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Le cinéma à l’épreuve du système télévisuel

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Laurent Creton

Troisième partie. L’audience et la promotion du cinéma à la télévision

Chapitre 11. Les films du patrimoine à la télévision française

Pierre Gras

Testo integrale

1En ces premières années du nouveau siècle où le mot télévision évoque plus la télé-réalité, la campagne électorale, les débats de société et les jeux d’access prime time, ou, si l’on veut évoquer les relations entre télévision et cinéma, les questions de préachat et de coproduction des films français, ou encore les guerres de l’audimat menées à grands coups de diffusion des succès récents en salles, il peut paraître paradoxal d’étudier la diffusion des films anciens sur le petit écran. Cette étude veut pourtant apporter des éclairages nouveaux sur cette question en montrant l’importance quantitative de ces diffusions, ainsi que le poids non négligeable des audiences pour ces films anciens. Au surplus, il est d’autant plus intéressant d’insister sur ces questions qu’il s’agit là d’une spécificité française que l’on peut étudier aujourd’hui sur longue période à travers les évolutions pourtant fondamentales de l’organisation télévisuelle française.

2Ce chapitre a pour bases deux études. La première, qui se consacre à la diffusion des films de plus de dix ans sur les chaînes françaises diffusant en clair de 1951 à 1998, a fait l’objet d’une première communication de Jean-Marc Vernier en novembre 1999 à l’occasion d’un séminaire consacré au patrimoine cinématographique à la télévision dans le cadre du Festival du film européen de Strasbourg. La seconde a été engagée en mai 1999 dans le cadre des travaux de recherche du GRÉCA : elle analyse de manière plus détaillée les diffusions de films sur les chaînes hertziennes et Canal + pour les années 1969, 1979, 1989 et 1999. Cette seconde étude retient pour définition du « film de patrimoine » celle d’un film ayant plus de trente ans au jour de sa diffusion. Seul ce critère de l’âge, de fait celui de l’ancien concept de génération, paraît en effet pouvoir s’imposer pour une telle étude où les films ne peuvent être jaugés à l’aune de leur réelle importance historique et esthétique dans l’histoire du cinéma. Le terme de « film du patrimoine » est aussi employé par commodité dans ce contexte, quels que soient les présupposés philosophiques et esthétiques qu’il implique et qui ne trouveront (malheureusement) pas ici un terrain de discussion.

3Ce chapitre se compose de quatre parties qui se fondent sur les apports essentiels des deux études. La première permet de souligner l’importance constante sur longue période de la diffusion des films de plus de dix ans ; la deuxième analyse cette fois de manière plus détaillée la diffusion des films de plus de dix ans de 1990 à 1998 ; la troisième étudie plus finement la diffusion des films de plus de trente ans de 1969 à 1999 en prenant en compte de façon plus particulière leur nationalité. La dernière partie, enfin, aura pour sujet l’audience des films selon leur âge.

LA DIFFUSION DES FILMS DE PLUS DE DIX ANS SUR LES CHAÎNES HERTZIENNES FRANÇAISES DE 1951 À 1989

4Sur les chaînes de télévision françaises diffusant en clair, quatre phases essentielles de la diffusion des films de plus de dix ans peuvent être distinguées. Elles coïncident grosso modo avec les décennies.

  • 1 Par exemple Le Testament du Docteur Cordelier de Jean Renoir

5Avant 1960, l’unique chaîne de télévision publique de la Radiotélévision française ne programme, selon les années, que 30 % à 40 % des films réalisés plus de dix ans avant leur diffusion. Le nombre total de films diffusés est faible, environ cent par an, et les films récents, quelquefois produits par la RTF dans un cadre réglementaire bien différent de celui que nous connaissons aujourd’hui, sont un produit d’appel pour la télévision1 à une période où l’achat d’un poste de télévision est encore un important investissement pour les ménages qui s’endettent généralement pour l’acquérir.

