Préface
p. 1041-1048
Texte intégral
1« Témoignage direct instantané auquel je n’ai rien changé. Impressions de choc ressenties à l’instant même des témoignages. »1 Sans doute, Marcel Cachin eût-il pu se reconnaître dans cet avertissement du président de la République Vincent Auriol, placé en exergue d’un journal du septennat que la mort l’empêcha de rédiger entièrement. Que cet avertissement, concernant l’année 1947, puisse servir de préface aux Carnets de Marcel Cachin pour l’année 1947, voilà qui ne relève pas d’un simple caprice chronologique. Parents contrariés, ces deux textes uniques, dont la première vertu réside dans la lucidité prolixe, éclairent, en contrepoint, les soubresauts d’une année fertile en ruptures. Cette mise en miroir s’explique, en bonne part, par la position politique des deux auteurs.
Marcel Cachin, notoriété parlementaire et prestige politique
2Si, pour Vincent Auriol, le début de l’année 1947 correspond au couronnement d’une carrière politique, avec l’élection à la présidence de la République le 16 janvier, pour Marcel Cachin, entrant dans sa soixante-dix-huitième année, elle équivaut à un début de consécration, au terme d’une vie politique de plus d’un demi-siècle. Doyen d’âge de l’Assemblée nationale, il prononce, le 14 janvier, le traditionnel discours de rentrée de la Chambre. Mais ces honneurs républicains sont peu de chose eu égard à sa fonction de président de la commission des Affaires étrangères de l’Assemblée nationale. Ce rôle l’intéresse immédiatement, et, dès janvier, il songe à en rénover le service de documentation2. Président de commission, Marcel Cachin assiste avec assiduité aux auditions du ministre des Affaires étrangères, Georges Bidault, et analyse en observateur privilégié les inflexions successives de la diplomatie française. De même, il participe avec régularité à d’autres réunions, telles celles de la Commission consultative pour la réduction des armements. Il est présent lors de réceptions diplomatiques organisées par des pays d’Europe centrale le plus souvent, mais pas exclusivement. Enfin, privilège d’une fonction, il est puissance invitante de certains hôtes étrangers, parmi lesquels on signalera Stanislaw Grabski, président du Comité national polonais, et Henry Agard Wallace, ancien vice-président des États-Unis.
3Cette fonction détermine donc un engagement public qui double, et trouble à la fois, l’activité militante de Marcel Cachin au sein du mouvement communiste français. Accordant une attention particulière à la réception d’Henry Wallace, Marcel Cachin note qu’il l’accueille à sa descente d’avion au Bourget3. Il omet de préciser que le président de la commission parlementaire des Affaires étrangères est accompagné des deux délégués officiels du PCF, Jacques Duclos et Florimont Bonte4. Un jeu délicat tend à s’instaurer entre ces deux activités politiques, ce dont Marcel Cachin est parfaitement conscient. Au moment de partir pour l’Angleterre, à la fin avril – seul voyage à l’étranger pour cette année 1947 –, il relève une erreur commise par l’AFP. Celle-ci annonce le départ du président de la commission des Affaires étrangères, quand c’est le dirigeant communiste qui traverse la Manche5.
4Marcel Cachin, militant, reste en effet très actif. Ses déplacements en province ne sont pas rares en cette année 1947, que ce soit pour présider des fêtes de fédérations, à Bordeaux en février, à La Rochelle et à Orange en juin, à Rouen en août, à Roanne et Arles en septembre, à Orléans et au Mans en octobre, ou pour animer les campagnes d’élections partielles, dans la Drôme en février et au Havre en novembre. Sans doute, ces déplacements militants sont-ils davantage circonscrits à la région parisienne, ainsi pour les élections municipales du mois d’octobre. Mais cela ne change guère des années antérieures, de même que pour les vacances d’été à Lancerf-en-Plourivo, toujours entrecoupées de discussions politiques et de réunions publiques, ainsi l’inauguration de la maison d’Ernest Renan, à Tréguier, en juillet.
