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Chapitre II. Les autres organismes de conservation de films en France

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Texte intégral

LE SERVICE DES ARCHIVES DU FILM DE BOIS D’ARCY

1L’histoire, récente, du Service des archives du film, organisme public dépendant du Centre national de la cinématographie, s’articule autour de deux dates importantes, celle du 19 juin 1969, qui élargit les attributions du CNC, qui a désormais pour tâche d’assurer la conservation des films, et celle du 23 mai 1977, date de promulgation du décret d’application de la loi relative au dépôt légal.

Les débuts

2Afin de remplacer les vieilles casemates utilisées par la Cinémathèque française, l’État fait construire des locaux ultramodernes, dans le lieu même du fort de Bois d’Arcy. Il s’agissait de doter la Cinémathèque française de moyens techniques de qualité afin de préserver ses collections.

« À l’époque, je gérais les crédits de ce plan et j’avais des relations avec Langlois. Je lui demandai toujours ce qu’il voulait, quel était son programme, quel était le nombre des films qu’il avait à déposer pour pouvoir construire des bâtiments appropriés. Nous avons collaboré difficilement car il s’évadait très vite, il ne voulait pas livrer ce qu’il savait. Mais il n’était pas question à l’époque d’autres films que les siens1. »

3Henri Langlois, toujours animé par la crainte de voir l’État faire main basse sur son association, refuse toute collaboration. Les nouveaux dépôts sont pourtant inaugurés et, à la date de leur mise en service, le 29 octobre 1968, se composent en fait d’un seul « […] bâtiment d’une hauteur de quatre-vingts mètres, entièrement clos et revêtu de métal isotherme2 ».

4Ce bâtiment constitue le premier élément d’un vaste complexe de conservation et de restauration des films. Un second est déjà en cours d’achèvement alors qu’un laboratoire doit être édifié au centre du fort, destiné à la restauration des films endommagés.

5Plus largement, un programme d’exploitation est prévu, ce qui permettra, selon Jean Vivié, responsable des archives, de « répondre aux exigences d’une éventuelle mise en vigueur de la loi sur le dépôt légal3 ».

6Encore fallait-il que le Service des archives du film possède une existence juridique telle qu’il puisse véritablement répondre à ces « exigences ». Ce service, dont Jean Grundler aurait bien aimé qu’il soit un établissement public autonome4, est une dépendance du CNC. Il est donc tributaire de la réglementation en vigueur au CNC.

7Cette réglementation est modifiée, élargie par le décret du 19 juin 1969, publié au Journal officiel du 22 juin : le CNC est désormais chargé d’assurer la conservation des films cinématographiques qui lui sont confiés en dépôt ou dont il acquiert la propriété.

8Le Service des archives du film, quant à lui, est directement rattaché à la sous-direction des affaires financières et des organismes contrôlés, dont le responsable n’est autre que Jean Grundler.

9Par défaut, face au refus de la Cinémathèque française d’occuper ces nouveau locaux, l’État prend en charge la conservation du patrimoine cinématographique.

10Mais les débuts sont difficiles, dû au fait que l’appellation nourrit une réelle ambiguïté : Bois d’Arcy, c’est le Service des archives du film, c’est aussi l’un des dépôts de la Cinémathèque française. On y trouve des locaux ultra-modernes, et des casemates humides où pourrissent les films de la Cinémathèque française.

11Il était nécessaire, pour le Service des archives du film, de donner des gages aux futurs déposants. Un règlement d’exploitation offre toutes les garanties, notamment sur l’utilisation des films déposés. Il se refuse à toute exclusion quant aux types de films qu’il est susceptible d’accueillir et il reçoit les films de tout format et de toute nature, sur support nitrate et sécurité.

12Tout dépôt doit s’effectuer selon une procédure toujours identique. Le dépôt fait l’objet d’une demande d’admission et, ensuite, la remise des films, obligatoirement enfermés dans des boîtes, est accompagnée d’un bordereau précisant le nom et le domicile du déposant, le nombre de boîtes, ainsi que la désignation des bobines qu’elles contiennent.

13De plus, sauf accord du déposant, les films remis ne peuvent y faire l’objet d’aucune diffusion, ni d’aucune consultation à l’extérieur du Service. Il en est de même pour la consultation à l’intérieur du Service. Le déposant reste seul juge quant à l’autorisation, ou non, de toute consultation.

14Ce Service doit également se faire reconnaître par ses « pairs » et il organise à cet effet, le 5 mars 1969, une visite de ses locaux, à l’attention du comité directeur de la FIAF. Douze membres de ce comité directeur, parmi lesquels Herbert Volkmann, directeur des Archives de l’ex-République démocratique allemande, Victor Privato, directeur du Gosfilmofond de Moscou, Raymond Borde, de la Cinémathèque de Toulouse, et les représentants des cinémathèques d’Amsterdam, Belgrade, Prague et Stockholm, conduits par le secrétaire général de la FIAF, Jacques Ledoux, « […] ont ainsi pu prendre connaissance du programme des réalisations en cours, visiter les bâtiments existants et apprécier le fonctionnement du Service5 ».

15Cette visite fut l’occasion d’échanger des points de vue concernant les conditions de conservation des films, mais aussi « les méthodes de remise en état des documents anciens6 ».

16Le Service des archives du film élargit même sa mission. Il ne s’agit plus seulement de conserver, c’est-à-dire de répertorier et classer des films, mais aussi de restaurer ceux qui en ont besoin. Avec la création de ce Service, on franchit un palier dans le concept de conservation du patrimoine cinématographique, avec la prise en compte de l’idée du vieillissement des films. Il devient nécessaire de s’inquiéter des conséquences de ce processus, d’en corriger les stigmates.

17Ces missions nécessitent d’importants moyens financiers, humains et techniques que seul l’État pouvait assurer, et le fait de conserver et de restaurer signifie une réalité, celle « […] d’équipements spéciaux, de contrôles permanents, un environnement technique de type presque hospitalier, et surtout un personnel spécialisé, formé à ces tâches, des moyens humains et techniques qu’aucune association privée, quelles que soient ses intentions, ne peut être en mesure de réunir7 ».

18Avec la nomination de Franz Schmitt, collaborateur de Jean Vivié, au poste de conservateur, le Service des archives du film va, une nouvelle fois, élargir ses compétences, affiner ses objectifs. Conserver, certes, et restaurer, c’est-à-dire transférer la production de « films-flamme » sur support de sécurité, mais aussi tenter d’élaborer une véritable méthodologie de la conservation, « […] discipline nouvelle qui, pour être cohérente, ne peut se concevoir qu’à long terme et systématique, non tributaire des goûts, des modes, des jugements et même des besoins de l’instant8 ».

19Telle est l’ambition de Franz Schmitt, renforcée par l’adhésion du Service, en 1974, à la FIAF en qualité d’observateur, adhésion qui lui confère une indéniable reconnaissance.

20Au terme de cette même année 1974, 533 déposants ont confié au Service 218 657 bobines, ce qui correspond à 25 516 titres.

21Dans le détail, les activités du Service s’articule autour d’une dizaine de thèmes, qu’il est nécessaire de citer et de définir :

  • La collecte des films de toute nature et de tout format. « Tous les organismes professionnels, auteurs, associations, détenteurs particuliers sont invités à déposer leurs films, qui restent leur propriété physique, et auxquels ils peuvent à tout moment avoir accès9. »
  • La conservation, qui n’est autre que le stockage gratuit des films, dans les meilleures conditions techniques, selon les normes préconisées par la FIAF. Films-flamme et films sur support de sécurité sont conservés dans des blockhaus distincts.
  • L’inventaire qui n’est autre que « la vérification technique progressive de tous les documents ». Le Service établit des fiches détaillées, comportant toutes les spécificités techniques. Le film est analysé d’un point de vue chimique et physique et les résultats sont communiqués aux déposants.
  • La restauration, notamment le transfert systématique des films les plus altérés sur support de sécurité, mais aussi la possibilité d’assurer des travaux annexes, tels que la restitution des inter-titres, des remontages ou du traitement de la bande-son.
  • La documentation : établissement d’une collection de photographies de films, d’affiches, de scénarios, de revues, et de tout document concernant l’histoire du cinéma. Quant aux films, ils sont fichés, par titre, déposant et auteur. La consultation s’effectue dans une bibliothèque.
  • Le catalogage : le Service doit organiser le catalogue officiel de la production cinématographique française depuis les origines.
  • La consultation : sous condition d’autorisation de consultation, professionnels et chercheurs peuvent avoir accès aux films.
  • Les études et recherches techniques : afin de « mieux définir les conditions d’une conservation à long terme des enregistrements cinématographiques et autres documents relevant de l’histoire du cinéma10 ».
  • La muséologie, qui n’est autre que la collection des appareils. Le Service a reçu, en 1976, une caméra 35 mm « Autocinéphot », une caméra 15 mm Gaumont, une caméra 28 mm « Pathé-Kock » et une caméra « Ciné-Kodak » 16 mm.
  • La diffusion : le Service participe à des manifestations destinées à faire connaître le patrimoine cinématographique. A titre d’exemple, il a collaboré, durant l’année 1976, aux Journées cinématographiques de Poitiers, du 4 au 10 février et au festival d’Albi, du 30 juillet au 3 août.

