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Chapitre 10. La fréquentation des films en salles et leur audience à la télévision
p. 177-195
Texte intégral
1Les relations d’interdépendance entre la télévision et les salles de cinéma ont largement été analysées ces dernières décennies, et l’exposition du film cinématographique comme produit d’appel et de vente pour la filière audiovisuelle n’est plus à démontrer. Cependant, à la suite du profond bouleversement du paysage audiovisuel français engagé depuis les années 1984-1986, il est intéressant de se pencher sur le rôle que peuvent désormais jouer les films – et d’abord, quels films ? – dans le succès télévisuel et les relations que ces derniers entretiennent avec leur carrière en salles, et cela d’autant plus que la fin de la dernière décennie du xxe siècle a été caractérisée par une explosion du nombre de films proposés au public, tant sur le grand que le petit écran. L’étude détaillée du millier de films diffusés annuellement par les chaînes françaises en clair aurait nécessité un travail de très grande ampleur, mais qui n’est pas indispensable pour tenter de mettre en relief certaines grandes relations entre la carrière des films en salles et leur audience à la télévision. Le rappel des différences essentielles entre les deux supports permettra de mener une analyse qualitative des succès à la télévision afin d’en dégager certaines évolutions récentes.
DISSEMBLANCES
Les publics
2Les pratiques culturelles, l’utilisation du temps libre et l’arbitrage en faveur des différents loisirs ne sont pas uniformément répartis au sein de la population. Si 94 % des foyers sont équipés d’au moins un téléviseur et que 54 % d’entre eux le mettent en marche dès qu’ils rentrent chez eux1, ce dernier pourcentage correspond également au nombre de ceux qui se rendent au moins une fois par an au cinéma, tandis qu’ils sont moins de 5 % à le faire hebdomadairement (4,3 % en 1999 et 4,9 % en 2001).
3Structurellement, les publics de sortie cinématographique et de la consommation domestique télévisuelle sont distincts voire opposés. L’âge, la formation, le niveau de revenu, le lieu d’habitation sont autant de facteurs qui induisent une séparation des comportements (voir tableaux 1, 2 et 3). La sortie en salles est une pratique d’individus plutôt jeunes, ayant un niveau d’instruction plus élevé que la moyenne, étant socialement plus favorisés et habitant davantage les grandes villes que ceux qui regardent la télévision. Le critère de l’âge – qui influence les goûts et détermine la capacité de prise de risques dans les choix culturels – est fortement discriminant. Aux deux extrémités de la vie les écarts de consommation sont signifiants. Les plus de 60 ans représentent 22 % de la population mais plus du tiers de l’auditoire global de la télévision et plus du quart de l’auditoire des films qui y sont diffusés, pour seulement 11 % du public en salles et 10 % de leurs entrées. À l’opposé, les plus jeunes (5 – 14 ans) pèsent moitié moins dans l’auditoire de la télévision que leur poids dans la population (13,8 %), tandis que leurs aînés immédiats (15-24 ans) pèsent plus du double dans les entrées en salles (29 %) que leur représentation dans la population2.
4Enfin, l’agglomération parisienne, et plus encore Paris intra-muros, se distingue nettement du reste de la France, tant par une sous-consommation d’images télévisuelles que par un meilleur taux de fréquentation des films en salles, celle-ci étant proportionnelle à la taille de la commune. Cette disparité de la demande doit naturellement être reliée à la structure de l’offre.
L’équipement
5Les quelque 5 236 salles de cinéma actives (2001) ne sont pas uniformément réparties sur le territoire : les communes de plus de 100 000 habitants abritent toutes au moins un établissement cinématographique, contre 97 % de 20 000 à 100 000, 81 % de 10 000 à 20 000 habitants, et 32 % des plus petites (qui regroupent 12 % de la population française). L’absence ou l’éloignement des équipements collectifs explique donc partiellement la faiblesse relative de la fréquentation cinématographique en certaines zones, rurales notamment. En revanche, la quasi-totalité des foyers est désormais équipée d’au moins un téléviseur (40 % au moins deux). Durant la dernière décennie du xxe siècle, la couverture du territoire est devenue totale pour les principales chaînes (TF1, France 2, France 3). Elle a été accrue et améliorée par les diffusions câblées et satellitaires, même si 15 % des foyers ne reçoivent toujours pas M6 par voie hertzienne de manière satisfaisante, ni 18 % du binôme Arte-La Cinquième3.
