saint-Jacques fut aussi regardé comme la voie de l’éternité (Sébillot, 1982 : 54-55).
49 Selon la Chronique fabuleuse de Turpin, saint Jacques apparut à Charlemagne dans la Voie lactée qu’il regardait, et lui indiqua ce chemin pour aller en Espagne et découvrir son tombeau. En Provence, c’est saint Jacques qui l’a tracée pour montrer sa route à Charlemagne lorsqu’il faisait la guerre aux Sar- .rasins (Sébillot, 1982 : 54-55).
50 Les Dakota disent que le premier cheval a été apporté, selon le mythe, par l’éclair (Beckwith, 1930 (XLIII) : 379).
51 Autre correspondance avec les récits merveilleux colportés sur le saint au Moyen Age : dans le Livre des miracles (chap. XIX), il y est dit que « saint Jacques était habillé de vêtements d’une extrême blancheur, muni d’armes de guerres, dont l’éclat excédait les rayons du soleil » (Vázquez de Parga, 1985 : 18).
52 Signorini, 1997.
53 Monaghan, 1987 : 446.
54 Historia de los Mexicanos por sus pinturas, 1988.
55 L’explication réside peut-être dans le fait que Pedro de Alvarado, gouverneur du Guatemala, du Honduras et du Chiapas, était commandeur de l’ordre de saint Jacques et, nous apprend le chroniqueur Bernai Díaz del Castillo, « bon cavalier »/ « buen jinete » et « qu’il portait autour du cou une chaîne d’or avec un joyau » (1977 (II) : 351). Une assimilation entre lui et les pouvoirs de son protecteur a pu être ainsi opérée par les Indiens.
56 Rivière, 1997 ; de Véricourt, 2000.
57 Texte nahuatl de Marcial Camilo, traduit et publié par J. Amith (1992).
58 On pourrait rapprocher ce témoignage des présages et des songes prémonitoires aztèques relatifs à la Conquête espagnole. Le chroniqueur Durán (in Baudot et Todorov, 1983 : 284) relate que l’empereur Moctezuma ordonna que les personnes âgées viennent lui raconter leurs songes. Les vieillards lui dirent avoir rêvé d’un grand incendie qui détruirait le temple de Huitzilopochtli. Quant aux vieilles femmes, leurs songes faisaient allusion à la destruction par l’eau : « Nous voyions un fleuve impétueux balayer les portes de ton palais et comment ses flots furieux jetaient à bas les murs de ta maison et en extirpaient les fondations [...] et comment ils arrivaient jusqu’au temple et, avec la même fureur, ils le renversaient et rasaient. Et les grands et les seigneurs plein d’effroi désertaient la ville et fuyaient dans les montagnes [...]. » On notera la similitude des termes évoquant la destruction de la cité aztèque (son temple inondé par le fleuve) et du village amatero (l’église noyée par le barrage).
59 La décomposition du mot est la suivante : aten (tli) [fleuve, cours d’eau] -xal (li) [sable ou lit du fleuve] -a (tl) [eau] -poc (tli) [fumée].
60 Ce verbe se décomposerait de la manière suivante : xittomo (nia) – momoloca : de xittomonia qui signifie « faire éclater quelque chose avec bruit » (Siméon. 1981 : 768) et de momoloca : « bouillonner, s’élever, jaillir... » (ibid. : 287).
61 Dans le conte « Orfée nahua » recueilli dans la sierra Norte de Puebla par M.-N. Chamoux (1980), un homme se rend dans le séjour des Morts, le Mictlan, pour porter à sa défunte femme son nouveau-né qui pleure. Les morts sont décrits de la manière suivante : quand la nuit est tombée les morts se couchent pour dormir ; en dormant ils font de l’écume (mach quema poposocatica’te cohtica’te’), ils bouillonnent d’écume (quen a’mo poposo’ca’ticate’). Cela signifierait-il dire que l’écume, l’action de bouillonner, est spécifique de la mort, du non-humain, ce qui explique la frayeur des balseros devant le fleuve qui bouillonne, de même que dans les présages rapportés par Sahagun où la lagune se soulève.
62 Sur l’analyse des causes de la chute de l’Empire toltèque, puis aztèque, entendues comme un ensemble de fautes commises par les hommes, voir Olivier (1997).
