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Chapitre premier. La Cinémathèque française 1968-1998
p. 151-189
Texte intégral
1L’« affaire Langlois » a démontré la faiblesse de l’État incapable de résoudre cette crise, incapable d’expliquer son point de vue, hors du climat passionné qui l’a entourée.
2L’État se désengage de toute responsabilité dans la gestion de la Cinémathèque française et crée un établissement public pour la conservation des films, le Service des archives du film de Bois d’Arcy.
3On se dirige donc vers une dichotomie en ce qui concerne le problème de l’archivage du patrimoine cinématographique : la conservation à Bois d’Arcy, la diffusion étant réservée à la seule Cinémathèque française.
4L’État va également continuer à aider financièrement la Cinémathèque française, même si la subvention, pour l’année 1968, est réduite de moitié et atteint à peine cinq cent mille francs. Henri Langlois est, lui, sorti vainqueur de l’épreuve engagée avec les pouvoirs publics. Plus que jamais, il reste, pour reprendre l’expression de Jean Cocteau, « le dragon qui veille sur nos trésors », et ce jusqu’à sa disparition, en janvier 1977.
LES ANNÉES 1968-1977
État des lieux
5Durant son court intermède à la direction de la Cinémathèque française, Pierre Barbin aura eu au moins le mérite de demander que soit effectué l’inventaire des films détenus par cet organisme, inventaire qui fut confié à Jean Vivié, ingénieur des Mines et à Roger Weil-Lorac, délégué général de la Fédération des chambres syndicales des industries techniques du cinéma. Aidés d’une équipe de techniciens – le tout représentant dix personnes – ils ont tenté, durant un mois, et ce à partir du 15 mars 1968, de répondre à trois questions : où les films sont-ils localisés ? Quel est leur nombre ? Quel est leur état ?
6– La localisation : les experts n’ont pu que travailler sur les dépôts connus : Bois d’Arcy, Les Lilas (Ets GTC), La Courneuve (Ets UCIFRA), les laboratoires Boyer, à Redessan, dans le Gard et le siège social de la Cinémathèque française, 82, rue de Courcelles.
7– Le nombre des films : pour ce dénombrement, la technique utilisée fut celle de la comptabilité des titres, seule technique valable car, pour un même titre, la Cinémathèque française pouvait posséder plusieurs « films », le négatif, des copies positives, voire un internégatif ou un marron. Mais bénéficiant d’un délai trop réduit, les experts n’ont pu convertir le nombre de films recensés par le nombre de titres.
8Pourtant, dans le détail, et en fonction des lieux de dépôt précédemment cités, ces experts ont pu malgré tout recenser à Bois d’Arcy, lieu où se trouvaient les stocks les plus importants, environ 170 000 boîtes, ce qui correspond à 15 000 titres environ, longs et courts métrages, certains existant en plusieurs copies.
9Au dépôt des Lilas, ils ont trouvé 4 912 boîtes, correspondants à 1 739 films, de longs et courts métrages, positifs et négatifs ; au dépôt de La Courneuve, 1 890 boîtes pour 221 films, uniquement des longs métrages ; à Redessan, au laboratoire Boyer, 2 282 boîtes, soit 738 films, également positifs et négatifs. Enfin, rue de Courcelles, 700 films de longs et courts métrages, parmi lesquels environ 250 étaient des films prêtés et en attente de réexpédition vers leurs propriétaires ou d’autres cinémathèques.
10En l’absence d’inventaire définitif – tous les dépôts de la Cinémathèque française n’étaient pas connus, hormis de Langlois et de certains de ses proches – et en fonction du temps imparti, les experts ont pu estimer que le nombre de titres de films détenus par la Cinémathèque française s’élevait, à cette date, entre 15 000 et 16 000, c’est-à-dire, « à peu près 30 % des films par rapport aux chiffres annoncés par la presse1 ».
11– État des films : l’expertise a permis de remarquer une différence de l’état des stocks suivant leur localisation. Avec les dépôts des Lilas, de La Courneuve, et du Gard, elle constate d’assez bons résultats de conservation. Il en va différemment dans les autres dépôts : « […] lorsque Jean Vivié et moi-même fûmes chargés de dresser l’inventaire et d’expertiser les locaux de la rue de Courcelles et de Bois d’Arcy, nous nous trouvâmes devant une situation alarmante et même catastrophique. Des films étaient en très mauvais état, souvent dans des sacs pourris, bref, livrés à l’abandon2 ».
12Faute de temps, cette expertise ne put être effectuée qu’à Bois d’Arcy et uniquement sur 63 % des collections. Elle porte sur l’état des boîtes et celui des copies qu’elles renfermaient, en remarquant que l’état de la copie peut être sans rapport avec celui de la boîte dans laquelle elle est déposée. Un film en bon état peut être retrouvé dans une boîte en état défectueux.
13Après enquête, les experts ont tiré les conclusions suivantes : « […] les supports films détenus à Bois d’Arcy sont, pour les 6/10e environ, dans un état physico-chimique médiocre, mauvais ou très mauvais. »
14Dans le détail, sur ces 6/10e, 2/10e sont dans un état irrécupérable, qui ne peut qu’empirer (gélatine fondue, films rouilles ou moisis). Les 4/10e nécessitent des travaux de restauration et de contretypage urgents et importants. Sur les 4/10e restant, seul 1/10e peut être récupéré par un service de conservation, sans aucun travail de restauration particulier. Le reste, 3/10e, peut également être récupéré par ce même service, après travaux de nettoyage et de « petites opérations », sans pour autant que ces travaux puissent donner des documents d’archives complets ni parfaits. En conclusion, sur les films détenus à Bois d’Arcy, 20 % sont définitivement perdu, et 40 % doivent être traités d’urgence afin de ne pas suivre la même voie.
15Sans nul doute, les pouvoirs publics pouvaient nourrir quelque inquiétude quant à l’état de ces collections, qui n’étaient rien d’autre que le patrimoine cinématographique français.
16En ce qui concerne les films retrouvés rue de Courcelles, on peut légitimement affirmer que leur état n’était guère meilleur que ceux détenus à Bois d’Arcy. Un exemple, à cet égard, est révélateur. Pierre Barbin découvre, un vendredi après-midi, dans le grenier de la rue de Courcelles, l’unique exemplaire du film d’Émile Reynaud, Autour d’une cabine. Le 23 février est effectuée l’expertise du film, par Jean Vivié, en présence de MM. Barbin et Maillet, de Françoise Carvillani, responsable des archives à la Cinémathèque française et de Josette Oudart, petite-fille d’Emile Reynaud. L’expertise décèle « […] un gaufrage général et des craquelures en de nombreux endroits des vues sur cristalloïd dont certains morceaux se sont détachés3 ».
17Lors de cette expertise, Josette Oudart a rappelé que des précautions avaient été prévues lors de l’exposition avenue de Messine afin d’éviter toute détérioration, grâce à un dispositif d’humidification permettant d’éviter le dessèchement du cristalloïd.
18Mais ce dispositif d’humidification a fait défaut lors d’une nouvelle exposition, plus récente, des « Trésors de la Cinémathèque » à Cannes, ce qui ne pouvait amener que des détériorations. De plus, « […] la bande est conservée dans les greniers de la Cinémathèque française dans des conditions de températures et de sécheresse nuisibles à la bonne conservation du matériau cristalloïd4 ».
Une certaine réalité
19Une subvention fortement réduite, un état de conservation pour le moins défectueux, la Cinémathèque française a dû, après la crise, pallier aux manques de crédits par ailleurs nécessaires à son fonctionnement, et adopter une attitude face à une réalité, celle de l’état de ses collections.
La recherche de nouveaux crédits
20Si la salle de la rue d’Ulm rouvre le 2 mai, il faut attendre, en fait, le 31 juillet pour que celle de Chaillot en fasse de même, avec un hommage à Charlie Chaplin et la projection de Monsieur Verdoux et, pour tout cinéphile, « il fallait se présenter à la Cinémathèque dès que possible5 », d’autant que le film n’avait jamais été présenté en France, depuis sa sortie commerciale, en 1947.
21L’intérêt de retrouver cette salle de Chaillot, tout autant que de découvrir le film de Chaplin, est tel que l’on doit installer, une heure avant le lancement du film, des bancs dans la salle de projection, ce qui n’empêche pas que certains spectateurs soient obligés de s’asseoir à même le sol, alors que d’autres restent debout, sur les marches de l’escalier de sortie. Enfin,
« […] à 20 h 40, de chaleureux applaudissements accueillent un Henri Langlois en pleine forme, toujours un peu débraillé, les cheveux négligemment rejetés en arrière, la cravate de travers. Il remercie, faussement timide, et balbutie, plus cabotin que jamais, que nous devons cette chance inespérée à Chaplin lui-même qui a exceptionnellement autorisé la projection, pour un soir, de Monsieur Verdoux6 ».
22Les deux salles sont toutes deux rouvertes et ont besoin de crédits de fonctionnement, tout comme il est nécessaire de payer les salaires des employés de la Cinémathèque française. L’aide de l’État doit donc servir à couvrir les frais d’entretien des locaux de Chaillot et le paiement des salaires. Les recettes aux guichets des salles, elles, devaient combler la différence. Mais ces recettes étant insuffisantes et les subventions de l’État, réduites, Henri Langlois doit chercher d’autres sources de financement. Il en trouvera en donnant des cours, tout d’abord au Canada, à Montréal, puis à Nanterre.
23Henri Langlois accepte en fait la proposition de Serge Losic, directeur du conservatoire d’Art cinématographique de Montréal et président du Festival international du film de Montréal, de venir donner des cours sur le cinéma, à l’université sir George Williams. Ses cours débutent dès le mois de septembre 1968 et vont durer trois ans à raison d’un voyage Paris-Montréal tous les quinze jours. Henri Langlois arrivait au Canada le jeudi soir, le plus souvent avec quelques films dans ses bagages, les cours étaient dispensés le vendredi, le samedi et même le dimanche.
24Mais ces cours n’avaient rien d’académique et les étudiants, d’abord surpris, « […] ont abandonné de prendre des notes et Langlois parlait, commentait des films, mettait des extraits [et] les gens ont trouvé ça vraiment passionnant ; pendant trois ans, ça a été un succès extraordinaire7 ».
25Le refus d’un enseignement classique tient à la personnalité d’Henri Langlois. Outre le fait qu’il ne s’est jamais considéré comme un professeur, il définissait le discours dispensé dans cette université comme un véritable anti-cours.
« Je ne suis pas un professeur. Jamais. Je fais des anti-cours. Y a-t-il des écoles d’écrivains ? Cette littérature autour du cinéma m’effraie […] je ne fais pas une histoire du cinéma ; il n’y avait pas d’histoire de l’art avant les maniéristes, et Vinci existait, non ? La première fois que j’ai entendu parler de culture cinématographique, c’est en Italie, sous Mussolini8. »
26Cet enseignement, relayé en 1969 par un « cours expérimental de cinéma et de culture cinématographique9 », lui aura permis d’assurer quelque financement à la Cinémathèque française car si « […] on lui payait le voyage, le séjour, plus des honoraires, il rapportait tout cet argent à la Cinémathèque10 ».
27Mais le fait d’assurer des cours n’empêche pas Henri Langlois d’organiser de nouvelles expositions et de penser, toujours, à la création d’un définitif musée du Cinéma.
Le musée du Cinéma
28L’exposition organisée au Palais de Chaillot, dans les anciens locaux du musée des Arts et Traditions populaires, et intitulée « 75 ans de cinéma », inaugurée le 14 juin 1972 par Jacques Duhamel, ministre des Affaires culturelles, préfigure le futur musée du Cinéma.
29Cette exposition est un vrai voyage initiatique, retraçant l’histoire du cinéma, selon un ordre chronologique précis et qui permet, dès l’entrée, de placer le spectateur « dans la vie, cette vie que le film a pour mission de perpétuer11 ». En effet,
« rien de moins figé que le spectacle qui se déroule tout au long d’une galerie sinueuse de cent soixante mètres – sur une largeur de dix mètres au moins, soit une surface au sol de près de deux mille mètres carrés – divisées en soixante salles flanquées d’alvéoles. Il est vrai que seize pistes de projection, disséminées dans toute l’exposition, diffusent de petits montages, tous différents, et que la déambulation s’achève dans une salle de quatre-vingts places – une seconde cinémathèque dans la cinémathèque – réservée aux films très rares : des premières bandes à la Cicatrice intérieure12 ».
30Mais si cette exposition, devenue permanente, doit fermer provisoirement ses portes quelques semaines plus tard, elle est l’acte fondateur du musée du Cinéma, d’autant plus que la subvention pour la Cinémathèque française, grâce à une rallonge au titre du musée du Cinéma, a presque doublé et atteint, pour l’exercice 1973, neuf cent trente mille francs.
31Il faut attendre le 22 mars 1975 pour que le musée du Cinéma soit inauguré. À cette occasion, Michel Guy, nouveau secrétaire d’État à la Culture, déclare qu’il « ne laissera pas mourir la Cinémathèque française13 ».
32Mais la création de ce musée du Cinéma a coûté fort cher – deux millions de francs selon Georges P. Langlois14 – et a « mobilisé tous les fonds propres de la Cinémathèque française15 ».
33Et, d’évidence, si « on a consacré des crédits au musée, [c’est] au détriment des autres activités16 », tout autant qu’à celui des employés, qui sont payés avec de nombreux mois de retard. La Cinémathèque française est donc obligée de contracter des dettes. Mais le choix du musée était une priorité car
« […] les cinémathèques qui n’auront pas compris qu’elles doivent, d’abord, être des musées, seront des armoires, rien de plus […] le cinéma, c’est l’écran immense de Lumière, ce n’est pas le mouchoir de poche d’Edison. Depuis le parlant, nous sommes dans le cinéma d’Edison, et le rôle des cinémathèques, c’est de continuer l’ère des Lumière. Elles ne peuvent le faire qu’au sein d’un musée17 ».