5Marcel Cachin reste un dirigeant communiste de premier plan, confirmé, lors du XIe Congrès du PCF à Strasbourg, en juin, comme membre du BP. Bien plus, la direction du Parti semble unanime à vouloir maintenir Marcel Cachin dans son rôle. Ainsi, le Bureau politique du 3 avril rappelle-t-il, au sujet de l’Humanité, qu’il ne faut pas « admettre qu’un article du directeur soit placé ailleurs qu’en première page. »6 Sans doute, ce rappel signifie-t-il également que Marcel Cachin n’est plus aussi proche des centres de décision. Sa fonction dirigeante semble, de plus en plus, exclusivement synonyme de pur prestige. Il préside plusieurs séances du XIe Congrès, où il n’intervient pas. Si son nom apparaît dans les publications communistes en cette année 1947, c’est, essentiellement, pour des préfaces, ainsi celle d’un recueil de discours de Jacques Duclos7. Peut-être ne se résout-il que difficilement à cette perte de pouvoir et à l’exercice d’une « magistrature d’influence » au sein du mouvement communiste, pour reprendre l’expression si souvent employée à propos de Vincent Auriol. Cela semble être le cas dans le domaine de compétence qui lui est reconnu au sein du monde parlementaire : les Affaires étrangères.
6Dans les Carnets de 1947 reviennent les commentaires des rapports présentés, devant le Bureau politique, par Florimont Bonte, sur la politique extérieure, alors que Marcel Cachin ne rapporte plus devant le BP. Cette situation recouvre une tension dont il ne s’explique à aucun moment dans ses notes journalières. Les documents internes au parti communiste permettent d’en avoir une idée plus précise. Répartissant les tâches de ses membres, le Bureau politique du 18 septembre confirme Marcel Cachin dans ses fonctions antérieures, « l’Humanité et les questions de politique extérieure. »8 Or, selon ce document, ces questions sont attribuées à Florimont Bonte, qui fait figure de réel spécialiste du sujet.
7De cet éloignement des leviers de commande, Maurice Thorez donne l’explication, lors d’un entretien avec Staline à Moscou, le 18 novembre. Marcel Cachin est dépeint comme « un remarquable militant et cela bien qu’il ait déjà près de quatre-vingts ans. C’est un communiste très énergique et actif, mais pourquoi tente-t-il de se persuader que le fait d’appartenir à la commission des Affaires étrangères de l’Assemblée nationale lui donne le droit de diriger toute la politique extérieure ? »9. Jouissant, en 1947, d’une certaine consécration sur le plan parlementaire, Marcel Cachin s’avère être un observateur attentif de la politique extérieure française, sur laquelle il ne peut peser, ainsi que des ruptures internationales propres à cette année « d’engrenage de la guerre froide. »10 Maintenu dans ses fonctions dirigeantes au sein du PCF, Marcel Cachin est, là encore, un témoin privilégié de l’évolution de son parti, où, privé du « droit de diriger », il est de plus en plus cantonné à un rôle de représentant exemplaire du mouvement ouvrier.
« Dans l’opposition comme au gouvernement »
8L’apport des Carnets de 1947 à l’analyse de cette « année terrible », pour citer un général de Gaulle redouté par Marcel Cachin et Vincent Auriol, est donc irremplaçable. Mis en miroir, les deux textes révèlent, sans autres commentaires, le chemin parcouru en quelques mois. Très proches en janvier, les notes d’Auriol et les Carnets de Cachin témoignent, en novembre et décembre, de vues parfaitement antagonistes. Apportant un correctif nécessaire au Journal du septennat, les Carnets de Marcel Cachin éclairent ce processus de rupture en fonction des différents centres d’intérêt de l’auteur. Ces éclairages, donnés sur l’évolution du PCF, n’apportent pas de révélations. Ils permettent cependant de réévaluer l’impact de certains problèmes sur la direction communiste. Assistant avec régularité aux réunions du Bureau politique, ainsi qu’aux comités centraux, Marcel Cachin se fait l’écho de plusieurs grandes préoccupations.
