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    Plan détaillé Texte intégral La naissance de la société mère, l’Énergie industrielle, et le premier développementUne logique précoce de croissance horizontaleLa diversification à partir de la première guerre : une politique de filière ? Notes de bas de page

    Pierre-Marie Durand et l’Énergie industrielle

    Ce livre est recensé par

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    Table des matières

    Chapitre premier. La naissance d’un groupe et ses hésitations stratégiques (1906-1924)

    p. 35-67

    Texte intégral La naissance de la société mère, l’Énergie industrielle, et le premier développementLa naissance de l’Énergie industrielle : l’œuvre de Pierre-Marie DurandL’élargissement à partir des zones d’origineUne logique précoce de croissance horizontaleUne stratégie en douceurUne stratégie détournée : se proposer comme banquier et gestionnaireUne stratégie frontale : jauger l’adversaire et s’imposerUne stratégie frontale : renoncer face à un adversaire trop puissantLa diversification à partir de la première guerre : une politique de filière ?En amont, une société de production et une filiale de BTPEn aval, des sociétés liées à l’activité électrique ou à la recherche de consommateursFormer un conglomérat : un objectif de la famille Durand plus que de l’Énergie industrielle Notes de bas de page

    Texte intégral

    1À la fin de l’année 1906 naît une petite société dénommée l’Énergie industrielle. Elle est promise à un bel avenir, contrairement à bien d’autres entreprises de production-distribution d’électricité créées en ces dernières années de la Belle Époque et alors que son créateur n’appartient pas au milieu industriel.

    La naissance de la société mère, l’Énergie industrielle, et le premier développement

    2Alors que l’industrie de la production-distribution d’électricité est en plein essor, Pierre-Marie Durand, avoué lyonnais, se reconvertit dans cette activité nouvelle. Il fonde une compagnie qui résulte de la fusion de trois petites entreprises locales.

    La naissance de l’Énergie industrielle : l’œuvre de Pierre-Marie Durand

    3Une entreprise ne se conçoit pas sans créateur. Celui-ci est l’élément clé de l’activité économique. C’est pourquoi, après la présentation de la famille Durand, une courte biographie du fondateur du groupe, Pierre-Marie Durand, s’imposera. L’ancêtre commun est Pierre Durand, né sous l’Ancien Régime et mort, probablement, en 1844. Époux de Clémence Margand, il était propriétaire-cultivateur, dans la banlieue de Lyon. Il s’agit du grand-père de Pierre-Marie Durand, le fondateur de l’Énergie industrielle. On ne dispose pas d’estimations précises de sa fortune. Toutefois, Pierre-Marie dit Clément, le père du fondateur du groupe, hérite de son père une maison et 2,24 hectares de terres dont 1,25 hectare de vigne. Or, Clément ayant trois frères, ces biens représentent donc un tiers de l’héritage familial1.

    4Pierre Durand a eu quatre fils : Pierre, Claude, Barthélemy et Pierre-Marie dit Clément. La présentation de ces quatre hommes, oncles et père de Pierre-Marie Durand, s’impose afin de mieux connaître le milieu familial du fondateur de ce grand groupe de production-distribution d’électricité. Pierre Durand passe toute sa vie à Bully. Né en 1805, il reste dans son village natal où il est connu comme buraliste et propriétaire. Il s’y marie, a un fils et y meurt en 1869. Le deuxième oncle de Pierre-Marie Durand, Claude, né à Bully en 1807, a deux fils, Émile et Marius. En 1852, il est rentier à L’Arbresle, mais en 1870 huissier à Lyon. Le troisième oncle est né en 1809 à Bully, où il est probablement décédé, jeune et sans postérité. Enfin, en 1821 naît Pierre-Marie dit Clément, le père de Pierre-Marie Durand. Il épouse en 1858 Pierre-Marie Mury, la fille d’un propriétaire limonadier à L’Arbresle où le jeune marié est alors huissier. De cette union naissent trois enfants : Marius-Pierre, Pierre-Marie et Barthélemy. Le premier naît en 1859 et décède à l’Arbresle, en 1860. Pierre-Marie vient au monde en 1861 et son frère cadet en 1866. À cette date, leur père, Clément, se déclare rentier. Les informations disponibles sur la famille sont rares, tout comme celles concernant le fondateur du groupe.

    5Pierre-Marie Durand est donc né le 22 août 1861 à l’Arbresle, dans le Rhône. De famille catholique, il est élevé dans des institutions religieuses. Pour suivre la tradition familiale, il poursuit des études de droit et, titulaire d’une licence, il peut s’installer comme avoué à Lyon. L’achat de cette charge a-t-il été réglé grâce à la vente de terres, en 1890, à François Gillet2, le teinturier lyonnais ? En tout cas, Pierre-Marie dispose, par héritage, de propriétés foncières et mobilières. Elles « peuvent apparaître faibles, mais elles sont non négligeables à cette époque, surtout dans les riches terres du Beaujolais [ et ] peuvent expliquer les origines de l’ascension de Pierre-Marie Durand3 ». En effet, en 1870, Pierre-Marie et son frère Barthélemy ont hérité de leur oncle Pierre d’une maison et d’un bâtiment rural avec jardin et cour, d’un revenu de 100 francs par an, et d’un domaine, dont le revenu annuel est évalué à 1 000 francs. L’année suivante, en 1871, ils héritaient de leur père, qui avait constitué un patrimoine de 61 500 francs4. Pierre-Marie Durand est donc un petit notable qui n’a pas rompu ses attaches terriennes car il cumule une charge d’avoué lyonnais depuis 1891 avec celle d’agriculteur. En 1 895, il épouse Louise-Jeanne Devillaine5. La communauté de biens est réduite aux acquêts. Du mariage naissent, à Lyon, deux enfants : Pierre-Louis, en 1897, et Louise-Marie, en 1898.

    6La documentation fait cruellement défaut pour narrer les premiers pas de Pierre-Marie Durand dans l’industrie. Une première hypothèse le fait débuter officiellement dans les affaires en 1903. Il a alors quarante-deux ans et cette reconversion peut paraître surprenante, vis-à-vis des pratiques de l’époque. En effet, les quadragénaires songent alors plutôt à se retirer de leurs activités professionnelles pour vivre de leurs rentes. « En 1903, avec son frère […] Barthélemy Durand, il créé la société Durand Frères, puis acquiert à Saint-Étienne la Compagnie des tramways : simple épisode6. » Pour d’autres, « c’est un peu par hasard qu’en 1903, il s’était intéressé au secteur électrique : un de ses clients, qui avait fait de mauvaises affaires, possédait une petite ligne électrique destinée à un tramway. À partir de là, Durand alimenta les gens des alentours et se lança ainsi dans la distribution d’énergie7 ». Une autre hypothèse avance l’idée qu’il s’est lancé dans les affaires avant 1900. Toutefois et quoi qu’il en soit, les motivations profondes et le financement précis de cette nouvelle activité sont inconnus. La vente d’une maison, en 1904, a-t-elle permis de dégager un capital de départ ? En tout cas, à la veille de la fondation de l’Énergie industrielle, en 1906, Pierre-Marie Durand est un notable lyonnais. Domicilié place Bellecour, il a obtenu, l’année précédente, la Légion d’honneur, sur proposition du Lyon républicain. Il est alors présenté comme entrepreneur de travaux publics et comme administrateur de compagnies de tramways.

    7En dehors de son activité professionnelle, sa vie reste méconnue et, en particulier, ses opinions politiques bien qu’il ait exercé la fonction de maire de Bombon en Seine-et-Marne. Cet officier de la Légion d’honneur en 1926, et commandeur en 1931, a été membre du Cercle interallié à Paris et du Cercle artistique à Nice. Outre le château de Bombon, il dispose d’un vaste patrimoine de 156 hectares avec, en particulier, un château dans la banlieue de Lyon, 13 hectares de terrains en Isère, une villa à Nice, une autre en Suisse... À son décès, survenu le 18 juillet 1951, la ville de L’Arbresle hérite de 250 millions de francs courants, ce qui représente 30 % de l’actif de la succession. Sa fortune, considérable, lui a ouvert l’accès à la sociabilité parisienne la plus élégante, au luxe châtelain et à la multirésidence.

    8Si Pierre-Marie est l’âme du groupe Durand, il n’est pas le seul de la famille à se lancer dans les affaires. En effet, son frère, mais aussi son cousin et le fils de celui-ci, puis son propre fils et son gendre l’assistent dans le développement du groupe, de l’origine à la nationalisation. Pierre-Marie Durand s’associe avec son jeune frère Barthélemy qui a fait ses études secondaires à Lyon puis est entré à l’École navale de Brest. D’après l’indicateur Henry de 1901, ils sont concessionnaires et exploitants de tramways à Brest, Angoulême, Perpignan... soit dans un vaste espace géographique discontinu. Durant la Première Guerre, Barthélemy, lieutenant de vaisseau, reprend du service. Il commande des dragueurs de mines et est chargé de missions pour la Marine et les Affaires étrangères, notamment en Espagne en 1918. Le comité local des FFI le nomme maire d’Étampes en août 1944. En décembre de la même année, il est élu puis réélu maire jusqu’en 1953. À sa mort, en 1956, il était président du conseil général de Seine-et-Oise et commandeur de la Légion d’honneur. Sans postérité, il a légué son château de Valnay ainsi qu’un million de francs à des œuvres. Comme on le verra, il participa à l’essor du groupe Durand, tout en conservant des activités dans d’autres entreprises industrielles.

    9Si Pierre-Marie et son frère ont été associés très tôt, ils ont aussi sollicité d’autres membres de la famille parmi lesquels Émile et son fils Roger. Emile Durand est né en 1852 à L’Arbresle. Fils de Claude Durand et donc cousin de Pierre-Marie et de Barthélemy, il appartient à la promotion 1871 de Polytechnique. Faisant partie du corps de l’Etat-Major, il est contrôleur général de l’armée, deuxième classe, du cadre de réserve. Domicilié à Paris, il intègre le groupe Durand, plus précisément la société mère, à la veille de la Première Guerre mondiale. Il meurt en 1942, et le conseil d’administration « salue la mémoire de cet homme intègre, intelligent, d’une grande justesse de jugement, d’une courtoisie sans égale et qui ne laisse que de bons souvenirs8 ». Il était père de Roger Durand, né en 1883 à Paris. Cet ingénieur opte pour l’industrie électrique en 1907 et pour le groupe Durand en 1911 où il fait toute sa carrière. Marié, il est décédé à Paris en 1963, sans postérité.

    10Enfin, à l’aube des années 1920, Pierre-Marie Durand ouvre le groupe à la génération de ses descendants, c’est-à-dire son fils, Pierre-Louis, et son gendre, Robert Després. Pierre-Louis Durand est son unique fils. Né le 1er janvier 1897, il a fait ses études à l’Institut Sainte-Marie-de-Montceau à Paris, puis est sorti ingénieur de l’Institut électrotechnique de Grenoble. Il a épousé, en 1924, Anne-Luce Tissot qui lui donne, en 1926, un fils, Jacques-Michel. Officier de la Légion d’honneur, lieutenant d’artillerie, croix de guerre 14-18, il pratique le golf et il est membre de l’Automobile Club de France. En 1920, il débute sa carrière au sein du groupe Durand. C’est aussi le moment où Robert Després rejoint le groupe. Né le 28 août 1898, en Isère, il épouse, en 1921, Louise-Marie Durand9, devenant le gendre de Pierre-Marie Durand. Cet ingénieur de la classe 18 a participé à la Première Guerre en tant que capitaine d’artillerie. Un certain nombre de documents du groupe le présentent sous le nom de Robert Després de Losme10. Domicilié dans le 16e arrondissement de Paris, il meurt en 1952. Ainsi, c’est tout un lignage lyonnais qui est donc à l’origine de la naissance et du développement d’un des plus grands groupes français de production-distribution d’énergie électrique. Participant à diverses affaires, Pierre-Marie Durand, bourgeois de la banlieue lyonnaise, décide de franchir le pas à quarante-cinq ans en fondant sa propre entreprise.

    11L’Énergie industrielle n’est pas une création ex nihilo puisqu’elle résulte de la fusion de trois affaires spécialisées dans la production et la distribution d’énergie électrique. La première de ces trois sociétés est la Compagnie de La Bourboule, en Auvergne11. C’est en 1896 que J. Claret, entrepreneur de travaux publics à Paris, a obtenu le monopole de la distribution d’énergie électrique de cette ville thermale ; puis il a eu l’idée de réunir au moyen d’un funiculaire et d’un tramway le centre de la ville et le plateau de Charlanne qui la domine. À cet effet, il a signé une convention de monopole avec la municipalité de La Bourboule en 1902, en échange du versement d’une redevance à la municipalité de 3 % des recettes brutes. Outre l’éclairage, le funiculaire, le tramway, un forfait annuel pour l’éclairage du casino complétait le chiffre d’affaires. Voici la conclusion du commissaire aux apports : « On peut donc admettre, étant donné l’accroissement continu et certain de La Bourboule et l’extension prévue du tramway, que, dans deux ans, l’exploitation totale […] apportera un bénéfice annuel de 70 000 francs12. » Estimé à 1,25 million de francs, l’apport se répartit entre des espèces et 9 000 actions de 100 francs. L’essentiel revient à J. Claret, mais une part, dont le montant est inconnu, est attribuée à Pierre-Marie Durand qui « apporte l’engagement de prolonger jusqu’à la gare de La Bourboule-Orléans, le tramway existant en fournissant la voie ferrée, la ligne ancienne et une voiture automotrice13 ».