La diffusion des films
6S’il a longtemps été distribué environ 500 films en salles chaque année, dont 400 nouveaux, ce nombre s’est considérablement accru depuis 1999, soit plus de 600 chaque année, dont 500 nouveaux. Pour de pures raisons physique et matérielle, il est donc de moins en moins possible que ces films atteignent de manière équiprobable n’importe quelle salle de France. Parmi les paramètres qui affectent la carrière d’un titre donné, en plus de la densité du réseau de salles, le nombre de copies qui seront initialement diffusées ainsi que sa carrière durant sa première semaine sur le marché directeur parisien vont être déterminants pour la pénétration de la province en profondeur, donc pour sa carrière (voir tableau 4). Pour effectuer une carrière satisfaisante, un film doit réaliser au moins trois à quatre fois plus d’entrées en province qu’à Paris, l’agglomération parisienne représentant 29 % de la fréquentation nationale.
7C’est le cas des quelques grands succès qui font venir cinq à sept fois plus de spectateurs en province, tandis qu’une multitude des sorties demeure confidentielle et est parfois limitée à une seule sortie parisienne. Les grands succès en salles en France sont ainsi ceux qui ont essentiellement rencontré les faveurs des publics provinciaux. Enfin, deux films sur trois enregistrent au cours de toute leur carrière moins de 50 000 entrées4 ; leur notoriété et leur visibilité auprès du grand public sont donc quasi nulles et ne leur permettent pas de bénéficier de l’aura et de la valorisation que la salle confère habituellement au film cinématographique pour son passage ultérieur sur le petit écran.
8Suivant la logique originelle, les cinq chaînes en clair ont toujours moins diffusé de nouveautés que les salles de cinéma (voir graphique 1). Cependant, du fait du spectaculaire accroissement de l’offre télévisuelle et de l’explosion du nombre de titres diffusés – le double aujourd’hui de celui proposé par les salles –, l’écart tend à se réduire : moitié moins de nouveautés dans les années 1980, le cinquième à la fin du siècle. En dépit d’une abondance apparente, le déficit cumulé de titres sortis en salles mais inédits à la télévision ne cesse donc de croître, y compris dans ceux qui ont été coproduits par les chaînes elles-mêmes.
9Dans leur composition, si les quatre cinquièmes des films diffusés en salles sont des nouveautés, la proportion s’inverse en ce qui concerne la télévision : seul un tiers des films diffusés chaque année sur les chaînes en clair5 sont des inédits.
10La rupture dans l’équilibre inédit/rediffusion intervient lors de la libéralisation de l’audiovisuel français. Une augmentation massive de l’offre s’opère par l’accroissement du nombre de chaînes (Canal + en 1984, La Cinq et M6 en 1986) et par celui du temps d’antenne de chacune d’entre elles : pour les chaînes nationales en clair, 10 942 heures de diffusion en 1983, 34 960 en 1993, et 41 109 heures en 19976. Au détriment de l’information et des émissions de divertissement, la fiction a largement été employée pour combler ce besoin de programmes à émettre, passant de 18,7 % du temps d’antenne en 1983 à 28,4 % en 1993. Au sein de ce genre, le film cinématographique y est largement minoritaire (5,2 % en 1997), mais est l’un des mieux exposés avec 23,5 % du temps d’antenne en prime time, le film étant considéré comme une valeur sûre pour affronter la concurrence, accroître l’audience et valoriser les espaces publicitaires. L’accroissement quantitatif de ces offres télévisuelles au cours des années 1980 a clairement accéléré la chute de fréquentation en salles durant cette période, même si une accoutumance a neutralisé le phénomène à la fin de la décennie suivante (voir graphique 2).