22Toujours durant cette année 1976, le Service a effectué des tirages sur support de sécurité notamment de Deux actualités de Paris, de Marey, Entr’acte de René Clair, L’Opéra de quatre sous de Pabst, ainsi que plusieurs documents au pochoir des années 1903 à 1910, La Vestale, Le Rêve de la dentellière, La Fontaine magique et Métempsycose.

23En fait, « […] en trois ans, le Service des archives du film a enregistré et répertorié, notamment grâce à des dons, 3 700 affiches de films et 25 000 photographies de films, des origines à nos jour11 ».

Un certain décret d’application

24Le Service des archives du film multiplie donc ses activités. Mais les dépôts de films, gratuits, restent volontaires. Un vide juridique demeure, les dépôts n’étant soumis à aucune obligation, l’efficacité du Service ne peut être totale et ne peut englober la totalité du patrimoine cinématographique.

25Conscient de ce véritable manque, le secrétaire d’État à la Culture, Michel Guy, décide de créer un groupe de travail sur la mise en œuvre du dépôt légal en matière cinématographique.

26Présidé par Jean-Georges Noël, président de la Fédération nationale des industries techniques du film cinéma et télévision, ce groupe de travail se réunit pour la première fois le 20 mars 197512.

27Il remet ses conclusions le 7 juillet et distingue tout d’abord trois types de document : les films sur support nitrate ; les films sur support tri-acétate de cellulose, noir et blanc et les films de couleurs dont la stabilité des colorants était alors mal connue, la seule solution de conservation étant de transférer ces films couleurs sur pellicule noir et blanc, par sélections monochromatiques, permettant ultérieurement la restitution en couleurs.

28Il estime, entre autres, qu’il serait opportun d’exclure de l’obligation du dépôt légal les films n’ayant pas la nationalité française. Le contraire pourrait créer un précédent et amener d’autres états à rendre obligatoire le dépôt légal des films français au sein de leur territoire. Un producteur français pourrait alors se trouver dans l’obligation de déposer plus d’une centaine de copies dans les différents pays du monde, ce qui ne pourrait qu’augmenter les risques d’exploitation du film en violation des droits sur la propriété artistique.

29Ce groupe de travail propose à l’État de prendre à sa charge, en raison de son coût, les frais d’établissement des copies positives à déposer. Dans le cas où cette éventualité ne serait retenue, possibilité doit être offerte de demander au producteur de déposer une copie positive du film dans un délai maximum de deux mois, à compter de la première représentation publique.

30Il souhaite aussi une coordination entre la Bibliothèque nationale, l’institut national de l’audiovisuel et le Service des archives du film.

31Mais il faudra attendre deux années supplémentaires pour voir, enfin, l’État prendre le décret fixant les conditions d’application aux films cinématographiques de la loi du 21 juin 1943 relative au dépôt légal. Le décret est signé le 23 mai 1977 et publié au Journal officiel le 25 mai. Il reprend, dans les grandes lignes, les propositions du groupe de travail de Jean-Georges Noël et, par l’article 1er, stipule que « […] toutes œuvres cinématographiques produites ou coproduites par des personnes physiques ou morales établies en France […] sont soumises à la formalité du dépôt légal dans les conditions fixées au présent décret ».

32Les conditions sont les suivantes : le dépôt est effectué au service du dépôt légal de la Bibliothèque nationale (article 2) ; il incombe au producteur, personne physique ou morale, ou à ses ayants droit (article 3) ; il est effectué en un exemplaire, déposé sous forme d’un élément intermédiaire permettant l’obtention soit d’une copie positive, soit d’une matrice négative ou, à défaut, sous la forme d’une copie positive conforme aux exemplaires mis en distribution, et ne donnant pas du film une représentation déformée (article 4) ; l’État fixe un délai de cinq ans, à partir de la mise en vente, en distribution ou en location pour le dépôt de l’œuvre cinématographique13. Ironie de l’Histoire, ce décret d’application est signé l’année du décès d’Henri Langlois.

33Mais la Bibliothèque nationale, chargée du dépôt légal, ne dispose ni des locaux, ni des compétences techniques pour mener à bien cette nouvelle tâche. Le 29 novembre 1977 un protocole d’accord est signé entre la Bibliothèque nationale, le CNC et l’INA afin de se répartir les compétences en matière de dépôt légal14.

34La Bibliothèque nationale chargée de collecter les documents soumis au dépôt légal, « délègue » au CNC et à l’INA la conservation matérielle des images animées : au CNC pour les œuvres sur support film et à l’INA les œuvres sur support vidéo. Ces dépôts peuvent être reçus directement au CNC ou à l’INA.

35Bibliothèque nationale, Centre national de la cinématographie, Institut national de l’audiovisuel : les compétences sont désormais définies. La Bibliothèque nationale, ne pouvant assumer la tâche de conserver les films, la délègue au CNC, Service des archives du film. Le dispositif de mise en œuvre du dépôt légal en matière audiovisuelle est clos, même si ses conséquences, à court terme, ont été difficilement maîtrisables, d’autant que « […] compte tenu du délai de deux ans autorisé pour le dépôt à partir du tirage de la copie standard […] il n’a véritablement commencé d’être appliqué qu’au second semestre 197915 ».

36L’essentiel, en fait, est que le Service des archives du film devienne un organisme reconnu et « […] la vraie victoire des textes, qu’il s’agisse du dépôt légal ou des dépôts volontaires – qui ne sont en rien concurrentiels mais complémentaires – c’est d’avoir créé, dans les faits, un réflexe, des habitudes : la banque du film, aujourd’hui, c’est Bois d’Arcy16 ».

37Le Service des archives du film, désormais, inspire confiance et, au titre du dépôt légal, a reçu, pour la seule année 1982, 480 titres, ce qui porte le total des films reçus, depuis la mise en application effective du décret du 23 mai 1977, intervenue en 1979, à 1 572 titres17.

38Les conditions de stockage vont cependant être rapidement saturées, et le Service prévoit de nouvelles installations. Déjà, depuis le mois de septembre 1982, la construction d’un grand bâtiment central, « Laboratoires, services techniques et administratifs » est en cours et on y trouvera, sur trois étages, le laboratoire (salle de tirages, développement et lavage, banc-titres, chimie), les salles de vérification et de montage, les bureaux de la documentation, les services généraux et les magasins de fournitures générales. De plus, une salle de projection de quarante places est prévue dans les anciens locaux de la batterie qui seront réaménagés.

39Quant au stockage proprement dit, le Service doit disposer, dans ce cadre également, de nouveaux locaux et l’accroissement des stocks est devenu tel que « […] les installations actuelles devront être doublées au cours des cinq ans à venir. Dès 1983, une partie des locaux de l’ancien fort de Saint-Cyr, également situé à Bois d’Arcy, sera utilisé à cet effet18 ».

Un plan de sauvegarde

40Cette extension du Service des archives du film au fort de Saint-Cyr, cet accroissement de la capacité de stockage s’inscrivent dans un vaste plan d’ensemble de sauvegarde du patrimoine cinématographique défini par Jack Lang dès le début du nouveau septennat du président Mitterrand, et qui fixe un programme de restauration d’une durée de cinq ans.

