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Bicentenaire de la Révolution française

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Patrick Garcia

Première partie. Embarras de mémoire : la scène nationale

Chapitre 4. Combats pour la mémoire : la mobilisation des réseaux associatifs

Texte intégral

  • 1 Jean-Bernard Passerieu, Histoire Anecdotique de la Révolution française, Avant-propos, t. I, Paris, (...)

« Étudiez encore et toujours l’histoire de la Révolution !
C’est bien cette histoire qu’il faut ouvrir devant les yeux troublés de notre génération hébétée. […] Oui, il nous faut l’apprendre par cœur cette histoire qui, non seulement nous enseigne le passé, mais encore doit nous dicter le présent et surtout nous apprendre l’avenir. »
Conseils de Louis Blanc à Jean-Bernard Passerieu, 18841.

  • 2 Léon Daudet, Deux idoles sanguinaires : la Révolution et son fils Bonaparte, Albin Michel, 1939, p. (...)

« La Révolution est un bloc... de bêtise, […] de fumier et de sang. »
Léon Daudet, 19392.

1L’approche du Bicentenaire suscite la mobilisation des militants. À l’extrême droite comme à gauche des réseaux se constituent et tentent de faire prévaloir ou de sauvegarder « leur » mémoire. Trois d’entre eux bénéficient, à des degrés très différents, d’une implantation nationale : l’Association du 15 août 1989 qui regroupe des catholiques intégristes, les CLEF promus par la Ligue de l’enseignement et la Ligue des droits de l’homme et enfin « Vive 89 » animé par des communistes.

« Faire une croix sur 89 » : les « Anti-89 »

  • 3 Pierre Chaunu, Le grand déclassement, Robert Laffont, 1989.
    Philippe de Villiers, Lettre ouverte au (...)
  • 4 Selon la formule de Pie IX citée par Paul Aulagnier : « La Révolution est inspirée par Satan lui-mê (...)
  • 5 Ainsi la couverture du n° 1 de l’Anti-89 titre : « 109 hommes et femmes d’église assassinés à Lyon. (...)

2Comme lors des deux précédentes commémorations, les milieux les plus hostiles au souvenir de la Révolution se mobilisent. Au-delà de la presse de droite, notamment le Figaro-Magazine et le Quotidien de Paris, et des prises de position fracassantes de Pierre Chaunu ou de Philippe de Villiers3, le principal réseau militant est l’œuvre de catholiques intégristes qui fondent l’Association du 15 août 1989 et éditent un bulletin mensuel : L’Anti- 89. Leur objectif majeur est de mobiliser les catholiques et de faire pression sur la hiérarchie ecclésiastique afin qu’elle s’abstienne de toute participation à la commémoration d’une Révolution « satanique » qui a proclamé les « Droits de l’homme-sans-Dieu4 ». Chacun des trente-trois numéros de l’Anti-89, publié d’octobre 1987 à juin 1990, est nominalement adressé à un dignitaire de l’Église5. L’argumentaire développé recycle toutes les critiques portées contre la Révolution égrenées par les pamphlétaires contre-révolutionnaires depuis deux cents ans. La plupart d’entre eux contient une rubrique intitulée « de nos correspondants de guerre civile » qui produit des listes de victimes de la Terreur. Le point culminant de cette action devait être une grande procession de réparation « des crimes de la Révolution », le 15 août 1989 à Paris.

  • 6 Cité par Steven Kaplan, Adieu 89, Fayard, 1993, p. 103.

3La principale innovation au regard de l’argumentation traditionnelle est de présenter la Révolution comme la matrice des totalitarismes du XXe siècle. François Brigneau, éditorialiste de l’Anti-89, collaborateur de Minute, milicien sous Vichy, n’hésite pas à affirmer que « la cocarde […] c’est l’étoile jaune renversée6 ». Bernard Antony, membre de la direction du Front national, soutient la même lecture dans une motion déposée au parlement européen et au conseil régional de Midi-Pyrénées reproduite dans le bulletin des « Anti-89 ».

  • 7 Anti-89, n° 4, déc. 1987.

