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Économies contemporaines du cinéma en Europe

 | 
Claude Forest

Deuxième partie. Les industries cinématographiques européennes

L’Irlande

Full text

Tableau XXXIX – L’Irlande
Principaux indicateurs cinématographiques

Tableau XXXIX – L’IrlandePrincipaux indicateurs cinématographiques

L’état du marché contemporain

1Petite île de 70 000 kilomètres carrés abritant moins de quatre millions d’habitants en sa partie indépendante, l’Irlande voit sa fréquentation augmenter depuis le début des années quatre-vingt-dix après avoir connu une baisse des années soixante (38 millions en 1961) jusqu’au minimum de 1989 (7 millions). Elle a connu l’un des taux de croissance des entrées parmi les plus importants d’Europe (+ 74 % de 1989 à 1999), et ce malgré une augmentation du prix des places également la plus forte d’Europe (+31 % en euros constants sur ces dix ans). Son retard était très important, principalement du fait d’un considérable taux de chômage et du faible pouvoir d’achat des habitants, comme de la vétusté des salles. Depuis le début des années quatre-vingt, l’Irlande a cependant pris une série de mesures économiques et fiscales afin de favoriser l’emploi ainsi que les investissements en général. De 1994 à 2000, le pays a connu un taux de croissance de l’ordre de 8 % par an, ce qui a permis d’amorcer un réel développement, d’augmenter le pouvoir d’achat de toute la population et d’abaisser le taux de chômage à moins de 5 %. Cette croissance est essentiellement due aux entreprises étrangères (anglaises et américaines principalement) qui emploient désormais presque la moitié de la main-d’œuvre et sont à l’origine des trois quarts des exportations. Depuis 1994 également, l’Irlande bénéficie d’importantes aides de l’UE (un milliard d’euros pour 1993-1997), y compris dans le domaine de l’audiovisuel (programmes Scale, qui aide la production des petits pays, et Script, pour l’écriture de scénarios) qui représente aujourd’hui une ressource essentielle pour le cinéma irlandais. La croissance économique a stimulé toutes les consommations, y compris cinématographique ; un rattrapage s’opère et, à l’instar d’autres pays européens, l’augmentation de la fréquentation des salles est nette depuis 1993. Comme ailleurs, elle a nettement précédé la croissance quantitative du parc et la généralisation des multiplexes et grands établissements. L’Irlande enregistre désormais l’une des fréquentations par habitant les plus élevées de l’Union européenne (3,26 sorties en 1999).

Source : MEDIA Salles
Figure 90 – Fréquentation et écrans en Irlande : 1989-1999

2Son parc, stable en écrans durant trois décennies (172 écrans en 1960 comme en 1990), a cependant connu une recomposition interne due au développement des complexes puis des multiplexes, et le nombre d’établissements n’a cessé de chuter jusqu’en 1997, pour ne plus compter que 62 implantations, en croissance depuis. En revanche, le nombre d’écrans a continuellement augmenté au cours de la dernière décennie, signe d’une concentration en des lieux de capacité unitaire plus élevée. Révolution rapidement menée, les mono-écrans ont diminué des deux tiers en moins de dix ans, les petits complexes enregistrant également une érosion au profit des grands complexes et multiplexes. La concentration géographique de ces derniers est très élevée puisque cinq sur sept (1998) se situent dans la région de Dublin qui génère par ailleurs la moitié des entrées du pays. La concentration des entreprises est également importante, trois d’entre elles se partageant ce marché : trois multiplexes pour l’UCI (12, 10 et 9 écrans) comme pour Ward Anderson (12, 11, 10 écrans), un pour Virgin/UGC (9 écrans).

3Cette concentration dans l’exploitation reflète la concentration géographique du pays, cinq villes représentant la quasi-totalité des entrées du pays (Dublin, Cork, Calway Limerick et Waterford), les trois premières réunissant 46 % de la population et 58 % des écrans. Les rapports de forces au sein de l’exploitation via trois circuits dont un américain se modifient ; le groupe principal, également distributeur, Ward Anderson, regroupait déjà plus de la moitié des écrans il y a deux décennies, 43 % des salles et 47 % des entrées en 1995. Pour l’UCI, les parts respectives étaient de 11 % et 22 %, tandis que le troisième circuit, MGM Adelphi Carlton, a été démembré en 1994 et que Virgin a vendu ses salles (5 % du parc) à l’UGC en 1999. Ces investissements étrangers récents, principalement pour des grands complexes, ont eu pour effet d’accroître les entrées des films américains (75 % en 1989, 90 % en 1995), au détriment des européens.

