Chapitre V. Une grande souplesse de gestion dans la politique salariale et sociale
p. 189-223
Texte intégral
1À la veille de la nationalisation, l’industrie électrique emploie 60 000 personnes, réparties ainsi : 33 000 ouvriers, 18 800 employés et 8 200 ingénieurs et cadres. Les proportions sont-elles identiques dans le groupe Durand ?
2Ayant axé le développement sur la croissance externe, la famille Durand est amenée à gérer des situations différentes selon les compagnies : un mutualisme fort ou, inversement, peu développé, un paternalisme multiforme ou absent... Une fois devenus partie intégrante du groupe Durand, ces héritages sont-ils ou non harmonisés ? Une culture d’entreprise commune à l’ensemble des filiales Durand peut-elle naître ? Y a-t-il des politiques différentes selon les filiales ? Enfin, face à l’intervention de l’État dans le domaine de la politique sociale, comment réagit la famille Durand ? Le groupe se caractérise-t-il par une certaine gestion du personnel1 ?
Une gestion pragmatique du personnel
3Gérer le personnel, c’est tout d’abord connaître précisément le nombre des salariés ainsi que leurs fonctions. C’est aussi désamorcer toute velléité de grève en négociant les horaires de travail et les salaires. Ceux-ci représentent une dépense importante qui doit être analysée. La souplesse de l’échelle des rétributions permet de récompenser le personnel méritant.
Un personnel principalement ouvrier
4L’Énergie industrielle est peu diserte sur son personnel et les statistiques sont excessivement rares. Ainsi, pour la société mère, les premiers chiffres sont ceux de l’exercice 1928. Ils révèlent qu’elle emploie alors 1041 personnes. Les sources sont ensuite muettes jusqu’à la Seconde Guerre. Pour l’ensemble du groupe, le premier et très tardif état estimatif de 1942 répertorie 11406 salariés et 14 036 en 1943. En comparaison, la Compagnie parisienne de distribution d’électricité emploie 5 400 agents au moment de la nationalisation. Comment se répartissent les employés de l’Énergie industrielle sur le territoire français ? Le centre de Bayonne regroupe 847 personnes, celui de Grenoble 1 365. Quant à la Compagnie du gaz de Lyon, elle emploie 2610 agents. Au total, la moitié des effectifs travaille dans la région lyonnaise.
5Certaines sources permettent de tenter des études, bien incomplètes, des effectifs sur le plan qualitatif. Ainsi, en 1943, une enquête est menée sur le travail des femmes. 59 travaillent à Montbéliard à la Société des forces motrices de l’Est et 39 à Chartres. Ainsi, les femmes sont donc peu nombreuses dans le groupe Durand, ce qui n’est guère original. Il en va de même des professions qu’elles y exercent. Seules quelques-unes ont un poste d’encaisseuses, comme à Montbéliard où elles sont 22 sur un total de 128. Il n’y a guère que le centre d’Annecy qui fasse exception à cette division sexuelle traditionnelle du travail en confiant à un femme la surveillance d’une usine hydro-électrique.
6En 1945, un recensement du personnel des usines hydro-électriques permet d’affiner la connaissance du personnel. Seize centres sont répertoriés, soit 104 sites hydro-électriques. Un quart des centrales ne sont gérées que par un seul agent. À l’inverse, le personnel abonde dans les grands sites de production : 244 employés à Cusset. La moyenne approche donc les 9 employés par centrale. Souvent, les ouvriers2 dirigent seuls les usines car le personnel de maîtrise n’est présent que dans 29 % des sites. À la veille de la nationalisation l’Énergie industrielle compte plus de 7 500 ouvriers. Le statut du personnel employé et ouvrier est variable, il peut être titulaire, stagiaire ou temporaire. Sur un effectif de 1214 salariés, le centre de Grenoble dispose de 899 titulaires, de 85 stagiaires, soit 7 % des effectifs, et surtout de 230 employés temporaires, ce qui représente tout de même 19 % des effectifs. Ainsi, la flexibilité des effectifs est pratiquée au sein du groupe Durand, bien qu’elle ne soit pas systématique, mais elle témoigne de la grande souplesse de gestion et de l’autonomie réelle accordée aux directeurs des centres d’exploitation ou des filiales du groupe.
7En ce qui concerne les employés et les ouvriers, l’Énergie industrielle n’innove pas, elle applique la classification du décret-loi du 17 juin 1938 qui détermine cinq catégories, chacune d’elles étant dédoublée. La première regroupe le personnel sans qualification particulière. Les huissiers et les machinistes, considérés comme spécialisés, constituent la seconde catégorie. Pour passer dans la troisième, « il faut faire preuve d’aptitudes pratiques professionnelles » comme, par exemple les barragistes, 35 % des effectifs. Les mécaniciens ou les monteurs forment le quatrième groupe, celui du personnel qualifié, soit 39 % des effectifs. Enfin, dans la cinquième catégorie, on trouve les chefs d’équipe ou de secteurs qui ont la « responsabilité d’un service ou d’un groupe d’employés3 ». L’entrée en vigueur de cette loi conduit le groupe à modifier le statut de son personnel. Ainsi, « les divers emplois sont groupés en dix catégories et par classes de façon à ce que l’avancement du personnel puisse s’effectuer à la fois au mérite et à l’ancienneté4 ».
8D’une manière générale, l’essentiel des contestations porte sur les modifications salariales induites par le reclassement du personnel. La coexistence de très nettes différences entre les compagnies constituant le groupe est à l’origine de bien des difficultés pour appliquer la nouvelle loi. Ainsi, dans la région lyonnaise et le Dauphiné, « la différence de salaires entre le projet de Lyon et ce qui se pratique à Grenoble, au lieu de diminuer lorsque le classement de l’agent s’élève, va en croissant légèrement jusqu’aux catégories sept et huit et diminue ensuite un peu... À l’inverse de la Société générale de force et lumière, le projet du Gaz de Lyon ne fait pas de distinction entre les ouvriers et les employés et il ne prévoit qu’un seul barème5 ». Ainsi, un employé de la catégorie un débuterait à 2050 francs par mois à la Société générale de force et lumière et à 2473 francs au Gaz de Lyon. C’est seulement en décembre 1944 que la direction de la Compagnie du gaz de Lyon, celle de Jonage et le personnel de ces deux sociétés adoptent la classification en vigueur à l’Énergie industrielle, signe que la société mère leur laisse le choix. Un classement organise également le statut du personnel de maîtrise. Il est réparti en trois catégories, avec là encore, une grande souplesse d’application et des concertations au sein même des filiales. Quelques contestations s’élèvent, mais ne constituent pas l’essentiel des revendications au sein du groupe.
Des revendications sociales sans originalité
9Les registres des conseils d’administration et des assemblées générales se révèlent être de bien piètres sources d’information en ce qui concerne les conflits sociaux au cours des quarante ans d’histoire du groupe. On observe, a priori, peu de mouvements de grève malgré un contexte national de mobilisation salariale très développé. Quant aux revendications, peu originales, elles portent sur les horaires de travail et sur les salaires.
10Comme ailleurs, le syndicalisme est le plus efficace des moyens d’action. Or la documentation disponible est quasiment inexistante à l’exception de quelques informations portant sur les dix dernières années du groupe. En 1938, le syndicat professionnel des ouvriers et des employés de l’Énergie industrielle et de ses filiales décide de créer un journal pour le Sud-Est intitulé Le Syndicat6. À la fin de l’année 1944, des représentants des agents de maîtrise venus des 25 centres de l’Énergie industrielle et de ses filiales proposent de dissoudre l’intersyndicale et de créer deux sections CGT et CFTC. Le référendum organisé à cette occasion aboutit à la scission syndicale. Une fois de plus, l’extrême dispersion géographique du groupe explique les difficultés de fonctionnement des syndicats. Comment, en effet, imaginer une politique active pour la section CGT de la maîtrise quand son président est ingénieur à l’Hydro-Électrique des Basses-Pyrénées et les secrétaires en exercice en Savoie et à Lyon ? Quant aux neuf autres membres de ce comité, ils travaillent dans huit départements différents ! En outre, ils ont affaire à des interlocuteurs différents puisque les filiales sont juridiquement indépendantes les unes des autres. Ainsi, les revendications doivent être faites tant dans chaque compagnie qu’au niveau de l’Énergie industrielle elle-même.
11C’est pour ces raisons que les grèves semblent avoir été rares dans le groupe en 1936. En outre, en 1937, une procédure d’arbitrage permet de limiter au maximum le recours à l’affrontement entre le personnel et la direction. Ce principe a généralement été respecté, tant la conscience d’avoir une mission de service public paraît avoir été forte chez les employés. C’est ce qui ressort nettement d’un avis émanant du syndicat du personnel de l’Énergie industrielle que publie Le Petit Var le 22 janvier 1938 : « le personnel informe le population que devant le non-respect de la loi du 28 juillet 1928 par l’Énergie industrielle, il s’est vu dans l’obligation, pour sauvegarder ses droits, de voter le principe de la grève... Mais, soucieux de ses devoirs en tant que service public, il assure la population qu’en aucun moment elle n’aurait à souffrir de cette grève ».
12Pourtant, des oppositions se manifestent, comme dans toute entreprise, qui peuvent prendre une tournure violente : une réunion à Paris de l’intersyndicale et de la direction se termine par l’occupation des locaux. Ainsi, la situation du groupe n’est guère originale si ce n’est que la direction exploite largement l’avantage de la dispersion géographique de ses travailleurs et qu’elle cherche à désamorcer les conflits par une politique de dialogue préventif. D’ailleurs, les revendications sont peu originales. L’application de la loi de 1936 portant sur la limitation de la durée du travail à 40 heures hebdomadaires ne se fait pas sans difficultés à l’Énergie industrielle. En 1937, un conflit éclate entre des agents techniques de Bort et la direction. En effet, mettant en avant le fait qu’elle les loge gratuitement et que leur secteur ne comprend que six communes, la compagnie leur impose une astreinte de service qu’ils refusent. Tout le problème porte sur la définition de la nature du travail demandé à ces agents : est-il continu ou discontinu ?
13Les rétributions constituent d’ailleurs l’autre grand thème des revendications salariales, mais elles n’entraînent pas de sérieuses tensions sociales pour autant. Bien des conflits portant sur ce sujet se terminent par une décision d’arbitrage, signe que toutes les autres procédures ont échoué. En 1938, le personnel du groupe revendique une « augmentation générale...[qui] ne pourra être inférieure à 300 francs par mois ni laisser subsister des salaires ou traitements mensuels de base inférieurs à 1 200 francs ». La sentence arbitrale ne juge pas la demande excessive car le coût de la vie a augmenté de 40 % entre juin 1936 et janvier 1938. Au total, c’est entre 250 et 400 francs que se situe l’augmentation obtenue.
14Une seconde vague de revendications salariales éclate pendant la guerre, s’ajoutant à la dénonciation de la surcharge de travail. Les directeurs de centre, à la fois informateurs et intermédiaires entre les employés et la direction, jouent un rôle essentiel. Leur action permet d’avancer une explication supplémentaire à la relative faiblesse de l’action syndicale dans la société. En dépit de quelques actions spectaculaires, voire violentes, les conflits restent modérés. La cause est-elle à chercher du côté de la gestion des questions sociales par la société ? Elle semble avoir échappé à la crise d’autoritarisme du début des années 1930 : « Les relations sociales se détériorent en 1931-1935, car le patronat aggrave son autoritarisme pendant la crise, résiste à des grèves dures, congédie les salariés en surnombre et des syndicalistes, rejette les conventions collectives et abaisse les salaires7. » Cette attitude n’a pas été celle des dirigeants du groupe Durand et amène à s’interroger sur la réalité des salaires de cette entreprise. Sont-ils généreux ? Comment progressent-ils ? Faut-il chercher l’origine de la relative paix sociale au sein de ce groupe dans une politique salariale remarquable ?