41Les budgets des archives du film et de la Cinémathèque française sont augmentés de six millions pour l’année 1983, cette augmentation étant consacrée à des travaux de conservation et de restauration des films, à répartir entre les deux organismes.

42Afin de rendre ce programme plus efficace, il est nécessaire d’harmoniser les travaux et Jean Grundler est chargé de veiller à cette harmonie entre le Service des archives du film, la Cinémathèque française et, « […] le cas échéant, des autres organismes nationaux ou régionaux qui participent à l’œuvre de mise en valeur du patrimoine cinématographique19 ».

43À travers la restauration des films, l’État tente, véritablement, de jeter les premières bases d’une sorte de fédéralisme des cinémathèques françaises. A long terme, pour rester dans le seul cadre du sauvetage du patrimoine, le projet du ministère de la Culture est de transférer, d’ici l’an 2000, la totalité des films-flamme détenus à Bois d’Arcy sur support de sécurité. Pour atteindre cet objectif, il était nécessaire de passer d’une capacité de transfert qui était de deux cents films en 1982, à deux mille en 1987.

44L’État a donc renforcé les moyens techniques et matériels du Service. Dès juin 1985, il compte soixante-dix-neuf agents, alors qu’ils n’étaient que dix-neuf à la date de sa création. Il comporte alors :

  • trois bâtiments de conservation pour les films de sécurité, offrant une capacité de stockage d’environ 500 000 bobines de films 35 mm ;
  • un ensemble de 181 cellules de conservation pour les films nitrates groupés par bloc de dix d’une capacité globale d’environ 250 000 boîtes ;
  • un bâtiment central destiné aux services techniques et administratifs ;
  • des locaux annexes permettant la conservation des documents non-films, et de nouvelles « […] extensions de locaux de conservation, tant pour les films nitrate (Bois d’Arcy) que pour les films acétate (Saint-Cyr) sont prévues pour 198620 ».

45En ce qui concerne les collections, au 31 décembre 1984, 1 027 déposants ont confié au Service des archives du film 617 449 bobines, correspondant à 80 595 titres. A ce chiffre, il est nécessaire d’ajouter les dépôts effectués dans le cadre des conventions passées avec les sociétés d’actualités, Gaumont et Pathé, et avec l’INA, ce qui représente, environ, 70 000 bobines.

46Quant aux documents non-films, le Service a répertorié, au 31 décembre 1983, 30 000 scénarios, 40 000 photographies, 10 500 affiches de films et 1 100 appareils anciens.

47Mais face aux besoins, ce plan de sauvegarde, arrivé à son terme, marque un échec relatif en ne s’avérant « […] plus suffisant au regard des problèmes spécifiques des films sur support nitrate et du nombre de bobines à traiter dans des délais relativement courts21 ».

48En raison de l’importance de la tâche à accomplir, il est nécessaire, aussi, de faire un choix quant aux films-flamme à sauver. Et il en est, là, de la responsabilité du conservateur. « Nous choisissons à partir de la connaissance du patrimoine français que nous avons, en fonction de la rareté et de l’unicité des films. Avec comme priorité absolue les films les plus dégradés. Tenir compte de l’aspect physique et de l’intérêt historique, c’est le point de vue auquel nous essayons de nous astreindre au maximum22. »

49Alors que, depuis novembre 1989, Michelle Aubert a remplacé Franz Schmitt à la direction du Service des archives du film, Jack Lang, face à cette nouvelle urgence, a annoncé, en septembre 1990, la mise en œuvre d’un nouveau plan de sauvegarde de films sur support nitrate23.

50Si l’on considère que le film nitrate a une durée de vie d’environ cinquante ans, les années qui vont suivre la date de cette annonce représentent théoriquement la date ultime pour assurer le transfert des films nitrate sur support de sécurité.

51À cet effet, pour l’année 1990, les crédits alloués au Service des archives du film et à la Cinémathèque française, prévus pour la restauration, ont augmenté de 42 %, s’élevant à 17 millions de francs.

52Cet effort a été poursuivi l’année suivante, avec une nouvelle augmentation de 53 % de ces mêmes crédits de restauration, et 26 millions devaient donc permettre de sauver la totalité du patrimoine cinématographique en péril. Il s’agit d’une véritable mission de survie, qui n’est pourtant pas terminée, même si les crédits ont bénéficié, une fois de plus, d’une augmentation substantielle : pour l’année 1993, la dotation de 52 millions, déjà octroyée pour l’année 1992, a été reconduite.

53Depuis la création du Service des archives du film, le concept de la conservation du film a évolué, passant de la seule conservation à une véritable politique de l’archivage en matière cinématographique, politique qui inclut le sauvetage du patrimoine.

« Il y a eu donc une première prise de conscience, essentiellement tournée vers la conservation stricte, c’est-à-dire ranger, garder, donner plus de moyens pour sauver les films de la destruction. Ce n’est qu’en 1981 qu’il y a eu des moyens pour sauver chimiquement ce qui avait été conservé, et faire une véritable politique du patrimoine qui permette d’être diffusée24. »

54Cette diffusion doit s’inscrire dans un cadre précis, et elle nécessite, au début des années 1990, une réforme du statut du dépôt légal, afin qu’il puisse acquérir une vocation patrimoniale, et devenir un instrument de conservation et de communication.

55Cela implique aussi la rédaction de nouveaux accords concernant les dépôts volontaires et obligatoires afin de satisfaire ces nouvelles exigences. A terme, un projet de festival international du patrimoine est envisagé, destiné à mettre en valeur la mobilisation des moyens privés et publics en faveur du patrimoine cinématographique.

56Tous ces projets sont menés en collaboration avec les autres organismes de conservation, collaboration facilitée par

« […] la nouvelle commission scientifique des archives du film [qui] regroupe toutes les cinémathèques françaises subventionnées ayant des responsabilités de conservation. Nous y retrouvons […] la Cinémathèque française, l’Établissement cinématographique et photographique des armées, la Bibliothèque nationale, la Cinémathèque universitaire, l’Institut Lumière et des critiques et historiens du cinéma25 ».

57Le sauvetage du patrimoine aura, pour sa part, permis de « fédérer » la majorité des différents organismes de conservation, et cette commission scientifique des archives du film préfigure donc l’Agence du patrimoine audiovisuel proposée par Christian Bourgois dans la conclusion de son rapport sur la « mission de réflexion sur le patrimoine audiovisuel » remis aux ministres de la Culture et de la Communication, Jack Lang et Catherine Tasca, en juillet 1989. Seule, une volonté politique affirmée pouvait donc permettre un rapprochement entre ces différents organismes.

LA CINÉMATHÈQUE DE TOULOUSE

Un organisme provincial

58La naissance de la Cinémathèque de Toulouse est identique à celle de la Cinémathèque française en ce sens qu’elle procède de l’inlassable activité d’hommes, quelque peu à contre-courant de l’air du temps, pionniers de l’élaboration d’une véritable organisation de la conservation du patrimoine cinématographique.

59À Toulouse, deux animateurs de ciné-clubs, Raymond Borde et Roger Icart se plongent dans le passé du cinéma et projettent d’écrire des ouvrages sur le septième art. Ils commencent aussi à s’intéresser au film en tant qu’objet matériel et « […] la vue de rouleaux de pellicules teintées, dans des boîtes rouillées du marché aux puces [les] fascinait26 ».

60Cette fascination allait les conduire à fouiner chez les forains, tourneurs et autres gitans qui, l’hiver, projetaient des films dans de petites communes rurales du Midi. Ils vont même entreprendre une véritable quête de films et « Raymond Borde se lance sur tous les chemins du sud de la Loire à la rencontre des forains dont l’activité oscille entre le cirque et le cinéma muet27 ».

61Raymond Borde va racheter, au tarif de cinq francs le kilogramme, les vieux stocks de films en 35 mm. Le premier titre que tous deux récupèrent, Le Ring, d’Alfred Hitchcock, est en fait une copie réduite à deux bobines, ce qui ne ternit en rien leur bel enthousiasme. Leur passion est celle du collectionneur.

