3. Expérimenter, improviser. Vers de nouvelles pratiques de recherche urbaine
p. 67-90
Texte intégral
1L’expérimentation est aujourd’hui une modalité de travail au cœur de la recherche urbaine située à la confluence de trois champs convergents : l’aménagement, les sciences sociales et l’art. Elle est aussi bien mobilisée dans des projets soutenus par les institutions, par exemple à travers des conceptions d’aménagement, que dans le cadre de recherches contestataires de projets en cours, ou encore comme forme de recherches exploratoires sur de nouveaux terrains urbains. Cette méthode immersive, participative et processuelle, témoigne d’évolutions actuelles dans les manières de faire de la recherche urbaine. Celle-ci ne prescrit pas de type d’aménagement en particulier comme d’autres mouvements expérimentaux ont pu auparavant le faire en urbanisme (les villes nouvelles par exemple), mais se traduit par des pratiques plus contextuelles de conception urbaine. Elle vient questionner en profondeur les degrés d’implication des différents acteurs de la production de l’urbain, leur place, leur fonction dans les projets actuels (répartition des compétences) et leur légitimité à y participer. Cela engendre de nouvelles coexistences disciplinaires et professionnelles. Ces nouvelles manières de faire bouleversent ainsi les normes de savoir et d’action en accordant par exemple un intérêt grandissant à l’expertise habitante. Dans ces conditions, quelles nouvelles formes méthodologiques émergent pour la recherche urbaine ? Et comment l’encapacitation des acteurs transforme-t-elle les savoirs de l’urbain et les manières de faire la ville ?
2L’expérimentation refait surface dans le contexte d’une remise en question des méthodes de concertation et d’une reconnaissance grandissante de l’expertise habitante, mais aussi de l’injonction institutionnelle au développement des nouvelles technologies dans la ville (smart cities). Alors même que la fracture numérique entre les territoires et les groupes sociaux ne cesse de se creuser, elle apparaît comme une perspective alternative en recherche urbaine pour répondre à des modes d’aménagement urbain standardisés faisant principalement appel à des « autorités compétentes » (qu’elles soient urbanistes, scientifiques ou même artistiques)1. À la fois inclusive, participative, locale et souvent peu coûteuse en moyens techniques, l’expérimentation prend racine dans une implication humaine, mobilisant des collectifs de personnes non expertes comme ressource principale. Souvent directement en prise avec le projet, ces personnes peuvent être des habitants, des acteurs institutionnels et non institutionnels locaux de plus en plus reconnus pour leurs compétences d’usage. Par l’expression créatrice des savoirs vernaculaires des habitants au cours de la co-construction du projet, l’expérimentation éclaire ainsi leurs modes de faire et de penser la ville.
3Ce chapitre sur l’expérimentation en recherche urbaine souhaite rendre compte, à travers une approche à la fois sensible et critique, des pratiques contemporaines et porteuses pour l’avenir dans ce domaine. Il présente l’origine de cette pratique et ses mobilisations actuelles dans la première section. Si l’expérimentation, dans ses usages pluridisciplinaires est récente, cette méthode est revendiquée comme démarche scientifique depuis les débuts du « rationalisme expérimental » incarné par le philosophe Karl Popper dans son ouvrage La logique de la découverte scientifique (1934) dans lequel il introduit l’expérimentation comme nouveau schème explicatif, délaissant l’induction au profit de l’analyse hypothético-déductive. Pourtant, à la même époque, l’expérimentation n’est pas seulement mobilisée dans le domaine scientifique mais aussi convoquée en art et en architecture, parfois mise au service du politique comme dans le cas de l’architecture constructiviste en Union soviétique. C’est le Bauhaus allemand autour de l’architecte Walter Gropius en 1920-1930 (école de Dessau), puis américain dès les années 1940 (école de Chicago), qui produit des recherches mobilisant l’expérimentation en architecture et en art qui sont aujourd’hui revisitées. Force est de reconnaître à l’expérimentation une origine plurielle et des usages contrastés au cours du xxe siècle. C’est dans cette modalité artistique et architecturale et non rationaliste que l’expérimentation urbaine trouve ses sources. Et plus particulièrement à travers la définition du Bauhaus comme « art du laboratoire » entendu comme lieu de la recherche, que celui-ci se situe dans l’institution académique ou sur le terrain.
4Dans la deuxième section, nous nous proposons de rendre visibles et lisibles les pratiques de recherche actuelles qui mobilisent l’expérimentation de manière alternative à travers les méthodes, enquêtes et outils de représentation. Un certain nombre de travaux pluridisciplinaires en recherche urbaine réalisés par des artistes, des paysagistes, des architectes, des urbanistes et des géographes y sont exposés. À travers leurs discours, productions et visualisations graphiques, plastiques et performatives, une attention sera particulièrement portée sur ces recherches construisant des savoirs en commun, contribuant à de nouvelles représentations de la ville et porteuses de projets et potentialités pour l’urbain.
5Enfin, ce chapitre se saisit de la question de l’expérimentation comme un moyen de réinterroger la fabrication de la recherche urbaine dans la troisième section. Avec qui faire de la recherche urbaine ? Quels acteurs sont concernés ? Comment y intégrer des savoirs et des savoir-faire vernaculaires en lien étroit avec les lieux de la recherche urbaine ? Quels sont les rapports entre les personnes parties prenantes du projet ? Autant de questions qui conduisent à une remise en cause des pratiques des chercheurs, à un élargissement de la finalité de la recherche et à un renouvellement des processus de recherche, des méthodes et des concepts scientifiques. Ce travail cherche à rebattre les cartes disciplinaires de l’expérimentation. En donnant à voir une palette élargie d’expérimentations en recherche urbaine menées en sciences sociales comme dans les domaines de l’architecture, du paysage ou de l’urbanisme, nous nous attacherons à en montrer sa transversalité et ses origines.
L’expérimentation en milieu urbain, l’émergence d’une pratique
Les origines surréalistes et situationnistes de l’expérimentation en ville
6Pour voir d’abord les trajectoires historiques de l’expérimentation ainsi que les conditions de son émergence en tant que méthode d’action collaborative pour l’aménagement des espaces urbains, il convient de rappeler que l’expérimentation a pu prendre une place significative ces dernières années grâce à des vagues contestataires successives dont le point de convergence est un regard critique sur l’urbanisme fonctionnaliste développé au début du xxe siècle, héritage des CIAM (Congrès internationaux d’architecture moderne). Dans une quête incessante de « rationalisation et de rentabilisation des études urbanistiques », cette période accompagne le développement d’une « conception générale de l’urbanisme » (Chapel 2010) par l’outil des statistiques et l’uniformisation des représentations (exposition de la « ville fonctionnelle » à Athènes, 1933). Ce regard standardisant des besoins humains est vivement critiqué par les mouvements artistiques et littéraires à la même époque, par les surréalistes vers 1920 puis par les situationnistes dans les années 1950. Ces courants se rejoignent dans une critique de la déshumanisation, de la normalisation et de la marchandisation de l’urbain créées par cette approche fonctionnaliste. Ils défendent les qualités multiformes de l’habitat urbain telles que les ambiances et plaident pour une approche psychogéographique dans laquelle le citadin est en constante interaction avec son environnement (Ivain 1958 ; cf. aussi Simay 2008). Cela passe par des pratiques expérimentales in situ se concrétisant par des déambulations collectives propres à susciter l’imaginaire et les affects dans les espaces traversés (principe de la flânerie, de l’errance ou de la dérive en groupe, ou des visites-excursions plus symboliques des surréalistes).