Un coût salarial affecté par le contexte national
15La politique salariale dépend étroitement du contexte national. Ainsi, les Accords Matignon décident d’une importante hausse des salaires après les grèves du printemps 1936. Pour analyser leur impact sur le groupe Durand, l’étude des différents réseaux de la société mère constitue un point de départ intéressant. Les appointements versés pour le réseau d’Alès augmentent de 2 à 14,5 %. Parallèlement, les salaires horaires des manœuvres et des monteurs progressent de 6 à 15 %. Les conventions du début juin proposant des hausses moyennes de 12 %, le secteur de Montceau-les-Mines, sous l’impulsion de la CGT, réclame des augmentations de 33 % avec, en particulier, le relèvement des minima salariaux. Le directeur d’exploitation propose une hausse de 17 % à l’inspection générale de l’Énergie industrielle. Ainsi, il n’existe pas d’unité de gestion au sein même de la société mère. Simultanément, le personnel des filiales du groupe négocie, lui aussi, l’application des Accords Matignon. Les salaires horaires des ouvriers augmentent de 11 à 21 % avec un minimum horaire de 4,60 francs. L’année 1936 se traduit donc par d’indéniables hausses de salaires généralisées à l’ensemble de l’industrie française.
16Les salaires ne sont pas les seuls revenus à augmenter durant la période du Front populaire. Les indemnités et autres allocations sont revalorisées elles aussi, ce qu’on observe, par exemple, à la Compagnie du gaz de Lyon. Constatant l’écart net entre le taux officiel et celui de la compagnie, cette dernière rectifie le montant des allocations familiales qu’elle verse à ses salariés. La direction ne cache pas ses réticences face à cet indispensable alignement en mettant en avant son coût – « une aggravation des dépenses de 500 000 francs environ8 ». À la fin de l’exercice 1942, le groupe décide de recenser ses agents en charge de famille. Sur 11406 personnes, célibataires et mariés sans enfant représentent 47 % du personnel. Les pères et mères de famille restants élèvent 11 892 enfants dont 88 % ont moins de seize ans, ce qui fait, en moyenne, deux enfants par famille9. Au total, ce sont 2,2 millions de francs que le groupe distribue au titre des allocations familiales en 1942, ce qui représente environ 183 francs mensuels par enfant. D’autres allocations doivent aussi être comptabilisées, telles les gratifications de fin d’année dont la Compagnie du gaz de Lyon modifie le régime d’attribution. Si l’égalité entre les sexes est scrupuleusement respectée dans le calcul du montant des primes, la compagnie entend « [rester] libre d’appliquer des avances ou des retards dans les augmentations ou gratifications, en cas de qualités spéciales ou d’insuffisances dans le service d’un agent10 ».
17En 1942, presque 300 millions de salaires sont versés, auxquels s’ajoutent différentes primes portant le montant global des traitements des salariés du groupe à 341 millions de francs. Le coût salarial global est, lui, de l’ordre de 445 millions de francs courants. Le salaire moyen du personnel de maîtrise est en moyenne trois fois celui des employés et ouvriers et le double de celui d’un cadre. Les primes étant plus importantes pour les cadres que pour les employés et les ouvriers, l’écart de rémunérations se creuse entre les deux catégories, puisque le salaire moyen d’un cadre est supérieur de 45 % à celui d’un ouvrier ou d’un employé, alors que son traitement moyen est, lui, de 65 % supérieur. Il n’y a là rien de bien original.
18En revanche, le salaire d’un ouvrier ou d’un employé varie du simple au double selon son affectation, observation applicable aussi au traitement moyen. Les différences sont tout aussi nettes, voire accentuées, pour le personnel de maîtrise qui gagne 44 880 francs à Langres mais 260 % de plus environ au siège social. Au total, l’écart maximum va de 1 à 8 entre un ouvrier ou un employé du secteur de Bourg et un agent de maîtrise du siège social. D’autres inégalités de rémunérations inexplicables doivent être signalées. Nombre d’entre elles concernent le personnel dit spécifique. Le groupe dresse un inventaire de la situation de ses chefs d’usines à gaz en janvier 1943 : 38 usines sont en activité dont 10 sans responsables. Les 28 salariés spécifiques sont classés de la façon suivante : 10 personnel de maîtrise, 18 ouvriers ou employés. Leurs responsabilité et leur travail sont pourtant exactement les mêmes. L’ancienneté ne peut expliquer cette division puisque le responsable d’Alès, entré à la compagnie en 1914, est classé ouvrier, tandis que celui de Vannes, titularisé en 1932, est agent de maîtrise. Il est probable que le critère retenu soit l’importance du site de production. Toujours est-il que les appointements mensuels fluctuent. Certains bénéficient de primes forfaitaires allant de 25 à 160 francs, ou sous forme de pourcentage, tandis que d’autres n’ont droit à aucune bonification.
19Une enquête de 1943 effectuée par le syndicat des producteurs apporte d’utiles précisions. Si un certain nombre de centres rémunèrent les manœuvres sur la base d’un tarif unique, certains secteurs d’exploitation offrent des rétributions calculées en fonction de la taille de la commune d’exercice. Ainsi, à Montargis, le travail effectué dans des communes de moins de 5 000 habitants est payé 50 francs de moins qu’un travail identique réalisé dans une plus grosse localité. Dans le secteur géré par l’Hydro-Électrique des Basses Pyrénées, trois catégories sont en vigueur. L’enquête de 1943, renouvelée en 1945, montre la persistance des inégalités de traitement établies sur des critères purement géographiques. La rémunération des manœuvres varie de 2 696 francs à Brest à 3 610 francs au Gaz de Lyon pour le même travail réalisé dans une commune de moins de 5 000 habitants.
20Enfin, au sein d’un même centre, les rétributions peuvent varier pour un emploi en tous points comparable. Ainsi, en 1936, un adjoint de chef de zone gagne 1 500 francs par mois à Grenoble alors que son homologue de Chambéry est rétribué 2 282 francs. Les Durand sont donc confrontés aux mêmes problèmes de ressources humaines que toutes les autres entreprises de l’époque et gèrent leur personnel de façon pragmatique et très respectueuse des acquis comme des intérêts corporatistes. L’État, qui commence à mettre en place une législation sociale, ne joue pas encore le rôle qu’on lui connaît aujourd’hui. En revanche, la toute-puissance du patronat et le triomphe de la liberté du chef d’entreprise sont particulièrement visibles dans la gestion du personnel de maîtrise.
Le personnel de maîtrise11
21Le groupe Durand offre des opportunités de carrière à condition d’être mobile. Les responsabilités sont importantes, mais la rétribution au mérite, principe cher à la famille Durand, se traduit par une politique de primes et de récompenses variées.
Existe-t-il une carrière type12 ?
22Apparemment, les recrutements sont moins nombreux dans la dernière décennie d’exercice du groupe car un personnel compétent est déjà en place ; en outre, l’extension géographique est désormais terminée. Toutefois, les procédures de recrutement et les exigences n’ont pas vraiment varié. En 1936, la société mère dresse la liste des ingénieurs du groupe issus de l’École supérieure d’électricité. Au total, 21 diplômés sont employés et, pour un certain nombre, dans des filiales récentes, très probablement embauchés avant la prise de contrôle de leur compagnie par les Durand. La logique de ces derniers reste toujours la même : ne considérant pas leur entreprise comme une structure industrielle, ils n’éprouvent pas le besoin de recruter des ingénieurs de haut niveau, sauf exception. Toutefois, le plus grand nombre du personnel est qualifié.
23L’éventualité d’une mutation figure pratiquement dans tous les contrats d’embauche des cadres du groupe. Mais seuls les nouveaux membres de direction sont réellement mutés et régulièrement. Xavier Bordes, simple bachelier, né en 1912, travaille dans le secteur de l’électricité depuis 1930. Nommé chef de secteur de l’Union pyrénéenne électrique, il n’a alors que vingt-cinq ans, il décide de suivre les cours par correspondance de l’École des travaux publics pour devenir ingénieur en électricité. Ses acquisitions théoriques sont rapidement mises en pratique puisqu’il est nommé dès 1941, à moins de trente ans, maître d’œuvre de l’usine d’Ocana en Corse. L’expérience a été concluante aux yeux des dirigeants de la société puisqu’il se voit confier, en 1945, la direction des travaux de l’usine de Pontcharra-sur-Bréda. Ce cas illustre parfaitement la politique des Durand en matière de ressources humaines : faire confiance à des hommes dynamiques, ambitieux et très mobiles, même s’ils n’ont pas toujours au départ une excellente formation. Cela semble être aussi la politique de la Compagnie parisienne de distribution d’électricité.
24Le déroulement des carrières répond à une règle générale au sein du groupe. Les mutations, fréquentes les premières années, permettent aux dirigeants d’évaluer la compétence et la polyvalence des nouvelles recrues. Ces dernières ayant fait leurs preuves et étant parvenues à l’échelon de directeur ou d’adjoint, elles sont stabilisées pour quinze à vingt ans, voire plus. Leur rôle consiste alors à accompagner le développement de leur centre d’exploitation, à devenir des notables locaux connus de l’administration, ce qui est essentiel au bon fonctionnement du groupe, et appréciés des industriels locaux, précieuse clientèle potentielle. Les directeurs ont donc des fonctions de représentation du groupe, ce qui permet de comprendre leur itinéraire professionnel : ils doivent être des hommes compétents et sûrs et rester suffisamment longtemps en place pour inspirer confiance dans l’Énergie industrielle, surtout lorsqu’elle devient un groupe important, dans les années 1930.
25Pour autant, il ne faudrait pas chercher à établir un modèle de comportement : il n’en existe pas au sein de l’Énergie industrielle du fait de sa gestion pragmatique du personnel. C’est sa politique de croissance externe qui amène ses dirigeants à composer avec les situations existantes lors de la prise de participation. Aussi est-il difficile au groupe Durand de développer une culture d’entreprise, en tout cas plus qu’à d’autres firmes. Cependant, il œuvre dans ce sens par rapport à son personnel de direction. En effet, les directeurs d’exploitation sont des relais, des intermédiaires en qui Pierre-Marie Durand place toute sa confiance et à qui il attribue des responsabilités importantes.
26Lors de la prise de contrôle de la Société générale de force et lumière par l’Énergie industrielle en 1935, une réorganisation doit être opérée, d’où une volumineuse correspondance entre le nouveau directeur, l’ancien et le siège social. Ces échanges montrent clairement le rôle de choix joué par les directeurs dans la stratégie de l’Énergie industrielle. L’ancien directeur jouissant d’une excellente réputation, les dirigeants du groupe décident de le ménager. « On commence à savoir à Grenoble que nous avons agi plus que correctement avec lui ; l’impression produite est très bonne et plus que jamais je suis persuadé que nous avons eu raison13. » L’ancien directeur reste d’ailleurs largement associé à la direction de la société, du moins au début. Il « a donné son concours très actif au nouveau directeur du centre de Grenoble en l’introduisant auprès de la clientèle [ et ] en le documentant sur tout le passé de la société et sur les affaires en cours ». Ainsi, l’ancien directeur se trouve au cœur de la stratégie de communication de l’Énergie industrielle à laquelle l’accueil réservé n’est pas toujours excellent : « Il a usé de sa situation personnelle à Grenoble pour faciliter la tâche de l’Énergie industrielle et atténuer certaines campagnes de dénigrement et il a le désir de persévérer dans cette attitude. » Personnel clé du groupe, jouissant d’une réelle autonomie dans la gestion de son secteur, le directeur est néanmoins surveillé et ses comptes soigneusement contrôlés. Si la société met rapidement fin aux malversations de directeurs indélicats, elle sait aussi reconnaître et récompenser la valeur et le dévouement des plus méritants.
27Au cours des années 1925 à 1935, le groupe avait l’habitude de récompenser son personnel par des gratifications uniquement financières. Par la suite, les bonifications prennent d’autres formes : certains directeurs sont remerciés de leur bonne gestion par un poste d’administrateur de la compagnie. En 1945, un contrat est signé entre l’Énergie industrielle et le directeur de la Compagnie du gaz de Lyon : « Notre société qui a déjà fait le nécessaire pour que vous soyez nommé administrateur de la Compagnie du gaz de Lyon, usera de son influence pour vous faire maintenir dans ce poste le plus longtemps qu’elle le pourra... Vous continuerez également à représenter notre Maison dans les sociétés où elle est intéressée et dont vous êtes administrateur […] mais nous nous réservons cependant de vous demander la renonciation à ces postes d’administrateur lorsque nous le jugerons utile14 ». Ceci n’est pas une exclusivité de l’Énergie industrielle car « des cadres de la compagnie [Suez] sont admis au conseil comme gratification ultime de leur réussite15. » Ces gratifications se conçoivent aisément pour un directeur d’exploitation et contribuent à asseoir sa position locale et celle de l’Énergie industrielle par la même occasion. Toutefois, c’est bien de récompenses qu’il s’agit puisque le personnel administratif peut, lui aussi, en bénéficier. Ainsi, Auguste Louis, clerc de notaire, recruté en 1924, devient administrateur du groupe à partir de 1941. On ne peut pas vraiment parler de carrière type, car la plus grande liberté règne pour les récompenses, les affectations, les pouvoirs... Il en est de même pour les salaires et leur progression.