« Ce qui m’animait alors était avant tout, je dois le dire, l’aspect de collection. J’ai toujours eu plaisir à explorer les galetas, les greniers, les roulottes de gitans. On y découvre des gens et des choses assez drôles. Peu à peu, en tous cas, la collection a pris forme, s’est entassée dans une remise. J’ai eu la chance également de repêcher ça et là des copies à la casse de films plus récents28… »

62À défaut de remise, le véritable premier dépôt de la Cinémathèque de Toulouse a été le garage de Raymond Borde, dans un immeuble, au 18 rue de la Trille, dans le quartier Saint-Etienne, qui va rapidement s’avérer insuffisant, d’autant que Raymond Borde va trouver de nouvelles sources afin d’alimenter ses collections.

63Il commence par fouiller dans les offices du cinéma éducateur. Créés dans les années 1920, ces offices projetaient des films muets dans les écoles et foyers ruraux et possédaient donc des centaines de titres.

64Les relations entre ces offices et le futur conservateur de la Cinémathèque de Toulouse seront facilitées par le fait que Raymond Borde rejoint, à titre bénévole, le Centre régional de documentation pédagogique de Haute-Garonne, au 3, rue Roquelaine, à Toulouse. Certes, « […] cette entrée au CRDR dans un immeuble de l’État, donne un signe de reconnaissance officielle à une collection encore très modeste29 ».

65Le directeur du Centre, Charles Redonnet, et le directeur de l’Office du cinéma éducateur, Hubert Marrot, l’accueillent de façon chaleureuse, et cet accueil permet aussi à Raymond Borde d’utiliser la salle de projection du Centre et d’organiser la première séance, le 12 décembre 1958 avec Dura Lex, de Lev Koulechov.

66Mais surtout, cette entrée lui permet d’augmenter sensiblement ses collections, Hubert Marrot lui confiant des copies 16 mm, parmi lesquelles La Belle et la Bête, La Marseillaise, Les Visiteurs du soir ou La Grande Illusion.

67Raymond Borde fait ensuite la tournée des départements, et de leurs chefs-lieux, Lyon, Dijon, Poitiers, Rodez ou Auch où les offices possédaient des films 35 mm. Il y découvre des classiques de King Vidor, Jacques Fey-der, Victor Sjöström, et des films de cinéma à caractère plus populaire, qu’il juge tout aussi important.

68Il recherche aussi des courts métrages, d’autant plus facilement que chaque projection de films de fiction était accompagnée d’un court métrage comique, de Charlie Chaplin, Harold Lloyd ou Buster Keaton, mais aussi de certaines séries d’acteurs, Al Alst, Jœ Rock ou Monty Banks. Ces courts métrages vont constituer l’une des grandes richesses de la Cinémathèque de Toulouse, composée, en grande partie, de « […] burlesques, de slaps-ticks américains des années 1910 à 1920, et notamment une collection importante de Harold Lloyd30 ».

69Les collections, à partir de ces relations avec ces offices de cinéma éducateur, vont rapidement augmenter. En juin 1962, la Cinémathèque de Toulouse possédait 532 longs métrages, dont 185 films muets, 347 films parlants, et 845 courts métrages. Trois ans plus tard, au 1er juin 1965, elle possédait 784 longs métrages et 1 184 courts métrages.

70Les dépôts de la Cinémathèque de Toulouse prenant une importance considérable, il devenait nécessaire de lui donner un statut juridique. En 1961, Raymond Borde dépose les statuts d’un Centre d’histoire du cinéma, en fait expression d’une assurance administrative.

71Mais l’histoire du cinéma revêt aussi une importance capitale pour Raymond Borde, qui n’aura de cesse de proposer un regroupement des cinémathèques en France, regroupement dans lequel la Cinémathèque de Toulouse aurait pour vocation la recherche historique et l’accueil des chercheurs. « […] le but de la Cinémathèque de Toulouse a toujours été et reste encore, de devenir un centre d’études pour le cinéma qui recevrait des historiens, des chercheurs pour travailler autour d’un chapitre de l’histoire du cinéma31 ».

72Mais avec ce centre d’histoire du cinéma, il n’était pas encore question de créer une cinémathèque. Il faudra attendre trois ans et la rupture avec la Cinémathèque française pour que Raymond Borde se décide à franchir la ligne qui sépare le collectionneur du conservateur.

Une renommée internationale

73Le passage du statut du collectionneur à la création d’une véritable cinémathèque s’effectue à cause d’un litige qui va opposer Raymond Borde à Henri Langlois.

74En 1955, Henri Langlois crée « Les Amis de la Cinémathèque » afin de relayer, en province, les projections de la Cinémathèque française. « Les Amis de la Cinémathèque » sont pris en charge par des maisons des jeunes et de la culture, comme à Grenoble, ou des centres pédagogiques, tel celui de Marseille. A Toulouse, le ciné-club du CRDP organise quelques séances des films de la Cinémathèque française, à raison d’une ou deux mensuelles.

75Raymond Borde devient le correspondant de la Cinémathèque française à Toulouse et prend en charge ces projections. Dès lors s’instaure un véritable échange des copies entre Toulouse et Paris. Mais si l’envoi des films de Toulouse vers Paris s’effectue sans aucun problème, l’inverse est moins évident.

76En six ans, de 1958 à 1964, Toulouse adresse à Henri Langlois 246 copies qui furent toutes « très lentes à revenir », alors que les projections des films de la Cinémathèque française à Toulouse furent moins nombreuses. « Les films n’arrivaient pas, les programmes sont bouleversés, le désordre succède aux promesses […] Nous avons l’impression d’être la colonie d’une métropole. Les ordres sont de plus en plus secs : des films à expédier d’urgence par le train de nuit, pour les séances du lendemain32. »

77Irrité, et refusant de devenir la seule section toulousaine de la Cinémathèque française, Raymond Borde décide de fonder la Cinémathèque de Toulouse dont les statuts sont déposés le 12 février 1964 et dont le but est « la recherche, l’acquisition, la prise en charge par voie de dépôt et la conservation de tous négatifs et de toutes copies de films, tous matériels et tous documents, de quelque nature qu’ils soient, susceptibles d’intéresser l’histoire du cinéma ».

78Du côté de la Cinémathèque française, les causes de la rupture sont différentes. Henri Langlois aurait constaté que Raymond Borde, vrai cinéphile, conservait les bénéfices dégagés par les projections, en refusant d’équilibrer les frais engagés par « Les Amis de la Cinémathèque », d’autant que certaines sections, comme celles de Nancy ou Grenoble, connaissaient des difficultés de trésorerie.

79Face aux sollicitations du secrétaire général de la Cinémathèque française, Raymond Borde refusera alors de participer à cet amortissement des frais et préférera rompre avec Henri Langlois.

80Pour Georges-Patrick Langlois, cette rupture était en fait préméditée, Raymond Borde ayant, déjà, envisagé de prendre son indépendance tout autant que de profiter de l’aide de la Cinémathèque française. La controverse à propos de cette rupture va d’ailleurs nourrir, jusqu’à un passé récent, des querelles, souvent vives, entre la Cinémathèque de Toulouse et la Cinémathèque française33.

81Le 2 juillet 1965, la Cinémathèque de Toulouse pose sa candidature pour adhérer à la FIAF. Elle est acceptée le 23, d’autant plus facilement que, depuis le départ de la Cinémathèque française, cette FIAF ne comptait plus d’adhérent français.

82Cette adhésion sera la consécration internationale pour la Cinémathèque de Toulouse, car « […] elle permet de consolider l’assise juridique de la cinémathèque et des échanges fructueux avec les aînées de Bruxelles, de Moscou, de Lausanne34 ». Ces échanges seront d’autant plus fructueux que Raymond Borde est élu au comité directeur de la FIAF en 1966.

83La Cinémathèque de Toulouse va tirer bénéfice de ses nouvelles relations. Jacques Ledoux, conservateur de la Cinémathèque royale de Belgique va effectuer des tirages de classiques à son effet. Victor Privato, directeur du Gosfilmofond de Moscou, lui offre un stock de films soviétiques, américains d’avant-guerre et même des films français. De fait, « […] le patrimoine accède à un autre niveau et […] l’institution moderne qui se trouve à Toulouse est créée de la turbulente adhésion à la FIAF35 ».

