La Roumanie
p. 325-329
Texte intégral
Situation générale
1Après l’effondrement rapide de la dictature de Ceaucescu, la réorganisation des structures de l’État a été parachevée par l’adoption d’une nouvelle Constitution en 1991 et la création de nouvelles institutions, qui ont cependant été plus véloces que la reconversion économique. Le gouvernement de gauche n’a initialement autorisé que les petites entreprises de niveau individuel et, dans le domaine audiovisuel, si la censure a été immédiatement abolie, la presse et la télévision libéralisées, les entreprises de l’industrie cinématographique sont demeurées la propriété de l’État. Menacées de faillite dès 1995, il apparaît que cet immobilisme n’a pas favorisé la production ni la fréquentation mais explique la moindre proportion de salles fermées (un tiers) après le changement de régime. L’État était l’unique producteur de films : une vingtaine par an dans les années soixante-dix, un peu plus la décennie suivante, jusqu’à l’effondrement d’après 1989 (huit). Après la création du Centre national du film (CNF) en 1990, d’abord géré par un fonctionnaire, puis par un cinéaste, quelques sociétés indépendantes de production (une dizaine) apparurent. inflation et les difficultés économiques ont limité cette production publique à quatre ou cinq films par an, les sociétés privées (Castel Film, Domino Film, Tracus Arte, etc.) en mettant autant sur le marché, principalement par coproduction avec l’étranger.
La distribution
2La centaine de films distribués annuellement font une part de plus en plus grande aux importations américaines (80 à 90 % des titres), qui réalisent plus de 96 % des entrées ; la diversité cinématographique s’est fortement dégradée, les films roumains peinant à attirer 2 % des spectateurs – et les films français sont devenus quasi inexistants malgré la pénétration de la langue.
3Bien que transformée en société publique autonome, le monopole sur la distribution de RADEF-Romaniafilm a duré jusqu’en 1992 ; les indépendants ont toutefois du mal à s’intéresser au marché en raison d’un double handicap : le monopole d’État perdure sur les salles et la remontée de recettes lui laisse une faible marge. En effet, après le paiement des différentes taxes (CNF, 12,5 % ; État, 7 % ; impôt cinéma, 2 %) et des salles du RADEF, il ne reste plus que 32 % de la recette au distributeur durant les huit premières semaines d’exploitation, et 29 % au-delà. La faiblesse du montant de cette remontée nuit également aux producteurs roumains indépendants qui ont alors du mal à s’autofinancer. L’absence de rentabilité du marché roumain a écarté l’implantation de sociétés étrangères, en particulier américaines, certaines majors n’y exportant de surcroît toujours pas leur catalogue.
4De ce fait, peu de distributeurs sont présents sur le marché, qui se trouve artificiellement fortement concentré. La Guild Film enregistre entre le quart et le tiers des entrées, essentiellement avec les films des majors (Columbia, Fox, Warner, etc.) qui lui fournissent directement des copies qui ont déjà été projetées ailleurs. Elles lui font crédit et la Guild n’a a payer ses fournisseurs qu’en fin d’exploitation des films. Media Pictures est apparue en 1993 et peut également utiliser des copies usagées, fournies en général par UIP ; elle travaille aussi avec UGC (France) et SOGEPAQ (Espagne), distribue de la vidéo à domicile, et est en train de construire son parc de salles avec ses partenaires étrangers. QCB a également été créée en 1993 et distribue des films d’indépendants américains ; elle a racheté une salle à Bucarest en améliorant son équipement (Dolby Stéréo, etc.) pour aider à leur diffusion. De nouvelles sociétés apparaissent (Ro-image 2000, Glob com...) sur ce marché en mutation rapide.
L’exploitation
5Le monopole de la RADEF-Romaniafilm qui perdure sur la totalité des salles a interdit sa restructuration et sa rénovation. La fermeture du tiers du parc entre 1989 et 1992 s’explique par le système de location-vente mis en place, qui a bénéficié à des investisseurs qui ont préféré transformer les bâtiments pour d’autres utilisations commerciales (bar, discothèque, etc.), bien que leur bail stipule qu’elles doivent se livrer à la projection de films, ce qu’elles respectent rarement. La multiplication des chaînes de télévision et l’arrivée massive de films américains, autrefois limités ou interdits, ont également rendu obsolètes les salles qui s’étaient transformées en vue de la projection vidéo. Cet archaïsme juridique conduit à ce que le parc de salles soit extrêmement vétuste et ne comprenne en 2000 ni multiplexe ni grand complexe ; 96 % du parc est constitué de mono-écrans, une trentaine seulement de petits complexes étant apparus au cours de la décennie. Les difficultés économiques et l’inflation galopante (le prix du ticket a doublé en 1996 comme en 1997) constituent également un frein important à la sortie en salles.
6L’accumulation de tous ces facteurs génère une spécificité roumaine peu propice à la fréquentation des films en salles, qui n’a toujours pas fini de s’effondrer au début du xxie siècle. En perdant presque la moitié de ses spectateurs tous les deux ans depuis 1988, et avec moins de cinq millions d’entrées pour une population de 22,5 millions d’habitants, qui, elle aussi, ne cesse de diminuer (principalement par l’immigration d’une partie des travailleurs vers d’autres nations économiquement plus prospères), le taux de fréquentation par habitant est devenu tel – le plus bas de toute l’Europe – qu’une disparition totale ou une remontée spectaculaire peuvent seules être envisagées. Avec moins d’une sortie tous les cinq ans, et neuf fois sur dix pour voir un film américain, le Roumain rejoint le Bulgare dans son total délaissement du cinématographe.
L’intervention publique
7Jusqu’au changement de régime, la Roumanie était l’un des rares pays où l’industrie du cinéma s’aidait elle-même, en ce sens que toute la filière production-distribution-exploitation était propriété de l’État, et que les recettes des salles retournaient immédiatement dans la production de nouveaux films, une trentaine par an. Une décision gouvernementale (n° 86/1990) a mis en place le Centre national du film qui autorise la création, la production et la distribution privées des films, toute autre entreprise pouvant distribuer les œuvres « moyennant la conclusion d’un contrat avec la filiale autonome de l’administration Romania Film ».
8Il n’y a pas de TVA, mais une taxe nationale de 5 à 7 % sur les recettes brutes, ainsi qu’un « timbre cinéma » de 2 % à 9,5 % de la recette guichet qui est affectée au soutien de la production des films nationaux. Le quasi-monopole d’État sur les salles affecte à l’exploitation une part de la recette guichet plus importante que partout ailleurs en Europe. La faiblesse absolue de cette dernière (moins de 5 millions d’euros par an depuis 1995, 2,5 millions d’euros en 1999) déstructure totalement la filière qui, moins qu’aidée, demeure sous le contrôle d’un État impuissant à jouer son rôle, mais qui refuse de se désengager. Il en va d’ailleurs de même à la télévision où les chaînes publiques (TVR 1 et 2) sont en perte de vitesse, ce qui profite au secteur de la vidéo (le délai de sortie est de six à douze mois, et de douze à dix-huit mois pour la télévision) en plein essor malgré le coût de l’équipement et un développement de la piraterie et de la fraude (la redevance est impayée à plus de 90 %) devenues coutume nationale.
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