Des salaires au mérite
28Le groupe Durand, structure évolutive, refuse toute définition systématique des déroulements de carrière : comme souvent, le pragmatisme est de rigueur. Les hauts dirigeants de la société jugent les hommes sur leurs résultats, ce qui est pertinent du fait de l’autonomie de gestion accordée aux directeurs, mais ils n’entendent pas se laisser déborder par des exigences intempestives. En 1941, celles de l’adjoint du directeur du secteur de Vannes irritent la direction : « Nous ne pouvons pas admettre qu’un jeune ingénieur, à qui nous faisons la faveur de vouloir faire grandir sa situation, se permette de déclarer à son directeur qu’il ne voulait pas accepter son nouveau poste tant que ces questions-là [il s’agit de sa rémunération] ne seraient pas réglées. S’il ne change pas, il me prouvera qu’il n’est ni digne ni capable de grandir comme je l’ai cru... De deux choses l’une, ou il veut se faire une situation à la Maison et il est appelé à faire des sacrifices de toutes sortes, comme nous en avons tous fait, ou bien il veut agir comme un fonctionnaire et, dans ce cas, il aura l’avancement du Contrat Collectif16. »
29Les rémunérations sont donc à la totale discrétion de la société et, de ce fait, il n’existe pas réellement de grille des salaires pour l’ensemble du personnel de direction du groupe. Ce flou aboutit à des situations qui ont parfois de quoi surprendre. Ainsi celle de Louis Jaubert, inspecteur comptable à l’Énergie industrielle, chargé d’évaluer lui-même son salaire et déçu, semble-t-il, de la réponse. En 1938, la rémunération tourne autour de 5 000 francs mensuels. Au cours de la guerre, les écarts se creusent et varient désormais dans la proportion de un à trois. Mais le fixe ne représente qu’une faible part de la rémunération des directeurs, l’essentiel étant constitué par diverses primes, de nature différente et récompensant des services rendus à la société. Ainsi, le fait d’obtenir le renouvellement d’une concession entraîne souvent l’attribution d’une gratification17. Georges Thaller est crédité d’un sursalaire, du fait qu’il est père de sept enfants ! Il ne faut pas oublier non plus le revenu des jetons de présence, dont l’intérêt n’est pas seulement honorifique18. Enfin, le responsable de la STEDA reçoit une prime annuelle calculée en fonction du nombre de kWh transportés, gratification qui se monte à 30 000 francs pour l’exercice 1944. Progressivement, le groupe met en place une fiche de paye type pour le personnel de direction.
30L’écart des rémunérations globales est de l’ordre de un à quatre. 450 000 francs pour gérer Valence, 550 000 pour Brest, 650 000 francs pour Pierre Grezel et plus encore pour Auguste Louis, administratif travaillant au siège, et pour les grands dirigeants lyonnais. Qu’advient-il de cette hiérarchie lors de l’intégration de l’Énergie industrielle au sein d’EDF en 1946 ? On ne retient pour la comparaison que le traitement annuel, sans les allocations familiales ni l’indemnité particulière de mai 1946. Certains directeurs de centre d’exploitation recrutés par la société nationale touchent 400 000 francs, pour Bourg-en-Bresse, 800 000 francs pour le secteur de Besançon et plus du million pour Jonage, soit donc une variation de l’ordre de 1 à 2,519. La fourchette s’est donc considérablement réduite, bien que la hiérarchie précédente ait été conservée dans son principe.
31La nationalisation permet de faire un rapide bilan des déroulements de carrière au sein de l’Énergie industrielle et de constater, une fois de plus, la variété des destins individuels. L’étude de la progression des rétributions en francs courants pendant les dix années antérieures à la nationalisation en apporte la preuve. Entre 1932 et 1944, Léon Ponsard a vu son revenu multiplié par 2,5 et Auguste Louis par 14. Avec des salaires similaires, tournant autour de 50 000 francs en 1934, Gaston Murray et Jean Crozet voient l’écart entre leurs salaires se creuser : après dix ans au service de la société, la rétribution du second est de 50 % supérieure à celle du premier.
32Au total, donc, l’essentiel de la rétribution des directeurs est constituée par des primes attribuées selon le bon vouloir de la direction régionale. La prise en compte des résultats de l’exercice est probablement un paramètre décisif pour expliquer les différences de rémunérations. Cela correspond parfaitement à la philosophie des Durand : récompenser l’efficacité et la rentabilité de chacun afin de mieux stimuler l’ardeur au travail, tout comme chez Michelin. Si la famille Durand est souveraine pour la rétribution de ses cadres et leurs déroulements de carrière, au contraire, elle doit gérer des situations différentes résultant de sa politique de croissance externe. En effet, elle hérite de sociétés mutuelles et de pratiques paternalistes plus ou moins développées qu’elle doit harmoniser.
Les conditions de vie au sein de l’entreprise : le poids des héritages
33Constitué par croissance externe, le groupe Durand hérite d’organisations ouvrières et patronales qu’il doit assumer. Les structures mutualistes, mises en place par le personnel, restent diverses même après de nombreuses années au sein du groupe. La dispersion géographique joue un rôle de frein à l’harmonisation, tout comme dans le paternalisme, multiforme dans le groupe. Il est conservé sans souci d’uniformisation. Souplesse et pragmatisme semblent les maîtres mots de la famille Durand dans ce domaine, probablement parce que leur objectif concorde avec le mot de Charles Malégarie de la Compagnie parisienne de distribution d’électricité : « L’action sociale ne consiste pas à permettre à l’agent d’éviter les difficultés, mais, au contraire, à les lui faire accepter20. »
Le maintien du mutualisme
34Dans la seconde moitié des années 1930, successivement, la maîtrise et les agents instaurent une société de secours mutuel à l’échelon du groupe. Toutefois, ces organismes ne sont pas obligatoires et sont utilisés comme mutuelle de base ou comme caisse complémentaire. Quels en sont le fonctionnement, les avantages, les remboursements ?
35Afin d’appliquer la législation sociale en vigueur, une société de secours mutuel des réseaux et filiales de l’Énergie industrielle, exclusivement réservée au personnel de maîtrise, est créée en 1937. Il se semble pas que la société mère ait disposé d’une telle structure avant les années 1930 ; en revanche, elle a trouvé des mutuelles dans certaines compagnies dont elle est devenue actionnaire majoritaire comme à la Société générale de force et lumière21. Une fois de plus, le groupe Durand montre peu de paternalisme car ces sociétés de secours sont légion depuis la loi de 1898 : chez Méquillet-Noblot, Citröen ou dans l’industrie du cycle à Saint-Étienne. Le patronat s’empresse, dès 1928, de créer des mutuelles placées sous sa dépendance afin de garder intact son privilège de contrôle, voire de domination sur les salariés, ce qui n’est pas le cas des Durand. Ceux-ci semblent peu au fait de la loi d’avril 1928 sur les assurances sociales.
36En 1939, des délégués représentant les divers centres d’exploitation du groupe se réunissent pour élaborer les statuts de la Société de secours mutuel des agents. Cette création pose problème : « Il ne paraît pas possible de continuer l’étude du projet de statut, puisque le point de vue de la société et celui de tous les membres de la commission sont entièrement opposés en ce qui concerne les bases mêmes de la création de cette caisse nationale générale22. » Le représentant de la direction refuse d’accroître les charges de la société et le personnel n’accepte pas le principe de deux catégories de membres, c’est-à-dire la séparation entre la maîtrise et le reste du personnel. En outre, la discussion achoppe sur l’opportunité de dissoudre toutes les sociétés au profit d’une seule, preuve en tout cas que le personnel est conscient d’appartenir à un groupe même s’il travaille dans des filiales juridiquement autonomes les unes des autres. En 1945, l’unité n’a pas été réalisée car elle compte encore des opposants.
37Pour rédiger les différents statuts, le groupe s’inspire de ceux des mutuelles existantes, en particulier de celle de la Société générale de force et lumière. L’administration de la caisse des employés et des ouvriers est calquée sur celle de la maîtrise rédigée quelques années auparavant. Deux possibilités s’offrent au personnel de maîtrise : soit considérer cette société comme leur seule société de secours mutuel, soit en faire une des sociétés mutuelles auxquelles ils sont adhérents, c’est-à-dire une sorte de caisse complémentaire. Le fonctionnement est un peu différent pour les employés et les ouvriers car un seul type d’adhésion est reconnu en échange d’un droit d’inscription de 15 francs. Ensuite, c’est un prélèvement de 1,75 % du montant du salaire brut mensuel soumis à retenue pour la retraite, qui ouvre droit aux avantages de la société, alors que pour la maîtrise c’est une somme forfaitaire. Par ailleurs, les prestations des uns et des autres sont similaires.
38La société assure au personnel de maîtrise une indemnité-maladie journalière de 22 francs en 1937, servie dès le premier jour de maladie, ce qui est à signaler. La première visite médicale est remboursée 15 francs et les médicaments à 85 %, ensuite le taux passe à 90 % et l’indemnité à 35 francs par visite. Cette logique vise à limiter les consultations médicales aux cas sérieux. Pour les employés et les ouvriers du groupe Durand, les principes d’indemnisation sont donc identiques. L’indemnité journalière de maladie existe ; en revanche, elle est versée seulement après une semaine d’arrêt maladie. Saint-Gobain se montre plus généreux avec son personnel car les soins médicaux sont pris en charge en totalité.
39Les soins de prévention en sanatorium sont assumés pour les employés et les ouvriers à hauteur de 25 francs par jour au maximum en 1942. La Société lyonnaise des forces motrices du Rhône, au cours de la guerre, « s’est réservé quelques lits […] dans des établissements, très modernes... La société prendra à sa charge tous les frais de séjour des enfants en demandant simplement une contribution pécuniaire de cinq francs par jour aux parents des enfants qui, d’autre part, continueront à toucher leurs allocations familiales23 ». C’est aussi ce que faisait la Compagnie parisienne de distribution d’électricité avant de construire un sanatorium à Briançon. En cas de décès, la société de secours mutuel intervient et, dans l’hypothèse d’une invalidité, une prise en charge est prévue, grâce à un fonds spécial ou à un organisme de réassurances, mais à des conditions draconiennes24.
40Dernier élément fondamental, la maternité. À la différence de la Compagnie parisienne de distribution d’électricité, les Durand n’ont pas développé une politique nataliste, d’autant qu’une grande partie des frais est théoriquement prise en charge par l’État depuis 1932. En tout cas, c’est la généralisation d’une pratique ancienne. En effet, les caisses des entreprises dès le début de leur fonctionnement ont distribué des primes d’allaitement ou de maternité devançant l’intervention de l’État en bien des points. Cependant, la grande diversité engendre bien des injustices. Les allocations familiales sont versées par des industriels français, tel Michelin à partir de 1916. « Désormais, la rémunération ouvrière se décompose en deux parties. Le salaire proprement dit doit récompenser selon les spécialistes, la valeur professionnelle du travail, et les allocations familiales gratifient sa valeur sociale, la tendance étant, dans les années 1920, à abaisser le premier au profit du second25. »
41Le libéralisme préside au principe de réassurance choisi par la maîtrise, contredisant le discours officiel : « vous avez compris avec nous, qu’une société de secours mutuel se distingue nettement des régimes de prévoyance légaux plus ou moins anonymes […] par cet esprit de solidarité, d’amitié et de concorde fraternelle... M. Dufour parle du bienveillant intérêt que les établissements employeurs témoignent à notre société... Il précise que l’Énergie industrielle prendra à sa charge la moitié des frais de gestion nécessités par notre mutuelle26 ».
42Quel est l’impact de la mutuelle du personnel de maîtrise en 1938 ? L’assemblée générale décide d’augmenter les cotisations, en raison des recettes insuffisantes. En douze mois, la société a réglé 1460 dossiers d’un coût de 193 francs en moyenne. La nature des dépenses ne surprend pas : les frais médicaux et pharmaceutiques grèvent le budget, 70 % des dépenses, puis on trouve, à égalité, les frais d’hospitalisation et les primes de maternité. Mais le nombre des sociétaires évolue peu, contrairement à celui des agents : 767 participants à la fin de l’exercice 1938 contre 800 quatre ans plus tard ; ce qui représente 2 400 à 2500 bénéficiaires en ajoutant les épouses et les enfants à charge.
