1Dans ce chapitre comme dans le précédent, nous envisageons la production de la ville, entendue comme ensemble de processus de fabrication matérielle et de gestion des espaces urbanisés. Nous l’examinons ici à travers ses dispositifs sociotechniques, c’est-à-dire des combinaisons d’objets techniques, juridiques et cognitifs, toujours composites et conjoncturelles, saisies dans et par des jeux de pouvoir et d’intérêts situés. À travers cette notion, nous nous intéressons à des instruments de l’action publique (Halpern et al. 2014), conventionnels autant qu’alternatifs ou expérimentaux, et à des outils mobilisés par les habitants, autrement dit à des institutions « de second rang1 » (Lorrain 2008). Par extension, nous examinons aussi des systèmes techniques, pour explorer comment les technologies et leurs artefacts circulent, sont appropriés et transforment – ou pas – la production urbaine dans des contextes socio-économiques et politiques différents.

2Ce parti conduit à considérer une catégorie très large et diverse d’objets de recherche pour identifier les questions que posent leur déploiement dans l’espace urbanisé, leurs effets sur les modes de gouvernance ou encore leur dimension politique (au sens de l’influence exercée par ces dispositifs sociotechniques sur les rapports de pouvoir entre acteurs). À rebours d’une vision mécaniciste du rôle de l’innovation technique dans le changement social ou d’un modèle managérial de l’innovation technique au service d’objectifs politiques ou sociétaux définis a priori, nous partons des dispositifs sociotechniques pour interroger les conditions de leur appropriation et de leur utilisation par différents types d’acteurs en vue de résoudre des problèmes, de réaliser des projets urbains ou de faire émerger de nouvelles façons de vivre en ville et, au-delà, de nouvelles urbanités. La perspective est donc celle d’une analyse relationnelle et contextualisée de la manière dont les mondes sociaux donnent naissance à des dispositifs techniques qui les façonnent en retour.

3Aborder la production urbaine par les outils et les dispositifs sociotechniques, c’est d’abord, comme en d’autres domaines, prendre la mesure des effets transformateurs du numérique (Beckouche 2017 ; Picon 2015). Il s’agit par exemple d’interroger, à différentes échelles, l’ambivalence de la numérisation, qui individualise certaines pratiques et encourage l’individuation du citadin mais en socialise d’autres, favorisant alors l’intensité des liens et l’urbanité. Ces questions valent pour les marchés urbains du travail, alors que sont progressivement redéfinis les lieux (du bureau fixe aux lieux communs du coworking et des fablabs) et formes de travail (du contrat à durée indéterminée salarié à l’auto-entrepreneuriat et l’ubérisation) (Marzloff 2013). Elles valent aussi pour la mobilité et la gestion urbaine, où s’effacent des frontières anciennes de l’organisation des services (à travers l’émergence des prosumers2 par exemple) et où surgissent de nouvelles inégalités entre des usagers différemment autonomisés par les dispositifs techniques. La réflexion sur le numérique et ses multiples déclinaisons au nom d’une ville intelligente et servicielle implique enfin de repenser les conditions et modalités de repolitisation de la question sociale dans un contexte où les interlocuteurs dominants sont rendus ou se rendent invisibles derrière les dispositifs techniques.

4Ces changements font déjà l’objet de nombreux travaux, principalement dans les villes des Nords, et dessinent un agenda de recherche qu’il n’est pas possible de reprendre ici. Dans ce chapitre, nous mettons tout particulièrement l’accent sur des exemples issus de villes des Suds avec la conviction que les innovations qui affectent aujourd’hui la production et la gestion urbaines des Suds, qu’elles proviennent d’usages inédits du numérique, de l’introduction de techniques low cost ou d’emprunts à des modèles et instruments de développement urbain, soulèvent des questions importantes et beaucoup moins étudiées, dont il faut s’emparer. D’abord, elles concernent les transformations d’un monde déjà peuplé de trois milliards de citadins et où sera concentrée la croissance urbaine d’ici à 2050, dont environ 90 % du total en Afrique et en Asie (United Nations 2014). Ensuite, les évolutions observées dans ces villes, engagées dans des processus de transition (socio-démo-économique) très rapides, sont des laboratoires dont il est possible de tirer des clefs de compréhension, à défaut de leçons, pour anticiper les ressorts du changement ailleurs et penser les actions publiques nécessaires. Ainsi, au-delà de leur pertinence pour comprendre les évolutions en cours dans leurs contextes propres, les exemples issus des Suds peuvent renseigner en retour sur des processus émergents dans les villes des Nords. C’est particulièrement vrai du rôle de l’informalité dans l’économie, la fabrication matérielle et la gouvernance des villes, bien documenté dans les Suds. Enfin, cette posture de recherche est en résonance avec le projet épistémologique qui consiste à recentrer les géographies de la théorie urbaine sur les sites où l’urbanisation est la plus dynamique (Robinson et Roy 2016). Il s’agit de passer d’une approche à visée universalisante à une approche relationnelle de la comparaison internationale, qui reconnaît la très grande diversité des expériences de la mondialisation.

5Pour explorer ce vaste champ d’étude, nous avons identifié quatre thématiques qui, sans être exclusives, ont selon nous un fort potentiel de structuration de futures recherches et feront l’objet d’un développement plus approfondi.

Savoirs et informations spatialisés dans la gouvernance et la gestion des villes

6Enveloppant les villes d’une nouvelle peau digitale, la prolifération de données numériques couplée à de grandes capacités de calcul suscite de nombreuses questions de recherche (voir par exemple Rabari et Storper 2015). Un courant des études urbaines interroge la ville intelligente, planifiée et gérée de manière efficace grâce à l’usage généralisé de données numériques (cf. chap. 2), comme une « nouvelle utopie » (Townsend 2013). Il s’intéresse aux technologies numériques dans la gouvernance urbaine, en examinant comment elles sont utilisées pour produire des informations et des savoirs spatialisés (spatial knowledge) (Baud et al. 2014), dans quelle mesure les données ainsi produites peuvent contribuer à relever les défis d’une ville durable (Saujot et Érard 2015), comment se recomposent les « champs croisés de la contrainte et de l’émancipation » (Gautreau et Noucher 2016, p. 3).

7Ces travaux soulèvent des débats dont les termes, pour simplifier, peuvent être résumés comme suit. D’un côté, les développements récents dans les domaines de l’information géographique et des technologies de l’information et de la communication (TIC) ouvrent des possibilités réelles pour améliorer la gouvernance en favorisant l’intégration de différents types de savoirs dans la production et la gestion des informations sur les espaces urbains et leur partage avec un public plus large. Conjuguées à la fabrication numérique, la philosophie des logiciels libres et les approches participatives (production volontaire de données, crowdsourcing) pourraient ainsi favoriser la critique des cartographies hégémoniques et, partant, renouveler la place des données dans le gouvernement de la ville3. D’un autre côté, l’adoption des TIC peut renforcer des formes de domination en favorisant certains territoires ou certaines catégories de la population urbaine aux dépens d’autres, que ce soit en raison des inégalités d’accès aux outils et de la fracture numérique ou en raison des conditions d’utilisation des outils. Discuter et nuancer ces positions contrastées, interroger la dimension adaptative entre instruments et politiques publiques pour identifier les principaux enjeux de recherche nécessitent un détour empirique et l’examen de configurations situées et précises.

