Préface
p. 155-165
Texte intégral
1La chronologie personnelle de Marcel Cachin, telle qu’elle apparaît dans ses Carnets, suit globalement le calendrier politique communiste marqué par les négociations entre syndicats et entre parti communiste et parti socialiste SFIO afin d’unifier organisations et luttes. En France, la politique déflationniste s’accentue et les ligues, notamment des Croix-de-Feu, s’agitent. Par contrecoup, des actions unitaires conduisent à des succès de la gauche aux élections municipales de mai et aux élections sénatoriales d’octobre. Ces victoires encadrent le 14 Juillet, jour où le peuple de gauche répond à l’appel des organisations antifascistes et prête le serment du Front populaire. Sur le plan international, alors que le nazisme triomphe en Allemagne, trois grands moments se détachent, la signature du pacte franco-soviétique en mai, le congrès de l’Internationale communiste en juillet-août et l’agression de l’Italie de Mussolini contre l’Éthiopie.
2Cachin poursuit une activité fébrile tout au long de l’année. Il publie 200 articles dans le quotidien qu’il dirige. La variété des sujets frappe : stricte actualité politique inspirée par des événements intérieurs ou extérieurs, articles de tonalité antifasciste, invitations aux actions politiques quotidiennes, préparation des échéances électorales, analyses économiques, commentaires de positions socialistes ou radicales.
3Il prend la parole dans la plupart des rassemblements parisiens aux motifs divers aux côtés d’autres personnalités françaises ou étrangères. Il participe aux campagnes électorales comme orateur en région parisienne (élections municipales) ou pour négocier la composition de la liste de gauche des élections sénatoriales, liste sur laquelle il figure. À partir de juin 1935, les comptages de voix et de délégués sénatoriaux possibles montrent la place centrale de Cachin. Il connaît personnellement les hommes politiques concernés mais ne note jamais d’autres commentaires que politiques.
4La santé de Cachin s’en trouve un peu altérée. Avant le deuxième tour des élections municipales, il assure sept meetings dans la seule journée du 11 mai. L’Humanité, le lendemain, évoque l’« écrasante fatigue » qu’il subit, puis, le 13 mai, le cite comme un « exemple admirable de dévouement à notre cause ». Aussi, le 14 mai, part-il dans sa Bretagne natale pour se reposer. Une nouvelle alerte intervient à la veille des élections sénatoriales, fin septembre.
Cachin, dirigeant communiste
5Une promotion d’adhésion Marcel Cachin est décidée par le Bureau politique, qui, dans une déclaration, sous le titre « Au meilleur camarade de combat », exalte « [son] effort léniniste persévérant » et le considère « comme le plus averti des guides. »1 Le 16 septembre 1934, 1 500 convives participent, salle Bullier, au banquet en l’honneur des 65 ans de Cachin.
6De temps en temps, il livre le contenu des réunions du Bureau politique du parti communiste. S’agit-il de notes prises en cours de séance, de notes préparatoires ou d’une reconstitution de certains passages ? On constate notamment la façon dont les dirigeants du parti socialiste SFIO sont perçus sans que l’on puisse dire s’il s’agit de l’opinion propre de Cachin ou d’éléments épars notés lors des discussions (ainsi le 10 janvier). Mais lors de la réunion du Comité central des 15 et 16 février consacrée principalement aux questions syndicales, dont il préside seulement la première séance, il ne retient rien. Parfois, son carnet complète les silences des comptes rendus officiels des réunions. Ainsi, dans le procès-verbal de la réunion du Bureau politique du 14 novembre publié dans l’Humanité, il n’apparaît aucune allusion à une discussion sur les relations avec les radicaux. Les notes de Cachin (sur cette question prises en date du 11) apportent des précisions sur l’état d’esprit qui y préside.
7Son carnet reflète une bonne assiduité aux réunions des organismes dirigeants mais il ne s’agit que d’une tendance puisque aucune mesure ne peut être faite, faute de sources complètes.