7Ces hypothèses en lien avec le développement des études cognitives s’étendent au monde des architectes, des artistes et des designers, de manière peu fréquente mais souvent significative avant les années 2000. Selon les principes du Bauhaus au début du siècle, l’expérimentation engage les sens et l’intellect dans une activité censée répondre à un problème énoncé. L’expérimentation constitue une méthodologie pour y répondre, souvent sur la base d’expériences collectives à l’aide de protocoles précis appliqués à plusieurs reprises. L’expérimentation sous cette forme est réutilisée dans des travaux scientifiques devenus célèbres de l’architecte et urbaniste Kevin Lynch sur l’imagibilité urbaine. Dans son ouvrage L’image de la ville (1960), il collabore avec l’artiste György Kepes pour rendre compte des perceptions urbaines à travers l’élaboration de cartes mentales réalisées avec des habitants de grandes villes américaines. L’expérimentation puise ainsi ses fondements dans la critique de l’urbanisme fonctionnaliste, la prise en compte des affects dans l’urbain et la prospective méthodologique. Au cours des décennies, l’expérimentation s’élabore avec la nécessité de l’in situ, devenant une méthode projectuelle et collaborative où l’habitant est une composante à part entière de la ville. Fortement mobilisée en psychologie environnementale, en recherche urbaine et particulièrement en géographie au cours des années 1970 et 1980 en France, cette méthode est aujourd’hui devenue un outil majeur en sciences sociales et plus récemment en aménagement dans le cadre des phases de diagnostic de projets urbains.
Les années 2000 : le retour des méthodes expérimentales, initiatives et institutionnalisation
8Depuis les années 2000, on assiste à une remise en question profonde des outils et des méthodes d’aménagement en faveur de l’expérimentation. Elle s’inscrit avant tout dans le contexte politique de mouvements citoyens investissant des espaces urbains. Elle est souvent le fait de chercheurs ayant un double rôle dans ces espaces. Par exemple à Montréal, le projet du Champ des Possibles, friche urbaine transformée en terrain vague militant et artistique, est investi par des habitants, mais également des universitaires qui s’impliquent dans des rôles scientifique et militant. Ces militants se sont opposés à de nombreux projets d’aménagement, comme la construction d’un parking, et revendiquent auprès de la municipalité une gestion citoyenne des espaces verts pour la préservation de la biodiversité et de la nature sauvage en ville (Douay 2012). Ce type d’initiatives majoritairement activistes a pu prendre de l’ampleur et est particulièrement visible dans le cas des appropriations d’espaces publics (Fleury 2007). Dans ce sens, nous pouvons citer le mouvement de Guerrilla Gardening qui se réapproprie sans autorisation des espaces urbains délaissés en les jardinant en Europe comme aux États-Unis dans l’objectif de répondre aux crises urbaines (Paddeu 2015). Ces actions sont aussi diverses que la végétalisation, l’animation et la piétonisation temporaire de rues, l’installation de mobiliers temporaires, la transformation d’espaces de stationnement comme dans le cas du Park (ing) Day (Douay et Prévot 2016).
9Face à la montée en puissance de ces initiatives citoyennes, les institutions publiques se placent souvent dans une posture d’opposition, notamment en évacuant les interventions informelles et en n’hésitant pas à faire usage de la force publique pour les éradiquer, comme lors de l’évacuation de la ZAD de Notre-Dame-des-Landes2 en 2018, suite à l’abandon du projet d’aéroport qui devait y être implanté. Dans ce sens, un événement institutionnel majeur, la 36e Rencontre nationale des agences d’urbanisme intitulée « L’individu, créateur de la ville » (Lyon, 2015), montre les problématiques institutionnelles en matière de méthode, de représentations et d’action urbaine avec une prise de conscience favorable au développement d’approches plus sensibles et collaboratives, se concrétisant dans des études récentes telles que celles portées par l’Atelier parisien d’urbanisme qui a publié en 2017 les rapports suivants : Les lieux singuliers de l’espace public à Paris, une stratégie de la petite échelle ; Les rythmes de l’espace public ; La ville autrement, initiatives citoyennes, urbanisme temporaire, innovations publiques, plateformes numériques. Certaines institutions s’inscrivent donc autrement vis-à-vis des pratiques spontanées et citoyennes en les jugeant favorables aux enjeux environnementaux et économiques. C’est par exemple le cas des permis de végétaliser permettant à chaque citoyen de contribuer au programme de végétalisation des voies publiques parisiennes fonctionnant depuis 2015. Toute personne peut ainsi déposer un projet de végétalisation sur la voie publique3.
10Cette nouvelle dynamique est aussi visible à travers des intitulés et conditions de récents appels d’offres concernant l’aménagement d’espaces publics. Les termes de « co-conception », « co-construction », « faire ensemble », « cartographie sensible » y sont présents et seuls des collectifs pluridisciplinaires sont appelés à y répondre en vue de diversifier les approches et les compétences (sociologie, urbanisme, programmation, art, etc.). Certaines institutions reconnaissent qu’elles sont dans une phase d’expérimentation pour l’aménagement urbain. Nous pouvons par exemple citer l’appel d’offres de la mission de co-conception et de co-construction pour l’aménagement de la Petite Ceinture de Paris en 2016. Il proposait « une approche collective pluridisciplinaire intégrant les habitants, sous forme d’ateliers de marche sensible, d’actions diverses à proposer par le titulaire » dont le but est de permettre « une meilleure appropriation » et une inscription dans le « vivre-ensemble ». L’objectif affiché est de permettre l’invention de nouveaux dispositifs utilisant les aspirations et savoirs des habitants.
Les contours de l’expérimentation urbaine : cadre théorique et méthodes
11Ces dernières années, ce sont des collectifs pluridisciplinaires, souvent indépendants des grands organismes de recherche et d’action publique, qui proposent de nouvelles manières de faire la ville, en mobilisant l’expérimentation. Ce phénomène marque une évolution majeure des contenus et des conditions de la recherche dans le contexte d’une pénurie d’offres d’emplois dans ce domaine, malgré une demande sociale grandissante d’expertise sur la ville. Parmi ses effets, la mobilisation de plus en plus fréquente de ces méthodes fait émerger de nouveaux rapports à la recherche. Ces recherches supposent des temporalités différentes, plus étendues afin de développer des collaborations, de nouvelles organisations sur le terrain (ateliers en salle ou parcours en extérieur) et des supports spécifiques de restitution de la recherche (nouveaux types de documents, expositions, etc.). L’émergence de ces méthodes de recherche s’accompagne d’une mutation des conditions de production scientifique qui, si elle est en passe de devenir légitime, n’est pas encore pleinement reconnue par les institutions, expliquant qu’elles sont parfois couplées à des choix méthodologiques plus classiques comme des entretiens ou une analyse de données statistiques. À travers nos expériences personnelles et en nous appuyant sur les productions et les communications de ces collectifs émergents, nous proposons de révéler en quoi leurs actions in situ s’inscrivent dans ces nouvelles modalités de l’expérimentation, qui sont autant de réponses face aux conditions actuelles de l’urbain. Nous pouvons ainsi identifier plusieurs points communs dans leur manière de faire.
