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Lamarck

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Pietro Corsi

Chapitre 7. Les destinées du transformisme : 1810-1830

Texte intégral

Les succès de la taxinomie zoologique de Lamarck

1Les réactions à la publication des Recherches sur l’organisation des corps vivans furent rares, mais significatives. La Philosophie zoologique connut un sort encore plus décevant pour son auteur qui vit son livre passer pratiquement inaperçu du grand public et de la communauté scientifique de l’époque. Ceux qui, comme Cuvier, Sonnini de Manoncourt, Virey ou Denys de Montfort, avaient jugé opportun de critiquer ou d’approuver une partie des doctrines de Lamarck ne virent pas dans la Philosophie zoologique de développements théoriques appelant de nouveaux commentaires. En outre, Cuvier eut l’habileté, grâce à ses travaux de paléontologie, d’entrer directement en compétition avec les systèmes géologiques de l’époque. Cela lui valut les faveurs du grand public et de nombreux naturalistes engagés dans le débat sur l’histoire de la Terre. Le succès du mémoire de Cuvier et Brongniart sur le Bassin parisien, publié en 1808, puis repris et développé dans les éditions de 1811 et 1812, explique sans doute le silence quasi total qui entoura la publication de la Philosophie.

  • 1 Cuvier et Brongniart, 1808.

2De 1804 à 1810, Cuvier écrivit plus de dix mémoires, certains en plusieurs parties, sur les fossiles du Bassin parisien, sujet qui fascinait le public cultivé et les naturalistes de la capitale. Dans ses leçons de 1805, qui s’adressaient à des « gens du monde », Cuvier avait essayé d’éveiller l’intérêt de son auditoire en exposant sa propre théorie de la Terre ; dans ses essais sur le Bassin parisien, il refusait explicitement d’élaborer un système complet de géologie. Son étude minutieuse des différentes formes de vie préservées dans les couches géologiques successives montrait une série alternée d’organismes marins et terrestres, signe certain de multiples incursions de la mer dans la région, et de l’existence, en des temps reculés et pendant de longues périodes, de grands lacs d’eau douce1.

  • 2 Cuvier et Brongniart, 1808, éd. 1835, pp. 575-576.

3Cuvier et Brongniart refusaient de donner une chronologie précise de la suite d’événements dont témoignaient la stratigraphie et les fossiles du Bassin parisien. Cuvier, en particulier, semblait avoir renoncé à sa thèse suivant laquelle la formation des continents ne remontait pas à plus de dix mille ans : « Nous tâcherons d’être aussi réservés dans ces considérations générales que nous l’avons été dans les conséquences particulières que nous avons déjà eu occasion de tirer, et de nous défier de la propension aux hypothèses laquelle conduit presque irrésistiblement l’étude de la structure de l’écorce de la terre2. » Les pièces les plus nombreuses, et donc les plus importantes, qui selon les deux auteurs prouvaient l’existence d’une alternance de bassins d’eau douce et d’eau salée dans la région parisienne, étaient des coquillages fossiles de plusieurs genres et de plusieurs espèces. Encore une fois, les études et les collections de Lamarck représentaient un élément fondamental dans le débat géologique.

  • 3 Delamétherie, 1810, p. 387.

4L’infatigable Delamétherie, qui mena sa dernière bataille scientifique contre Cuvier et la science officielle entre 1809 et 1814, ne manqua pas de citer à plusieurs reprises les mémoires de Lamarck sur les coquillages fossiles du Bassin parisien, même s’il évita soigneusement toute référence à la doctrine transformiste de son confrère. Le rédacteur du Journal de physique éprouvait « de la peine à admettre ces transports des eaux de toute la surface des mers, et leurs retours successifs, l’arrivée des eaux douces, et leur disparition, pour faire place de nouveau aux eaux des mers3 ».

  • 4 Brard, 1812, p. 257.

5Un ingénieur diplômé de l’École des mines, Cyprien-Prosper Brard (1786-1838) – élève de Faujas de Saint-Fond, bien connu dans les milieux scientifiques de la capitale pour avoir enrichi les collections du Muséum par d’importantes donations –, pensait que les théories de Lamarck, et notamment sa thèse sur la transformation successive des formes de vie, permettaient de répondre aux théories de Cuvier et de Brongniart. Brard faisait remarquer que l’hypothèse des deux auteurs, selon laquelle toute la craie du Bassin parisien s’était formée dans un lac d’eau douce, se fondait sur la découverte d’une énorme quantité de coquillages, qui appartenaient tous à l’espèce cyclostoma mumia4. Cependant, l’espèce en question était d’origine terrestre et non fluviale, comme l’affirmaient les auteurs du livre sur la géologie de la région parisienne. En outre, ces derniers étaient obligés d’admettre que les couches crayeuses de cet endroit contenaient également des espèces de coquillages marins, et en particulier des cérithes. Les « faits » observés ne semblaient donc pas indiquer une succession de bassins d’eau douce et d’eau de mer, mais suggéraient une solution plus complexe et plus intéressante :

  • 5 Ibidem, p. 258.

6« Je partage l’opinion de M. Faujas, et je pense comme lui, que toutes ces coquilles ont vécu jadis dans le même liquide, et que ce n’est qu’à la suite des temps, peut-être à cause de l’augmentation de la salure de la mer, que les fluviatiles et les terrestres se sont séparées des autres pour vivre dans des milieux qui leur convenoient davantage ; et cette sorte de migration, dont il ne seroit peut-être pas impossible d’assigner l’époque relative, a dû nécessairement apporter quelques changemens dans les formes des individus ; et voilà peut-être aussi la raison pour laquelle les analogues parfaits des coquilles fossiles qui nous occupent sont beaucoup plus rares que parmi les genres marins. En admettant ces changemens graduels, je rentre dans le système de MM. Delamétherie et de Lamarck5. »

7Brard suggérait quelques expériences pour confirmer sa théorie et déclarait en avoir fait certaines lui-même. En mettant plusieurs espèces d’eau douce dans un récipient ad hoc, et en salant lentement ce liquide, on remarquait que certaines espèces parvenaient à survivre et à s’adapter à leur nouveau milieu. Les petites variations que l’on observait lors de ces expériences laissaient entrevoir l’effet que pouvaient produire des changements analogues du milieu sur des espèces de coquillages soumises pendant de très longues périodes à l’action d’eaux dont le degré de salinité variait lentement.

8Delamétherie, ravi que Brard eût cité un passage de ses œuvres dans un sens favorable, publia plusieurs travaux de son jeune collègue dans le Journal de physique. Par ailleurs, l’éditeur intervint plusieurs fois contre les thèses de Cuvier sur l’extinction des espèces, rassemblées et systématiquement discutées dans les Recherches sur les ossements fossiles des quadrupèdes (1812). Dans le chapitre d’introduction de cet ouvrage – le fameux Discours sur les révolutions du globe, plusieurs fois réédité en tant que tiré à part et traduit en différentes langues – , Cuvier s’en prenait aux diverses hypothèses sur la transformation des espèces au cours des ères géologiques. Contre les thèses de Lamarck, qu’il semblait considérer comme analogues à celles de De Maillet et d’autres auteurs du passé tout aussi discrédités, Cuvier répétait pour l’essentiel les critiques qu’il avait formulées dans son cours de 1805, en s’abstenant cependant d’imprimer ses « plaisanteries » sur la modification graduelle des organismes induite par un changement d’habitudes :

  • 6 Cuvier, 1825a, pp. 117-120, et cit., pp. 47-48. Pour une analyse des différentes versions des Disco (...)

9« Quelques écrivains ont reproduit et prodigieusement étendu les idées de Demaillet : ils disent que tout fut liquide dans l’origine ; que le liquide engendra des animaux d’abord très-simples, tels que des monades ou autres espèces infusoires et microscopiques ; que, par suite de temps, et en prenant des habitudes diverses, les races animales se compliquèrent et se diversifièrent au point où nous les voyons aujourd’hui. Ce sont toutes ces races d’animaux qui ont converti par degrés l’eau de mer en terre calcaire ; les végétaux, sur l’origine et les métamorphoses desquels on ne nous dit rien, ont converti de leur côté cette eau en argile ; mais ces deux terres, à force d’être dépouillées des caractères que la vie leur avait imprimés, se résolvent, en dernière analyse, en silice ; et voilà pourquoi les plus anciennes montagnes sont plus siliceuses que les autres. Toutes les parties solides de la terre doivent leur naissance à la vie, et sans la vie le globe serait encore entièrement liquide. » « M. de Lamarck est celui qui a développé dans ces derniers temps ce système en France avec le plus de suite et la sagacité la plus soutenue dans son Hydrogéologie et dans sa Philosophie zoologique. »6

  • 7 Delamétherie, 1813C, pp. 415-428.
  • 8 Delamétherie, 1817, p. 335.

10Delamétherie évitait de faire référence aux thèses de Lamarck, qui étaient pourtant clairement la cible de la polémique de Cuvier ; il semblait penser que le Discours sur les révolutions du globe avait été écrit contre sa propre doctrine sur la transformation progressive – mais limitée – des formes de vie au cours des ères géologiques7. Le fait que Cuvier et Brongniart eussent continué à ignorer sa contribution à l’étude des fossiles du Bassin parisien et aussi les critiques contre les systèmes géologiques contenues dans divers ouvrages et mémoires de Cuvier avaient convaincu Delamétherie que la conjuration contre ses découvertes et sa personne avaient dépassé les limites supportables. Désormais vieux et malade, le naturaliste avait tendance à transformer la défense de ses propres idées en un monologue verbeux, traversé de temps à autre par de violentes accusations contre les naturalistes qui, à son avis, ne cherchaient que « de l’or, de l’or, de l’or...8 »

11L’œuvre de Brongniart et de Cuvier sur le Bassin parisien a représenté le premier exemple important d’une étude de géologie régionale fondée sur l’identification systématique des espèces fossiles ensevelies dans les différentes couches géologiques. L’intérêt grandissant pour l’étude des terrains les plus récents et des plaines alluviales, riches en fossiles, contribua encore à la diffusion des œuvres de Lamarck sur la classification des invertébrés. Dans ce sens, l’intérêt et les polémiques suscitées par l’ouvrage de Cuvier et de Brongniart, qui avaient contribué en 1809 à reléguer la Philosophie zoologique dans l’obscurité, favorisèrent la diffusion des études de stratigraphie géologique, fondée sur l’analyse de la faune et de la flore fossiles. C’est ce que soulignait une notice sur l’Histoire naturelle des Mollusques terrestres et fluviatiles d’André Étienne d’Audebard de Férussac (1786-1836), auteur qui était entré en rivalité avec Lamarck, mais qui estimait ses recherches :

  • 9 Férussac, 1817, p. 5.