La politique française
8En 1935, deux ministères marquants (Pierre-Étienne Flandin, jusqu’au 31 mai, Pierre Laval, à partir du 7 juin) entourent un éphémère cabinet Fernand Bouisson. Face à la crise aux multiples aspects qui frappe le pays, Cachin et les communistes exercent leur vigilance. Cachin décortique souvent les projets ministériels d’ensemble. Le va-et-vient entre le carnet et l’analyse qu’il développe dans l’Humanité montre le rôle central du premier. Nous nous limiterons à deux aspects fondamentaux, l’analyse politique et le jugement économique.
9Premier exemple : les forces de gauche à la Chambre des députés et la crise parlementaire de juin 1935. Les communistes relancent une pratique depuis longtemps abandonnée, la délégation des gauches. Ce que Cachin retient de l’analyse de la réunion du Bureau politique du 6 juin permet de bien comprendre la façon dont les communistes jugent la situation. Le Temps, le 8 juin, souligne l’initiative communiste de convoquer la délégation : « (...) les communistes qui avaient mené le jeu en provoquant, dès le 28 mai, la reconstitution de cet organisme [la délégation des gauches]. »
10La chronologie de la délégation pendant cette deuxième crise ministérielle apparaît fort confuse tant s’imbriquent les réunions des groupes et celles de la délégation. Aussitôt après le renversement du cabinet Bouisson, le 4 juin à 20 h 30, les divers groupes parlementaires se réunissent. Comme la semaine précédente, les députés communistes proposent aux socialistes « de convoquer ensemble et dans les délais les plus brefs une réunion de la délégation des groupes de gauche » (l’Humanité, 5 juin). Le groupe socialiste se prononce « pour un gouvernement formé par une majorité loyale, solidaire et hardie et appuyée sur les organisations ouvrières et les forces démocratiques du pays » (l’Humanité, 5 juin, le Temps, 6 juin). Une réunion des bureaux des groupes de gauche doit se dérouler après ces réunions. À partir de 23 h 45, cette réunion laisse place à une assemblée à laquelle « environ 200 députés » participent (le Temps, 6 juin). Divers points de vue s’expriment et aucun ordre du jour ne conclut la séance.
11Les rapports entre radicaux et socialistes, tels qu’ils sont vus par les communistes, méritent d’être éclairés car rien dans les carnets ne permet de le faire. Lors de la deuxième réunion, dans l’après-midi du 5 juin, les radicaux interrogent les socialistes SFIO sur leurs intentions. Les socialistes annoncent qu’ils répondront au questionnaire qui leur a été adressé. Le groupe parlementaire socialiste SFIO élabore un long document programmatique qu’il soumet aux communistes (qui acceptent certains points) et aux radicaux (qui ne peuvent accepter certains projets). La délégation, réunie dans la soirée, est saisie de la proposition du socialiste SFIO Moutet et du socialiste de France Ramadier de rédiger un programme commun. Paul-Boncour propose qu’elle se contente d’« un texte commun consacrant l’accord sur les problèmes principaux » (l’Humanité, 6 juin). Le Temps, le 7 juin, publie un texte général élaboré en commun dans lequel les partis « décident de poursuivre les conversations engagées entre eux pour l’établissement de ce programme ». Finalement, aucune réunion n’intervient et les députés radicaux décident de soutenir le futur gouvernement Laval.
12Second exemple : la réaction aux mesures économiques du gouvernement.
13Ainsi, le 7 janvier, Cachin par un mot souligné (« libéraux ») annonce son éditorial du lendemain, qui évoque le projet de réorganisation économique que Flandin a déposé sur le bureau de la Chambre des députés :
« Il veut restaurer au plus tôt le vieux libéralisme et le jeu de la concurrence dans l’économie [...] réorganiser le ministère du Commerce et le charger de l’organisation de la production. Afin, affirme-t-il, d’assurer ultérieurement le libre jeu de la concurrence, l’État commencerait par faire disparaître d’office les usines, chantiers et entreprises qui sont fléchissant dans le monde capitaliste. On concentrerait tout le travail dans les entreprises restantes qui appartiennent aux plus solides détenteurs du capital financier. Cela veut dire que sous couleur d’un retour au libéralisme, les trusts et les puissants organismes qui concentrent aujourd’hui le meilleur de la richesse recevraient un cadeau princier et seraient puissamment renforcés.