63 Ainsi, la rumeur laisse entendre que plusieurs personnes disparurent lorsque le barrage de Tepecoacuilco fut édifié en aval, dans les années 1970. De même, lors de la construction du pont reliant les deux moitiés du village de Xalitla, un ivrogne se tua en passant par-dessus bord car « le fleuve réclamait son dû ». On retrouve cette idée de sacrifice nécessaire à l’édification d’un grand ouvrage, un peu partout au Mexique et même en Europe.
64 Sur l’importance du mouvement hélicoïdal dans la cosmogonie méso-américaine, voir López Austin (1994).
65 Soustelle, 1979.
66 Il y est annoncé un grand tremblement de terre et un grand bouleversement dans le ciel où les étoiles seront précipitées sur la terre (Apocalypse. 6 : 12-13). Un déluge de feu lancé par l’ange produira « des tonnerres et des voix et des éclairs et un tremblement de terre » (Apocalypse, 8 : 5, septième sceau). L’Apocalypse peut en effet être définie par des éclairs et du tonnerre, un tremblement de terre et un déluge de feu qui brûlera toute la végétation verte et le tiers des arbres (Apocalypse, 8 : 7, 1re trompette). Une grande montagne embrasée sera lancée dans la mer (Apocalypse, 8 : 8, 2e trompette). De plus, la troisième trompette indique qu’« il est tombé du ciel une grande étoile qui brûlait comme une lampe, et elle est tombée sur le tiers des fleuves et sur les sources d’eaux » (Apocalypse, 8 : 10). Il s’ensuivra une famine et la destruction accélérée de la nature (la mer, la terre, les sources, l’atmosphère).
67 Siméon, 1981 (1885) : 29).
68 Goloubinoff (communication personnelle). Ainsi, une légende du village nahua de San Miguel Tzinacapan, dans la sierra Norte de Puebla met en scène Jean de l’Ours, fêté le 24 juin jour de la Saint Jean-Baptiste. Jean est ici le maître des eaux et on se garde de lui dire quel est le jour de sa fête car sinon il fera bombance et il tombera « de grandes pluies, beaucoup de foudre, et [...] l’eau nous engloutira, nous l’ingurgiterons et ainsi, il nous dévorera » (Toumi, 1992 : 213). Le rapport est évident avec la légende de Santiago à Oapan. Chez les Totonaques, san Juan est le patron de la partie froide et humide du monde et aussi celui des noyés (Ichon, 1973 : 126, 129-130 in López-Austin, 1994 : 127).
69 Depuis Teotihuacan, les représentations de l’au-delà voient le Tlalocan, paradis terrestre et séjour du dieu de la pluie Tlaloc, sous la forme d’un magnifique jardin rempli d’eau, de papillons et d’oiseaux (Sahagún, 1992 : 316). Le Tlalocan acueillait les hommes frappés par la foudre, les noyés, les malades d’hydropisie ou ayant des bubons et ceux qui périssaient d’un mal de nature aqueuse (López-Austin, 1994 : 9).
70 Musset. 1991 : 232. Les Anales de Tlatelolco rapportent que la première inondation eut lieu en 1382. Lors de celle de 1499. provoquée par la rupture de l’aqueduc d’Ahuizotl, les canaux de la ville, saturés, débordèrent sur les chinampas et les maisons. Le chroniqueur indigène Ixtlilxóchitl insiste sur la violence des eaux qui formèrent une vague énorme avant de s’abattre sur la cité, noyant tout sur son passage (1977. T. II : 167, cité par Musset, 1991 : 232-233). Ces débordements furent interprétés dans le sens de signes prémonitoires d’une fin du monde.
71 L’ahuehuetzin rappelle l’ahuizotl aztèque (Florentine Codex, 1955, livre XI).
72 M. Goloubinoff, communication personnelle.
73 Les cimetières étaient autrefois accolés à l’église à l’intérieur des villages mais, à partir de la fin du xviiie siècle, des lois s’inquiétant des émanations contagieuses recommandent qu’ils soient placés à l’extérieur (cf. Rodríguez, 1993). Mais certains villages s’y refusèrent, notamment à Ameyaltepec où on enterre encore les morts dans un petit carré au centre de l’église.
74 Fernando Horcasitas, 1980 : 120.
75 Foster, 1944 ; López Austin, 1989.
76 Selon le Codex Florentine : « Et ils disaient que les montagnes ont une nature secrète, qu’ils sont faits de terre et de roches seulement sur le dessus ; mais ils sont comme des jarres, comme des caisses, ils sont remplis d’eau, qui reste là. Si l’on souhaitait briser la paroi de la montagne, le monde se couvrirait d’eau. C’est pour cela qu’il donnaient le nom de altepetl aux établissements humains, on disait cette “eau-montagne”, ce fleuve, il jaillit de par là-bas, de l’intérieur de la montagne, de par-là il surgit » (Florentine Codex, lib. XI. cap. XII, párrafo 1", fol. 223 v).