« – Rappelant que la mémoire de cette révolution sanguinaire a été exaltée par tous les grands dictateurs totalitaires et massacreurs de l’histoire contemporaine : Lénine, Trotsky, Hitler, Staline, Mao, Pol Pot […] ;
 – observant qu’en prétendant fonder la société sur le fait qu’il ne saurait y avoir que l’individu d’un côté, l’État de l’autre […] la Révolution a […] programmé le totalitarisme ;
 – observant en effet que, selon les préceptes de son inspirateur Jean-Jacques Rousseau et de ses continuateurs jacobins, elle entendit détruire systématiquement toutes les communautés naturelles et toutes les sociétés intermédiaires […] ;
 – rappelant l’escroquerie de la légende de la prise de la Bastille, prison vide et sans défense dont s’empara une foule avinée de poissardes, tire-laine et malandrins en tous genres, payés par le duc d’Orléans, premier grand maître du Grand-Orient […] ;
 – rappelant les massacres commis un peu partout […] et surtout l’immense génocide de la Vendée et des provinces de l’Ouest ;
 – rappelant que ce génocide fut froidement et rationnellement décidé par la Convention […], qu’il entraîna la tuerie de 300 000 à 400 000 hommes, femmes et enfants […] l’anéantissement par les colonnes infernales du général Turreau de plusieurs dizaines de villages dont les populations furent brûlées vives dans les églises incendiées […] ;
 – rappelant qu’en matière sociale la Révolution selon l’expression même du leader syndicaliste Léon Jouhaux, “eut pour premier effet de livrer l’ouvrier sans défense à l’exploitation patronale” ;
 – rappelant que la loi Le Chapelier, renforcée par les décrets d’Allarde, interdit totalement la liberté d’association, que, selon l’expression de Marx dans le Manifeste du Parti communiste, “toutes les libertés si chèrement acquises furent impitoyablement détruites” et qu’il ne s’ensuivit jusqu’à la moitié du XIXe siècle que des lois de répression sociale […]
propose que soient organisées des cérémonies à la mémoire des centaines de milliers de victimes de la Révolution française et des centaines de millions de personnes exterminées par les révolutions bolchéviques et nazies qui en furent les filles monstrueuses […]7. »

  • 8 « Tout change avec 1917. Puisque la révolution socialiste a désormais un visage, la Révolution fran (...)
  • 9 Ernst Nolte, « Un passé qui ne veut pas passer », 6 juin 1986, repris in Devant l’histoire. Les doc (...)
  • 10 L’une des expressions les plus élaborées de l’équivalence nazisme / bolchevisme est l’ouvrage de Fr (...)
  • 11 Par exemple, lors du rassemblement à la Mutualité le 21 janvier 1989. Il faut toutefois souligner q (...)

4Cette position instrumentalise les travaux de François Furet8, se nourrit des arguments développés par Pierre Chaunu et amalgame, en les falsifiant, les critiques portées par le mouvement socialiste aux griefs des monarchistes. Elle permet de condamner la Révolution au nom même de ses idéaux et d’en faire un système infernal qui débouche inéluctablement sur le massacre de masse. Reprenant les thèses d’Ernst Nolte à l’origine de l’Historikerstreit (« la querelle des historiens » allemands) le nazisme est présenté comme une réaction face au bolchevisme qui en constitue le modèle. – « L’“archipel du Goulag” n’est-il pas plus originel qu’Auschwitz ? L’“assassinat pour raison de classe” perpétré par les bolcheviques n’est-il pas le précédent logique et factuel de l’“assassinat pour raison de race” perpétré par les nazis ?9 »– En outre, l’extrême droite construit un lien direct entre le bolchevisme et la Révolution française. Le premier s’inspirant de l’idéologie qualifiée de « révolutionnariste » et des pratiques politiques de la seconde (dictature de salut public / dictature du prolétariat, recours à la terreur), les révolutionnaires français se voient attribuer la paternité du bolchevisme et donc à travers lui du nazisme. Il ne reste plus, l’équivalence proclamée, qu’à faire le décompte des morts. Cette stratégie n’est pas spécifique à une extrême droite désireuse de banaliser le nazisme. Elle constitue l’un des enjeux possibles de l’utilisation extensive de la catégorie de totalitarisme10. Elle s’inscrit, pour cette frange politique spécifique, dans une stratégie de relativisation du génocide perpétré par les nazis, qui convient parfaitement aux cercles négationnistes fortement implantés dans ce courant et dont la littérature est présente lors des rassemblements du mouvement11.