    12Le second élément constitutif de l’ Énergie industrielle est le réseau de Bourg-d’Oisans, en Isère. Sa valeur est estimée à 150 000 francs dont 1 000 actions de 100 francs. C’est un apport de Pierre-Marie Durand, détenteur du monopole de l’éclairage de la petite ville sise sur les bords de la Romanche. Pierre-Marie Durand n’a pas négocié avec le conseil municipal : il rachète en 1906 cette concession. Dès le tout début, ce qui fait l’originalité de la stratégie des Durand apparaît donc clairement : profiter d’une situation existante, ne pas se lancer dans la création ex nihilo. « Bourg-d’Oisans est une petite ville de 2 500 habitants et le nombre d’abonnés à l’éclairage est de 160 avec un nombre de lampes de 650 environ. On peut donc, en raison du développement assuré à très bref délai, évaluer le produit net de cette affaire à 10 000 francs par an14 », d’autant que les dépenses sont restreintes à un seul agent. Le commissaire aux comptes se montre donc plutôt optimiste. Au cas où Pierre-Marie Durand voudrait reprendre la jouissance de son usine, il s’engage à fournir 125 chevaux dont 25 gratuitement et à ne demander que 100 francs par cheval supplémentaire. En accordant la jouissance d’une usine dont il est le propriétaire à une société dans laquelle il est partie prenante, Pierre-Marie Durand intervient tantôt en son nom propre, tantôt en tant qu’administrateur de l’Énergie industrielle. Ainsi, se dessine précocement la seconde spécificité du futur groupe.

    13Le Rhône, troisième secteur d’origine de l’Énergie industrielle, est un apport de la famille Durand. En effet, en 1899, Pierre-Marie et Barthélemy obtiennent la concession de l’éclairage et de la distribution de force motrice de la ville de Saint-Symphorien-sur-Coise. L’énergie nécessaire au fonctionnement de cette affaire est fournie par l’usine de tramways depuis 1900. L’installation électrique a été installée aux frais de la famille Durand puis louée en 1902 à la Compagnie des tramways, société dont les Durand sont administrateurs ! En 1901, l’exploitation concerne 400 lampes mais déjà 2 500 en 1906. « Les installations intérieures sont en général exécutées par le concessionnaire et laissent par conséquent un certain bénéfice15. » Le commissaire aux apports envisage une recette annuelle de 30 000 francs laissant un bénéfice de 15 000 francs16. Enfin, en ce qui concerne Saint-Symphorien-sur-Coise, Pierre-Marie Durand et son frère se répartissent 150 000 francs dont 500 actions de 100 francs d’apport.

    14Ainsi, sur le capital initial de 3 millions de francs, c’est un tiers qui est distribué en guise de rémunération des apports à J. Claret et aux deux frères Durand. Les trois éléments constitutifs de l’Énergie industrielle ne composent pas un ensemble géographiquement très homogène. Il faut aussi souligner la complexité des apports de la famille Durand et les liens multiples entretenus, avant la naissance de l’Énergie industrielle, entre les membres de la famille et les sociétés desquelles ils sont membres. La naissance de l’Énergie industrielle en 1906 est-elle à rapprocher de la loi de 15 juin 1906 qui modifie les conditions d’exploitation de la distribution d’électricité ? Pierre-Marie Durand attendait-il un changement juridique pour se lancer définitivement dans les affaires, ou bien est-ce une coïncidence ? En tout cas, la loi « affirme, pour la première fois, que la distribution électrique assure un service d’intérêt collectif qui peut, dans certaines conditions, bénéficier de la déclaration d’utilité publique » et « permet une relance active de la construction de nouveaux réseaux17 ». Quant à la famille Durand, elle n’est pas, par tradition, dans les affaires. C’est peut-être un des éléments qui explique l’originalité de sa stratégie de développement. L’originalité du départ – une implantation dans trois départements – est maintenue et même accentuée dès les premiers exercices de l’entreprise.

    L’élargissement à partir des zones d’origine

    15La compagnie s’étend simultanément en Rhône-Alpes et en Auvergne. L’exercice 1913 définit clairement la politique de la compagnie dans ce vaste secteur : « nous poursuivons méthodiquement l’obtention des concessions ». Bref, les choix d’alors misent sur le développement interne, ce qui constitue plutôt une originalité pour le groupe Durand. Toutefois, à la veille de la Première Guerre, Pierre-Marie Durand entame des négociations avec le propriétaire d’une affaire d’électricité dans la région de Saint-Nectaire, car il considère que « l’Auvergne [est] intéressante pour le développement à espérer de ses forces motrices naturelles et de ses richesses thermales et touristiques18 ». Cet intérêt pour la région ne se dément pas au cours des exercices suivants, comme le montre la prise de contrôle de sociétés comme la Haute-Dordogne Force et Lumière, en 1920. L’Énergie industrielle observe la création de la compagnie avec intérêt et intervient immédiatement en tant que bailleur de fonds car la nouvelle société manque de capitaux pour réaliser ses projets. L’Énergie industrielle reçoit une émission d’actions privilégiées qui lui permettent d’acquérir un tiers du capital et donc, à ce titre, de gérer la compagnie. De fait, la Haute-Dordogne Force et Lumière devient une filiale de l’Énergie industrielle, ce que les fondateurs de la société reconnaissent volontiers : « il serait entendu que l’Énergie industrielle prendrait la direction technique et administrative de nos travaux et de notre exploitation. Cette solution aurait pour avantage de diminuer nos frais généraux, tout en assurant une bonne gestion de nos intérêts en raison de la proximité du réseau de La Bourboule dont la direction pourra être commune avec celle de nos exploitations propres19 ». La volonté de faire de l’Auvergne un fief Durand se poursuit les années suivantes. À l’évidence, la logique de croissance externe est privilégiée, non sans une certaine hésitation.

    16Le développement de l’Énergie industrielle se produit dans l’ensemble de la grande banlieue lyonnaise et en Rhône-Alpes. En 1909, l’administrateur-délégué de la société entre en contact avec Fréjus-Mertz qui possède des concessions d’éclairage dans cette région et se propose de fonder une société, la Régionale électrique. Quoique non directement présente, l’Énergie industrielle exerce une réelle influence dans la nouvelle société, surtout quand Fréjus-Mertz devient administrateur de l’Énergie industrielle en 19 1 020. Cette compagnie distribue de l’électricité au sud de Lyon. Quant à la Compagnie hydro-électrique lyonnaise dont Fréjus-Mertz faisait partie, elle sollicite par l’intermédiaire de ce dernier une aide importante de l’Énergie industrielle pour réaliser l’intégralité de son programme, faute de capitaux suffisants. Cet intérêt manifeste des Durand pour des structures déjà existantes peut être constaté une nouvelle fois en 1923 lorsque l’Énergie industrielle rachète une usine à gaz située à l’Arbresle et exploitée par Clerget et Compagnie.

    17La méthode Durand apparaît : une implantation rurale pour commencer, suivie par une extension urbaine dès que possible et une politique de croissance externe assez originale dans la mesure où Pierre-Marie Durand s’intercale comme intermédiaire, du moins dans les débuts de la société, entre les vendeurs et l’Énergie industrielle, ce qui lui permet de réaliser à chaque fois une plus-value personnelle. Quelques mois à peine après la fondation de l’Énergie industrielle, une opportunité d’extension par croissance externe lui est offerte par son propre administrateur-délégué, Pierre-Marie Durand. En effet, celui-ci est devenu propriétaire de la majorité des actions de la Société électrique de Dieulefit et Valréas21. En 1907, le président de cette dernière vend ses titres, ce qui permet à l’Énergie industrielle d’investir dans cette société de la Drôme, au prix de 85 francs l’action de 100 francs. La compagnie est alors domiciliée dans les bureaux de l’Énergie industrielle, indice de sa dépendance. La mainmise de la famille Durand peut être constatée en 1908 puisqu’elle possède alors 48 % des actions conjointement avec l’Énergie industrielle.

    18En 1911, Pierre-Marie Durand achète la concession de Montélimar et propose de la vendre à l’Énergie industrielle : « cette affaire […] serait intéressante […] car elle […] permettrait de former avec les secteurs qu’elle [l’Énergie industrielle] possède déjà dans la Drôme, un réseau important22 ». Quant à la Société française d’exploitations électriques, elle vit des débuts difficiles car la mésentente règne parmi ses administrateurs. Le conseil d’administration connaît de multiples démissions et la fonction de président est l’enjeu d’âpres luttes. C’est dans ce contexte tendu qu’en 1916, l’Énergie industrielle prend contact avec les fondateurs, actionnaires majoritaires, et réussit à s’assurer la majorité des actions en 1920 en jouant des divisions internes. Cette société possède des réseaux dans la Drôme, intercalés entre les réseaux de l’Énergie industrielle. Son intégration représente l’apport d’une dizaine de communes idéalement situées.

    19En 1918, Pierre-Marie Durand rappelle au cours d’un conseil d’administration qu’il possède des intérêts prépondérants dans une chute d’eau située sur la rivière l’Eau d’Olle et pour laquelle il est en pourparlers de vente et tout disposé à donner la préférence à l’Énergie industrielle. C’est une stratégie très habituelle par la suite au sein de l’Énergie industrielle et déjà soulignée : la distinction opportunément faite entre Pierre-Marie Durand et la compagnie qu’il dirige, ce qui lui permet de vendre à sa société des droits qu’il possède en propre, ou de réaliser toutes sortes de transactions, des échanges d’actions par exemple. Dans la présente affaire, le conseil donne son accord et un administrateur de Thomson-Houston, considéré comme n’étant pas partie prenante, est chargé d’évaluer le montant de cette vente effectuée rapidement. Malgré tout, la priorité absolue reste la recherche de clientèle. C’est en fonction de celle-ci que l’Énergie industrielle cherche ensuite les moyens de satisfaire la demande. C’est la raison pour laquelle la stratégie de développement externe est la mieux adaptée : elle permet de satisfaire plus rapidement la demande, même si, dans un premier temps, l’Énergie industrielle réalise aussi quelques travaux elle-même, comme l’aménagement de la chute sur l’Eau d’Olle. Dans le même temps, elle projette de compléter ses disponibilités en achetant la fonderie d’Allemont en 1923. Cependant, l’Énergie industrielle, qui a déjà, de fait, une implantation multirégionale dès l’origine, n’innove pas en partant, dès 1907, à la conquête d’autres marchés comme ceux du Nord-Est, de la Bourgogne, de la Bretagne ou encore du Bassin parisien.

    Une logique précoce de croissance horizontale

    20La société mère entreprend un développement multirégional, dès ses premières années. Sa stratégie est pragmatique et multiple. Elle crée une compagnie et rachète les participations de Pierre-Marie Durand, ces opérations familiales se traduisant par une installation sans réelle concurrence. Elle use aussi de subterfuges en se proposant comme banquier ou gestionnaire. Enfin, dans quelques situations, sa stratégie n’est pas détournée mais frontale. Elle s’impose si elle est en position de force et n’hésite pas à renoncer dans le cas contraire.

    Une stratégie en douceur

    21La mainmise du groupe Durand sur quelques compagnies : Énergie électrique de la Basse-Loire, Est-électrique, Compagnie des Eaux et d’électricité de Madagascar, Compagnie d’électricité de Fréjus et Saint-Raphaël, Compagnie électrique de Menton, s’opère sans encombre.

    22Ainsi, en 1910, l’Énergie industrielle décide d’émettre des obligations en vue d’investir dans une société en cours de formation à Saint-Nazaire. La première mesure de la société mère consiste à racheter la concession d’éclairage de la ville de Saint-Nazaire. Fondée en 1911 l’Énergie électrique de la Basse-Loire est dotée d’un capital de 1,2 million de francs, divisé en 4 800 actions dont 400 sont attribuées conjointement à Pierre-Marie Durand et au concessionnaire de l’éclairage municipal, ainsi que 100 000 francs pour leurs apports. Par conséquent, le conseil d’administration de l’Énergie industrielle décide de vendre à l’Énergie électrique de la Basse-Loire les concessions et le réseau de Saint-Nazaire. Cette cession occasionne une plus-value de 100 000 francs. On peut s’interroger sur l’utilité de ces mouvements concernant la propriété de la concession de Saint-Nazaire. Il semble que l’Énergie industrielle ait craint, à cette époque, d’être écartée de la compagnie en formation, ou du moins de ne pas y avoir la majorité. Elle a donc choisi de se donner le pouvoir d’empêcher le développement de la compagnie, en devenant propriétaire du monopole de la grande ville du secteur. Mais lorsque la compagnie est créée, la très nette domination de la famille Durand et de l’Énergie industrielle sur le capital est flagrante puisqu’elles possèdent 75 % des titres. De ce fait, le conseil d’administration comprend cinq personnes : Adhémar Péchadre en est le président et Roger Durand l’administrateur-délégué, ce qui montre bien que cette société n’est autre qu’une filiale de l’Énergie industrielle.