9La situation au sein de l’Union française est, au moins chronologiquement, la première d’entre elles. Le début de la guerre d’Indochine, à laquelle sont consacrés plusieurs rapports, longuement commentés dans les Carnets, devant le BP entre janvier et mars, pèse dans le processus conduisant à la fin de l’expérience gouvernementale en mai. De même, les appréhensions des dirigeants communistes face à la montée en force du nationalisme en Afrique du Nord méritent d’être notées. Les discussions préliminaires portant sur le projet, communiste, de statut de l’Algérie font l’objet de très nombreuses remarques de la part de Marcel Cachin, au cours du premier trimestre. De fait, son inquiétude caractérise le début de l’année, et les débats liés au vote du statut dans le courant de l’été ne sont que brièvement mentionnés.
10Dans un autre ordre d’idées, la façon dont Marcel Cachin analyse les difficultés économiques et la situation sociale en France confirme le rôle majeur de ces questions pour un parti communiste français, qui, selon les Carnets, s’essouffle et éprouve des problèmes à se maintenir dans les usines. Bien que Marcel Cachin soit à Londres pendant la dernière semaine d’avril, les raisons, sociales et syndicales, qui amènent à la rupture de la solidarité ministérielle apparaissent clairement, en particulier la grève aux usines Renault, qui prend de court la direction, et le résultat, décevant pour la CGT, des élections à la Sécurité sociale en avril.
11Cet intérêt pour les mouvements sociaux semble, d’après le document, se manifester à nouveau avec acuité au début du mois de septembre. Notant, lors de la réunion du BP du 4 septembre, qu’il faut désormais « changer le gouvernement », Marcel Cachin voit dans cette nouvelle orientation stratégique la conséquence, politique, de l’apparition de mouvements sociaux plus offensifs que ceux du printemps11. Cette inflexion est d’autant plus remarquable que, jusque dans le courant de l’été, Marcel Cachin, se faisant le traducteur fidèle des analyses du BP, critique, dans les grèves, des « mouvements prématurés. »12
12Reste que, si ces éléments sont clairement pris en compte dans les Carnets de 1947, ils semblent, dans l’esprit de Marcel Cachin, relégués à l’arrière-plan, eu égard aux questions plus proprement politiques, tenant aux rapports de force entre partis en France, et surtout à l’évolution de la situation internationale. De janvier à septembre, les analyses, opérées dans les Carnets, sur le jeu entre les différents partis reposent sur quelques points récurrents.
13Le premier d’entre eux est le dialogue impossible avec les socialistes, dont les positions sont systématiquement étudiées, notamment lors du Congrès national de la SFIO en août, à Lyon. Les querelles entre dirigeants, les revirements successifs du comité directeur, l’évaluation du poids des différentes tendances font l’objet de notes abondantes et averties. Si l’espoir de voir l’emporter les socialistes favorables à l’unité d’action avec le PCF paraît abandonné, l’idée d’une entente, bâtie autour de la défense de la République et du programme du CNR, perdure largement jusqu’au premier tour des élections municipales d’octobre. Corollaire de cette attitude, l’impérieuse nécessité, aux yeux de Marcel Cachin, de ne pas se marginaliser dans une « opposition systématique » au gouvernement Ramadier. L’affirmation d’une responsabilité politique, liée au fait que le PCF est un « parti de gouvernement »13, justifie, dans les Carnets, certains choix tactiques, ainsi l’abstention lors du vote, fin août, du statut de l’Algérie.