84En avril 1969, la Cinémathèque de Toulouse possédait « environ 3 600 titres, en longs et courts métrages36 ».

85À partir du moment où ses collections prennent une telle importance, la Cinémathèque de Toulouse a besoin de ressources financières, notamment pour entretenir ses dépôts. Certes, elle a bénéficié des locaux et d’une salle de projection du CRDP de Haute-Garonne, mais elle a dû attendre 1969 pour recevoir sa première subvention, octroyée par le CNC, de l’ordre de dix mille francs.

86Jusqu’à cette date, elle a survécu grâce aux recettes des séances, et a fonctionné grâce au bénévolat, notamment d’enseignants, Pierre Cadars, Pierre Marty et Guy-Claude de Rochemont, tous animateurs du ciné-club de la Jeunesse. La Cinémathèque de Toulouse n’a aucun moyen d’engager du personnel permanent et rétribué. Quant à Raymond Borde, il appartient au ministère des Finances, en tant que directeur départemental de la Concurrence et des Prix.

87En 1971, la subvention de la Cinémathèque de Toulouse est triplée, et la ville de Toulouse octroie mille francs. Ces subventions vont augmenter à partir de cette date, pour atteindre 63 000 francs en 1975, ce qui reste toutefois insuffisant au regard des nécessités, notamment en ce qui concerne la restauration des films.

88Mais peu à peu, de nouvelles aides vont venir s’agréger aux anciennes dotations, telles que celle de la ville de Perpignan où la Cinémathèque de Toulouse organise, au Palais des congrès, des projections pour le ciné-club local.

89En 1978, la somme de ces subventions atteignent 170 000 francs, en se décomposant de la façon suivante : CNC, 45 000 francs ; ville de Toulouse, 60 000 ; ville de Perpignan, 10 000 ; Conseil général de Haute-Garonne, 5000 ; Conseil régional de Midi-Pyrénées, 5 000.

90À cette date, la Cinémathèque de Toulouse fonctionne avec cinq bénévoles auxquels s’ajoute une secrétaire à mi-temps. Face à cette carence, Raymond Borde prend la décision, le 1er octobre 1978, d’interrompre toute activité d’animation culturelle et d’intervention universitaire. Les séances sont réduites à une seule projection hebdomadaire. Le monde politique local s’émeut et le 20 décembre 1978, le député Jean-Michel Baylet pose une question écrite au gouvernement et interpelle le ministre de la Culture et de la Communication en ces termes :

« La Cinémathèque de Toulouse n’existe que par la volonté et le dévouement de bénévoles qui veulent préserver un patrimoine régional. Mais elle arrive à un point de rupture qui ne permet plus d’envisager une utilisation et un développement de sa mission, sans une aide supplémentaire de l’Etat. »

91Le ministre, Jean-Philippe Lecat, lui répond (Journal officiel du 17 février 1979) sans aucune ambiguïté : « […] la Cinémathèque de Toulouse […] bénéficie […] également chaque année d’une subvention, dont le montant est régulièrement actualisé, et qui s’élèvera, au titre de l’année 1979, à la somme de : 48 000 francs. » Mais surtout, le ministre insiste sur le fait que « […] la conservation proprement dite des œuvres cinématographiques est, avant tout, en raison de sa technicité et de son caractère onéreux, une mission qui incombe à l’État. Celui-ci a institué, à cette fin, le Service des archives du film au Centre national de la cinématographie et a doté ce service d’installations appropriées ».

92La solution de déposer ses copies au Service des archives du film ne semble guère, à ce moment, convenir à Raymond Borde, qui tient à ce que ses collections restent à Toulouse.

93À cet égard, des propos récents sont révélateurs. Alors qu’il se désespérait de trouver, enfin, des entrepôts dignes de ses collections, Francis Grosso va lui apporter une aide décisive et « sans lui, il aurait fallu expédier la collection à Bois d’Arcy et tirer un trait sur une aventure de vingt ans37 ».

94En fait, il faudra attendre l’alternance politique de mai 1981 pour que la Cinémathèque de Toulouse puisse fonctionner de manière à peu près correcte. Mais si elle a besoin d’un budget de fonctionnement, il est tout autant nécessaire qu’elle puisse posséder des lieux de dépôts pour ses collections qui ne cessent d’augmenter.

95Durant une dizaine d’années, elles vont connaître sept déménagements « […] d’un garage de la rue Velane à une ferme désaffectée du Lauragais, en passant par l’ancienne morgue des quais de la Daurade38 ». Quant aux films 16 mm, ils restent entreposés au CRDP.

96En 1970, Raymond Borde apprend qu’un certain Francis Grosso possède une dizaine de films interprétés par Gaby Morlay. A cette collection privée, la Cinémathèque de Toulouse va joindre ses propres films concernant l’actrice et créer un « fonds » Gaby Morlay. La collaboration avec Francis Grosso ne s’arrête pas à la réunion de ces deux collections. Collectionneur lui-même, Francis Grosso va devenir un véritable mécène. Convaincu de la nécessité, pour la Cinémathèque de Toulouse, de posséder des locaux suffisamment vastes pour entreposer des films, il lui prête une ferme, au Ver-net, à vingt kilomètres de Toulouse. Puis lui propose de construire un véritable dépôt, qu’il offre à la cinémathèque en 1971, date à laquelle elle quitte le CRDP pour s’installer au 12, rue du Faubourg-Bonnefoy, où la ville lui confie de vastes locaux qui serviront aux travaux de secrétariat et de bibliothèque.

97Francis Grosso va poursuivre sur la voie du mécénat en vendant à la cinémathèque, le 27 décembre 1974 et pour la somme de dix mille francs, les 24 000 m2 du Vernet, et les hangars qui lui sont adjacents.

98La Cinémathèque de Toulouse venait « […] de trouver, enfin, l’entrepôt idéal pour la sauvegarde de ses films en péril : au Vernet […] sur un domaine de quarante hectares, donnant toutes les possibilités de développement futur39 ».

99Quant à la sécurité des films entreposés, elle est assurée de la façon suivante :

« […] une double muraille de briques avec une plaque de polystyrène au milieu, un sol épais en hourdis – mélange de ciment, de briques, d’armature – séparé de la terre par un mètre de vide, afin d’éviter l’humidité, un plafond également en hourdis avec une couche de sable contre réchauffement du soleil, des grilles d’aération pour assurer une circulation d’air permanente, et une climatisation en été. Les films acétate et les films nitrate sont conservés dans deux pièces différentes, les seconds se décomposant rapidement et pouvant provoquer des risques d’incendie40 ».

100Lucide, Raymond Borde n’a pas voulu prendre le risque de constater la destruction de ses films nitrate. Les plus anciens d’entre eux sont d’ailleurs déposés au Service des archives du film de Bois d’Arcy.

101Quant aux provenances des collections, elles vont aussi évoluer. Le temps des forains et des gitans est révolu. L’échange et le tirage de copies au sein de la FIAF, les dépôts de producteurs ou de distributeurs ont tendance à relayer la seule recherche de films chez les particuliers qui peuvent encore garder quelques copies dans leur grenier.

102En fait, la Cinémathèque de Toulouse va prendre un nouvel essor à partir de 1981. Si son patrimoine n’a cessé d’augmenter, ses moyens et son personnel, eux, sont restés, ou à peu près, ceux des origines. La convention signée avec le CNC le 11 août 1981 va placer la Cinémathèque de Toulouse sur le même plan officiel que le Service des archives du film et la Cinémathèque française.

103Le CNC reconnaît effectivement la Cinémathèque de Toulouse comme un centre de recherche sur le cinéma, notamment français, et la convention définit aussi les principes d’une collaboration en ce qui concerne les échanges d’information sur l’état des fonds respectifs, des relations avec les chercheurs et l’organisation de manifestations culturelles.

104La Cinémathèque de Toulouse dépose au Service des archives du film tous les films qu’elle souhaite et bénéficie, à cet effet, d’une totale gratuité. La conservation des collections de Toulouse, « de 3 600 longs métrages et 6 000 courts métrages41 » se trouve ainsi assurée.