5Dans l’euphorie du succès de la mobilisation en faveur de l’école privée, des premières percées électorales du Front national et de la défaite de la gauche en 1986, l’Anti-89 entend solder les comptes de la Contre-révolution de toujours et manifeste le maintien de ce courant de pensée dans la France contemporaine.

  • 12 L’objectif était de réunir, le 15 août, autant de monde que lors des manifestations de 1984 en fave (...)
  • 13 Rushes Moati, A.N. 90 0519/ 121.
  • 14 Cité par Steven Kaplan, Adieu 89, op. cit., p. 192.
  • 15 Ibid., p. 194.

6Au demeurant, ses militants sont surtout visibles à la sortie des églises et leur écho ne dépasse guère les cercles traditionalistes. Il est significatif que Jean-Marie Le Pen, bien que reprenant sous le sceau de l’évidence les critiques adressées à la Révolution, soit absent du pavé parisien le 15 août 1989 et que le raz-de-marée de la « France chrétienne » n’excède pas ce jour un cortège évalué à quelques milliers de manifestants12. Dans l’entretien qu’il accorde à Serge Moati, Jean-Marie Le Pen reprend certes la thèse de Bernard Antony affirmant une parenté entre la Révolution française et les totalitarismes assimilés à des « révolutionnarismes » qui possèdent en commun « les mêmes méthodes, la même philosophie du changement, de la table rase et le même mépris de la tradition ». Néanmoins, après avoir employé le terme de génocide pour qualifier les massacres commis en Vendée et exprimé sa sympathie pour Cadoudal, il précise : « Moi, je suis dans une réalité républicaine que je ne conteste pas13 ». Cette position montre, comparativement aux années de l’Entre-deux-guerres, que le débat s’est déplacé de la contestation de la République vers celle de son contenu. Il prouve aussi que l’on ne saurait prétendre jouer un rôle politique majeur en France en attaquant frontalement le souvenir et les valeurs de la Révolution tels qu’ils sont assimilés par la tradition républicaine. C’est pourquoi le président du Front national ne peut emboîter le pas à la frange traditionaliste de son mouvement et tente plutôt de s’inscrire dans le prolongement de la Révolution dont « les grands prêtres, déclare-t-il au Figaro, [sont] devenus des marchands du temple14 ». De façon significative, le colloque du comité scientifique du Front national s’intitule : « 1789, et si c’était à refaire ? ». Comme le montre Steven Kaplan, cette tactique ne résiste guère aux dérapages verbaux – contrôlés – du chef de l’extrême droite qui, mis en accusation pour ses propos antisémites, fulmine à l’encontre de la presse : « Vous vous croyez sous la Révolution française15 ».

  • 16 Le quotidien d’extrême droite Présent incite à l’arrachage des arbres de la Liberté : « Rappelons i (...)
  • 17 En janvier 1989, Hélène Delavault qui donnait, aux Bouffes du Nord, un spectacle composé de chanson (...)

7De fait, l’action des cercles les plus radicaux revendiquant une inscription dans la filiation contre-révolutionnaire et anti-républicaine est restée circonscrite à quelques conférences, à des arrachages d’arbres de la Liberté16 ou encore à l’agression perpétrée contre Hélène Delavault par des militants se réclamant de l’Action française17. Pour autant, l’offensive des militants intégristes, l’écho accordé à leurs thèses dans la presse de droite, comme plus généralement la relecture des guerres de Vendée comme matrice des génocides du XXe siècle ont largement accrédité l’idée que la mémoire de la Révolution telle que l’entretenait la tradition républicaine était en péril.

  • 18 Dans le Journal du Bicentenaire, Serge Moati utilise des militants de cette sensibilité à des fins (...)

8Dans le cadre de l’affrontement mémoriel qui marque le Bicentenaire et sa préparation, la mobilisation des catholiques traditionalistes est à la fois une butte témoin des conflits générés par la Révolution et un repoussoir qui invite la gauche à entrer en campagne18. C’est dans ce cadre qu’il faut à présent analyser les deux principaux réseaux favorables à la commémoration : les CLEF et « Vive 89 ».