8Dans les villes des Suds, où les systèmes d’information géographiques (SIG) et leurs bases de données sont en construction et où leur pertinence et leur utilisation ne font pas l’objet de consensus (Pfeffer et al. 2012), la littérature révèle d’abord un profond décalage entre des discours volontaristes et technophiles prophétisant la généralisation future des outils et leurs effets d’entraînement, et des discours sceptiques pointant la faiblesse des vérifications empiriques critiques. Ainsi, les travaux partent souvent de l’hypothèse que les agences chargées de la planification et de la gestion urbaine utilisent de plus en plus systématiquement les nouveaux outils de traitement des données et de cartographie dans l’exercice de leurs fonctions. Qu’en est-il réellement et quelles sont les variables qui expliquent leur inégale appropriation ? On sait, par exemple, que les autorités urbaines et les bailleurs tendent à prioriser les utilisations susceptibles d’augmenter les revenus des villes, comme la digitalisation des cadastres pour améliorer le rendement des taxes foncières. On sait aussi que de nombreuses expériences peinent à produire les résultats attendus (Simonneau 2017) : au-delà de cas d’étude bien documentés, une évaluation plus systématique reste à faire. De même, on sait peu de choses sur les effets de transformation induits dans les organisations qui adoptent ces outils. Quelques indications suggèrent cependant que les bases de données spatialisées, une fois constituées, sont rarement exploitées de manière stratégique par différentes administrations, par exemple dans la planification pour identifier et combler les inégalités spatiales dans la répartition des équipements publics de santé ou d’éducation. De plus, les compétences au sein des municipalités pour concevoir et maintenir les bases de données digitalisées sont souvent limitées, ce qui suscite le recours à des entreprises externes : quelles en sont les difficultés pratiques (en termes de propriété intellectuelle ou de compatibilité entre différentes plateformes) et quelles sont (ou seraient) les réponses possibles pour faciliter la codification et la standardisation des données comme pour y préserver un accès ouvert ?

9Pour la branche la plus optimiste de ce courant de la littérature, ces outils peuvent orienter le développement urbain vers des processus plus équitables voire plus résilients sur les plans économique et environnemental (Deshkar et al. 2011). Une raison avancée est que les géo-TIC, qui combinent l’information géographique avec les technologies de la communication, permettent d’intégrer dans un même SIG des données qualitatives et des savoirs autres qu’experts. Les méthodes de cartographie subjective en groupe et les techniques de cartographie participative poursuivent ainsi un double objectif : produire des supports iconographiques pour le débat public et la participation des populations, mais aussi placer ces dernières dans un statut de coproducteur de l’information géographique et de la construction cartographique qui en est issue (Lefebvre et al. 2017). Reposant sur les apports de différents types d’acteurs et de connaissances, surtout tacites ou communautaires (community-based knowledge), non formalisées et issues de pratiques directes de et dans l’espace, ces SIG peuvent associer des variables physiques (paysages, ressources locales) et socio-politiques (relations de pouvoir, historique des évolutions) (Pfeffer et al. 2012). Ces outils ont ainsi le potentiel pour enrichir les processus de planification et de gestion urbaines à différentes échelles, du quartier à la région métropolitaine. Toutefois, comment mettre un SIG des représentations et pratiques spatiales propres aux habitants au service d’un renouvellement des dispositifs de planification et de production urbaines ? Comment utiliser ces nouveaux outils et usages du numérique pour articuler autrement les rôles et les savoirs dans la production des espaces bâtis (Criqui 2015) ? Comme le suggère l’exemple du projet Adem à Gand (cf. encadré ci-dessous), la production citoyenne des données, la démocratisation de leur accès et leur prise en compte dans les politiques publiques relèvent d’enjeux qui ont chacun leurs logiques et visent des objectifs qui ne sont pas d’emblée et mécaniquement convergents.

10Outre sa contribution à la coproduction de connaissances pour étayer la décision publique, une meilleure circulation des informations spatialisées, y compris à travers des ressources disponibles sur Internet ou via les téléphones mobiles, augmente aussi, dans certaines conditions, la capacité d’action des habitants. Elle peut en effet faciliter l’émergence d’une force d’opposition à l’égard des projets de développement urbain, par exemple au moyen du counter-mapping, c’est-à-dire la fabrication de plans alternatifs mettant en exergue des réalités non prises en compte dans les représentations dominantes. Ici, la contestation repose sur les savoirs des habitants, érigés en science civique par opposition à des savoirs de type expert, pour élaborer un argumentaire et interpeller les pouvoirs publics ou les entreprises privées. De nombreux exemples, dans des contextes différents, doivent nourrir un débat encore trop théorique sur la capacité transformatrice des nouveaux outils dérivés des géo-TIC et leur propension à favoriser un changement social progressiste. Les recherches empiriques doivent aussi contribuer à décrypter les idéologies qui président à l’adoption de certains dispositifs et les projets sociétaux dont elles sont porteuses.

11Des auteurs moins optimistes, voire critiques, pointent d’ailleurs pour leur part la tendance de ces outils à produire ou reproduire de l’exclusion sociale (Raman et Denis 2013). Par exemple, le passage à la cartographie géo-référencée peut dessiner de nouveaux no man’s land du fait de l’impossibilité technique d’y réaliser des relevés (cas de quartiers informels illégaux ou très denses sans voirie carrossable), tandis que la numérisation du cadastre peut contribuer à étendre l’institution de la propriété privée individuelle là où des bien communs étaient, de facto, en vigueur, privant de droits et de ressources des catégories vulnérables de la population (Denis et al. 2011 ; Lavigne Delville 2017). Des études soulignent aussi les risques associés à la formalisation d’informations non vérifiées par des instances indépendantes qui, une fois intégrées dans un SIG, sont difficilement contestables et contestées, a fortiori de la part de populations illettrées. Dans bien des contextes, les données formelles sont en effet considérées comme représentant le réel et l’absence, dans les projets de cartographie numérique, de certains quartiers non reconnus officiellement peut y augmenter singulièrement le risque d’éviction. Certes, d’autres outils peuvent aider à combler des manques d’information sur ces quartiers, comme des images satellitaires, mais là aussi, les données produites peuvent mettre en péril des résidents vulnérables en les rendant visibles. En l’absence de pratiques inclusives de gouvernance et en raison de biais institutionnalisés en faveur des groupes sociaux dominants, quel est le potentiel des géo-TIC pour favoriser la prise en compte de perspectives alternatives (Haklay 2013) ? Si la dimension participative de la production des données spatialisées est largement saluée, notamment en ce qui concerne la production volontaire de contenu par les usagers mobilisant le potentiel des technologies connues sous l’appellation Web 2.0, de nombreux problèmes persistent.