L’exposition des films à la télévision
11Une relation mécanique ne saurait cependant être établie entre l’offre télévisuelle et la demande cinématographique, pour des raisons voisines d’une absence de corrélation absolue entre les succès en salles et leur audience à la télévision. L’offre télévisuelle globale en films ne peut être prise ex abrupto mais doit être envisagée selon plusieurs paramètres : son diffuseur, ses dates et heures de passage, la qualité des émissions concurrentes diffusées simultanément, etc. En matière de diffusion de films de cinéma, les chaînes en clair sont soumises à des quotas, 192 films par an pour chacune d’entre elles depuis 1997 avec possibilité de rajouter des films Art et Essai hors quotas ; seule Arte qui n’est pas plafonnée augmente régulièrement ses diffusions (192 films en 1990, 285 en 2001). En terme d’audience, sur les 1 100 films diffusés annuellement, plus d’une moitié est cependant condamnée à de faibles résultats puisque n’étant pas programmée en prime time (maximum de 104 films par chaîne). La plus forte concentration de l’audience rassemble en effet chaque soir près de la moitié de la population devant son poste de télévision (voir graphique 3) et opère ainsi une première limite structurelle au succès des films à la télévision : au plus 520 titres (5 x 104) peuvent espérer une audience significative, quel que soit le nombre total de films diffusés.
12Au cours de la journée, l’heure de passage est un premier facteur discriminant de l’audience d’un film à la télévision, suivi par son jour de diffusion : les lundi et jeudi recueillent généralement une audience moindre que les mardi et dimanche. Il faut également tenir compte du mois de l’année, les Français regardant moins leur télévision en été (minima en août) qu’en hiver et au printemps. Ainsi, en 1998, sur les vingt meilleures audiences de films, dix se sont concentrées en mars-avril, dix autres se sont étalées d’octobre à février, aucune n’étant enregistrée de mai à septembre. La même année, douze de ces vingt succès étaient diffusés un dimanche, six un mardi et enfin deux un lundi. En plus de ces déterminants liés aux habitudes des consommateurs, il faut ajouter que le critère essentiel lié à l’offre demeure celui de l’identité de son diffuseur (voir tableau 5). Pour de nombreux motifs (ancienneté du canal, notoriété historique, meilleure couverture du territoire, budgets de production), TF1 s’octroie les meilleures audiences (92 sur les 100 premières en 2001). Bien que déclinant depuis une décennie, sa part de marché est d’environ 35 %, contre un peu plus de 20 % pour France 2, 15 % pour France 3, 10 % pour M6, les chaînes thématiques variant entre 1 et 5 %. À de rares exceptions près, cette suprématie vaut aussi bien pour les émissions que pour les films : ceux diffusés hors TF1 ne sont destinés qu’à réaliser au mieux des audiences moyennes.
Hiérarchies dans l’audience des films
13À l’opposé de ce diffuseur qui domine le marché, les 320 films d’Arte-La Cinquième sont pluri-déterminés pour réaliser de faibles audiences : typologie des films préachetés (répertoire, Art et Essai), image du diffuseur, moins bonne couverture hertzienne, etc. Sur ces chaînes qui diffusent le plus de titres en clair, il ne s’observe pas dans l’absolu de corrélation entre la confidentialité de l’audience et les résultats obtenus en salles : les meilleurs scores oscillent systématiquement entre 3 et 5 % d’audience, audience nettement inférieure à une diffusion du même titre sur une autre chaîne comme à son résultat en salles. Ainsi, en 1997, le meilleur score pour un film sur Arte fut obtenu par Dernier Domicile connu (4,8 %) qui avait réalisé 3 à 5 fois plus d’audience lors de ses précédentes diffusions sur TF1 et A2, et il en a été de même avec La Discrète (3e en 1997 avec 3,6 % d’audience) qui avait été 19e au BO 1990 des salles avec plus de 1,4 million d’entrées ; il en fut de même en 2000 avec Out of Africa (5,2 % d’audience), etc. Naturellement, la faiblesse de ces résultats est tempérée si l’on raisonne relativement à la pénétration et aux scores habituels de la chaîne ou au nombre total de téléspectateurs touchés7 (voir annexes 3 à 9, pp. 281-290).