6À partir de 1961 s’opère un renversement fondamental dans la diffusion des films de plus de dix ans : depuis quarante ans les films de plus de dix ans représentent constamment plus de 50 % de l’ensemble des films programmés par les chaînes en clair. C’est donc une majorité de films déjà relativement anciens qui sont diffusés par les chaînes dont le nombre croît de un à cinq, alors que le nombre de ménages équipés d’un poste de télévision passe de 1,4 million en 1960 à plus de 20 millions à la fin des années 1990. Si elle est autorisée par la réglementation, la programmation des films les plus récents est restreinte alors que celle de films plus anciens est accentuée ; ces derniers composent ainsi la part essentielle des programmations de films dans une période de baisse de la fréquentation des salles de cinéma françaises. De ce fait, cette programmation de films de patrimoine à la télévision constituera pour toute une génération, notamment de province, la base d’une culture cinématographique et cinéphilique.

7Un pic de diffusion des films de plus de dix ans s’observe à la fin des années 1960 : leur nombre atteint 75 % à 80 % sur les deux chaînes nationales. En avril-mai 1969, par exemple, sont programmés 82,7 % de films de plus de dix ans, sans qu’aucune des deux chaînes n’adopte d’attitude particulière en matière de programmation. Les années 1970, au contraire, seront celles d’une spécialisation des politiques de diffusion des trois chaînes de l’ORTF, bientôt organisées de manière autonome. La première chaîne diffuse moins de films de plus de dix ans dont la part devient plus importante sur la deuxième et la troisième chaîne. En 1973, la première chaîne diffuse encore 60 % de films de plus de dix ans contre 55 % pour la deuxième et seulement 41 % pour la toute nouvelle troisième chaîne. En 1979, le renversement est patent : 70 % des films programmés par la troisième chaîne ont plus de dix ans contre 67 % pour la deuxième et seulement 56 % pour la première.

8Cette spécialisation s’accentue dans les années 1980. La programmation cinématographique des chaînes tend à se différencier plus nettement avec l’apparition des réseaux privés et les modifications du système concurrentiel qu’elle entraîne pour la conquête des téléspectateurs et des annonceurs. La troisième chaîne programme plus de 80 % de films de plus de dix ans ; M6 plus de 60 %, en partie du fait des moindres droits d’achat qui sont plus adaptés aux exigences financières de la nouvelle chaîne. Durant la même période, la deuxième chaîne publique n’en programme que 50 % environ, alors que TF1 et La Cinq n’en diffusent que 45 %. Ainsi la diffusion des films du patrimoine est influencée profondément par les mutations des chaînes sans toutefois que le total des films de plus de dix ans ne chute au regard de l’importance traditionnelle de ces films dans la programmation.

LA DIFFUSION DES FILMS DE PLUS DE DIX ANS DE 1991 À 1999

9À partir de 1991, la diffusion des films de plus de dix ans sur les chaînes émettant en clair se maintient au niveau général antérieur, évoluant d’année en année entre 65 % et 70 %. Mais, dans le droit fil des années 1980, la spécialisation des chaînes au regard de la diffusion de films du patrimoine continue de s’accentuer.

10L’évolution concernant les horaires de diffusion des chaînes considérées dans leur ensemble est aussi sensible. De 1990 à 1993, le pourcentage des films de plus de dix ans programmés entre 20 h 30 et 22 h 30 est de 45 % à 48 %. À partir de 1994, les diffusions de films de plus de dix ans avant 20 h 30 passent du chiffre très modeste de 5 % à 14 %, tandis que le nombre de ces films programmés après 22 h 30 augmente de 49 % à 53 %. Corrélativement, les diffusions de 20 h 30 à 22 h 30 ne représentent plus que 33 % à 35 % des diffusions, marquant ainsi nettement une certaine normalisation des diffusions : l’heure de plus grande audience est celle de la diffusion des films les plus récents.