34Reste le problème financier et dans l’entretien qu’il donne au Monde du 19 février 1976, Henri Langlois lance un véritable appel à l’État en affirmant que « seul l’État peut prendre en charge financièrement un tel musée, un musée qui ne sera pas sur le modèle classique français18 ».
35Il pense aussi que le secrétaire d’État à la Culture, Michel Guy, a su comprendre ce qu’un tel musée pouvait représenter :
36« Les gens s’imaginent que la Cinémathèque, ce sont des salles, des archives, que sais-je… En fait, c’est un état d’esprit. Je crois que l’actuel secrétaire d’État à la Culture l’a compris19. »
37Et si ce musée a occasionné des dépenses supérieures à la subvention allouée à la Cinémathèque française, il faut se rendre à l’évidence, à savoir que « […] seul l’État peut prendre en charge financièrement un tel musée […] qui ne doit pas être un déambulatoire autour de quelques vitrines20 ».
38Mais il ne s’agit pas pour autant que cet État s’implique dans le fonctionnement de la Cinémathèque française, et Henri Langlois, fidèle à ses conceptions en la matière, garant de sa liberté affirme que si « […] le contrôle de l’État devient nécessaire, il ne doit pas dépasser le contrôle de l’affectation des dépenses21 ».
39Ce musée est aussi, et surtout, l’aboutissement d’une longue maturation, d’une longue réflexion issue de l’après-guerre, même si « […] depuis son adolescence, Henri n’avait qu’une idée en tête, créer le premier et le plus grand musée du Cinéma du monde22 ».
40Le secrétaire général de la Cinémathèque française réalise, enfin, ce rêve et fait « couler dans ce lieu sa vision du cinéma23 ».
41Ce musée est d’une importance capitale, à tel point que :
« La Cinémathèque était incluse dans l’entité musée, avec l’unité d’une collection constituée des films et des archives documentaires, maquettes, costumes, ébauches, dessins des trajets de caméra… Il [Langlois] avait une conception unitaire et globale qui commençait aux premiers télégrammes exprimant le désir de faire un film auprès d’un producteur, jusqu’à l’affiche d’exploitation […] C’est la raison pour laquelle le terme de cinémathèque lui semblait insuffisant : Langlois n’a jamais pensé la Cinémathèque comme un lieu où l’on venait voir un film et d’où l’on repartait immédiatement. Il a toujours pensé à un journée du cinéma […] : on voit une exposition temporaire, on voit un court métrage, […] on feuillette des livres, on voit un ou deux longs métrages, et on termine la journée par une exposition qui retrace les origines du cinéma jusqu’à aujourd’hui. C’est cela également une programmation24. »
42Mais l’inauguration du musée par Michel Guy n’annonce qu’une ouverture temporaire. Son ouverture définitive est conditionnée par de nouvelles négociations, entre les pouvoirs publics et la Cinémathèque française afin de régulariser l’état de ses finances, et de faire, de nouveau, le point sur la problème de la conservation des collections.
43Entre-temps, la salle de la rue d’Ulm avait fermé dès septembre 1972 faute de crédits et Henri Langlois, lors d’une cérémonie à Hollywood, le 2 avril 1974, avait reçu un oscar spécial de l’Academy of Motion Pictures Arts and Sciences, pour son dévouement en faveur de la conservation des films.
La conservation des collections
44Méfiant à l’égard des pouvoirs publics, soucieux que personne ne puisse mettre la main sur les collections de la Cinémathèque française, Henri Langlois n’a jamais voulu occuper les locaux, neufs, que l’État avait mis à sa disposition à Bois d’Arcy et a préféré laisser la majeure partie des collections dans les casemates humides de l’ancienne batterie de défense de la ville de Paris.
45Ces nouveaux entrepôts furent mis en service le 29 octobre 1968, mais « […] les films de la Cinémathèque française restèrent sous les voûtes humides de la vieille redoute où le processus de destruction chimique de la gélatine continuait, impitoyable…25 »
46Face à ce refus d’occuper ces nouveaux lieux de stockage, l’État va créer un organisme public, le Service des archives du film de Bois d’Arcy et charge le Centre national de la cinématographie d’une nouvelle mission, définie par le décret du 19 juin 1969, publié au Journal officiel du 22 juin 1969 : « […] d’assurer la conservation des films cinématographiques qui lui sont confiés en dépôt ou dont il acquiert la propriété. »
47Les pouvoirs publics pallient ainsi aux carences de la Cinémathèque française, ce qui ne doit pas les empêcher de se préoccuper, toujours, de l’état de ses collections. André Astoux, nouveau directeur général du CNC, tente même une nouvelle démarche en 1972 afin d’infléchir la position d’Henri Langlois. Il propose la signature d’une convention entre le CNC et la Cinémathèque française, qui lui permettrait de bénéficier des conditions particulières de déposant privilégié. Cette convention fut même signée, pour la Cinémathèque française, par son président, Hubert de Villez. Et dès lors,
« […] la Cinémathèque peut déposer, dans des conditions privilégiées, non seulement les films qu’elle détient en tant que biens propres, mais aussi ceux dont elle est dépositaire. Elle bénéficie d’une gratuité absolue de prestations et de conditions spéciales facilitant la manipulation, et le retrait rapide des films. Vis-à-vis du Service des archives du film, elle dispose sans réserve des films déposés26 ».
48Malgré la signature de cette convention, la Cinémathèque française continue à ignorer les nouveaux locaux de Bois d’Arcy. Mais s’il est soucieux de l’indépendance de la Cinémathèque française, Langlois ne désespère pourtant pas de trouver de nouveaux entrepôts pour ses films, entrepôts qu’il espère plus fiables que ceux de Bois d’Arcy. Dans l’entretien qu’il accorde en avril 1975 au Film français, il assure que ce problème de stockage est proche alors de sa solution et qu’il ne saurait plus être question que « […] de semaines, de mois tout au plus. Nous allons disposer d’un lieu de stockage peut-être meilleur encore que celui qui nous était primitivement destiné à Bois d’Arcy27 ».
49Ces locaux, Henri Langlois les a effectivement trouvés. Il s’agit d’entrepôts situés dans un ensemble de bâtiments, avenue d’Océanie, à Orsay, et appartenant à la société immobilière Auvidulis, spécialiste, entre autres, du stockage de films et dont le PDG est Claude Nedjar. Le contrat que signe Henri Langlois est léonin : il loue, pour une durée de quinze ans, 750 m2 au prix de de 150 francs le mètre2 par an pour le stockage des films, et 180 m2 de bureaux au prix de 250 francs le m2/an. Il fait également entreprendre des travaux de renforcement et de sécurité par une société, la JFC, sans doute dans le but d’y déposer des films nitrate. Langlois signe ce contrat sans en référer au conseil d’administration de la Cinémathèque française. Il a pris cette décision seul car « […] la Cinémathèque, c’est Langlois. Et que représente les papiers et les décisions d’un conseil d’administration à côté de lui ? presque rien28 ».
50Puis il dépose quelques bobines de films dans ces locaux. Une nouvelle fois, le budget de la Cinémathèque française est grevé et l’association va contracter de nouvelles dettes. Claude Nedjar, PDG de cette société Auvidulis, est producteur et distributeur de films, il est également membre du conseil d’administration de la Cinémathèque française. Il en a même été élu, le 12 décembre 1975, administrateur délégué chargé des questions administratives et financières.
51Ce nouvel administrateur possède « […] l’appui de Michel Guy et la confiance d’Henri Langlois. Il représente pour eux la sécurité, la stabilité, l’équilibre29 ». Il se donne une priorité, l’assainissement des comptes afin de pouvoir « […] entreprendre cette tâche gigantesque, mais essentielle, qu’est l’inventaire des films, engager le personnel dont [la Cinémathèque] a besoin, réorganiser l’équipe, créer un fichier central qui permette d’utiliser au mieux toutes les archives30 ».
52Ses comptes enfin apurés, la Cinémathèque française pourrait alors se transformer, sur une période de trois ans, en une fondation vivant du mécénat, garantie de son indépendance.
53Fort de ce plan, Claude Nedjar, au nom du conseil d’administration de la Cinémathèque française, tente de négocier avec les pouvoirs publics une augmentation de la subvention, et la résorption de la dette, de trois millions et demi, sur une période de trois ans. Le secrétaire d’État à la Culture prend note de la requête et affirme, par une lettre datée du 13 février 1976, sa volonté d’aider la Cinémathèque française à apurer ses comptes.
54Pour ce faire, il s’engage à dégager, pour l’année 1976, un million de francs « après vérification par l’administration de l’origine des dettes » et à augmenter la subvention de fonctionnement de cinq cent mille francs, alors qu’elle était fixée, pour l’année 1976, à 1,3 million.
55La Cinémathèque française doit également être réorganisée : elle doit quitter les locaux de Bois d’Arcy et ses stocks, films et non-films, « […] disséminés dans plusieurs endroits de Paris, de banlieue, et même de province31 » seront rassemblés à Auvidulis.
56Le bail de l’hôtel particulier, siège de la Cinémathèque française, rue de Courcelles, doit être cédé. Le personnel technique s’installera à Auvidulis, et le personnel administratif au Palais de Chaillot, où « […] les pouvoirs publics ont promis de nouvelles salles, celles notamment que vont libérer les ateliers du Louvre32 ».
57On pourrait même y installer la bibliothèque, à laquelle serait rattachée celle de l’IDHEC.
58Quant aux films-flamme, l’idéal serait de les confier au Service des archives du film, à Bois d’Arcy, mais « […] Henri Langlois cache aujourd’hui ses bobines nitrate quelque part en province dans un endroit qu’il veut garder secret33 ».
59Mais ce projet, tout comme le règlement du contentieux financier, va avorter avec le décès d’Henri Langlois, survenu le 13 janvier 1977.
L’appel de mars-avril 1975
60Si Claude Nedjar désire engager la Cinémathèque française sur la voie d’une fondation, d’autres, dans les milieux culturels ou intellectuels, prônent la constitution d’une Cinémathèque nationale, dépendante des pouvoirs publics.
61Les revues de cinéma Positif, les Cahiers du cinéma, Écran, Cinéma 75, auxquelles s’ajoute Télé-Ciné lancent, dans leurs numéros respectifs de mars ou d’avril 1975, un appel à la création d’un tel organisme, appel qui traduit, aussi, les carences de la Cinémathèque française.
62.
Entrée de la Cinémathèque au Palais de Chaillot.
63Cet appel fut précédé, en 1974, d’un plaidoyer du critique Marcel Martin en faveur de la création d’une bibliothèque du cinéma. Considérant que les conditions de travail et de recherche pour les étudiants, journalistes, enseignants et autres chercheurs sont insuffisantes ; constatant que la situation matérielle de la bibliothèque de l’TDHEC, au 92, avenue des Champs-Élysées, n’est guère plus satisfaisante, et que « […] celle de la Cinémathèque française est inutilisable depuis quelque vingt ans, depuis que la Cinémathèque a dû quitter l’avenue de Messine où de modestes salles étaient accessibles au public34 » il propose la réunion de ces deux bibliothèques, dans un même lieu, qui pourrait être le futur Centre Beaubourg, alors en cours de construction, réunion qui permettrait la création d’une véritable Bibliothèque nationale du cinéma.
64Encore faut-il que les responsables de ces deux organismes, IDHEC et Cinémathèque française, sachent faire un effort, fassent preuve de bonne volonté, « […] le ministère des Affaires culturelles qui acceptera d’offrir un local à la bibliothèque de la Cinémathèque française en même temps qu’à celle de l’IDHEC [et] Henri Langlois qui acceptera que d’autres “dragons” que lui veillent sur ses trésors dans l’intérêt du plus grand nombre35 ». Un an plus tard, il ne s’agira plus seulement d’une bibliothèque du cinéma, mais d’une Cinémathèque nationale, donc de la prise en compte du patrimoine cinématographique dans son ensemble.
65L’appel de ces revues de cinéma a pour origine une constatation, à savoir que le rôle dévolu à toute cinémathèque, conservation, projection, recherche et documentation, n’est pas assuré, et que la Cinémathèque française faillit à sa mission.
66Il est nécessaire alors de créer une véritable Cinémathèque nationale, dont le point de départ ne serait rien d’autre que le regroupement des divers organismes existants : le Service des archives du film de Bois d’Arcy, la Cinémathèque française, la Cinémathèque de Toulouse, la Cinémathèque universitaire, le musée du Cinéma à Lyon, la bibliothèque de l’IDHEC, les fonds spéciaux des grandes bibliothèques publiques, la liste n’étant pas exhaustive.
67Cette Cinémathèque nationale constituée pourrait adhérer à la FIAF, afin d’échanger ses films. Si le Service des archives du film est déjà reconnu comme un lieu exemplaire pour la conservation, l’instauration du dépôt légal permettrait enfin « la constitution progressive d’un ensemble exhaustif du cinéma national ». La conservation ne serait plus une activité « fragmentaire et artisanale », mais « systématique et scientifique ».