14Deuxième thème récurrent dans les analyses de politique intérieure entre janvier et septembre, l’irruption, sur le devant de la scène, d’un gaullisme partisan avec le RPF. Les notes consacrées au mouvement de De Gaulle sont remarquables à deux égards. Tout d’abord, elles laissent entrevoir à quel point la direction du PCF, considérant, jusqu’en septembre, de Gaulle comme l’ennemi numéro un, décide de concentrer les coups sur lui. Ces campagnes doivent, d’après les Carnets, permettre d’atteindre un autre objectif, visant à contraindre les socialistes à une entente, au nom de la défense de la République contre les factieux. Cela soulève la question de l’appréciation politique du gaullisme, sur laquelle Marcel Cachin revient à plusieurs reprises tout au long de l’année. Reprenant les analyses adoptées par le Bureau politique, Marcel Cachin mène également une réflexion peut-être plus personnelle sur ce point, sans que sa pensée soit définitivement arrêtée. Fréquemment taxé de fasciste, comparé à un nouveau Boulanger ou au colonel de La Rocque, de Gaulle suscite chez Cachin des jugements contrastés, au point que, à la fin de l’année, il juge que le gaullisme ne correspond finalement ni au fascisme, ni au boulangisme, mais à un « autre chose » encore indéfinissable.
15L’importance de ces deux thèmes, dans les analyses de politique intérieure, explique assez largement que, de juillet à octobre, les élections municipales et leurs préparatifs occupent une place non négligeable dans les Carnets. Ces élections, dont le caractère éminemment « politique » est d’emblée noté par Marcel Cachin, dès la préparation de la loi électorale, mobilisent l’essentiel des énergies en septembre, dans la mesure où elles sont traitées, dans les Carnets, comme une consultation nationale, pouvant avoir des incidences sur le gouvernement.
16En ce qui concerne l’évolution de la situation internationale entre janvier et septembre, les notes prises par Marcel Cachin témoignent de quelques grands centres d’intérêt, sans que l’on puisse dire avec précision en quoi ces analyses divergent de, ou convergent avec celles des autres membres du Bureau politique. En tant que président de la commission des Affaires étrangères, Marcel Cachin dispose de sources d’information abondantes et diversifiées, qui dépassent de loin le cadre de la presse française. Les références à des journaux anglais et surtout américains, tels le Daily Mail, le Daily Telegraph et le New York Herald Tribune, sont fréquentes, avec une attention particulière portée à certains journalistes, tels les frères Alsop et Walter Lippman. De plus, Marcel Cachin consulte des documents diplomatiques, tel le projet de traité avec l’Angleterre en février, ou le mémorandum français sur la Ruhr, sans pourtant que le commentaire précis de ces textes apparaisse dans les Carnets.
17Ses analyses de politique étrangère, entre janvier et septembre, ont deux caractères remarquables. Le premier est l’intérêt, jamais démenti, que Marcel Cachin porte à la question allemande, vue essentiellement sous l’angle économique. En opposition complète avec les thèses qu’il a défendues en 1923, il se pose en vigoureux défenseur d’une politique de fermeté et stigmatise, chez Georges Bidault, « l’abandon de la politique de réparations »14, dont il décèle les premiers symptômes dès le premier trimestre. De ce point de vue, les Carnets de 1947, ponctués de « Bidault a tout lâché », doivent être mis en relation avec les articles publiés dans l’Humanité, dont une majorité traite, d’une façon ou d’une autre, de cette question, primordiale pour Marcel Cachin.
18Deuxième trait intéressant, l’analyse de la politique extérieure américaine ne repose pas, jusqu’en septembre, sur une vision monolithique des États-Unis. La dénonciation, sévère et incessante, de la diplomatie de Truman va de pair avec l’espoir placé dans la gauche américaine, dont le représentant exemplaire semble être Henry Wallace. Cette vision des choses paraît s’inspirer, en partie, d’analyses développées par Pierre Cot, actif au moment de l’invitation de Wallace, en avril. Pierre Cot, dont le rapport, devant le BP, sur la politique américaine, le 24 juillet est abondamment commenté par Marcel Cachin dans ses Carnets. Ceux-ci reflètent donc l’idée suivant laquelle la « diplomatie de la bombe atomique et des dollars », menée par Truman et Marshall, s’apparente à une course en avant, pour tenter d’échapper à la crise économique majeure qui guette les États-Unis. Dans ces conditions, l’appui à la gauche américaine « pacifiste » est une idée qui, d’après les Carnets, séduit visiblement Marcel Cachin.