Les CLEF, constitution d’un réseau

Un rôle traditionnel

9L’union de la Ligue des droits de l’homme et de la Ligue de l’enseignement s’inscrit dans la logique de leurs engagements lors des deux commémorations précédentes (pour la Ligue de l’enseignement) ou à l’occasion du Cent-cinquantenaire (pour chacune d’elles).

  • 19 La Ligue a participé à la mise en place des bataillons scolaires et à la célébration de fêtes annue (...)

10L’entretien du souvenir de la Révolution est constitutif de l’identité de la Ligue de l’enseignement. En 1884, elle rejoint le mouvement en faveur du Centenaire lancé par le pasteur Auguste Dide et par Étienne Chavaray. La Ligue de l’enseignement apporte au mouvement sa logistique et son expérience des conférences et fêtes civiques19. La motion adoptée lors du congrès de 1884 précise l’orientation de la participation de la Ligue.

  • 20 Texte de la « Souscription nationale pour l’œuvre du Centenaire de la Révolution française. Éducati (...)

« La France célébrera dans quelques années le centenaire de la Révolution de 89 ; déjà elle s’y prépare, et nous pouvons bien augurer de l’éclat et de l’enthousiasme patriotiques qui entoureront cette fête. Mais il ne suffit pas que le pays s’y associe par ses manifestations, il faut qu’il en comprenne la signification et la portée ; il ne suffit pas qu’il célèbre la Révolution dont nous sommes les fils, il faut qu’il la connaisse et que, la connaissant, il apprenne à l’aimer, à la continuer et à la servir. C’est par la parole, par les conférences, par le choix de livres et d’imageries patriotiques, par la création de bibliothèques et de musées consacrés aux souvenirs de la Révolution, par la constitution de comités du centenaire, c’est par tous ces moyens de propagande que la Ligue française de l’enseignement poursuivra cette nouvelle et importante tâche qui répond à sa devise patriotique : “Tout pour la patrie par le livre et par l’épée”20. »

  • 21 Voir Claudine Wolikow, « Centenaire dans le Bicentenaire (1891-1991) Aulard et la transformation du (...)

11Une commission est formée, lors du congrès de 1884, sous la direction de son fondateur, Jean Macé ainsi qu’un groupe de travail chargé de concevoir des séries de vues sur verre reproduisant des tableaux d’époque. Des conférences qui utilisent ce support, adaptées au public visé, sont proposées tandis que la Ligue met en place un réseau de location de projecteurs. Elle appuie également la création de comités locaux pour la préparation du Centenaire et l’édition de la Révolution française, « Organe des sociétés du Centenaire de 1789 ». Cette revue devient en 1887, sous l’impulsion d’Alphonse Aulard, titulaire de la chaire municipale d’histoire de la Révolution française à la Sorbonne, « Revue de la société d’histoire de la Révolution française », dont l’orientation se veut résolument scientifique et fondée sur les canons de l’école « méthodique »21. La Ligue soutient alors la publication d’un bulletin plus militant. Le réseau mis en place continue son action et se confond, pour une large part, avec celui de la franc-maçonnerie et des républicains radicaux.

  • 22 Le communiqué du ministère de l’éducation nationale intègre la Ligue dans l’annonce de ses initiati (...)
  • 23 Paul Gsell, Cent-Cinquantenaire de la Révolution française, pièce en dix tableaux, mise en scène de (...)

12En 1939, la Ligue de l’enseignement est présente de façon très officielle22. Elle organise les rassemblements départementaux de la jeunesse qui constituent le temps fort des festivités en province et le débouché naturel de l’activité des militants laïques. Elle diffuse, auprès de ses organisations, une pièce de théâtre, en plusieurs tableaux, qui retrace la Révolution et peut être jouée par des troupes d’amateurs grâce à des indications scéniques très précises23.

  • 24 Cahiers des Droits de l’ Homme, février 1938, pp. 86-87.