12Certains sont relatifs à la précision et à la vérification des informations produites, aux méthodes pour synthétiser et analyser les données, à la propriété et à la confidentialité des bases qui en résultent (Elwood et al. 2012). Quels sont les moyens mis en œuvre, par exemple, pour vérifier et contrôler les enquêtes fondées sur des dispositifs dits d’approvisionnement par la foule (crowdsourcing) ? D’autres problèmes relèvent des biais sociaux intrinsèques à la production de contenu par les usagers car il va de soi que la fracture numérique exclut de nombreux citoyens ordinaires de la co-production de connaissance et de l’accès aux informations. Cependant, d’autres limites sont moins analysées : l’inclusion de différentes perspectives dans un contexte local donné ne résout pas la question de la montée d’échelle et de l’institutionnalisation de l’intégration des connaissances communautaires, permettant de les reconnaître sur un plan légal.

13Fondamentalement, malgré un discours moderniste encore très répandu sur la capacité transformatrice des nouvelles géo-technologies, cette capacité dépend bien moins des outils, qui se ressemblent d’un contexte à l’autre, que de la manière dont les sociétés se les approprient et les mettent au service d’objectifs politiques plus larges (McCall et Dunn 2012). À quelles conditions l’insertion de la fabrication numérique dans la prise de décision opérationnelle des acteurs publics pourrait-elle être favorisée et comment assurer le contrôle de ses visées par les citoyens ?

Une révolution smart et low tech des services urbains ?

14Dans le domaine des services urbains, les enjeux de recherche liés au numérique sont multiples. Ils concernent d’abord les changements technologiques (nouveaux équipements connectés, nouvelles applications et production massive de données) et leurs contributions à une gestion dite intelligente, efficace et sobre en ressources. Ils portent aussi sur les changements économiques déjà à l’œuvre ou nécessaires : transformer le modèle d’affaires des opérateurs de réseau pour rémunérer la parcimonie plutôt que les volumes vendus ; favoriser l’économie du partage et de la fonctionnalité ; promouvoir la performance d’usage des biens et services (Huré 2017). Enfin, il s’agit de décrypter les changements sociopolitiques associés aux usages des outils numériques tant sous l’angle des pratiques de consommation que des formes renouvelées de participation des habitants-citoyens à la gouvernance voire à la coproduction des services (De Feraudy et Saujot 2017).

15Bousculées par les technologies numériques, les configurations de fourniture des services, appréhendées comme des assemblages urbains d’acteurs, d’objets techniques, d’institutions, d’intérêts économiques, de pratiques et représentations sociales mais aussi d’espaces, évoluent aussi au rythme de la démocratisation marchande de produits et matériels, parfois high tech mais le plus souvent low tech et low cost dans les villes des Suds. Filières discrètes de la mondialisation (Choplin et Pliez 2018) et déploiement des usages numériques ont-ils le pouvoir de transformer la production et la gestion urbaines par le bas et par accumulation de petites innovations, en réponse aux problèmes rencontrés par les acteurs sociaux dans leur vie quotidienne ? Cette question sera explorée à travers trois ensembles de réflexions prospectives portant principalement sur les villes des Suds mais qui ne sont pas sans pertinence pour les villes des Nords.

Servicialisation et matérialité urbaine : repenser la proximité

16L’accélération des usages numériques par des citadins de plus en plus nombreux pose en termes nouveaux la question des services urbains, en particulier ceux dits de proximité, dans leur double dimension matérielle et fonctionnelle. Ces outils permettent en effet de réduire les coûts d’accès aux services, voire de limiter les désavantages de l’enclavement physique ou de l’éloignement, interrogeant ainsi des pratiques fondamentales de l’urbanisme conventionnel.

17Que devient, dans ce contexte, la question de la proximité physique, à l’échelle fine du quartier, entre équipements ou services et habitants ? Jusqu’ici, la planification urbaine valorisait cette proximité (calcul des ratios d’équipement par habitant, par densité ou par rayon d’accès, définition des localisations optimales par rapport à la trame viaire et aux blocs de parcelles, etc.). Aujourd’hui, l’intensification des relations dématérialisées modifie la donne et rend moins nécessaire – et peut-être obsolète ? – cette proximité physique, en particulier dans les espaces urbanisés des Suds où les équipements sont peu développés ou font totalement défaut. Revisiter la manière de faire et de penser la fabrique urbaine en pensant les relations entre l’immatériel et le matériel devient donc urgent.

18La santé et l’éducation comptent parmi les domaines concernés par des transformations rapides. En termes de e-santé, le suivi des patients (carnet e-santé numérisé en Côte d’Ivoire, kiosques médicaux en Inde) et les diagnostics (tablette Cardiopad d’examen cardiaque à distance au Cameroun) peuvent être complétés par la distribution de médicaments via des drones (comme au Rwanda) ; en termes de e-éducation, la distribution massive de tablettes, aujourd’hui supplantées par des phablettes4low cost en Afrique, connectées à des réseaux pédagogiques, peut pallier le déficit de classes construites. Dans les deux cas de figure, la notion d’équipement urbain doit être repensée : quelle sera la fonction réelle d’un dispensaire, d’une pharmacie ou d’une école primaire d’ici à 2030 ? Dans l’hypothèse probable d’un essor spectaculaire de l’usage de smartphones hyper connectés, comment repenser la matérialité des services de santé et d’éducation et quelles sont les voies d’adaptation ou de profonde mutation de la planification urbaine, en particulier du zonage, et des manières de concevoir l’équipement des nouveaux espaces urbanisés ?

19Une de ces voies explore le potentiel des nouveaux outils numériques et, plus généralement, des méthodes cartographiques pour produire différemment de nouvelles données urbaines, avec les incertitudes discutées dans la section précédente. En outre, le partage et la circulation des informations sur l’espace ne dispensent pas d’interroger le bien-fondé opérationnel de la numérisation des services publics : quelles prestations seront ainsi améliorées et démocratisées et dans quelle forme de complémentarité avec les services qui devront rester dans une relation physique ? Comment anticiper et prévenir ou corriger les nouvelles inégalités qui s’ensuivront ?

Innovations par le numérique : applications mobiles et nouveaux usages

20Si la téléphonie mobile est une invention venant des Nords, c’est aujourd’hui dans les Suds que les rythmes de diffusion et d’adoption sont les plus spectaculaires, c’est là que la progression des usages est la plus rapide et les réserves de croissance pour les entreprises du secteur les plus importantes.

21Plus encore que le téléphone lui-même, la multiplicité d’applications et les nouveaux usages ainsi rendus possibles bouleversent les pratiques citadines (Menascé et al. 2017). Le plus connu de ces nouveaux usages est celui du mobile banking, du porte-monnaie électronique aux transactions marchandes sécurisées en passant par les tontines numériques. En Afrique, où les grands opérateurs du monde sont présents (Orange, Airtel, Safaricom, Vodaphone, Softbank), la croissance du paiement mobile5 est spectaculaire et cette innovation par le numérique a des effets en cascade qui modifient de façon systémique l’ensemble du fonctionnement urbain. En Inde, le gouvernement force le mouvement en obligeant les bénéficiaires des programmes sociaux à ouvrir un compte bancaire (programme Jan Dhan Yojana). Ainsi, entre août 2014 et janvier 2015, 125 millions de nouveaux comptes ont été enregistrés, la plupart associés à une carte de paiement (RuPay). Cependant, le programme, qui prétend améliorer le ciblage des transferts et réduire leur détournement, est critiqué pour sa conception superficielle de l’inclusion financière, encore largement symbolique et limitée à un faible nombre de services aux nouveaux clients.