La « reprise en main »
19À partir du mois de septembre, les Carnets de 1947 témoignent, de façon très progressive, du processus de « reprise en main »15 du PCF par Staline et la direction du PCUS. Sans constituer une source déterminante sur la façon dont cette rupture stratégique et politique a été vécue par la direction du parti communiste français, le texte de Marcel Cachin permet de préciser trois points : les étapes de ce réajustement politique, l’ampleur de la révision idéologique opérée au cours du dernier trimestre et les difficultés rencontrées par la direction du PCF vis-à-vis des grèves en novembre et décembre.
20Premier point, le passage de l’orientation politique antérieure à la stratégie définie lors de la réunion constitutive du Kominform, fin septembre en Pologne, s’effectue de manière assez progressive. Marcel Cachin ne prend connaissance et conscience du « réquisitoire de Szlarska Poreba »16 et du changement de cap qu’avec la publication, dans l’Humanité du 5 octobre, de la « déclaration des neuf », qui constitue une réelle surprise, au point que, de prime abord, les notes des Carnets portent plus d’attention aux réactions suscitées par la déclaration qu’à la déclaration elle-même. Passée cette première surprise, il faut attendre le Comité central des 29-30 octobre pour que Marcel Cachin revienne plus profondément sur la stratégie nouvellement adoptée et l’interprète autrement que comme un appel, offensif, à lutter pour l’indépendance nationale. Enfin, la dernière étape, dans cette adoption d’une politique « kominformienne » est la réunion du bureau politique du 30 novembre, au cours de laquelle Marcel Cachin suit attentivement les explications données par Maurice Thorez, de retour de Moscou.
21Thorez, au cours de son entretien avec Staline le 18 novembre, déclare que, pour Marcel Cachin, « l’un des plus grands amis de l’URSS », « ce que disent les Russes est parole d’Évangile ». Rassurant Staline, inquiet de savoir « si Cachin n’est pas sujet à des rechutes dues à son passé »17, Thorez confirme ce que la lecture des Carnets d’octobre-décembre 1947 laisse entrevoir : Marcel Cachin fait, progressivement, siennes les analyses développées par Malenkov et Jdanov, et suit ce virage idéologique brutal. Les changements de vocabulaire sont, à cet égard, révélateurs. Le 27 octobre, il note dans son Carnet que « nous vivons l’ère de la démocratie populaire », alors que ces termes ne sont, entre janvier et octobre, mis en valeur à aucun moment dans ses notes journalières. Plus significatif peut-être, l’emploi de l’expression « parti américain », qui apparaît pour la première fois le 3 novembre, pour désigner la SFIO et les gaullistes. De fait, si l’assimilation de De Gaulle à l’impérialisme américain est, pour Marcel Cachin, une donnée facile à intégrer, il faut attendre le 1er novembre pour que la SFIO soit dénoncée comme « agent d’exécution de l’Amérique ».
22Corollaire de ce virage politique, le projet visant à instrumentaliser les grèves de novembre apparaît clairement dans les Carnets. Notant, le 30 octobre, soit à la fin de la réunion du Comité central, qu’il « faut un gouvernement démocratique déterminé par le PC », Marcel Cachin revient à plusieurs reprises sur la création de « comités de défense à partir de la classe ouvrière ». Sur ce point plus que sur tout autre, le texte des Carnets joue comme le contrepoint, presque parfait, du Journal du septennat. Écrivant, dans son bilan de l’année 1947, que les communistes « ont déclenché des grèves qui ne sont plus des grèves de revendications mais des grèves insurrectionnelles », Vincent Auriol ajoute : « Nous avons frôlé la guerre civile. »18 À l’inverse, Marcel Cachin note, le 10 décembre, que « certains ont cru à la grève générale » et qu’il y « a eu quelques cas de croyance à la grève insurrectionnelle ». Les deux hommes sont, en réalité, d’accord pour constater, comme le fait Marcel Cachin le 12 décembre, que « toute grève est politique ». Reste que ces deux interprétations des événements sont antinomiques, du moins fortement divergentes.