43En revanche, le nombre des adhérents de la mutuelle des employés et des ouvriers augmente progressivement car elle devient le régime principal de santé d’un certain nombre de filiales. De 3 125 membres à la fin de l’exercice 1943, les adhérents passent à 5 161 l’année suivante. En 1945, la Compagnie du gaz de Lyon et la Société lyonnaise des forces motrices du Rhône rejoignent la caisse centrale, apportant avec eux 3200 nouveaux adhérents27. Mais à cette date, la société n’a pas encore intégré toutes les filiales du groupe : Annecy et Valence, par exemple, conservent leurs mutuelles particulières. En 1943, la caisse des agents a géré 6500 dossiers et 9363 en 1944, progression normale du fait de l’extension. Les cotisations se montent à 4,2 millions de francs28 contre 1,7 million l’année précédente, soit une cotisation mensuelle moyenne de l’ordre de 68 francs. Le coût des prestations remboursées est de 3,6 millions en 1944 et 2,2 millions en 1943. Pour les deux exercices, la société reste excédentaire d’environ 600 000 francs, ce qui autorise l’attribution de quelques secours exceptionnels.
44En outre, ces disponibilités financières permettent d’envisager une action de prévention proposée par le médecin-conseil. L’assemblée générale de mai 1945 souligne « la nécessité […] des centres de dépistage précoce des affections, avec recherche des signes d’alarme. Il faut là plus que jamais prévenir pour pouvoir guérir... Il nous appartient maintenant […] de préparer l’avenir en organisant […] tous les moyens de rétablir notre “race” dans son intégrité et son équilibre29 », c’est la raison pour laquelle le médecin-conseil préconise la création d’un centre de prévention de la tuberculose et du cancer. Ce projet requérant une bonne connaissance de la population concernée, une étude statistique portant sur plus de 3 000 dossiers est menée en 1944. Son moindre avantage n’est pas de permettre de contrôler les dépenses ! « Nombreux et prolongés sont les arrêts de travail ou les soins pour fatigue, amaigrissement, troubles de l’état général en rapport avec les diverses carences alimentaires […] il est assez curieux de constater que pour une même maladie les arrêts de travail sont particulièrement prolongés dans les sections du sud de la France... Qui me dira également pour quelles raisons impérieuses un ver solitaire demande quatre à cinq jours pour être expulsé dans la région parisienne, 45 jours à Bayonne, 63 jours à Menton ? » s’interroge le médecin chargé de l’enquête.
45Le groupe Durand, dans le domaine du mutualisme, comme dans tous les autres aspects de son fonctionnement, laisse une grande autonomie aux divers secteurs et filiales et aucune politique centralisatrice n’est imposée. S’il essaie de mettre en place des organisations uniformes, c’est de façon consentie et facultative. Ainsi, à l’époque de la Seconde Guerre mondiale la politique tend à l’uniformité, mais pas à l’unicité. Chaque compagnie peut conserver ses acquis et des traces de son histoire propre ; c’est le cas, par exemple, avec les mutuelles complémentaires. La Société lyonnaise des forces motrices du Rhône a gardé une caisse d’invalidité et de réversibilité alors qu’en 1944, le personnel de la Société des forces motrices de l’Est décide d’adhérer à la caisse de secours mutuel. La société mutuelle locale ne disparaît pas, elle se transforme en mutuelle complémentaire.
46Ainsi, l’Énergie industrielle hérite d’un système plus ou moins développé selon les filiales. À titre personnel, la société mère, probablement entravée par la dispersion géographique de son personnel, ne semble pas avoir créé de mutuelle. Une fois de plus, sa politique est souple et pragmatique, le groupe n’impose rien, il s’adapte à la législation nouvelle qui se met en place dans les années 1930. La naissance des mutuelles du groupe offre au personnel une caisse primaire ou une mutuelle complémentaire, au choix. L’histoire sociale de chaque compagnie n’est pas effacée ; bien au contraire, et c’est par négociation et par avantage que le personnel se rallie progressivement aux deux organismes, sans toutefois supprimer les mutuelles en place qui perdent simplement une partie de leur pouvoir. Ainsi, il existe à la fois un groupe Durand et aussi de multiples situations locales : c’est-à-dire une base commune et des compléments variés, résultant de l’histoire de chaque compagnie. Ce grand pragmatisme peut aussi être illustré par la composition des sections. Le groupe Durand gère donc un ensemble de sociétés mutuelles dont il a, pour l’essentiel, hérité ; mais ce n’est pas son seul héritage. En effet, un certain nombre de compagnies absorbées ou de sociétés filiales avaient mis en place des mesures de type paternaliste.
La survivance d’un certain paternalisme
47Le paternalisme est né au xixe siècle et s’est développé progressivement : les Schneider au Creusot, Menier à Noisiel en sont autant de témoignages. Etre un père pour son personnel, c’est déjà lui fournir le nécessaire : un toit et de la nourriture, mais c’est aussi participer à chaque instant de la vie de celui-ci en améliorant sa formation professionnelle et en gérant ses distractions et celles de ses enfants. Le paternalisme perdure-t-il dans tous ces aspects au XXe siècle et dans un secteur industriel nouveau ?
48Le groupe Durand suit la tendance, mais avec bien du retard, en 1939, dans le cadre d’une compagnie dénommée l’Immobilière de l’Énergie industrielle dont le capital, fixé à 5 millions de francs, est réparti entre la société mère et ses principales filiales, qui émettent 25 millions d’obligations afin de réaliser la « construction de logements pour le personnel de maîtrise, employés et ouvriers tant de l’Énergie industrielle que de ses filiales30 ». La fondation de cette compagnie a été réalisée à la hâte afin de bénéficier d’une législation favorable31. La société devant utiliser ses capitaux propres pour les constructions afin d’obtenir de l’État des bonifications d’intérêts sur le montant des dits capitaux, les premiers projets prévoient un capital de l’ordre de 25 à 50 millions.
49Relativement modestes comparés à ceux de Michelin, ils consistent dans la construction de 700 logements pour 59 millions de francs et proposent des habitations de taille variable selon le statut hiérarchique du personnel32. Afin de mieux ajuster l’offre à la demande, les services centraux de l’ Énergie industrielle procèdent à une enquête afin de dresser la liste du personnel réellement motivé. Elle conduit à réévaluer les projets, puisque c’est près d’un tiers des effectifs qui se déclare intéressé. Mais, du fait de la guerre, seule une partie est effectivement mise en chantier.
50L’Énergie industrielle n’a donc pas fait preuve d’une grande initiative dans la construction de logements sociaux. Quant à la politique menée en ce domaine par les principales sociétés du groupe avant de devenir des filiales, la documentation est restée muette. La dispersion du personnel Durand, de Vannes à Menton en passant par Besançon, ne facilitait rien. En effet, même si le groupe a des effectifs importants dès les années 1920, il n’empêche que certains centres regroupent trop peu de personnel pour envisager une politique de logement. On en donnera pour exemple, en 1939, le centre d’Ajaccio, avec 22 personnes. En outre, le groupe Durand ne se trouve pas confronté au problème de la mobilité de la main-d’œuvre dans des proportions comparables à celles d’autres industries. En effet, le travail s’effectue pour la plupart de ses salariés en zone rurale ou dans des petites villes où l’hébergement est moins onéreux que dans les grandes villes, alors que c’est souvent « le souci de fixer la main-d’œuvre, surtout la plus compétente [qui] l’emporte sur toute considération idéologique, la cité ouvrière construite par Denain-Anzin en 1910 répond[ant] à un turnover excessif33 », tout comme chez Rhône-Poulenc.
51Les cités-jardins, idée anglaise, sont créées notamment par la Compagnie des chemins de fer du Nord dès 1920, ce qui correspond parfaitement à l’idéologie exprimée par C. Malégarie : « le jardin familial sera toujours associé à la maison... Il est bon de renouer avec les liens ancestraux qui ont uni l’homme à la terre34 ». Le groupe Durand conçoit, dans certains cas, le paternalisme dans le sens étymologique : savoir se comporter comme un père, donc nourrir son personnel. Ce fait est particulièrement marqué dans les grandes agglomérations comme Lyon où c’est le directeur de la compagnie qui préside le comité des jardins ouvriers. En 1942, le personnel dispose de 622 jardins dont le fonctionnement est très hiérarchisé : les jardins étant répartis en sections puis en secteurs avec des responsables. La concession des jardins est faite à titre gratuit mais, en échange, les jardiniers doivent respecter un règlement strict et inspiré par le sens de la hiérarchie. Le souci d’une bonne réputation apparaît aussi à travers « l’obligation formelle […] de ne rien faire par ses paroles ou ses actes, qui puisse porter atteinte à la compagnie, à son chef de section35 ». Afin de stimuler le travail de ses agents, la compagnie organise un concours de jardins ouvriers. Les jardins ouvriers ne sont pas l’apanage du Gaz de Lyon puisqu’on en dénombre aussi en 1942 dans 17 centres du groupe.
52Au cours de la Seconde Guerre mondiale sont institués des comités sociaux d’entreprises, dans le cadre de la politique de la Révolution nationale. Plus importante, en ces temps difficiles, a été la fondation d’une coopérative du personnel. Une fois de plus, le groupe Durand ne brille pas par l’originalité, car Saint-Gobain ou encore Rhône-Poulenc disposent d’une telle structure. Celle de la Compagnie du gaz de Lyon est formée de parts d’une valeur de 10 francs, souscrites par chacun des sociétaires. Au départ, le capital se monte à 15 000 francs et elle est administrée par le directeur et le secrétaire général de la compagnie, associés au personnel. L’objectif est la répartition « des produits de consommation qu’elle produit elle-même ou qu’elle aura pu acheter directement ou en s’unissant avec d’autres groupements ayant le même objet36 » : c’est donc une coopérative d’achat et de consommation.
53La commission des cultures et des approvisionnements joue un grand rôle au cours de la Seconde Guerre mondiale pour le personnel. Des contacts, pris avec les agriculteurs locaux, aboutissent à l’élaboration de contrats de fourniture. Lors d’une réunion en mars 1943, les projets sont de semer « environ 70 hectares, dont un peu plus du tiers en pommes de terre, le reste en rutabagas, betterave à salade, racines jaunes et raves. En tenant compte des prévisions moyennes, il semblerait que 1200 tonnes pourraient être retirées de ces cultures, ce qui représenterait, par rationnaire de la compagnie, environ 150 kilogrammes37 ». Dans le contexte du rationnement, la compagnie adapte ses activités et, de temps en temps, son personnel se transforme en agriculteur. Cette pratique est aussi largement développée dans la région parisienne par les concurrents du groupe Durand.
54Afin de faciliter la vie des actifs, la distribution de nourriture est complétée par un service de soupes disponibles dans les diverses usines de Perrache ou La Mouche et au magasin général. Ainsi, au cours de l’année 1944, la compagnie a servi 116 786 soupes à son personnel afin d’atténuer les rigueurs de l’Occupation, particulièrement marquées en zone urbaine. Outre les soupes, un véritable restaurant fonctionne depuis 1942. En plus d’y trouver « à un prix abordable une nourriture saine et suffisante38 […] les familles des employés pourront être admises ultérieurement dans les salles en dehors des heures de repas. Elles y trouveront un confort et une température qu’il est souvent difficile actuellement de se procurer chez soi39 ».
55La loi Astier de 1919 met en place la formation professionnelle, mais il ne semble pas que l’Énergie industrielle applique la loi, contrairement à Merlin-Gérin. Elle agit comme Peugeot chez qui « l’effort de formation reste ridiculement insuffisant […], la promotion professionnelle inexistante40 » car, sa dispersion géographique entraîne une contrainte défavorable pour le groupe. Toutefois, l’Énergie industrielle, poussée par le syndicat professionnel de la production-distribution d’énergie électrique, envoie en formation du personnel sélectionné par les chefs de centre au centre de Gurcy-le-Châtel41. Des stages de perfectionnement sont ensuite organisés pour les meilleurs éléments, et (’Entreprise industrielle accueille, par exemple, des stagiaires pour un semestre, témoignant en cela d’une volonté de participer à la formation de son futur personnel. La décentralisation du groupe est aussi sensible dans ce domaine de la formation professionnelle, d’autant que les diverses sociétés du groupe ont des besoins bien différents.