Ainsi les défenseurs du capitalisme de crise et de décadence appartiennent aujourd’hui à deux écoles. Il en est, comme Flandin, qui songent à revenir aux anciennes pratiques “libérales”, lesquelles ont mené le capitalisme au présent état de dépérissement ainsi que, nous, marxistes, l’avions prévu. Tentative périlleuse pour ceux qui s’y livrent et que condamnent toute l’expérience du passé ! D’autres, comme Roosevelt, les planistes et les fascistes, se livrent à des tentatives prétendûment nouvelles. On en voit de plus en plus le fiasco honteux. »
14Le 10 janvier, le gouvernement dépose le projet de loi (Marchandeau) qui « rend obligatoire en temps de crise les ententes professionnelles » (le Temps, 11 janvier 1935). La Chambre des députés le confie à la commission du Commerce. Le rapporteur René Coty présente ses résultats devant les députés le 12 février 1935. Le 13 janvier, Flandin, président de l’Alliance démocratique, prononce un discours au congrès de cette organisation (Maison de la mutualité), qui est radiodiffusé à 20 h 30 et publié intégralement par le Temps, le 14. Le président du Conseil explique les grands principes de son projet :
« Partout où l’adaptation de la production à la consommation pourra s’opérer librement, sous la seule pression des lois économiques éternelles de l’offre et de la demande, je demeure partisan résolu – qui ne renie pas sa foi – de la liberté et de la libre concurrence. Mais, réaliste avant tout, je n’ai pu fermer les yeux devant tout ce qui fausse ou paralyse aujourd’hui le jeu de l’automatisme des échanges et des prix. J’ai dit : liberté organisée ; j’ai dit aussi : liberté défendue. »
15L’Humanité, le 13 janvier, indique certaines conséquences des projets : « fermer les entreprises peu rentables », « limiter la production », « accélérer dans chaque branche la concentration des entreprises et la rationalisation ». Marcel Cachin, dans son éditorial du 13 janvier, émet un jugement sans ambiguïtés, annoncé la veille dans son carnet :
« D’abord il veut grouper les dirigeants de chaque industrie dans une organisation corporative. Ces dirigeants seraient chargés en temps de marasme de discipliner la production sous le contrôle de l’État. Ils fermeraient les usines mal outillées et assureraient les moyens financiers des entreprises. On reconnaît là les éléments même du système mussolinien, qu’on le veuille ou non, la conclusion en est la dictature fasciste, l’écrasement des ouvriers et des petits producteurs, la concentration accrue du capital. »
16À la Chambre des députés s’achève, le 5 mars, le débat sur le plan Marchandeau dit des « ententes industrielles » ou des « accords professionnels », qui est voté par 333 voix contre 154. Dans cet ensemble figurent des actions pour réorganiser la politique commerciale de la France. Il s’agit notamment d’adapter la production française aux conditions du marché. Le Temps, le 11 mars, consacre une page entière à publier le discours de Flandin, définissant la politique économique de son gouvernement, lors de l’inauguration de la foire de Lyon. Cachin note certaines idées sur son carnet début mars.
17À ces aspects économiques qu’il affectionne depuis longtemps, Cachin ajoute des indications dont on discute dans la préparation du programme du futur Rassemblement populaire, ainsi la composition du Conseil de régence de la Banque de France, les conseillers économiques du président du Conseil (juin et août 1935), les nationalisations et la méthode pour les réaliser (octobre).
Stratégie communiste et tactiques électorales
18Des relations nouvelles avec les socialistes s’esquissent. Un comité de coordination entre les deux partis se réunit depuis le pacte d’unité d’action. Cachin semble en faire partie (ainsi en avril). À d’autres moments, les carnets apportent quelques éclairages et doivent être lus comme susceptibles de compléter les autres décisions qui affluent. Un bon exemple peut être fourni par la discussion lors de la réunion du Bureau politique du 27 février. Les notes de Cachin se situent en décalage par rapport à des initiatives publiques communistes et parfois ne sont compréhensibles que par l’examen des textes de la période proche.