12Le tableau ci-dessous liste une série de caractéristiques introduites, selon nous, par l’expérimentation dans la conception d’un projet urbain. Sans opposer l’expérimentation à d’autres modalités de l’aménagement, il s’agit de montrer comment celle-ci procède d’une démarche spécifique. L’expérimentation propose en ce sens une mise en action originale du projet potentiellement adaptable à des situations particulières. L’observation croisée de plusieurs cas montre que les modalités nouvelles de l’expérimentation ne sont pas seulement le fait d’un renouvellement des manières de penser le projet mais bien des moyens développés face aux conditions actuelles de l’urbain : contextes incertains, crises urbaines, économiques et environnementales, fragmentation urbaine, espaces en reconfiguration rapide, etc.
Présentation des modalités de l’expérimentation en aménagement
Projet d’aménagement urbain | Caractéristiques introduites par l’expérimentation urbaine |
Site déterminé par un périmètre | Espace-temps en mouvement : reconfiguré au fil du projet, selon le processus |
Calendrier du projet | |
Un concepteur référent | Collectif de concepteurs |
Perspective unique : geste architectural, paysager ou urbaniste | Perspective plurielle : collaborative (habitants, acteurs locaux, chercheurs, aménageurs, artistes) |
Écriture normée : plan réglementaire, zonages (PLU) | Écritures sensibles in situ : co-production d’une documentation contextualisant les pratiques habitantes (par exemple, usages, ambiances, mobilités, etc. |
Processus linéaire (vertical) : projet d’aménagement / conception phasée | Processus itératif (allers et venues entre expérience, analyse, réflexivité et action dans la co-conception et co-construction collective |
Urbanisme de planification : action stratégique, projection sur le long terme | Urbanisme de situation, parfois transitoire / intermédiaire, voire spontanée : action créatrice collective, relation avec les habitants, projection court et moyen terme |
Contexte : stable et déterminé, avenir relativement prédictible | Contexte : évolution en cours, contexte parfois incertain (crise par exemple) |
Planification : action programmée et intentionnelle | Improvisation : action située prise en compte d’effets non-intentionnels (sérendipité) |
« Faire avec » : les ressources de l’expérimentation
13Le collectif est une forme d’organisation du travail de plus en plus investie ces dernières années en France dans le domaine de l’aménagement pris au sens large, comprenant plusieurs disciplines, celles du paysage, de l’architecture et de l’urbanisme. La plupart de ces collectifs, souvent constitués sur des modèles de micro-entreprises coopératives (en société coopérative d’intérêt collectif par exemple), sont les figures de proue de l’expérimentation. Parfois vues comme des initiatives encore isolées ou sporadiques, leurs actions portent pourtant une véritable alternative, une autre vision de la ville et de l’aménagement. D’une manière générale, cette action alternative se fonde sur la relation au lieu vécu comme ressource pour l’expérimentation, qu’on pourrait désigner sous l’expression de « ressource vernaculaire » (Collignon 2005 ; Hallauer 2017). Ces ressources articulent plus spécifiquement trois niveaux dont cette section permettra de définir les enjeux : le rapport au lieu, le rapport aux personnes et le rapport aux savoirs.
14Ces collectifs s’inscrivent dans le courant des situationnistes et prônent avant tout un retour au terrain de la part des professionnels de l’aménagement. Ils placent leur démarche sur une pratique du déjà là comme source de « métamorphose régénératrice » (Younès 2012) des espaces urbains, dont la puissance de changement s’appuie sur des ressources urbaines latentes (D’Arienzo et al. 2016). Dans cette perspective, ces collectifs préconisent un principe immersif qui permet d’aller à la rencontre des expériences vécues par les habitants et de capter les qualités sensibles existantes, capables de révéler des potentiels de transformation. Pour cela une majorité d’entre eux expérimente la pratique de la visite collective qui engage à la fois la « découverte sensible » par le corps (qualités sensorielles ressenties) et « l’inspection objective » par des constats d’usage (Bossé 2015 : 43). Par exemple, dans le projet de la place de la République à Paris, le collectif Bazar Urbain a organisé des marches commentées où les participants (habitants, élus, employés des services techniques) étaient amenés à parcourir le lieu tout en racontant comment ils le vivent et l’imaginent en vue de recueillir leurs perceptions et représentations, notamment en matière d’usages. Les paroles issues de ces visites font ressurgir les préoccupations, les atouts et les points d’amélioration possibles pour la vie quotidienne de la place, voulant ainsi apporter un regard collectif projectif.
15Ainsi, concrètement, les participants de ces visites sont vus comme des acteurs de la production de connaissances du lieu et permettent une portée opérationnelle pour le collectif. Ces visites prennent plusieurs formes et sont en perpétuelle évolution selon les objectifs du collectif : visite exploratoire (appropriation), visite thématique (biodiversité, nocturne, etc.) et visite d’expertise (confirmation des diagnostics et des potentialités de transformation). Ces promenades sont guidées par des experts divers (écologues, artistes, architectes). Dans ce contexte, les chercheurs Pascal Amphoux et Nicolas Tixier (2017) insistent sur l’importance de la grande diversité des personnes invitées à participer (habitants, élus, experts). Il s’agit alors de rendre légitime le savoir usager où l’habitant ne doit plus être l’acteur faible du processus de projet (Cuny 2013). L’usager a en effet la responsabilité d’alimenter le processus par ses savoirs vernaculaires des lieux.
16Certains collectifs inscrivent leur projet dans une proximité avec le terrain plus importante encore. Ils appliquent les principes de la « permanence architecturale » théorisée par Patrick Bouchain. Il s’agit de collectifs pluridisciplinaires comme Le Bruit du Frigo fondé en 1997 par Gabi Farage et Yvan Detraz à Bordeaux, EXYZT fondé en 2003 à Montpellier, ou encore le collectif d’architectes Etc, né en 2009 et aujourd’hui installé à Marseille. Le principe de la permanence architecturale, plus qu’une immersion dans le lieu, consiste à habiter l’espace du projet. Ce dernier devient un véritable lieu de vie pour les architectes, dans lequel ils travaillent, mangent et dorment. Pour les besoins de cette résidence, les collectifs conçoivent souvent des constructions éphémères ouvertes, sous la forme de bivouacs, cabanes et abris temporaires, permettant non seulement la vie quotidienne mais aussi la rencontre avec l’extérieur, le voisinage, les visiteurs, de construire ad hoc un collectif de recherche, et offrant les conditions de possibilités d’un échange. L’exemple du pavillon de la France à la Biennale de Venise en 2004 de Bouchain et du collectif EXYZT a posé un des premiers jalons théoriques de cette pratique, donnant à vivre l’architecture et non plus à l’exposer (Bouchain et EXYZT 2011). Une certaine continuité peut être établie avec le pavillon de la France de 2018 conçu par l’équipe Encore heureux et d’autres collectifs (notamment Yes we camp et Etc) et valorisant l’expérimentation dans un esprit de « permis de faire » grâce à des processus in situ.
17Ces pratiques ont par exemple été utilisées en Auvergne en 2013 par le collectif Etc (Chiappero 2017) et en 2016 par le collectif Y+K à Avranches en Normandie :
La résidence constitue un temps d’expérimentation et de réflexivité privilégié. Sans commande, sans format attendu, elle n’impose que la rencontre avec une situation. Dans une logique de réciprocité, l’architecte tente de nourrir cette situation et, en retour, dispose de conditions « de recherche » privilégiées. La résidence est le temps de faire acte de théorie pour des pratiques qui se pensent et s’éprouvent de manière nécessairement située. Chaque projet est l’occasion de travailler des problématiques spécifiques, d’éprouver des éléments de méthode, de tester des protocoles (YA+K 2017).