105En ce qui concerne la gestion de la Cinémathèque de Toulouse, le CNC met à sa disposition un directeur, agent à plein temps, Pierre Cadars, professeur d’histoire et géographie, détaché de l’Education nationale et déjà conservateur-adjoint. Cette nouvelle aide de l’État lève une préoccupante incertitude quant à l’avenir de la Cinémathèque de Toulouse.

106Mais cette nouvelle situation va générer des conflits, internes à la Cinémathèque de Toulouse. Le temps des bénévoles est révolu, celui d’une gestion efficace et rigoureuse, quelquefois génératrice de lutte de clans a pris place.

107En juillet 1983, Pierre Cadars, pourtant choisi par le conservateur de la cinémathèque, démissionne car « […] il se trouve en désaccord avec M. Borde et le bureau de la Cinémathèque de Toulouse, sur la politique générale, les perspectives d’avenir et la fonction même de directeur d’une association régie par la loi de 190142 ».

108Pierre Cadars est remis à la disposition de l’Éducation nationale et Jean-Paul Gorce lui succède l’année suivante comme administrateur. Mais les rapports entre le directeur et l’association restent vagues et il devenait nécessaire de renforcer ses structures juridiques.

109Une réunion entre Raymond Borde, Christian Phéline, directeur général adjoint du CNC et Julien Andrès, adjoint au maire de Toulouse a lieu le 4 janvier 1990 à Toulouse. Ils mettent en place un nouveau conseil d’administration, comprenant six membres de droit qui disposent de la majorité (le CNC, la région, le département, la ville de Toulouse, la Direction régionale de l’action culturelle et Raymond Borde, en tant que fondateur de la cinémathèque). À ces six membres s’ajoutent cinq membres élus qui forment le bureau. Ce nouveau conseil d’administration est complété par une commission du patrimoine, dont la responsabilité revient à Raymond Borde.

110Ce conseil d’administration peut s’appuyer sur une réalité, celle des collections de la Cinémathèque de Toulouse, qui, au 31 décembre 1989, comprenaient 5 235 longs métrages de 35 mm, 2 277 longs métrages en 16 mm, 10 longs métrages en 17,5 mm, 8 300 courts métrages en 16 et 35 mm, et 1 515 cassettes vidéo.

111Ces collections étaient gérées par six employés permanents, auxquels s’ajoutait une cellule technique dirigée par Alain Maurel, profitant d’une subvention de 1 637 000 francs, issue de l’État, de la région, du département, de la ville de Toulouse et de la DRAC.

112À la même date, sa bibliothèque était riche de 11 000 ouvrages ou index, de 500 collections de périodiques, par ailleurs pas toutes complètes, et sa photothèque, de 35 000 affiches et 400 000 photographies.

113Refusant le repli sur soi, la Cinémathèque de Toulouse a participé à différentes formes d’animations ou d’expositions. Elle a mis en place une politique éditoriale, et face à l’absolue nécessité de publications de filmographies nationales, elle a participé, en 1984, à la publication du Catalogue des films français de long métrage, 1919-1929, de Raymond Chirat et Roger Icart et elle collabore aussi avec des maisons d’édition pour des travaux qu’elle a pu accueillir, tel La France de Pétain et son cinéma, de Jacques Siclier, avec les éditions Veyrier, ou Abel Gance ou le Prométhée foudroyé, de Roger Icart, avec les éditions de L’Âge d’homme.

114Et dans le cadre de ces activités culturelles, la Cinémathèque de Toulouse possède des liens particuliers avec l’institut Jean Vigo de Perpignan.

L’Institut Jean Vigo, annexe de la Cinémathèque de Toulouse ?

115L’Institut Jean Vigo n’est pas une cinémathèque mais il est nécessaire de le citer dans la mesure où il participe de l’idée de conservation du patrimoine cinématographique, au-delà même du seul fait de posséder une collection non négligeable de films.

116L’Institut Jean Vigo est né d’un ciné-club de Perpignan, « Les Amis du cinéma », créé en 1963 par Marcel Oms qui, en 1965, organise sa première manifestation qu’il appelle « Confrontation », et dont le sujet s’intitule, tout simplement : « Le cinéma français existe-t-il ? » Dès cette première édition, la Cinémathèque de Toulouse collabore à « Confrontation » en prêtant des copies et en permettant la projection de films. Par la suite, cette collaboration va permettre un véritable partage entre les deux organismes.

« L’Institut Jean Vigo n’ayant pas vocation à être une cinémathèque […] nous n’avons pas conduit de politique de récupération de films : tout au plus lorsque nous sommes confrontés à un phénomène spécifiquement local, ou sollicités par un collectionneur particulier, avons-nous pour mission d’être des correspondants, des agents de liaison de la Cinémathèque de Toulouse43… »

117Les liens qui unissent ces deux organismes ont été renforcés par la signature d’une convention en 1987 qui définit leurs rôles respectifs, dans le cadre d’une entité géographique bien précise, le Languedoc-Roussillon et Midi-Pyrénées. Cette convention définit donc des objectifs communs, l’étude du cinéma sous l’angle historique et sociologique, et des activités complémentaires : l’Institut Jean Vigo publie une revue d’histoire du cinéma, Les Cahiers de la cinémathèque, dont l’ambition, à sa création, en 1970, fut moins de « […] rivaliser avec les grandes revues parisiennes, mais simplement d’affirmer, dans une ville provinciale, le droit à une existence culturelle44 ».

118Il organise un festival annuel, à l’automne, de critique historique, « Confrontation ». La Cinémathèque de Toulouse reste une « archive » du cinéma. Tous deux produisent en commun un colloque, annuel, généralement au printemps, « Cinéma et histoire – histoire du cinéma » qui a lieu à Perpignan et publient, depuis 1986, le périodique Archives qui accueille des écrits sur l’histoire et la théorie du cinéma.

119Entité juridique à la gestion autonome, l’Institut Jean Vigo n’en possède pas moins sa propre médiathèque et dispose d’un certain nombre d’éléments constitutifs du patrimoine cinématographique français, dont une collection de films, notamment des primitifs et des documents sur le Languedoc-Roussillon, représentant environ trois cents titres déposés à la Cinémathèque de Toulouse.

120À ce véritable fonds cinématographique, s’ajoutent, au début de l’année 1988, une collection de revues, près de deux mille ouvrages, neuf mille affiches et quelque cent mille photographies.

LES AUTRES ORGANISMES DE CONSERVATION

La Cinémathèque universitaire

121La Cinémathèque universitaire est née d’un constat, celui des réels besoins de l’université en matière d’enseignement de l’histoire du cinéma. Face aux carences des organismes de tutelle, notamment de l’Éducation nationale, un groupe d’enseignants, parmi lesquels Claude Beylie, futur conservateur et secrétaire général, crée en 1973, sous l’égide de l’université de Paris-I – Sorbonne-Panthéon, la Cinémathèque universitaire, « […] association sans but lucratif, aux moyens limités, à l’audience restreinte, aux objectifs désintéressés par excellence45 ».

122Elle propose de mettre à disposition des universités toutes sortes de films et de documents se rapportant à l’histoire du cinéma, de rechercher et d’acquérir des copies et des extraits de films, ainsi que tout document – livres, revues, photographies, affiches, scénarios – susceptibles d’aider à l’étude du cinéma, d’organiser des séances de visionnement et d’analyse de films, sans aucun souci commercial, et de réaliser des films de montage. Dans une seconde étape, cette Cinémathèque universitaire doit permettre la promotion du cinéma dans le second degré, grâce à la formation permanente des enseignants. Elle dépose ses statuts le 29 novembre 1973. Son président d’honneur est Jean Renoir, son président, Jean Mitry. Claude Beylie, alors maître-assistant à l’UER d’art et d’archéologie de Paris-I et rédacteur en chef de la revue L’Avant-scène-cinéma, en sera l’infatigable animateur. Il donne les raisons de l’opportunité de cette création : « La Cinémathèque universitaire a été créée à l’origine dans un but strictement pédagogique : nous n’avions pas la prétention de couvrir toute l’histoire du cinéma, de quadriller l’immensité du champ audiovisuel, mais seulement d’illustrer un enseignement du cinéma qui nous semblait un peu trop théorique et abstrait46. »

123Entouré d’une équipe de bénévoles, sans aucune subvention, Claude Beylie va animer cette nouvelle cinémathèque et, bénéficiant d’heureuses relations avec certains ayants droit, va pouvoir alimenter ses collections qui, à partir de 1973, ne vont cesser de progresser.