    23Ainsi, en Bretagne, le groupe Durand choisit en partie de mener une politique de croissance par la création d’une filiale, stratégie très rarement conduite par l’Énergie industrielle. Cette filiale est totalement dépendante de la société mère, car c’est cette dernière qui s’occupe de la comptabilité, qui assure un découvert et la domiciliation de l’Énergie industrielle de la Basse-Loire. La création de l’Énergie électrique de la Basse-Loire relève-t-elle de la croissance interne ou externe ? « La création ex nihilo d’une filiale par la firme étudiée représente une opération de croissance interne23. » Etant donné que, le plus souvent, l’Énergie industrielle ne réalise pas de création ex nihilo, le problème reste entier. Pour trancher, il faut tenir compte de l’identité de la propriété des apporteurs. Si ceux-ci sont partie intégrante de la société, s’agit-il d’une croissance interne, puisque les entités sont juridiquement différenciées ?

    24En toute logique, cette filiale sert totalement les intérêts des Durand. En effet, dès sa fondation, elle se livre à de nombreux achats de secteurs électriques. En 1914, ce sont ceux de Ploërmel, de Questembert et de Malestroit dont le rachat est à l’ordre du jour. Au cours de cette même année, Pierre-Marie Durand entame des pourparlers pour l’acquisition de la Compagnie électrique d’éclairage et de force de Rennes. Il ne négocie ni en son nom propre, ni pour le compte de l’Énergie électrique de la Basse-Loire, mais en tant que représentant de l’Énergie industrielle elle-même. Il va de soi que la société mère compte rétrocéder ensuite une partie de ses achats à l’Énergie électrique de la Basse-Loire, opération réalisée en 1914, quand l’Énergie électrique de la Basse-Loire obtient Paimboeuf et Josselin pour un montant de 140 000 francs auxquels s’ajoute une commission de 6 000 francs pour l’Énergie industrielle et de 4 000 francs pour Pierre-Marie Durand. Le capital de l’Énergie électrique de la Basse-Loire connaît donc de multiples augmentations pour répondre à la politique de développement et s’accroît progressivement jusqu’à atteindre 10 millions de francs en 1924. Toutefois, quelques communes sont électrifiées à l’aide, il est vrai, de subventions assez importantes pour la construction des lignes destinées à les alimenter. C’est aussi ce que fait, par exemple, la Compagnie lorraine d’électricité, une filiale de la Compagnie générale d’électricité.

    25Quoi qu’il en soit, une autre stratégie a déjà été menée. En effet, six mois après la fondation de l’Énergie industrielle, Pierre-Marie Durand expose « qu’en vue du développement de l’Énergie industrielle, il a pris une importante participation dans la formation du capital de l’Est électrique, société […] ayant pour objet la création et l’exploitation d’usines de production d’énergie électrique dans la région de Mézières – Charleville... Il consentirait à céder à l’Énergie industrielle la totalité des actions souscrites par lui dans cette affaire24 ». En outre, il cède le bénéfice d’un contrat de domiciliation et des droits pour surveillance des travaux. Voici un exemple dans lequel Pierre-Marie Durand et l’Énergie industrielle ne sont pas encore totalement assimilables. L’extension du groupe Durand passe donc quelquefois par l’intermédiaire de la famille Durand.

    26Ainsi, « c’est en 1905 que fut accordée pour Tananarive la première concession pour la distribution de l’électricité et de l’eau... La Compagnie des eaux et d’électricité de Madagascar […] entreprit en 1907 l’aménagement d’une première chute […] et en 1910, quinze ans à peine après l’arrivée des Français, l’éclairage électrique était assuré25 ». C’est en ces termes que la Revue générale de l’électricité décrit la mise en place rapide de l’électricité à Madagascar. Les motifs qui conduisent la famille Durand à prendre des participations dans la société malgache reposent sur le choix, déjà mis en évidence, de la croissance externe. C’est ainsi qu’il faut interpréter l’expression « intéressante » par laquelle les administrateurs de l’Énergie industrielle désignent cette compagnie en 1908. Concrètement, l’objectif de l’Énergie industrielle est l’achat de la moitié des actions du capital. Le président du conseil d’administration de l’Énergie industrielle est chargé de mener l’opération, c’est-à-dire « de traiter avec Pierre-Marie Durand et les principaux actionnaires de Madagascar [pour acheter les actions] et de négocier [avec lui] la cession du marché d’entreprise en régie des travaux relatifs à l’installation du service des eaux à Tananarive26 ».

    27Ces propos sous-entendent que Pierre-Marie Durand était propriétaire d’actions de la compagnie en son nom propre ainsi que de la concession des travaux, en régie, il est vrai. Mais ils signifient aussi que Pierre-Marie avait probablement participé à la naissance de la compagnie, en son nom propre, naturellement. La collusion entre les affaires privées de Pierre-Marie Durand et celles de sa compagnie apparaît pour la énième fois. En 1910, les services de la compagnie malgache sont domiciliés à l’Énergie industrielle, cette dernière assurant désormais la direction de la régie des travaux. La propriété de cette affaire de Madagascar signifie, pour l’Énergie industrielle, un monopole de cinquante ans assorti d’une subvention du gouvernement de la colonie pendant toute la durée de la concession et de 250 000 francs minimum, sous la forme de consommation d’eau et d’éclairage par les services publics.

    28Une telle implantation lointaine n’a pas de quoi surprendre, tant elle reflète les mentalités de la Belle Époque. Au goût pour l’exotisme s’ajoute, chez les industriels, l’espoir de bénéfices records à réaliser dans des zones conquises parfois depuis peu27. Les exemples d’installation de filiales sont légion. Les compagnies d’électricité n’échappent pas à ce mouvement général puisqu’en 1910, la Société générale d’entreprises fonde la Société générale d’entreprises dans l’Empire ottoman et, l’année suivante, la Société ottomane d’électricité de Constantinople. On verra par la suite comment le groupe Durand s’aventure à l’étranger à l’aube des années 1930.

    29En 1911, Pierre-Marie Durand prend en mains la Compagnie de Fréjus. Il la gère en son nom propre, ce qui n’empêche pas l’Énergie industrielle de lui ouvrir un compte courant immédiatement. La substitution n’a lieu que dix ans plus tard, quand la stratégie d’extension du groupe dans cette région le conduit à intégrer la compagnie. En 1921 donc, c’est à la demande de certains administrateurs que Pierre-Marie Durand accepte de céder ses intérêts dans la Compagnie de Fréjus-Saint-Raphaël à l’Énergie industrielle, faisant toutefois observer que « les porteurs actuels de ces actions les possèdent depuis environ dix ans sans avoir jamais touché de dividendes ; les bénéfices réalisés ayant contribué à l’extension de l’affaire et particulièrement du réseau d’électricité de la société qui donne aujourd’hui un résultat très intéressant28 ». Il va de soi-que cette remarque sous-entend la nécessité de récompenser son dévouement par une confortable plus-value.

    30Ainsi, « dans le but d’assurer à l’Énergie industrielle le contrôle de la Compagnie électrique de Menton, il [Pierre-Marie Durand] avait acquis personnellement, ainsi que monsieur Péchadre, un certain nombre d’actions de cette société29 ». En 1919, ils les vendent au prix d’achat majoré d’un intérêt de 5 % par an depuis l’époque de l’acquisition. Madagascar, Fréjus, Menton tombent dans l’escarcelle du groupe Durand, après un détour dans le portefeuille-titres de Pierre-Marie Durand. La substitution s’effectue en douceur. Toutefois, la plupart des négociations placent l’Énergie industrielle face à des vendeurs plus exigeants et l’amènent à développer des méthodes plus subtiles.

    Une stratégie détournée : se proposer comme banquier et gestionnaire

    31L’Énergie industrielle prospecte en Bourgogne où l’Énergie électrique de la Côte-d’Or recherche un partenaire financier, puisque la Compagnie générale d’électricité de Nancy vient de renoncer à la soutenir. C’est la raison pour laquelle l’Énergie industrielle lui achète des titres en 1911. Les actions sont payées 20 % de plus que leur prix réel, et Pierre-Marie Durand est nommé administrateur-délégué. Quelques semaines plus tard, l’Énergie industrielle assure, en plus, le service technique, la comptabilité et la domiciliation de la société. En outre, les anciens administrateurs ont démissionné et laissé la place aux Durand. Le poids croissant de l’Énergie industrielle au sein du capital de la compagnie lui permet de renforcer sa tutelle.

    32Toujours en Bourgogne, la Société d’éclairage et de force de Vougeot rencontre des difficultés financières et cherche un partenaire car la Compagnie générale de Nancy s’est aussi retirée de son capital. Pierre-Marie Durand entame donc des pourparlers avec l’un des actionnaires importants de la compagnie. L’achat de titres par l’Énergie industrielle ne s’opère toutefois pas immédiatement car c’est seulement en 1916 que Pierre-Marie est nommé administrateur-délégué et Roger administrateur. Ainsi, les Durand interviennent pour remplacer un partenaire financier défaillant : c’est une méthode dont ils n’ont pas l’exclusivité. En effet, en 1904, la Compagnie de Menton rencontre des difficultés pour accroître ses capacités financières. Son fournisseur, la société Oerlikon, refuse d’être payé en obligations et exige, à titre de paiement, des actions de la compagnie.

    33Des difficultés financières contraignent la Société d’éclairage électrique de la ville d’Alais, dans le Gard, à perdre son indépendance en 1907 au profit d’Alexandre Grammont30, un industriel à la recherche de débouchés, donc appliquant une stratégie de filières31. La transaction n’atténue pas pour autant les difficultés financières de la compagnie. En 1910, l’Énergie industrielle et la compagnie entrent en contact car la société doit se procurer 500 000 francs dans un délai très court pour honorer des projets de travaux, amortir des obligations... Un nouvel emprunt est alors impossible dans la mesure où il reste encore des obligations à régler. Du fait des problèmes graves de cette société, il est évident que l’Énergie industrielle y arrive en position de force et peut espérer acquérir une filiale pour un montant avantageux, d’autant plus que A. Grammont lui-même souhaite se désengager de cette affaire qu’il possède alors aux deux tiers. L’Énergie industrielle lui rachète donc une créance qu’il a sur la société et prend une option sur le rachat d’actions. La moins-value que représente cet accord pour Grammont est de l’ordre de 95 000 francs, ce qui signifie que l’Énergie industrielle prend pied dans la société pour 80 % de la valeur théorique des apports de l’industriel. Voilà qui permet d’expliquer comment Pierre-Marie Durand est nommé administrateur en 1910.

    34En 1923, l’Énergie industrielle se livre à une opération de grande ampleur. Elle est lancée à la suite d’une demande d’aide financière émanant de l’Omnium français d’électricité. Cette compagnie participe à l’électrification d’une multitude de réseaux dans de nombreux départements. Son intense activité l’amène à augmenter régulièrement son capital. C’est le cas en 1923 quand elle demande de l’aide à l’Énergie industrielle. Le groupe Durand accepte le principe de cette aide et débourse 5 millions. Le conseil d’administration est, dès lors, partiellement renouvelé avec trois membres de la famille Durand. De surcroît, l’Énergie industrielle remplace la compagnie dans un grand nombre de ses filiales. En effet, l’Omnium français d’électricité était, de fait, un petit groupe au début des années 1920, sa particularité étant d’avoir créé lui-même de nombreuses compagnies, à la différence de l’Énergie industrielle qui, elle, rachète des compagnies existantes.

    35L’Omnium français d’électricité étant implanté majoritairement dans la région parisienne et en Bretagne, le changement de propriétaire transforme le paysage électrique régional. À partir de 1923-1924, les Durand dominent le conseil d’administration des sociétés de Samois, de Chartres, de Châtelet-en-Brie, de Grand-Fougeray (Ille-et-Vilaine), de l’Électrique de Bretagne et de Nogent-le-Rotrou même si, dans ce dernier cas, c’est toujours l’Omnium français d’électricité l’actionnaire majoritaire. L’originalité du développement du groupe Durand, dans le Bassin parisien, repose donc sur la prise de contrôle d’un petit groupe qui, par peur de tomber sous la dépendance d’un banquier, s’est placé dans le giron d’un pseudo-financier. Durand banquier est quelquefois remplacé par Durand comptable et gestionnaire, comme le montrent les exemples suivants.