14La hiérarchie des audiences des films lors de leur passage télévision peut donc être établie comme suit : la probabilité d’un succès va en décroissant de TF1 à M6 puis aux chaînes thématiques, en tenant compte à la fois de l’heure, du jour et du mois de passage du titre (voir graphique 4). Cette loi doublement façonnée par la position concurrentielle des entreprises audiovisuelles et par les structures sociales de la consommation ne semble pas connaître d’exception. L’apparente évidence intuitive de son énoncé est cependant lourde de conséquences, particulièrement en ce qui concerne la reconnaissance d’une inégalité de l’accès au marché des films. Dès la date de leur achat – quel que soit leur succès en salles –, un film sur deux diffusé sur une chaîne en clair (et évidemment tous ceux diffusés sur une chaîne thématique) est quasi programmé pour ne réaliser qu’une faible audience, deux films sur cinq pour se battre autour d’une audience moyenne, et un sur dix pour espérer optimiser sa rencontre avec les téléspectateurs.
15Curieusement, cette domination structurante, qui n’a rien à voir avec le contenu des films, est assez peu contestée par les intervenants de la filière cinématographique, pourtant assez prompts à dénoncer toute entreprise d’exploitation de films supposée fausser le jeu de la concurrence en salles, marché sur lequel une réelle égalité entre toutes les œuvres ne cesse d’être proclamée comme principe inaliénable. En passant du marché des salles à celui des télévisions, il s’observe une étonnante et unanime acceptation de la transformation de l’œuvre d’art en marchandise ordinaire. Il est vrai que les acteurs-auteurs-producteurs tirent de la télévision leur revenu principal (4 MdF en 1999 en achat et préachat, contre 2 MdF venus des salles, et respectivement 5 et 2,5 MdF en 2001), et que le simple principe de son achat par une chaîne semble satisfaire les ayants droit.
16Il convient dès lors d’analyser les rapports entre les entrées en salles des films – qui déterminent partiellement leur valeur d’échange pour leur première diffusion télévisuelle – et leur audience à la télévision.
SUCCÈS AU CINÉMA ET À LA TÉLÉVISION
Une double concurrence interne
17Chacun des titres diffusés en prime time se retrouve sur une fenêtre d’exploitation relativement étroite, puisque les films y sont interdits trois soirs sur sept (le fameux « sanctuaire » s’applique les mercredi, vendredi et samedi soirs afin de protéger la fréquentation en salles), ce qui ne laisse que 208 (4 x 52) créneaux horaires possibles pour une offre de 416 (4 x 104) titres à programmer à cet horaire sur les chaînes généralistes. Cette concurrence entre films élimine donc au moins quatre titres sur cinq, même si la généralisation du magnétoscope (70 % des foyers en possèdent au moins un) a généré d’autres comportements qui permettent des arbitrages moins douloureux. En effet, le magnétoscope est largement utilisé pour enregistrer des émissions télévisées, parmi lesquelles prioritairement des films, et il est intéressant de noter que le palmarès des plus forts taux d’enregistrement ne recoupe pas celui des plus fortes audiences (voir tableau 6) : les succès ne donc sont pas les plus enregistrés, et le fait que les jeunes soient les principaux usagers de cet outil n’y est certainement pas étranger.
18La seconde concurrence que chaque film doit affronter sur son propre support (à laquelle il faudrait ajouter les paramètres externes : événements culturels, sociaux) réside en l’offre d’autres programmes à la même date, parfois forts différents et jugés plus attractifs (retransmission sportive, téléfilm, etc.). L’ensemble de ces paramètres implique encore que le même titre, sur la même chaîne, aurait obtenu une audience sensiblement différente face à une offre concurrente différente, et que la comparaison avec ses résultats sur son marché primaire (la salle de cinéma) ne peut aboutir à une corrélation absolue.
Le déclin relatif du film à la télévision
19La concurrence intra-sectorielle que se livrent les acteurs télévisuels autour des heures de la plus forte demande s’est longtemps appuyée sur le film de cinéma, mais, pour diverses causes (saturation, manque de différenciation, montée en puissance des chaînes thématiques, etc.)8, le genre est en déclin depuis quelques années et tend à être supplanté par d’autres programmes : téléfilms, séries, retransmissions sportives, magazines, etc. (voir figure 5). Si les dix premiers films se retrouvaient systématiquement parmi les vingt meilleures audiences jusqu’en 1993 – en se plaçant souvent dans le tiercé gagnant –, ils vont céder peu à peu leur place aux autres émissions et éparpiller leurs scores parmi les cinquante meilleures audiences.