18Il faut considérer l’alternative que constitue cette proposition s’appuyant sur toute une série d’expériences réalisées par divers collectifs depuis les années 1990, comme Le Bruit du Frigo ou Stalker, groupe d’architectes italiens fondé à Rome par Francesco Careri. Les caractéristiques du « faire avec » correspondent à une manière de faire spécifique qui engage plusieurs dimensions : le processus, l’habiter, l’improvisation in situ (ou adhocisme4). Cette pratique est résumée par Florent Chiappero, chercheur en architecture et membre du collectif Etc :
(Etc) fait partie d’un mouvement en construction, celui des « collectifs d’architectes ». Si les contours en sont flous, nous avons tout de même mis en évidence [...] l’existence de trois invariants constitutifs de leur pratique : l’auto-construction, associée aux notions de bricolage [...] et d’adhocisme (Jencks et Silver 2013) ; la production d’architectures éphémères, liant expérimentations et fêtes [...] ; la pratique de la résidence, de la permanence architecturale [...] à la posture du constructeur habitant [...] (Chiappero 2017, p. 2).
19Cette prise en compte de ce savoir nous amène non seulement à revoir la dichotomie entre savoir savant et savoir vernaculaire, mais, plus encore, à affiner tout un ensemble de notions permettant de mieux définir la contribution de l’expérimentation au projet d’aménagement. L’expérimentation fait apparaître de nouvelles distinctions conceptuelles, entre savoirs usagers, savoirs professionnels (mobilisant une compétence professionnelle au sein du projet participatif) et savoirs citoyens (réinvestissement d’outils et de modalités d’action militante). Cela ouvre la voie à une typologie d’acteurs et d’actions dans le registre de l’implication habitante (Nez 2013 ; Chiappero 2017). Quels savoirs de l’espace sont au fondement du projet urbain ? Quels acteurs y participent pour quels résultats ? Comment la mobilisation de ces savoirs est-elle un indicateur du rapport aux lieux du projet ? C’est donc aux fondements mêmes du projet qu’il faut revenir.
20Tout nous ramène au départ de l’expérimentation à la pensée d’Henri Lefebvre dans La production de l’espace (1974). L’acception expérimentale du projet d’aménagement rencontre ainsi une tournure nécessairement politique. De cette manière, les pratiques mobilisées par ces nouvelles organisations du travail en aménagement prenant la forme de collectifs initient de nombreuses voies et apparaissent comme véritablement porteuses de potentialités pour la production des espaces5. Ces pratiques mettent à bas d’anciennes traditions solidement établies : le survol du terrain, des projets trop souvent calculés en fonction de la valeur prétendue ou supposée des espaces, dans lesquels prévalent les principes productivistes de rendement territorial et d’investissement (économique, environnemental, humain). Ces traditions aboutissent aux mêmes effets néfastes que ceux du capitalisme (exploitation des ressources à tous les niveaux, destruction environnementale, appauvrissement et inégalités). L’expérimentation opère ainsi un renversement de la pensée urbaniste qui applique des principes provoquant un déracinement, valables partout et en tout lieu, résolument critiquée et abandonnée en faveur d’une « déprise d’œuvre » (Hallauer 2017). Répondant à de nouveaux critères comme celui de la participation inconditionnelle des habitants exposée précédemment, l’expérimentation, encore trop souvent considérée comme ponctuelle ou anodine, met pourtant en jeu un processus de reconquête symbolique de sens dans les lieux dont l’appréhension sensible et les pratiques collaboratives élaborées in situ constituent la pierre angulaire. Il s’agit ici d’un principe itératif continu entre temps de réflexion, temps d’action et temps de conception, capable de tester la réalité en faveur d’un processus de co-construction de savoirs (Zetlaoui-Léger 2013a ; Caillouette et Soussi 2017).
La quête d’un partage des représentations
21Nous pouvons en effet constater cet autre point de convergence entre les différentes pratiques des collectifs pluridisciplinaires, qui se matérialise par la quête de représentations collectives spatialisées, comme les cartographies et coupes sensibles (ou transects). Celles-ci se rejoignent par la compilation d’anecdotes, la mise en œuvre d’une approche des lieux, construite en commun, et l’exposition de potentialités d’aménagement sur le principe proposé par Lynch. Comme nous avons pu le voir précédemment, elles prennent souvent forme à partir des paroles des participants lors des visites collectives in situ. Elles sont de l’ordre de la description et de la projection collective. Dans cette perspective, ces représentations doivent combiner l’intérêt individuel, l’intérêt public et l’intérêt commun. Elles deviennent un outil de compréhension partageable. Ces figurations collaboratives ont en effet pour but de favoriser les échanges entre le concepteur, le décideur et l’usager. À ce titre, elles sont à la fois partagées, car construites avec un collectif impliquant différents acteurs (habitants, concepteurs professionnels, collectivités), et possèdent en même temps un caractère contextualisé, situé dans l’espace-temps du projet. Les documents communs produits tout au long du projet doivent donc être pris en tant que tels, pour ce qu’ils sont, c’est-à-dire une trace du processus. Pour cette raison, l’expérimentation se trouve également aux prises avec les mouvements critiques de la notion de représentation se réclamant des théories non- et plus-que-représentationnelles (Caquard 2014). Les documents produits par expérimentation tout au long du projet d’aménagement ont une valeur processuelle, c’est-à-dire qu’ils ne portent pas un discours général sur l’espace du projet, mais se replacent toujours dans un « il y a » préalable pour reprendre l’expression de Maurice Merleau-Ponty dans L’Œil et l’Esprit (1964). Cette dimension renvoie à la part sensible et subjective des documents produits souvent formulée comme une composante essentielle des cartes participatives :
[...] Toute carte raterait nécessairement la chair des lieux et assignerait les gens à des places non vécues. C’est depuis cet objet qui veut être partout et qui n’est nulle part que nous cherchons à créer les cartes de quelque part. Il y a là une position impossible. Or, c’est depuis cette tension que nous cherchons à faire entrer le « monde » dans la carte et voir ce que cela donne. Cette pratique s’est socialement inscrite et a pris un nom à la hâte : géographie subjective (Lahache et Jourdan, s.d.).
22La portée des documents collectifs est la plupart du temps présentée et mobilisée par les collectifs à l’aune du contexte dans lequel ils ont été produits et des personnes impliquées. Dans le cas de Catherine Jourdan, les cartographies collectives sont éditées et exposées dans les villes et participent de la déconstruction des évidences spatiales, ce qui permet également un éclairage contextualisé à une échelle micro-géographique de représentations habitantes sur la ville ou un quartier (Vigne 2012).
23Dans d’autres cas, les documents collectifs peuvent alimenter directement le projet. Pour certains collectifs, la représentation est un art de la composition et de la recomposition d’un commun de l’espace urbain partagé et ordinaire selon une éthique collective. Ce travail de figuration collective doit avoir une forme évolutive pour accueillir le processus participatif. Il s’appuie sur de véritables dispositifs qui sont autant de propositions d’actions à effectuer en commun et de mises en espaces qui permettent d’inviter les participants à s’exprimer. Par exemple, les outils développés par le collectif Bazar Urbain s’inscrivent dans une dynamique de paroles données/paroles rendues à travers le système de la table longue proposant de passer de la table ronde à la table longue. Celle-ci se compose d’une grande coupe ou plan du territoire pour une mise en débat et d’une restitution en vue d’un diagnostic prospectif.