12« L’importance que l’on attache maintenant, non-seulement à la découverte des terrains d’eau douce, mais encore à la détermination de leur degré d’ancienneté, pour l’explication des changemens qui sont arrivés à la surface de la terre, dirige fortement l’esprit des observateurs vers l’étude des coquilles terrestres et fluviatiles, qui en sont les signes caractéristiques ; aussi ces coquilles qui, il y a un assez petit nombre d’années, étoient, même à l’état vivant, presque entièrement négligées, deviennent-elles de plus en plus l’objet des recherches et des descriptions les plus minutieuses9. »

13Férussac, excellent naturaliste, mais engagé dans de multiples entreprises et activités éditoriales, ne parvint pas à créer une œuvre qui pût rivaliser avec l’Histoire naturelle des animaux sans vertèbres que Lamarck commença à publier en 1815. L’ouvrage de Lamarck devint un texte classique de référence pour tous ceux qui s’intéressaient à la stratigraphie du tertiaire et du quaternaire, ainsi que pour les zoologistes qui se consacraient à l’étude des invertébrés vivants et fossiles.

  • 10 Virey, 1816-1817, vol. I, « Discours préliminaire », p. LXIX.
  • 11 De Blainville, 1818b, pp. 88-89, et idem, 1818a, p. 213. Sur De Blainville anatomiste, voir Daudin, (...)

14Dans le discours préliminaire de la nouvelle édition du Nouveau Dictionnaire d’histoire naturelle (1816), Virey retraçait les développements les plus importants de l’histoire naturelle, et concluait que la France se situait désormais au premier rang de cette discipline, grâce aux travaux de Cuvier et de Lamarck. En raison du grand succès de l’Histoire naturelle, Virey avait insisté auprès de Lamarck pour qu’il collaborât à l’édition du Nouveau Dictionnaire par une série d’articles scientifiques et philosophiques10. Henry Ducrotoy de Blainville, devenu en 1817 directeur du Journal de physique après la mort de Delamétherie, mettait l’Histoire naturelle de Lamarck au niveau du Règne animal de Cuvier (1817). Les deux œuvres, remarquait-il, « quoique contenant nécessairement un certain nombre d’erreurs et des parties moins complètes que les autres, ne maintiennent pas moins leurs auteurs au rang élevé dans la science, que tant de travaux antérieurs leur avoient si bien mérité11 ». Les références favorables à l’œuvre taxinomique de Lamarck se transformaient lentement en éloges retentissants autant que mérités pour le dévouement à la science du vieux naturaliste.

Géologie et transformisme

15La diffusion de l’Histoire naturelle de Lamarck ainsi que le prestige européen de cette œuvre contribuèrent considérablement à affirmer la dignité scientifique de l’hypothèse transformiste, même si peu de naturalistes étaient disposés à adopter entièrement la théorie de leur confrère ou étaient à même de comprendre toute la richesse de sa problématique. Les recherches géologiques, désormais lancées sur la voie de la reconstitution de la flore et de la faune fossiles préservées dans les différents terrains et strates, mettaient au premier plan la question de la succession historique des formes de vie, problème auquel Lamarck n’avait que brièvement fait allusion. De nombreux chercheurs commencèrent à se rendre compte qu’ils ne pouvaient plus se contenter de décrire les fossiles de toutes sortes de terrains dans tous leurs détails morphologiques. La succession de formes analogues, mais spécifiquement différentes, de coquillages fossiles dans les strates de diverses régions, sans qu’il n’y eût trace des révolutions ou des soudaines irruptions de la mer dont parlaient Cuvier et Brongniart, posait avec force la question d’un mécanisme qui expliquât la transition d’une population d’invertébrés vers la population suivante.

  • 12 Prévost, 1820, pp. 347 et sq. Prévost avait suivi les cours de Lamarck en 1809, 1810 et 1812 ; voir (...)

16On pouvait évidemment proposer plusieurs solutions à ce problème, et l’hypothèse transformiste n’était pas la seule réponse possible ; cependant, certains géologues de renom comprirent qu’il était important d’examiner sérieusement cette éventualité. Quelques-uns d’entre eux s’exprimèrent clairement en faveur d’une solution de type transformiste, ou considérèrent tout au moins comme légitime le modèle d’explication proposé par Lamarck ou par des auteurs qui, dans les années 1820, se mirent à défendre vigoureusement sa doctrine et à en proposer des versions actualisées ou des variantes. Constant Prévost fut l’un des premiers géologues de l’époque à développer systématiquement les indications de méthodologie géologique contenues dans l’œuvre de Cuvier et Brongniart, mais pour arriver à des conclusions opposées. Constant Prévost s’accordait avec eux sur le fait qu’il était temps d’émanciper la géologie des systèmes « fantaisistes » qui avaient jusqu’alors caractérisé de nombreuses contributions à cette discipline. Les géologues du passé semblaient avoir inversé l’ordre des priorités des questions à aborder pour fonder une géologie scientifique. Pour Delamétherie, Werner, Dolomieu ou Faujas, le premier problème à résoudre était la construction d’une théorie de l’état originaire du globe terrestre, à partir de laquelle il serait possible d’expliquer la formation graduelle du monde moderne12.

  • 13 Prévost, 1820, p. 465.

17Selon Prévost, il fallait au contraire partir de l’examen du monde contemporain, de l’étude des agents qui produisaient des altérations lentes et continues de la croûte terrestre, pour passer ensuite à l’examen des couches géologiques les plus récentes et, en dernier lieu, à l’étude des formations les plus anciennes. Quant à l’évaluation des pièces fossiles, le géologue partageait l’avis de Cuvier lorsqu’il affirmait que « les corps organisés fossiles dont on retrouve les débris dans les couches de la terre, diffèrent d’AUTANT PLUS des êtres actuellement existans, qu’ils sont enfouis dans les couches plus anciennes13 ». Cependant, la constatation du « fait » ne pouvait représenter la seule finalité de la recherche scientifique. Entre le culte des faits, qui menait à la « connaissance empirique et superficielle » de chaque phénomène de la nature, et les « hypothèses frivoles » qui entravaient les progrès de la science, il fallait laisser la place aux « conjectures théoriques » :

  • 14 Prévost, 1821, p. 419.

18« Bien différentes des hypothèses, les conjectures théoriques sont aussi utiles aux progrès de la science que les premières ont été un obstacle à son avancement ; elles sont le lien et l’expression des faits connus ; c’est par elles que l’observateur est conduit d’une découverte à de nouvelles découvertes, et qu’il est mis en garde contre les illusions et l’erreur14. »

  • 15 Prévost, 1820, p. 467.

19L’étude des fossiles de chaque strate ainsi que l’examen de la succession de la faune et de la flore ne pouvaient se limiter à l’énonciation du « fait » d’une différence croissante et graduelle entre les espèces récentes et les espèces plus anciennes : « Il faut en déduire, comme une conséquence rigoureuse, que depuis la création, jusqu’à nos jours, il y a eu dans la chaîne que forment les divers degrés d’organisation des corps, des modifications graduées et sensibles ; que dans toutes les périodes, on doit remarquer un état constant, soit dans la nature des espèces, dans leur association, soit dans les altérations qu’ont éprouvées les divers types qui composent cette chaîne, de manière qu’à toute époque fixée depuis la création, la somme des rapports ou des différences doit toujours être en raison directe du temps qui s’est écoulé avant ou depuis cette époque15. »

  • 16 Ibidem, p. 468.

20Prévost était convaincu de l’utilité de la collaboration entre la géologie et la zoologie pour mieux connaître l’histoire de la Terre et celle de la vie. « En faisant connoître des animaux qui n’ont point d’analogues vivans, la Géologie a fourni à la Zoologie les moyens de remplir des lacunes qui l’embarrassoient ; peut-être qu’elle pourra lui donner ainsi des renseignements suffisans pour qu’il devienne possible de tracer un jour l’histoire généalogique des êtres et de leurs modifications ; c’est alors seulement que les périodes bien établies de cette histoire, pourront servir à caractériser et à bien limiter des époques correspondantes dans les diverses formations des terrains qui renferment des restes de corps organisés16. »

  • 17 Prévost, 1826, p. 127.
  • 18 Voir Corsi, 1978 et 1988, 4e partie.

21Prévost, ami de Cuvier et de Brongniart, ne se réclamait pas ouvertement des théories de Lamarck. En outre, dans le passage cité et dans d’autres passages analogues de ses premières œuvres, il semblait se borner à souligner le principe d’une succession graduelle d’organismes dans les strates de la croûte terrestre, dotés de formes constantes pendant un certain temps. On peut cependant noter que certaines de ses affirmations sur l’histoire généalogique des êtres, sur la transformation graduelle des types d’organisation soumis aux lentes variations des conditions géo-climatiques, exprimaient plus ou moins directement l’exigence de trouver une « conjecture théorique » qui pût expliquer la succession graduelle des formes de vie dans l’histoire de la vie. Quelques années plus tard, en rédigeant l’article sur les « Mammifères fossiles » pour le Dictionnaire classique d’histoire naturelle, Prévost précisa sa pensée sur la question de la succession des organismes vivants au cours de l’histoire de la Terre ; : « C’est en interrogeant avec persévérance et sang-froid les archives du globe que peut-être il [l’homme] parviendra, après avoir réuni tous les anneaux de la chaîne compliquée des êtres, à remonter jusqu’à l’origine de chaque type et à suivre pas à pas les progrès de l’organisation depuis la création de l’être le plus simple jusqu’à celle de l’Homme lui-même17. » En outre, le fait qu’il ait essayé de convaincre son ami Lyell que Cuvier croyait effectivement à la modification des espèces est peut-être révélateur de son intention de pousser le géologue anglais à étudier la question18.