    36La Compagnie d’éclairage électrique et de force avait rencontré, dès sa fondation en 1905, de nombreuses difficultés, dues en grande partie à l’inexpérience de ses dirigeants. Afin de se procurer des fonds, la compagnie n’avait cessé d’accroître son capital ou de vendre des réseaux, ce qui n’est pas le moyen le plus pertinent de se développer ! En outre, elle avait bien du mal à organiser le fonctionnement de ses installations de manière rationnelle, car « par suite des nombreux travaux d’électrification en cours, en Bretagne comme ailleurs, les ouvriers étant sollicités de tous côtés avec des traitements doubles et même triples de ceux payés par la compagnie, n’hésitaient pas à partir du jour au lendemain32 ». Une telle compagnie représentait une proie facile pour le groupe Durand. La prise de contrôle de cette petite société par l’Énergie industrielle accélère encore son démantèlement. Le directeur de l’Énergie électrique de la Basse-Loire est chargé de l’opération. Voilà qui témoigne du rôle joué par un directeur d’exploitation dans le développement du groupe dans la mesure où, a priori, la société qu’il dirige n’est pas juridiquement concernée par cette opération entre l’Énergie industrielle et la Compagnie électrique d’éclairage et de force.

    37C’est donc pour répondre à une demande que Pierre-Marie Durand étend ses ambitions. Quoique peu courante, cette requête ne constitue pas un cas isolé. La Société des forces motrices d’Orthez-Castetarbe charge son notaire de rechercher un partenaire financier. Depuis sa fondation elle n’avait pas été épargnée par les vicissitudes, témoignant d’une méconnaissance totale de l’industrie de la part des administrateurs, presque tous des notables locaux. En 1912, pour honorer une facture de 18 000 francs de travaux en 1912, ils avaient demandé un délai et fini par émettre 26 actions ! En 1917, le conseil d’administration réclame un nouvel effort financier car la société a un découvert en dépit de l’avance consentie par les membres du conseil sur leurs fonds propres. La situation est donc délicate et permet de comprendre l’appel de la compagnie dont les disponibilités se trouvent épuisées et les factures impayées du fait de l’absence de comptable ! Seule l’Énergie industrielle peut faire figure de repreneur, ce qui lui confère une position de force dans la négociation : elle possède la majorité du capital et prend la tête de la compagnie. Cette conquête aisée l’incite à s’étendre dans la région : Société des forces motrices du lac Bleu (à proximité de Tarbes), Société du gaz et d’électricité d’Oloron... Mais si les Durand jouent parfois de la naïveté de quelques administrateurs, il leur arrive fréquemment de se retrouver face à des industriels aussi aguerris qu’eux.

    Une stratégie frontale : jauger l’adversaire et s’imposer

    38La prise de contrôle de la Compagnie de Fréjus-Saint-Raphaël s’effectue à l’issue d’un puissant bras de fer car les membres du conseil d’administration, probablement méfiants face à l’intérêt que leur compagnie suscite chez Pierre-Marie Durand, entendent contrer ses ambitions. Le président du groupe Durand choisit alors de s’imposer par la force et, à l’assemblée générale du 27 janvier 1911, un huissier vient faire part de la protestation et des accusations portées par certains actionnaires, dont Pierre-Marie Durand, contre la gestion de l’équipe au pouvoir : « l’ordre du jour présenté par le conseil d’administration […] constitue une violation flagrante des statuts de la société, de la loi et des droits individuels des actionnaires ; parce qu’il n’appartient pas à l’assemblée générale de décider quels sont les véritables propriétaires des actions ; qu’il faudrait, pour ce faire, l’accord unanime de tous les actionnaires et qu’il n’appartient pas davantage au conseil, même en détenant d’une assemblée dans laquelle il se serait créé plus ou moins fictivement une majorité, d’éluder une responsabilité certaine, conséquence de ses délits, fautes ou faits antérieurs33 ». Les actionnaires proposent de nommer une commission chargée d’examiner les problèmes, ce qui ne semble pas faire retomber la tension car le président du conseil en exercice dont la gestion est contestée, lève la séance et part avec les registres de la société. L’assemblée proteste et la séance se poursuit. Pierre-Marie Durand est l’un des quatre membres désignés pour rechercher les fautes commises par l’administrateur-délégué.

    39Mais il existe une autre version des faits, celle de l’équipe dirigeante en place, qui rédige son propre procès-verbal de la séance : « M. Lourtis […] se trouvant à bout de forces a, en présence du parti pris de certains actionnaires coalisés par MM. Bressoux Louis et Durand et de la violence [sic] consciente de leur part des règles statutaires et du droit, dû suspendre un moment la séance. M. Bressoux […] s’est alors emparé de la présidence […] et, malgré la nouvelle protestation signifiée par l’huissier, a continué la séance sous la direction du bureau ainsi constitué... Enfin, M. Bressoux est parti, suivi des actionnaires coalisés avec lui, en emportant, malgré la sommation à lui signifiée par l’huissier […] la nouvelle feuille de présence dressée par lui34. » Un mois plus tard, une nouvelle assemblée a lieu. Les membres du conseil d’administration, bien que dûment convoqués, ne sont pas présents. En conséquence, aucun bilan n’est établi, aucune documentation n’est fournie au commissaire aux comptes, et certains administrateurs ont tenté de faire échouer l’assemblée en empêchant le dépôt des titres, ce que confirme un acte d’huissier. Tous ces faits aboutissent à la révocation du conseil d’administration, décidée à l’unanimité par les actionnaires présents. Pierre-Marie Durand fait alors son entrée au conseil en tant qu’administrateur-délégué ; il est accompagné d’Adhémar Péchadre, nommé président de la compagnie. Le changement d’équipe aggrave les tensions : les anciens administrateurs intentent un procès aux nouveaux dirigeants. En réaction, les actionnaires lancent eux aussi une action en justice contre les ex-administrateurs, estimant leur préjudice à 50 000 francs au moins.

    40La Société anonyme bourguignonne d’électricité, elle, n’est pas confrontée au retrait d’actionnaires importants, ne connaît pas de problèmes de trésorerie et distribue régulièrement des dividendes. Toujours est-il que l’Énergie industrielle et la famille Durand sont propriétaires d’un quart des actions en 1920 et ont donc remplacé les actionnaires locaux de l’origine. Là encore, il semble que l’installation des Durand ait rencontré une certaine hostilité : « M. Pierre Durand proteste de ne pas voir figurer dans cet ordre du jour sa demande […] pour la nomination d’un membre de son groupe au conseil d’administration de la société... Pour lui, les comptes présentés et les rapports du conseil et du commissaire sont incomplets, manquent de détail et de clarté ; et les renseignements communiqués ne permettent pas de se rendre compte de la marche de la société. Il déclare ne pouvoir approuver les comptes et les rapports tels qu’ils sont présentés35 ». Jusqu’en 1923, la seule tribune pour Pierre-Marie Durand est l’assemblée générale, mais en septembre, le conseil d’administration démissionne collectivement et est investi par la famille Durand, car l’Énergie industrielle est enfin actionnaire majoritaire.

    41Les deux exemples suivants montrent comment le groupe Loucheur s’oppose au groupe Durand. L’électrique de l’Orléanais avait été fondée, en 1912, par la Société Charles Lefebvre et Cie dans une logique de recherche de débouchés, car c’était une compagnie de travaux publics. C’est la raison pour laquelle le chef d’entreprise entendait gérer largement la nouvelle compagnie. Mais une société concurrente, l’Électrique du Loir-et-Cher, propriété du groupe Loucheur, prend une forte participation dans la nouvelle société et des conflits ne tardent pas à éclater au sein de l’Électrique de l’Orléanais qui se traduisent d’abord par une affirmation d’indépendance face à la compagnie Lefebvre. Le groupe Loucheur se propose comme médiateur et offre de s’occuper de la comptabilité de la compagnie en échange d’une place d’administrateur.

    42C’est le moment choisi par l’Énergie industrielle pour proposer son projet qui « consiste en une direction technique et administrative sans accaparement36 ». Or, elle apporte aussi une usine à Montargis, en échange d’actions, ce qui lui permet de renforcer sa pénétration dans la compagnie et donc d’y jouer un rôle actif dans la prise de décision. Le conseil se divise alors : trois administrateurs défendent le projet Loucheur alors que les quatre autres soutiennent celui de l’Énergie industrielle car deux d’entre eux ont déjà vendu leurs actions à l’Énergie industrielle. C’est le projet Durand qui l’emporte donc et les administrateurs opposés démissionnent, immédiatement remplacés par trois membres du groupe Durand. La possibilité de s’agrandir, grâce au réseau de Montargis, a pesé en faveur de l’Énergie industrielle dans cette affaire. De fait, le siège social ne tarde pas à être transféré à Paris. En outre, quelques semaines plus tard, Roger Durand obtient la délégation de pouvoirs.

    43La même année, une autre compagnie est l’objet d’affrontements entre les groupes Loucheur et Durand. Ce dernier, en prenant la direction de la Compagnie générale électrique du Sud-Ouest, se trouve à la tête, entre autres, des réseaux de Dax et de Blois. En effet, ses propositions ont été préférées à celles d’une filiale du groupe Giros-Loucheur, qui proposait de gérer le secteur de Blois moyennant un forfait annuel, l’amortissement des obligations et une ouverture de crédit car la compagnie continuerait à s’occuper du développement du secteur de Dax. L’administrateur-délégué se montre très sévère dans son analyse du projet : « la gérance demandée aboutit en somme à un abandon de propriété absolu37 ». L’administrateur-délégué juge la proposition de l’Énergie industrielle « beaucoup plus simple. On nous demande simplement de s’intéresser à notre affaire [et donc ces propositions] ont le mérite de ne nous priver d’aucune de nos chances futures38 ». Le conseil d’administration est très partagé car le représentant de la banque de Bordeaux déclare que toutes ses sympathies vont aux administrateurs de l’Électrique du Loir-et-Cher et estime que, dans l’intérêt des actionnaires, il conviendrait de traiter avec l’Électrique du Loir-et-Cher. Cependant, c’est la proposition de l’Énergie industrielle qui obtient la majorité des voix.

    44Parallèlement, Pierre-Marie Durand essaie de renforcer son implantation dans le sud de la France, malgré la concurrence de l’Énergie électrique du littoral méditerranéen39. Celle-ci dominait largement la région lorsque les Durand tentèrent de s’y implanter. Elle y menait une politique de croissance interne rapidement complétée entre 1905 et 1913 par une politique de croissance externe identique à celle de l’Énergie industrielle. Ainsi, il apparaît bien que, dès avant la guerre, nombre de compagnies d’électricité n’étaient déjà plus indépendantes. L’Énergie industrielle investit dans la Société d’électricité de Monte-Carlo et dans la Compagnie électrique de la Méditerranée qui souffre d’une instabilité de ses actionnaires, au nombre desquels figurent, en 1913, les illustres frères Lumière. L’Énergie industrielle n’y est un actionnaire important qu’à partir de 1917. L’objectif n’est pas une simple prise de participation. Au contraire, Pierre-Marie Durand recherche bien le contrôle total de la société. Il mène donc une stratégie de constitution de filiales car le changement des actionnaires, suivi de celui de l’équipe dirigeante, est effectué en quelques semaines. Le groupe Durand a donc bien adopté une stratégie comparable à celle de la Société générale italienne Edison d’électricité. « La politique d’expansionnisme financier […] se développe selon une méthode appelée de pénétration silencieuse... Cette méthode d’expansion financière est liée aux modalités de développement de l’activité industrielle qui s’oriente, dès le début, vers une voie indirecte, à travers des participations dans d’autres sociétés de production et de distribution plutôt que par la voie directe, c’est-à-dire la construction d’installations40 ».

    Une stratégie frontale : renoncer face à un adversaire trop puissant

    45L’Énergie industrielle connaît quelques revers, mais ils sont peu fréquents grâce au grand pragmatisme de la stratégie. En 1909, constatant que la réalisation de bénéfices pour l’ Est-Électrique demande encore un ou deux ans, le conseil d’administration admet que « l’Énergie industrielle aurait avantage […] à céder les actions dont elle est propriétaire. M. Barthélemy Durand, principal actionnaire de la Société ardennaise, serait disposé à acquérir la plus grande partie des actions à un prix qui paraît acceptable41 ». De surcroît, le surplus des actions est repris par Pierre-Marie en son nom propre et il paie en obligations d’une compagnie de tramways. Ainsi, la société anonyme Durand vend cette compagnie à deux membres de la famille Durand, réalisant, ici, une simple mutation juridique. Cette pratique avait pour but de n’offrir à l’Énergie industrielle que des affaires sûres et rentables, alors que les membres de la famille prenaient à titre personnel les premiers risques et en obtenaient un dédommagement sous la forme de plus-values. Au début des années 1920, Barthélemy Durand est président de cette compagnie qui est domiciliée au siège de l’Énergie industrielle42.

    46En 1912, Pierre-Marie Durand, nommé gérant de deux affaires de distribution, dont la Société des eaux de Berck-sur-Mer, Lens et Extensions, en liquidation judiciaire, propose d’en rattacher la gestion à l’Énergie industrielle. Cette nouvelle preuve de la différenciation des affaires de Pierre-Marie d’avec celles de la société révèle aussi les tentatives d’implantation dans le nord-est de la France, une zone toutefois largement contrôlée par la Société générale d’entreprises43 et par le groupe Empain. D’autres départements de la région intéressent également la famille Durand. Dès 1911, l’Énergie industrielle tente de s’implanter dans l’Aube et en Meurthe-et-Moselle. Si la croissance externe est largement dominante, elle n’est toutefois pas exclusive ni pour l’Énergie industrielle ni pour de nombreuses compagnies telles la Compagnie générale d’électricité. Pour autant, l’enracinement de l’Énergie industrielle dans le Nord-Est ne prend pas. Le réseau de l’Aube occasionne un important bénéfice car il est vendu en 1914 à la Champagne électrique qui règle avec ses actions. Ainsi, l’Énergie industrielle se trouve en contact avec la puissante Société générale d’entreprises, ce qui la conduit à renoncer à son extension dans cette région.