24D’autres collectifs mobilisent ce système en invitant cette fois les participants à modifier leur propre perception du paysage. Dessinant en marchant sur de grands rouleaux de papier ensuite dépliés sur une table, la paysagiste Alice Freytet se sert du dessin comme support d’expression. Le dessin manifeste non seulement le point de vue de son auteur, mais aussi, puisqu’il n’est le porteur que d’une expression personnelle et située par rapport à une expérience du terrain, suscite l’intérêt et invite à l’expression celui qui le regarde. C’est la capacité de l’expérimentation graphique qui crée un espace d’intersubjectivité. Le dessin invite les personnes participant au projet à s’exprimer également. De cette manière, la pratique relationnelle du dessin permet la mise en débat et une critique des représentations normées.
25Le collectif paysagiste FAR (Fabriquer, Accompagner, Renouveler le regard) utilise également la table longue pour confronter les regards, mais d’une autre façon. Dans un lieu ouvert aux habitants durant soixante-dix heures, Ingrid Saumur a dessiné la cartographie des courbures du Drac et de l’Isère sur une feuille de papier de cinq mètres de long en lien avec toute sa collecte de matériaux (ambiances, usages, topographies, discussions inattendues avec des habitués) provenant de quatre mois d’arpentage. Cette figuration singulière des paysages réalisée au crayon a permis la libération de paroles d’habitants qui, en voyant l’artiste faire, se sont permis d’enrichir son travail en cours. Ces divers médiums partagés s’inscrivent au cœur de l’expérimentation par leur caractère exploratoire, évolutif et incertain.
Avenirs méthodologiques : les chemins ouverts par l’expérimentation
26Le développement de l’expérimentation depuis les années 2000 témoigne de la pertinence de cette méthode et de ses effets positifs. Cette réussite visible s’accompagne pourtant de phénomènes contradictoires qui peuvent conduire à une contre-productivité, à l’installation de nouvelles pratiques institutionnelles allant à l’encontre des objectifs initiaux, voire à un détournement de celle-ci. Il existe une série d’effets pervers et contradictoires liés à l’expérimentation à propos desquels nous devons rester vigilants. L’observation de plusieurs dispositifs ayant des finalités institutionnelles fait apparaître que le contexte budgétaire actuel de la puissance publique montre que de nouveaux rapports aux projets urbains et aux citoyens vont de pair avec une diminution drastique des subventions.
Risques et détournement : les usages de l’expérimentation
27L’expérimentation apparaît comme un moyen de pallier le manque de marge de manœuvre des collectivités publiques de plus en plus appelées à devenir des gestionnaires des espaces plutôt que d’être porteuses de projets de territoires, laissant ainsi le champ libre au secteur privé ou aux initiatives citoyennes que l’on sait beaucoup plus difficiles à fédérer. Le manque de financement alloué à ces projets est dénoncé par les collectifs obligés de faire largement appel au bénévolat.
28Le manque de reconnaissance de l’impact régénératif à plus long terme de ces aménagements est aussi à souligner. Dans ce sens, nous pouvons citer tout particulièrement l’exemple de l’Agrocité, projet d’écologie urbaine participative pour la résilience urbaine (R-Urban) à Colombes (92). Alors même que celui-ci a été permis par un système de micro-entrepreneurs et d’associations en partenariat avec plusieurs institutions (la région Île-de-France, le conseil général des Hauts-de-Seine, la mairie de Colombes) et financé par le programme européen LIFE, le projet a été démantelé et les porteurs expulsés en vue de la construction d’un parking, après deux ans d’intervention pourtant reconnue comme innovante. Cet exemple est à certains égards révélateur du fait que l’intervention institutionnelle par expérimentation repose sur deux principes de fonctionnement paradoxaux :
Sous-traiter l’expérimentation urbaine : les institutions sous-traitent aujourd’hui les savoir-faire décisifs du projet d’aménagement urbain au secteur de l’entreprenariat en architecture ou en urbanisme (agences privées proposant ces services), mais également à des collectifs d’architectes dont la structure est associative, ou encore directement aux citoyens. Les institutions se dessaisissent par la même occasion de la capacité à rassembler localement un collectif de travail ainsi que de la faculté à renouveler les imaginaires des espaces et leur fonctionnement dont elles ont pourtant un réel besoin. Elles se coupent ainsi de la possibilité d’avoir ces compétences en leur sein par le recrutement non pérenne d’experts dans ce domaine.
L’expérimentation urbaine comme dispositif d’adhésion : l’expérimentation offre également une possibilité de retravailler un lien positif avec les habitants et parfois une marge de négociation des projets comme dans le cas des squats institutionnels ou des occupations temporaires en partenariat avec des associations pour des chantiers d’auto-construction sur des parcelles destinées à des grands projets de renouvellement urbain. Cette adhésion s’inscrit de plus en plus dans la mobilisation de dispositifs numériques destinés aux citoyens qui sont invités à se prononcer « en faveur » des projets à travers des plateformes numériques.
29Cette question de l’adhésion est particulièrement visible dans un projet récent de la Ville de Paris. En effet, cette dernière a mis en place un système de participation à des expérimentations urbaines à travers des plateformes numériques. Le budget participatif (2014-2020) consulte les Parisiens au sujet de projets d’aménagement déjà présélectionnés. Dans un article consacré à ce projet, Nicolas Douay (2016), urbaniste, explique comment cette votation en ligne introduit de nouvelles conditions de communication autour des projets et dirige l’expression habitante vers une expression positive pour éviter toute opposition ou mise en débat.
30L’investissement placé dans l’outil numérique conduit à renforcer cette politique de l’adhésion, remettant ainsi en cause l’idée que la participation ou l’expérimentation vont de pair avec une mise en débat. L’usage des outils numériques peut contribuer à renforcer ce processus. C’est dans ce cadre qu’apparaissent de nouveaux dispositifs comme les cartographies participatives portées par les institutions. Le programme européen Smart City financé par la Commission européenne sur « la ville créative et durable » initie « un mode innovant d’accompagnement des projets urbains et du développement territorial ». Parmi ces outils, le crowdsourcing est utilisé afin de réaliser une cartographie dite sensible et collaborative. En région parisienne, la Smartmap développée par l’agence Dédale « a pour ambition de favoriser l’émergence d’une vision collective, émotionnelle et partagée de l’espace urbain6 ». Elle est élaborée avec une base de données qui s’appuie sur un corpus de données habitantes de différentes natures (entretiens avec des habitants, mesures, photos aériennes, archives) signalées sur la carte par des épingles et labellisées par des mots-clefs qui s’apparentent à des jugements appréciatifs (insolite, étrange, extraordinaire, inquiétant, etc.). Pourtant, ces données étant compilées et privées de toute contextualisation construisent davantage un outil d’adhésion généralisée qu’un outil collectif de déconstruction des représentations d’un territoire. Ce type de cartographie comporte le risque de confondre la notion de participation et la mobilisation ponctuelle de ressources en faveur de la mise en visibilité de données pour légitimer un projet (Olmedo 2015). De plus, il faut souligner que l’usage de ce dispositif pourtant en accès libre sur Internet reste finalement réservé aux personnes informées et possédant les compétences pour la manipulation de l’outil numérique. Un tel dispositif n’échappe pas à la fracture numérique, restreignant l’expression habitante à une partie de la population et se rendant ainsi susceptible d’accroître les inégalités7.