11La nationalité des films de plus de dix ans diffusés subit aussi une mutation très sensible si on l’analyse pour l’ensemble des chaînes. La diminution de la part des films français est accentuée puisqu’elle passe de 56 % à 48 % dans la décennie. Le pourcentage des films américains se réduit lui aussi, mais de manière moins sensible, passant de 32 % à 28 %. Ce sont les films européens dont la diffusion augmente fortement : ils représentent 10 % des diffusions en début de période contre 20 % en fin de la décennie. C’est évolution est aussi très marquée en volume de films européens, car une soixantaine environ sont diffusés chaque année au début des années 1990 et plus de 160 en fin de période. L’évolution positive concerne d’une manière similaire la programmation des films non européens et non-américains, de 1 % à 3 %, mais le volume des films reste encore réduit, passant de 6 à 24 films sur la période. La programmation d’Arte est évidemment le facteur majeur de cette diversification, tant en ce qui concerne les films allemands que les films non-européens et européens non-allemands. Il n’empêche que le poids des films américains et français reste, pour l’ensemble des chaînes, encore très marqué, alors que le patrimoine cinématographique, même récent, aurait pu être un outil efficace de diversification.

12La diversité de l’attitude des chaînes se mesure aussi au nombre des films de plus de dix ans qu’elles diffusent. Arte, France 2 et France 3 sont bien entendu les trois réseaux qui diffusent le plus grand nombre de films de ce type. France 3 en programme toujours de 150 à 160 environ tout au long de la décennie, avec un chiffre record de 174 pour 1998. France 2 en diffuse de 110 à 120 et près de 130 pour 1997 et 1998. Arte intensifie sa programmation de manière très volontariste : 100 films en 1993 et 160 en 1994 alors que 200 films de plus de dix ans sont programmés en 1995 et de 240 à 260 pour la période 1996-1998. Ainsi les chaînes qui font la plus grande place aux films de plus de dix ans au début des années 1990 sont celles qui intensifient encore leur rythme de programmation en fin de période. Les autres chaînes ne connaissent pas de semblables évolutions : TF1 diffuse de 85 à 100 films de plus de dix ans par an sans variations significatives ; M6 très régulièrement 130 environ, sauf en 1998 où ce nombre tombe à 114 ; La Cinq environ une cinquantaine de 1995 à 1998.

13La grande diversité des grilles de programmation se reflète ensuite dans les horaires de diffusion des films de plus de dix ans que privilégient les chaînes. En 1998, c’est paradoxalement M6, qui en nombre absolu n’est pas le plus important diffuseur de films de plus de dix ans, qui en diffuse le plus important pourcentage en début de soirée, soit 53,5 %. Le plus grand diffuseur en nombre de films, Arte (241 films), à l’inverse n’en diffuse qu’un petit 22,5 % de 20 h 30 à 22 h 30 en raison de ses choix éditoriaux. TF1 programme 31,5 % de ses films de plus de dix ans en début de soirée et 35,4 % pour France 2. C’est France 3 qui se distingue en étant la chaîne qui pour un volume important de films de plus de dix ans (174) choisit d’en diffuser 43,7 % en début de soirée, c’est-à-dire au plus fort de l’audience télévisuelle.

14Dernière évolution qu’il convient d’évoquer au sujet des années 1990, celle de l’âge des films de plus de dix ans diffusés par chacune des chaînes. En effet, la programmation spécifique de celles-ci joue ici à plein et la décennie est celle d’une accentuation des diversités de programmation. Deux chaînes, TF1 et France 2, diffusent plus de films de moins de dix et vingt ans, jouant ainsi la carte de la nouveauté et de la diminution des films de patrimoine diffusés. En 1990, les deux catégories représentaient environ deux tiers des films sur TF1 ; en 1998, elles représentent plus de 85 % du total des films. La tendance est la même quoique moins marquée sur France 2 où les films de moins de vingt ans occupent 65 % des diffusions en 1990 et plus de 67 % en 1998. M6, qui voit augmenter son audience et ses moyens financiers au long de la décennie, conserve le même pourcentage de films de moins de vingt ans programmés (70 % environ), mais accentue notoirement la diffusion des films de moins de dix ans : alors qu’elle passait en 1990 plus de films de plus de dix ans et de moins de vingt ans (36 %) que de films de moins de dix ans (33 %), le pourcentage s’inverse en 1998 avec 40 % pour les films de moins de dix ans et 30 % pour ceux entre dix et vingt ans.