    47À la veille de la guerre, l’Énergie industrielle prend la direction de l’exploitation de la Compagnie générale électrique du Sud-Ouest. Toutefois, cette participation est très temporaire, car « les réseaux de cette société étaient enchevêtrés avec ceux de l’Électrique du Loir-et-Cher et des sociétés avoisinantes. Dans l’intérêt général, il convenait de les unifier par une exploitation commune. Nous sommes prêts à cette combinaison en cédant, à des prix d’ailleurs avantageux, nos intérêts dans cette société44 », ce qui est fait, en 1920, au profit de la Société lyonnaise des eaux et de l’électricité.

    48Dans certains cas, un compromis est établi après de longues années de lutte, sans qu’il soit aisé de déterminer le vainqueur. Ainsi, en 1911, Pierre-Marie Durand finit pas s’imposer dans la Société d’Alais. En conséquence, A. Grammont lui cède son poste d’administrateur-délégué et la société est immédiatement domiciliée au 94 de la rue Saint-Lazare, siège social de l’Énergie industrielle, « dont les affaires prospères sont une garantie de bonne gestion45 ». Quelques mois plus tard les statuts sont modifiés dans un climat de grande tension, comme le laisse sous-entendre ce compte rendu : « l’assemblée générale régulièrement constituée représente l’universalité des actionnaires, ses décisions sont obligatoires, même pour les dissidents, les incapables ou les absents46 ». À cette époque, personne n’a la majorité47 et il semble d’ailleurs que le conflit interne dépasse ces deux protagonistes.

    49Afin d’obtenir un renfort décisif, Pierre-Marie Durand décide de modifier les statuts, ce qui permet de nommer Adhémar Péchadre administrateur. En réponse, Alexandre Grammont tente d’asphyxier la compagnie en retardant au maximum la cession de son réseau de Montargis au nom d’excuses de circonstances : « Monsieur l’administrateur-délégué donne lecture au conseil d’une lettre par laquelle MM. Grammont, Ladoux et Petit déclarent s’opposer à l’examen par le conseil de la cession de Montargis pour la raison que leur notaire n’a pas été mis assez tôt au courant des projets d’actes à intervenir ; ces messieurs déclarent également qu’il leur est impossible de venir au conseil de ce jour48 ». La stratégie de blocage menée par l’ancienne équipe semble efficace puisque le conseil du 27 mars 1914 est alarmiste : « il est donc nécessaire que la société recherche, d’ici à un court délai, une combinaison financière pouvant lui permettre de faire face à cette situation ». L’établissement d’un compromis traîne en longueur puisque le problème n’est toujours pas réglé en 1917, malgré la constante augmentation de la part de l’Énergie industrielle dans le capital. Trouver un terrain d’entente avec l’industriel récalcitrant devient donc une priorité pour l’Énergie industrielle. Elle n’y parvient qu’en 1919 quand, détenant 7 000 des 7 500 actions de la société, elle réussit à obtenir la vente tant attendue, en échange, il est vrai, d’un poste d’administrateur de l’Énergie industrielle pour A. Grammont !

    50La croissance horizontale est donc sans nul doute la stratégie dominante du groupe puisque, dès 1907, celui-ci multiplie les implantations dans un vaste espace géographique. L’option choisie étant la croissance externe, l’Énergie industrielle investit dans un grand nombre de compagnies. Mais, en 1924, la clientèle est encore peu nombreuse : 115 399 abonnés sont officiellement répertoriés, dont 70 % sont desservis directement par la société mère. Le groupe alimente 540 000 habitants49. Les souscripteurs de force motrice sont peu nombreux alors que la clientèle touristique adopte aisément l’éclairage électrique, symbole de modernité. Au total, cette clientèle, massivement rurale, plutôt installée dans le Sud-Est, renâcle devant les hausses de tarifs demandées suite à l’inflation de la guerre et s’interroge devant la diversité des tarifs proposés. Cependant, les prises de participation ne se limitent pas exclusivement à des sociétés de production-distribution d’électricité. En effet, à partir de la guerre, l’Énergie industrielle tente aussi quelques essais de croissance verticale. Cette politique des filières comprend deux aspects : les activités en amont mais aussi les secteurs qui alimentent la distribution en clients, c’est-à-dire certaines activités industrielles comme les tramways ou les frigorifiques. L’un de ses attraits est d’éviter les intermédiaires et donc de favoriser la rentabilité générale du groupe.

    La diversification à partir de la première guerre : une politique de filière ?

    51Le groupe Durand se constitue à la fois par remontée des filières avec l’activité de production ou le BTP, mais aussi par la recherche de gros consommateurs comme les frigorifiques ou les tramways. Quant à l’optique du conglomérat, elle n’est pas encore écartée définitivement.

    En amont, une société de production et une filiale de BTP

    52La concentration verticale offre une large palette d’activités possibles. La plus proche de la distribution étant la production, l’Énergie industrielle crée une filiale dans le Sud-Est. Avant de produire, il faut construire les usines et il n’est pas surprenant que la société mère s’intéresse au secteur du bâtiment, car Pierre-Marie et Barthélemy ont une expérience de cette activité, à titre personnel.

    53Au total, à la fin de l’exercice 1918, il apparaît que l’Énergie industrielle a « acquis le contrôle de plusieurs sociétés de distribution de force et de lumière sur le littoral méditerranéen...[Elle a] également acquis des droits d’eau sur la Roya en vue de la constitution de chutes d’eau destinées à l’alimentation en électricité de cette importante région50 ». La seconde partie de la citation rappelle la stratégie habituelle du groupe Durand consistant à se rendre d’abord maître d’une clientèle par l’achat de réseaux et de sociétés de distribution puis, dans un second temps, de rechercher les moyens techniques de faire face à la demande. Rien de bien original, donc, si ce n’est que cet extrait augure un changement sensible dans la stratégie de la société qui, dès lors, accorde un intérêt croissant aux réalisations techniques qu’elle commence à financer. C’est ce que confirme la suite du bilan de 1919 : « notre société qui se préoccupe depuis longtemps de l’utilisation de la houille blanche a constitué, au début de cette année, une filiale spéciale pour l’étude et l’aménagement d’usines hydro-électriques. Cette société qui a été dénommée Hydro-Électrique du Sud-Est a été constituée par l’apport de trois chutes51 ». Elle est dotée d’un capital de 2 millions de francs, comprenant 2 650 actions émises contre espèces et 1 350 titres créés en représentation d’apports. Ces derniers proviennent de trois personnes dont Pierre-Marie Durand. L’Énergie industrielle procède donc comme d’habitude, par cession de propriétés et de droits acquis par son propriétaire en son nom propre.

    54Dès le départ, la Société hydro-électrique du Sud-Est est contrôlée intégralement par l’ Énergie industrielle et par la famille Durand. En conséquence, c’est Pierre-Marie Durand qui cumule les fonctions de président et d’administrateur-délégué. Toutefois, un concurrent, la Societa Elettrice Negri, intervient lors de la création de la compagnie et affirme posséder, d’une part, la moitié du canal qui conduit l’eau depuis le barrage de la Roya jusqu’à l’usine de Breil et, d’autre part, être propriétaire des terrains et bâtiments où se trouve l’usine électrique. Elle accuse les Durand « d’avoir abusivement omis de payer le loyer depuis l’année 1913 […] et […] depuis lors, d’avoir usé abusivement de l’eau...52 » La compagnie propose à titre d’arrangement d’être nommée administrateur de l’Hydro-Électrique du Sud-Est. On ignore comment l’affaire s’est terminée. Toujours est-il que la société italienne n’a jamais figuré au conseil d’administration de l’Hydro-Électrique du Sud-Est.

    55Au cours des premières années de fonctionnement, la société se consacre à l’obtention de toutes les autorisations nécessaires pour la réalisation de l’usine sur la Roya d’une puissance de 7000 CV, travaux qui débutent en 1924, ainsi qu’à l’acquisition d’autres droits sur des chutes dans le Tarn ou le Vercors. Désormais, donc, le groupe Durand possède une société spécialisée dans la production d’électricité. Les mesures prises par la loi de 1919 ont aidé la concentration verticale des entreprises hydroélectriques. Rares sont les entreprises privées se consacrant exclusivement à la production. Effectivement, l’aménagement de la chute d’eau, considérée comme un mode de production avantageux de l’électricité, n’est que l’accessoire d’une autre industrie, objet principal de l’entreprise, un moyen et non une fin. Toutes les sociétés propriétaires d’installations de houille blanche appartiennent à des groupes financiers plus ou moins puissants qui rattrapent dans d’autres branches le manque à gagner subi au départ.

    56Telle est la logique de Pierre-Marie Durand pour qui « l’aménagement de ces chutes demandera des immobilisations importantes qui ne pourront donner des résultats intéressants que dans un avenir éloigné. Ces immobilisations risqueraient de grever lourdement le capital social de l’Énergie industrielle et de rendre plus difficile le maintien de ses dividendes. C’est pourquoi [il] songe à la constitution d’une société spéciale dont les actions pourraient bénéficier pendant toute la période d’un dividende intercalaire53 ». Quand une entreprise a le choix entre croître par investissements neufs à intégrer dans l’entité juridique actuelle et se développer dans le cadre d’une entité juridique autonome, on peut penser que la première solution est moins coûteuse, car la création d’une nouvelle société nécessite des capitaux : frais de constitution, frais d’émission des actions... Dans certains cas cependant, l’entreprise peut trouver des avantages à créer une entité juridique indépendante pour poursuivre sa croissance. En effet, la création d’une filiale accroît les possibilités financières de l’ensemble société mère-filiale.

    57En 1921, l’Énergie industrielle décide de créer une société de travaux publics pour exécuter les travaux d’électrification communale. Elle démontre ainsi son ambition de contrôler la distribution d’énergie électrique en amont, à l’inverse de la Société générale d’entreprises qui est avant tout une entreprise de travaux publics qui investit dans la production-distribution d’électricité. Toutefois, cette situation n’est pas une nouveauté, mais la régularisation juridique d’une situation de fait, puisque, à de multiples reprises, mention est faite des travaux effectués par Pierre-Marie Durand en régie54. Plutôt que d’assurer les travaux en son nom propre, et compte tenu des disponibilités financières de plus en plus importantes qu’impliquent ces activités, Pierre-Marie Durand estime plus avantageux de créer une société anonyme pour ce secteur spécialisé.

    58Cette société n’est pas établie ex nihilo, ce qui correspond bien à la démarche habituelle de la famille Durand. Son implantation en Bretagne ne surprend qu’à première vue. En effet, si l’Énergie industrielle rachète, dès sa fondation, beaucoup de secteurs électriques en difficulté, donc des réseaux qui fonctionnent déjà, il n’y a presque qu’en Bretagne qu’elle procède à la mise en place des réseaux par l’intermédiaire de sa filiale l’Énergie électrique de la Basse-Loire. D’ailleurs, les entrepreneurs nantais qui ont construit l’usine de cette filiale sont sollicités. Ils reçoivent pour l’apport de leur compagnie 47 % des actions de l’Entreprise industrielle, le reste du million de francs du capital de la société nouvelle est partagé entre l’Énergie industrielle et ses administrateurs. Quant au conseil d’administration de la nouvelle compagnie il ne comprend que trois membres entre 1921 et 1924 : Pierre-Marie Durand (président), et les deux propriétaires de l’ancienne compagnie, P. Brossier, ingénieur civil (administrateur-délégué), et A Debec, entrepreneur de travaux publics. La société est donc sous la coupe de l’Énergie industrielle car, en dépit d’un siège social breton, toutes les réunions se déroulent à Paris au siège de la société mère, où sont domiciliés les services financiers et le contentieux. L’Entreprise industrielle est donc bien une filiale de l’Énergie industrielle et un élément marquant de la politique de filière.