  • 19 Dupont, 1876 ; G.D.U., 1866-1890 ; B.U. (M.), 1854-1865 ; Landrieu, 1909, p. 82 ; Vachon, 1981. D’O (...)
  • 20 D’Omalius D’Halloy, 1831, pp. 526-527. Éléments de géologie était un ouvrage largement utilisé dans (...)

22L’hypothèse d’une succession de formes de vie due à la transformation graduelle des espèces fut ouvertement défendue par Jean-Baptiste-Julien d’Omalius d’Halloy, l’un des géologues et des naturalistes européens les plus célèbres de l’époque, très respecté dans les milieux scientifiques et politiques belges, français et anglais. Arrivé à Paris au tout début du siècle, il avait suivi les cours de Lacepède, de Haüy et de Lamarck au Muséum19. D’Omalius d’Halloy s’était ensuite adonné à des études de géologie, et avait concentré ses recherches sur la stratigraphie du nord de la France et des Pays-Bas, faisant de nombreux voyages à pied dans la région. Il appliquait à l’étude de vastes territoires les méthodes et les critères élaborés par Cuvier et Brongniart dans leurs recherches sur le Bassin parisien, et il conçut le premier le projet d’une grande carte géologique de la France. Dans ses Éléments de géologie, publiés en 1831, il abordait la question de la succession des formes de vie dans les couches de la croûte terrestre. L’hypothèse d’une série de « nouvelles créations » lui semblait « purement gratuite […]. (Elle) n’est appuyée sur aucune analogie avec les phénomènes qui ont lieu depuis les temps historiques ; or, il semble que l’on doit recourir à de semblables hypothèses que quand il est absolument impossible d’expliquer autrement les faits, ce qui n’a point lieu dans le cas présent20 ». La doctrine de la transformation successive des organismes vivants, malgré ses points faibles, lui semblait être l’explication la plus plausible et la plus « naturelle » du phénomène :

  • 21 Ibidem, pp. 528-529.

23« L’hypothèse du changement successif des êtres vivants par la voie de la reproduction peut, de son côté, être attaquée par la considération que dans l’état actuel des choses, les espèces ont une stabilité de formes qui ne permet pas de supposer des changements semblables à ceux offerts par la succession des corps organisés fossiles ; mais quelque grande que soit cette stabilité, elle n’est cependant pas absolue, et si nous examinons sous ce rapport l’histoire des êtres vivants actuels, nous verrons que différentes causes amènent encore des changements dans leurs formes. La principale de ces causes sont les soins de l’homme, qui en augmentant, en diminuant, ou en variant la nourriture des êtres vivants, ainsi qu’en changeant la température du milieu où ils se trouvent, est parvenu à faire doubler les fleurs, à rendre les fruits plus gros et plus succulents, et à donner aux animaux domestiques des qualités et des formes tellement différentes, que les zoologistes sont obligés de laisser dans l’espèce chien, une collection d’animaux, parmi lesquels il s’en trouve qui diffèrent bien plus entre eux, que le renard ne diffère du loup21. »

  • 22 Ibidem, p. 529.

24L’action de la nature était, sous beaucoup d’aspects, comparable à celle de l’homme. Comme de nombreux géologues de l’époque, d’Omalius d’Halloy supposait que les conditions géo-climatiques à la surface de la Terre avaient subi de constants et profonds changements. Tout en étant convaincu que les agents responsables des modifications de la surface terrestre dans le passé étaient substantiellement identiques à ceux que l’on pouvait observer dans le monde actuel, le géologue émettait l’hypothèse d’une température plus élevée à l’origine, d’une composition différente de l’atmosphère, de l’eau de mer et de l’eau douce : « Toutes ces causes réunies devaient incontestablement exercer sur le mouvement vital une influence dont nous ne pouvons bien déterminer l’énergie, mais que l’on peut considérer comme suffisante pour avoir donné lieu aux changements de formes que nous avons remarqués dans la succession des êtres vivants22. »

  • 23 Ibidem, p. 530. Sur d’Omalius d’Halloy, qui œuvra toujours en faveur du transformisme, voir d’Omali (...)

25L’hypothèse d’Omalius d’Halloy était formulée en des termes qui rappelaient les thèses analogues (que nous aurons bientôt l’occasion de décliner) de Geoffroy Saint-Hilaire à la même période. Le thème de l’influence des circonstances environnementales sur le mouvement vital se référait peut-être aux doctrines de Lamarck, bien que l’auteur semblât prendre ses distances à son égard dans une note qui étudiait le rapport entre la doctrine de la transformation des formes de vie et les convictions religieuses dominantes. D’Omalius d’Halloy, sincèrement catholique sur le plan personnel, pensait qu’il fallait distinguer les « vérités métaphysiques » des « vérités physiques » : « Du reste, quoique je considère les êtres vivants d’aujourd’hui comme provenant, par la voie de reproduction, de ceux des temps anciens, je n’entends pas dire que l’homme doive reconnaître un polype comme la première souche de sa noble race. Mais quand il serait vrai que l’espèce humaine aurait subi les mêmes changements de formes que nous présente l’ensemble de la nature vivant, cette circonstance ne ferait rien à l’existence du principe immatériel dont la religion nous apprend que Dieu a doué l’homme, ce principe étant aussi compatible avec d’autres formes qu’avec celles qui distinguent l’homme aujourd’hui23. »

26Prévost et d’Omalius d’Halloy posaient clairement le problème de la succession des organismes dans les strates de la croûte terrestre, et d’un mécanisme ou plutôt d’une hypothèse en mesure d’expliquer ce phénomène en termes de lois naturelles, sans avoir recours à la théorie, adoptée par certains disciples de Cuvier, d’une succession de créations spéciales.

27Ainsi, bien que la doctrine de Lamarck ne contînt pas beaucoup d’indications utiles aux amateurs de paléontologie et de stratigraphie des fossiles, l’Histoire naturelle des animaux sans vertèbres était pour eux un instrument de travail fondamental. Prévost et d’Omalius d’Halloy, ainsi que Brard, Bory de Saint-Vincent et Marcel de Serres (1782-1862), pouvaient trouver dans le premier volume de l’œuvre une thèse « zoologique » de la transformation des formes de vie, comportant un modèle d’interprétation général des phénomènes paléontologiques observés. Cependant, nombre d’entre eux préféraient se référer aux théories de Geoffroy Saint-Hilaire, fondées sur de minutieuses études comparées entre des animaux fossiles et vivants. Ses théories avaient en outre l’avantage d’être intégrées à une hypothèse géologique qui liait les grandes mutations progressives des conditions environnementales à un développement parallèle des formes de vie. D’Omalius d’Halloy trouvait dans les œuvres de Geoffroy Saint-Hilaire des thèses et des arguments qui correspondaient exactement à ses intérêts scientifiques et à ses compétences techniques.

  • 24 Corsi, 1978 et 1988, IVe partie.

28Les thèses du géologue belge préoccupèrent grandement les naturalistes et les théologiens anglais engagés dans un débat sur le rapport qu’entretenaient la science et la foi, ainsi que sur les limites de la liberté que l’on pouvait octroyer à la recherche scientifique sans courir le danger de voir se répandre de subversives théories matérialistes24. Vers les années 1820, les adhésions – partielles ou entières – aux idées de Lamarck s’étaient donc multipliées, même si, le plus souvent, il ne s’agissait que d’une attitude favorable à une explication possible – en termes naturalistes – de la succession des espèces dans les strates de la croûte terrestre. Il y eut cependant quelques prises de position importantes en faveur d’autres aspects de la pensée de Lamarck, et en particulier de ses théories neurologiques et zoologiques.

Luigi Chiaverini et Charles Hélion de Barbançois

  • 25 Luigi Chiaverini n’est pas répertorié dans le Dizionario Biografico degli Italiani ; voir G.D.U., 1 (...)
  • 26 Chiaverini, 1815, pp. 226-227. Chiaverini avait suivi le cours de Lamarck en 1814 et 1815 ; voir Ap (...)
  • 27 Ibidem, p. 227, 342, 352 ; cit. p. 226 ; voir Corsi, 1984.

29En 1815, l’Italien Luigi Chiaverini (1777-1834) a publié l’Essai d’analyse comparative sur les principaux caractères organiques et physiologiques de l’intelligence et de l’instinct25. Dans cet ouvrage fort instructif, Chiaverini se proposait de donner une version scientifique actualisée de la psychologie de Condillac. S’inspirant des théories neurologiques les plus modernes, il exposait la thèse selon laquelle les actes de la pensée n’étaient autres que des sensations transformées. Le naturaliste se penchait également sur la question du développement progressif du système nerveux, des sensations et des facultés intellectuelles supérieures dans la série graduée des animaux. Chiaverini critiquait courtoisement certaines hypothèses avancées par Lamarck ; le physiologiste napolitain était convaincu que les plantes, comme les animaux, étaient pourvues de sensibilité et d’irritabilité : « Le Docteur Lamark, dont j’admire l’esprit synthétique, objecte des argumens, qui au lieu d’infirmer, confirment au contraire l’opinion que les mouvemens de certaines parties des végétaux ne sont que des signes d’une irritabilité et d’une sensilité [sic] toutes propres aux végétaux26. » Il supposait, en outre, que les animaux chez lesquels on ne pouvait observer un système ou des ganglions nerveux possédaient des cellules nerveuses invisibles à l’œil humain. Chiaverini acceptait cependant la classification zoologique lamarckienne, fondée sur la présence ou l’absence d’un système nerveux plus ou moins développé, et il affirmait que les animaux « apathiques » constituaient en réalité un chaînon de transition entre les animaux et les végétaux. L’animalité était en effet la prérogative exclusive des êtres dotés de cellules ou d’un système nerveux. Chiaverini partageait sans réserve les convictions matérialistes de Lamarck, et se déclarait convaincu « que les fonctions des êtres vivans ont leurs élémens dans les fonctions générales de la matière ; que le mécanisme de la vie proprement dite n’est qu’une complexion [sic] des forces simples et initiales de la Physique et de la Chimie générales27 ».