15La programmation de France 3 offre un contraste accusé à ces politiques de diffusion de films plus récents. En 1990, les films de moins de vingt ans représentaient 38 % des diffusions sur cette chaîne. Ce pourcentage passe à 27 % seulement en 1998, tandis que le nombre des films de plus de trente ans augmente de 38 % à 54 %, ce qui démontre que la vocation patrimoniale de la programmation cinématographique de France 3 définie par Patrick Brion n’a fait que s’accentuer. La programmation d’Arte obéit quant à elle à une logique différente. Le type de téléspectateurs que la chaîne recherche lui permet d’oser une programmation cinématographique qui, durant la décennie, voit augmenter de manière importante à la fois la part des films de moins de dix ans et celle des films de plus de quarante ans. De 1993 à 1998, le pourcentage des films de moins de dix ans passe ainsi de 38 % à près de 40 % et, plus marquant, celui dés films de plus de quarante ans de 11 % à 27 %, situant Arte juste après France 3 (35 %) pour la diffusion de cette catégorie de films.

LES FILMS DE PLUS DE TRENTE ANS SUR LES CHAÎNES HERTZIENNES EN CLAIR

16Dans cette partie de l’étude, il s’agit d’analyser de manière plus spécifique les modalités de diffusion des films les plus anciens, ceux de plus de trente ans, en retenant comme critère du patrimonial un concept de génération séparant les parents des enfants. L’étude a été réalisée sur la base d’une analyse détaillée des diffusions de films en avril et mai 1969 et 1979 et en avril 1989 et 1999. Pour ces films les plus anciens, l’analyse porte sur la part totale de ces films dans l’ensemble des films diffusés et sur la nationalité des films en termes de relations entre cinéma français et cinéma américain. On verra que les enseignements de cette étude montrent une situation particulière des films de plus de trente ans dans l’ensemble des films de plus de dix ans qui viennent d’être étudiés précédemment.

17S’agissant tout d’abord du nombre total des films de plus de trente ans sur l’ensemble des chaînes considérées, on observe une évolution cyclique. D’un pourcentage initial faible en 1969 (13 %), on assiste à une augmentation très importante dans les années 1970, qui forment la période la plus faste pour la diffusion des films de plus de trente ans, jusqu’à atteindre 24 % en 1979. Dans les années 1980, on assiste à une relative normalisation de la programmation : le pourcentage des films de plus de trente ans repasse à son point le plus bas (12 %), puis, du fait notamment de l’importante diversification de la programmation d’Arte évoquée plus haut, le pourcentage revient à 20 % en 1999. Le cycle n’est donc pas identique à celui observé pour les films de plus de dix ans où la fin des années 1960, compte tenu de la réglementation, est un pic de diffusion, tandis que le pourcentage de diffusion s’établit à un niveau plus faible mais stable de la fin des années 1970 à 1999.

18Autre phénomène important, la surreprésentation des films américains parmi les films de plus de trente ans. Pour les quatre années analysées, les films américains représentent 54 % du total des films de plus de trente ans, alors qu’ils ne forment que 47 % des films de plus de dix ans et 37 % de l’ensemble des films diffusés, conformément à la réglementation protectrice du cinéma français et européen instaurée dans les années 1980. A l’inverse, le cinéma français est relativement sous-représenté parmi les films de plus de trente ans, avec un pourcentage de 32 % pour l’ensemble des quatre années contre 35 % pour les films de plus de dix ans et 43,5 % pour tous les films diffusés. Les films d’autres nationalités subissent un sort similaire. Ils forment 13,5 % des films de plus de tente ans, 17,5 % des films de plus de dix ans et 19 % de l’ensemble des films diffusés.

19Il y a là à l’évidence à la fois la marque d’un intérêt français pour le patrimoine cinématographique américain, mais aussi les résultats d’une demande des spectateurs et de la capacité des firmes américaines et de leurs distributeurs français à protéger et à faire circuler leur patrimoine. Pour programmer un film de plus de trente ans il faut disposer du matériel, copie ou vidéo, adéquat en bon état. En ce domaine aussi, les sociétés américaines sont souvent mieux armées que leurs concurrentes, les sociétés françaises étant secondes dans ce champ.