56La Compagnie du gaz de Lyon dispose de son propre centre de formation divisé en trois sections – mécanique, compteur et plomberie – et qui prépare à un CAP. Les candidats « doivent être agréés […] et sont recrutés par voie de concurrence, de préférence parmi les fils d’agents de la compagnie en activité, les fils d’agents décédés ou retraités après une carrière suffisante à la compagnie, les fils de familles nombreuses ou les fils d’anciens combattants42 ». Ainsi, la société choisit de constituer des dynasties d’ouvriers et donc de récompenser la fidélité de son personnel, voire privilégie un recrutement sur critères moraux. Les apprentis doivent avoir entre quatorze et dix-huit ans et être titulaires du certificat d’études. Ils travaillent 45 heures par semaine et sont rétribués.
57Certains articles du règlement de ce centre de formation semblent plus proches de l’esprit de la Belle Époque que de la Seconde Guerre. Ainsi, l’article 9 : « les apprentis ne doivent jamais oublier, dans leur tenue et leurs propos, que le bon renom de la compagnie dépend de la correction de chacun de ses agents... Quoique libres en dehors des heures d’instruction, ils doivent cependant s’abstenir dans leur vie privée de tout ce qui pourrait porter atteinte à la considération dont jouit la compagnie, à laquelle ils participent et dont ils bénéficient43 ». Cet article rappelle d’ailleurs le règlement général de l’Énergie industrielle. Il est complété par un système hiérarchisé de sanctions. Enfin, « les apprentis qui seront sortis de leurs trois années d’études avec une moyenne égale ou supérieure à 15 et auront passé avec succès le CAP seront admis de droit à entrer comme perfectionnants dans un service de la compagnie44 ».
58Cette méritocratie se retrouve aussi dans la politique de promotion ouvrière, envisagée par le syndicat professionnel de la production-distribution d’énergie électrique en 1943. L’Énergie industrielle, tout comme la Compagnie parisienne de distribution d’électricité, accepte de financer la moitié des frais de la première année de cours par correspondance. Le second enseignement entraîne l’absence de l’agent pendant deux ans, car les cours sont donnés à l’École des travaux publics à Paris. Aussi, en échange d’un engagement de dix ans, la direction générale décide « que pendant toute son absence l’agent continuera à toucher son salaire ou traitement comme s’il était présent à la société45 ».
59Enfin, le paternalisme a conduit les patrons à encadrer les distractions du personnel. C’est une préoccupation ancienne pour un grand nombre d’entreprises françaises. Ce qui est vrai pour Saint-Gobain l’est aussi pour Michelin. Pour le groupe Durand, le cas de la Compagnie du gaz de Lyon servira d’illustration. Dès 1917, certains agents s’étaient réunis dans un but charitable pour le divertissement des blessés militaires hospitalisés dans la ville. En 1920, ils fondaient une association musicale et sportive réservée aux employés. Le groupe artistique est l’élément déterminant qui motive la création de l’Union musicale et sportive dont l’objectif consiste à présenter chaque année un spectacle et quelques concerts. Le second loisir développé par cette association est la pratique sportive. Elle fait construire un court pour la section tennis, ouverte en 1924, et comporte un groupe bouliste qui date, lui, de l’origine et aussi un secteur ping-pong. Des sports nouveaux apparaissent : en 1936 le groupe sportif Lugdunum pour l’essor du football puis une section gymnique ainsi qu’un billard-club riche de 100 sociétaires. En outre, au cours de l’hiver 1938-1939, deux sorties de ski sont organisées. Enfin, une équipe de basket naît en 1941 et, en 1945, c’est une section féminine qui est en formation alors qu’un groupe nautique est à l’étude. Ces réalisations sont similaires à celles de la Compagnie parisienne de distribution d’électricité.
60D’une certaine façon, on peut estimer que l’union musicale et sportive est aussi une sorte de club à l’anglaise, puisqu’elle dispose de locaux où les employés se retrouvent pour pratiquer les jeux de société ou encore organiser des tournois de cartes. En outre, en 1942, la société met en place un service de prêt de livres pour 200 sociétaires environ, envisage une section philatélique et propose, dans une salle, « l’installation à demeure d’un pick-up doté d’un répertoire moderne qui permet des sauteries fréquentes46 ». De plus, pour ceux qui souhaitent s’oxygéner, des agrès et un terrain de croquet sont disponibles. Enfin, les activités culturelles ne sont pas négligées, car il existe un groupement art et théâtre pour tous qui obtient des tarifs réduits pour les spectacles lyonnais. Le nombre des participants croît de façon régulière. Le président et le vice-président sont nommés par la direction, qui contrôle donc ainsi les loisirs de son personnel. En 1942, les adhérents acquittent une cotisation annuelle de dix francs augmentée des participations particulières pour chaque activité pratiquée. Le montant ainsi collecté se révélant notoirement insuffisant, la Compagnie du gaz de Lyon verse une subvention. Dans les années 1930, la Compagnie du gaz de Lyon n’est pas la seule filiale à disposer d’une organisation de loisirs : il existe un cercle sportif et récréatif à la Société lyonnaise des forces motrices du Rhône ; en revanche, on n’a pas trouvé de renseignements pour la société mère.
61Si le groupe a hérité d’une politique sociale pour son personnel, il ne néglige pas non plus les enfants de celui-ci. À Noël, Jonage propose des séances de cinéma et les différents centres organisent un arbre de Noël. Quant aux colonies de vacances, la documentation n’est pas plus précoce que pour les autres éléments de la politique sociale. Néanmoins, subsistent quelques traces, dans plusieurs filiales du groupe Durand, de cette pratique qui reflète un souci de la direction générale. En 1942, des colonies fonctionnent pour les centres de Valence et de Montbéliard, entre autres. En 1943, la Société des forces motrices de Savoie renouvelle l’expérience de l’année précédente en expédiant 60 enfants pendant trente jours dans un hôtel de Morzine. Le coût total de l’opération est payé pour 55 % par la compagnie, et pour 25 % par la mutuelle, les 20 % restants étant à la charge des familles. Cette formule a été adoptée par le Secours national pour les colonies de la famille du prisonnier et par de nombreux industriels. Le comité social de la Société des forces motrices de l’Est agit aussi dans le sens de la politique recommandée par le gouvernement, qui vise à développer les mouvements de jeunesse et la vie dans la nature. Ainsi, chaque groupe d’enfants envoyé en colonie en 1943 a un nom et une devise, comme, par exemple, « Bayard, sans peur et sans reproche ».
62Ainsi, le groupe Durand mène une politique sociale qui correspond à celle des grands industriels de l’époque : colonies de vacances, cités ouvrières, jardins, associations sportives et musicales... Sa spécificité semble être d’avoir pris ce genre d’initiatives assez tardivement. Comme toujours, le groupe oscille entre sa volonté de décentralisation et le souci de la direction générale de chapeauter ce domaine. Toutefois, la politique des Durand est comparable à celle de Michelin, plus empirique que planifiée : « le système social […] est de construction pragmatique […], les réalisations s’accumulent les unes sur les autres47 ». Beaucoup d’auteurs qui ont défini le paternalisme insistent sur ses évolutions entre la Belle Époque et l’entre-deux-guerres. « Il ne s’agit pas d’une doctrine sociale appliquée au nom de principes moraux ou religieux par un homme mais, en raison de la pénurie d’emplois, d’une gestion raisonnée de la main-d’œuvre opérée par les représentants d’une société anonyme48. »
63« Mais la dimension économique du paternalisme se double rapidement d’une dimension sociale et politique49. » En tout cas, « la famille du patron est censée être un modèle pour la famille ouvrière50 ». Cet idéal semble inaccessible aux Durand qui sont implantés dans une grande partie de la France, la perception du patron par le personnel étant certainement très floue, comparable à aujourd’hui. Le groupe Durand a donc hérité de mutuelles et de pratiques paternalistes qu’il a gérées avec le plus grand pragmatisme et sans beaucoup de volontarisme. Il n’y a pas vraiment de politique sociale, mais seulement la nécessité de poursuivre les réalisations des filiales. Le groupe se trouve confronté, surtout à partir des années 1930, à une autre intervention extérieure, celle de l’État qui vote quelques lois sociales. Il réagit comme à son habitude : pas d’anticipation, mais une stricte application des textes.
Le développement de la protection sociale (1936-1945)
64L’État multiplie les mesures sociales à partir de 1936. Des conventions collectives sont instaurées. Dans le cas du groupe Durand, une grande diversité de situation subsiste, moins toutefois que dans les années 1920. Si le groupe se préoccupe de l’organisation du travail, il ne néglige pas pour autant la condition de ses salariés. En effet, il met en place un système de retraites pour la maîtrise et pour les agents.
Des conventions collectives communes et facultatives
65Avant 1936, une grande diversité de situations règne selon les compagnies. L’analyse de la convention de la Compagnie du gaz de Lyon montre une réglementation très détaillée. En 1937, la convention collective signée avec le personnel de maîtrise est comparable à celle des industries chimiques de la région lyonnaise. Cependant, le groupe n’impose pas un modèle unique : il laisse subsister plusieurs conventions collectives, laissant le choix aux salariés de son groupe.
66Le règlement de la Compagnie du gaz de Lyon applicable aux employés donne une bonne indication d’ensemble. Élaboré en 1920, il est remanié en 1929 lors de la prise de contrôle de la société par l’Énergie industrielle. Toute embauche est précédée par une période d’essai de quatre mois à un an. L’article 3 concerne le temps de travail : « les heures de service sont fixées [...] sur la base de 2260 heures de travail par an au lieu des 2504 prévues au maximum par la loi sur la journée de huit heures51 », soit un net allégement de la semaine de travail. Les articles suivants ont trait aux devoirs des employés en général.
67Les contraintes visant à la bonne réputation de la compagnie sont compensées par de nombreux avantages dont l’énumération figure au règlement intérieur. Ainsi, il est assez facile d’obtenir des congés exceptionnels et les congés annuels sont assez généreux pour l’époque : « tout employé, même à l’essai, en service depuis le premier janvier de l’année, a droit à un congé annuel payé de 15 jours ouvrables52… » Pour les ouvriers, la durée du congé est ramenée à 10 jours, sauf pour ceux qui totalisent cinq ans d’ancienneté dans la compagnie : ils ont alors droit à 15 jours de congés payés. L’usage, dans les autres compagnies, est d’accorder dix jours de congés. La Compagnie du gaz de Lyon est donc, sur ce plan, en avance par rapport à la législation officielle et aux pratiques usuelles.
68Elle a, par ailleurs, instauré tout un ensemble de mesures d’aides financières et d’avantages parmi lesquels des réductions sur les tarifs de gaz et d’électricité. Il existe une allocation pour les ascendants à charge sous certaines conditions. Des gratifications personnelles sont accordées lors de grandes occasion : 200 francs pour un mariage. Enfin, pour les cas extrêmes, « la compagnie contribue aux frais funéraires de tout employé en service actif par le versement d’une somme de 200 francs53 ». Enfin, les ouvriers, et eux seuls, bénéficient d’une sorte de coopérative de prévoyance : « En vue d’apporter une aide matérielle aux agents de la compagnie et aux membres de leur famille dans des cas particulièrement intéressants, il a été institué un Fonds de solidarité auquel tout ouvrier de la compagnie est tenu de verser une cotisation annuelle fixée par ordre de service... Ce fonds est géré par une Commission mixte54. »
69Est également disponible le statut du personnel de l’Union hydro-électrique armoricaine, datant de 1931. Il faut entre un et deux ans pour devenir titulaire, délai bien plus long qu’au Gaz de Lyon. Les congés exceptionnels y sont eux aussi bien moins généreux. C’est seulement après deux années de travail effectué en tant que titulaire que l’agent a droit à quatre jours de congés payés par an et il lui faut dix ans d’ancienneté pour bénéficier de 15 jours de congés. Les allocations familiales, elles aussi, sont moindres comparées à celles qu’accorde la compagnie précédente. La loi du 24 juin 1936 rendant obligatoires l’adoption des conventions collectives dans les entreprises se traduit dans de nombreuses sociétés du groupe par la mise en place de réglementations et d’accords avec le personnel.