22Concernant plus de 90 pays dans le monde et un demi-milliard de comptes, l’argent mobile sert d’autres services par l’invention de fonctionnalités comme le système pay as you go qui permet à des ménages non bancarisés et à faibles revenus de s’équiper par le biais d’un crédit-bail ou d’une location simple. Ce dispositif est, par exemple, central dans le déploiement des kits solaires6 à destination des populations à faible revenu. Le paiement mobile est aussi désormais un dispositif essentiel des pratiques commerciales dans les marchés urbains de services, de biens et de matériaux tels que le ciment des chantiers d’auto-production résidentielle des classes populaires.

23Au-delà du mobile banking très médiatisé, on ignore pour l’essentiel les effets de cette révolution numérique sur les espaces urbanisés dont elle est pourtant en train de bouleverser les conditions de fabrication, de gestion et d’usage. Les effets théoriques attendus ou prédits sont analogues à ceux d’autres contextes :

En offrant de nouvelles clés de compréhension, elles [les technologies digitales] sont des outils d’aide à la décision. En numérisant les processus ou en connectant les infrastructures, elles promettent efficacité et intelligence dans la gestion ou l’exploitation des réseaux. S’embarquant sur mobile, elles renouvellent la relation aux usagers (Menascé et al. 2017).

24Les contextes spécifiques des villes des Suds suggèrent néanmoins que les opportunités et enjeux cruciaux sont peut-être d’abord ailleurs.

25Une étude sur l’essor des applications mobiles de réservation de taxi dans les villes du Sud-Est asiatique (l’application de la start-up malaisienne Grab était par exemple présente dans trente villes de la région en 2016), conclut que, si elles ne constituent pas une révolution d’usage, elles sont néanmoins « susceptibles d’augmenter le potentiel d’appariement entre une offre et une demande diffuses de mobilité [...] » (Eskenazi et Boutueil 2016, p. 72) et, ce faisant, d’augmenter la productivité des services de taxi.

26Cette anticipation, si elle devait se vérifier, est potentiellement d’une grande portée pour les contextes urbains des Suds caractérisés par l’informalité. Étendue à d’autres services et d’autres applications organisant l’appariement entre offre et demande, elle conduit à formuler un certain nombre d’hypothèses sur la contribution de ces applications à la transformation de marchés rendus plus transparents et efficaces par des systèmes de facturation et de paiement mobiles, de numérisation des transactions, de géolocalisation... Qu’il s’agisse d’eau, d’électricité, de terrains ou de taxis, les outils liés à la diffusion des téléphones et des applications mobiles ont la capacité de faciliter la mise en relation de fournisseurs de biens et services avec les clients finaux, de réduire l’incertitude de tous par le partage d’informations en temps réel, de sécuriser les transactions en dématérialisant les flux monétaires. Cet ensemble de propriétés encadrant la transaction pourrait radicalement transformer le jeu de la concurrence en favorisant des logiques de standardisation (prix, qualité, contenu de la prestation) et de régularité dans des marchés informels caractérisés par le sur-mesure, l’aléatoire, la variabilité et l’incertitude. Les offres pourraient ainsi être élargies au-delà des espaces fonctionnels de proximité – sociale et spatiale –, niches confinées de la petite économie marchande informelle.

27Rien n’est acquis, toutefois. Comme le soulignent Manon Eskenazi et Virginie Boutueil (2016), les applications mobiles affectent les relations entre usagers et chauffeurs tout en constituant un nouveau défi pour les pouvoirs publics et les régulateurs – autant à Kuala Lumpur qu’à New York –, appelés à adapter les cadres réglementaires et institutionnels dans un univers à évolution rapide. À quelles conditions la digitalisation peut-elle servir la transparence des marchés, alimenter la confiance entre agents, libérer les transactions de logiques rentières et spéculatives qui profitent d’abord aux intermédiaires ? Tout ceci nécessite d’être empiriquement décrypté et évalué.

28De nombreux chantiers de recherche sont ainsi ouverts et, en premier lieu, autour des enjeux d’action publique. D’abord, le marché des applications mobiles est freiné par celui du smartphone et, sur le continent africain, par l’insuffisante couverture des réseaux de télécommunication et d’électricité. La fracture numérique est ici tout à la fois infrastructurelle, économique, culturelle et spatiale : c’est donc d’abord dans ces domaines que l’innovation technique et économique conserve un rôle de support stratégique. Ensuite, le rôle des applications mobiles dans la structuration de chacun des marchés de service informels doit être évalué au cas par cas. Les enjeux de connaissance et de compréhension portent ici sur le rôle du numérique dans la concurrence entre réseaux conventionnels et petits opérateurs, sur les conditions de gouvernance de ces configurations de fourniture hétérogènes, sur la régulation des conditions économiques, sociales et environnementales de la transformation des écosystèmes serviciels dans les villes. Le marché est potentiellement un bien public7, mais il n’est exempt ni de rapports de domination ni de contradictions : dans quelle mesure les nouveaux outils numériques peuvent-ils contribuer à une ville plus juste ? Quelle peut être la contribution des usagers (via les applications) dans le contrôle de la qualité de ces services, l’organisation et l’encadrement de la remontée d’informations des applications mobiles vers les pouvoirs publics ? Comment combiner transition numérique et transition environnementale en régulant, notamment, les nuisances et pollutions des filières électroniques (dont les déchets, en Afrique, échouent pour beaucoup dans la décharge sauvage d’Agbogbloshie à Accra) ?

29Dans chaque secteur d’application, et peut-être plus rapidement qu’on ne l’anticipe aujourd’hui, les technologies numériques ont un pouvoir de transformation. Quelles sont cependant les modalités de pénétration des technologies mobiles et comment évaluer leur influence effective sur les pratiques citadines, la productivité des services, les bénéfices économiques et sociaux des opérateurs en fonction de leur statut ? Comment déceler, parmi les nombreux facteurs qui se combinent – technologies numériques, gouvernance, plateformisation et nouveaux modèles d’affaires, marketing, conditions d’accès – ceux qui seront décisifs pour l’amélioration des services et ceux qui relèvent d’effets de mode ou d’aubaine plus conjoncturels ?

Techniques low cost/low tech et dynamiques d’hybridation sociotechnique

30L’attention portée, à raison, aux technologies numériques, ne doit pas faire oublier d’autres formes d’innovations, le plus souvent low cost/ low tech, avec lesquelles elles se combinent dans un vaste mouvement d’hybridation sociotechnique dont les impacts sur la production urbaine sont rapides et massifs quoique mal connus.