20Quant aux films non-américains et non-français, les plus diffusés sont ceux produits par quatre pays : la Grande-Bretagne, l’Italie, l’Allemagne et l’Espagne. Le facteur de disponibilité du matériel joue aussi, ainsi que la notoriété des films, mais la véritable diversité de la programmation des films du patrimoine en souffre. À cet égard, les quotas de diffusion au profit des films européens pèsent sur la diffusion des cinématographies peu diffusées, déjà désavantagées par une notoriété moindre des œuvres dès qu’il s’agit de films rares d’Asie, d’Amérique latine ou même de Russie et des pays d’Europe orientale.

L’AUDIENCE DES FILMS DE PLUS DE DIX ANS À LA TÉLÉVISION

21Maintenant que le tableau précis des types et des modalités de diffusion des films anciens a été établi, il convient de poser la question de leur audience. La diffusion d’un nombre si important de films de plus de dix ans et même de plus de trente ans, particularité du système télévisuel français établie de longue date, se fait-elle au prix d’une audience réduite, comme une sorte de rebut de programmation de films destinée à un public marginal ?

22Tel n’est pas le cas comme le montrent les données concernant l’audience obtenue par les films de plus de dix ans sur l’ensemble des chaînes hertziennes gratuites en 1998. Certes l’audience décroît avec l’âge des films, mais celle de films déjà relativement anciens reste forte. En effet, pour 1998, l’audience moyenne de l’ensemble des films programmés s’établissait à 2 100 000 téléspectateurs environ. Bien entendu l’audience est plus importante pour les films de moins de dix ans (2 865 000 téléspectateurs) et pour ceux de dix à vingt ans (2 440 000 spectateurs). Pour les films de vingt à trente ans elle décroît assez fortement à 1 710 000 mais reste quasi stable pour les films de trente à quarante ans (1 705 000 spectateurs). Ce n’est que pour la catégorie des films de plus de quarante ans, en grande partie des films muets, que l’audience s’éloigne véritablement de la valeur moyenne. Ceux-ci ne recueillent qu’une audience de 730 000 spectateurs environ, nombre que l’on peut aussi bien considérer comme faible ou comme encourageant. On mesure en tout cas l’importance de cette diffusion télévisuelle même pour le niveau d’audience le plus faible si on le compare aux diffusions en salles de films de la même période. La télévision, appuyée aujourd’hui par le DVD, est le meilleur vecteur de diffusion du patrimoine cinématographique.

23Ces données concernant tous les horaires de diffusion sont complétées par d’autres éléments relatifs aux films de plus de dix ans diffusés en première partie de soirée en 1993 et 1998, ce qui permet en outre d’évaluer l’évolution de l’audience à cet horaire durant cinq ans. Premier constat, l’audience des films anciens régresse fortement pour toutes les catégories d’âge des films. L’audience moyenne de tous les films diminue de 14 % entre 1993 et 1998 et s’établit à 4 130 000 spectateurs en 1998. Une catégorie de films subit une chute plus notable de son audience : celle des films de vingt à trente ans, dont l’audience diminue de 37 % pour atteindre néanmoins 3 215 000 téléspectateurs. Sans surprise, la diminution la plus faible de l’audience est le fait des films de moins de dix ans qui ne perdent que 7 % d’audience et enregistrent le plus haut niveau d’audience moyen à 4 895 000 spectateurs. Plus originale, la résistance relative des films les plus anciens, ceux de trente à quarante ans, qui ne perdent eux aussi que 7 % de leur audience, pour un niveau moyen beaucoup plus faible de 3 330 000 spectateurs en 1998, audience étonnante que seul autorise le réservoir de téléspectateurs qu’offre la télévision aux heures de grande écoute. Le nombre moyen de téléspectateurs intéressés par les films de vingt à trente ans est plus faible, comme nous venons de le préciser. L’audience des films de dix à vingt ans diminue de 12 % pour atteindre l’audience moyenne de 4 070 000 spectateurs tandis que celle des films de plus de quarante ans reste la plus faible au long des cinq années, perdant 12 % pour une audience moyenne de 2 450 000 spectateurs en début de soirée.