Source : MEDIA Salles
Figure 91 – Taille des établissemens irlandais (1990 et 1999)

4Depuis le début du cinéma, l’Irlande et la Grande-Bretagne ont été assimilés à un seul et même territoire pour les besoins de la distribution, toutes les décisions importantes (comme les dates de sorties) étant prises à Londres. Au début de la décennie quatre-vingt-dix, les majors s’y installent cependant, bien que la petite taille du pays limite le nombre de distributeurs nécessaires (moins d’une dizaine actifs). Les Américains forment actuellement un oligopole puissant et concentré, les cinq Majors (UIP, Buena Vista International, Fox, Warner et Columbia par ordre d’importance) diffusant les trois quarts des titres mis sur le marché. Des capitaux étrangers, anglais et américains pour l’essentiel, sont également majoritairement présents au niveau de la production, y compris dans les films de nationalité « irlandaise ». La production nationale est longtemps restée extrêmement faible (3 à 6 films par an), mais représente depuis 1993 une petite vingtaine de titres annuels, croissance impulsée par le changement de réglementation et ces coproductions.

L’intervention de l’État

5La partition de l’île a induit une intervention très politique vis-à-vis du septième art de la part des différents gouvernements irlandais, et sa surveillance ou sa censure les ont longtemps davantage intéressés que l’émergence d’une véritable cinématographie ou industrie. Une institution centrale, l’Irish Film Board, ne sera créée qu’en 1980, pour se voir supprimée sept ans plus tard, mais réapparaître en 1993. Placée sous la tutelle du ministère des Arts et de la Culture, elle accorde les quelques aides à la distribution et au marketing des films irlandais. Elle est encadrée par une autre institution plus ancienne, le Film Institute of Ireland (4 millions d’euros en 1996), qui joue notamment un rôle de centre d’éducation du cinéma, de cinémathèque, d’archives nationales, soutenu par des fonds extérieurs à l’État, dont ceux de l’ambassade de France ou de l’entreprise nationale Guiness.

6La principale disposition d’aide au cinéma irlandais concerne la production et consiste en un dégrèvement fiscal très avantageux. Dénommée Section 481 (de la loi de finances), elle autorise tout investisseur, national ou étranger, à déduire 80 % de sa mise de fonds lors de sa déclaration d’impôt (la limite étant fixée à 30 000 euros par an). De surcroît, elle ne taxe les profits qu’à hauteur de 10 %, et les entreprises peuvent investir dans les mêmes conditions. Sous réserve d’être domiciliés sur le territoire national, les producteurs peuvent ainsi préfinancer 50 à 60 % du budget de leurs films. Une partie des créateurs (écrivains, scénaristes, compositeurs, etc.) résidant en Irlande se voient totalement exonérés de l’impôt sur le revenu.

7Si ce nouveau système d’incitation fiscal a incontestablement permis de faire redémarrer quantitativement la production, il pose de nombreux problèmes, dont celui de la qualification du film. De facto, l’importance des capitaux britanniques et américains, attirés par la défiscalisation importante de l’activité, a rendu moins discernable la véritable nationalité des œuvres ainsi produites. Les pdm des différentes nationalités sont ainsi fortement brouillées depuis la mise en place de la nouvelle loi, au point de ne pouvoir être statistiquement établies, même si la prédominance américaine y est certaine. Confusion supplémentaire, de nombreux titres (≈ 75 %) sont cofinancés par la télévision et conçus uniquement pour ce support, explicitement au titre de téléfilms.

8Le taux de TVA sur le prix des places de cinéma est réduit à 12,5 %, mais il est de 21 % pour la location des films (le taux normal est de 25 %). Il n’existe pas de taxe spécifique au cinéma et donc pas d’aides directes au secteur, hormis un encouragement à la présentation de films – attribué annuellement à trois organisations non commerciales (aide à la distribution). Le délai de sortie des films à la télévision suit celui de la vidéo, qui est en général de trois à six mois.

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Caption Source : MEDIA SallesFigure 90 – Fréquentation et écrans en Irlande : 1989-1999
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