  • 28 Chiaverini, 1815, pp. 363-364.

30Le naturaliste expliquait le mécanisme de la transformation des instincts et l’apparition de nouvelles habitudes par des expressions qui rappelaient les arguments analogues de Lamarck : « Les actions spontanées, excitées d’abord par les appétits, appartiennent à l’instinct proprement inné ; mais des actions nécessitées par des circonstances extérieures peuvent se rendre habituelles, et constituer un instinct acquis et transmissible : car la modification fréquente et monotone des mêmes actions anime peu à peu celle des organes, comme la modification des organes amène à son tour celle des fonctions. Et puisque la modification contractée des organes principaux particulièrement peut se transmettre à la postérité, elle peut donc transmettre aussi la modificabilité [sic] des actions spontanées, laquelle est le germe de l’instinct acquis28 . »

31Chiaverini citait les œuvres de Lamarck pour étayer ses propres thèses, mais il citait également Frédéric Cuvier, Duméril et Geoffroy Saint-Hilaire. Pour le médecin napolitain, le développement progressif du système nerveux, dû à des circonstances extérieures particulières et à des réponses organiques aux sollicitations du milieu, expliquait la gradation des facultés intellectuelles, de l’instinct des animaux les plus simples jusqu’à l’intelligence de l’homme.

  • 29 Ibidem, p. 365.

32« L’instinct et l’intelligence ne peuvent pas naître des idées innées : ils ont une faculté commune inhérente à l’organisation. Les dispositions et les instrumens organiques, les causes excitatrices internes et externes, le mécanisme et le but de l’instinct et de l’intelligence en général et de la raison en particulier, sont les mêmes : leur différence ne consiste que dans le nombre, la complication, la proportion, le perfectionnement, l’énergie et l’opportunité des conditions organiques, et des circonstances extérieures29. »

  • 30 Delamétherie, 1816a, p. 16.

33Delamétherie, qui avait publié un grand extrait du mémoire de Chiaverini dans le Journal de physique, commentait ses thèses en quelques lignes dans le discours préliminaire de 1816. Comme il en était désormais coutumier, le vieux naturaliste évitait de faire la moindre allusion aux idées de Lamarck discutées ou reprises par Chiaverini, et il reprochait indirectement au médecin italien de ne pas avoir cité ses propres textes, lui rappelant qu’il avait « développé en détail des idées analogues dans [ses] Considérations sur les êtres organisés30 ». Il faut cependant reconnaître que Delamétherie ne s’opposa pas à la publication d’articles ouvertement inspirés des théories de Lamarck. Dans les deux premiers volumes de 1816, le rédacteur publia dans son journal deux mémoires de Charles Hélion, marquis de Barbançois (1760- 1822). Ce dernier était un riche propriétaire terrien, expert en agronomie, et assez connu dans les cercles naturalistes de la capitale pour ses expériences en zootechnie. Barbançois ne devait rien à Cuvier et n’avait aucune faveur à demander aux principaux représentants de la science officielle. Il adhéra avec conviction et ouvertement aux idées de Lamarck :

  • 31 De Barbançois, 1816a, p. 444. Delamétherie, 1817, p. 14, fait un compte rendu du mémoire de Barbanç (...)

34« Depuis long-temps les naturalistes ont soupçonné que tous les animaux devoient leur origine à un développement successif d’un premier être organisé ; mais aucun, que je sache, n’avoit cherché à créer à ce sujet un système aussi bien fondé que celui présenté par M. Lamarck en 1809, dans sa Philosophie zoologique ; c’est donc sur ses traces que j’ai cru devoir présenter quelques observations à l’appui de ce système, qui admet en principe que la matière a d’abord formé, comme elle forme tous les jours avec les seules propriétés affectées à la nature, des êtres organisés qui ont les premières conditions de l’animalité, tels qu’on les voit dans les infusoires et les polypes, sans qu’on ait besoin de supposer que la nature ait pour les corps vivans, des lois particulières opposées à celles qui régissent les corps privés de la vie31. »

35Lamarck ne fut pas très satisfait de cette défense de son système par Barbançois. Dans un mémoire publié dans le numéro suivant du Journal de physique, l’agronome montrait qu’il avait bien compris le système de classification en quatorze classes proposé dans la Philosophie zoologique, mais il semblait complètement ignorer les développements de la pensée taxinomique de Lamarck, traités dans le premier volume de l’Histoire naturelle. En outre, Barbançois n’était pas avare d’éloges sur la division du genre humain en « hommes intelligents » (les Blancs) et en hommes « limités » (les Noirs) proposée par Virey, auteur que Lamarck évitait de citer dans ses œuvres, bien qu’il eût accepté de collaborer à la deuxième édition du Nouveau Dictionnaire d’histoire naturelle.

Bory de Saint-Vincent

  • 32 Sur Bory de Saint-Vincent, voir G.D.U., 1866-1890 ; Role, 1973 ; Bory de Saint-Vincent, 1821.

36La reprise des thèmes lamarckiens par Chiaverini et Barbançois peut cependant être considérée comme un épisode intéressant mais marginal, si on le compare au travail de diffusion des idées de Lamarck qu’entreprit Bory de Saint-Vincent. Entièrement dévoué à Napoléon, ce militaire naturaliste avait pris part à plusieurs expéditions de l’armée impériale. Au début de la Restauration, Bory, recherché par la police secrète du roi, avait été contraint d’errer à travers l’Europe et de se cacher pendant un an environ dans les cavernes de Saint-Pierre de Maestricht. Faisant de nécessité vertu, Bory avait employé son séjour dans cette cachette peu riante à préparer une histoire naturelle de son refuge. Ainsi, en 1821, parut le Voyage souterrain, livre dans lequel l’auteur décrivait la stratigraphie et la paléontologie d’une région particulièrement riche en fossiles, et notamment en reptiles32.

  • 33 Annales générales des sciences physiques, 1819-1921. Les articles des Annales étaient souvent comme (...)

37Après un bref séjour en Allemagne, Bory avait résidé à Bruxelles de 1823 à 1828, année où il avait été autorisé à rentrer dans sa patrie. Réintégré dans la hiérarchie militaire, il fut rapidement promu, obtenant le grade de général et de chef du bureau historique du ministère de la Guerre. L’exil n’avait pas empêché Bory de participer activement aux débats naturalistes parisiens en publiant une série d’ouvrages, de mémoires, et en lançant d’importantes initiatives éditoriales. En 1819, avec l’aide de Pierre-Auguste-Joseph Drapiez (1778-1856) et de Jean-Baptiste Van Mons (1765-1842), Bory commença à publier les Annales générales des sciences physiques, revue qui, durant sa courte vie (1819-1821), parvint à gagner l’estime de nombreux savants français, belges et allemands. Neveu de Lacepède, ami de nombreux aristocrates et militaires, respecté dans les milieux naturalistes pour ses livres de voyages, et dans les cercles politiques pour sa cohérence et sa droiture morales, Bory n’avait pas besoin du soutien de Cuvier, ni de se plier aux règles souvent humiliantes du jeu académique33.

  • 34 Bory de Saint-Vincent, 1824, « Préface ». Voir aussi Bory de Saint-vincent, 1826.
  • 35 Desmarest, 1826, p. 303 ; Desmarest (1825) faisait un compte rendu très élogieux de l’article « Hom (...)

38Son admiration pour Lamarck se fondait sur des raisons scientifiques et humaines. Dans la dédicace à Lamarck de son Essai d’une classification des animaux microscopiques, qui republiait un article important de l’Encyclopédie méthodique – Zoophytes, Bory exprimait avec franchise son indignation devant la façon dont Lamarck était traité par de nombreux membres de la communauté scientifique de l’époque34. Son point de vue était fidèlement résumé par son ami Anselme Gaëtan Desmaret (1784-1838) dans un article intitulé Essai d’une classification des animaux microscopiques. Desmarest était le fils de Nicolas Desmarest (1725-1805), géologue renommé et géographe qui avait exercé une certaine influence sur le développement des idées géologiques de Lamarck. Le fils Desmarest avait collaboré avec Lacepède au comité de Légion d’honneur, puis avait été persécuté pendant la Restauration en raison de sa fidélité aux idées bonapartistes. Les nombreuses relations de Desmarest dans les milieux naturalistes lui avaient permis de trouver un emploi à l’école vétérinaire d’Alfort. Pour lui aussi, la figure de Lamarck prenait une valeur symbolique particulière. Ainsi, il relatait dans le très populaire Bulletin des sciences naturelles et de géologie : « [Bory] rend un éclatant hommage aux profondes connaissances, au génie et à l’extrême modestie de cet illustre naturaliste [Lamarck], dont il reconnaît avec justesse que les ouvrages n’ont pas toujours été assez médités par des savans de notre époque, qui semblent attacher une importance trop grande au luxe typographique dont ils entourent leurs productiens35 . »

  • 36 Nouveau Dictionnaire d’histoire naturelle, 1816-1817.

39Entre 1822 et 1831, Bory termina l’entreprise la plus ambitieuse de sa carrière : la publication du grand Dictionnaire classique d’histoire naturelle. L’œuvre était différente sous beaucoup d’aspects du dictionnaire de Virey et de celui qui avait été publié sous la direction de Frédéric Cuvier. Le Nouveau Dictionnaire de Virey fut republié entre 1816 et 1819 ; s’il ne connut pas le grand succès de la première édition, le niveau des ventes resta cependant satisfaisant. Il s’agissait, pour les deux tiers, d’une réimpression de la première édition, enrichie de nouveaux articles et de mises à jour sur le plan scientifique. Cependant, la contribution de naturalistes tels que Lamarck et Desmarest ne changeait ni le contenu ni le style général de l’ouvrage. Les articles clés du Nouveau Dictionnaire étaient toujours ceux qu’avait écrits Virey entre 1803 et 1804, développés sur certains points, mais pour l’essentiel toujours liés aux perspectives théoriques de la première parution, quinze ans auparavant36.