    59Les administrateurs sont confiants durant cette période de mise en marche de la compagnie. En 1923, l’Entreprise industrielle entame sa spécialisation dans le domaine électrique, en commençant l’aménagement de deux centrales hydro-électriques dans les Basses-Pyrénées, à la demande de la société mère. Elle est, en outre, chargée de la construction de l’usine sur la Roya pour l’Hydro-Électrique du Sud-Est. C’est d’ailleurs essentiellement dans ce but que Pierre-Marie Durand a créé l’Entreprise industrielle car il ne souhaitait pas faire appel aux grandes compagnies de travaux publics qu’il considère comme des concurrents directs dans le domaine de la distribution d’électricité. Au cours de ces premiers exercices, l’Énergie industrielle renforce progressivement son poids dans la compagnie55. De plus, elle organise l’Entreprise industrielle selon ses principes de décentralisation et de responsabilisation du personnel de direction. « Il a paru utile [ ... ] de renforcer l’action du personnel dirigeant sur le personnel exécutant et de développer la comptabilité de façon à permettre d’individualiser chaque chantier et d’en suivre au jour le jour les résultats autant que faire se peut56. »

    60La logique de filière est étendue aux moindres détails puisque l’Énergie industrielle assure même l’approvisionnement de l’Entreprise industrielle. Le bilan de l’exercice 1918 signale que l’Énergie industrielle a « notablement étendu ses entreprises d’exploitations forestières » ; or, son portefeuille ne comprend aucun titre correspondant. C’est probablement Pierre-Marie Durand qui est actionnaire de ces différentes affaires. En effet, l’Énergie industrielle consomme une grande quantité de poteaux, preuve que son rôle dans l’électrification nationale ne peut être réduit à néant. À partir de 1918, la société procède à l’installation de chantiers pour le travail des bois et des poteaux injectés, tant en Savoie que dans les Landes. Pour Dax, une société anonyme spéciale au capital de 3 millions de francs, le Comptoir industriel des bois, voit le jour. La part du groupe Durand dans la compagnie nouvelle se monte à 27 %. Par de tels investissements, le groupe Durand n’innove pas, dans la mesure où cette politique de remontée des filières a d’autres adeptes, telle la Société générale d’entreprises.

    En aval, des sociétés liées à l’activité électrique ou à la recherche de consommateurs

    61Si les résultats connus dans l’activité amont sont fluctuants, ceux du secteur aval déçoivent bien souvent. La diversité est là encore le maître mot, puisque la société investit dans les frigorifiques, les tramways, la construction électrique, les films...

    62L’Énergie industrielle entre en contact avec la Société des glacières et frigorifiques de Saint-Nazaire, dès sa fondation, en 1913, par le biais de sa filiale, qui la considère comme un client important et se place en situation d’observateur de son développement. Cinq ans plus tard, la société sort de sa période de mise en marche et décide de porter son capital à 1 million. L’Énergie industrielle en profite pour devenir actionnaire, car cette société, domiciliée chez l’Énergie électrique de la Basse-Loire, a passé avec l’armée américaine et l’intendance française des contrats. Cette stratégie de croissance verticale est mise en œuvre par un grand nombre de compa 57 gnies57 .

    63L’Énergie industrielle possède presque un quart des actions et obtient aussi la domiciliation des services financiers et de la comptabilité des Frigorifiques de Saint-Nazaire. En 1920, le conseil d’administration est composé de 11 membres dont deux Durand et trois membres du groupe. L’Énergie industrielle a donc renforcé sa présence dans l’équipe dirigeante en profitant du doublement du capital social en 1920. A cette date, la compagnie dispose d’un grand entrepôt frigorifique de 3 000 tonnes qui est muni de tous les perfectionnements modernes. L’Énergie industrielle est bien alors un groupe, puisque c’est la société mère qui investit dans une entreprise afin de favoriser les résultats d’une troisième compagnie, une filiale. La rentabilité est donc envisagée à l’échelle de l’ensemble et non de chaque entité.

    64Cette nouvelle aspiration de l’Énergie industrielle, consistant en l’utilisation des disponibilités financières par l’investissement dans des sociétés consommatrices, porte ses fruits. Premièrement, elle accroît la demande d’électricité à l’Énergie électrique de la Basse-Loire et donc les bénéfices, et, deuxièmement, la Société des frigorifiques distribue un dividende de 10 % par an au début des années 1920. C’est une stratégie clairement énoncée en 1918 : « Monsieur le président expose l’intérêt qu’il pourrait y avoir pour la société à prendre des participations dans certaines affaires industrielles et commerciales s’éloignant un peu de l’objet direct de notre entreprise, mais qui l’y rattacheraient cependant par quelques liens. Indépendamment des placements avantageux que notre société pourrait ainsi effectuer, elle trouverait le moyen d’employer fructueusement ses disponibilités58. » Toutefois, un rapport sur le groupe Durand effectué par le Crédit lyonnais donne une vision différente : « la participation [dans les] Frigorifiques de Saint-Nazaire a donné de médiocres résultats. Elle concernait d’ailleurs, de même que d’autres participations réalisées depuis, une entreprise dont l’objet social était sans rapport direct avec celui de la société59 ». Ce jugement semble bien sévère, car les Frigorifiques sont incontestablement un client important de la distribution d’énergie électrique, même s’ils ne sont pas les seuls.

    65Cette logique de filière est très nette dans le domaine des tramways, d’autant que c’est par un choix de remontée des filières que la famille Durand, actionnaire de compagnies de tramways, a été conduite vers le secteur de la production-distribution d’énergie électrique. En 1910 des titres de sociétés de tramways apparaissent dans le portefeuille de l’Énergie industrielle. En effet, Pierre-Marie Durand, directeur de la Compagnie des tramways de Limoges, propose à l’Énergie industrielle d’acheter des actions car les cours sont relativement bas. Cette participation pèse probablement sur le renouvellement d’un contrat de fourniture pour neuf ans avec l’Énergie industrielle. Toutefois, cette dernière ne réalise qu’une brève incursion dans cette compagnie car, dès l’année suivante, en 1911, elle annonce avoir « liquidé dans des conditions avantageuse ses intérêts dans la Compagnie des tramways électriques de Limoges60 ». Rien n’empêche Pierre-Marie Durand d’avoir conservé des participations personnelles de son côté.

    66En 1912, l’Énergie industrielle tente une autre expérience en rachetant des titres de la Compagnie des tramways de Clermont-Ferrand et du Puy-de-Dôme qui lui sont vendues par l’un de ses propres administrateurs. À la même époque, l’Énergie industrielle assure la domiciliation de la Société des voies ferrées du Dauphiné bien qu’elle n’en soit pas actionnaire. Il est probable, par contre, que Pierre-Marie Durand soit, lui, souscripteur et qu’il fasse profiter cette société de la surface financière du groupe Durand. Ainsi, par exemple, l’Énergie industrielle donne sa caution pour une avance de 100 000 francs accordée par une banque à cette société de tramways qui se propose d’électrifier une ligne desservant la vallée très industrielle de la Romanche. Mais les voies ferrées du Dauphiné, à la suite des grèves de 1919, sont déclarées déchues de leur concession, l’exploitation est reprise par le département et les projets d’électrification abandonnés. Néanmoins, la compagnie perçoit une indemnité de plus de 3 millions de francs pour le matériel et les équipements. C’est donc un nouveau désengagement qui intervient de la part de Pierre-Marie Durand dans les tramways car l’Énergie industrielle n’a jamais été actionnaire de cette société.

    67La logique de filière n’est cependant pas abandonnée car, en 1920, l’Énergie industrielle entre en « pourparlers avec les principaux actionnaires de la Compagnie [des tramways de Lourdes]... laquelle possède, en dehors des tramways eux-mêmes, une usine d’un millier de chevaux sur le gave de Pau61 ». Ainsi, les prises de participation dans les compagnies de tramways peuvent être analysées comme la recherche d’un débouché, mais aussi, dans certains cas, comme une alliance avec un producteur d’électricité qui peut, éventuellement, suppléer les faiblesses du potentiel productif du groupe Durand. Le conseil d’administration donne son accord au projet d’acquisition de la majorité des actions de cette compagnie mais un obstacle a dû s’opposer à la réalisation, car on ne trouve pas trace des titres dans le portefeuille de l’Énergie industrielle.

    68Au total, ces incursions dans le monde des tramways ne sont pas un franc succès ou alors seulement éphémère. Ce gros consommateur potentiel d’électricité que sont les tramways et les trains échappe pour la plus grande partie au groupe Durand. Il est accaparé par de grosses compagnies comme la Société générale d’entreprises, le groupe Thomson62 et le groupe Empain63. Ainsi, le cas de l’Énergie industrielle semble atypique : c’est l’un des rares groupes à rencontrer des difficultés majeures dans la mise au point de sa politique de croissance verticale. Sa situation est, à l’époque, comparable à celle du groupe Giros-Loucheur dont « l’intégration verticale […] était bien modeste et tardive comparée à celle d’un autre groupe électrique, Empain […] devenu actionnaire principal du métro de Paris64… ». Comment expliquer cette succession d’échecs dans la prise de contrôle des tramways ? Les choix de l’Énergie industrielle sont-ils en cause : participation dans des compagnies d’intérêt local seulement ? Mais les échecs de l’Énergie industrielle dans sa stratégie de croissance verticale ne sont pas limités au secteur des tramways.

    69En 1918, l’Énergie industrielle engage des pourparlers avec le principal intéressé d’une société qui possède à Suresnes une usine employant environ 500 ouvriers. Un investissement dans cette affaire de constructions électriques permet à Pierre-Marie Durand d’obtenir le fauteuil de la présidence ainsi qu’un contrat de domiciliation de la compagnie chez l’Énergie industrielle. La famille Durand prend donc le contrôle d’un autre type d’entreprise industrielle traditionnelle. Toutefois, un an plus tard, l’affaire est revendue : échec financier, difficultés industrielles, changement de stratégie...? La documentation reste laconique : « les diverses personnes de notre groupe ayant également vendu leurs titres, il [Pierre-Marie Durand] a donné sa démission de président et administrateur ». En 1918, l’Énergie industrielle décide d’investir dans une société nouvelle ayant pour but la construction, l’entretien et la réparation de chemin de fer. C’est toujours la volonté d’établir un développement axé sur la concentration verticale qui s’affirme : « cette entreprise consommera des quantités importantes de bois et pourra devenir une intéressante cliente pour les scieries que l’Énergie industrielle a installées65 ». N’ayant pas obtenu la domiciliation de la société, la participation est revendue en 1919.

    70En 1922, l’Énergie industrielle achète quelques bons de la Société des films Éclipse. Il semble que les deux compagnies aient été en contact précédemment, probablement parce que la famille Durand avait investi à titre personnel dans cette compagnie. Sinon, comment expliquer que les services financiers et comptables des films Eclipse soient domiciliés chez l’Énergie industrielle depuis 1919 et qu’elle ait « consenti à cette dernière des avances sur son compte courant66 » ? En 1921, Pierre-Marie Durand demande le remboursement de 750 000 francs, mais la compagnie cinématographique manque de disponibilités et l’Énergie industrielle lui prête la somme. Ainsi, Pierre-Marie Durand se dégage d’un placement devenu hasardeux au profit de l’Énergie industrielle.

    71Ce développement vers l’aval est donc assez souvent temporaire et ne correspond pas aux capacités du groupe. À l’inverse, cette stratégie est brillamment conduite par la Société générale d’entreprises. Lorsqu’elle prend le contrôle du Central électrique du Nord et indirectement de l’Énergie électrique du Nord de la France, deux sociétés de production-distribution d’électricité, elle permet à Giros et Loucheur de devenir les maîtres de l’un de leurs plus importants clients. Cette stratégie est menée dans le long terme, puisque la Société générale d’entreprises participe à la constitution, ou prend des participations, dans la Compagnie électrique de la Loire et du Centre en 1912, dans l’Union d’électricité et dans l’Énergie électrique du Sud-Ouest en 1921, dans la Société des forces motrices de la Loue en 1922, dans l’Union hydro-électrique armoricaine en 1923 et enfin dans l’Est-Lumière et dans l’Hydro-Électrique des Basses-Pyrénées en 1924. L’échec des tentatives de croissance verticale de l’Énergie industrielle s’accompagne également, durant ces deux premières décennies de fonctionnement, d’essais plus ou moins réussis de diversification dans des secteurs sans rapport direct avec l’électricité.

    Former un conglomérat : un objectif de la famille Durand plus que de l’Énergie industrielle

    72L’activité électrique est le cœur de l’activité industrielle des Durand. Cependant, au cours de ses deux premières décennies d’existence, l’Énergie industrielle recherche toutes les possibilités de croissance externe qui se présentent dans les régions qu’elle dessert déjà : industrie minière ou distribution d’eau, par exemple.

    73Dès avant la création de l’Énergie industrielle, la famille Durand place des capitaux dans l’industrie minière. La première assemblée générale des Mines d’anthracite des Grandes-Rousses, dans le Dauphiné, se déroule en 1905 et c’est Pierre-Marie Durand qui préside le conseil d’administration. La seconde compagnie minière investie par l’Énergie industrielle est la Compagnie des mines d’anthracite et de talc du Dauphiné, définitivement constituée en 1908. Troisième exemple : la Compagnie foncière et minière de Madagascar qui est propriétaire d’un contrat signé en 1905 avec le général Galliéni, gouverneur général de Madagascar. Ce contrat accorde 100 000 hectares de terres domaniales dont moitié au maximum en forêt, à prendre sur le territoire de l’île. En échange de cet apport, elle obtient la majorité absolue du capital social et Pierre-Marie Durand siège au conseil d’administration. Celui de l’Énergie industrielle fournit une version différente des événements, ne présentant pas la famille Durand comme cofondatrice de la compagnie, mais comme simple repreneur en 1910, donc toujours dans une logique de croissance externe.