68Cette Cinémathèque nationale doit avoir aussi un rôle pédagogique : la projection « cohérente » d’une partie de ses collections, complétée par des échanges avec la FIAF, permettant « aux historiens un vrai travail de recherche et à un public plus large une nouvelle connaissance du cinéma ». La consultation des documents non-films doit être envisagée, d’autant qu’elle est « complémentaire des activités de conservation et de diffusion »
69Enfin, en ce qui concerne son cadre juridique et institutionnel, cette Cinémathèque nationale, dépendante des ministères de l’Éducation nationale et des Affaires culturelles, « verrait ses orientations et son fonctionnement définis et contrôlés par des représentants des enseignants du cinéma, des fédérations de ciné-clubs, de la Société des réalisateurs de films, de l’Association française de la critique, du Centre national de la cinémato-graphie, de la Commission supérieure technique », autant d’organismes qui « sont partie prenante dans le développement artistique et culturel du cinéma ».
70Cet appel couvre tout le champ d’activités d’une cinémathèque idéale. Pour les collaborateurs de ces revues, signataires du texte, l’« affaire Langlois » n’a donc rien réglé.
71Cette idée de rassembler les collections des différents organismes de conservation existants en France est reprise en 1977, tout d’abord par Michel Ciment, puis par Raymond Borde, dans son enquête réalisée pour les Cahiers de la Cinémathèque.
72Pour Michel Ciment, la situation n’a fait que s’aggraver et il constate, une nouvelle fois, la carence de la Cinémathèque française dans les domaines de la projection, de la recherche et de la documentation. Dans le détail,
« […] le Musée du Cinéma, inauguré avec éclat il y a quelques années, est dépourvu de catalogue, le plus souvent fermé, ou bien ouvert parcimonieusement à des heures fantaisistes […] les demandes de projection ne sont quasiment jamais agréées, sauf par faveur spéciale […] des collections de livres et de revues accumulées depuis des décennies ne sont pas consultables […] les programmes sont modifiés au dernier moment […] les projections commencent avec retard, quand elles ne sont pas troublées ensuite par quelque incident mécanique36 ».
73Mais il n’est plus question de relancer l’idée de constituer une Cinémathèque nationale, d’autant que seule la Cinémathèque française, et Henri Langlois, grâce à sa position de monopole, pouvait jouer ce rôle. Il est donc trop tard pour « […] mettre sur pied une institution unique, polyvalente et irréprochable qui aurait englobé la conservation, la projection, la documentation et la recherche37 ».
74Pourtant, Raymond Borde constate aussi que les divers organismes se complètent tout en s’ignorant, alors que l’addition de toutes leurs activités constituerait cette « Cinémathèque nationale ».
75Mais ces organismes sont, soit des associations privées – Cinémathèque française, Cinémathèque de Toulouse, Cinémathèque universitaire, musée du Cinéma de Lyon – soit des dépendances de l’Etat, le Service des archives du film, l’Établissement cinématographique des armées, l’Institut national de l’audiovisuel, et il est trop tard pour les « fondre dans une archive unique38 ».
76Ils peuvent au moins se fédérer, et leur complémentarité serait alors la solution aux carences de la Cinémathèque française.
77À ce moment-là, la Cinémathèque française avait d’autres préoccupations, impliquée qu’elle était dans un imbroglio juridique et financier dont on pouvait s’inquiéter quant à ses conséquences.
UN DIFFICILE HÉRITAGE. 1977-1981
La Cinémathèque française en péril
Une absence d’héritier
78Henri Langlois décède le 13 janvier 1977, d’une crise cardiaque. Ses obsèques sont célébrées le 23 janvier à la paroisse Sainte-Anne de la maison Blanche, à Paris. La presse, du Figaro à L’Humanité, dès le 14 février, se fait l’écho de cette disparition et rend hommage à la personnalité, tout autant qu’à l’œuvre accomplie par le secrétaire général de la Cinémathèque française.
79« Fondateur et âme » de cette Cinémathèque française pour Le Figaro, « bibliothécaire et mémoire du cinéma mondial » pour L’Humanité et Libération, il reste, pour Le Quotidien de Paris, le « gardien du temple ».
80Mais se pose rapidement la question de sa succession que L’Express du 15 janvier exprime en ces termes : « Henri Langlois laisse un prodigieux héritage-puzzle dont il sera bien difficile de rassembler tous les morceaux. »
81L’éphémère secrétaire d’État à la Culture de l’époque, Françoise Giroud, fait aussitôt mettre les scellés au domicile de « ce personnage hors du commun à tous les égards », et de quelques lieux de conservation, mesure conservatoire qui ne peut régler les problèmes auxquels va être confronté la Cinémathèque française. Henri Langlois n’avait désigné aucun héritier, n’avait formé aucun dauphin susceptible de le remplacer, d’assurer sa succession, de reprendre son inlassable travail.
82Henri Langlois ayant seul, ou presque, connaissance des lieux de dépôts des collections de la Cinémathèque française, se pose une nouvelle fois le problème de la localisation des films. « […] Il était seul, ou presque, à connaître les lieux où se trouvaient certaines copies ou documents qu’il avait glanés au long de son itinéraire fantasque et passionné39. »
83Depuis l’inventaire effectué par Jean Vivié et Roger Weil-Lorac en 1968, l’opacité la plus totale règne sur l’état et la localisation des collections, situation aggravée par le fait que Langlois avait, en partie, au cours de l’année 1975, vidé les casemates de Bois d’Arcy dans le but d’emmener des copies dans les nouveaux locaux de la société Auvidulis.
84Mais n’y seront en fait déposées que quelques bobines, et la majeure partie des collections était cachée dans quelques lieux obscurs connus du seul secrétaire général. « Puisque Henri Langlois avait vidé, en 1975, la plupart des casemates qu’il occupait à Bois d’Arcy, et puisqu’il n’y a maintenant, à Auvidulis, que quelques boîtes, où sont passés les films40 ? »
85Sous le pseudonyme de Michel Laszlo, un ancien magasinier de la Cinémathèque française, devenu rédacteur du magazine Rouge, apporte un élément de réponse en affirmant que la plupart des films « […] dorment dans des lieux aussi insalubres qu’insolites, éclatés aux quatre coins de la région parisienne41 ».
86Michel Laszlo donne la liste des dépôts, « avoués » et « inavouables ». Les dépôts « avoués » ont déjà été répertoriés par Jean Vivié et Roger Weil-Lorac. Il s’agit de Bois d’Arcy, du dépôt GTC aux Lilas, UCIFRA à La Courneuve, des laboratoires Boyer dans le Gard et les caves du siège social de la Cinémathèque française, au 82, rue de Courcelles.
87Quant aux dépôts « inavouables », il s’agit du cellier de la maison de campagne de Claude Berri à Montfort-1’Amaury, des écuries d’un château à Montfort-le-Rotrou près du Mans, d’une remise d’une maison particulière, à Champigny, près d’Étampes, des caves d’une ferme d’Écquevilly, dans les Yvelines, des communs d’une propriété de Chantilly, et d’une maison située sur la place de Pontault-Combault, en Seine-et-Marne.
88La liste n’est pas exhaustive, d’autant qu’aux dépôts de films, il faut ajouter les collections « non-films », livres, revues, maquettes et autres décors. Elle est en tous cas corroborée par Yvonne Dornès pour qui Langlois « […] a éparpillé ses films à travers sept dépôts dont nul de ses collaborateurs ne connaît le contenu exact42 ».
Un conflit financier
89En ce début d’année 1977, la Cinémathèque française souffre d’autres préoccupations, plus urgentes, que la localisation de ses films. Elle doit régler un différent qui l’oppose à la société Auvidulis. Le conseil d’administration, réuni à la fin du mois de janvier, désigne un nouveau bureau directeur, composé de la façon suivante :
- Président : Georges-Henri Rivière, directeur honoraire du musée des Arts et Traditions populaires ;
- vice-président : Jean Riboud ;
- directeur administratif et financier : Gilles Souriau, ancien directeur du Courrier de l’UNESCO
- Mary Meerson devient présidente du comité des activités et du rayonnement, auquel se joignent Pierre Kast, Jean Rouch, Enrico Fulchignoni et Jean-Michel Arnold, co-fondateur de la Cinémathèque d’Alger.
- Gilles Souriau présidera un comité administratif composé de Claude Basks, représentant de Jean Riboud, et de Yvonne Dornès, qui devient secrétaire général du conseil d’administration et déléguée à la future fondation. A ce titre, elle est chargée de l’établissement d’un inventaire des biens de la Cinémathèque française, d’établir une liste des déposants, préalables indispensables à la fondation.
90Enfin, un comité de direction est composé de Georges-Henri Rivière, Jean Riboud, Roberto Rossellini, et Jacques Rigaud, sous-directeur de l’UNESCO, supervisera l’ensemble des activités. Georges-Patrick Langlois est coopté comme nouvel administrateur.
91Claude Nedjar disparaît donc de l’organigramme du conseil d’administration mais la société Auvidulis va réclamer des comptes. Le conseil d’administration de la Cinémathèque française, prenant connaissance du contrat signé entre Henri Langlois et cette société Auvidulis, s’empresse de le dénoncer : il n’a été signé que par le seul secrétaire général, sans mandat du conseil, pour une durée de quinze ans. De plus, les loyers demandés sont jugés trop élevés, les locaux insuffisants et mal équipés.
92Mais les deux sociétés créancières, Auvidulis et JFC, demandent le remboursement des dettes : 1,15 million de francs de loyers impayés et intérêts de retard pour Auvidulis, et 700 000 francs pour non-paiement de travaux à la société JFC, dettes auxquelles s’ajoute un million envers les organismes publics tels que l’URSSAF et la Sécurité sociale.
93La société Auvidulis engage une procédure judiciaire et, dès le 10 janvier, obtient une saisie conservatoire sur les meubles appartenant à la Cinémathèque française, dans les locaux qu’elle occupe, avenue d’Océanie, à Orsay, au 82, rue de Courcelles, et au Trocadéro43.
94Le 22 juillet 1977, une seconde décision de justice permet à la société Auvidulis de faire pratiquer une saisie-arrêt des comptes bancaires de la Cinémathèque française, alimentés par le Centre national de la cinématographie.
95Enfin, une troisième décision, du 22 août, condamne la Cinémathèque française à payer à la société Auvidulis la somme de 978 000 francs, plus 20 000 francs de dommages et intérêts pour « résistance abusive ».
96La Cinémathèque française engage un référé et, le 24 octobre, le tribunal diffère son jugement et propose l’intervention d’un accord à l’amiable, proposition soutenue par le défenseur de la Cinémathèque française, maître Georges Kiejman.
97Cette crise, la plus aiguë qu’ait connu la Cinémathèque depuis l’« Affaire Langlois », inquiète aussi les parlementaires. A l’Assemblée nationale, au cours de la séance du 20 octobre consacrée à la discussion du budget de la Culture, dans le cadre de l’examen de la loi de finances, Jack Ralite, député communiste de la Seine-saint-Denis, met en cause la société Auvidulis et interpelle le ministre sur son absence d’intervention dans cette affaire. « […] La partie du patrimoine “image” du pays déposée à la Cinémathèque est en péril et vous ne dites rien. Est-ce par désintérêt [ou] par volonté de noircir l’image d’Henri Langlois44 ? »
98Et le ministre de la Culture et de l’Environnement de lui répondre que « […] le gouvernement a consenti en faveur [de la Cinémathèque française] un effort sur le budget de l’État. De 1,2 million de francs en 1976, les crédits destinés à la Cinémathèque sont passés à plus de 3 millions en 1977, et ils augmentent encore dans le projet de budget pour 197845 ! »
99Mais le député communiste ne se contente pas de cette réponse et, par une question écrite du 16 novembre 1977, attire une nouvelle fois l’attention du ministre sur l’état du dossier judiciaire instruit à l’encontre de la Cinémathèque française et lui demande d’aider cet organisme à sortir des difficultés qu’il rencontre, d’autant qu’il ne pourra honorer tout règlement à l’amiable qui amputerait ses crédits de fonctionnement. Le ministre lui répond, par lettre du 12 décembre, qu’il suit cette affaire avec le souci de favoriser le maintien de la Cinémathèque française dans ses finalités actuelles.
100En fait, la subvention, pour l’exercice 1978, inscrite au budget du ministère de la Culture au profit de la Cinémathèque française, est de l’ordre de 3 227 178 francs, auxquels doit s’ajouter une subvention complémentaire provenant du compte de soutien financier de l’État à l’industrie cinématographique, ce qui permet d’assurer le paiement normal des dépenses de fonctionnement. Il est par ailleurs prévu de mettre en œuvre, dès le début de l’année 1978, un plan de désintéressement des principaux créanciers, plan dont l’achèvement doit avoir lieu en 1980.
101Le 26 novembre 1977, la société JFC accepte de réduire sa créance de 50 000 francs, et des paiements échelonnés sur quatre années. La société Auvidulis, elle, « semble moins pressée de donner un tour favorable à la négociation46 ».
102Afin de s’élever contre le caractère illégal de la convention signée à l’insu du conseil d’administration et craignant l’établissement d’une administration s’opposant à l’indépendance de la Cinémathèque française, quatre de ses administrateurs, Henri Alekan, William Novik, Max Douy et Pierre Prévert démissionnent du conseil d’administration47.
103Ces quatre démissionnaires « […] accusent même Claude Nedjar, derrière lequel se profile Jean-Charles Edeline, Gaumont et Schlumberger, d’avoir utilisé sa qualité d’administrateur et de trésorier de la Cinémathèque pour faire financer sa propre société par l’État48 ».
104Jean-Charles Edeline, ex-président d’UGC et, à cette époque-là, président de la Société française de production, est donc mis en cause et les démissionnaires, dans une lettre adressée au président Georges-Henri Rivière, parle de « véritable détournement de fonds publics ». La mission de la Cinémathèque française, la diffusion de la culture à des buts non lucratifs, risque d’être bafouée. « […] La mise en relation des trésors de la Cinémathèque avec trois sociétés qui représentent l’industrie du cinéma, de la télévision et les cassettes vidéo, inquiète ceux qui redoutent une commercialisation de notre patrimoine culturel49 ».