70En septembre 1936, une convention commune à 45 sociétés55 du groupe Durand concernant le personnel de maîtrise est signée. Elle offre une définition du groupe, tel qu’il est perçu à l’époque et reconnu par le personnel et la famille. Toutefois, c’est un ensemble limité au strict domaine de la production-distribution d’énergie56. La convention débute par une classification des personnels en question, dès lors qu’ils ont un an de présence à l’Énergie industrielle, à quelque titre que ce soit. Ils sont répartis en trois sections : A. ingénieurs-chefs de service et assimilés, B. chefs de service et assimilés, C. adjoints et assimilés. Dès le début, la liberté syndicale nouvelle est affirmée, dans un article laconique qui n’est assorti d’aucune des restrictions en vigueur dans la convention collective des industries et commerces chimiques de la région lyonnaise.
71La formulation du droit aux congés annuels est très courte, elle aussi : « tout collaborateur aura droit à un congé annuel payé de 18 jours ouvrables. La durée de ce congé sera augmentée d’un jour ouvrable par année de présence avec maximum de 25 jours ouvrables », alors que le contrat des industries de la chimie précédemment cité est plus pointilleux. Pour les congés exceptionnels, le groupe octroie jusqu’à deux semaines pour un mariage, deux jours pour une naissance ainsi que divers congés pour des circonstances jugées exceptionnelles par le directeur. La maternité donne droit à une absence de trois mois. Pour ce dernier congé, la durée autorisée est la même dans le secteur de la chimie lyonnaise. La convention collective de cette dernière ne mentionne pas de manière très détaillée les éventuelles mesures disciplinaires, ce que le groupe Durand fait, au contraire, avec minutie57. Ce strict règlement montre une fois encore à quel point l’Énergie industrielle est soucieuse de son image.
72À l’Énergie industrielle, les échelles d’appointement, élément de poids de la convention collective, comprennent 12 échelons dans chacune des trois classifications58. À côté de cette hiérarchie, il existe une hors-classe dans laquelle le traitement de la catégorie correspondante est augmenté de 3 % par an. L’échelle des rémunérations au sein de l’Énergie industrielle est donc en réalité assez simple, ce qui n’est pas le cas de la convention des industries chimiques qui tient compte, elle, de l’âge et de l’ancienneté. Ainsi, le salaire de départ des personnels de maîtrise du groupe Durand oscille entre 1 300 et 1 800 francs par mois, montant comparable à celui des industries de la chimie qui s’établit à 1 500 francs. Au bout de six ans d’ancienneté, ce secteur ne connaît qu’un seul minima : 2 500 francs, alors que la fourchette est bien plus large à l’Énergie industrielle – de 1900 à 2800 francs. À ces salaires, il convient d’ajouter diverses primes dont l’énumération ne figure toutefois pas dans la convention collective, contrairement à celle de la chimie.
73La convention collective prévoit aussi divers cas relevant de la sécurité sociale et auxquels le groupe entend faire face : « tout collaborateur se trouvant dans l’impossibilité constatée de reprendre son service après un an d’absence pour maladie ou blessure, bénéficiera d’une pension égale à 40 % de ses derniers appointements... En cas de décès d’un collaborateur avant son admission à la retraite, et après un an de présence à l’Énergie industrielle, il sera versé à sa veuve, ses orphelins ou ses ayants droit, un capital décès égal à une année d’appointements pour le collaborateur célibataire et deux années d’appointements pour le collaborateur marié ou veuf avec enfants. Ce capital décès sera majoré de 20 % par enfant mineur jusqu’à un maximum » variable selon le statut.
74La suite de la convention collective concerne ceux que l’Énergie industrielle appelle les agents59. La liste donnée ci-après ne comprend que 25 sociétés contre 45 précédemment. Cela s’explique en partie par le fait qu’il n’y a généralement pas de personnel de bureau dans les toutes petites compagnies60. Mais la classification qui est faite repose sur des considérations purement administratives, sans tenir compte de la catégorie professionnelle, les droits et devoirs accordés à cette catégorie du personnel de l’Énergie industrielle ne différant que très peu de ceux de la troisième constituée des employés et des ouvriers.
75Le passage d’une classe à l’autre se fait en principe tous les trois ans61. Pour les compléments de salaires, le groupe se conforme strictement à la législation en vigueur, sans plus. Un long chapitre est ensuite consacré aux indemnités diverses liées à l’activité exercée dont la mise en œuvre repose sur les directeurs, après négociation. La mise en place d’une convention collective au sein du groupe ne gomme donc en aucun cas ce qui fait la spécificité de l’Énergie industrielle : la décentralisation et l’extrême souplesse de gestion. Cette dualité entre le principe général fixé pour l’ensemble du groupe par la convention et la liberté locale apparaît dans l’article 39 : « aucune prime ni gratification n’est accordée aux agents en dehors ou en plus des appointements et salaires fixés par les accords particuliers intervenus dans chaque centre entre la direction et les délégués syndicaux ou les délégués du personnel. Des primes pourront toutefois continuer à être accordées par les directions, dans les conditions fixées par elles, sur le matériel vendu par les agents ». Le rôle décisif des directions dans la promotion des agents, des employés ou ouvriers est donc largement renforcé par la convention collective et prolonge les pratiques antérieures : « le passage d’une catégorie à une catégorie supérieure sera effectué sur décision de la direction, basée sur l’appréciation du chef de service ». Il va de soi que ce rôle est tout aussi décisif dans l’application d’éventuelles sanctions, dont l’énumération est calquée sur celle des personnels de maîtrise. Malgré de nombreux points communs, des inégalités de traitement subsistent entre les agents d’une part, et les ouvriers et employés d’autre part, à l’avantage des premiers en général. Ainsi en va-t-il des différents congés accordés pour des occasions exceptionnelles62. Enfin, le sort des agents titulaires est généralement un peu meilleur que ce qu’impose la loi, tandis que celui des non-titulaires se limite à une simple application de celle-ci63.
76La convention collective de la Société anonyme d’éclairage d’Aix-les-Bains date de 1936, elle aussi. Tout comme à la société mère, le personnel est réparti en huit classes, et l’avancement se fait à l’ancienneté, tous les trois ans. Les augmentations de salaires sont de 4 % par classe. Pour les mesures disciplinaires, les congés payés, la maladie... la convention collective est calquée sur celle de la société mère. Toutefois, cette convention collective de l’Énergie industrielle en 1936 n’a pas servi de référence absolue à toutes les compagnies du groupe. C’est ainsi qu’en octobre 1937, les cadres de la Compagnie du gaz de Lyon signent leur propre convention avec la direction. Cette compagnie n’est pas la seule à faire preuve d’indépendance64. Quelques points de comparaison permettent de souligner les différences. Après un an de stage au maximum, le cadre est titularisé pour peu qu’il ait moins de quarante ans et soit admis dans l’une des cinq catégories déterminées par la convention65. Les stagiaires sont soumis à une méticuleuse application de la législation en vigueur, à l’instar de la société mère. Les congés annuels atteignent 21 jours contre 18 à l’Énergie industrielle, auxquels s’ajoute un jour par an d’ancienneté avec une limite à 25 jours de congés. Pour son mariage, le cadre obtient un congé d’une semaine, soit la moitié de ce qu’alloue l’Énergie industrielle dans sa convention.
77Les échelles de rétribution du début de carrière sont moins larges que celles du groupe et plutôt moins avantageuses. Ainsi, la rétribution de base oscille entre 1085 et 1 460 francs par mois. Chaque catégorie comprend dix échelons, mais la progression n’est pas identique d’une catégorie à l’autre : pour un même salaire de départ de 14 000 francs, les catégories B et C voient leur fin de carrière respectivement rémunérée 22 500 francs contre 17 600 francs. En outre, chaque passage d’échelon n’est pas rémunéré pareillement. C’est donc un système plus compliqué que celui du groupe. Enfin, au salaire sont ajoutés des avantages en nature qui ne sont pas sans rappeler la pratique antérieure de la Compagnie du gaz de Lyon. En 1945, on constate que les conventions collectives du Gaz de Lyon et de Jonage ont été fondues en une seule. Cette convention témoigne de la grande autonomie des compagnies qui composent le groupe Durand, du moins dans le domaine de la gestion des hommes.
78L’État et les entrepreneurs se préoccupent, petit à petit, du niveau de vie des salariés, par exemple, en fixant une échelle des salaires ou en établissant des aides lors des événements importants de la vie. Logiquement, pourrait-on dire, on se préoccupe aussi de la fin de la vie des individus en leur permettant de ne plus travailler ; c’est-à-dire qu’un système de retraite, organisé par des industriels puis systématisé par l’État, se développe.
Le problème des retraites
79Dans le prolongement de la loi de 1910 sur les retraites ouvrières et paysannes, la Société générale de force et lumière et la Compagnie du gaz de Lyon avaient mis en place un système de retraite, bien avant leur intégration au groupe Durand. Le groupe applique la loi en distinguant, comme à son habitude, employés et ouvriers, d’une part, et maîtrise, d’autre part.
80Dès 1920, la Société générale de force et lumière a mis en place un système de retraites. La participation était obligatoire et fixée à au moins 1 % du salaire. Le complément fourni par la compagnie variait en fonction de l’ancienneté de l’agent et de sa participation volontaire au système. À soixante ans, le retraité optait pour une rente viagère ou pour la remise de son capital. En 1922, la Compagnie du gaz de Lyon s’est attelée à l’établissement d’un règlement concernant les retraites pour l’ensemble de son personnel. Le financement était réparti entre la compagnie et les employés, à hauteur de 50 % chacun, sur une base de retenue de 7 % du salaire de base, limité à 35 000 francs par an. On ne trouve pas de trace de la mise en place de pareil système au sein de l’Énergie industrielle, ni dans ses filiales des années 1920. Il semble que, là encore, la famille Durand attende la mise en place d’une législation par l’État pour s’intéresser au sort des retraités de son groupe. C’est ainsi que le régime des retraites n’y entre en application qu’en 1937, et ne va pas sans poser problème.
81Dans le système des ouvriers et des employés, « il est opéré au profit de la caisse des retraites et au maximum pendant une durée de 30 années une retenue de 5 % sur les traitements et salaires de tout agent affilié ». La retenue ne concerne que la partie de la rémunération mensuelle inférieure à 3333 francs. La société verse une dotation pour assurer l’équilibre de la caisse, mais elle ne peut dépasser 10 % de l’ensemble des traitements et salaires soumis à retenue, ni être inférieure au produit de l’ensemble des retenues perçues sur ces mêmes traitements. « Le montant de cette pension de retraite est égal à 2 % par année d’affiliation du traitement moyen soumis à retenue pour les trois années les mieux rémunérées de la carrière de l’agent, sans que ce montant puisse dépasser les trois cinquièmes du traitement ainsi déterminé66. » Au cas où l’agent viendrait à décéder pendant sa période d’activité, ses héritiers reçoivent un capital. Un régime transitoire est prévu.
82Ce statut résulte d’une entente entre la société, le personnel et deux dirigeants de la Fédération nationale de l’éclairage et des forces motrices. En 1937, chacune des sociétés du groupe élabore son propre régime de retraites. Ainsi, celui de la Société lyonnaise des forces motrices du Rhône ressemble dans son fonctionnement à celui des années 1920 : « Les avantages prévus par le présent règlement sont assurés au moyen : 1. De retenues obligatoires opérées sur le traitement de chaque agent à raison de 7 % pour les hommes et de 5 % pour les femmes, ce traitement comprenant : appointements, salaires fixes, gratifications, primes et indemnités diverses en espèce, 2. D’une contribution de la société égale aux versements des agents, 3. D’une contribution supplémentaire de la société nécessaire aux agents [actuellement retraités sans cotisation]. Sur les 14 % [12 % pour les femmes] constitués par la retenue obligatoire supportée par l’agent et par la contribution égale de la société, 10 % seront versés à la caisse nationale des retraites ou autre caisse agréée, au compte de l’agent seul, à l’exclusion de son conjoint pour lui constituer sa retraite67. »
83Mais pour son personnel de maîtrise, l’Énergie industrielle se montre plus ambitieuse que le secteur de la chimie, en prenant les devants sur la loi. « Le nouveau régime des retraites qui entrera en vigueur au 1er janvier 1937 repose sur le principe formel : 1. D’une retenue obligatoire de 7 % sur le montant des appointements du collaborateur pendant toute la durée de sa présence à l’Énergie industrielle, avec maximum de 30 années de versement, 2. D’une participation de l’Énergie industrielle égale à 13 % des appointements au même collaborateur et pendant la même durée... L’âge de la retraite est fixé, après 30 ans de services effectifs à l’Énergie industrielle et de versements, à 65 ans pour les collaborateurs de sexe masculin et à 60 ans pour les collaboratrices. Toutefois, lorsque le collaborateur aura effectué 30 ans de services à l’Énergie industrielle et de versements, la mise à la retraite lui sera accordée sans réduction dès 60 ans pour les collaborateurs de sexe masculin et 55 ans pour les collaboratrices, et ainsi de suite après 60 ou 55 ans dès l’échéance des 30 ans de versement et de présence. La retraite ou pension d’ancienneté sera égale, par année d’affiliation de versements, à 2 % du traitement de l’année la mieux rémunérée de la carrière du collaborateur sans que la retraite puisse excéder 60 % du traitement ainsi déterminé. Le collaborateur pourra, au moment de la liquidation de sa pension, opter, soit pour le montant de la retraite à laquelle il peut prétendre […] soit pour le montant du capital représentatif de celui nécessaire au service de cette rente. » Les différentes caisses de retraite du groupe ont leur siège social à l’Énergie industrielle. Le conseil d’administration est dirigé par sept représentants du groupe désignés par le conseil d’administration de l’Énergie industrielle et par sept délégués du personnel élus pour six ans.