24Ces données moyennes établies pour l’ensemble des chaînes doivent être complétées par celles concernant chacune des chaînes afin de prendre en compte la spécificité des audiences et des programmations. En 1998, c’était logiquement TF1 à la plus forte audience générale qui obtenait le plus grand nombre de spectateurs en moyenne pour les films de plus de dix ans (3 450 000 spectateurs), alors que l’on ne songe pas spontanément à elle quand on pense à la diffusion de films déjà anciens. France 2 était deuxième en termes de spectateurs de films de plus de dix ans avec un nombre de 2 405 000, alors que M6 et Arte obtenaient le troisième niveau d’audience ex aequo avec un nombre moyen de 2 195 000 téléspectateurs. Paradoxalement, France 3 dont on a vu qu’elle s’illustrait fréquemment dans la diffusion de films du patrimoine obtenait en 1998 une audience moyenne un peu plus réduite de 2 040 000 téléspectateurs. Ici, l’intensité de la programmation correspond à des films plus anciens et à des horaires de diffusion plus tardifs, même si l’audience compte tenu de ces facteurs est encore très soutenue. Quatre chaînes, malgré leurs spécificités, réunissent ainsi une audience moyenne finalement très comparable de 2 000 000 à 2 400 000 spectateurs, ce qui démontre l’attrait encore fort des films de plus de dix ans pour des téléspectateurs qui aiment voir et revoir des films souvent devenus des classiques du petit écran.

CONCLUSION

25L’examen de l’ensemble de ces données met clairement en évidence l’importance réelle de la diffusion des films de plus de dix ans et de plus de trente ans sur les chaînes françaises, alors que dans beaucoup d’autres pays européens celle-ci est devenue marginale depuis de nombreuses années. C’est bien la majorité des films diffusés qui ont plus de dix ans, de manière constante, depuis 1961. Certes, les modifications du paysage audiovisuel des années 1990 ont amené une plus grande diversification de l’attitude de chaque chaîne en termes de volumes de films, d’horaires de diffusion et d’âge des films, mais cela n’a pas altéré l’équilibre global du pourcentage de films de plus de dix ans programmés.

26Le sous-ensemble des films de plus de trente ans est, durant les quarante années analysées, l’objet d’une véritable politique de programmation avec 20 % du total des films en moyenne. Au-delà de la période la plus faste que forment les années 1970, et malgré un recul relatif sur la plupart des chaînes à partir des années 1980, cette diffusion reste importante grâce aux programmes de France 3 et de Arte, chaîne franco-allemande à vocation culturelle.

27En termes de nationalité, on observe que l’équilibre des films français et des films américains, imposé par la réglementation pour la diffusion de tous les films, est mieux respecté pour les films de plus de dix ans, alors que les films américains prennent nettement l’avantage pour la catégorie des films plus patrimoniaux de plus de trente ans d’âge. Le déséquilibre au détriment de la programmation de films d’autres nationalités est aussi patent, malgré la diversité accusée de la politique de Arte, du fait de difficultés d’accès et du handicap que créent les quotas pour les films de certaines nationalités.

28Si la programmation des films de plus de dix ans est ainsi abondante, elle répond clairement à un goût des téléspectateurs comme l’indiquent les chiffres d’audience, y compris dans les années 1990, malgré le caractère très concurrentiel du système télévisuel. Les films de plus de quarante ans se distinguent bien sûr par une audience plus réduite, mais qui reste substantielle. Toutes ces données démontrent que le système télévisuel français, dans sa diversité marquée et dans ses évolutions, joue depuis plusieurs décennies, de manière continue, un rôle de premier plan dans la diffusion du patrimoine cinématographique.

Note

1 Par exemple Le Testament du Docteur Cordelier de Jean Renoir

Autore

Pierre Gras est directeur adjoint de la Cinémathèque française et chargé de cours à l’université de Paris III Sorbonne Nouvelle. Il travaille sur l’économie et l’esthétique du cinéma, patrimonial et contemporain.

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