31La diffusion de produits low cost dans les pays en développement est favorisée par de nouveaux processus d’innovation, notamment portés par les besoins sociaux du plus grand nombre, lesquels constituent de nouvelles opportunités de marché (Haudeville et Le Bas 2016). Ciblant des populations nombreuses au pouvoir d’achat limité (bottom of the pyramid), ces nouvelles formes d’innovations, parfois qualifiées de frugales, ont en commun de faire peu appel à des connaissances formalisées, de miser sur des fonctionnalités simples en prise directe avec la demande locale, de privilégier des coûts de conception, d’acquisition et d’utilisation faibles. Si l’Inde et la Chine sont les principaux pays émetteurs des produits et biens low cost, la mondialisation, y compris discrète, des flux de marchandise et le désarmement douanier ont rendu ces derniers accessibles partout (Choplin et Pliez 2018). D’abord pensé comme une opportunité pour les ménages consommateurs, ce phénomène a aussi des conséquences majeures sur la fabrique urbaine, son contenu et ses acteurs.

32Ainsi, la diffusion de technologies et de produits chinois à bas coût sur les marchés africains a transformé les conditions techniques de fourniture de tous les services. Batteries électriques, panneaux photovoltaïques, compteurs rudimentaires, cuves et tuyaux en polyéthylène, mais aussi téléphones mobiles d’entrée de gamme et d’occasion témoignent de l’introduction réussie de technologies low cost qui ont facilité, encouragé ou accéléré l’émergence de petits opérateurs privés tout en diversifiant les dispositifs d’accès (forages et mini-réseaux d’eau, kiosques énergétiques, batteries et chauffe-eau solaires individuels, etc.).

33Dans des univers urbains peu propices à l’homogénéisation des cadres et conditions de l’action collective, l’introduction marchande et dispersée de ces produits et technologies low cost favorise l’organisation d’offres très hétérogènes, adossées à des innovations techniques et sociales (Jaglin 2016). Aux échelles urbaines, on observe ainsi une complexification des architectures de réseau, des assemblages composites et des logiques d’addition plutôt que de substitution, dans lesquels les catégories classiques de producteur, distributeur et consommateur se trouvent brouillées. Le tout est grandement facilité par l’essor d’un écosystème mobile grâce auquel la multiplication de petits systèmes techniques tire parti du déploiement, à grande échelle, des infrastructures matérielles et immatérielles des réseaux nationaux de téléphonie mobile et du développement de synergies étroites entre services. Dans la mobilité, la gestion des déchets ou celle des boues de vidanges, l’émergence d’applications pour réintermédier et réorganiser les chaînes de valeurs entre une multitude de fournisseurs artisanaux de services et une masse de clients aujourd’hui mal desservis est une évolution très crédible (Menascé et al. 2017). Les villes des Suds sont-elles ainsi ou seront-elles prochainement les terrains d’expérimentation d’une plateformisation des services urbains, dont le potentiel de développement paraît ici moins freiné que dans les Nords par des infrastructures et organisations existantes ? Les services déjà fournis par une multitude de petits artisans sont potentiellement « ubérisables » mais avec quels bénéfices et pour qui ? À quelles conditions l’objectif de couverture des besoins existants non satisfaits peut-il être atteint ? Ces applications et le rôle qu’elles attribuent aux usagers, fournisseurs et opérateurs peuvent-ils contribuer à une structuration des économies urbaines informelles, en levant les principaux verrous sur lesquels ont buté plusieurs générations de politiques de formalisation ?

34Enfin, dans quelle mesure les expérimentations des Suds sont-elles transférables ? Jusqu’à quel point ont-elles une valeur heuristique dans des contextes urbains des Nords, où la faible croissance économique et urbaine, la réduction du pouvoir d’achat d’une partie des ménages mais aussi des changements de comportement de consommation au profit de pratiques plus sobres de partage et de recyclage ouvrent des segments de marché à des produits de type low cost ? Des recherches s’intéressent déjà aux possibilités de transfert vers les Nords de technologies (produits et procédés) et de méthodes frugales (reverse innovation) (Laurens et Le Bas 2016). Certes, il n’est pas certain que le low cost des Nords soit dans la continuité de l’innovation frugale des Suds car les contenus de la pauvreté diffèrent, mais les dynamiques d’hétérogénéisation des services, ici comme là, ouvrent d’intéressantes perspectives croisées. Par ailleurs, les « technologies de la précarité » (Von Schnitzler 2016, p. 6), déployées dans les Suds pour adapter les services à des revenus informels faibles et irréguliers ne sont pas sans intérêt pour répondre aux vicissitudes de sociétés urbaines occidentales confrontées à la précarité énergétique et hydrique d’un nombre croissant de citadins ou, plus généralement, pour accompagner les évolutions de l’après-salariat.

Les (nouveaux) dispositifs de la production urbaine, entre politiques mainstream et alternatives

35Les nombreux travaux de recherche consacrés aux évolutions des politiques de développement urbain ont démontré la force du modèle entrepreneurial depuis trois décennies, la standardisation progressive des politiques tendues vers un objectif primordial de croissance économique et la consécration de deux processus dans cette dynamique : le renforcement des acteurs privés et des normes néolibérales dans la production urbaine ; l’influence d’un prêt-à-penser pénétrant les scènes locales et facilitant la conformation de leurs régimes d’action au modèle mainstream d’entrepreneurialisme urbain (Béal et Rousseau 2014). Avec la crise financière de la fin des années 2000, des études se sont toutefois aussi intéressées aux conditions d’émergence et aux contenus de stratégies urbaines dites post-néolibérales ou alternatives (ibid.). Une question centrale de ces travaux porte sur l’institutionnalisation et ses dilemmes : souvent nécessaire pour sortir les alternatives du stade expérimental, elle s’accompagne d’un risque de dilution voire de neutralisation de leur caractère transformatif, voire subversif.

36En complément des questions et principaux résultats débattus dans ces recherches, notamment en sociologie de l’action publique et des mouvements sociaux, qu’apporte une analyse par les dispositifs sociotechniques ? Partant de l’idée que le potentiel de transformation sociale de l’action urbaine ne réside pas dans les seules visées de ses acteurs, fussent-elles radicales, mais aussi dans ses techniques et artefacts, nous suggérons que l’analyse de ceux-ci peut contribuer à enrichir des recherches prospectives sur les conditions de régulation de la production et de la transformation urbaines.

37Nous proposons de l’illustrer à partir de trois exemples : une forme de production urbaine mainstream, analysée à travers les special-purpose vehicles des grands projets urbains, et deux mécanismes de production alternative, l’un centré sur les dispositifs d’expérimentation et de fabrication numérique (dans les Nords), l’autre sur l’expérimentation de rattrapage (dans les Suds).

Special-purpose vehicles : l’exemple des grands projets

38Avec des spécificités liées aux contextes locaux, on observe partout dans les grandes villes la prolifération d’instruments et procédures, liée au renforcement de l’urbanisme négocié et contractuel, au rôle décisif des règles foncières dans l’évolution du partage des rentes et bénéfices de l’aménagement, à l’impact croissant de la financiarisation de la production urbaine (Adisson 2015 ; Halbert et Attuyer 2016). La technicisation des dimensions juridico-financières des montages opérationnels de la production urbaine est particulièrement flagrante dans le cadre des partenariats public-privé qui, de plus en plus, forment la base de l’urbanisme par grand projet.