105Cette société Auvidulis refusant d’abord toute négociation, « […] la crainte qu’éprouvent certains de voir la Cinémathèque succomber sous la pression d’intérêts privés risque, malheureusement, de se trouver justifiée. Si Auvidulis garde cette position intransigeante, la Cinémathèque risque bien de ne pouvoir payer son personnel et de se trouver en faillite50 ».
106Mais la société Auvidulis, suite à de nouvelles négociations, finit par accepter une réduction de la somme exigée pour sa créance – 600 000 francs au lieu de 1 150 000 francs – et un étalement des paiements sur quatre ans, à partir de l’année 1977. Les saisies-arrêts sur les comptes de la Cinémathèque française sont levées. La Cinémathèque française a évité la faillite, et son conseil d’administration peut annoncer
« la réouverture et l’agrandissement du musée du Cinéma, l’ouverture de la bibliothèque et de la photothèque, et l’inauguration d’une nouvelle salle au Centre Georges Pompidou […] Enfin, un inventaire complet des collections est en cours de réalisation, tandis que des économies importantes vont être faites par la liquidation du coûteux immeuble de la rue de Courcelles51 ».
107Reste à définir le futur statut de la Cinémathèque française. Ses richesses « non-films » pourraient constituer sa contribution à une fondation dont l’État fournirait l’apport financier. La Cinémathèque proprement dite resterait une association privée responsable de la mise en valeur du patrimoine film dont elle assurerait les projections publiques. Les films seraient stockés dans les locaux du Service des archives du film, aux termes de la convention de 1972 réaménagée52
108À une nouvelle question écrite du député Jack Ralite, du 16 juin 1978, lui demandant de « préciser son attitude par rapport au statut de la Cinémathèque qui ne saurait limiter la fonction de celle-ci à la seule conservation », le ministre de la Culture et de l’Environnement répond en ces termes :
« […] depuis qu’ont été conclus en avril 1968 des arrangements entre l’État et la Cinémathèque française, les missions de cette dernière consistent davantage en la diffusion des films du répertoire et la gestion du musée du cinéma qu’en la conservation des films […] En ce qui concerne la situation statuaire de la Cinémathèque, son éventuelle transformation en une fondation est évidemment subordonnée à l’assainissement de sa situation financière ainsi qu’à l’établissement d’un inventaire de ses biens, auquel procèdent actuellement ses dirigeants53 ».
109La signature de cette convention avec la société Auvidulis prouve la crainte d’Henri Langlois d’une véritable « étatisation » de la Cinémathèque française, au point de la mettre en péril. Quant aux accusations des quatre démissionnaires, elles ne sont pas sans fondement. En effet, les temps ont changé, l’époque où producteurs et distributeurs détruisaient les vieux stocks de films est révolue, les droits de retransmission télévisée, l’alimentation des ciné-clubs, l’usage de la copie vidéo sont devenus autant de nouveaux champs d’investissement et sources de profit. Les stocks de la Cinémathèque française, inévitablement, représentaient un immense terrain vierge de toute utilisation commerciale. Cette évolution a donc créé de nouvelles attitudes envers le film, comme elle a pu générer de nouveaux problèmes, « […] liés à l’évolution des mass média, aux besoins culturels exprimés par la société, à l’intérêt porté par des capitalistes aux films anciens qui redeviennent une source de profit, et parfois même, tout simplement, à la psychologie du conservateur et à son attitude face à la chose conservée54 ».
110Cette nouvelle crise terminée, on aurait pu penser que la Cinémathèque française allait, en toute sérénité, travailler à l’élaboration de ses projets, et tenter de mettre en place les structures d’une nouvelle fondation. Cela le fut, d’une certaine manière, et l’union sacrée, effectuée pour répondre aux attaques des créanciers de la Cinémathèque française, allait trouver son prolongement avec l’inauguration de la salle du Centre national d’art et de culture Georges Pompidou.
De nouvelles inaugurations
111Le début de l’année 1978 est consacré à la préparation de l’ouverture de la salle du Centre Beaubourg. L’inauguration officielle a lieu le 20 avril, en présence de Jean Millier, président du Centre national d’art et de culture Georges Pompidou, et de Georges-Henri Rivière, président de la Cinémathèque française.
112La salle de projection, située au premier étage du Centre Beaubourg, possède une capacité de deux cents places, et devra présenter cinq films par jour, de 14 h à 24 h, sauf le mardi. Elle doit permettre d’étendre l’activité cinématographique du Centre Beaubourg, jusqu’alors limitée à deux salles polyvalentes au sous-sol, auxquelles s’ajoutent deux autres salles, celles de la bibliothèque et du musée, mal adaptées à la projection cinématographique.
113Jean-Loup Passek, responsable des Rencontres cinéma de La Rochelle, est chargé de la programmation, en privilégiant les cycles et festivals thématiques, tout en restant lié aux autres activités du Centre. Dès l’ouverture de cette salle, il devra, avec Lotte Eisner, organiser une vraie collaboration avec le Centre Beaubourg autour du thème de l’exposition « Paris-Berlin ».
114Avec cette salle, la Cinémathèque française, pour reprendre l’expression de Michel d’Ornano, peut « accroître son rayonnement », tout comme doit le permettre la seconde inauguration du musée du Cinéma, symbole, là, d’une forme de réorganisation à l’intérieur même de la Cinémathèque française.
115Le conseil d’administration, qui se réunit tous les mois, a désigné une équipe de gestion composée de trois personnes, Yvonne Dornès, Mary Meer-son et Hubert Astier, directeur délégué.
116Yvonne Dornès est chargée de la gestion stricto sensu et des questions financières, Mary Meerson du rayonnement international et de conseiller la programmation, par ailleurs totalement prise en charge par Hubert Astier. Le directeur délégué peut se montrer satisfait d’avoir « […] pu ouvrir la salle de Beaubourg et lui assurer un fonctionnement correct [et des] quatre antennes des Amis de la Cinémathèque, à Nice, Nantes, Grenoble et Strasbourg, qui fonctionnent régulièrement55 ». Mais il doit regretter que le musée ne soit « […] pour le moment ouvert qu’aux visites groupées pour des raisons de sécurité-incendie – dues à l’état général du bâtiment, et de sécurité des objets exposés – dues au trop petit nombre de gardiens56 ».
117Quant aux problèmes de stockage, certains dépôts sont évacués vers le Service des archives du film de Bois d’Arcy, où ont déjà été « déposées dix mille bobines57 ».
118Cette opération permet de réaliser un inventaire, préfiguration d’un futur fichier comportant toutes les informations critiques et techniques sur les films, et qui doit devenir un véritable instrument de travail.
119Le siège social de la rue de Courcelles, devenu quant à lui trop coûteux, est transféré dans les sous-sols de Chaillot, mais « […] ces nouveaux locaux n’étant pas assez grands, un espace supplémentaire a été loué avenue Pierre Ier de Serbie pour l’ancienne bibliothèque et la photothèque58 ».
120Le 29 juin 1979, l’élection d’un nouveau président, Jacques Flaud, ancien directeur du CNC et, depuis 1975, directeur délégué de FR3 chargé des rapports avec le cinéma, ne semble guère troubler ce mode de fonctionnement, pas plus que la nomination d’un nouveau bureau directeur.
121Yvonne Dornès, Jean Rouch et Anatole Dauman deviennent vice-présidents ; André Laporte reste trésorier, secondé par Jean Musy ; Janine Bazin, Françoise Jaubert et Michel Fano sont les secrétaires généraux, alors que Mary Meerson devient présidente d’honneur et que Georges Franju, lui, présidera le comité de parrainage, avant de devenir directeur artistique. Quant à Hubert Astier, qui reste directeur délégué, il a quelque peu tort de regretter le mauvais fonctionnement du musée car il va être inauguré une seconde fois.
122Cette seconde inauguration s’effectue grâce à une rallonge budgétaire, de cent vingt mille francs, octroyée dans le cadre de l’année du Patrimoine, ce qui permet d’engager le personnel nécessaire à la surveillance et à l’accueil des visiteurs. Jean-Philippe Lecat, ministre de la Culture et de la Communication, inaugure le 19 février 1980 ce « […] cabinet d’amateur désireux à la fois de faire partager sa passion, de montrer son œuvre de collectionneur, sans s’en défaire, sans la mettre entre toutes les mains59 ».
123Une nouvelle salle de projection, traduction d’une collaboration sans heurt entre la Cinémathèque française et le Centre Georges Pompidou, une récente inauguration du musée enfin totalement accessible au public, « […] la période de flottement qui a suivi la mort d’Henri Langlois semble maintenant révolu60 ».
124Mais la démission de Jacques Flaud, tout juste un an après son élection, allait porter un sérieux coup d’arrêt à ce bel optimisme.
De nouveaux avatars
La démission de Jacques Flaud
125D’un point de vue statutaire, il s’agit moins d’une démission que d’une non-sollicitation du renouvellement d’un mandat de président, au terme d’un an d’exercice, ce qui, pour traduire une attitude responsable, en évitant de créer une nouvelle crise, n’en demeure pas moins révélateur d’un certain état de fait, et du comportement de certains administrateurs de la Cinémathèque française.
126Dans un entretien accordé à Jacques Siclier et publié dans Le Monde du 16 juillet 1980 sous le titre « Les blocages de la Cinémathèque française », Jacques Flaud tient à donner les causes de son départ, seulement de son poste de président, et non du conseil d’administration, où il aura d’ailleurs « les coudées plus franches pour faire tomber les forteresses ».
127Il part d’un constat, celui de la situation de la Cinémathèque française, et de son financement : « […] les deux tiers de ses ressources (6,8 millions de francs) viennent du budget de l’État et du fonds de soutien à l’industrie cinématographique, un tiers vient de cotisations, remboursements de services rendus, telles que les reproductions de documents qu’on peut obtenir à la photothèque, et des entrées dans les salles et le musée. »
128Le corollaire en est que la Cinémathèque française est « une entreprise qui ne peut pas fonctionner normalement sans une particulière cohésion de ses adhérents, 652 membres représentants des déposants de films », tous animés de l’esprit d’Henri Langlois, et se méfiant de tout contrôle de l’État alors que la Cinémathèque française, certes association privée, revêt malgré tout un caractère de service public.
129Cette situation particulière rend donc « difficile mais très intéressant le rôle du président », à condition qu’il soit soutenu par le conseil d’administration, ce qui n’est pas le cas.
130Jacques Flaud s’est « vite aperçu que, depuis la mort de Langlois, la Cinémathèque était divisée en groupes d’intérêt », autant de véritables clans animés « […] d’un état d’esprit passéiste, revendiquant chacun l’héritage spirituel d’Henri Langlois, véritable Deus ex machina, dont l’esprit continu de hanter les couloirs de la Cinémathèque française, tout autant que les mémoires de ses administrateurs ».
131Certes, le conseil d’administration se réunit régulièrement, mais « pour les décisions prises ou à prendre, on s’en remet aux représentants de ces différents groupes » dont chacun possède « ses préférences et les traduit en actes autoritaires ou en refus de passer aux actes », attitude qui ne peut être autre que « soumission au passéisme et aux habitudes. »
132Le pouvoir étant éparpillé entre ces groupes, Jacques Flaud s’est rendu compte de la vacuité de son rôle, et dresse un bilan guère réjouissant : « Le musée reste un lieu confidentiel, pas facile à visiter ; le problème de la conservation des films est toujours au même point ; les films-flamme sont toujours entreposés dans des conditions dangereuses ; les non-flamme dans des conditions pas convenables. »
133Obligé de tirer les conséquences de ce bilan, Jacques Flaud ne pouvait que démissionner, et il sera remplacé par l’ancien secrétaire d’État à la Culture, Michel Guy, sollicité par Anatole Dauman, Yvonne Dornès et Hubert Astier, qui fut son chef de cabinet au secrétariat d’État à la Culture.
134Le conseil d’administration n’est guère modifié, Jean Rouch, Anatole Dauman et Yvonne Dornès restant vice-présidents, tout comme Hubert Astier conserve son poste de directeur délégué.
135Aussitôt élu, le nouveau président met l’accent sur l’organisation de la conservation des films, qui devient une priorité, demande à Françoise Jaubert, secrétaire générale adjointe de la Cinémathèque, un rapport sur ce sujet destiné au ministre de la Culture. Michel Guy espère aussi la cession, par le ministère de la Culture, des sous-sols du Palais de Chaillot, ou l’agrandissement du musée et entend « donner un second souffle à l’action d’Henri Langlois61 », en favorisant la promotion de jeunes cinéastes et des films mal distribués.
136Installé aux commandes de la Cinémathèque française, Michel Guy va, lui aussi, y faire de surprenantes découvertes, à savoir que « […] la Cinémathèque était un endroit fascinant […] que l’ordre n’y régnait pas trop […] que les films étaient dans de très nombreux endroits, dans des situations souvent effrayantes […]62 »
137À ce titre, Michel Guy cite cette anecdote :
138« Je me souviens d’avoir vu dans je ne sais quel endroit de la région parisienne des films-flamme au-dessus desquels il y avait des fils électriques à moins de cinquante centimètres, et le tout à cent mètres d’un hospice de vieillards. Je suis sorti de là absolument ahuri de frayeur parce que j’étais président de cette association63. »
139L’incendie du Pontel, survenu au cours de l’été 1980, n’est alors rien moins que la flagrante illustration de cet état de fait.