20Ce déclin retrace en partie la désaffection des téléspectateurs pour les films d’origine française, dont la part de marché sur toutes les chaînes, y compris le leader TF1, est en décroissance régulière depuis le début des années 1990, ce qui n’est pas sans rappeler les difficultés de ce même genre dans les salles (voir graphique 6). Or, sur aucun des deux supports la quantité de l’offre n’est en cause. Les salles offrent en effet plus de films français (140 à 160) qu’américains, cette tendance se confirmant d’année en année. À la télévision, la réglementation impose des quotas de nationalité aux chaînes – qui les respectent – pour l’ensemble des diffusions (prime time compris) : 60 % des œuvres doivent être d’origine européenne dont 40 % francophone. Ces mesures de protection ont conduit les quatre chaînes principales à offrir très régulièrement durant toute la décennie environ 50 % des titres d’origine française, 35 % américains et 15 % d’autres nationalités, mais n’ont pas pu empêcher une lente érosion de l’audience pour le cinéma national, tant en moyenne que pour les plus grandes audiences. Sur les dix films les plus regardés à la télévision, sept étaient français en 1990 et seulement trois de 1996 à 20019.
21Cependant force est de constater que, malgré une quantité d’offre inchangée, la désaffection ne touche pas de la même manière les films américains, dont l’audience progresse même sur certaines chaînes (France 2, M6) (voir graphique 7).
22La différence la plus notable entre les succès en salles et à la télévision réside dans le degré de nouveauté des titres. En salles, l’usure économique des titres est telle que leur durée de vie est de plus en plus brève et est passée de plusieurs années (il y a un demi-siècle) à quelques mois (dans les années 1970) puis à quelques semaines (fin des années 1990)10. Par ailleurs, les reprises d’anciens titres attirent de moins en moins de spectateurs, la vidéophilie a partiellement remplacé la cinéphilie, et les salles de répertoire ont vu leur nombre et leur spectatorat diminuer drastiquement durant la décennie précédente. Les reprises, aussi prestigieuses soient-elles, ne peuvent espérer monter sur le podium des rares titres annuels significatifs11.
23À l’opposé, la télévision diffuse largement plus de reprises que de nouveautés sur lesquelles elle a assuré – jusqu’en 1996 – l’essentiel de ses meilleures audiences. Le succès de ces nombreuses « rediffusions de rediffusions » a constitué l’essentiel du fonds de commerce des chaînes. La pénétration des chaînes thématiques consacrées au cinéma d’une part, et l’accroissement considérable du nombre de titres pluri-diffusés par les chaînes en clair d’autre part, n’est assurément pas pour rien dans la lente érosion du genre cinématographique à la télévision généraliste (et peut-être aussi sur son récent regain en salles). Non seulement la part relative des films inédits à la télévision ne cesse de diminuer, mais au sein même des rediffusions, la proportion des films diffusés plus de cinq fois ne cesse de croître, et désormais plus de 10 % des titres ont déjà été diffusés au moins six fois sur une chaîne12 (voir graphique 8). L’accroissement du nombre de rediffusions rend plus difficilement perceptible la minorité des inédits et les banalise, vieillissant le genre dans son ensemble, particulièrement au profit d’une chaîne comme Canal + qui a su parfaitement se différencier, notamment par un délai de passage après les salles ramené à un an.