  • 37 Dictionnaire des sciences naturelles, 1816-1846. Les vol. 1-3 de la nouvelle édition étaient une si (...)

40Le Dictionnaire des sciences naturelles, publié sous la direction de Frédéric Cuvier, et inspiré par son frère Georges –, avait été un échec lors de sa première parution (1804-1805). En 1816, le Dictionnaire parvint à intéresser la communauté scientifique européenne, grâce à la valeur scientifique indéniable de plusieurs collaborateurs, mais également aux puissants moyens de promotion culturelle à la disposition de Cuvier. Ce dictionnaire présentait deux défauts majeurs, tant du point de vue éditorial que scientifique. Tout d’abord, un intervalle trop long entre la parution de chaque volume – le dictionnaire ne fut terminé qu’en 1845 – et un prix assez élevé. En outre, la politique éditoriale suggérée par Cuvier reflétait les aversions de son inspirateur. Ainsi, l’article « Géologie » ne comptait que quelques lignes, empreintes d’ironie pour une discipline qui, selon l’auteur, appartenait désormais au passé de la science. Le Dictionnaire des sciences naturelles préférait parler de géognosie : les travaux de Cuvier et de Brongniart sur le Bassin parisien montraient pour la première fois concrètement comment la géologie pouvait « mûrir » et se transformer en une discipline scientifique respectable37.

  • 38 Voir chap. VIII, sections 3-4.

41Plusieurs collaborateurs du dictionnaire, et Cuvier le premier, s’opposaient à l’idée d’un plan de composition organique unique pour tous les êtres vivants, lancée par Geoffroy Saint-Hilaire38. Pour Cuvier, il s’agissait d’idées métaphysiques fumeuses, empruntées de surcroît à des livres d’anatomistes-philosophes allemands : à l’erreur scientifique s’ajoutait donc la trahison de la science nationale. Les prises de position radicales de Cuvier contre les systèmes géologiques, la théorie de la transformation des espèces, la génération spontanée et la nouvelle anatomie philosophique de Geoffroy Saint-Hilaire, mais surtout les expressions sarcastiques qu’il employait contre ses adversaires, ne furent pas très bien reçues par ses confrères. Même ceux d’entre eux qui n’étaient pas convaincus par les théories des naturalistes critiqués par Cuvier n’apprécièrent pas qu’il attaquât ses adversaires scientifiques en les ridiculisant ou en utilisant des arguments qui faisaient indirectement et habilement peser sur le débat naturaliste les préjugés religieux des classes dirigeantes de la Restauration. En outre, comme nous aurons l’occasion de le montrer, les idées de Geoffroy Saint-Hilaire avaient influencé un nombre non négligeable de jeunes naturalistes, dont certains étaient des élèves de Cuvier, et qui essayaient de concilier l’enseignement des deux maîtres. Comme on peut l’imaginer, ces jeunes naturalistes n’apprécièrent guère le mépris et l’ironie cinglante qui caractérisaient une bonne partie des prises de position de Cuvier.

  • 39 Le Dictionnaire classique d’histoire naturelle, 1822-1831, fut traduit en italien. Un projet de tra (...)

42Bory pensa à juste titre qu’un nouveau dictionnaire pourrait trouver sa place entre les divagations philosophiques de Virey et les prises de position dogmatiques de Cuvier. Il entendait publier un dictionnaire peu coûteux, achevé en quelques années, qui fût ouvert aux idées et aux disciplines censurées ou ridiculisées dans le Dictionnaire des sciences naturelles. C’était sans aucun doute un projet bien conçu. Bory rassembla autour de lui des confrères de valeur, connus et respectés dans les milieux scientifiques de l’époque. Des hommes tels que Prévost, Brongniart, De Candolle, Étienne Geoffroy Saint-Hilaire et son fils Isidore (1805-1861), Henri Milne Edwards (1800-1885), Latreille, Achille Richerand (1794-1859) et le conchyliologue Gérard Paul Deshayes (1797-1875), disciple et continuateur de Lamarck, acceptèrent de participer à la rédaction du dictionnaire. Les dix-sept volumes du Dictionnaire classique d’histoire naturelle furent publiés en quelques années seulement, et circulèrent rapidement sur une grande échelle. Entre 1830 et 1850, cet ouvrage n’eut pratiquement pas de concurrent, et trouva sa place dans la cabine du Beagle, où Darwin le consultait jour après jour39.

  • 40 Bory de Saint-Vincent, 1822-1831.
  • 41 Ibidem, « Homme », p. 325, l’Homo Hottentotus « fait le passage du genre Homme au genre Orang et au (...)

43Bory tint à écrire tous les articles principaux du Dictionnaire et à imprimer ainsi sa marque à l’ouvrage. Quand un collaborateur soutenait des thèses anti-transformistes, ou qui ne correspondaient pas entièrement à celles de l’éditeur, celui-ci renvoyait le lecteur aux articles qu’il avait écrits lui-même pour une confrontation salutaire. Particulièrement importants, d’un point de vue philosophique, étaient les articles « Homme », « Instinct » et « Intelligence »40. Bory citait avec respect l’œuvre sur l’histoire naturelle du genre humain de Virey, et faisait l’éloge de son confrère, lequel avait eu l’audace de distinguer nettement deux espèces différentes d’homme en séparant le Noir du Blanc. Bory était personnellement convaincu que les Hottentots constituaient le « passage de l’homme au singe », même s’il protestait contre ceux qui utilisaient cette base « scientifique » pour justifier la cruelle pratique de l’esclavage. Bory approuvait chaudement les Quakers de Pennsylvanie qui avaient eu le courage de rendre leur liberté à tous les esclaves qu’ils avaient pu acheter. Il parlait même du futur rôle des Noirs et de la culture africaine dans la construction de la nouvelle société américaine41.

44Bory citait également la thèse de son collaborateur Antoine Desmoulins (1796-1828), qui affirmait avoir identifié onze espèces distinctes d’homme. L’éditeur appréciait encore une fois le courage de ceux qui s’opposaient aux préjugés les plus répandus et à la censure religieuse de la recherche scientifique. Du courage, Desmoulins n’en manquait certes pas. Dans la préface de son œuvre principale, L’Histoire naturelle des races humaines (1826), Desmoulins s’en prenait à Cuvier, dont il ridiculisait l’amour du pouvoir, la facilité avec laquelle il avait changé de camp, et son attachement à une vision artisanale de la science, dépourvue d’intuitions philosophiques et de hardiesse théorique. Il lui reprochait également d’avoir négligé ses devoirs :

45« Depuis 1817, vous n’avez fait de Cours ni au Jardin du Roi, ni au Collège de France. Enfin dans l’hiver de 1824 à 1825 vous vous faites suppléer à la chaire d’Anatomie comparée, au Jardin du Roi ! Et ce vaste amphithéâtre dans lequel deux mille auditeurs se pressaient pour vous entendre, devint une solitude où cinq à six élèves s’ennuient même bientôt de venir protester contre votre absence. La désertion est si flagrante, que sous prétexte de la saison la plus tiède qu’on eût vue, on transfère le local des leçons dans une salle qui peut à peine contenir quinze personnes, et où votre Cours s’éteint incognito. »

  • 42 Desmoulins, 1826a, p. XI ; Férussac, 1826 ; G.D.U., 1866-1890. N.B.F., 1932. Dans un mémoire de 182 (...)

46Cette préface coûta à Desmoulins son entrée à l’ Académie des sciences et l’accès aux collections du Muséum, mais cela ne l’empêcha pas de porter à terme d’importantes études sur le système nerveux de l’homme et des invertébrés supérieurs, en collaboration avec le physiologiste François Magendie (1783-1855)42. En dépit de sa symptahie pour Desmoulins, Bory restait convaincu qu’il n’y avait que deux espèces humaines, distinctes par la structure et les caractéristiques des cheveux « raides » (Leiotriques) ou « crépus » (Oulotriques).

  • 43 Bory de Saint-Vincent, 1822-1831, « Homme ». Virey, 1816-1817, « Homme », pp. 281 et sq. Dans le Jo (...)
  • 44 Bory de Saint-Vincent, 1822-1831, « Homme », p. 340.

47Contrairement à Virey, qui accusait l’école des Idéologues de nier les caractéristiques spirituelles de l’homme et le bienveillant ordonnancement de la nature imposé par Dieu, Bory exprimait sa sympathie à ceux qu’il considérait comme les vrais réformateurs de la philosophie. En réalité, Virey aussi était d’accord avec les Idéologues, notamment avec Cabanis, lorsqu’ils affirmaient que la naissance d’une philosophie scientifique devait se fonder sur l’histoire naturelle, et notamment sur la physiologie et la neurophysiologie. Mais il était convaincu que le sensualisme exarcerbé de cette école menait à la négation de l’existence de l’âme, de la responsabilité personnelle, et de Dieu43. En revanche, Bory faisait sans hésitation l’éloge de l’œuvre de Bichat et de Cabanis : « De tout ce qui fut publié sur l’Homme avant Cabanis et Bichat, on ne trouverait peut-être pas, si ce n’est dans Locke et dans Leibniz, la valeur d’un moyen in-octavo qui méritât d’être conservé44. »

Le transformisme de Bory de Saint-Vincent

  • 45 Ibidem, p. 345. Cf. Lamarck, 1809, vol. I, pp. 354-355.

48Toutes les caractéristiques physiques, intellectuelles et morales de l’homme s’expliquaient en termes de lois naturelles et dans le cadre d’une philosophie ouvertement matérialiste. Ainsi, à propos de l’origine du langage, Bory reprenait les brèves indications de la Philosophie zoologique de Lamarck, observant que « les besoins multipliés, avec de nouveaux moyens d’y satisfaire, contribuent bientôt à l’enrichissement des langues, qui dès-lors acquièrent leur génie respectif, et dont la diversité sur la terre autorise à penser qu’elles étaient dans l’imperfection, quand les races se séparèrent des souches spécifiques45 ».