84Mais tout est modifié à la fin de la guerre, avec la création du système national de retraites. L’Énergie industrielle opère donc les transformations demandées : « Une loi du 3 février 1944, annulant tous autres régimes particuliers de retraites a rendu obligatoire, en principe, l’adhésion des agents de maîtrise à la Caisse de prévoyance des industries de l’énergie électrique et du gaz (CPIEG), créée par la loi du 4 décembre 1941 pour le personnel employé et ouvrier. Ce régime n’assurant qu’une retraite correspondant à un maximum de traitement de 70 000 francs annuels et faisant, d’autre part, subir une réduction de moitié sur la facturation de rente comprise entre 30 000 et 40 000 francs, puis des deux tiers et des trois quarts sur les tranches suivantes, la nécessité est apparue aux agents de maîtrise de l’Énergie industrielle de chercher à obtenir, en marge de la CPIEG la continuation et même l’épanouissement des caisses indépendantes actuelles. »
85En 1941, la caisse de retraite compte 4972 adhérents. Les ponctions moyennes sur les salaires sont de l’ordre de 5,5 %, ce qui représente une somme de 4,9 millions. La société verse de son côté le maximum prévu par le statut, c’est-à-dire 10 % du montant des salaires soumis à retenue, soit presque 8,5 millions de francs. Mais dans le contexte particulier de la guerre, le nombre d’agents mobilisés hors réseau atteignant 28 % de l’effectif affilié, « l’Énergie industrielle et les sociétés de son groupe ont accepté de se substituer à tous les cotisants mobilisés ; non seulement elles continuent à payer la dotation […], mais elles consentent également à acquitter les sommes correspondant aux retenues qui auraient été versées par les agents dans les mêmes conditions ». Cette prise en charge par la société représente une dépense annuelle d’environ 3,7 millions de francs. Pour 1941, la caisse ouvre 37 dossiers d’agents décédés en activité, auxquels il faut adjoindre le décès de six agents invalides et le départ effectif en retraite de 46 agents, soit une situation parfaitement conforme aux statistiques prévisionnelles élaborées par la compagnie. Enfin, cette même année, une soixantaine d’agents partent sans droit à pension. En général, le montant de la retraite est inférieur à ce que gagnerait l’agent s’il était en activité, le plus faible montant alloué représentant moins de 10 % du revenu habituel. L’application de la loi sur les retraites débouche donc sur des situations bien contrastées : un des dirigeants de la Compagnie du gaz de Lyon en 1946 obtient une retraite de 236 937 francs, ce qui ne représente pas tout à fait la moitié du traitement de sa période d’activité alors qu’un chef de secteur perçoit 1 061 francs pour un salaire de 1 700 francs.
86La caisse de retraite de l’Énergie industrielle fonctionne comme celles des actuelles entreprises privées anglo-saxonnes : l’argent collecté est placé. Par exemple, à la fin de l’exercice 1939, la compagnie dispose d’un portefeuille de 34,4 millions de titres, prioritairement des rentes françaises, le reste étant composé d’obligations du Trésor, des Chemins de fer, de l’Énergie industrielle et du Groupement de l’Électricité. Ce sont des placements considérés comme sûrs et qui rapportent environ 5 % par an. En 1944, l’actif placé représente une somme de plus de 120 millions de francs. L’originalité du groupe est que le personnel du siège social possède sa propre caisse de retraite dont les cotisations représentent entre 200 000 et 300 000 francs entre 1938 et 1942 ce qui est peu, comparé aux 27 millions de la caisse générale pour 1944.
87Au fil du temps, le groupe Durand a donc été amené à gérer le travail, les salaires, les promotions, les retraites... de plusieurs milliers de salariés, répartis dans une multitude de compagnies. Il a développé une politique de gestion du personnel, fondée sur le libéralisme et le pragmatisme. En outre, grande fut la souplesse puisque coexistèrent une trame commune (conventions collectives, société mutuelle, système de retraite...) et des spécificités résultant de l’histoire de chaque filiale. Bien que le groupe Durand n’ait pas vraiment mené précocement une politique paternaliste, son application des lois sociales, à partir des années 1930, fut souvent très complète et plus avantageuse que celles mises en place par d’autres industriels.
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88Un grand nombre de sociétés du groupe relèvent de la grande entreprise, puisque le groupe offre du travail à plusieurs milliers de personnes. Une fois le groupe constitué, les effectifs fluctuant moins que précédemment, on peut s’interroger sur la gestion du personnel par les Durand. Comment est géré l’héritage, la culture d’entreprise de vieilles sociétés comme la Compagnie du gaz de Lyon ou la Société générale de force et lumière ? La structure de groupe a permis de laisser subsister des situations différentes. L’uniformisation n’est pas à l’ordre du jour. Le groupe n’est pas une structure bureaucratique, la diversité des carrières est la règle. Si la famille domine le groupe, le personnel de maîtrise bénéficie d’une certaine liberté d’action, quoique contrôlée, puis récompensée ou sanctionnée, par les Durand.
89Si, dans de multiples domaines, l’initiative est de rigueur, tout comme l’anticipation, les ressources humaines offrent un contre-exemple. Le personnel est vu comme un mal nécessaire qu’il ne faut pas contrarier afin de ne pas perturber le fonctionnement général. C’est pourquoi les Durand maintiennent les organisations mutualistes et les mesures paternalistes existant à leur arrivée dans les compagnies. De même, ils appliquent consciencieusement la législation sociale : conventions sociales, retraites... Leur logique première étant toujours la rentabilité et l’efficacité, ils gèrent à long terme et ne choisissent pas forcément d’accorder à leur personnel uniquement le minimum légal. Ils sont dans la logique de l’industriel américain H. Ford68 et préfèrent une générosité toute relative à l’éventualité de conflits sociaux. Ainsi, « de nombreux articles du statut du personnel d’EDF-GDF de juin 1946 sont issus [du statut de l’Énergie industrielle]69 ».
Le groupe Durand dans sa réalité humaine
90Le groupe Durand n’a pas en soi d’existence juridique, mais une reconnaissance sociale. Cette assimilation d’un ensemble de compagnies à une famille témoigne de l’importance du fait humain en économie. Groupe Durand, tout d’abord, parce que Pierre-Marie Durand, assisté par sa famille, est le principal actionnaire de la société mère, l’Énergie industrielle. Il en est fondateur, puis l’actionnaire majoritaire et enfin l’actionnaire principal seulement, lorsque le capital s’envole. Des milliers d’actionnaires, souvent des rentiers parisiens, ont placé des fonds dans cette entreprise sans chercher à user de leur droit de décision et de gestion, restant de simples bailleurs de fonds au lieu d’actionnaires contrôlaires. Puis groupe Durand car, tandis que leur part dans le capital s’étiole, paradoxalement les Durand monopolisent les postes d’administrateurs. Ils sont trois en 1926, quatre en 1930, cinq en 1932 et six en 1940. Groupe Durand enfin, car la famille s’impose aussi dans les conseils d’administration des filiales. Toutefois, si le fils et le gendre du fondateur héritent de responsabilités de plus en plus lourdes, un réseau exclusivement familial ne peut régner sur plus de 100 sociétés.
91Ce réseau humain est essentiel au groupe et Pierre-Marie Durand en a pleinement conscience. En ce sens, il conçoit son équipe de direction comme une ressource humaine, pour employer une terminologie contemporaine. Là aussi, les choix sont déterminants et l’erreur n’est pas de mise. C’est pourquoi, après s’être entouré de fidèles lors des premiers pas du groupe, le deuxième cercle, Pierre-Marie Durand opte, au moment du plein essor, pour le recours au personnel, quatrième cercle, totalement dépendant et soumis à son patron. En effet, l’entrepreneur lyonnais, qui connaît les précédents historiques, craint, dans le cadre d’une relation égalitaire, la trahison des membres du deuxième cercle. Il applique son choix après avoir écarté ou converti au système Durand les administrateurs des compagnies filialisées, c’est-à-dire une partie du troisième cercle. L’habileté des Durand repose donc sur un contrôle de plus en plus étroit des administrateurs.
92Quant au profil type de l’administrateur il s’explique aisément : c’est, en général, un ingénieur et rarement un banquier, un Parisien et rarement un étranger. Les Durand maîtrisent donc plusieurs cercles d’administrateurs et parviennent à commander avec seulement un petit nombre de complices. Ainsi, le pouvoir familial est préservé dans le capitalisme de l’entre-deux-guerres... et le pouvoir d’un homme et de sa parenté reste courant (Citroën, Renault, Boussac et Durand). Cette quasi-autarcie humaine se justifie par l’actionnariat des filiales. Les banquiers comme les industriels concurrents en ont été soigneusement écartés ou alors réduits à la portion congrue. Les filiales, le holding et la société mère sont les principaux propriétaires de titres du groupe.
93La loi de 1940 aurait pu bousculer ce bel édifice, or il n’en a rien été. La famille Durand occupe toujours les postes clés dans le groupe, mais reste spécialisée dans l’activité électrique. Elle désigne comme administrateurs des personnes morales, en l’occurrence des sociétés du groupe, appartenant au quatrième cercle. Ce réseau d’administrateurs, parfaitement efficace, repose de plus en plus sur les directeurs d’exploitation, eux aussi membres du quatrième cercle et bénéficiant d’une large autonomie. En bon libéral, Pierre-Marie Durand ne réglemente rien, mais il sait récompenser par la promotion, l’efficacité de son personnel d’encadrement. Les Durand ont composé avec les situations trouvées à leur arrivée dans leurs nouvelles filiales, et, plutôt que de faire table rase du passé, ils ont souvent préféré intégrer l’ ex-personnel de direction. Le personnel de maîtrise vit une carrière dont le déroulement n’est pas rigoureusement programmé. Bien au contraire, l’essentiel de la rémunération provient du mérite des individus, tel qu’il est estimé par la direction. Une grande diversité se développe, tant dans les salaires que dans les primes, ces dernières couronnant d’ailleurs souvent des responsabilités plus ou moins fortes. Ainsi, le personnel peut administrer des compagnies, mais aussi investir son épargne dans les sociétés du groupe par le biais de la Participation industrielle. Le cadre peut donc arborer différentes casquettes : salarié, administrateur et actionnaire, ce qui renforce son attachement à la réussite du groupe.
94À la veille de la nationalisation, le groupe emploie plus de 10 000 personnes – pour l’essentiel, des ouvriers. Les Durand ne sont pas des patrons paternalistes, mais lorsque des mesures de ce type étaient pratiquées par leurs prédécesseurs, ils conservent la situation en l’état. Le pragmatisme et la prudence l’emportent donc largement. Malgré le mutualisme, on relève l’absence d’une politique sociale d’ensemble mais, globalement, les conditions faites au personnel sont plus favorables que ne l’exige la législation et que chez les concurrents. Pierre-Marie Durand attend la mise en place de la législation sur les conventions collectives et les retraites pour harmoniser les droits des salariés de ses entreprises, sans toutefois donner un cadre unique, ce que permet la structure du groupe, composé de petites unités. Cette structure est aussi largement mise à profit dans le domaine financier : que ce soit pour gérer les liquidités, acheter des titres ou réaliser un emprunt. Ainsi, le « maintien du pouvoir familial n’est pas signe de sclérose70 ».