Les plus grands succès de films à la télévision (1990-2001)
24L’analyse des dix premiers films au box-office télévisuel depuis 1990 (voir liste en annexes) permet de mettre en relief plusieurs caractéristiques et évolutions. Outre l’effacement progressif des films de nationalité française – y compris à la première place qu’ils occupaient jusqu’en 1993 –, celui des rediffusions est manifeste. Cette prime à la sécurité par la « recherche-répétition » de succès était particulièrement forte et concernait des titres qui avaient auparavant tous été des grands succès populaires en salles : La Vache et le Prisonnier 1er en 1959 (8,8 millions d’entrées), Le Jour le plus long 1er en 1962 (11,9 M), La Cuisine au beurre 2e en 1963 (6,4 M), Le Corps de mon ennemi 13e en 1976 (1,7 M), La Chèvre 1er en 1981 (7 M), Le Marginal 3e en 1983 (4,9 M), etc. Les habitués de très longue date du succès télévisuel vont peu à peu disparaître de la tête du classement, les succès des années 1970 (Belmondo, Delon) puis 1980 vont aussi être progressivement délaissés par les téléspectateurs et glisser vers la désaffection, 1995 marquant leur dernière apparition.
25Quelle que soit leur date de sortie – et de succès – en salles, l’écrasante domination des multirécidivistes du succès télévisuel se relâche donc dans la seconde moitié des années 1990 (voir graphique 9). Minoritaire jusqu’en 1994, la part des inédits dans les premières places tend à croître, raccourcissant ainsi le délai moyen entre la sortie en salles et la diffusion télévisuelle (12 ans en 1990, 4 ans en 2001). Les succès classiques font moins recette, s’estompent et il semble – bien que le phénomène soit trop récent pour en tirer des conclusions définitives – que l’exigence majoritaire du consommateur s’oriente vers la nouveauté.
Les lois du succès
26S’il ne s’observe pas de corrélation absolue entre le succès d’un film en salles et son audience à la télévision, l’analyse comparée des box-offices salles et télévision permet cependant de tirer quelques enseignements, selon deux grandes lois (voir tableau 7). La première constate que la quasi-totalité des grands succès en salles s’assurent une place honorable lors de leur diffusion télévision.
27Toutefois : la règle n’est pas absolue : chaque année 10 à 20 % de ces titres ne rencontre pas une adhésion sur le petit écran, comme ce fut le cas pour Cyrano de Bergerac (2e en 1990) ou Le Silence des agneaux (5e en 1991). La place au box-office salles n’est pas exactement la même lors du passage télévisuel, en raison des multiples facteurs déjà évoqués et du délai de diffusion après sa sortie qui dépend à la fois de l’éventuelle implication de la chaîne dans sa coproduction (délai raccourci), et de la politique de programmation de la chaîne au moment où celle-ci est autorisée à diffuser le titre.
28La seconde loi veut que la quasi-totalité des films qui enregistrent un succès à la télévision soient des films qui ont préalablement massivement rencontré leur public en salles. Toutefois, là aussi, il existe une marge d’exception de l’ordre de 10 % ; chaque année, quelques films méconnus lors de leur passage en salles arrivent à rencontrer les faveurs des téléspectateurs, selon une moyenne d’un tous les deux ans (voir tableau 8).
29Malgré les nombreuses dissemblances entre les deux supports, la carrière d’un film en salles détermine ainsi son audience à la télévision, et donc sa valeur marchande globale, tout comme les accords de coproductions avant sa réalisation se font en fonction d’un potentiel commercial attendu13. Cette valeur implique l’identité de la chaîne qui achètera ses droits de diffusion, selon une échelle décroissante entre diffuseurs. Il relèvera de l’intérêt ultérieur de chaque opérateur de rechercher la meilleure adéquation entre le coût d’achat du titre et son moment de diffusion (mois, jour, heure) ; elle générera à son tour une audience dont l’ampleur moyenne est assez fortement prévisible, et conséquemment les recettes principales correspondantes (temps d’antenne des annonceurs publicitaires).
30Par-delà le financement garanti par les chaînes de télévision, l’intérêt à moyen terme de l’amont de la filière cinématographique serait sans doute de davantage prêter attention au film lui-même, tant dans sa conception que dans sa valorisation sur son marché premier : les salles. En dépendent les revenus de chacun des titres pris individuellement, mais aussi ceux de l’ensemble de la production nationale, voire à terme la hauteur de la valorisation du genre filmique tout entier. Il n’est ainsi pas certain que l’orientation de la production cinématographique vers un genre unique, ou du moins largement prépondérant, la comédie, serve à long terme l’audience des films français, tant sur leur support originel, la salle, que lors de leur passage ultérieur chez leurs bailleurs de fonds, les télévisions.