19Cachin suit de très près les discussions internes au parti socialiste SFIO, notamment lors du congrès de Mulhouse en juin. Il scrute les comptes rendus parus dans la presse, et notamment dans le Populaire, afin de ne pas être informé seulement par l’envoyé spécial de l’Humanité.
20Le comité Amsterdam-Pleyel joue, pour le parti communiste, un rôle de relais. Depuis le pacte d’unité d’action, sous la pression de Barbusse et de l’Internationale communiste, les dirigeants du mouvement multiplient les démarches auprès de dirigeants communistes, dont Cachin, pour que le mouvement puisse contribuer au renforcement de l’unité sur le plan politique. Le rôle du mouvement auprès des classes moyennes, question essentielle dès 1932, a été occulté par la suite. Depuis mai 1934, il redevient pour les communistes une question centrale en liaison avec les avancées en direction des radicaux. Les carnets de Cachin, dès janvier 1935, accordent une grande place à cette question2.
21Souvent des points de tactique électorale alternent avec les réflexions de stratégie politique. En revanche, on ne trouve aucun écho de la mutation politique qui se traduit par la transformation du contenu de l’Humanité, à partir de novembre 1935, qu’il annonce lui-même dans son éditorial du 30 octobre « En avant pour l’Humanité ! 17 novembre nouveau lancement nouvelles victoires ! »
22Le 3 janvier 1935, le parti socialiste SFIO propose, en région parisienne, de présenter des listes communes aux élections municipales « là où la situation locale paraît l’exiger ». Les cinq régions parisiennes du parti communiste répondent dans l’Humanité, le 17 janvier 1935. Elles regrettent que le parti socialiste SFIO n’ait pas adopté « le programme de revendications immédiates et de constitution d’un vaste front populaire proposé par le parti communiste » qui « entend aller aux élections municipales avec son programme, avec ses mots d’ordre », pour conclure : « (...) aussi voulons-nous présenter au premier tour nos candidats et nos listes partout. »
23Quand tombent les résultats des élections municipales, Cachin note avec soin les succès communistes en région parisienne et s’intéresse de près aux désistements. Le plus souvent, aucun commentaire particulier n’accompagne ces indications. Le carnet semble alors jouer le rôle d’un aide-mémoire.
24Pour préparer les élections sénatoriales, les 13 et 14 septembre, se tiennent deux réunions à la Mutualité des délégués des partis de gauche pour la constitution d’une liste commune dans la Seine. Les participants décident le principe d’une liste du Front populaire au premier tour. Un résultat des négociations entre partis de gauche pour la répartition des sièges est donné dans l’Humanité du 21 septembre. L’accord ne se fait pas notamment parce que les radicaux demandent trois sièges, les communistes en ayant trois et les socialistes SFIO, deux. La répartition proportionnelle absolue donne cinq sièges sur dix au parti communiste. Alors que Cachin note la composition de la liste du Front populaire dès la fin septembre, la presse la donne plus tard. L’Humanité, le 6 octobre, le Temps, le 7, annoncent que la sous-commission chargée de l’élaboration de la liste a fixé la répartition des sièges : trois au parti communiste (et l’Humanité précise que l’un d’entre eux sera Cachin), deux au parti socialiste SFIO, deux aux radicaux, un aux pupistes, un au parti républicain socialiste et socialiste français, un au parti socialiste de France. Les noms ne figurent dans le Temps que la veille du scrutin. Comment expliquer ce décalage chronologique entre le carnet et la publication des candidatures ? Est-ce le manque de place qui conduit Cachin à utiliser les pages libres ? Ou présentait-il une liste des candidats probables, avant la liste officielle ?