31Face à cette forme d’acquiescement des institutions publiques à l’expérimentation, il est donc nécessaire de poser la question de la diffusion de ces méthodes de recherche. Il apparaît donc essentiel de mettre en avant l’apport contestataire de ces méthodes. Dans cette section, nous avons montré comment l’expérimentation, pour être réalisée dans des conditions éthiques et à des fins réellement collectives, doit s’appuyer sur la mise en relation des acteurs pour faire émerger une collaboration aboutissant au projet. Elle s’appuie également sur une mise en débat approfondie, réflexive et intégratrice des points de vue. Il apparaît également nécessaire de poursuivre un travail de déconstruction critique des moyens et des finalités d’action de l’expérimentation comme celui entamé dans des travaux de recherche récents cités précédemment sur la déprise d’œuvre et les nouvelles modalités du projet d’architecture, collectives et « implicantes » (Hallauer 2017 ; Chiappero 2017).
Les enjeux posés par une recherche en commun
32La légitimation d’actions collectives s’opère dans le contexte de la reconnaissance de la capacité d’analyse d’acteurs pour interpréter la situation expérimentée. Cela s’inscrit dans l’interventionnisme sociologique théorisé à la fin des années 1970 par Alain Touraine (Touraine 1978 ; Touraine et al. 1978). Il définit les contours théoriques et méthodologiques de la participation des acteurs à une recherche ou un projet en envisageant les acteurs à travers leur capacité d’action et leur capacité réflexive. Cette méthode, récemment remise en débat (Cousin et Rui 2011), implique physiquement, émotionnellement et socialement les acteurs dans la situation de recherche. L’expérimentation s’appuie sur ce type d’organisation formelle, partagée par l’ensemble des acteurs ainsi que sur un cadre éthique de travail dans lequel les chercheurs acceptent de laisser une part réelle de l’analyse aux acteurs et de livrer leurs propres raisonnements. Chacun se retrouve alors dans un système de « mise à l’épreuve réciproque » (Nicolas-Le Strat 2013) qui doit s’appuyer sur des méthodes d’observation participative comme celle de l’intervention sociologique qui cherche à établir des liens entre les acteurs (rapports sociaux) à travers leurs engagements et actions.
L’intervention sociologique exige une « intelligence immédiate », faite « d’engagement personnel très intersubjectif ». Elle met en scène une dramaturgie particulière qui déstabilise incontestablement les chercheurs parce qu’elle les confronte au risque de l’échec (Cousin et Rui 2011, p. 513- 532).
33L’expérimentation urbaine pousse les chercheurs à se situer non plus dans ce que nous nommons une recherche-action mais une recherche embarquée qui consiste à s’impliquer dans une situation tout autant que les autres parties prenantes. Face à cette situation, les chercheurs utilisent le caractère expérimental pour s’adapter aux multiples sollicitations liées à un contexte mouvant et aux rythmes de ces nouveaux processus expérimentaux collaboratifs. Embarqués dans une posture plus souple, ils ajustent leurs méthodes d’observation et d’action en fonction des données produites au fur et à mesure. Plus familièrement, face à ce contexte de villes « adaptables » (terme utilisé dans le concours Europan8) et « malléables » (Gwiazdzinski 2009), le chercheur en recherche urbaine change régulièrement de casquette. Qu’il le veuille ou non, il est sollicité par tous les acteurs de ces processus collaboratifs. Il se retrouve dans un système de donnant/donnant où il doit faire ses preuves pour être intégré, tout en maniant un art de l’improvisation. Il faut alors ajuster sa posture et ses méthodes en fonction des réactions immédiates et du « rythme commun » (Motta 2016) en acceptant une remise en question perpétuelle.
34Ainsi, par sa présence aux immersions et ateliers participatifs, le chercheur est impliqué. En effet, un positionnement en recul crée une distance peu propice aux échanges. Il doit appréhender la réalité du territoire avec les acteurs qui y sont également impliqués pour pouvoir en capter l’essence et recueillir des données qu’il ne pourrait produire seul. Il n’est plus en position de surplomb et se retrouve mêlé à un système de « démocratie contributive » ou « chacun est en capacité (et en droit) de prendre la parole à partir de ce qui fait expérience pour lui et ce qui fait, conséquemment savoir pour lui [...]. Chacun est en capacité de faire valoir sa contribution » (Nicolas-Le Strat 2013, p. 11-12). Il en va ici de la capacité de flexibilité, d’inventivité et d’engagement de chacun des acteurs de la recherche collaborative, aussi bien d’un point de vue sensible et social que politique.
35Cette nouvelle posture interroge. Le premier questionnement concerne l’ampleur et l’évaluation des données (cf. chap. 2). Face à la masse d’informations produite, comment faire usage des données ? Comment évaluer des données produites collectivement ? Comment rendre compte de l’apport de cette co-production ? Dans ce nouveau contexte, les données résultant de ces expérimentations comptent autant que les dispositifs mis en place. Comment rendre compte d’un processus, des méthodes et relations qui se sont créées au fur et à mesure de ses observations et de son implication ? Ainsi, à la différence du chercheur indépendant, le chercheur en situation d’expérimentation a la responsabilité d’expliciter à la fois son dispositif de production de connaissance et son implication (rendre lisible et visible), que son action vise à orienter des politiques publiques ou non. Selon sa discipline de référence (architecture, urbanisme, géographie ou art), il peut même devenir co-créateur de méthodes ou d’un projet d’aménagement. Il peut ainsi acquérir le statut de chercheur-intervenant.
36En référence aux travaux du sociologue Pascal Nicolas-Le Strat, cette nouvelle posture du savoir est ancrée dans des recherches en train de se faire en situation d’expérimentations sociales, artistiques ou politiques au sein d’équipes pluridisciplinaires. Avec sa participation au projet d’« activation urbaine » ECObox de Paris en 2004, engageant la création de micro-équipements avec les habitants dans des espaces en friche, ou encore au projet culturel Correspondances Citoyennes en Europe, Pascal Nicolas-Le Strat questionne les modes d’implication, d’acceptation et de restitution d’une recherche-expérimentation revendiquant un travail en commun. Le chercheur n’est plus isolé, il doit faire en commun selon un triple enjeu : « agir en commun, constitution d’un commun, travail du commun » (Nicolas-Le Strat 2013). Ce commun ne concerne plus uniquement le cadre des chercheurs mais bien celui d’un public plus large comme le citoyen impliqué dans le processus, ce qui questionne les outils de recherche et leur accessibilité.
37Aussi cette situation particulière de travail en commun amène-telle le chercheur à prendre position : doit-il lâcher prise ou prendre part à la cause des acteurs ? Doit-il tourner le dos aux financeurs pour s’immerger dans la réalité du processus et de ces multiples acteurs et bénéficiaires ou trouver des alternatives en s’intégrant parmi les divers acteurs du mécanisme participatif pour en avoir une compréhension au plus juste ?
L’improvisation, une modalité interdisciplinaire de recherche
38D’un point de vue prospectif, la piste de l’expérimentation nous amène donc à explorer le faire expérimental qui est avant tout un faire contextuel et un faire avec, mobilisant la notion d’improvisation dans l’action. L’improvisation, comme méthode pour l’aménagement, consiste à imaginer une action dans un espace donné, à l’expérimenter et à considérer ce qu’elle produit comme usages, effets ou rétroactions. Elle consiste aussi à prendre en compte le contexte urbain du projet et sa versatilité, comme dans le cas des méga-événements citadins tels que les Jeux olympiques (Müller 2017). Cette perspective fortement développée à Berlin (Masboungi 2017) revendique l’improvisation comme art de la négociation, comme un processus qui s’inspire du contexte pour se reconfigurer lui-même.