  • 46 Bory De Saint-Vincent, 1822-1831, « Homme », p. 346.

49Dans les articles « Histoire naturelle », « Matière », « Création », « Géographie en rapport avec l’histoire naturelle », Bory proposait un système de philosophie naturelle explicitement matérialiste, inspiré des œuvres de Lamarck. Il ne manquait certes pas de faire souvent référence à la « Sagesse Infinie », mais celle-ci semblait ne jouer aucun rôle actif dans le mécanisme des lois naturelles décrit dans les articles les plus significatifs du Dictionnaire classique. Faisant un étroit parallèle entre les singes et l’homme, Bory y voyait un avertissement de la Sagesse Éternelle contre l’orgueil humain : les philosophes qui parlaient d’une position privilégiée de l’homme dans la création lui apparaissaient comme « d’audacieux vermisseaux qui, parce qu’ils se sentiraient réchauffés du soleil, et que leur frêle matière en réfléchirait un rayon égaré, s’imagineraient être aussi une importante émanation de l’ÊTRE SUPRÊME INCOMPRÉHENSIBLE !46 ».

  • 47 Ibidem, « Matière », pp. 251-252.

50Dans l’article « Matière », Bory citait des passages entiers de l’œuvre de Lamarck et soulignait le caractère rigoureusement matérialiste de la pensée naturaliste de son confrère. Il incitait ceux qui parlaient d’un principe vital ou d’une matière vivante à revenir « aux axiomes du profond Lamarck, qui dit avec pleine raison (Animaux sans vert. T. 1., p. 12) : “tout mouvement ou changement, toute force agissante, et tout effet quelconque observé dans les corps, tient nécessairement à des causes mécaniques, régies par des lois... Il n’y a dans la nature aucune Matière qui ait en propre la faculté de vivre... Il n’y a dans la Nature aucune Matière qui ait en propre la faculté d’avoir ou de se former des idées, en un mot, de penser”47 ».

  • 48 Bory de Saint-Vincent, 1822-1831, « Création », p. 46.
  • 49 Ibidem, « Matière », p. 249.

51Ceux qui voyaient la négation du divin dans certaines doctrines scientifiques, comme celle de la génération spontanée, par exemple, ne parvenaient pas à comprendre que le législateur « incompréhensible et sublime » avait imposé à la nature des lois inaltérables, qui produisaient tous les phénomènes connus48. Paraphrasant encore une fois Lamarck et s’appropriant ses thèses, Bory affirmait que la pensée était un produit nécessaire de cette structure particulière de molécules matérielles qui constituait le cerveau : « La pensée étant un effet nécessaire d’un certain ordre d’organisation, dès que cet ordre se trouve établi, la pensée en dérive nécessairement49. »

  • 50 Ibidem, « Matière » : muqueuse, pp. 252-256 ; vésiculaire, pp. 256-260 ; agissante, 260-263 ; végét (...)
  • 51 Ibidem, « Instinct », p. 587.

52La matière, organique et inorganique, était une substance qui formait tous les corps connus et se présentait sous six états fondamentaux : « muqueuse, vésiculaire, agissante, végétative, cristallisable, terreuse ». Les animaux connus sous le nom d’« infusoires » étaient probablement les premières formes de vie produites par la nature. Dans une molécule de matière muqueuse ou vésiculaire, pénétrée par une molécule de gaz ou un autre fluide subtil, il se produisait un mécanisme d’expansion et de contraction, véritable « orgasme » vital. C’est à partir de ces molécules primitives que s’étaient formés tous les êtres vivants, à la suite d’accroissements et de changements successifs, des infusoires jusqu’à l’homme50. Dans un organisme qui avait atteint un certain niveau de complexité, apparaissaient l’instinct et les premières ébauches de facultés intellectuelles supérieures : « À mesure que l’être organisé s’élève en complication, et que des sens se viennent cumuler chez lui, ces effets constans et saillans qui résultent de la combinaison de peu d’organes vitaux se fondent, pour ainsi dire, dans de nouvelles facultés où le nombre apporte des modifications non moins admirables par leurs effets51. »

53Bory trouvait normal de renforcer les thèses de Lamarck sur la transformation successive des formes de vie, en s’aidant des thèses élaborées par Geoffroy Saint-Hilaire, qui travaillait à son Dictionnaire classique avec son fils Isidore. Bory pensait que l’idée selon laquelle la composition organique de tous les êtres vivants suivait un plan unique représentait un outil important pour comprendre le mécanisme de leur formation progressive. Selon Bory, l’anatomie philosophique de Geoffroy Saint-Hilaire avait effectivement montré que tous les corps organisés étaient formés selon un plan de base ; les organes et les appareils qui composaient ce plan pouvaient changer de multiples façons leur degré de développement, de l’état de vestige organique, où l’organe paraissait n’avoir aucune fonction, à celui d’organe tellement développé qu’il comprimait et écrasait les organes voisins, mais sans jamais modifier leur position réciproque.

54Dans la Philosophie zoologique, Lamarck s’était déjà prononcé contre la doctrine de Geoffroy Saint-Hilaire, dont il avait lu les lignes générales dans les mémoires des années 1796-1798, et dans les essais publiés en 1807-1808.

  • 52 Lamarck, 1809, vol. I, p. 375. Voir Geoffroy Saint-Hilaire E., 1796b, 1807a-d.

55« J’ose le dire, c’est un abus très-nuisible à l’avancement de nos connoissances physiologiques, que de supposer inconsidérément que tous les animaux, sans exception, possèdent les mêmes organes et jouissent des mêmes facultés ; comme si la nature étoit forcée d’employer partout les mêmes moyens pour arriver à son but. Dès que, sans s’arrêter à la considération des faits, il n’en coûte que quelques actes de l’imagination pour créer des principes, que ne suppose-t-on de suite que tous les corps vivans possèdent généralement les mêmes organes, et jouissent en conséquence des mêmes facultés ?52 »

  • 53 Bory de Saint-Vincent, 1822-1831, « Matière », p. 277.

56Bory avait une façon intéressante d’essayer de concilier ces deux théories. Il reconnaissait avec Lamarck que les différents systèmes d’organes apparaissaient graduellement dans le processus historique de la complication structurelle progressive, mais il soutenait avec Geoffroy Saint-Hilaire que le développement de la vie suivait un plan unique, déterminé par des lois de type mécanique, qui rendaient possible ou empêchaient certaines combinaisons d’organes : « La nature ne devint féconde qu’en vertu des lois qui contraignent la Matière à s’organiser sous telles ou telles formes primitives nécessairement très-simples, et, par leur simplicité même, aptes à devenir les bases des corps de plus en plus composés, au moyen des additions d’organes calculés d’après les mêmes règles de possibilité53. »

  • 54 Ibidem, p. 255. Sur ces questions, voir Russell, 1916 et 1930 ; Gould, 1977 ; Balan, 1979 ; Mayr, 1 (...)
  • 55 Oken, 1821 ; Tiedemann, 1823. À l’article « Mammologie », pp. 63-73 du Dictionnaire classique d’his (...)

57Pour étayer sa thèse, Bory s’appuyait sur la loi de la récapitulation organique : il affirmait que le développement embryonnaire montrait qu’une molécule gélatineuse, à travers sa progressive complication structurelle, croissait jusqu’à donner vie aux êtres les plus complexes. Les animaux les plus simples étaient comme les « fœtus » des corps les plus parfaits ; l’échelle graduée des êtres représentait les différentes phases du processus historique de la formation de tous les organismes. Ainsi, par exemple, certains vertébrés « pourraient être considérés comme autant d’espèces de fœtus où les combinaisons organiques sont devenues propres à se reproduire, sans être parvenues néanmoins au point où toutes les conséquences de l’organisation rudimentaire se pouvaient étendre si le moindre principe d’un organe de plus s’y fut [sic] trouvé contenu. »54 Bory avait certainement à l’esprit les théories analogues exposées par Virey et par le philosophe et naturaliste allemand Lorenz Oken (1779-1851) puis reprises, bien qu’avec des accents différents, par Friedrich Tiedemann (1781-1861), ainsi que par un collaborateur de Geoffroy Saint-Hilaire, Antoine-Étienne-Renaud-Augustin Serres (1786-1868)55.

Transformisme et biogéographie

  • 56 Bory de Saint-Vincent, 1803, 1804a, 1821. Drouin, 1998. Bory s’est toujours intéressé à la biogéogr (...)

58La théorie de la formation et de la transformation progressive des êtres vivants élaborée par Bory trouvait une application intéressante dans les passages consacrés à la discussion de la distribution géographique des plantes et des animaux. L’auteur avait participé à de longs voyages d’exploration et séjourné quelques mois dans les îles des mers d’Afrique56. Bory s’intéressait depuis longtemps à la question de la distribution géographique des êtres vivants ; de nombreux articles du Dictionnaire étaient consacrés à ce problème, et l’éditeur avait demandé aux auteurs qui s’occupaient des articles sur l’histoire naturelle des mammifères, des oiseaux ou des invertébrés, de prêter une attention particulière aux localités dans lesquelles vivaient les animaux décrits, ainsi qu’aux lois générales qui semblaient régir les phénomènes de biogéographie.

59Ainsi, à la fin de son article sur les « mammifères », Isidore Geoffroy Saint-Hilaire faisait-il remarquer :

  • 57 Geoffroy Saint-Hilaire L, 1826, p. 127.

60« Toutes ces idées sur la distribution géographique des êtres, ont plus d’importance qu’elles ne le paraissent d’abord, et n’ont pas seulement l’intérêt de la curiosité. C’est véritablement d’elles qu’il faut attendre la solution du grand problème posé dans ces derniers temps par quelques naturalistes : les diverses espèces d’un même genre et les divers genres d’une même famille, ne seraient-ils que des races d’une même espèce primitive, modifiées par le temps, le climat et les circonstances extérieures ? Plusieurs philosophes n’ont pas hésité à répondre affirmativement ; mais leur opinion, basée presque seulement sur des hypothèses, est en contradiction avec un grand nombre de faits57. »

61L’auteur qui écrivait les articles sur les invertébrés, d’Aubélard de Férussac, fut le collaborateur qui s’intéressa le plus à la question, même si ses conclusions déplurent à Bory. Férussac était convaincu que la distribution géographique des animaux était un phénomène fondamental de l’histoire naturelle, et qu’il soulevait des problèmes touchant à toutes les branches de la discipline, de la géologie à la zoologie, de la biologie à la physiologie. Dans une série de questions et de suggestions concernant des recherches ultérieures, Férussac montrait l’ampleur des thèmes à traiter :

  • 58 Férussac, 1825, Géographie. Mollusques et conchifères, p. 255. Férussac se référait au débat allema (...)