25Les élections sénatoriales pour le département de la Seine se déroulent à l’Hôtel de Ville de Paris, salle Saint-Jean. Deux listes s’opposent, la liste du Front populaire et la liste d’Union républicaine conduite par Laval. Au premier tour, sur 1 246 votants, Laval (647 voix) et les sept candidats non communistes de la liste du Front populaire (de Mounié avec 801 voix à Morizet avec 638 voix) sont élus. Suivent Cachin (590), Clamamus (579) et Piginier (577). Dans son analyse, l’Humanité note que les 45 voix « dirigées par Doriot » ont manqué aux candidats communistes3. Pour les deux sièges en ballottage, alors que Fiancette et Paté, tous deux députés de Paris, suivent Laval, ce dernier propose qu’un candidat soit de la banlieue. Pic, député-maire de Vanves, est désigné. Les élus de gauche et les dirigeants des partis rédigent une affiche appelant à bloquer les voix sur la liste du Front populaire. Doriot alors avance la candidature de Lauze. Au deuxième tour, Cachin est élu. Doriot annonce qu’il n’avait présenté la candidature de Lauze qu’en réponse à l’agression dont il avait été victime de la part des délégués communistes. Il retire la candidature. Au troisième tour, Fiancette est élu avec 622 voix alors que Clamamus obtient 606 voix. L’Humanité, le 21 octobre, annonçant les résultats, titre : « Doriot, trahissant la volonté certaine des ouvriers de Saint-Denis et rompant avec le Front populaire, a fait passer Laval qui, seul de sa liste au premier tour, atteint péniblement la majorité et M. Fiancette, élu au troisième tour. » Après le succès de la liste se réclamant du Front populaire, la presse de droite, dont le Jour et la Liberté, à partir de novembre, affirme qu’un émissaire de l’Internationale communiste, Eberlein, aurait pénétré clandestinement en France pour remettre à Cachin une importante somme d’argent (on parle de 320 000 F) destinée à financer son élection sénatoriale. Les Carnets révèlent l’ampleur des tractations et ne permettent pas de trancher sur cette attaque politique. À notre connaissance, aucune autre trace ne fournit un indice favorable à l’allégation d’un marchandage.
La place de l’URSS
26Les références à l’URSS abondent. Cachin semble même entretenir des rapports étroits avec l’ambassade (27 avril) et assurer des contacts entre l’URSS et les socialistes dans les négociations qui aboutissent à la reconnaissance de l’URSS par la Belgique. Les nombreuses indications des Carnets éclairent la période préparatoire au pacte entre la France et l’URSS. Dans le même temps, Cachin n’épargne pas Laval.
27Au terme d’un voyage en URSS, le ministre des Affaires étrangères Laval signe un communiqué commun avec le gouvernement soviétique (Staline, Molotov, Litvinov) le 15 mai, publié le 16 dans l’Humanité. On y lit notamment à propos des tâches des deux gouvernements :
« Le devoir tout d’abord leur incombe, dans l’intérêt même du maintien de la paix, de ne laisser affaiblir en rien les moyens de leur défense nationale. A cet égard, M. Staline comprend et approuve pleinement la politique de défense nationale faite par la France pour maintenir sa force armée au niveau de sa sécurité. »
28La tonalité d’hostilité à Laval du carnet ne faiblit pas et Cachin ne manque pas une occasion pour rappeler que l’analyse d’ensemble des communistes ne se modifie pas, notamment sur la question de la défense nationale (voir 27 mai, par exemple).
29Cachin accorde toujours une place particulière à ce que disent ou écrivent des personnalités, le plus souvent des universitaires ou des savants, sur certains aspects de la réalité soviétique. Il note, par exemple, les impressions d’astronomes français (21 mai) ou lit les comptes rendus du congrès socialiste SFIO en juin avec le souci d’y déceler les traces d’une nouvelle attitude vis-à-vis de la politique soviétique.
30Cachin suit aussi les publications des auteurs soviétiques, mais il ne paraît pas avoir un contact direct avec leurs écrits. Le plus souvent, il reprend ce qu’il note au hasard des rubriques théoriques de l’Humanité ou des publications communistes.
Militantisme international
31Cachin, membre de la présidence du Comité exécutif de l’Internationale communiste, participe à son VIIe Congrès. À partir de la mi-juin, jusqu’à la mi-août, le voyage en URSS occupe la place centrale. La durée du voyage (deux jours et demi), son coût sont retenus. Il tient un carnet spécial et transforme son carnet en un simple agenda. Il s’y rend avec son épouse mais la fait rarement apparaître, sauf lors de son séjour à l’hôpital.