124Disposant de 1 800 films, dont la moitié en 35 mm, à la date du 15 décembre 1982, elle possédera environ 5 000 copies en 1986, « […] récupérées à droite et à gauche, chez les brocanteurs, les casseurs, dans les laboratoires, auprès de déposants bénévoles47 ».

125Mais il s’agit toujours d’alimenter le réseau de l’enseignement supérieur, et si les films sont entreposés dans les centres universitaires de Tolbiac et Censier, ils sont disponibles pour des projections, envoyés vers les universités de province, et servent aux travaux sur table de montage pour les étudiants de haut niveau.

126Face au danger que pourrait représenter ce fonctionnement uniquement universitaire, et donc refusant une forme de ghetto cinématographique, Claude Beylie a tenté d’inscrire la Cinémathèque universitaire dans un cadre international. Elle a adhéré à la FIAF en 1975 en qualité de membre observateur, et elle entretient, depuis, d’excellentes relations avec les cinémathèques francophones, la Cinémathèque de Toulouse, Lausanne, celle du Luxembourg, de Montréal, et même avec le Service des archives du film de Bois d’Arcy.

L’Institut Louis Lumière

127L’Institut Louis Lumière a été créé en juillet 1982 à l’initiative de la ville de Lyon. Ce n’est pas une cinémathèque, mais il participe également de la conservation du patrimoine cinématographique dans la mesure où il possède l’intégralité des films Lumière et la collection des appareils de Paul Génard, deux collections dont les origines sont différentes et qui ont été réunies au sein du comité de fondation du musée du Cinéma de Lyon, fondé en 1966.

128Chirurgien-dentiste à Villeurbanne, Paul Génard collectionne les documents et objets concernant les origines du cinéma, et ce depuis 1938, date à laquelle il acheta, chez un antiquaire, un vieux phonographe à cylindres. De leur côté, les héritiers des frères Lumière possédaient une collection de trois mille films, tournés entre 1894 et 1905, et les archives des cinéastes.

129Ces deux collections vont être réunies au sein de la fondation du musée du Cinéma dont le président est Paul Génard, qui adhère à la FIAF en 1969 en tant que membre observateur, et dont la mission est de rassembler les films et appareils retraçant l’histoire des débuts du cinéma.

130En 1970, le congrès de la FIAF se tient à Lyon, alors que le « Château-Lumière », « imposante résidence de roturier destinée à loger sa famille et à recevoir de nombreux hôtes48 », construit par Antoine Lumière et situé rue du Premier-film, est devenu propriété de la société CIBA-Ilford.

131Les congressistes projettent l’idée d’y installer les archives Lumière et la collection de Paul Génard, mais face aux atermoiements de la ville de Lyon, le château va abriter, à partir de 1978, la Fondation nationale de la photographie, dont le délégué général est Bernard Chardère, le fondateur de la revue Positif.

132Avec le changement de majorité politique issue des élections présidentielles de mai 1981, cette fondation est ramenée à Paris et devient Centre national de la photographie. À Lyon, elle est remplacée par l’Institut Lumière pour le cinéma et l’audiovisuel dont les président et directeur respectifs sont Bertrand Tavernier et Bernard Chardère. Ce nouvel institut doit alors se doter de multiples activités et élaborer des projets :

« […] une unité de production dont Bertrand Tavernier s’occuperait directement, un musée de l’Image et du Son regroupant tous les appareils anciens – dont l’importante collection réunie par le docteur Paul Génard et vendue à la ville – et tous les films Lumière pour une révision de l’histoire du cinéma ; enfin l’implantation à Lyon de l’Institut national de l’audiovisuel49 ».

133Les archives Lumière et les collections de Paul Génard, effectivement rachetées par la ville de Lyon en 1981, intègrent l’Institut et lui procure, de ce fait, un aspect de cinémathèque, renforcé par le fait que ses responsables ont, depuis sa création, désiré un développement régional, voulu regrouper tout film tourné dans la région et enregistrer, autant sur support vidéo que sur pellicule « les itinéraires des grands personnages qui ont marqué leur temps et leur ville50 ».

134En fait véritable « maison de l’image », l’Institut Lumière organise des projections, des expositions et des rencontres, aide à la formation en dispensant des cours, participe à l’édition et possède une bibliothèque et une médiathèque. Quant à sa fonction de « cinémathèque », elle s’est enrichie, depuis juin 1986, de la cession, à son avantage, des droits commerciaux des films Lumière par la société Ilford, qu’elle détenait par don de Louis Lumière.

135Rétrocédés pour le monde entier, et sur tous les supports, ces nouveaux droits ont permis à l’Institut d’augmenter ses ressources, compensant ainsi la baisse des subventions, qui sont passées de 3 152 000 francs en 1983, à 1 705 000 francs en 1986, reparties entre le ministère de la Culture, la ville de Lyon, le Conseil régional Rhône-Alpes et le Conseil général du Rhône, réduction due à l’Etat et au Conseil régional.

136Cette baisse des crédits ne pouvait pas laisser Bernard Chardère sans réaction. Il n’a donc pas hésité à la critiquer d’un point de vue humoristique, en demandant que « […] les crédits attribués à l’Institut Lumière soient indexés, par exemple, sur le nombre d’habitants de la ville, l’âge de Lugdunum, la notoriété de la rue du Premier-film, voire sur les engagements pris par l’État, mais de grâce : qu’on s’y tienne51 ».

Les cinémathèques régionales

137En marge des organismes à caractère hégémonique, car englobant la totalité, ou du moins la majeure partie du patrimoine cinématographique, il existe un certain nombre d’autres structures que l’on qualifie également de « cinémathèques », même si ce qualificatif ne semble pas toujours justifié.

138En effet, il en est de ces organismes dont la renommée, l’audience et l’intérêt ne dépassent le cadre local ou régional, il en est aussi dont les buts, et les motivations sont différents des associations déjà étudiées.

139Il est vrai qu’il est nécessaire de tout conserver, un grand classique et « […] un film publicitaire, un document d’entreprise, un film “militant”, un enregistrement d’amateur, un reportage municipal, tous les témoignages d’un cinéma “non industriel” doivent être acceptés avec les mêmes privilèges que la dernière œuvre d’un cinéaste réputé52 ».

140Mais il est nécessaire de s’interroger sur l’ambiguïté du terme « cinémathèque », un certain nombre de ces organismes pouvant user de cette appellation, sans pour autant adopter les critères techniques nécessaires à la conservation des films dont ils peuvent avoir possession.

141Ces organismes peuvent alors mettre en danger leur patrimoine et « […] la multiplication, dans certains pays, de “cinémathèques” régionales, locales, spécialisées, décentralisées, ne doit pas faire illusion sur les chances éventuelles de survie à long terme d’un plus grand nombre de films53 ».

142Les copies de films peuvent être soumises à un vrai danger de détérioration, d’autant que certaines de ces « cinémathèques » « […] font uniquement des projections de films anciens. Ainsi existe t-il à Nice, Marseille ou Grenoble, des « Cinémathèques » – remarquables au demeurant – qui empruntent des films pour les diffuser54 ».

143Au moins est-il nécessaire d’affirmer, une nouvelle fois, la définition d’une cinémathèque et, on peut soutenir que, « […] finalement, seul le patrimoine justifie une cinémathèque, sans avoir à chercher lui-même une justification. Le patrimoine, c’est la collection de films et de documents (ouvrages, périodiques, photographies, affiches, maquettes, appareils) c’est-à-dire tout ce que nous appelons […] le non-film55 ».

144En annexe de son rapport d étude sur le dépôt légal des films en France, effectué en 1976, Jack Gajos établit un recensement des cinémathèques qu’il classe en trois groupes distincts selon leurs activités :

  • Les cinémathèques commerciales, qui « fonctionnent comme des distributeurs qui loueraient leurs films à tout individu ou groupe en faisant la demande ». Ces organismes ont un but lucratif par le fait de la location des copies et elles sont soumises au statut de société anonyme ou société anonyme à rendement limité.
  • Les cinémathèques de conservation, qui « collectionnent et entretiennent des copies de films et fonctionnent sur le modèle des bibliothèques ». Le prêt à l’extérieur est exceptionnel et elles sont soumises au régime de la loi de 1901.
  • Les cinémathèques de service qui « remplissent deux types de fonction, information ou publicité de l’organisme ou de l’entreprise dont elles dépendent, ou fonction de service public en réponse à un besoin ou une demande ».