39Dans les années 1990 et 2000, dans les Nords et les Suds, le grand projet est en effet redevenu un instrument politique de prédilection dans le développement urbain (Pinson 2009 ; Kennedy 2015). Ce retour vient après une première génération de mégaprojets urbains associée, notamment dans les villes nord-américaines, à l’aggravation de la ségrégation socio-spatiale et aux violences urbaines des années 1960 et 1970. Sous différentes formes – transports publics, voies rapides, centres commerciaux –, ces projets étaient au cœur des initiatives de rénovation urbaine et de modernisation promues par la planification stratégique. La génération actuelle de mégaprojets urbains, du moins dans les villes des Nords, témoigne d’une évolution de leurs formes et fonctions. Ses promoteurs privilégient des espaces mixtes combinant usages résidentiel, commercial et de loisirs, espaces publics et privés, en prenant inspiration d’exemples iconiques comme celui des Docklands de Londres. Ils cherchent à éviter certains des écueils de la génération précédente, par exemple avec le redéveloppement de terrains industriels désaffectés plutôt que l’aménagement de nouveaux terrains à bâtir (Flores Dewey et Davis 2013).

40Au sein des travaux sur les mégaprojets et les méga-événements (Jeux olympiques, expositions universelles, compétitions sportives internationales...), les relations entre modalités des partenariats public-privé, organisation du pouvoir et contrôle des ressources urbaines constituent un enjeu de recherche considérable. Dans la mesure où le financement de ces initiatives tend à s’appuyer progressivement sur des capitaux privés, comprendre les termes des contrats et les modalités du partage des risques, des responsabilités et des profits éventuels devient central. Une question importante est en outre de savoir si les déterminants principaux de la production urbaine sont à rechercher dans les propriétés des partenariats public-privé ou bien si c’est plutôt la nature de l’engagement étatique dans ces partenariats qui est en cause dans la production (ou l’accentuation) d’inégalités intra-urbaines (Kennedy 2015).

41Comme pour les politiques de développement urbain elles-mêmes, des modèles de montage financier et de partage des risques circulent entre villes à travers les agences de développement, les bailleurs de fonds comme les entreprises privées, qui cherchent à négocier des garanties pour leurs placements. Ces modèles consistent le plus souvent à isoler le projet de la vie politique locale, en créant un cadre juridique et réglementaire d’exception (Ong 2006). Déployé au nom de l’efficacité, ce genre d’outil favorise des pratiques dérogatoires à l’urbanisme ordinaire. Par exemple, l’exécution d’un mégaprojet peut être confiée à un special-purpose vehicle, une entité juridique ad hoc régie par des règles propres souvent distinctes de celles de l’administration municipale et de sa chaîne de commande. Une telle entité, connue aussi sous le nom de fonds commun de créances, permet d’isoler les risques financiers liés à un nouveau projet et de se prémunir contre la possibilité de faillite. En Inde, où la libéralisation des années 1990 a facilité l’entrée des fonds d’investissement dans le secteur immobilier, les investisseurs étrangers ont encouragé les entreprises indiennes de promotion immobilière, avec lesquelles ils avaient formé un partenariat, à être cotées à la bourse de Mumbai, afin de s’assurer une sortie profitable du partenariat (Shatkin 2014).

42L’emprunt de tels instruments peut façonner à terme les modes de gouvernance urbaine. Il est dès lors crucial de connaître les moteurs et les logiques qui président à ces choix d’instruments dans différents contextes, d’analyser leurs coûts et avantages mais aussi de comprendre l’incidence de ces choix sur la production urbaine, les sentiers de dépendance ainsi créés, tant en termes matériels et financiers que cognitifs. À la suite de travaux récents, il est aussi nécessaire d’interroger les implications spatiales de ces instruments juridico-financiers en cherchant à appréhender comment leurs agencements et articulations participent à la production d’espaces spécifiques (Fauveaud 2016). En Inde, la cartographie des investissements de type fonds commun de créances montre que si les projets sont principalement situés dans les régions métropolitaines les plus peuplées (Mumbai et Delhi), certaines métropoles secondaires sont surreprésentées du fait de la structure de leurs économies régionales tournées vers l’économie mondiale (Halbert et Rouanet 2014). L’examen et le suivi des dispositifs en présence peuvent révéler de tels biais et aider à orienter les recherches.

Dispositifs d’expérimentation et de fabrication numérique

43Contrastant avec les grands projets et leur logique top down, les dispositifs d’expérimentation et de fabrication numérique s’inscrivent, pour ce qui est de leurs rapports aux pouvoirs publics, dans un continuum allant de l’institutionnalisation à la marginalité. Michel Lallement (2015) les caractérise à la manière d’un monde social, c’est-à-dire par un ensemble d’individus organisés autour d’une activité primaire (hacking8, fabrication numérique...), dotés de technologies (ordinateurs, imprimantes 3D, machines-outils...), structurés à l’aide de communautés et de réseaux. La dimension expérimentale de ces dispositifs sociotechniques est prégnante à plusieurs niveaux : celui de leur production (prototypage), des modalités d’apprentissage (par la pratique et la valorisation du droit à l’erreur) et de leur organisation (formes de gouvernance, modèles économiques et agencements de l’espace y sont sans cesse testés et encore peu stabilisés).

44Parmi ces dispositifs, nous distinguons les hackerspaces des fablabs. Les premiers sont créés dans les années 1970 et 1980 sur la côte ouest des États-Unis. Tournés vers la programmation informatique et le hacking, ce sont des lieux qui permettent le partage d’outils et de connaissances. Les seconds apparaissent au début des années 2000 à l’initiative d’une institution, le Massachussetts Institute of Technology (MIT). Ces deux types de dispositifs se distinguent aussi dans leurs activités, les fablabs accordant une place plus centrale aux machines à commande numérique (imprimante 3D, découpe laser, fraiseuse numérique...) et à leurs usages. Suivant des modes différenciés (informel dans le cas des hackerspaces, territorial et réticulaire dans le cas des fablabs), tous deux se diffusent rapidement. En l’absence de statistiques, hackerspaces.org, le site de référence à l’échelle mondiale, fait état d’une soixantaine de hackerspaces en 2005, près de 140 en 2008, 500 en 2010 et plus de 1 300 début 2017. En 2017, à titre indicatif, on compte 1 078 fablabs dans le monde sur le site web fablabs.io. Nés aux États-Unis, ces dispositifs se sont diffusés à l’échelle mondiale mais restent inégalement répartis, la différence Nords-Suds étant plus marquée encore dans le cas des hackerspaces. Le parti est ici de les étudier sous l’angle privilégié de leur rapport à l’espace et au territoire, encore peu abordé par la littérature, et en interrogeant la dimension prospective de leurs relations9. En quoi ces dispositifs d’expérimentation et de fabrication numérique peuvent-ils constituer des ressources pour les territoires, notamment urbains et métropolitains ? Sont-ils à même de proposer des formes alternatives à la production et la gestion néolibérales de la ville ? Inversement, en quoi les politiques urbaines peuvent-elles susciter ou accompagner leur développement et avec quelles conséquences ?