    74Quoi qu’il en soit, les premiers contacts directs entre l’Énergie industrielle et la Compagnie foncière et minière de Madagascar datent de la Première Guerre mondiale. « Après la guerre, l’Énergie industrielle, en raison de l’intérêt qu’elle porte au développement de Madagascar, accepte d’avancer à cette société, en compte courant les sommes nécessaires pour mener à bien les plantations de mimosa qu’elle avait entreprises […] et la construction de l’usine de séchage des écorces67. » À cette date, la société possède 42 000 hectares de forêt et 36 000 hectares de plantation. En 1924, les résultats annuels sont toujours déficitaires, ce qui fait que la compagnie reste sous la dépendance de Pierre-Marie Durand et que l’Énergie industrielle n’est toujours pas propriétaire de titres à cette date. Ainsi, si le groupe Durand peut aussi, par certains côtés, prétendre au caractère de conglomérat, c’est essentiellement à la famille Durand qu’il le doit et non à l’Énergie industrielle.

    75Ces deux partenaires se retrouvent aussi pour la distribution d’eau dans l’île de Madagascar, en 1909. Un conseil d’administration de l’Énergie industrielle souhaite « traiter avec Pierre-Marie Durand pour la cession du marché d’entreprise en régie des travaux relatifs à l’installation du service des eaux à Tananarive68 ». Le coût estimé pour l’usine élévatoire et la mise en place de la distribution d’eau est de 750 000 francs. L’Énergie industrielle achète des actions en 1909 et en 1910. Un ingénieur-conseil est notre principale source d’information et son analyse illustre les mentalités occidentales de la Belle Époque : « par suite d’habitudes ancestrales, l’indigène tananarivien est économe de l’eau […] les indigènes […] sont de grands enfants... Mais on aurait eu tort de spéculer sur ces habitudes d’économie […] dont la persistance aurait été la négation de notre rôle de civilisateurs69 ». Et, en effet, la consommation moyenne par jour et par habitant passe de 12 litres en 1911 à 23 litres en 1914. L’administration opte pour le projet visant à puiser l’eau dans la rivière et à élever cette eau dans le réseau de distribution. À cause de l’étagement de la ville, trois réservoirs sont installés d’une capacité totale de 1 500 mètres cubes. La distribution publique est assurée pour les 60 000 habitants par 180 bornes fontaines. L’inauguration officielle de l’adduction d’eau a lieu en 1910 et aucune interruption ne se produit au cours de ce premier exercice. En 1911, l’Énergie industrielle réalise les installations d’eau des quatre casernes et de l’hôpital militaire de Tananarive, ce qui accroît notablement la consommation. En 1915, un service est organisé pour l’installation de fosses septiques. Cette activité, hautement technique, est durable, d’autant que, depuis la fin du premier conflit mondial, le groupe a aussi en charge une autre exploitation d’eau, celle de Monte-Carlo.

    *

    76Entre 1906 et 1924, les Durand, famille de petits notables de la région lyonnaise, ébauchent un petit groupe de production-distribution d’énergie électrique. La première étape consiste en la création, en 1906, d’une entreprise compétitive, l’Énergie industrielle, qui s’impose face à la concurrence et prend de l’ampleur. Elle cherche sa voie et si elle choisit majoritairement la croissance horizontale, il lui arrive parfois d’investir dans des compagnies de tramways, de bâtiment et de travaux publics, mais aussi dans des mines, sans grand succès d’ailleurs. Pourquoi ? Probablement parce que la politique de filière est attrayante pour qui cherche à maîtriser ses coûts de production, qui a besoin de rapports privilégiés avec ses fournisseurs et souhaite s’assurer des débouchés, donc pour un industriel. La logique industrielle place le système productif au cœur des préoccupations car l’entrepreneur cherche à produire à moindre coût. Pour cela, il limite la concurrence en ayant toujours les mêmes fournisseurs et en élaborant une sorte de produit type ou standard. Or, cette notion est totalement absente de l’industrie de la production-distribution d’électricité qui n’a pas de gammes d’électricité ou de qualités différentes d’énergie.

    77En outre, la fondation de l’ Énergie industrielle, en 1906, est peut-être trop tardive pour élaborer ce genre de politique. En effet, les principaux acteurs de la filière BTP, mais aussi les constructeurs de matériel électrique ont créé leurs sociétés de production-distribution d’énergie électrique cinq ou dix ans avant l’Énergie industrielle et ils ont une assise financière bien supérieure. Ainsi, l’Énergie industrielle n’est, en quelque sorte, pas de taille à rivaliser avec eux. De fait, elle ne s’implante que dans des compagnies de tramways de villes moyennes. Celles-ci ne sont pas les plus rentables ; mais les grandes agglomérations ont déjà des concessionnaires.

    78Enfin, la politique de filière semble plus adaptée à des groupes qui ont une logique fondamentalement industrielle. Or, Pierre-Marie Durand n’est pas, par sa formation, un industriel. De ce qui apparaît comme un handicap, il a su faire une stratégie70, en se spécialisant dans une seule activité industrielle, la distribution d’énergie. Cette croissance horizontale, il choisit de la réaliser de façon externe, ce qui confirme l’hypothèse de C. Omnès71 pour qui le développement des participations financières est le mode de croissance privilégié du capitalisme financier. Pierre-Marie Durand est assurément plus un financier qu’un industriel. Sa recherche d’une rentabilité quasi immédiate l’amène à se retirer très rapidement des sociétés dont il juge le développement aléatoire. La croissance externe, axe dominant de sa stratégie, relève de choix précoces et d’une politique constante qui n’est jamais remise en question. Ainsi, au cours de ses premiers exercices, l’Énergie industrielle multiplie les participations dans les compagnies de production-distribution d’énergie électrique et s’impose, avec succès, dans tout l’Hexagone. À cette fin, elle a su adopter des modes de contrôle variés : rachats multiples, opérations d’électrification, prise de contrôle d’un groupe ou création d’une filiale. En tout cas, l’efficacité de sa méthode sous-entend une solide connaissance du milieu et une estimation pertinente de la puissance de ses concurrents. C’est ainsi qu’il faut interpréter sa prudente retraite du Nord-Est de la France.

    79L’Énergie industrielle est-elle un groupe ? Un groupe est une structure choisie, « une forme originale et souple, plus avancée que la simple entente et moins poussée que l’absorption ou la fusion72 ». Le groupe est « l’ensemble formé par une société mère […] et les sociétés filiales placées sous son contrôle73 ». C’est surtout un ensemble de sociétés unies par des liens financiers complexes et relevant de la même autorité économique : celle-ci détermine une politique générale et exerce un pouvoir de contrôle sur les sociétés. Cependant, pour qu’il y ait groupe, une coordination administrative est nécessaire ainsi qu’un plan de développement. Voici une première ébauche de définition d’un sujet de débats chez les économistes.

    80Le groupe Durand récupère les confettis électriques, les zones rurales dédaignées par ses gros concurrents. Il les transforme en or, car cette clientèle ne sait pas, contrairement aux grands industriels des zones urbaines, négocier des tarifs avantageux. Ainsi, les Durand posent les bases d’un groupe et d’une puissance multirégionale, pendant vingt ans, avant de s’attaquer aux vrais marchés rentables des zones urbaines à partir de 1925 et d’organiser un véritable groupe.

    Notes de bas de page

    1 Le tiers et non le quart, l’un des fils étant décédé avant le père.

    2 Il s’agit du teinturier, fondateur de la dynastie du même nom, lui aussi originaire de Bully. La transaction portait sur 2,05 hectares de terres dont 0,68 hectare de vigne.

    3 Cette affirmation d’Hervé Joly est à nuancer. En effet, il n’y a point de rapport entre cette aisance rurale et les possibilités financières de Pierre-Marie Durand au moment de la création de l’Énergie industrielle.

    4 9000 francs de terre, soit 3,2 hectares dont la moitié de vigne, procurant un revenu annuel de 450 francs.

    5 Née à Roanne en 1876.

    6 Notice communiquée par Jacques-Michel Durand.

    7 Beltran (Alain), Bungener (M.), Picard (J.-F), Histoire(s) de l’EDF. Comment se sont prises les décisions de 1946 à nos jours, Paris, Dunod, 1985, p. 13. En outre, cette date expliquerait peut-être la séparation de biens d’avec sa femme en 1903, opérée par prudence.

    8 Conseil d’administration de l’Énergie industrielle du 24 avril 1942.

    9 De cette union sont nées deux filles.

    10 Cette particule se retrouve aussi dans sa déclaration de succession. D’après L’Encyclopédie de la fausse noblesse et de la noblesse d’apparence, 1931, p. 131. « le lieutenant de vaisseau Després sollicite en vain, le 5 février 1899, l’autorisation d’ajouter à son nom celui de son arrière-grand-père, le maréchal de Losme ».

    11 Malgré l’évident anachronisme, on a privilégié l’utilisation des noms des régions.

    12 Rapport du commissaire aux apports, 1907.

    13 Ibid.

    14 Ibid.

    15 Ibid.

    16 « Un coefficient d’exploitation de 50 % pour une affaire d’éclairage n’a rien d’optimiste. »

    17 Morsel (Henri), « Les producteurs d’électricité. Leur organisation et leurs politiques », dans Caron (François) (dir.), Histoire de l’électricité en France, vol. I : 1881-1918, Paris, Fayard, 1991, pp. 794-795.

    18 Conseil d’administration de l’Énergie industrielle du 1er décembre 1917.

    19 Conseil d’administration de la Compagnie de la Haute-Dordogne du 19 septembre 1920.

    20 Annexe 2 : Administrateurs de l’Énergie industrielle.

    21 Fondée en 1902, cette compagnie a comme administrateur A. Bouchayer.

    22 Conseil d’administration de l’Énergie industrielle du 29 juin 1911.

    23 Paturel (Robert), Croissance interne et croissance externe des entreprises, Université de Grenoble, thèse pour le doctorat d’État de droit, 1978, p. 96 et 97.

    24 Conseil d’administration de l’Énergie industrielle du 15 mai 1907.

    25 Revue générale d’électricité, 8 août 1931, p. 212.

    26 Conseil d’administration de l’Énergie industrielle du 2 mars 1909.

    27 Six mois plus tard, Adhémar Péchadre présente un exposé détaillé du succès prévisible de cette entreprise, assurant un minimum de 10 % de rémunération du capital dépensé.

    28 Conseil d’administration de l’Énergie industrielle du 9 février 1921.

    29 Conseil d’administration de l’Énergie industrielle du 4 août 1920.

    30 À l’origine, ce groupe est une tréfilerie familiale lancée en 1840. Alexandre Grammont est le fils du fondateur.

    31 Le capital social de la Société d’éclairage électrique d’Alais est réduit puis augmenté, ce qui permet à Grammont de devenir l’actionnaire majoritaire. En outre, il apporte de l’argent frais échangé contre des obligations de la société. Ainsi, pour 350 000 francs, il prend le contrôle de cette affaire qu’il intègre à son patrimoine.

    32 Assemblée générale de la Compagnie d’éclairage et de force du 10 avril 1912.

    33 Assemblée générale de la Compagnie de gaz et d’électricité de Fréjus et Saint-Raphaël du 27 janvier 1911.

    34 Ibid.

    35 Assemblée générale de la Société anonyme bourguignonne d’électricité du 28 septembre 1920.

    36 Conseil d’administration de l’Électrique de l’Orléanais du 12 janvier 1914.

    37 Conseil d’administration de la Compagnie générale électrique du Sud-Ouest, du 24 février 1914.

    38 Ibid.

    39 Fondée en 1900, celle-ci résulte d’une entente entre Thomson-Houston, propriétaire de 52 % des 4 millions de francs du capital, et la Société marseillaise de crédit pour 20 % des actions. Le reste des titres est partagé entre la Société des grands travaux de Marseille et l’Omnium lyonnais.

    40 Pavese (Claudio), « La naissance et le développement de la Société générale italienne Edison d’électricité jusqu’à la constitution de son groupe : 1880-1919 », dans Un siècle d’électricité dans le monde, 1880-1980, p. 392, (Actes du premier colloque international d’histoire de l’électricité organisé par l’AHEF, Paris, 15-17 avril 1986), Paris, PUF, 1987.

    41 Conseil d’administration de l’Énergie industrielle du 16 juin 1909.

    42 Le capital est alors de 6 millions de francs pour une société de 182 salariés qui dessert 98 000 habitants.

    43 En 1905, la Société générale d’entreprises a participé à la fondation de l’Énergie électrique du nord de la France et de la Société roubaisienne d’éclairage par le gaz et l’électricité et, en 1910, elle prend le contrôle du Central électrique du Nord.