39Comme l’expliquent Martin Müller et Édith Hallauer à travers leurs travaux en recherche urbaine s’intéressant aux modes de conception de la ville, et notamment à la question de l’improvisation (cf. encadrés 4 et 5), l’expérimentation ne s’applique pas nécessairement à des contextes particuliers ou nouveaux. Elle s’appuie sur ce qui fait partie des conditions matérielles et humaines habituelles du projet urbain qui réunit autour de la table des acteurs et des points de vue hétérogènes qu’il est souvent difficile de faire converger dans le projet. Ces conditions concrètes de l’urbanisme sont considérées comme le parent pauvre du projet et donc souvent reléguées au second plan comme un ensemble d’éléments difficiles à maîtriser. Ces aléas de la mise en œuvre, ces conditions du faire, font partie d’un impensé du projet quand elles ne sont pas prises au départ. À travers l’encadré suivant sur les caractéristiques de l’urbanisme d’improvisation, Müller revient sur les enjeux de ce cadre théorique qui prend sa source aux confins de l’art et du jazz notamment.
4. Vers un urbanisme d’improvisation
Martin Müller
L’improvisation est partout dans l’urbanisme. Elle est à l’œuvre dans le travail de conception d’un bâtiment, dans la machinerie d’un plan de zonage, quand on répond à des demandes multiples, quand on réagit à l’émergence de nouvelles situations, quand on prend des décisions fondées sur des faits hasardeux. On peut même affirmer que l’acte de créer ou d’adhérer à un projet ne peut se concevoir sans improvisation, c’est-à-dire sans l’actualisation des multiples potentialités inhérentes à chaque situation d’aménagement.
À première vue, l’improvisation semble être le pôle opposé de la planification : spontanée, créative, imprévue. Mais un examen plus approfondi révèle que l’improvisation émerge de la dialectique entre le prévu et l’événement, entre l’intentionnel et l’imprévisible. Comme Jacques Derrida le remarque dans une conversation avec le musicien de jazz Ornette Coleman, « ce que nous entendons souvent par improvisation, c’est la création de quelque chose de nouveau, mais qui n’exclut pas la trame préécrite, qui la rend possible » (Jousse 1997). L’improvisation est donc une pratique paradoxale : elle prospère dans le désordre, mais crée aussi de l’ordre, du moins pendant un certain temps. L’improvisation, dans le meilleur des cas, change notre perspective et ouvre de nouvelles possibilités qui n’auraient pas pu être cernées auparavant. Pensée au sein même de l’action, l’improvisation relève d’une pratique sensible suivant de près le rythme des acteurs, et située dans les lieux (Lévy 2016). Prenons l’exemple du Centre présidentiel Boris Eltsine à Ekaterinbourg en Russie. Ce bâtiment impressionnant qui a toutes les apparences d’un mémorial présidentiel se situe dans le centre-ville. Pourtant, il ne serait jamais devenu ce qu’il est maintenant sans une importante part d’improvisation. Le bâtiment était voué à l’origine à devenir un ensemble de bureaux, mais avec la crise financière de 2008-2009, il est resté inachevé. Juste au même moment, une agence d’architecture était à la recherche d’une parcelle pour construire un mémorial pour Boris Eltsine. Peu satisfait des terrains disponibles, l’architecte choisit de réhabiliter la coquille vide qu’était cet ensemble de bureaux et de la reconvertir en un mémorial. Mais le bâtiment était trop grand pour l’exploitation et le financement du mémorial présidentiel. Dans une seconde phase d’improvisation, le mémorial a donc intégré d’autres exploitations du lieu. À côté du musée consacré à Eltsine, le mémorial accueille maintenant un assemblage surprenant d’usages comprenant une banque de sperme, des cabinets médicaux, une librairie et un supermarché. Malgré – ou peut-être grâce à – cette improvisation, le centre Eltsine est devenu un lieu attractif : c’est maintenant un endroit favori pour beaucoup à Ekaterinbourg, un lieu dans lequel on passe du temps et qui a été approprié par les habitants de la ville jusqu’à devenir un espace public polyvalent. De la manière la plus cruciale, il est aussi devenu – sans que cela ait jamais été planifié comme tel – un lieu inhabituel de débat dans un contexte de montée de l’autoritarisme et de la censure en Russie (Müller et Trubina 2019).
Ainsi, l’histoire du centre Eltsine illustre plusieurs aspects de l’improvisation : le potentiel productif de l’incertitude et du désordre ; le besoin de travailler avec ce qui nous est donné pour créer quelque chose de nouveau ; une manière de prendre des décisions au fur et à mesure ; l’appropriation collective des situations ; et l’émergence d’une improvisation issue d’un espace matériel et de ses affordances (possibilités offertes par un lieu). Le but d’un urbanisme d’improvisation n’est donc pas de parvenir à un résultat idéalisé selon un plan prédéfini mais plutôt à quelque chose d’habitable, bien que fragile.
40Cette théorisation prend sa source dans une œuvre comme celle du paysagiste américain Lawrence Halprin (1969) qui conçoit ses projets à partir de cartographies et de partitions qui permettent d’anticiper et d’expérimenter l’expérience des habitants. Cette hybridation d’outils permet d’arrimer à l’intention initiale toute une série d’imprévus et de les intégrer pleinement au processus (Christmann et Olmedo 2017). L’hybridation entre intention et improvisation à partir de l’expérimentation a pour but de tester les dispositifs d’urbanisme pour trouver des moyens d’agir adaptés et de prendre en charge les contraintes locales.
41Dans son ouvrage Pensée aménagiste et improvisation (2014), Olivier Soubeyran montre que l’improvisation apparaît aujourd’hui comme une potentialité méthodologique intéressante pour répondre au devenir urbain. Il propose de repenser la notion d’intentionnalité dans l’aménagement urbain : « L’improvisation consiste à fabriquer une situation (donc intentionnellement) où l’on va se laisser guider, et par conséquent assumer des actes non intentionnels avec des effets intentionnels. » Ces actions « conjuguent à la fois lâcher prise, une écoute de l’autre exceptionnelle, n’excluant pas une maîtrise de la situation » (Soubeyran 2014, p. 263). L’encadré ci-dessous porte précisément sur cette question d’intentionnalité à travers le concept de déprise d’œuvre (Hallauer 2017) qui questionne celui de maîtrise d’œuvre. L’enjeu de l’intention est alors moins celui de la maîtrise du projet (au sens d’un contrôle exercé sur celui-ci) que celui d’une attention à ce qu’il produit, déplace ou révèle dans les lieux. Cette conception du projet permet d’envisager la situation du projet comme un déterminant à part entière. Dans cette perspective, le projet urbain évolue d’actes intentionnels en effets non intentionnels pris en compte comme une force de pensée inconsciente mais agissante, une forme de sérendipité.
5. Improviser en déprise d’œuvre, maîtrise d’œuvre/déprise d’œuvre
Édith Hallauer
Partant de différents constats autour de la contre-productivité latente de la pratique dominante des métiers de l’aménagement urbain, définis comme des « professions mutilantes » (Illich 1977), et faisant l’hypothèse que quelque chose d’autre peut se jouer à cette même place, nous tentons de penser une figure alternative à la maîtrise d’œuvre traditionnelle, intitulée la déprise d’œuvre (Hallauer 2017). Nous l’observons notamment dans les processus de conception complexes, empreints d’interlocutions et de négociations, comme ceux mis en œuvre par la « permanence architecturale » chez Bouchain et l’agence Construire, dans la stratégie du « en tant que » chez Simone et Lucien Kroll, dans les « matrices constructives, politiques et mythogéniques » chez le collectif Etc ou EXYZT (Chiappero 2017), ou encore dans les « collaborations dialogiques » (Georges et Rollot 2018) d’un certain nombre de collectifs de constructeurs in situ. Cette pratique expérimentale, théorisée comme un vecteur mobilisateur, permet d’introduire l’idée d’improvisation dans la conception d’aménagements urbains.