L’incendie du Pontel
140Dans la nuit du samedi au dimanche du 3 août 1980, un incendie se déclare dans un entrepôt de la Cinémathèque française, au lieu dit Le Pontel, à Vil-liers-Saint-Frédéric, près de Rambouillet, dans les Yvelines64.
141Cet entrepôt était doté d’une toiture légère, d’une charpente composée de métal et de bois, il était non-climatisé, sans gardiennage, abritait des boîtes sommairement empilées, qui côtoyaient des matériaux divers, notamment des composants électroniques de la SODETEG, filiale de la société Thomson-CSF.
142L’incendie a rapidement pris des proportions inquiétantes, la combustion des films a provoqué des flammes de cent mètres de hauteur, nécessitant l’intervention de tout l’effectif de la caserne de pompiers la plus proche. Le voisinage a subi des dégâts, à tel point qu’un couple de riverains, légèrement brûlé, a dû recevoir des soins à l’hôpital de Versailles.
143Considérées comme accidentelles d’après les premiers éléments de l’enquête, les causes de cet incendie seraient dues à un court-circuit, l’entrepôt ayant d’ailleurs été partiellement inondé à la suite d’un violent orage de grêle survenu le 29 juin précédent. Les dégâts s’élèvent à dix millions de francs, les 2 600 mètres2 occupés par la Cinémathèque française sont détruits et le cinéma vient de connaître un préjudice incomparable.
144Si, pour Yvonne Dornès, les pertes doivent être relativisées dans la mesure où il existait des copies des films détruits, Raymond Borde, alors secrétaire général de la FIAF, est moins optimiste, pense que cet incendie est une véritable catastrophe et déclare, dans Le Figaro du 4 août, que « […] la plus grande partie du cinéma français des années vingt et trente est partie en fumée […] Tout ce cinéma du samedi soir si mal connu est ainsi sans doute perdu à jamais, avec des copies probablement uniques ».
145Il s’agit, en fait, de copies non utilisables pour la programmation, des lots de chute appelés « stocks morts », auxquels doit toutefois être ajouter un petit stock de films américains, « sous-titrés en arabe, que les Américains avaient promenés en Afrique et au Moyen-Orient65 ».
146Cela représentait quelque sept mille titres, soit un dixième des collections de films-flamme de la Cinémathèque française. Mais ce chiffre ne peut être qu’approximatif, l’inventaire des collections de la Cinémathèque française étant en cours de réalisation, selon le vœu de Michel Guy, demandant à Françoise Jaubert un rapport à ce sujet destiné au ministre de la Culture. Le temps l’aura donc rattrapé.
147Face à ce véritable désastre, le conseil d’administration publie un communiqué lui permettant de désamorcer toute critique quant à sa responsabilité, et avance des raisons financières comme cause véritable de cette destruction.
« C’est uniquement pour des raisons financières que les conditions de stockage et d’entretien de ces collections ne sont plus celles que l’on peut techniquement souhaiter. Comment Henri Langlois aurait-il pu construire des blockhaus ou même restaurer des copies avec des subventions qui étaient restées pendant des années à un million de francs par an66. »
148Et le conseil d’administration de reprendre l’argument de Georges Franju exposé dans Le Matin du 6 août, quant à la saturation des capacités de stockage des archives du film de Bois d’Arcy67. « Jusqu’à présent, les archives de l’État, par manque de place, n’ont été en mesure de recevoir que vingt milles bobines sur les centaines de milliers que détient la Cinémathèque française68. »
149Ne pouvant rester insensible à ce malheureux épisode, le ministre de la Culture et de la Communication organise, le 7 août, une réunion consacrée aux « problèmes de la sauvegarde du patrimoine cinématographique français », à laquelle participent Michel Guy, Hubert Astier, Yvonne Dornès, Jean Grundler, représentant le CNC et Franz Schmitt, représentant les archives du film.
150Au terme de cette réunion, le ministre annonce un certain nombre de mesures dont la plus importante est le déblocage d’un crédit exceptionnel d’équipements de quatre millions de francs destiné à la réalisation immédiate de locaux protégés pour le stockage des films, à Bois d’Arcy69.
151Il répond ainsi aux sollicitations de Michel Guy qui, lors de cette même réunion, demandait que, sous réserve de l’accord des déposants, l’ensemble des films-flamme de la Cinémathèque française, donc les plus exposés à la destruction, soit déposé au Service des archives du film. Ce dépôt sera d’ailleurs effectué selon les conditions prévues par la convention de 1972 entre la Cinémathèque française et le Service des archives du film.
152De plus, d’autres mesures d’urgence sont prises, concernant l’intervention de sauvetage, l’aide au recensement, la mise à l’abri de certains documents particulièrement précieux et de nouveaux crédits exceptionnels seront attribués afin que la Cinémathèque française puisse reconstruire son patrimoine.
153En dépit des destructions, l’incendie du Pontel aura toutefois permis de clarifier une situation,
154« […] aura donc favorisé l’assainissement d’une situation intenable, en faisant reconnaître la nécessité du transfert des films nitrate à Bois d’Arcy […] Les quatre millions de crédits exceptionnels dégagés par le ministre suivant une procédure accélérée devraient permettre, enfin, la construction, d’ici janvier-février, des installations nécessaires à la conservation des quatre-vingt mille bobines composant, approximativement, le reliquat du stock “flamme” de la Cinémathèque française70 ».
155Incapable de donner avec exactitude une réponse quant au nombre de titres disparus au Pontel, la Cinémathèque française s’est trouvée confrontée au piège de son propre mythe. Henri Langlois était, certes, le « dragon qui veillait sur nos trésors », mais nul ne connaît avec précision l’état de ces « trésors ». Il faut donc en terminer avec ce mythe, celui du secret des collections accumulées par Henri Langlois.
156La conservation des films est devenue une entreprise nécessitant des techniques affûtées, des normes de sécurité telles que l’on ne peut plus « conserver » des films dans des hangars, des pavillons de banlieue, des entrepôts ordinaires et
« […] c’est pourquoi, en n’oubliant rien de la passion et de la grandeur de cet homme qui collectionnait le moindre bout de pellicule arraché à la destruction, qui a créé la Cinémathèque française, et marqué toute une époque, il faut sans cris, sans larmes, sans courroux, sans haine, sans rancune, se séparer du “mythe Langlois” et du culte de la personnalité qui impressionne encore tant de gens craignant de devenir sacrilèges71 ».
157Depuis la disparition de son secrétaire général, à travers la difficile succession de ses différents présidents et autres responsables, au-delà des décisions prises, aux conséquences souvent avortées, la Cinémathèque française aura en fait vécu une vraie période de mutation.
158Son rôle ne consiste plus seulement à collectionner des films, et tout document concernant le cinéma, mais aussi a les préserver véritablement. Il ne s’agit plus d’amasser de « véritables trésors », mais aussi de pouvoir les garantir de toute dégradation due à l’érosion du temps.
« […] il fallait que la Cinémathèque rentre dans une ère plus structurée, dans la mesure où Henri Langlois thésaurisait tout ce qu’il pouvait trouver, aussi bien affiches, photos de films, scénarios que copies de films, mais il n’avait pas les moyens, ni de les entretenir, ni de les restaurer, ni de faire des tirages. […] A partir du moment où Henri avait disparu, il va de soi qu’il fallait, dans un premier temps, d’une part essayer de faire un inventaire et, d’autre part, essayer de préserver ce qui était en voie de décomposition chimique72 ».
159On en arrive donc à un moment où « ce qui a été amené doit être entretenu, doit être ordonnancé73 ».
160Cette mutation d’une période marquée par l’inlassable activité d’un collectionneur à celle de la nécessaire prise en compte d’une réalité, la gestion d’un patrimoine public, telle était la voie vers laquelle devait s’orienter la Cinémathèque française. Certains ne pouvaient pourtant l’accepter.
161Au début du mois de mars 1981, Georges Franju, « […] en désaccord avec les nouvelles orientations prises par le conseil d’administration », démissionne de son poste de directeur artistique, en « dénonçant le maintien et l’action de fonctionnaires membres de ce conseil et inaptes à servir les intérêts, l’intégrité, la vocation et le prestige de la Cinémathèque74 ».
À L’AUBE D’UNE NOUVELLE ÈRE. 1981-1998
Une nouvelle orientation (1981-1985)
162Pour le nouveau ministre de la Culture, Jack Lang, il s’agit de transformer la Cinémathèque française en une puissante et moderne institution culturelle internationale. Pour mener à bien cette transformation, il a besoin de dégager de nouveaux moyens, de nommer, ou plutôt de proposer de nouveaux dirigeants et de préciser ses objectifs.
163Les subventions de la Cinémathèque française vont augmenter avec une ampleur sans précédent et le budget, de sept millions de francs en 1981, va passer à vingt-trois millions de francs en 1983. Ce budget doit être géré par une nouvelle équipe de responsables et, dans ce cas, la transition, du moins dans un premier temps, s’effectue avec douceur.
164S’il ne désire pas renouveler son mandat de président du conseil d’administration, Michel Guy entend toutefois terminer sa mission, notamment le regroupement des films. Lors de la conférence de presse du 26 octobre 1981, il peut alors déclarer que « […] les films de la Cinémathèque française (trente mille titres) sont à l’abri, à 90 % dans les locaux des archives du film à Bois d’Arcy, à 10 % dans notre dépôt d’Ecquevilly, où les conditions sont convenables75 ».
165Il peut également présenter officiellement André-Marc Delocque-Fourcaud, nommé directeur général depuis le 16 septembre, déjà rapporteur de la commission de réflexion et de réforme du cinéma présidée par Jean-Denis Bredin, et dont le rôle sera d’assurer la direction artistique, administrative et financière de la Cinémathèque française, et de suppléer le président en cas d’empêchement.
166Michel Guy n’ira pas au terme de son mandat, prévu pour juin 1982. Il démissionne au début du mois de décembre 1981, l’intérim étant assuré par Yvonne Dornès, qui s’emploie à régler toutes les dettes de la Cinémathèque française, avec la collaboration d’Hubert Astier, Anatole Dauman et Jean Douchet, et ce jusqu’au 8 février 1982, date de la prochaine assemblée générale qui doit délibérer sur l’identité du nouveau président.
167Cette assemblée générale élit un conseil d’administration de vingt-six membres : Yvonne Dornès, Marie Epstein, Mary Meerson, André Laporte, Yvonne Baby, Lucie Lichtig, René Bonnell, Patrick Brion, Anatole Dauman, Claude Geiger, Jean-Pierre Beauviala, Jean-Michel Arnold, Michel Fano, Jack Gajos, Jean Tulard, Georges-Patrick Langlois, Jean Douchet, Jean Narboni, Bernard Eisenschitz, et les cinéastes Constantin Costa-Gavras, Jean Dréville, Jean Aurenche, Pierre Kast, Jean-Charles Tacchella, Bertrand Tavernier et Henri Colpi.
168Le 10 février 1982, Costa-Gavras est élu, par ce conseil d’administration, président de la Cinémathèque française. Deux jours plus tard, le cinéaste reçoit une lettre du ministre de la Culture lui précisant sa mission et lui demandant de « définir l’ensemble des mesures susceptibles de donner à la Cinémathèque la place, le rôle et les moyens de la grande institution de conservation et de mise en valeur du patrimoine cinématographique dont la France a besoin ».
169Spécifiant ces multiples fonctions, Jack Lang évoque dans cette même lettre les problèmes de conservation, de restauration76, de programmation77 et de recherche de films disparus, la coordination entre les cinémathèques étrangères et l’installation de la Cinémathèque française dans des locaux plus spacieux, la présentation des collections du musée et sa transformation en musée national du Cinéma, la création d’une bibliothèque du cinéma et l’ouverture de l’institution aux chercheurs.
170Il souhaite également que soit prise en compte la proposition formulée par Jean-Denis Bredin, à savoir de regrouper la Cinémathèque française avec les organismes d’enseignement et de recherche au sein d’une maison du Cinéma.
171L’effort engagé par le nouveau ministère de la Culture en faveur de la conservation du patrimoine cinématographique est sans précédent, tout comme est devenue grande sa volonté de regrouper, en un même lieu, diverses institutions ayant pour point commun l’image et son étude.
« Parmi les grandes idées qui m’ont obsédé […] il y a le souci de regrouper dans une sorte de Palais de l’Image, la Cinémathèque rénovée, modernisée, la nouvelle école supérieure du cinéma et le Centre national de la photographie, et cet ensemble, situé au Palais de Tôkyô, sera, grâce aux moyens modernes, notamment le vidéo-disque, relié à Bois d’Arcy et au fort d’Ivry […] La Cinémathèque doit poursuivre sa tâche traditionnelle de projection des films pour les cinéphiles, mais aussi disposer de petites salles au Palais de Tôkyô où les professionnels et chercheurs puissent se faire projeter aisément des documents et qu’il y ait aussi entre les élèves de cette école de cinéma et la Cinémathèque des liens étroits et quotidiens78 »
172La mise en application de ce vaste projet va connaître des réticences, notamment de la part des anciens collaborateurs de Langlois qui le juge contraire à l’esprit de la Cinémathèque française, tout comme ils jugent dangereux, pour son indépendance, la modification de ses statuts et l’arrivée, dès le mois de juin, de trois représentants de l’État au sein du conseil d’administration.
173Au moins le nouveau président, Costa-Gavras, pouvait-il être assuré, lors de sa prise de fonction, d’une réalité, celle du recensement effectué par André-Marc Delocque-Fourcaud qui, lors des rencontres de Saint-Étienne79 du 22 au 24 janvier 1982, et consacrées à la conservation des films et à la situation des cinémathèques, a exposé un descriptif de la Cinémathèque française : « […] Le budget 1982 s’élève à 11, 7 millions de francs dont environ 3 millions de recettes fournies par les salles, le reste provenant de subventions du ministère et du CNC. Les collections rassemblent 12 000 titres longs métrages […] 28 000 titres tous films confondus, dont la majeure partie est encore sur support nitrate80 ».