23L’apport des Carnets de Marcel Cachin à l’histoire de ces ruptures profondes, qu’elles soient politiques, sociales et syndicales ou idéologiques, montre la portée de ce texte. L’auteur y manifeste une passion pour les changements historiques que l’âge n’entame pas, et un goût intact pour la formule lapidaire et polémique, ainsi, à la fin de décembre 1947, ce bref jugement sur le résultat, pour le pays, des événements de l’année écoulée : « La France protectorat américain pour 250 millions de dollars. »
Notes de bas de page
1 Vincent Auriol, « Avertissement » à l’année 1947, in Pierre Nora et Jacques Ozouf (Notes de journal présentées par), Mon Septennat 1947-1954, Paris, Gallimard, 1970, p. 7 (« collection Témoins »).
2 Carnets, 25 janvier 1947.
3 Carnets, 22 avril 1947.
4 Archives du PCF, décisions du Secrétariat, 31 mars 1947.
5 « C’est une erreur de l’agence France-Presse : Manchester, c’est une réunion communiste de propagande », Carnets, 25 avril 1947.
6 Archives du PCF, décisions du Bureau politique, 3 avril 1947.
7 Jacques Duclos, Batailles pour la République, Éditions sociales, achevé d’imprimer le 15 juin 1947. La préface de Marcel Cachin fait l’éloge, en Duclos, du « plus représentatif des debaters parlementaires de ce temps », trois mois avant la réunion de Szlarska Poreba. Autres préfaces signées par Marcel Cachin, en 1947 : une édition de Nous ferons se lever le jour, de Paul Vaillant-Couturier, Éditions Hier et Aujourd’hui, et une biographie de Gabriel Péri, Un grand Français, Gabriel Péri, Éditions sociales.
8 Archives du PCF, décisions du Bureau politique, 18 septembre 1947.
9 « Compte rendu de la rencontre entre I.V. Staline et Thorez, secrétaire du CC du parti communiste français », publié par M. Narinski dans la revue Communisme, n° 45-46, 1996.
10 Pour reprendre le titre du livre de Lilly Marcou, 1947, La guerre froide, l’engrenage, Bruxelles, Complexe, 1987.
11 « Mot d’ordre : changer le gouvernement. La base dit : “Et la grève générale ?” », Carnets, 4 septembre 1947.
12 Ainsi le 7 juin.
13 Entre autres exemples possibles, cette note de la fin juin 1947 : « Nous avons des responsabilités. Pas d’énervement, discipline, dignité prolétarienne et communiste. Il faut travailler pour revenir au gouvernement dans les meilleures conditions. »
14 Le 25 décembre encore, l’Humanité publie un article intitulé « Précisions sur l’abandon de la politique de réparations ».
15 Pour reprendre l’expression employée par Stéphane Courtois et Marc Lazar, Histoire du parti communiste français, PUF, 1995, p. 257.
16 Philippe Buton, Les lendemains qui déchantent. Le PCF à la Libération, Presses de la FNSP, 1993, p. 305.
17 « Compte rendu de la rencontre entre I.V. Staline et Thorez (...) », article cité.
18 Vincent Auriol, Journal du septennat (1947-1954), tome 1, Armand Colin. 1970, p. 154-155.
Auteur
Frédéric Monier est maître de conférences à l’université de Valenciennes et du Hainaut-Cambrésis.
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