La déprise d’œuvre ouvre en effet des processus de négociation, destinés à faire advenir des savoirs (Nussbaum 2012). Elle tend à faire en sorte que le concepteur se déprenne de son œuvre, mais surtout de sa maîtrise : s’ouvrir à l’imprévu, au non-programmé, et même en générer les conditions – quitte à contredire l’idée même de programme. Lors d’un entretien, Margaux Milhade, architecte de l’agence Construire, prônait ainsi son « inexpérience comme outil principal » de l’aboutissement du projet. Cette candeur revendiquée, à mille lieues de la posture de l’architecte expert, génère en effet une rare qualité d’écoute envers les différents acteurs des projets. À l’inverse de la maîtrise d’œuvre, garantissant une forme finale, rendue, exécutée, l’idée de la déprise d’œuvre est au contraire de ne pas être garant de la forme finale, ou même, de garantir de ne pas savoir ce que sera la forme. L’improvisation se révèle alors l’agent indispensable du processus de déprise d’œuvre.
Conditions d’improvisation
Gilles Clément parle dans son Manifeste du tiers paysage de concevoir le projet « comme un espace comprenant des réserves et des questions posées » (Clément 2014). N’est-ce pas une définition de l’improvisation ? Dans la déprise d’œuvre, il s’agit pour le concepteur non pas de concevoir la chose, mais les conditions de la possibilité qu’elle advienne. Le théâtre d’improvisation enseigne en effet qu’on ne peut générer de la matière qu’à partir d’une règle du jeu, d’une trame (Johnstone 2012). Autrement dit, il doit y avoir prise pour qu’il y ait déprise. Ce jeu entre trame et variation, basé sur des allers-retours constructifs entre des contraintes et des réponses, devient alors l’objet même du projet. L’enjeu réside dans la génération d’un laisser-faire, voire d’un « faire faire ».
Pour établir ces conditions, l’une des dispositions indispensables est de mettre en place un contexte approprié. Sans confiance, pas d’imprévu (« Promis, pas de surprise », dira le maître d’œuvre à son client). Avec confiance et délégation, des brèches s’ouvrent. Par exemple, en disant au constructeur ou à tous ceux à qui on demande d’habitude « d’exécuter » : « Fais-le à ton idée. » Comme le décrivent les anthropologues Alban Bensa ou Vinciane Despret, supposer l’interlocution fait en effet advenir la parole : la confiance présuppose le faire. Un jeu s’instaure alors, dans lequel chacune des parties écrit la partition de l’autre, dans un « instinct du oui » facétieux : « dans ce projet, on ne dit jamais non à personne » selon l’architecte Sophie Ricard (entretien, 2014). Comme ces plantes rudérales ou commensales qui ont besoin de l’hôte qui les accueille pour exister dans une entente fructueuse, la déprise d’œuvre ne peut prospérer qu’en milieu complexe. Elle se doit d’être nourrie de contraintes, de propositions ou d’obstacles à absorber pour faire se transformer sans cesse le projet. Rajoutons que ce commun improvisé est profondément interactionniste (Zask 2015). Un mouvement permanent, à la fois des actions et des interactions, dessinant un paysage de la déprise, dépassant les clivages professionnels habituels et remettant en scène les différentes individualités engagées dans le processus.
***
42Nous avons pu retracer les trajectoires de l’expérimentation à travers l’émergence de pratiques historiques et contemporaines, s’articulant dans une dynamique d’initiatives collaboratives en vue d’un « faire avec » (immersions et représentations collectives) dans une quête d’idéal de transformation sociale des espaces urbains. Tout en soulignant les paradoxes et risques d’adhésion globalisante peu réflexive, d’une décharge institutionnelle en matière de compétence pour faire la ville, couplée à un manque de reconnaissance de ces nouvelles pratiques en commun, il nous apparaît que l’expérimentation introduit de nouveaux rapports au temps de l’action (aménagement temporaire, spontané, transitoire) et aux habitants, reconnaissant une part relationnelle à l’activité des concepteurs et chercheurs de l’urbain.
43La recherche en situation d’expérimentation s’inscrit donc dans une nouvelle perspective épistémologique. Elle questionne le positionnement même du chercheur au sein de la recherche urbaine, en le plaçant dans une recherche en acte à la fois contributive et critique. Les chercheurs deviennent des acteurs impliqués. Leurs observations et hypothèses contribuent à des actions et expérimentations concrètes et collectives qui impliquent d’autres participants. Dans cette dynamique de recherche collaborative, la recherche s’établit à partir d’une relation de réciprocité à travers laquelle chacun acquiert un statut de co-producteur du projet. Cette relation instaurée avec les participants formant le collectif de recherche interroge la posture du chercheur et sa production sans cesse remise en question dans le processus. Le chercheur ne s’impose pas comme une figure d’autorité, il est davantage un maillon du processus, répondant de la lisibilité d’une démarche, de la part d’improvisation et des conditions éthiques de la co-production.
Notes de bas de page
1 On oppose souvent cette approche top down (par le haut) à des approches bottom up (par le bas) plus inclusives tenant compte des initiatives habitantes. Voir la définition de « l’urbanisme participatif » (Zetlaoui-Léger 2013a).
2 La ZAD (zone à défendre) de Notre-Dame-des-Landes est un territoire de contestation politique depuis les années 1960. Il est occupé massivement par des habitants à partir du milieu des années 2000 (appel lancé par le collectif « des habitants qui résistent » en 2007) pour faire blocage au projet d’aéroport et protéger les zones humides et les terres agricoles. Le projet d’aéroport a été abandonné le 17 janvier 2018 (Barbe 2016).
3 Site web Ville de Paris, « Le permis de végétaliser », consulté le 13 juin 2019, https://www.paris.fr/permisdevegetaliser.
4 Cette pratique processuelle renvoie à un bricolage composé pour les besoins du projet (Chiappero 2017), un faire avec les ressources du lieu, qu’elles soient spatiales, humaines ou temporelles (voir à ce sujet les travaux de Charles Jencks et Nathan Silver, 2013).
5 Site web Strabic, « Collectifs. Quand on arrive en ville », consulté le 13 juin 2019, http://strabic.fr/collectifs.
6 Site web Dédale, consulté le 13 juin 2019, http://www.dedale.info/annuaire/smartmap.html.
7 Au sujet des recherches consacrées à la question des pratiques numériques comme facteurs d’inégalités, voir par exemple Casilli 2014 et Robinson 2009.
8 Le concours Europan, créé en 1988, est un concours d’idées d’architecture et d’urbanisme, anciennement le PAN (Programme Architecture Nouvelle, 1972-1987). Il a été initié pour faire évoluer les rapports de pouvoir générationnels en architecturale et donc afin de faciliter l’arrivée de nouvelles générations de concepteurs (en s’adressant aux jeunes professionnels de moins de 40 ans, architectes, urbanistes, paysagistes, géographes, etc.). Le concours Europan a lieu tous les deux ans dans une vingtaine de pays européens autour d’une thématique commune (ces dernières années par exemple, la ville adaptable ou la ville productive) et à partir de situations concrètes proposées par des collectivités. Le but étant d’anticiper des évolutions architecturales aux prises avec la société, d’imaginer et d’expérimenter des voies nouvelles pour répondre aux enjeux urbains.
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