45Dans un contexte de redéfinition et de redéploiement spatial et scalaire de l’État, de multiples incitations visent à favoriser et à récompenser l’entrepreneuriat local. En France, la reconnaissance et le soutien de l’État aux fablabs poursuivent cet objectif. En 2013, un appel à projets du ministère du Redressement productif invitait par exemple les quatorze fablabs lauréats à développer des services pour les entreprises et start-up. Cet appel à projets a été suivi d’un dispositif de labellisation nationale, Métropole French Tech, qui exigeait des métropoles au moins un espace d’expérimentation. Pour certains observateurs, cette labellisation peut être analysée comme un instrument de gouvernement managérial au service d’une politique néolibérale (Epstein et Maisetti 2016).

46À l’échelle locale, on observe une plus grande diversité de représentations et d’attentes, le développement économique s’accompagnant d’objectifs sociaux, éducationnels et culturels. Dans ce contexte, l’institutionnalisation des fablabs par les collectivités, en réponse à un « besoin de société » selon une chargée de projet interrogée à Rennes en 2016, ne va pas sans contradictions. D’un côté, les fablabs bénéficient ainsi de diverses formes de soutien public, allant de la subvention ponctuelle (sur projet) à la mise à disposition gratuite de locaux et de personnels, ou encore à une aide en termes de communication et de mise en réseau. D’un autre côté, ils s’exposent à de nouvelles dépendances, voire à des formes de récupération politique fragilisant leur caractère alternatif. Rappelant la proximité entre les hippies (nouveaux communalistes) et les hackers, l’ouvrage de Turner (2012) souligne la relation des pionniers d’Internet avec les mouvements de la contre-culture. En termes d’imaginaire, cette proximité est toujours présente et elle n’est pas étrangère aux choix d’implantation des acteurs des fablabs et des hackerspaces, qui privilégient les espaces abandonnés des villes, là où des artistes expérimentent aussi de nouvelles formes de présence de l’art dans la société et dans la ville. Or, dans leur politique d’aménagement et de valorisation des fablabs et des hackerspaces, les autorités locales sont influencées par la théorie de la classe et de la ville créatives. À la suite des analyses de Landry (2000) sur la régénération urbaine des villes industrielles britanniques par la culture, la création de clusters culturels fait ainsi désormais figure d’orthodoxie de l’aménagement urbain. Aussi des municipalités vont-elles jusqu’à proposer aux fablabs des espaces délaissés dont elles prévoient la régénération à court ou moyen terme (cas de Saint-Étienne, de Nantes, de Gand...). Ce faisant, ces dispositifs deviennent aussi des instruments au service d’une stratégie de développement urbain par la culture et la créativité.

47Deux éléments sont ainsi identifiés comme sources de tension pour les fablabs et les hackerspaces et soulèvent des questions de recherche. Le premier concerne la relation au marché ; le second porte sur le rapport aux institutions. Si les études sur la genèse de ces types de lieux soulignent leur ambivalence, en relation avec l’ambiguïté qu’entretiennent les mouvements contre-culturels avec les valeurs du système capitaliste et avec la position libertarienne (Vicente 2009), il reste à comprendre pourquoi certains dispositifs s’accordent avec les institutions tandis que d’autres revendiquent une posture alternative, voire d’opposition10. Cette dernière, vecteur d’identité politique, représente un véritable attrait pour les acteurs militants du territoire et implique aussi une sociabilité transgressive vis-à-vis des normes régissant habituellement les lieux accueillant du public (activités proposées à prix libre, interdiction de fumer à l’intérieur non respectée, horaires d’accès illimités, etc.). En quoi cette posture alternative, en marge des institutions et des normes sociales, est-elle aussi à même d’interroger la production et la gestion de la ville ? Les recherches ne font que commencer sur ces nouveaux lieux, et leur pouvoir d’entraînement, en tant que dispositifs sociotechniques expérimentaux, reste à évaluer dans différents contextes.

Expérimentation de rattrapage et enkystement du provisoire

48Dans les villes des Suds, la production urbaine d’initiative citadine, hors planification et urbanisme administré, est à la fois massive et banale. Parfois qualifiée d’informelle, elle n’est le plus souvent ni expérimentale ni alternative à proprement parler. Toutefois, des dispositifs expérimentaux d’initiative publique, généralement présentés comme des solutions provisoires, trouvent aussi aujourd’hui, dans certaines villes, des formes d’institutionnalisation partielle durables qui constituent, en tant que telles, des modes de régulation de la production urbaine.

49Dans cette section, nous suggérons qu’analyser ainsi certains des dispositifs sociotechniques récemment déployés par les villes latino-américaines permet d’interroger les logiques de production de ces villes dans un moment charnière, entre inerties et innovations, entre vieux problèmes et nouveaux défis. En effet, d’un côté, elles connaissent, à partir des années 2000, d’importantes innovations qui leur valent l’étiquette de laboratoires de politiques urbaines (Paquette 2014), en particulier dans le domaine des transports (Curitiba, Bogotá) et des opérations d’urbanisme social (Medellín). D’un autre côté, ces innovations coexistent avec un ensemble de défis historiques, au premier rang desquels l’intégration et le développement des quartiers populaires informels. À ce contraste entre innovation et inertie, s’ajoute une autre opposition entre dérégulation et retour des pouvoirs publics. Les logiques de marché et les promoteurs immobiliers étendent leur influence sur la production urbaine, la planification territoriale peine à s’imposer face aux logiques sectorielles et à réduire les inégalités socio-spatiales, l’État de droit est encore faible, tout comme le contrôle fiscal et territorial par les autorités publiques. Les villes semblent cependant s’affirmer comme des acteurs importants de l’agenda politique, en même temps que l’État central renouvelle son investissement dans les politiques et les projets urbains. Dans ce contexte, différents types d’expérimentations (Bulkeley et Castan Broto 2013), projets pilotes et tentatives de rattrapage se multiplient pour répondre à des besoins en constante évolution (cf. l’encadré ci-dessous). Si certaines de ces expérimentations échouent, d’autres se consolident en s’adaptant, dans une confrontation sans cesse renouvelée, aux contextes et problèmes sociaux.

50Partant de l’exemple péruvien, on peut se demander si ces dispositifs durablement provisoires et expérimentaux, à la fois pragmatiques, moins coûteux et moins risqués que la réorganisation en profondeur de vastes secteurs d’action publique, n’ont pas une portée (et un attrait) plus large. N’apportent-ils pas des (éléments de) réponses à des besoins plus substantiels de refonte des modes d’action en contexte de pénurie financière (qui touche aussi et de manière croissante des villes des Nords) et de décalage entre une offre prédéfinie, conçue et planifiée de manière top down, et des demandes urbaines à la fois plus diverses et moins prévisibles ? On ne peut en effet s’empêcher ici de croiser les efforts de formalisation de l’informel des Suds et les dynamiques d’informalisation du formel des Nords, dont témoignent la précarisation et le relatif désarmement réglementaire du marché du travail. S’intéresser aux dimensions plus spécifiquement urbaines de cette apparente convergence ne conduit-il pas à interroger le rôle et les fonctions de l’aménagement ? Écartelé entre grands projets, alternatives et solutions transitoires, que devient l’urbanisme conventionnel, planifié autour d’une politique publique de long terme, dans la production de la ville ?