Notes de bas de page
1 Il ne s’agit pas d’une véritable histoire sociale de l’entreprise, car les sources sont très lacunaires dans ce domaine.
2 Se pose ici le problème méthodologique de la définition de la nomenclature des fonctions et des qualifications. Lequin (Yves) et Vandecasteele (Sylvie), « Pour une histoire sociale de l’entreprise », dans L’Usine et le Bureau. Itinéraires sociaux et professionnels dans l’entreprise, xixe-xxe siècle, Lyon, PUL, 1990, p. 15.
3 Archives EDF 712867. 14 % des effectifs.
4 Ibid.
5 Ibid.
6 Ibid., lettre d’information du 1er décembre 1938. On ne sait pas si cette publication a vu le jour. En tout cas, on n’en a pas trouvé de traces dans les archives.
7 Bonin (Hubert), Histoire économique de la France..., ouvrage cité, p. 91.
8 Archives EDF 712 784.
9 Malégarie (Charles), 20 ans d’action sociale, Paris, Éditions des Deux-Rives, 1946. p. 7. En 1945, la Compagnie parisienne de distribution d’électricité compte seulement 4 800 enfants pour 5400 agents.
10 Archives EDF 712 867.
11 Les employés et les ouvriers sont les grands absents de ce travail, car ils sont les grands absents des sources. En outre, il s’agissait surtout d’examiner la constitution et le fonctionnement d’un groupe. C’est pourquoi l’étude est axée, non pas sur la connaissance du personnel lui-même, mais sur la recherche de spécificités dans la gestion du personnel dans le cadre d’un groupe.
12 Une prosopographie du personnel de direction s’est révélée impossible en raison de l’indigence des sources. En effet, la documentation concernant les directeurs ne comprend que quelques boîtes. Elles constituent d’ailleurs ma base de travail.
13 Archives EDF 590 B 25.
14 Lettre du 3 février 1945 qui confirme la toute-puissance des Durand dans la gestion des administrateurs. Voir chapitre 4.
15 Bonin (Hubert), Suez…, ouvrage cité, p. 76.
16 Lettre du 27 janvier 1943 de Louis Dufour à Tracol. On ne sait pas si G. Péloni est resté.
17 10 000 francs pour celle du secteur de Dax en 1940 à Léon Ponsard.
18 Le supplément de revenus qu’ils rapportent est de 48 500 francs pour Charles Meifredy en 1943.
19 La variation s’explique en partie par l’importance relative de ces secteurs.
20 Malégarie (Charles), 20 ans..., ouvrage cité, p. 9.
21 La mutuelle de cette dernière regroupe l’ensemble du personnel de 14 à 60 ans et donne la priorité à la protection du risque maladie plus qu’à la politique familiale.
22 Réunion du 1er août 1939.
23 Société lyonnaise des forces motrices du Rhône, 13 avril 1942.
24 Il faut deux ans de cotisations, les ayants droit ne pouvant bénéficier des prestations. Celles-ci ont, de plus, une durée limitée à cinq ans et ne sont payées que si l’infirmité réduit au moins des deux tiers la capacité de travail. En outre, il n’est versé aucune indemnité journalière.
25 Noiriel (Gérard), Les Ouvriers dans la société française, xixe-xxe siècle, Paris, Seuil, Collection Points-Histoire, 1986, p. 139.
26 Assemblée générale du 12 juin 1939.
27 Assemblée générale de la Société de secours mutuel des agents du 7 mai 1945. « Nous pouvons également penser que cette importante adhésion est susceptible de contribuer par le jeu de la loi du plus grand nombre à accroître la stabilité de notre organisme. »
28 Dont 50 % sont payés par la société.
29 Assemblée générale de la Société de secours mutuel des agents du 7 mai 1945.
30 Archives EDF 719 865.
31 En effet, les décrets des 14 juin et 2 mai 1938 prévoient l’exonération de la taxe sur les bénéfices non distribués et un amortissement à appliquer sur les investissements pour l’établissement de l’impôt sur les bénéfices industriels et commerciaux, allégements estimés à un million de francs au minimum (sans compter la région lyonnaise et le Dauphiné) pour le groupe.
32 500 logements ouvriers à 65 000 francs pièce et comprenant trois pièces, cuisine, WC, cellier et cabinet de toilette dans des petites habitations regroupant quatre logements. Á l’Énergie industrielle, les chefs de secteurs et assimilés se voient proposer un logement plus spacieux. Les collaborateurs, eux, bénéficient d’une maison individuelle de cinq pièces avec dépendances. L’estimation du coût de construction s’élève alors à 165 000 francs.
33 Woronoff (Denis), Histoire de l’industrie..., ouvrage cité, p. 446.
34 Malégarie (Charles), 20 ans..., ouvrage cité, p. 31.
35 Règlement de 1941.
36 Statuts, article 2.
37 Réunion du 5 mars 1943.
38 Note du 28 janvier 1942. Pour dix francs par repas avec les tickets de rationnement obligatoires, le menu comprend, en principe, un potage, un plat de viande garni ou deux légumes, un dessert ou un fromage et un quart de vin.
39 Note du 28 janvier 1942. Michelin gérait, par exemple, dès avant la guerre, un restaurant de 700 places.
40 Jemain (Alain), Les Peugeot (Vertiges et secrets d’une dynastie), Paris, J.-C. Lattes, 1987, p. 83.
41 Malégarie (Charles), 20 ans..., ouvrage cité, pp. 93-100. L’auteur présente ce centre, propriété de la Compagnie parisienne de distribution d’électricité, qui forme les jeunes et les envoie ensuite en stage « renouant avec l’antique tradition du Tour de France », ibid., p. 95.
42 Règlement de 1943.
43 Ibid.
44 Ibid.
45 Archives EDF 719727.
46 Archives EDF 719017.
47 Gueslin (André), Michelin..., ouvrage cité, p. 90.
48 Morsel (Henri) Parent (Jean-François), Les Industries de la région grenobloise (itinéraire historique et géographique), Grenoble, PUG, 1991, p. 95.
49 Tissot (Laurent), E. Paillard..., ouvrage cité, p. 50.
50 Gueslin (André), Michelin..., ouvrage cité, p. 82.
51 Archives EDF 712 867.
52 Ibid.
53 Ibid.
54 Ibid.
55 Société des forces motrices de l’Aigoual, Union hydro-électrique armoricaine, Société d’électricité de la vallée de l’Arre, Centrale thermique de l’Adour, Société de distribution d’énergie électrique de la vallée de l’Ardières, Société hydro-électrique du Bager, Hydro-Électrique des Basses-Pyrénées, Énergie électrique de la Basse-Loire, Société hydro-électrique de Baume-les-Dames, Société d’énergie électrique de Belmont, Distribution d’électricité du Cheylard, Compagnie d’électricité du Cantal, Société hydro-électrique de la Dronne, Société d’électricité du Rhône et du Fornant, Société électrique d’Evian-Thonon-Annemasse, Société électrique de Chamonix, Société d’électricité de Cluses, Eau, Gaz et Électricité de Savoie, Union électrique du Finistère, Société générale de force et lumière, Force et Lumière du Canton de Boëge, Compagnie haut-marnaise d’électricité, Compagnie des eaux et lumière électrique d’Illiers, Société électrique du Mont-Dore, Société anonyme d’éclairage et de chauffage par le gaz de la ville de Mormant, Société d’électricité de la Marche et du Limousin, Société électrique de Nontron, Société anonyme hydro-électrique des Dranses, Énergie électrique Isère-Vercors, Omnium régional d’électricité, Société d’éclairage par l’électricité de Riom-ès-Montagnes, Société foncière et industrielle du Rhône, Société hydro-électrique du Fure et Morge et de Vizille, Société d’électricité de Rumilly, Société d’électricité de Surgères, Aigrefeuille, Mauze et Extensions, Société des forces motrices du Haut-Grésivaudan, Union électrique rurale, Rhône et Savoie, Compagnie savoisienne d’électricité, Société des forces motrices du Vercors, Société des forces motrices de l’Est, Société électrique de Saint-Amour, Compagnie des eaux de Janville, Société provinciale de distribution d’énergie.
56 En effet, les activités annexes n’étant pas comptabilisées, cela exclut l’Entreprise industrielle, l’Hydro-Énergie, la SITEL...
57 « Les manquements dans le travail qui sont signalés par les chefs de service et appréciés par la direction peuvent être sanctionnés par : 1. avertissement ou rappel à l’ordre, 2. blâme, 3. déclassement par affectation à une catégorie inférieure dans la même fonction, 4. rétrogradation par affectation à un emploi inférieur, 5. révocation. La révocation ne pourra être prononcée que pour faute grave contre le collaborateur qui, notamment : A. aura abandonné ou interrompu son travail, B. se sera livré en service à des voies de fait sur un de ses chefs ou autre collaborateur, C. sera pris en état d’ivresse dans le service, D. aura sollicité ou accepté des gratifications ou étrennes des fournisseurs et entrepreneurs de la société, E. aura entraîné un accident grave pour le personnel et le matériel, F. aura commis une faute lourde ou une négligence grave dans le service, G. se sera livré, sans autorisation préalable de la direction, à des travaux interdits. La révocation est toujours prononcée de droit et applicable immédiatement contre le collaborateur reconnu coupable de crime, vol, escroquerie ou abus de confiance, même en dehors du service et même au détriment d’un tiers étranger à l’Énergie industrielle. »
58 Le salaire initial des adjoints est de 1 100 francs mais de 1 300 francs pour les ingénieurs. Dans les deux cas, le changement d’échelon apporte 100 francs supplémentaires. Les chefs de service touchent 1 300 francs et 150 francs par échelon supplémentaire. Les ingénieurs ont un salaire initial de 1800 francs qui s’accroît de 200 francs lors de chaque changement d’échelon.
59 « Il est précisé que l’on entend par le terme “agent” […] toute personne, aussi bien chef de service, ingénieur, employé, qui participe à un titre quelconque à la marche des services des bureaux de Paris de l’Énergie industrielle et des sociétés filiales dont il est question à l’article premier. »
60 La liste des sociétés concernées par la convention collective est donc la suivante : Société des forces motrices de l’Aigoual, Union hydro-électrique armoricaine, Société d’électricité de la vallée de l’Arre, Centrale thermique de l’Adour, Société de distribution d’énergie électrique de la vallée de l’Ardières, Société hydro-électrique des Basses-Pyrénées, Énergie électrique de la Basse-Loire, Société d’énergie électrique de Belmont, Distribution d’électricité du Cheylard, Compagnie d’électricité du Cantal, Société électrique d’Evian-Thonon-Annemasse, Union électrique du Finistère, Société générale de force et lumière, Compagnie haut-mamaise d’électricité, Compagnie des eaux et lumière électrique d’Illiers, Société anonyme d’éclairage et de chauffage par le gaz de la ville de Mormant, Énergie électrique Isère-Vercors, Omnium régional d’électricité, Société d’éclairage par l’électricité de Riom-ès-Montagnes, Union électrique rurale, Société des forces motrices de l’Est, Compagnie des eaux de Janville, Société des forces motrices du Vercors et Hydro-Énergie. La présence de cette dernière compagnie est énigmatique car elle n’est pas dans la liste des 45.
61 10 % de plus lors du passage des 2e, 3e et 4e classe puis 5 % ensuite de la 5e à la 8e.
62 Naissance d’un enfant : deux jours pour les ouvriers et employés mais deux semaines pour les agents de bureaux.
63 Ainsi, en cas d’accident du travail, les non-titulaires ont droit à un demi-salaire d’indemnité contre un traitement intégral pour les titulaires les deux premiers mois.
64 C’est aussi le cas de la Société lyonnaise des forces motrices du Rhône, de l’Hydro-Énergie, de la SITEL et de l’Entreprise industrielle.
65 Les catégories A et B sont réservées, en principe, au personnel de la distribution ou au personnel de bureau, les catégories C, D et E au personnel de la production.
66 Archives EDF 590 B 327.
67 Archives EDF 719334.
68 Celui-ci préconisait une politique de hauts salaires afin de restreindre le turnover et aussi dans le but de transformer les salariés en consommateurs.
69 Notamment dans le respect des avantages acquis et des primes diverses. Andrieu (Claire), Le Van (Lucette). Prost (Antoine), Les Nationalisations, de la libération de l’utopie au compromis, Paris, Presses de la Fondation nationale des sciences politiques, 1987, p. 330.
70 Bonin (Hubert), Histoire économique de la France..., ouvrage cité, p. 65.
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