145Ces « cinémathèques », au nombre de 136 à la date du mois de juin 1976, peuvent être rattachées à des organismes privés à caractères commerciaux, tels Franfilmdis ou « Seuil audiovisuel », ou dépendantes d’entreprises, comme la Compagnie française des pétroles Total ou Citroën, mais également des organisations professionnelles, l’Institut français du pétrole ou la Chambre syndicale de la sidérurgie française.

146Elles peuvent être également rattachées à des organismes publics, que ce soit des ministères ou secrétariats d’Etat, des établissement à caractère public tels l’Institut national des sports ou le Centre national de la recherche scientifique, voire se trouver sous tutelle préfectorale (la cinémathèque scolaire de la ville de Paris) ou municipale (la cinémathèque de la ville de Saint-Étienne).

147Ces « cinémathèques » sont souvent des dépendances d’organismes subventionnés. La Maison des arts et de la culture de Créteil, la maison de la culture du Havre, et la Fédération du cinéma éducatif, possèdent leurs propres copies de films. Quant aux organismes étrangers en France, ambassades, consulats ou offices de tourisme, certains sont également en possession de copies.

148S’il est difficile de chiffrer le nombre de films que ces différents organismes peuvent posséder, s’il est difficile de connaître l’état de leurs copies, ces « cinémathèques » s’inscrivent néanmoins dans une réalité, celle que revêt le patrimoine cinématographique.

149Mais l’importance de ces types de sociétés, qui possèdent un certain nombre de films, n’a pas manqué d’inquiéter les responsables de cinémathèques stricto sinsu. Lors de son congrès, qui se tient à Rapallo en 1981, la FIAF promulgue une « déclaration sur le rôle des archives du film ». Elle déclare donc que « les véritables cinémathèques ont pour objet principal de leurs activités, la collection, la conservation et le catalogage ». Elle insiste sur le fait que les « organismes de projection qui se parent de ce titre utilisent des copies que l’on devrait conserver et que du matériel cinématographique précieux peut ainsi, et pour toujours, être détruit indirectement par un appui officiel ».

150La nuance est suffisamment d’importance pour lever toute ambiguïté et permet de contester tout organisme qui s’arroge le titre de cinémathèque afin d’en percevoir quelque reconnaissance culturelle.

Notes de bas de page

1 Jean Grundler, « Entretien avec l’auteur », op. cit.

2 Le Monde, 31 octobre 1968.

3 Ibid.

4 Jean Grundler, « Entretien avec l’auteur », op. cit.

5 Bulletin d’information du CNC, n° 116, avril 1969.

6 Ibid.

7 Franz Schmitt, « Le Service des archives du film », Cinéma 76, n° 214, octobre 1976.

8 Ibid.

9 « L’action du Service des archives du film », Cinéma 76, n° 214, octobre 1976.

10 Ibid.

11 Bulletin d’information du cnc, n° 159-160, juin-août 1976.

12 Ce groupe de travail était composé de MM. Adhemar, Brunsvig, Calvi, Castelain, Delannoy, Dumont, Pelou, Schmitt, Berthod, Chaballier, Fernay, de Ferry, Françon, Gajos, Goumbault, Grégoire, Grundler, Guenot, Jaeger, Jouanneau, Joubert, Lathière, Léglise, Luntz, Méry, Rosetti, Soule, Thévenet et Mmes Honoré et Picheral. Les rapporteurs en sont MM. Jack Gajos et Gilbert Grégoire.

13 Par arrêté du 26 septembre 1977, ce délai est réduit à deux ans.

14 Antérieur au dépôt légal en matière de films cinématographiques, le décret du 30 juillet 1975 fixe, lui, les conditions d’application aux œuvres audiovisuelles et multi-média de la loi du 21 juin 1943.

15 Françoise Audé, Jean-Pierre Jeancolas, « Entretien avec Franz Schmitt ». Positif, n° 261, novembre 1982.

16 Ibid.

17 Franz Schmitt, rapport d’activité du Service des archives du film, 1982.

18 Jack Lang, « Conférence de presse sur les mesures d’application de la nouvelle politique du cinéma ». Paris, 11 janvier 1983.

19 Ibid.

20 Bulletin d’information du CNC, n° 206, juin 1985.

21 Bulletin d’information du CNC, n° 231, septembre-octobre 1990.

22 Franz Schmitt, cité par Frédéric Sabouraud, « Le clergyman sort de sa coquille ». Cahiers du cinéma, n° 383-384, mai 1986.

23 À cette même date, a été créée une commission scientifique des archives du film, présidée par Jean-Loup Passek, composée d’historiens et de responsables d’archives, destinée à enrichir de leurs réflexions les travaux du Service des archives du film.

24 Thierre Jousse, Charles Tesson, Serge Toubiana, « Cinémathèque : l’art de programmer », op. cit.

25 Michelle Aubert, Bulletin d’information du CNC, n° 231, septembre-octobre 1990.

26 Raymond Borde, « Histoire de la Cinémathèque de Toulouse », Archives, n° 30-31, mars-avril 1990.

27 Joël Saurin, « La Cinémathèque de Toulouse », Impressions du Sud, n° 17, 1er trimestre 1988.

28 Claude Beylie, « La Cinémathèque de Toulouse », entretien avec Raymond Borde, Cinéma 69, n° 135, avril 1969.

29 Guy Braucourt, « Entretien avec Raymond Borde », Le Monde du spectacle, n° 11, 11 février 1972.

30 Ibid.

31 Ibid.

32 Raymond Borde, « Histoire de la Cinémathèque de Toulouse », op. cit.

33 À cet égard, il est intéressant de constater que les premiers entretiens donnés par Raymond Borde, à partir de 1964, ne font jamais allusion à cet épisode, houleux, de l’histoire des cinémathèques.

34 Guy Braucourt, « La volonté d’un homme », Les Nouvelles littéraires, 14-20 février 1972.

35 Raymond Borde, « Histoire de la Cinémathèque de Toulouse », op. cit.

36 Claude Beylie, « La Cinémathèque de Toulouse », op. cit.

37 Raymond Borde, « Histoire de la Cinémathèque de Toulouse », op. cit.

38 Jean-Pierre Bertin-Maghit, « Le scandale de la Cinémathèque de Toulouse », La Revue du cinéma Image et son, n° 336, février 1979.

39 Guy Braucourt, « La volonté d’un homme », op. cit.

40 Guy Braucourt, « Entretien avec Raymond Borde », op. cit.

41 Jacques Siclier, « La Cinémathèque de Toulouse et le CNC, de nouveaux rapports », Le Monde, 21 août 1981.

42 Jacques Siclier, Le Monde, 5 août 1983.

43 Marcel Oms, « La médiathèque de l’Institut Jean Vigo à Perpignan », Impressions du Sud, n° 17, 1er trimestre 1988.

44 Bernard Bastide, « Entretien avec Pierre Guibbert », Impressions du Sud, n° 17, 1er trimestre 1988.

45 Claude Beylie, « La Cinémathèque à l’amphi », Écran, n° 20, décembre 1973.

46 Claude Beylie, Le Plaisir du film, p. 63.

47 Ibid., p. 64.

48 Jean-Luc Douin, « Ombre et lumière », Télérama, n° 2054, 24 mai 1989.

49 Jacques Siclier, « Les grands projets de l’Institut Lumière », Le Monde, 31 décembre 1983.

50 Claude Régent, Le Monde, 5 juillet 1982.

51 Bernard Chardère, cité par Nadine Buraud, Le Film français, n° 2137, 17 avril 1987.

52 Franz Schmitt, « Cinémathèques : la règle du jeu » Le Courrier de l’Unesco, août 1984.

53 Ibid.

54 Raymond Borde, Le Film français, n° 1727, 16 juin 1978.

55 Raymond Borde, « Les cinémathèques : patrimoine ou spectacle ? » op. cit.

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