32Ses contacts avec les milieux communistes d’autres pays sont nombreux, même s’ils ne peuvent aboutir. Ainsi on lui interdit de pénétrer sur le sol britannique pour participer au congrès du parti communiste à la fin janvier 1935.
33Cachin joue un rôle important dans les diverses initiatives françaises ou mondiales : solidarité avec les antifascistes espagnols, mouvement Amsterdam-Pleyel, comité pour la libération de Thälmann, rassemblement mondial des femmes contre la guerre et le fascisme, affaire éthiopienne à partir de mai notamment.
34Enfin, Cachin participe aux conversations exploratoires officieuses entre représentants de l’Internationale ouvrière socialiste et de l’Internationale communiste et poursuit ainsi les contacts entamés à Bruxelles, le 16 octobre 19344. Il s’agit dans un premier temps d’engager la lutte unie sur le plan international au moment de l’agression italienne contre l’Éthiopie (octobre). Il poursuit en somme le rôle d’interlocuteur privilégié qu’il avait déjà eu au moment de l’éventuelle reconnaissance de l’URSS par la Belgique.
La Bretagne
35Cachin se rend fréquemment dans le Trégor, qu’il affectionne. Il y passe deux journées en février, une semaine en mars, onze en mai après la rude période des élections municipales, treize en septembre avant les élections sénatoriales d’octobre. Il y retourne six jours, au début novembre, lors de l’enterrement de sa sœur Sylvie.
36Parfois, Cachin y rencontre des voisins, des amis, ce qu’il ne note pas toujours. Quand il se rend à Penvénan, le 19 septembre, c’est sans doute pour voir son ami le socialiste Augustin Hamon. Comment imaginer que la visite du docteur Brandès, le 13 septembre, ne soit due qu’à des motifs médicaux !
37Souvent, aussi, il note ses affinités identitaires bretonnes : rencontre avec Yan Fouéré en février, obsèques de Yann Sohier un mois plus tard. Il entretient des rapports constants avec les organisations bretonnes de gauche de la région parisienne. Il ne retient de la fête de juin 1935 que la revue d’inspiration bretonne Suivez le druide.
Les déplacements
38Outre la Bretagne, Cachin séjourne aussi à divers moments en province. Comme chaque année, il se rend fin décembre-début janvier dans les Alpes-Maritimes et participe à des réunions internes ou à des initiatives locales. Ainsi, en janvier, le retrouve-t-on parmi les communistes du Muy dans le Var et, à la fin décembre, participe-t-il à des rassemblements dans la région toulonnaise, qui, en juin 1935, a élu un député communiste, preuve que la dynamique unitaire peut profiter aussi aux communistes.
39À la manière d’un responsable à l’organisation, Cachin peut consacrer un article aux communistes qu’il vient de rencontrer. Ainsi le 10 janvier 1935, « M.C. », sous le titre « La région des Alpes-Maritimes a réalisé d’importants progrès », décrit la « crise locale » en réutilisant certaines notes prises :
« À la campagne, la vente des olives, celle de la fleur d’oranger, celle des raisins tardifs sont très atteintes. La culture florale ne rapporte plus rien. »
40Peu de temps après, l’Humanité, le 14 janvier, revient sur une réunion organisée par la cellule du Muy. Plus de vingt localités ont envoyé des représentants parmi les 1 200 auditeurs selon l’article. Le rapport du commissaire spécial dénombre seulement 600 à 700 participants, 20 voitures et trois autocars à cette manifestation dans un jardin aménagé par les communistes locaux5. Des banderoles proclament « Salut au camarade Cachin », « Vive le Front unique », « À bas le fascisme ». Les dirigeants communistes (Foucard, Chargnioux, Gaou) se succèdent et selon le rapport de police s’accordent pour critiquer les socialistes dont Sénès, maire socialiste de la commune qui, en 1929, accusa Cachin d’avoir porté « à Mussolini de l’argent pendant la guerre » pour obtenir l’entrée en guerre de l’Italie. Cette « vieille calomnie » permet à Cachin de déclarer : « C’est un collaborateur de Guesde qui se chargea de cette délicate mission. » Selon le rapport de police, il se propose de demander au parti socialiste SFIO de constituer un jury d’honneur sur cette question.