62« Y a-t-il eu plusieurs ou seulement une création ? c’est-à-dire, la vie a-t-elle été une ou plusieurs fois renouvelée sur le globe, ainsi que le pense Cuvier, et ce monde primitif dont les Allemands donnent si fréquemment l’histoire, a-t-il réellement existé ? ou bien la diversité que présentent l’animalité et la végétation, et la différence qu’on observe entre les races perdues et celles du monde actuel, sont-elles le résultat de modifications graduées dans la génération successive des espèces primitives d’une création unique ? ou bien encore, sans admettre le renouvellement de la vie ou la modification des races, de nouvelles espèces ont-elles apparu successivement ? ce phénomène se continue-t-il ? ou a-t-il cessé depuis que l’équilibre paraît s’être établi à la surface de la terre ?58 »

  • 59 Férussac, 1825, Géographie. Mollusques et conchifères, p. 269.

63Selon la théorie de Férussac, il existait plusieurs « bassins de créations », analogues aux bassins hydrologiques dont parlaient les chercheurs de géographie physique. Les productions animales et végétales de bassins différents montraient des ressemblances ou des différences marquées, suivant les particularités géo-climatiques qui caractérisaient les diverses régions de la Terre. On remarquait en effet des espèces semblables dans des lieux tellement éloignés les uns des autres qu’il était impossible d’imaginer l’émigration d’une espèce, surtout de reptiles ou de mammifères, d’un endroit à l’autre. Ainsi, dans des bassins qui présentaient des conditions géo-climatiques analogues, des animaux appartenant à des espèces analogues avaient été créés. Férussac abordait franchement la question de la succession des organismes dans les couches géologiques. Il refusait la thèse de Cuvier supposant un « renouvellement » des populations d’un endroit donné à la suite d’une catastrophe qui aurait détruit la population d’origine. Selon Cuvier, la région, profondément modifiée par la catastrophe, était envahie par des populations qui migraient de localités voisines, et qui étaient généralement différentes des habitants d’origine. Férussac soutenait au contraire qu’en observant la série des fossiles dans les couches géologiques les plus récentes, on ne remarquait pas de brusques écarts entre les formes de vie qui avaient successivement habité différentes régions de la Terre : « En parcourant la série des Fossiles des diverses formations, l’on n’aperçoit nulle part une ligne tranchée de démarcation entre les différens termes de cette série, de manière à prouver que la vie a été renouvelée sur la terre une ou plusieurs fois. Au contraire, nous trouvons la preuve d’un changement successif et graduel. » L’hypothèse de la catastrophe n’était donc pas confirmée par les données dont disposaient les naturalistes59.

64Pour Férussac, au fur et à mesure que l’on se rapprochait du monde actuel, les fossiles prenaient graduellement la forme des êtres vivant aujourd’hui. Le naturaliste s’opposait cependant à la théorie de la modification successive des organismes et résumait avec clarté et concision le résultat de ses recherches sur la distribution géographique des êtres vivants :

  • 60 Ibidem, pp. 269-270 ; Corsi, 1978, pour l’influence de Férussac sur Lyell.

65« Il semble donc qu’on peut conclure de tout ce qui précède : 1° que l’analogie de station et de destination, c’est-à-dire des conditions d’existence et du rôle à remplir, est la loi générale qui a présidé à la distribution de la vie sur le globe ; 2° que les changemens que la vie a éprouvés sur sa surface ont été gradués ; qu’elle n’a point été renouvelée ; que les races n’ont été modifiées, mais qu’à mesure que les conditions d’existence changeaient ou qu’il s’en formait de nouvelles, des espèces nouvelles ont remplacé celles qui ne pouvaient plus exister et qui n’avaient plus de rôle à remplir, et cela jusqu’à l’époque où, pour chaque partie de la surface successivement, l’équilibre entre les causes influentes a été établi60. »

  • 61 Bory de Saint-Vincent, 1822-1831, « Création », pp. 41-42.

66À la fin du long passage que nous venons de citer, et qui concluait l’article de Férussac, Bory renvoyait le lecteur à son propre article « Création », où la question de la biogéographie était résolue bien différemment. Comme Cuvier l’avait déjà fait dans son cours de 1805, Bory se lançait dans une lecture critique de la Genèse, affirmant que les Écritures saintes pouvaient être interprétées dans un sens tout à fait compatible avec les doctrines naturalistes les plus récentes. Les sept jours de la création indiquaient clairement sept époques de durée indéfinie. Chaque époque indiquait symboliquement un stade du développement progressif de la surface du globe et des formes de vie qui l’habitaient. L’homme était sans aucun doute le dernier animal apparu sur la Terre, bien que plusieurs observations indiquent que de nouveaux êtres avaient été produits à des époques ultérieures. Par exemple, les vers intestinaux qui affligeaient de nombreux membres de l’espèce humaine s’étaient clairement formés après l’apparition de l’homme. Cependant, la preuve la plus convaincante de la production continuelle et constante de formes de vie venait de la distribution géographique des plantes et des animaux61.

67Bory discutait en détail un exemple qu’il connaissait bien : celui de la flore et de la faune des Mascareignes, îles d’origine volcaniques, récentes sur le plan géologique, situées à une distance considérable de Madagascar. Le naturaliste passait en revue les diverses hypothèses qui pouvaient expliquer comment, en une période de temps relativement brève, les îles s’étaient couvertes d’une végétation luxuriante et hébergeaient de nombreuses espèces animales. Bory observait que les mécanismes et les facteurs qui favorisaient la dispersion des formes de vie à la surface de la Terre – courants marins, vents, homme – ne suffisaient pas à rendre compte des particularités surprenantes de la faune et de la flore des Mascareignes. Les îles, petits points au milieu de l’océan, étaient très loin de Madagascar ; les vents et les courants n’avaient pu transporter jusqu’aux Mascareignes que quelques graines de plantes, et encore moins d’espèces animales, qui, en proie aux vagues et aux vents, auraient miraculeusement survécu à la longue traversée. Quant aux hommes, ils auraient certes pu apporter avec eux, volontairement ou involontairement, certaines espèces animales et végétales, mais certainement pas toutes les espèces et tous les genres qui se trouvaient sur l’archipel.

  • 62 Ibidem, pp. 43-44.

68Bory avait un argument de poids pour affirmer que les îles avaient produit toutes seules une bonne partie des espèces qui les habitaient. Il était en mesure de citer l’exemple d’une espèce animale propre à l’île Maurice, qui n’existait pas à Madagascar – terre émergée la plus proche – ni nulle part ailleurs dans le monde : « Ils n’ont pas surtout porté avec eux ce Dronte, Oiseau monstrueux, qu’ils furent si étonnés d’y voir et dont ils exterminèrent la race : où l’eussent-ils pris, d’où l’auraient-ils amené ? Il n’exista jamais ailleurs ; il fut propre au sol, et Création locale d’une nature trop hâtée de produire, il semblait porter dans son ridicule ensemble le cachet d’une certaine inexpérience organisatrice62. »

  • 63 Ibidem, p. 44.

69Bory passait du problème des îles Mascareignes à la question générale des populations qui habitaient dans les îles ou les archipels, et à leur relation avec les formes de vie des terres émergées les plus proches. Le naturaliste faisait remarquer que toutes les îles et les archipels de la Terre avaient des espèces qui leur étaient propres. Même quand on pouvait indiquer des espèces et des genres analogues qui habitaient sur les continents les plus proches, il était impossible de nier que « chaque archipel présente quelque espèce, quelque genre même qui sont exclusivement propres au pays, qu’on ne revoit nulle part, et qui, par conséquent, n’ont dû être créés que sur les lieux mêmes63 ».

  • 64 Ibidem, pp. 44-45.

70La biogéographie conduisait à admettre la possibilité de « créations modernes, créations actuelles, et même de créations futures ». L’usage répété du terme création, qui donnait son titre à l’article, ne pouvait guère tromper le lecteur, ou laisser supposer que Bory se référait, comme semblait le faire Férussac, à l’intervention d’une cause surnaturelle : « Quelque révoltante que puisse être pour certaines personnes l’idée de ces Créations continuelles qui se reproduisent par la génération, non-seulement il est impossible pour tout bon esprit de ne la point admettre, mais il sera peut-être bientôt évident qu’il existe des Créations spontanées, c’est-à-dire qui non seulement peuvent avoir lieu selon que les élémens s’en trouvent réunis, mais qui, ne se perpétuant pas d’elles-mêmes, peuvent avoir lieu toutes les fois que les causes occasionnelles s’en renouvellent64. »

  • 65 Desmond, 1984a, 1984b, 1985a, 1985b, 1989 ; Secord, 1991 ; Corsi, 1978, 1983a, 1984, 1987b, 1997 et (...)

71L’intérêt des propositions théoriques de Bory va au-delà de sa mise en compte de l’héritage de Lamarck. En effet, tout au long de sa carrière, Bory a essayé de réviser et d’adapter les doctrines de son maître aux changements de priorités de l’histoire naturelle en France et en Europe, contribuant ainsi à la formation des nouvelles tendances de la pensée évolutionniste. Il y a encore beaucoup à faire pour décrire et évaluer la multiplicité des positions pro-transformistes exprimées par les naturalistes européens actifs au milieu du xixe siècle. Cette recherche est amenée à modifier significativement nombre de nos hypothèses sur la diffusion des modèles évolutionnistes au cours de la seconde moitié du siècle, et à projeter une lumière nouvelle sur le phénomène du succès européen des théories non-darwiniennes qui expliquaient l’histoire de la vie sur Terre65.