174En ce qui concerne les collections non-films, il est envisagé que la bibliothèque, mise en caisse à la fin des années 1950 et stockée dans un dépôt de Pontault-Combault, soit réunie à celle de l’IDHEC et du fond Sadoul, pour constituer une grande bibliothèque du cinéma.
175Ce projet est devenu, en partie, réalité en juillet 1982 avec l’ouverture de la bibliothèque dans les étages du Palais de Chaillot, même si, à cette date, toutes les collections n’étaient pas encore disponibles pour le public.
Une ultime résistance (1985-1988)
Le cinquantenaire
176Mais derrière cette unanimité de façade, et au-delà de la satisfaction de constater l’augmentation des subventions, va naître un nouveau clivage entre les plus anciens collaborateurs d’Henri Langlois et ceux que l’on pourrait appeler les « rénovateurs » proches du ministre de la Culture.
177Déjà, lors de l’élection du conseil d’administration du 8 février 1982, Pierre Kast lançait un avertissement, espérant que ce nouveau conseil d’administration puisse retrouver « les orientations principales données par Henri Langlois à la Cinémathèque française81 ».
178Mais il faudra attendre presque deux ans pour qu’apparaisse la première fissure avec la démission d’André-Marc Delocque-Fourcaud le 31 janvier 1984, qui met fin au conflit avec le personnel, réfractaire à ses méthodes de travail, et au terme duquel Costa-Gavras se montre apaisant : « […] l’administration de la Cinémathèque a toujours posé des problèmes, largement dus, il faut le souligner, au manque de moyens. Avec la nomination d’un nouveau délégué général […] les choses devraient revenir à la normale82 ».
179Delocque-Fourcaud est remplacé le 18 avril par Bernard Latarjet, ingénieur des Eaux et Forêts. Souci d’apaisement de la part du président, ce nouveau venu ne garde ni le titre de son prédécesseur – il est simplement délégué général – ni la totalité de ses pouvoirs. Bernard Latarjet doit, surtout, d’occuper de la gestion financière.
180Avec Costa-Gavras, ils vont tenter d’assainir les finances par ailleurs dénoncées par la Cour des comptes83, mettre de l’ordre dans les collections en établissant un inventaire, resserrer les liens avec la profession. Ils vont également tenter d’entamer une indispensable réflexion sur les tâches nouvelles que la télévision et la vidéo imposent à la Cinémathèque. Cette réflexion, novatrice, trouve sa synthèse dans un projet, celui de l’aménagement du Palais de Tôkyô en Palais de l’Image.
181Certes, les comptes sont, enfin, équilibrés pour l’exercice 1985, non sans efforts, ni certains choix : le déménagement des bureaux de l’avenue d’Iéna à la rue du Colisée permettant une économie de loyer de six cent mille francs annuels, le passage à la comptabilité analytique, permettant un meilleur suivi de la gestion de l’association, l’adaptation en forme de redéploiement interne du personnel, et la vente du hangar de Pontault-Combault pour 1,2 millions de francs.
182Certes, Costa-Gavras est réélu, avec une majorité de trois voix, président de la Cinémathèque française face à Patrick Brion, lors de la réunion du conseil d’administration du 30 juin 1986 et « […] la réélection de Costa-Gavras constitue un engagement pour les partisans de la modernisation de la Cinémathèque, et notamment de son installation au Palais de Tôkyô, dans un grand musée moderne du cinéma84 ».
183Revenu d’actualité avec la commémoration du cinquantenaire de la naissance de la Cinémathèque française, le déménagement au Palais de Tôkyô va aviver la vigilance de ses opposants, qui vont y voir, une nouvelle fois, la mainmise de l’État sur l’association.
184Commémorer le cinquantenaire de la naissance de la Cinémathèque française ne doit pas être seulement un moment de célébration, mais doit lui permettre « d’acquérir un rythme de travail pour les années à venir85 ».
185Pour le délégué général, « […] le cinquantenaire ne doit pas être un ensemble de festivités purement mondaines, mais la préfiguration du travail de mise en valeur, d’exploitation de nos collections86 ».
186Commémoration du cinquantenaire et projet d’installation au Palais de Tôkyô sont étroitement liés et les nouvelles formes d’activités exprimées au cours de ce cinquantenaire doivent être, à l’avenir, les activités classiques de la Cinémathèque française dans ses nouveaux locaux.
187Cette commémoration, qui dure toute l’année 1986, est basée sur une politique d’ouverture et de recherche de partenaires extérieurs. Certes, il est nécessaire de sensibiliser l’opinion à la nécessité de la conservation du patrimoine et, à cet égard, la Cinémathèque française organise des projections exceptionnelles de films retrouvés, et ce à Paris, en province, mais aussi à l’étranger, comme Louise d’Abel Gance à l’Opéra de Paris ou Casanova d’Alexandre Volkoff à Los Angeles.
188Mais elle organise aussi des expositions, sur Josef Fenneker, avec la collaboration de l’Institut Goethe, au Palais de Chaillot, Alexandre Trau-ner, à l’École nationale supérieure des beaux-arts, ou Georges Méliès, au Palais de Tôkyô, avec l’appui du Centre national de la photographie et, bien sûr, Henri Langlois, dans le hall du Palais de Chaillot.
189Elle s’engage aussi dans une politique éditoriale, avec la publication, avec la collaboration des éditions de l’Étoile et la Mission de formation aux métiers du cinéma, des écrits d’Henri Langlois, réunis par Jean Narboni, et ceux de Louis Delluc, la biographie d’Ernst Lubitsch, à l’occasion de la rétrospective qu’elle organise en son honneur, et une histoire de la société Gaumont, en collaboration, dans ce cas, avec les éditions Ramsay et la société Gaumont elle-même. La Cinémathèque française organise également des débats avec des cinéastes, présente les collections de son musée et participe, durant toute cette année 1986, à différents festivals, notamment le festival Art et cinéma de Guingamp, « Cinéma et histoire » de Valence, le festival des Trois Continents de Nantes, les Rencontres des jeunes auteurs de Belfort ou le festival de La Rochelle. A partir de cette commémoration l’objet de la Cinémathèque doit être redéfini. Elle doit devenir un lieu
« […] où il y a des collections conservées, entretenues, restaurées, le cas échéant accessibles au public, et un endroit où l’ensemble des activités de représentation de ces collections soit organisé, des expositions de films, des expositions de documents et d’objets autour des films, des rencontres et des débats avec ceux qui font le cinéma […] un lieu d’accueil pour l’ensemble du public87 ».
Une révolution de palais
190Mais les nouveaux responsables de la Cinémathèque française se heurtent à une nouvelle réalité, celle de la nécessité d’écrire l’histoire du cinéma, à laquelle l’organisme dont ils ont charge doit participer. A cet égard, il devient nécessaire de distinguer les deux dimensions de la Cinémathèque française, elle est archive et collectionne les films, elle est musée et elle les montre.
« Sa fonction d’archivé – de Bibliothèque Nationale du cinéma – exige qu’on conserve tout, excluant tout jugement artistique. Les films, comme les imprimés de la Bibliothèque nationale, sont conservés, quel qu’ils soient, pour leur valeur de document, d’information. Sa fonction de musée ne peut s’exprimer qu’à travers une histoire de l’art permettant de fonder des choix88. »
191L’installation au Palais de Tôkyô doit permettre cette écriture de l’histoire du cinéma, tout comme elle doit permettre, aussi, « de donner une réalité concrète à l’idée de musée du Cinéma89 ».
192Quant aux craintes des anciens collaborateurs d’Henri Langlois, elles trouvent leurs origines dans l’aménagement du Palais de Tôkyô et de son hypothétique corollaire, le déménagement du musée de Chaillot. Ils ne refusent a priori pourtant pas Tôkyô, à condition que la conséquence de son aménagement ne soit pas le déménagement du musée de Chaillot. « Je suis pour maintenir Chaillot dans son intégrité, dans son intégralité, et pour que Tôkyô ne détruise rien, mais soit un supplément de modernisation90… »
193Face à ce qui est devenu un projet affirmé, et au danger que représente le transfert du Musée Henri Langlois au Palais de Tôkyô, la résistance va s’organiser au terme des commémorations du cinquantenaire.
194En dépit des assurances de Bernard Latarjet qui affirme : « Nous conservons la grotte de Chaillot et nous aurons trois salles au Palais de Tôkyô91 », la crainte reste vive, à tel point qu’Anatole Dauman, vice-président du conseil d’administration de la Cinémathèque française, n’hésite pas à mettre en cause le rôle de Costa-Gavras dans un article publié dans Le Film français, en janvier 1987, l’accusant, en cautionnant le déménagement de la Cinémathèque au Palais de Tôkyô, d’assujettir l’indépendance de l’association qu’il préside.
195Anatole Dauman se félicite de la réunion, en un même lieu, de la Cinémathèque française, du Centre national de la photographie et de la future grande école du cinéma, la France se dotant, là, d’un « instrument unique au monde ». Mais il décèle, derrière cette « bonne nouvelle », une autre réalité, celle de l’obligation, pour la Cinémathèque française, d’évacuer le Palais de Chaillot, c’est-à-dire le musée du Cinéma et la salle de projection.
196Mais ce musée du Cinéma n’est pas seulement un musée, c’est aussi une œuvre, « […] une promenade inspirée au Pays des merveilles, le cinéma tel que l’a vu Henri Langlois avant de disparaître ; Sous le musée, la salle. Elle est chargée d’histoire, mais après tout, ne va-t-on pas en bâtir d’autres, plus modernes, au Palais de Tôkyô ? Ce n’est pas si simple : que serait le musée sans la salle ? Les objets sans les films92 ? »
197Le Palais de Chaillot est un lieu symbolique garant de l’indépendance de la Cinémathèque française et le fait de transférer le musée au Palais de Tôkyô serait synonyme de soumission totale aux pouvoirs publics.
« La Cinémathèque à Chaillot, n’était-ce pas la garantie du maintien de l’anomalie juridique dans le territoire symbolique : le lieu du crime de l’affaire Langlois ? Ne découvre-t-on pas la précaution ultime du fondateur ? Faire de Chaillot une place forte inexpugnable en y créant un chef-d’œuvre, un testament intransportable ailleurs, le labyrinthe magique du musée qui dissimule son secret : l’indépendance93. »
198Pour Anatole Dauman, l’aménagement du Palais de Tôkyô n’est donc pas dénué d’arrière-pensées, à commencer par la mainmise de l’État sur la Cinémathèque française car « […] une fois la Cinémathèque évacuée de Chaillot, associée au Palais de Tôkyô, à des institutions “normales”, elle rentrera dans le rang94 ».
199Afin de s’assurer cette mainmise, l’État utilise un instrument, qui n’est autre que l’actuel président de la Cinémathèque française, qui « […] élude la question essentielle, court au ministère pour jurer que la Cinémathèque déménage, affirme devant le conseil que Chaillot sera tenu quoiqu’il arrive, défend un parti devant les uns, son contraire devant les autres, ignore et dissimule les votes de plus en plus résolus d’un conseil qui s’inquiète, tait les pressions de plus en plus énergiques d’une administration qui s’impatiente, espère vraiment que le temps arrangera tout et s’expose à perdre sur tous les tableaux, à Tôkyô comme à Chaillot, l’identité de la Cinémathèque de même que son crédit personnel95 ».
200Quant au délégué général, lui aussi prête-nom de l’État, il est considéré dans le même état d’esprit, comme un fonctionnaire qui « […] a naturellement entrepris, avec l’aide des autres fonctionnaires, de soumettre la Cinémathèque à une logique technocratique foncièrement étrangère au monde de la création cinématographique et à la vision des professionnels96 ».
201Costa-Gavras, à Los-Angeles pour préparer son prochain film au moment où Anatole Dauman signe son article dans Le Film français, répond par ces propos :
« Tous ceux qui font des films, tous ceux qui rêvent à une œuvre importante et nouvelle savent l’enthousiasme que cela peut soulever, mais aussi les oppositions, les incompréhensions, les angoisses et parfois la mauvaise foi. Langlois l’a vécu et il a vaincu. Ayant créé la Cinémathèque avec quelques copies de films sauvés, une salle de quarante places et quelques affiches accrochées au mur, il nous a laissé avant de mourir des milliers de films, une salle de quatre cents places, un musée inachevé de 2 000 m2. Le risque pour ses successeurs, à force de vénérer son œuvre, est de vouloir la figer97. »
202Peu enclin à soutenir la polémique, Costa-Gavras préfère quitter ses fonctions dès la fin de son mandat, sans désir de le renouveler. Lors de l’assemblée générale du 25 mai, le rapport moral du président et du délégué général est rejeté par 134 voix contre 130 et Bernard Latarjet de reconnaître les erreurs commises, à commencer par une attitude faite d’impertinence, alors qu’« […] il fallait, il faudra une plus grande lenteur, une plus grande progressivité dans la mise en route des projets. Nous avons dû, pour respecter le calendrier fixé par les travaux, mener l’affaire à la hussarde. Nous avons eu tort98 ».
203Jean Rouch remplace aussitôt le président contesté. Proche d’Henri Langlois, il va assurer une forme d’intérim, et donner des gages d’apaisement aux différentes sensibilités qui pouvaient se manifester au sein du conseil d’administration, tout en prenant garde « […] que l’emprise de l’État [ne] puisse déborder sur les problèmes purement cinématographiques, que ce soit dans les domaines de l’enseignement, du musée ou de la programmation. Les programmes de projection doivent conserver ce caractère unique qui fait la gloire de la Cinémathèque dans le monde entier99 ».