Techno-politique du quotidien

51Les technologies et dispositifs sociotechniques maniés par les décideurs et les gestionnaires, comme par les citadins appelés à (ou réclamant de) devenir acteurs à part entière des processus de production et de gestion de leurs espaces de vie, sont aussi révélateurs des politiques et des idéologies de la ville dont ils contribuent à façonner les rapports de pouvoir. L’enjeu ici n’est pas d’interroger les très nombreux défis de la gouvernance urbaine mais bien de proposer des pistes de réflexion qui semblent prometteuses pour comprendre le politique embarqué dans les dispositifs sociotechniques de la production et de la gestion urbaines, pour identifier les points de friction, voire de conflits, et les besoins de régulation.

52Les relations entre techniques et politiques ont été abordées dans la littérature sous l’angle de la techno-politique (Hecht 2012 ; Mitchell 2011). Très féconde pour révéler les choix politiques enchâssés dans les artefacts techniques comme, à l’inverse, pour décrypter le formatage des questions politiques par la technique, cette approche n’est pas urbaine dans les travaux de référence. Dans les villes pourtant, c’est le plus souvent à travers des dispositifs matériels que les citadins font l’expérience immédiate de l’État. Nombre des interactions quotidiennes entre habitants, pouvoirs publics, services de l’urbanisme, de l’eau, des déchets... sont médiées par des dispositifs techniques : branchements et compteurs, factures, listes d’attente, formulaires d’enregistrement, distributeurs de billets, péages... L’étude des petites technologies bureaucratiques et infrastructurelles qui instrumentent la relation à l’appareil d’État, central et local, est ainsi cruciale pour penser les relations de pouvoir dans la cité.

53Un courant de l’anthropologie reprend ainsi le principe d’une analyse des objets techno-politiques appliqué à de petits objets et à des échelles urbaines, notamment dans les Suds, pour dévoiler des dynamiques de pouvoir qui transcendent les catégories et divisions officielles souvent inopérantes (public/privé, État/ONG), rendre compte des pratiques quotidiennes situées et des relations complexes, notamment informelles, que les citadins construisent avec les structures de pouvoir (Cultural Anthropology 2011 ; Cupples 2011). Suivant Akrich, ces auteurs insistent sur le fait que « les objets techniques ont un contenu politique au sens où ils constituent des éléments actifs d’organisation des relations des hommes entre eux et avec leur environnement » (Akrich 1987, p. 49) et explorent ces modestes assemblages comme des expressions d’une « mundane form of techno-politics » (Von Schnitzler 2016, p. 10). À travers les artefacts techniques, ils dissèquent la fabrique techno-politique urbaine, les formes d’interpellation de l’État, les registres d’expression des mécontentements et proposent des cadres d’analyse particulièrement prometteurs pour déchiffrer et comprendre les rébellions urbaines contemporaines.

54En Afrique du Sud, cette approche du compteur à prépaiement, développé comme une technologie politique pour mettre un terme aux rent boycotts des mouvements anti-apartheid des années 1980, puis réinventé comme outil de construction d’une citoyenneté post-apartheid en contexte néolibéral, renouvelle l’analyse des résistances qui accompagnent leur installation (Von Schnitzler 2016). En historicisant l’émergence de ces mouvements sociaux et en les situant dans les rapports politiques locaux, elle dévoile bien plus que le contenu et la nature de la contestation ; elle dessine les contours du nouveau contrat social ou plutôt l’absence de consensus et la brutalité de l’affrontement autour de visions urbaines profondément divergentes.

55En croisant l’analyse des mouvements sociaux urbains avec celle des dispositifs sociotechniques, ces travaux enrichissent considérablement l’interprétation des recours à divers registres d’action et de revendication comme celle de l’absence fréquente de conflit et d’opposition de la part de communautés « at risk for mobilization » (McAdam et Schaffer Boudet 2012, p. 28). Ainsi, les formes de contestation visibles et parfois violentes (caillassage de bus, destruction de mobiliers urbains et d’équipements, dégradation de locaux publics, etc.) apparaissent d’autant plus exceptionnelles qu’elles contrastent avec des pratiques de contestation silencieuse, anciennes et très répandues dans les villes des Suds, telles que le braconnage sur les réseaux d’eau ou d’électricité, le truquage des compteurs, le contournement des règles d’urbanisme et, plus largement, le recours à l’informalité.

56Pour les épisodes récents, il est tentant d’établir un lien entre l’expression virulente des revendications et la progression des dispositifs dits intelligents, qui invisibilisent l’opérateur et individualisent les pratiques en désolidarisant les collectifs. La digitalisation influence-t-elle les formes d’expression et de contestation dans un monde où des acteurs dominants s’effacent derrière des dispositifs techniques (cartes de prépaiement, prestations dématérialisées, plateformes et ubérisation, centres d’appel délocalisés) qui dépolitisent la relation de service et invisibilisent l’entreprise ? Les révoltes urbaines, qui s’attaquent aux biens et infrastructures, sont-elles un témoignage de cette absence apparente d’interlocuteurs et une tentative de repolitisation de la relation de service ? Fréquentes et bien connues dans les villes des Suds, où le rationnement et les défaillances des réseaux suscitent depuis longtemps le mécontentement, les service delivery protests pourraient-elles connaître des répliques dans les villes des Nords, à mesure que des populations mal intégrées ou appauvries s’en trouvent exclues en plus grand nombre ? Plus généralement, les répertoires d’action dans les Suds sont-ils des signes avant-coureurs de transformations qui travaillent toutes les sociétés urbaines en profondeur et qu’en retenir pour les villes des Nords ?

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57L’objectif de ce chapitre était d’appréhender les processus de fabrication matérielle et de gestion des espaces urbanisés à partir de l’analyse des dispositifs sociotechniques. En nous intéressant à la fois aux instruments de l’action publique et aux outils dont se saisissent les résidents, nous avons insisté sur la nécessité de situer les dispositifs dans leurs contextes, de prêter attention à leur inscription dans le tissu institutionnel et dans le jeu des acteurs. Le propos est illustré à partir d’exemples pris principalement dans des villes des Suds. Cette démarche est motivée par la conviction que l’étude des évolutions en cours dans ces villes, très rapides, offre des clefs de compréhension générale pour saisir les processus émergents, où qu’ils se manifestent.

58Une entrée par les outils s’avère particulièrement pertinente pour analyser les effets du numérique. Les technologies de l’information et de la communication ont le potentiel de modifier les modalités d’interaction entre individus, leurs conditions d’accès à de nombreux services comme leur rapport à l’espace, à la mobilité, au travail... Elles fournissent aussi de nouvelles ressources pour résoudre des problèmes ou apporter des réponses à des besoins exprimés par les sociétés urbaines, donnant lieu à des innovations qui sont toujours techniques et sociales. En modifiant les rôles et relations entre les différents acteurs (fournisseurs et opérateurs, usagers, pouvoirs publics, régulateurs), elles bousculent les rapports de pouvoir et suscitent résistances et conflits.

59Si le potentiel des TIC pour améliorer l’accès aux informations et pour promouvoir une plus grande participation à la gouvernance paraît incontestable, la recherche critique mobilisée ici souligne également leurs limites, ainsi que la capacité des acteurs puissants à tirer parti des configurations émergentes, pour protéger leurs intérêts.