77 Voir Broda. 1991.
78 Cf. Gregorio Martinez, fig. 4 (in Stromberg, 1982).
79 Neff, 1994.
80 J. Broda (1991 : 478) souligne la cohérence de cette vision qui recoupe des arguments géologiques : le Mexique, dans la majeure partie de son territoire, est de composition calcaire et volcanique et les cuevas (gouffres, failles) sont un élément important de cette géographie, qui contiennent souvent des sources, des lacs souterrains ou même donnent accès à des fleuves en partie souterrains. De plus, la mer qui limitait la méso-Amérique de chaque côté joue un rôle fondamental de génération des vents porteurs de pluie qui précèdent le commencement de la saison des pluies (ibid.).
81 Robichaux, 1997.
82 Katz, 1997.
83 Neff, 1994.
84 Katz, 1994.
85 Ramírez, 1988 : 59.
86 Katz, 1994 ; López-Austin, 1994.
87 Militaire et politique de l’indépendance mexicaine. 11 s’allia à Vicente Guerrero et formule le plan d’Igualaen 1821. Il signe le traité reconnaissant l’indépendance, puis est proclamé empereur en 1822 pour peu de temps.
88 Version recueillie à San Juan Tetelcingo et à Xalitla (juin 1995), suivant des informatrices de plus de 50 ans.
89 Les exemples en sont nombreux dans le panthéon aztèque protéiforme ; par exemple sur le dieu Quetzalcoatl qui peut prendre la forme de Ehecatl, le dieu du vent, mais qui est aussi Quetzalcoatl-Tlaloc, etc.
90 On l’a vu, en vertu de l’image-symbole nahuatl. l’ixiptla (le terme s’attache à la forme, aux multiples supports d’une essence divine), la pensée nahua ne sépare pas la puissance de ses différentes incarnations.
91 Bonniol, 1992 : 25.
92 On a d’autres exemples de la réappropriation d’un symbole culturel par une minorité. Ainsi, à l’ouest de la Thaïlande, l’Éléphant blanc faiseur de pluie, symbole bouddhique de la fertilité et de la prospérité de la majorité thaï et du pouvoir royal est « emprunté » par les Pwo Karen à la suite de la submersion de leur territoire en 1984 par un barrage (Moizo, 1996). Cela leur permet de gagner une part du prestige attaché à cet animal, symbole politique du pouvoir sur le territoire.
93 À l’époque aztèque, les termes de atl-tlachinolli (« eau-incendie ») associés avaient le sens métaphorique de « guerre » et étaient figurés par les pictographies d’un fleuve surmonté d’une flamme. L’eau du fleuve avait aussi le sens métaphorique de « sang » (ou « eau divine ») (Dehouve, 1995).
Table des illustrations
Titre | Figure 68 – Les quatre cavaliers de l’Apocalypse. « Y el fin apocaliptico del mundo... ». Eusebio Dîaz (Ameyaltepec), 1991. Encre de Chine sur papier amate, 58 x 38 cm. Coll. J. Amith. |
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Crédits | ©. X Zepeda |
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Titre | Figure 69 – Peinture sur les méfaits de la ville. « No ha sido facil... ». Marcial Camilo Ayala (Oapan), 1991. Encre de Chine sur papier amate, 60 x 40 cm. Coll. J. Amith. |
Crédits | ©. X Zepeda |
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Titre | Figure 70 – Intérieur de maison. Marcial Camilo Ayala (Oapan), 1995. Acrylique et encre de Chine sur papier amate, env. 30 x 20 cm. Coll. A. Hémond. |
Crédits | © A. Hémond |
URL | http://books.openedition.org/editionscnrs/docannexe/image/38727/img-3.jpg |
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Titre | Figure 71 – Structuration de l’amate au serpent. |
URL | http://books.openedition.org/editionscnrs/docannexe/image/38727/img-4.jpg |
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Titre | Figure 72 – Peinture du serpent-barrage. « Si se levants la presa... », Félix Jiménez Chino (Oapan), 1991. Encre de Chine sur papier amate, 58 x 38 cm. Coll. J. Amith. |
Crédits | ©. X Zepeda |
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