204Il va aussi profiter du climat politique du moment et de cette « incertitude institutionnelle » qui voit François Léotard prendre en charge le portefeuille des Affaires culturelles, sans remettre pour autant en question les grands projets, notamment l’aménagement du Palais de Tôkyô, car « la volonté politique du gouvernement est claire, c’est poursuivre l’effort qui a été engagé100 ». Et face à la mobilisation des garants de l’esprit de Langlois, l’administration du nouveau ministre déclare « qu’il n’a jamais été question de déménager le musée du Cinéma101 ».
205Déménagement ou pas, le chantier de l’aménagement du Palais de Tôkyô était trop avancé pour être corrigé, encore moins supprimé, et les diatribes d’Anatole Dauman et de ses amis tiennent plus du baroud d’honneur que d’une véritable volonté d’engager un bras de fer sur le long terme avec les pouvoirs publics. Pourtant, ce « baroud d’honneur » n’aura pas été vain : le musée du Cinéma de Chaillot n’a pas été spolié et la Cinémathèque française a donc conservé « les gages de son indépendance et de son originalité102 ».
Une nouvelle philosophie (1989-1998)
206L’intermède assuré par Jean Rouch aura permis de sauver ce qui semblait essentiel aux proches d’Henri Langlois, le maintien, en son état, du musée. Il le fut donc, mais la Cinémathèque française doit aussi penser à son avenir, réfléchir sur ses orientations, ses motivations, réflexion dont l’opportunité est justement offerte par le Palais de Tôkyô.
207La Cinémathèque française pourrait ainsi devenir « […] le lieu de manifestations audacieuses et d’ouverture à d’autres images (le vidéo-art, par exemple, confronté, conjugué au cinéma). Ce serait aussi l’occasion de rencontres plus approfondies, plus longues que celles, à la fois excitantes et frustrantes de ces derniers temps103 ».
208La Cinémathèque française doit trouver une nouvelle forme d’existence, devenir aussi « […] un espace d’avant-garde et de débats, qu’il puisse être une porte d’entrée à ce cinéma de l’urgence et du risque qui ne trouve plus sa place dans un système de production français en quête d’un mythe industriel, confondant la notion d’auteur et celle de “qualité européenne” aux allures de téléfilm de luxe104 ».
209Le 7 février 1989, Jack Lang, qui retrouve son portefeuille de ministre de la Culture, annonce son « plan cinéma » et, parmi les mesures présentées, confie à Christian Bourgois une mission sur la protection du patrimoine cinématographique. Il s’agit, en fait, de définir une possible coordination de l’archivage et de la restauration des films, entre les différentes institutions qui en ont la vocation.
210Dans le rapport remis au ministre en juillet 1989, Christian Bourgois propose la création d’une « Agence du patrimoine audiovisuel » qui doit regrouper les détenteurs du patrimoine, institutions publiques et organismes privés. Cette Agence devra aussi élaborer l’entrée de l’ensemble des dépôts et gérer le dépôt légal. Mais le rapport insiste également sur un « principe fondamental105 », à savoir la séparation des fonctions de conservation et de restauration.
211Cette dichotomie entre conservation et restauration sera retenue par les nouveaux responsables de la Cinémathèque française. En effet, le 2 juillet 1991, l’assemblée générale élit un nouveau conseil d’administration, en renouvelant le tiers de ses membres. Ce nouveau conseil d’administration se compose ainsi : Jean-Claude Carrière et Jacques Perrin, vice-présidents ; Martine Offroy et Danièle Heyman, secrétaires générales ; Jean-Luc Ormières, trésorier ; Claude Miller et Jean Rouch, membres du bureau ; et Brigitte Aknin, Danièle Delorme, Henri Alekan, Claude Berri, Philippe Carcassonne, Claude Chabrol, Alain Corneau, Roger Damiantis, Francis Girod, Louis Malle, Jean-Paul Rappeneau, Jean-Charles Tacchella, Jean Tulard, alors que Marie-Christine de Navacelle, Gérard Alaux et Dominique Wallon sont, eux, membres de droit.
212Le nouveau président est Jean Saint-Geours. Banquier, président de la Commission des opérations boursières, Jean Saint-Geours est également un spécialiste des organismes de financement du cinéma. Son élection est la conséquence de l’importance prise par les cinéastes, en activité, au sein du conseil d’administration. Ces cinéastes ont même « […] pris un peu le pouvoir au conseil d’administration et […] ont accepté un président, qui n’est pas un cinéaste, Jean Saint-Geours, pour représenter une institution, dont la particularité est d’être à cheval entre une sensibilité muséographique et une relation vivante avec la profession du cinéma106 ».
213Refusant le repli sur soi de la Cinémathèque française, profitant de la lassitude des derniers défenseurs d’Henri Langlois, et de ses méthodes, ce nouveau conseil d’administration va tenter de définir les nouvelles orientations de l’organisme dont il a pris la responsabilité, en nommant un directeur, Dominique Païni, alors responsable des productions audiovisuelles et cinématographiques du musée du Louvre, déjà habitué des milieux cinématographiques, que ce soit comme critique, producteur, distributeur ou exploitant de salles.
214Le tandem Jean Saint-Geours – Dominique Païni remplace donc le duo Costa-Gavras – Bernard Latarjet, et le nouveau directeur affiche pour ambition de « […] nettoyer, d’éclaircir, et de remettre la Cinémathèque sur le chemin de sa mission, qui est avant tout d’enseigner ou même d’éduquer, sans crainte d’éventuelles connotations nostalgiques et scolaires107 ».
215La politique de la nouvelle direction est résumée par ces mots : « Conserver, montrer, exposer, enseigner ». Elle est définie par une programmation qui doit rompre avec les habitudes et profiter des « […] acquis de l’histoire de l’art, proposer des points de vue et des hiérarchies, même provisoires108 ».
216Elle se définit aussi par une volonté de concevoir, en parallèle au musée de Chaillot, « parcours initiatique », un « espace d’exposition », qui doit devenir un « parcours pédagogique », « […] mêlant séquences de films, documents historiques et objets liés au cinéma, avec le secours des technologies modernes109 ».
217Cette politique doit s’enrichir des nouvelles activités de la Cinémathèque française, la création de cours dispensés par Jean Douchet dans le cadre d’un Collège d’histoire de l’art cinématographique, qui fait appel à des intervenants extérieurs, universitaires ou professionnels du cinéma et par la publication d’une revue semestrielle, d’histoire et d’esthétique, tout simplement appelée Cinémathèque.
218Ces nouvelles activités devaient prendre leur plénitude au sein du Palais de Tôkyô qui, après réfection et aménagement, devait ouvrir au plus tard à la fin de l’année 1994, sous le nom de Palais Jean Renoir, coïncidant ainsi avec la célébration du premier centenaire de la naissance du cinéma.
219La Cinémathèque devait retrouver la FEMIS, institut de formation et d’enseignement pour les métiers de l’image et du son, le Centre national de la photographie, l’unité de recherche Périphéria110 de Jean-Luc Godard et la Mission du patrimoine photographique, dans un palais qui « […] sera à la fois l’aboutissement d’une politique constante de sauvetage, de conservation, de mise en valeur et de diffusion de notre patrimoine cinématographique, et le point de départ d’une aventure nouvelle111 ».
220Sous la direction de Païni, si les activités de conservation et de restauration sont restées d’importance112, la Cinémathèque française organise sa programmation en alternant cycles de découvertes et de rétrospectives, avec projections des films clés de l’histoire du cinéma. Elle a mis en place son Collège d’histoire de l’art cinématographique, présidé par Jean Dou-chet. Elle publie, entre autres ouvrages, sa revue, Cinémathèque, destinée à « […] conjurer la perversion autistique du chercheur qui serait le seul à consulter un certain nombre de trésors113 ».
221Ces trésors en question ne sont rien moins que les archives de la Cinémathèque française qu’il devient important de mettre à disposition du public, par l’intermédiaire de cette revue, dont le premier numéro est paru en juin 1992.
222Au sommaire de ce premier numéro, figurent deux articles consacrés aux collections de la Cinémathèque française, l’un de Dominique Brun sur les documents de travail d’Eric von Stroheim et le second, signé Catherine Ficat, consacré à la collection de plaques de verre de Lazare Meerson.
223Cette revue est devenue le symbole de la Cinémathèque française. En se penchant sur son passé, en exhumant ses propres archives, elle a définitivement franchi une étape de son histoire.
224L’année du centenaire aurait dû être marquée par l’installation définitive de la Cinémathèque française au Palais de Tôkyô dont l’inauguration aurait été le point d’orgue des célébrations. Il n’en fut rien. Soumis à de nouveaux atermoiements ministériels et à de rapides changements de majorité parlementaire, le projet du Palais de Tôkyô sera finalement suspendu par le ministre de la Culture et de la Communication du gouvernement Jospin, Catherine Trautmann.
225Entre-temps, la Cinémathèque française a connu de nouvelles vicissitudes, dont la plus importante reste l’incendie qui s’est déclaré, dans la nuit du 22 au 23 juillet 1997, sur la toiture de l’aile est, dite Marly, du Palais de Chaillot, et qui trouve son origine dans les travaux de réfection qui y étaient effectués. Outre le musée des Monuments français, dont une partie des collections a été endommagée, le musée du Cinéma et sa salle de projection ont été inondés. Les collections encore présentes sont sauvées, mais la salle et les appareils de projection sont hors d’état de fonctionner.
226La Cinémathèque française ne possède plus d’écran, d’autant que le bail qu’elle a contracté avec le cinéma Le Républic n’est pas renouvelé, le nouveau propriétaire lui refusant de continuer à lui louer sa salle. Il faudra en fait attendre le mois de novembre pour pouvoir utiliser la salle du Brooklyn, sur les Grands boulevards.
227Cet incendie ne fait que souligner l’urgence, pour la Cinémathèque française, d’emménager au Palais de Tôkyô, dont le gouvernement Juppé avait finalement prévu l’inauguration pour juin 2000, afin de l’inclure dans le concert des manifestations du troisième millénaire. Mais à force d’être repoussé, ce projet sera suspendu pour devenir la Maison du cinéma.
228Lorsqu’elle prend la responsabilité du ministère de la Culture et de la Communication, en juin 1997, Catherine Trautmann est surprise par l’état de son administration, qu’elle juge « catastrophique ». « Les budgets votés par le Parlement ont été ratiboisés par les régulations successives. Celui dont j’hérite en 1997 ne me permet aucun redéploiement, aucune mesure nouvelle, il nous empêche de bouger114. »
229Pourtant, la ministre affirme rester attachée au Palais de l’Image, devenu Palais du Cinéma, mais l’installation de la Cinémathèque française au Palais de Tôkyô est désormais soumise aux arbitrages budgétaires du ministère. Le choix sera défini lors de la présentation de sa politique concernant le cinéma, le 6 février 1998. Le projet est suspendu, d’autant « que les contraintes architecturales du Palais de Tôkyô, construit en 1937 pour abriter le musée national d’Art moderne, imposeraient des surcoûts très élevés115. » Il faut donc trouver un site mieux adapté, de préférence dans l’est parisien. Trois propositions sont formulées : la Gaîté-Lyrique, les halles Sudac ou les halles Polonceau.
230La FEMIS ayant décidé de s’installer de manière définitive rue Fran-cœur, dans les anciens studio Pathé, il n’est donc plus question alors que de regrouper la Cinémathèque française et la bibliothèque du Film-Filmo-thèque, la BIFI116.
231Ces dernières déclarations de la ministre n’ont pas manqué de soulever de nouvelles inquiétudes, tout autant que la colère des administrateurs de la Cinémathèque française.
232Les réalisateurs membres de son conseil d’administration, Claude Berri, Jean-Claude Carrière, Alain Corneau, Laurent Heynemman, Jean-Paul Rap-peneau, Jean Rouch et Jean-Charles Tacchella décident de lui adresser une lettre ouverte, intitulée « Sept cinéastes en colère ».
233Soulignant le fait que quatorze années se sont déjà écoulées depuis le lancement de l’idée du Palais de l’Image, ils fustigent la désinvolture des pouvoirs publics à l’égard de la Cinémathèque française et demandent à la ministre de prendre deux décisions, la première devant même être immédiate :
« Si la vocation de la Cinémathèque est de projeter des films, ce n’est qu’une partie de cette vocation. Il lui faut […] un espace d’exposition lié à sa salle de projection, qu’elle doit retrouver au Palais de Chaillot. […] En second lieu, nous demandons que soit arrêté le plus rapidement possible le choix définitif du site futur de la Cinémathèque et de son musée du Cinéma, élément patrimonial indispensable117. »
234Pourtant, Catherine Trautmann confirme l’intérêt qu’elle porte à cette institution pour avoir nommé, le mois précédent, Marc Nicolas directeur-adjoint du Centre national de la cinématographie, chargé de trouver un nouvel emplacement pour le Palais du Cinéma, en concertation avec la Cinémathèque française et la bibliothèque du Film-Filmothèque.
235Deux projets sont alors étudiés, la Gaîté-Lyrique et l’ancien Centre américain, rue de Bercy. Le choix est finalement révélé le 30juin. Ce sera l’ancien Centre américain, proche de la Bibliothèque nationale de France. Il sera composé de trois salles de projection, d’espaces d’exposition et d’une librairie-vidéothèque.