Notes

1 Cuvier et Brongniart, 1808.

2 Cuvier et Brongniart, 1808, éd. 1835, pp. 575-576.

3 Delamétherie, 1810, p. 387.

4 Brard, 1812, p. 257.

5 Ibidem, p. 258.

6 Cuvier, 1825a, pp. 117-120, et cit., pp. 47-48. Pour une analyse des différentes versions des Discours sur les révolutions du globe, voir Burkhardt, 1977, pp. 196-201.

7 Delamétherie, 1813C, pp. 415-428.

8 Delamétherie, 1817, p. 335.

9 Férussac, 1817, p. 5.

10 Virey, 1816-1817, vol. I, « Discours préliminaire », p. LXIX.

11 De Blainville, 1818b, pp. 88-89, et idem, 1818a, p. 213. Sur De Blainville anatomiste, voir Daudin, 1926a, et Balan, 1979 ; pour une bibliographie des travaux du naturaliste et pour une description détaillée de ses rapports avec Lamarck, voir Appel, 1980.

12 Prévost, 1820, pp. 347 et sq. Prévost avait suivi les cours de Lamarck en 1809, 1810 et 1812 ; voir appendice et Landrieu, 1909, p. 82 ; Laurent, 1987.

13 Prévost, 1820, p. 465.

14 Prévost, 1821, p. 419.

15 Prévost, 1820, p. 467.

16 Ibidem, p. 468.

17 Prévost, 1826, p. 127.

18 Voir Corsi, 1978 et 1988, 4e partie.

19 Dupont, 1876 ; G.D.U., 1866-1890 ; B.U. (M.), 1854-1865 ; Landrieu, 1909, p. 82 ; Vachon, 1981. D’Omalius d’Halloy avait suivi les cours de 1803 et de 1804, voir appendice et Grandchamp, 1994. Je remercie Mlle Brigitte Vermaeleer et le Pr F. Stockmans de l’Académie royale des sciences de Belgique d’avoir mis à ma disposition la correspondance de d’Omalius d’Halloy. Hélas, la collection que j’ai consultée ne contient pas les lettres de la période 1802- 1810, archivées sous la référence Dupont 1876. Il s’agit pourtant de documents extrêmement intéressants pour l’histoire des débats sur l’évolution avant et après Darwin. Voir Corsi, 1985.

20 D’Omalius D’Halloy, 1831, pp. 526-527. Éléments de géologie était un ouvrage largement utilisé dans l’enseignement, surtout en Italie.

21 Ibidem, pp. 528-529.

22 Ibidem, p. 529.

23 Ibidem, p. 530. Sur d’Omalius d’Halloy, qui œuvra toujours en faveur du transformisme, voir d’Omalius d’Halloy, 1846, 1850, 1858 et 1873.

24 Corsi, 1978 et 1988, IVe partie.

25 Luigi Chiaverini n’est pas répertorié dans le Dizionario Biografico degli Italiani ; voir G.D.U., 1866-1890. Les archives historiques de l’Accademia Nationale delle Scienze, dite Académie des Quarante (Rome), conservent un mémoire manuscrit de Chiaverini et un échange de lettres polémiques entre le médecin napolitain et le secrétaire de l’Académie, qui ne manque pas d’intérêt. Je remercie le professeur Giovan Battista Marini Bettolo Marconi de m’avoir permis de travailler sur ces archives.

26 Chiaverini, 1815, pp. 226-227. Chiaverini avait suivi le cours de Lamarck en 1814 et 1815 ; voir Appendice.

27 Ibidem, p. 227, 342, 352 ; cit. p. 226 ; voir Corsi, 1984.

28 Chiaverini, 1815, pp. 363-364.

29 Ibidem, p. 365.

30 Delamétherie, 1816a, p. 16.

31 De Barbançois, 1816a, p. 444. Delamétherie, 1817, p. 14, fait un compte rendu du mémoire de Barbançois.

32 Sur Bory de Saint-Vincent, voir G.D.U., 1866-1890 ; Role, 1973 ; Bory de Saint-Vincent, 1821.

33 Annales générales des sciences physiques, 1819-1921. Les articles des Annales étaient souvent commentés dans le Journal de pharmacie.

34 Bory de Saint-Vincent, 1824, « Préface ». Voir aussi Bory de Saint-vincent, 1826.

35 Desmarest, 1826, p. 303 ; Desmarest (1825) faisait un compte rendu très élogieux de l’article « Homme » de Bory de Saint-Vincent, publié dans le vol. VII du Dictionnaire classique d’histoire naturelle, résumant d’une façon détaillée les différentes thèses sur l’origine de l’homme et la division en races ou espèces de la famille humaine.

36 Nouveau Dictionnaire d’histoire naturelle, 1816-1817.

37 Dictionnaire des sciences naturelles, 1816-1846. Les vol. 1-3 de la nouvelle édition étaient une simple réimpression des trois premiers volumes de la première édition, à l’exception de certains suppléments ajoutés à la fin de chaque tome. Sur la géologie, voir (Brongniart ?) 1820.

38 Voir chap. VIII, sections 3-4.

39 Le Dictionnaire classique d’histoire naturelle, 1822-1831, fut traduit en italien. Un projet de traduction en allemand fut abandonné.

40 Bory de Saint-Vincent, 1822-1831.

41 Ibidem, « Homme », p. 325, l’Homo Hottentotus « fait le passage du genre Homme au genre Orang et aux Singes » ; pp. 319-320 sur les quakers de Pennsylvanie ; p. 320, « le détail de la traite n’appartient pas à l’histoire de l’humanité ».

42 Desmoulins, 1826a, p. XI ; Férussac, 1826 ; G.D.U., 1866-1890. N.B.F., 1932. Dans un mémoire de 1826, Desmoulins avait affirmé que les capacités intellectuelles déclinaient progressivement avec l’âge, et que les personnes ayant dépassé l’âge moyen n’étaient pas capables de raisonner correctement. L’exposé de cette théorie devant les membres de l’Académie des sciences, qui avaient tous dépassé la cinquantaine depuis longtemps, provoqua un véritable scandale.

43 Bory de Saint-Vincent, 1822-1831, « Homme ». Virey, 1816-1817, « Homme », pp. 281 et sq. Dans le Journal de pharmacie auquel il contribuait souvent par des comptes rendus et de brefs articles, Virey dénonça souvent les graves conséquences de la « psychologie matérialiste » des Idéologues.

44 Bory de Saint-Vincent, 1822-1831, « Homme », p. 340.

45 Ibidem, p. 345. Cf. Lamarck, 1809, vol. I, pp. 354-355.

46 Bory De Saint-Vincent, 1822-1831, « Homme », p. 346.

47 Ibidem, « Matière », pp. 251-252.

48 Bory de Saint-Vincent, 1822-1831, « Création », p. 46.

49 Ibidem, « Matière », p. 249.

50 Ibidem, « Matière » : muqueuse, pp. 252-256 ; vésiculaire, pp. 256-260 ; agissante, 260-263 ; végétative, pp. 263-272 ; cristallisable, 272-274 ; terreuse, pp. 274-276.

51 Ibidem, « Instinct », p. 587.

52 Lamarck, 1809, vol. I, p. 375. Voir Geoffroy Saint-Hilaire E., 1796b, 1807a-d.

53 Bory de Saint-Vincent, 1822-1831, « Matière », p. 277.

54 Ibidem, p. 255. Sur ces questions, voir Russell, 1916 et 1930 ; Gould, 1977 ; Balan, 1979 ; Mayr, 1982 ; Rhebock, 1983. Aucun de ces auteurs ne s’est occupé des débats français sur la théorie de la récapitulation organique, et encore moins de Bory de Saint-Vincent.

55 Oken, 1821 ; Tiedemann, 1823. À l’article « Mammologie », pp. 63-73 du Dictionnaire classique d’histoire naturelle, Geoffroy Saint-Hilaire I. 1826, a résumé les théories d’Oken (p. 71), qui étaient déjà bien connues en France.

56 Bory de Saint-Vincent, 1803, 1804a, 1821. Drouin, 1998. Bory s’est toujours intéressé à la biogéographie. Lamarck lui-même, à l’article « Espèce » du Nouveau Dictionnaire d’histoire naturelle, p. 446, avait incité les naturalistes à prêter attention à la variation des formes animales selon leur répartition géographique. Il faut cependant noter que Lamarck ne s’est pas occupé directement de ces questions dans ses œuvres et qu’il s’est contenté d’affirmer qu’une nouvelle forme de vie, en émigrant dans de nouveaux territoires, était sujette à des variations. Les exemples donnés par Lamarck dans l’article « Espèce », tous empruntés à l’entomologie, rappellent les considérations analogues d’un élève et admirateur de Lamarck, le Turinois Franco Andrea Bonelli, qui avait suivi son cours en 1811 et était resté en contact avec son professeur. Voir Corsi, 1983b et Appendice.

57 Geoffroy Saint-Hilaire L, 1826, p. 127.

58 Férussac, 1825, Géographie. Mollusques et conchifères, p. 255. Férussac se référait au débat allemand sur l’Urwelt, thème qui passionnait les géologues, les anthropologues et les zoologistes de l’époque. Voir, à titre d’exemple, Link, 1821-1822, et Ballenstedt, 1818-1819. Le Bulletin des sciences naturelles et de géologie suivait attentivement le débat sur l’Urwelt.

59 Férussac, 1825, Géographie. Mollusques et conchifères, p. 269.

60 Ibidem, pp. 269-270 ; Corsi, 1978, pour l’influence de Férussac sur Lyell.

61 Bory de Saint-Vincent, 1822-1831, « Création », pp. 41-42.

62 Ibidem, pp. 43-44.

63 Ibidem, p. 44.

64 Ibidem, pp. 44-45.

65 Desmond, 1984a, 1984b, 1985a, 1985b, 1989 ; Secord, 1991 ; Corsi, 1978, 1983a, 1984, 1987b, 1997 et 1997b.

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