41Autre type de déplacements, la réunion en province : en février 1935, Cachin se rend à Toulouse, à la fin mars, à Lyon puis à Alès, en avril, dans le Pas-de-Calais.
42Cachin peut aussi séjourner dans des régions rurales pour se délasser, ainsi la Seine-et-Marne en février, et la Sologne plus tard. Il observe et note les commentaires des personnes rencontrées dont certaines sont communistes.
43Comme toujours, Cachin utilise son carnet comme un agenda et comme support privilégié pour ses notes prises lors de diverses lectures (le Temps surtout, l’Humanité aussi). Il peut les réutiliser lors de ses articles et dans ses discours. Le carnet lui sert aussi pour prendre des notes lors de diverses réunions de la direction du parti communiste ou pour saisir une indication sur la diffusion du journal.
44Le directeur de l’Humanité indique aussi des noms de militants qu’il a rencontrés lors de ses réunions. Parfois se glissent des amis, tels l’écrivain Victor Margueritte.
45Les Carnets accordent une grande place à la question féminine, qu’il s’agisse des grandes revendications des mouvements féministes (droit au travail, droit de vote notamment), ainsi qu’aux actions qui s’amorcent contre la guerre et le fascisme. Cachin apparaît comme le porte-parole des communistes français sur ces questions. Il y retrouve des militants communistes et des militants de gauche, occasions supplémentaires de contacts (mars 1935).
46Enfin, les Carnets reflètent bien l’intérêt de Cachin pour la peinture. De multiples traces apparaissent (expositions, relations avec des peintres, amitié avec Signac). À partir d’août, après la mort de Signac, des indications permettent de saisir les liens de confiance profonde qui unissaient les deux familles, depuis 1924, liens approndis par le mariage entre le fils de Cachin et de la fille de Signac6.
Notes de bas de page
1 L’Humanité, 12 septembre 1934.
2 Se reporter à la thèse de Carré-Prézeau J., Amsterdam-Pleyel (1932-1939). Histoire d’un mouvement de masse, université de Paris VIII, 1993, 497 p.
3 Le 26 octobre, dans l’Émancipation, « organe communiste du canton de Saint-Denis », Doriot explique « pourquoi nous avons voté contre Cachin ». Ses délégués amis n’ont voté ni pour les trois candidats communistes, en raison de leur soumission à l’URSS, ni pour Steeg, en raison de son ancienne politique comme résident au Maroc.
4 Action signalée par Maurice Thorez (l’Humanité, 12 octobre 1935).
5 Archives départementales du Var, 4 M 47.
6 M’ont aidé à préciser les notes, des institutions, des mairies, des centres d’archives, des chercheurs, notamment G. Badia, É. Bimbi, C. Bard, J.J. Becker, F. Bentabet, H. Bonin, O. Carlier, Ch. Charle, S. Cœuré, S. Débarbat, Ch. Delporte, Ch. Demeulenaere-Douyère, J.P. Depretto, O. Feiertag, Y. Fouéré, R. Gallissot, Cl. Geslin, J. Gotovitch, M. Grass, J.L. Guerena, F.-X. Guerra, A. Hamon, É. Jalade, A. Kéchichian, G. Lahousse, L. London, R. Mathieu, M. Moissonnier, E. Naquet, P. Nivet, N. Offenstadt, M. Panteleiev, G. Perez-Sanchez, F. Poirier, J. Ponty, J. Carré-Prézeau, J. Quellien, M. Rebérioux, Ph.– G. Richard (Archives départementales du Loiret), E. Sablé, J. Sagnes, C. Simon, L. Strauss. Qu’ils soient collectivement remerciés.
Auteur
Jacques Girault est professeur de l’université de Paris XII.
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