    44 Bilan de l’Énergie industrielle en 1920.

    45 Conseil d’administration de la Société d’éclairage électrique de la ville d’Alais du 4 mai 1911.

    46 Assemblée générale de la Société d’éclairage électrique de la ville d’Alais du 7 août 1911.

    47 L’Énergie industrielle possède 34 % des actions et A. Grammont 27 %.

    48 Conseil d’administration de la Société d’éclairage électrique de la ville d’Alais du 7 février 1912.

    49 Annexe 3 : Géographie du groupe Durand en 1924.

    50 Bilan de l’Énergie industrielle en 1919.

    51 Ibid.

    52 Lettre du 5 décembre 1920 adressée à P.-M. Durand.

    53 Conseil d’administration de l’Énergie industrielle du 14 janvier 1920.

    54 Conseil d’administration de l’Énergie industrielle du 25 novembre 1908. « Pour la construction de ces lignes [50 km dans le réseau Rhône-et-Loire] M. Durand propose de les exécuter en régie avec une majoration de 11 % sur le total des travaux. »

    55 Ainsi, lors de l’assemblée générale annuelle de 1923, elle possède 886 actions sur 1 000.

    56 Assemblée générale de l’Entreprise industrielle du 25 juin 1923.

    57 Cayez (Pierre), « Structure et stratégie de groupe : le cas de la société Souchon-Neuvesel, 1900-1940 », dans Entreprises et entrepreneurs, xixe-xxe siècle, ouvrage cité, p. 138. « Jusqu’en 1914, Souchon-Neuvesel a renforcé son assise régionale en nouant des liens privilégiés avec ses plus gros clients. »

    58 Conseil d’administration de l’Énergie industrielle du 6 septembre 1918.

    59 Archives privées du Crédit lyonnais, note 6110, février 1925.

    60 Bilan de l’Énergie industrielle en 1911.

    61 Conseil d’administration de l’Énergie industrielle du 15 novembre 1920.

    62 Lanthier (Pierre), « L’industrie de la construction électrique en France avant 1914 », dans Caron (François), (dir.), Histoire de l’électricité..., ouvrage cité, p. 697.

    63 Lanthier (Pierre), Les Constructions électriques en France..., ouvrage cité, p. 249.

    64 Lanthier (Pierre), « L’industrie de la construction... », art. cité dans Caron (François) (dir.), Histoire de l’électricité..., ouvrage cité, p. 714. « 11 investit dans la Compagnie parisienne de distribution d’électricité, les Tramways de Paris et du département de la Seine et les Tramways de Nantes. »

    65 Conseil d’administration de l’Énergie industrielle du 30 juillet 1918.

    66 Conseil d’administration de l’Énergie industrielle du 9 février 1921.

    67 Conseil d’administration de l’Énergie industrielle du 4 octobre 1934.

    68 Conseil d’administration de l’Énergie industrielle du 2 mars 1909.

    69 Revue générale d’électricité, 4 août 1917, p. 169.

    70 Chandler (Alfred-D.), Stratégie et structure de l’entreprise, Paris. Éditions d’organisation, 1972, p. 39. « Les décisions stratégiques tiennent compte de la prospérité à long terme de l’entreprise. Les décisions tactiques concernent plutôt les opérations quotidiennes dont dépend la bonne marche de l’entreprise. »

    71 Omnès (Catherine), « Structures capitalistes et stratégies de croissance. Vallourec et l’industrie du tube. 1880-1978 », dans Entreprises et entrepreneurs, XIXe-XXe siècle, ouvrage cité, pp. 164-183.

    72 Cayez (Pierre), « Structure et stratégie... », art. cité dans Entreprises et entrepreneurs, xixe-xxe siècle, ouvrage cité, p. 146.

    73 Morin (François), La Structure financière du capitalisme français : situations et transformations. Paris, Calmann-Lévy, 1974, p. 19.

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    1 Le tiers et non le quart, l’un des fils étant décédé avant le père.

    2 Il s’agit du teinturier, fondateur de la dynastie du même nom, lui aussi originaire de Bully. La transaction portait sur 2,05 hectares de terres dont 0,68 hectare de vigne.

    3 Cette affirmation d’Hervé Joly est à nuancer. En effet, il n’y a point de rapport entre cette aisance rurale et les possibilités financières de Pierre-Marie Durand au moment de la création de l’Énergie industrielle.

    4 9000 francs de terre, soit 3,2 hectares dont la moitié de vigne, procurant un revenu annuel de 450 francs.

    5 Née à Roanne en 1876.

    6 Notice communiquée par Jacques-Michel Durand.

    7 Beltran (Alain), Bungener (M.), Picard (J.-F), Histoire(s) de l’EDF. Comment se sont prises les décisions de 1946 à nos jours, Paris, Dunod, 1985, p. 13. En outre, cette date expliquerait peut-être la séparation de biens d’avec sa femme en 1903, opérée par prudence.

    8 Conseil d’administration de l’Énergie industrielle du 24 avril 1942.

    9 De cette union sont nées deux filles.

    10 Cette particule se retrouve aussi dans sa déclaration de succession. D’après L’Encyclopédie de la fausse noblesse et de la noblesse d’apparence, 1931, p. 131. « le lieutenant de vaisseau Després sollicite en vain, le 5 février 1899, l’autorisation d’ajouter à son nom celui de son arrière-grand-père, le maréchal de Losme ».

    11 Malgré l’évident anachronisme, on a privilégié l’utilisation des noms des régions.

    12 Rapport du commissaire aux apports, 1907.

    13 Ibid.

    14 Ibid.

    15 Ibid.

    16 « Un coefficient d’exploitation de 50 % pour une affaire d’éclairage n’a rien d’optimiste. »

    17 Morsel (Henri), « Les producteurs d’électricité. Leur organisation et leurs politiques », dans Caron (François) (dir.), Histoire de l’électricité en France, vol. I : 1881-1918, Paris, Fayard, 1991, pp. 794-795.

    18 Conseil d’administration de l’Énergie industrielle du 1er décembre 1917.

    19 Conseil d’administration de la Compagnie de la Haute-Dordogne du 19 septembre 1920.

    20 Annexe 2 : Administrateurs de l’Énergie industrielle.

    21 Fondée en 1902, cette compagnie a comme administrateur A. Bouchayer.

    22 Conseil d’administration de l’Énergie industrielle du 29 juin 1911.

    23 Paturel (Robert), Croissance interne et croissance externe des entreprises, Université de Grenoble, thèse pour le doctorat d’État de droit, 1978, p. 96 et 97.

    24 Conseil d’administration de l’Énergie industrielle du 15 mai 1907.

    25 Revue générale d’électricité, 8 août 1931, p. 212.

    26 Conseil d’administration de l’Énergie industrielle du 2 mars 1909.

    27 Six mois plus tard, Adhémar Péchadre présente un exposé détaillé du succès prévisible de cette entreprise, assurant un minimum de 10 % de rémunération du capital dépensé.

    28 Conseil d’administration de l’Énergie industrielle du 9 février 1921.

    29 Conseil d’administration de l’Énergie industrielle du 4 août 1920.

    30 À l’origine, ce groupe est une tréfilerie familiale lancée en 1840. Alexandre Grammont est le fils du fondateur.

    31 Le capital social de la Société d’éclairage électrique d’Alais est réduit puis augmenté, ce qui permet à Grammont de devenir l’actionnaire majoritaire. En outre, il apporte de l’argent frais échangé contre des obligations de la société. Ainsi, pour 350 000 francs, il prend le contrôle de cette affaire qu’il intègre à son patrimoine.

    32 Assemblée générale de la Compagnie d’éclairage et de force du 10 avril 1912.

    33 Assemblée générale de la Compagnie de gaz et d’électricité de Fréjus et Saint-Raphaël du 27 janvier 1911.

    34 Ibid.

    35 Assemblée générale de la Société anonyme bourguignonne d’électricité du 28 septembre 1920.

    36 Conseil d’administration de l’Électrique de l’Orléanais du 12 janvier 1914.

    37 Conseil d’administration de la Compagnie générale électrique du Sud-Ouest, du 24 février 1914.

    38 Ibid.

    39 Fondée en 1900, celle-ci résulte d’une entente entre Thomson-Houston, propriétaire de 52 % des 4 millions de francs du capital, et la Société marseillaise de crédit pour 20 % des actions. Le reste des titres est partagé entre la Société des grands travaux de Marseille et l’Omnium lyonnais.

    40 Pavese (Claudio), « La naissance et le développement de la Société générale italienne Edison d’électricité jusqu’à la constitution de son groupe : 1880-1919 », dans Un siècle d’électricité dans le monde, 1880-1980, p. 392, (Actes du premier colloque international d’histoire de l’électricité organisé par l’AHEF, Paris, 15-17 avril 1986), Paris, PUF, 1987.

    41 Conseil d’administration de l’Énergie industrielle du 16 juin 1909.

    42 Le capital est alors de 6 millions de francs pour une société de 182 salariés qui dessert 98 000 habitants.

    43 En 1905, la Société générale d’entreprises a participé à la fondation de l’Énergie électrique du nord de la France et de la Société roubaisienne d’éclairage par le gaz et l’électricité et, en 1910, elle prend le contrôle du Central électrique du Nord.

    44 Bilan de l’Énergie industrielle en 1920.

    45 Conseil d’administration de la Société d’éclairage électrique de la ville d’Alais du 4 mai 1911.

    46 Assemblée générale de la Société d’éclairage électrique de la ville d’Alais du 7 août 1911.

    47 L’Énergie industrielle possède 34 % des actions et A. Grammont 27 %.

    48 Conseil d’administration de la Société d’éclairage électrique de la ville d’Alais du 7 février 1912.

    49 Annexe 3 : Géographie du groupe Durand en 1924.

    50 Bilan de l’Énergie industrielle en 1919.

    51 Ibid.

    52 Lettre du 5 décembre 1920 adressée à P.-M. Durand.

    53 Conseil d’administration de l’Énergie industrielle du 14 janvier 1920.

    54 Conseil d’administration de l’Énergie industrielle du 25 novembre 1908. « Pour la construction de ces lignes [50 km dans le réseau Rhône-et-Loire] M. Durand propose de les exécuter en régie avec une majoration de 11 % sur le total des travaux. »

    55 Ainsi, lors de l’assemblée générale annuelle de 1923, elle possède 886 actions sur 1 000.

    56 Assemblée générale de l’Entreprise industrielle du 25 juin 1923.

    57 Cayez (Pierre), « Structure et stratégie de groupe : le cas de la société Souchon-Neuvesel, 1900-1940 », dans Entreprises et entrepreneurs, xixe-xxe siècle, ouvrage cité, p. 138. « Jusqu’en 1914, Souchon-Neuvesel a renforcé son assise régionale en nouant des liens privilégiés avec ses plus gros clients. »

    58 Conseil d’administration de l’Énergie industrielle du 6 septembre 1918.

    59 Archives privées du Crédit lyonnais, note 6110, février 1925.

    60 Bilan de l’Énergie industrielle en 1911.

    61 Conseil d’administration de l’Énergie industrielle du 15 novembre 1920.

    62 Lanthier (Pierre), « L’industrie de la construction électrique en France avant 1914 », dans Caron (François), (dir.), Histoire de l’électricité..., ouvrage cité, p. 697.

    63 Lanthier (Pierre), Les Constructions électriques en France..., ouvrage cité, p. 249.

    64 Lanthier (Pierre), « L’industrie de la construction... », art. cité dans Caron (François) (dir.), Histoire de l’électricité..., ouvrage cité, p. 714. « 11 investit dans la Compagnie parisienne de distribution d’électricité, les Tramways de Paris et du département de la Seine et les Tramways de Nantes. »

    65 Conseil d’administration de l’Énergie industrielle du 30 juillet 1918.

    66 Conseil d’administration de l’Énergie industrielle du 9 février 1921.

    67 Conseil d’administration de l’Énergie industrielle du 4 octobre 1934.

    68 Conseil d’administration de l’Énergie industrielle du 2 mars 1909.

    69 Revue générale d’électricité, 4 août 1917, p. 169.

    70 Chandler (Alfred-D.), Stratégie et structure de l’entreprise, Paris. Éditions d’organisation, 1972, p. 39. « Les décisions stratégiques tiennent compte de la prospérité à long terme de l’entreprise. Les décisions tactiques concernent plutôt les opérations quotidiennes dont dépend la bonne marche de l’entreprise. »

    71 Omnès (Catherine), « Structures capitalistes et stratégies de croissance. Vallourec et l’industrie du tube. 1880-1978 », dans Entreprises et entrepreneurs, XIXe-XXe siècle, ouvrage cité, pp. 164-183.

    72 Cayez (Pierre), « Structure et stratégie... », art. cité dans Entreprises et entrepreneurs, xixe-xxe siècle, ouvrage cité, p. 146.

    73 Morin (François), La Structure financière du capitalisme français : situations et transformations. Paris, Calmann-Lévy, 1974, p. 19.

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    Ce livre est cité par

    • Eck, Jean-François. (2009) Histoire de l’économie française. DOI: 10.3917/arco.eck.2009.01.0333
    • Hoffman, Philip T.. Postel-Vinay, Gilles. Rosenthal, Jean-Laurent. (2014) Capitalism and Financial Development: The Case of Mortgage Markets in France, 1807–1899. Social Science History, 38. DOI: 10.1017/ssh.2015.4

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    Vuillermot, C. (2001). Chapitre premier. La naissance d’un groupe et ses hésitations stratégiques (1906-1924). In Pierre-Marie Durand et l’Énergie industrielle (1‑). CNRS Éditions. https://doi.org/10.4000/books.editionscnrs.34423
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