236Le changement de nom semble traduire la volonté de réduire ce projet à des dimensions plus modestes que celles prévues. Mais Marc Nicolas anticipe toute critique en affirmant : « A ceux qui seraient tenté d’y lire la traduction d’une ambition moindre pour le projet lui-même, on indiquera simplement que Maison, plus que Palais, renvoie au cœur du projet qui est d’accueillir. Accueillir tous les publics, tous les professionnels, tout le cinéma118. »
237Le film devient un enjeu politique et cette Maison du cinéma doit s’inscrire dans la logique d’une véritable action culturelle. Face à l’apparition de nouvelles pratiques culturelles et de tout aussi nouvelles techniques, telles que la vidéo, les chaînes thématiques, le câble ou le satellite, dominées par des intérêts financiers et privés, le rôle des pouvoirs publics est d’affirmer, sans cesse, son soutien à la diffusion et à la conservation du patrimoine cinématographique.
238Cette Maison du cinéma, dont l’ouverture est prévue pour l’an 2000, doit affiner sa mission, permettre l’accès aux films, mais surtout
« d’étendre et de structurer la recherche historienne et esthétique, de faciliter la confrontation des réflexions sur le cinéma, de soutenir l’édition sur tous les supports appropriés, jusqu’au multimédia. […] d’inventer des modes d’exposition […] créer des formations de professionnels du patrimoine correspondant aux caractéristiques du cinéma. La Maison du Cinéma ne doit pas seulement être le haut lieu de la cinéphilie […] mais aussi la tête de réseau de l’action nationale, et internationale, de ce rapport singulier entretenu en France avec le cinéma et sur lequel s’appuie pour une grande part l’exception culturelle119 ».
239Le film est instrument d’une politique culturelle qui trouvera sa pleine expression avec l’installation définitive de la Maison du cinéma.
Notes de bas de page
1 Pierre Barbin, « Entretien avec l’auteur », op. cit.
2 Roger Weil-Lorac, Cinquante ans de cinéma actif, p. 157.
3 Procès-verbal de l’examen de l’œuvre d’Emile Reynaud, Autour d’une cabine, archives Pierre Barbin
4 Ibid.
5 « Les lumières de Chaillot », Cinéma 68, n° 129, octobre 1968.
6 Ibid.
7 Lucien Patry, « Entretien avec Serge Losic », Films et documents, n° 332, octobre-novembre-décembre 1980.
8 Mathilde La Bardonnie, « Entretien avec Henri Langlois », Le Monde, 19 février 1976.
9 L’Aurore, 10 juillet 1969.
10 Yvonne Dornès, « Entretien avec l’auteur », op. cit.
11 Jean-Marie Dunoyer, « Soixante-quinze ans de cinéma », Le Monde, 15 juin 1972.
12 Ibid.
13 Cité par Sylvette Gleize, Le Monde., 19 février 1976.
14 Georges P. Langlois, « Cinquante ans de Cinémathèque française », chapitre 8, « Le musée », France-Culture, 13 août 1986.
15 Georges Goldfayn, « Cinquante ans de Cinémathèque française » Ibid.
16 Mathilde La Bardonnie, « Entretien avec Henri Langlois », op. cit.
17 Ibid.
18 Ibid.
19 Pierre Billard, « Entretien avec Henri Langlois », Le Film français, n° 1574, 4 avril 1975.
20 Mathilde de La Bardonnie, « Entretien avec Henri Langlois », op. cit.
21 Ibid.
22 Georges P. Langlois et Glenn Myrent, op. cit., p. 381.
23 Bernard Eisenschitz, « Cinquante ans de Cinémathèque française », chapitre 8, « Le musée », France-Culture, 13 août 1986.
24 Thierry Jousse, Charles Tesson, Serge Toubiana, « Cinémathèque : l’art de programmer », entretien avec Dominique Païni, Cahiers du cinéma, n° 459, septembre 1992.
25 Raymond Borde, « La Cinémathèque française, recherche de la vérité », Cahiers de la Cinémathèque, n° 22, p. 40.
26 Bulletin d’information du CNC, n° 136, août 1972.
27 Pierre Billard, « Entretien avec Henri Langlois », op. cit.
28 Sylvette Gleize, Le Monde, 19 février 1976.
29 Ibid.
30 Cité par Sylvette Gleize, Ibid.
31 Ibid.
32 Ibid.
33 Ibid.
34 Marcel Martin, « Pour une Bibliothèque Nationale du cinéma », Écran, n° 21, janvier 1974.
35 Ibid.
36 Michel Ciment, « Pour une Cinémathèque nationale » Le Monde, 15 décembre
1977.
37 Raymond Borde, « La Cinémathèque française, recherche de la vérité », Cahiers de la Cinémathèque, n° 22, p. 50.
38 Raymond Borde, « La Cinémathèque française, recherche de la vérité, dossier n° 2 », Cahiers de la Cinémathèque, n° 23-24, Noël 1977, p. 159.
39 Michel Delain, « L’héritage d’Henri Langlois » L’Express, 15 janvier 1977.
40 Raymond Borde, « La Cinémathèque française, recherche de la vérité, dossier n° 2 », op. cit. p. 161.
41 Michel Laszlo, « C… comme cinémathèque » Rouge, 7 janvier 1978.
42 Cité par Jean Lebrun, « Cinémathèque : l’âge de raison », La Croix, 19 septembre 1981.
43 Cette première décision de justice est antérieure au décès d’Henri Langlois, ce qui prouve que le litige existait déjà entre les créanciers et le secrétaire général de la Cinémathèque française. Mais prenant connaissance de ce conflit, le nouveau conseil d’administration le met aussitôt sur la place publique, ce qui accélère son processus de liquidation.
44 Le Technicien du film, n° 253, 15 novembre-15 décembre 1977.
45 Ibid.
46 Le Monde, 3 décembre 1977.
47 Ils sont remplacés par Lotte H. Eisner, Georges Franju, Ruta Sadoul et Constantin Costa-Gavras.
48 Charles Schneider, « La Cinémathèque ne tourne plus », Le Nouvel Observateur, n° 686, 1er au 8 janvier 1978.
49 Ibid.
50 Le Monde, 14 décembre 1977.
51 Marcel Martin, « La Cinémathèque en question », Écran, n° 65, janvier 1978.
52 La dette échelonnée sur quatre années, cette transformation de la Cinémathèque française en fondation ne pourrait toutefois avoir lieu avant 1980.
53 Journal officiel, 5 août 1978.
54 Raymond Borde et Freddy Buache, « Les Cinémathèques », Positif n° 174, octobre 1975.
55 Marcel Martin, « Entretien avec Hubert Astier », Écran, n° 76, janvier 1979.
56 Ibid.
57 Ibid.
58 Ibid.
59 Geneviève Breerette, « Une visite au musée du Cinéma : suivez le guide », Le Monde, 20 mars 1980.
60 Jean Nay, « Le Musée du cinéma rouvert », Le Matin, 20 février 1980.
61 Cité par Jacques Siclier, « Objectifs pour la Cinémathèque », Le Monde, 21 juin 1980.
62 Michel Guy, « Cinquante ans de Cinémathèque française », chapitre 9, « L’après– Langlois », France-Culture, 14 août 1986.
63 . Ibid.
64 Il s’agit donc du septième dépôt évoqué par Yvonne Dornès et non recensé par Michel Laszlo dans son article de Rouge, le 7 janvier 1978.
65 Yvonne Dornès, « Entretien avec l’auteur », op. cit.
66 Le Monde, 8 août 1980.
67 Selon Georges Franju, malgré le peu d’entrain d’Henri Langlois pour cette solution, de nombreuses copies sur support nitrate ont été déposées à Bois d’Arcy, dont la capacité d’absorption s’est révélée saturée.
68 Ibid.
69 Ces nouveaux locaux permettront d’accueillir soixante-dix mille bobines supplémentaires sur support nitrate en 1981.
70 Ange-Dominique Bouzet, « L’incendie d’un mythe », Le Film français, n° 1820, 22 août 1980.
71 Jacques Siclier, « Un effet bénéfique », Le Monde, 9 août 1980.
72 Pierre-Henri Deleau, « Cinquante ans de Cinémathèque française », chapitre 9, « L’après-Langlois », France-Culture, 14 août 1986.
73 Ibid.
74 Le Matin, 6 mars 1981.
75 Le Monde, 28 octobre 1981.
76 La restauration des films est devenue une priorité dès 1982. De 500 000 francs en 1981, les crédits disponibles pour le tirage des films passent à 1 million de francs en 1982, puis à 10 millions de francs en 1983.
77 Depuis le 2 mars 1981, Bernard Martinand, ancien proche collaborateur d’Henri Langlois, est directeur de la programmation.
78 Jack Lang, « Cinquante ans de Cinémathèque française », chapitre 10, « La Cinémathèque aujourd’hui », France-Culture, 15 août 1986.
79 Ces rencontres de Saint-Etienne marquent une étape importante dans les rapports entre les différents organismes de conservation : pour la première fois de leur existence, se réunissent les principaux d’entre eux, la Cinémathèque française avec Delocque-Fourcaud et Bernard Martinand, le Service des archives du film avec Franz Schmitt, la Cinémathèque de Toulouse avec Raymond Borde et Biaise Cadars, et la Cinémathèque universitaire avec Claude Beylie et Michel Marie.
80 Jean-Pierre Jeancolas, Positif, n° 256, juin 1982.
81 Le Monde, 10 février 1982.
82 Pierre Rival, « Entretien avec Costa-Gavras », Le Film français, n° 1984, 16 mars 1984.
83 Lors de son rapport annuel, en février 1985, la Cour des comptes condamne, entre autres, la politique de prestige engagée par la Cinémathèque française, illustrée par la projection du Napoléon d’Abel Gance, en version intégrale, les 22, 23 et 24 juillet 1983, et par son incapacité à organiser des tournées en province pour diffuser ce film.
84 Le Film français, n° 2096, 4 juillet 1986.
85 Costa-Gavras, « Cinquante ans de Cinémathèque française », chapitre 10, « Aujourd’hui », France-Culture, 15 août 1986.
86 Paul Ceuzin et Michel Perez, entretien avec Bernard Latarjet. Le Matin, 25 décembre 1985.
87 Bernard Latarjet, « Cinquante ans de Cinémathèque française », chapitre 10, « Aujourd’hui », France-Culture, 16 août 1986.
88 Catherine Millet et Dominique Païni, « La Cinémathèque, un musée à la recherche d’une histoire », entretien avec Bernard Latarjet, Art-Press, n° 105, juillet/août 1986.
89 Ibid.
90 Pierre Braunberger, « Cinquante ans de Cinémathèque française », chapitre 10, « Aujourd’hui », France-Culture, 16 août 1986.
91 Catherine Millet et Dominique Païni, « La Cinémathèque, un musée à la recherche d’une histoire », op. cit.
92 Anatole Dauman, « La Cinémathèque dans le giron de l’État ? Une tragédie grecque », Le Film français, n° 2125, 23 janvier 1987.
93 Ibid.
94 Ibid.
95 Ibid.
96 Frédéric Sabouraud, « Entretien avec Anatole Dauman », Cahiers du cinéma, n° 398, juillet-août 1987.
97 Le Film français, n° 2125, 23 janvier 1987.
98 Frédéric Sabouraud, « Entretien avec Bernard Latarjet », Cahiers du cinéma, n° 398, juillet-août 1987.
99 Frédéric Sabouraud, « Entretien avec Jean Rouch », ibid.
100 Jérôme Clément, « Cinquante ans de Cinémathèque française », chapitre 10, « Aujourd’hui », France-Culture, 16 août 1986.
101 Le Monde, 31 janvier 1987.
102 Anatole Dauman, « La Cinémathèque dans le giron de l’état ? Une tragédie grecque », op. cit.
103 Frédéric Sabouraud, « La forteresse et le palais », Cahiers du cinéma, n° 398, juillet-août 1987.
104 Ibid.
105 Raymond Borde, « Les cinémathèques, patrimoine ou spectacle », Archives, n° 25, octobre 1989.
106 Thierry Jousse, Charles Tesson, Serge Toubiana, « Cinémathèque : l’art de programmer », Cahiers du cinéma, n° 459, septembre 1992.
107 Ibid.
108 Dominique Païni, cité par Jean-Michel Frodon, « Avis de vent frais sur la Cinémathèque », Le Monde, 31 décembre 1991.
109 Ibid.
110 Ce projet de réunir la FEMIS et Périphéria, fut en fait, rapidement abandonné.
111 Danièle Heyman, « Entretien avec Jack Lang », Le Monde, 30 octobre 1992.
112 Entre 1991 et 1992, le budget du « plan-nitrate », destiné à transférer des millions de mètres de pellicule anti-inflammable sur support de sécurité, a doublé, atteignant cinquante-deux millions de francs. Cette dotation fut reconduite pour l’année 1993.
113 Thierre Jousse, Charles Tesson, Serge Toubiana, « Cinémathèque, l’art de programmer », op. cit.
114 Catherine Trautmann, Le Monde, 20-21 juillet 1997.
115 Ibid., 8-9 février 1998.
116 Créée en 1992, mais ne disposant d’aucune existence matérielle, la bibliothèque du Film-Filmothèque regroupe les collections et les bibliothèques de la Cinémathèque française, de la FEMIS, les archives photos de la Cinémathèque française et du Service des archives du film, les dossiers de presse du CNC et des collections privées. Installée au 100, rue du Faubourg-Saint-Antoine, elle est ouverte au public depuis le 10 décembre 1996.
117 Le Monde, 3 avril 1998
118 Cité par Franck Beau, « La Maison du cinéma. Enquête sur un serpent de mer (bientôt ramené dans les filets) », Cahiers du cinéma, n° 527, septembre 1998.
119 Jean-Michel Frodon, « Entretien avec Marc Nicolas », Le Monde, 25-26 octobre 1998.
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La Cinémathèque française
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