Notes de bas de page
1 O. Donnat, Les Pratiques culturelles des Français, La Documentation française, Paris, 1998.
2 CNC Info, n° 276, mai 2000.
3 Indicateurs statistiques de l’audiovisuel, CNC-CSA-1NA-SJTI, La Documentation française, Paris, 1998.
4 L’équivalent des deux premières séances de la carrière d’un succès commercial comme Astérix et Obélix contre César (sorti le 3 février 1999), de Taxi 2 (29 mars 2000) ou autre Spiderman (12 juin 2002).
5 Canal + et les chaînes thématiques sortent du cadre de l’analyse de la présente étude, mais la première chaîne cryptée française, qui a assuré sa pénétration sur le sport et les films, se doit de proposer des titres dont la fraîcheur avoisine celle des salles : 80 % des 450 titres diffusés annuellement par Canal + sont des inédits.
6 Indicateurs statistiques de l’audiovisuel, op. cit., p. 39.
7 En audience télévision, 1 % représente 525 900 individus de plus de 4 ans.
8 R. Chaniac et J.-P. Jézéquel, Télévision et Cinéma. Le désenchantement, Nathan-INA, Paris, 1998.
9 Les données précises manquant actuellement, il serait cependant intéressant d’analyser si les chaînes thématiques ont pu capter une part de cette audience pour les films français, compensant éventuellement cette désaffection sur les chaînes généralistes.
10 C. Forest, Les Dernières Séances, C. Forest, CNRS Éditions, Paris, 1995.
11 Une exception peut être accordée pour la ressortie de la trilogie La Guerre des étoiles en 1997, dont l’un des titres réussit à atteindre la 20e place du BO avec 1,7 million d’entrées.
12 Le Cinéma à la télévision, CNC-CSA, Paris, 1993 et suiv.
13 D’où une politique majoritairement tournée vers la production de comédies (60 % du budget de TF1, 70 % de M6) que seule la réglementation infléchit (respect de la diversité pour France 2, France 3 et soutien aux premiers films d’Arte). Sans être comparables au budget de Canal + (environ 1 MdF), les apports de la production des chaînes sont de plus en plus significatifs : en 1998, ils étaient de 215 MF pour TF1 (Le Fils du Français, Belle-Maman, Astérix et Obélix contre César, etc.), 154 MF pour France 2 (La Débandade, Rien sur Robert, etc.), 99 MF pour France 3 (Quasimodo d’el Paris, Recto verso, etc.), 53 MF pour M6 (Les Grandes Bouches, Doggy Bag, etc.) et 50 MF pour Arte (Vénus beauté, La Nouvelle Ève, etc.) ; en 2001, ces apports n’avaient augmenté que pour TF1, avec respectivement 300, 150, 84, 88 et 34 MF.
Notes de fin
* Un coefficient 1 signifie que le film a réalisé la totalité des entrées sur Paris-périphérie ; 2 qu’il en a réalisé autant en province que sur la capitale, etc.
† Hors quelques dessins animés qui, en reprise, ont réalisé la quasi-totalité de leurs entrées en province.
‡ Le décalage entre la sortie en salles et la diffusion TV en clair est en moyenne de deux à cinq ans (sauf exception comme Le Roi Lion qui fût 1er en 1994).
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Le cinéma à l’épreuve du système télévisuel
Ce livre est cité par
- (2014) A Companion to Contemporary French Cinema. DOI: 10.1002/9781118585405.biblio
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- Chantepie, Philippe. Paris, Thomas. (2019) Numérique et cinéma. Réseaux, n° 217. DOI: 10.3917/res.217.0017
- Chirouze, Alexandre. (2007) Cinéma et publicité : un mariage d'amour ou de raison ?. Market Management, Vol. 7. DOI: 10.3917/mama.042.0133
- Lamberbourg, Adeline. (2010) Parcours croisés de Dominique Cabrera, cinéaste, et de ses proches collaborateurs.. Temporalités. DOI: 10.4000/temporalites.1218
Le cinéma à l’épreuve du système télévisuel
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