13La position de la Ligue des droits de l’homme est moins institutionnelle. Certes, l’intergroupe ligueur fait voter une loi pour rendre obligatoire l’affichage de la Déclaration des droits de l’homme dans les écoles24. Mais la correspondance parvenue à Pierre Caron, directeur des Archives nationales chargé de coordonner les cérémonies, comme la tonalité des débats de son comité central, sont plus critiques et dénoncent l’insuffisance des moyens mis en œuvre et l’absence de combativité. Commémorer, pour la Ligue des droits de l’homme, ce n’est pas seulement entretenir le souvenir, c’est promouvoir le civisme. Au niveau national comme au niveau local, elle s’efforce de jouer les bons offices et de rassembler les membres épars du Front populaire.

Une réponse au désarroi

  • 25 Voir par exemple l’article de Louis Pauwels, « Pour en finir avec la Révolution française, tout sim (...)
  • 26 Cf. Marie-Laurence Netter. La Révolution française n’est pas terminée, PUF, 1989.

14En 1986, aux lendemains de la défaite du Parti socialiste, le sentiment dominant dans les milieux de la gauche non communiste c’est qu’après avoir perdu le pouvoir et son âme dans une gestion trop pragmatique, la gauche risque, face à une droite revancharde et sûre d’elle-même, de se voir dépouiller de son patrimoine25. Or le souvenir de la Révolution française est considéré comme une part essentielle de ce patrimoine. Le thème récurrent à gauche est alors celui de la « mémoire courte », à laquelle on oppose une mémoire longue qui englobe l’ensemble des combats de la gauche depuis 1789. Le scénario qui avait présenté la victoire du 10 mai 1981 comme une véritable prise de la Bastille se retourne pour donner le sentiment que l’alternance au bénéfice de la droite est une nouvelle Restauration26.

  • 27 Cf. la réponse de François Léotard au vice-président de l’intergroupe ligueur : « Vous vous demande (...)

15C’est pourquoi on scrute avec inquiétude ce « qu’ils » préparent. L’attitude du gouvernement qui semble plus enthousiaste à l’idée de commémorer 987 et le millénaire capétien que 1789 n’est pas de nature à rassurer les militants de la gauche défaite27. L’offensive de Pierre Chaunu autour du thème du génocide franco-français ou encore la sentence maintes fois commentée de François Furet « la Révolution est terminée » alimentent ces craintes et scellent l’alliance entre certaines fractions de la gauche désunie qui réalisent leur commune faiblesse.

16L’appétit réel pour la cause du Bicentenaire dans les années 1987 et 1788 s’explique par ce double mouvement : défense de l’identité et du patrimoine de la gauche, volonté de retrouver, au sein du « marais » cohabitationniste, des valeurs-clivage. Un net fléchissement intervient dès le retour de la gauche au gouvernement comme si les militants réinvestissaient à cette occasion des pratiques plus habituelles et que l’urgence de défendre le patrimoine s’estompant, un quitus était donné a priori au gouvernement pour assurer cette tâche.

La genèse institutionnelle

  • 28 C’est au cours de la réflexion engagée autour de la laïcité que la figure et les travaux de Condorc (...)
  • 29 Philosophe, membre du Comité central du PCF dont les positions commencent alors à diverger de la li (...)
  • 30 C’est dans le cadre des Cercles Condorcet que Madeleine Rebérioux découvre le milieu de la Ligue de (...)

17Cette conjoncture conduit, dès avant les législatives de 1986, un certain nombre d’intellectuels à tenter de refonder la gauche.. En novembre 1986 naissent les Cercles Condorcet, dont Claude Julien, directeur du Monde Diplomatique, assure la présidence28. Les Cercles regroupent, dans leur appel fondateur, des intellectuels de gauche réunis au-delà des clivages partisans. On y retrouve Pierre Vidal-Naquet, Edgar Morin, Stéphane Hessel, Gilles Perrault mais aussi des « communistes critiques » comme Michel Vovelle, signataire de l’appel pour la tenue d’un 25e congrès extraordinaire du PCF ou encore Lucien Sève29 aux côtés de dirigeants des deux Ligues dont Madeleine Rebérioux30. L’infrastructure est fournie par la Ligue de l’enseignement, qui se fixe comme tâche de « développer un réseau de Cercles Condorcet dans tous les départements ». L’orientation est définie dans « l’acte constitutif ». Critiquant, dans le ton de la ligne éditoriale du Monde diplomatique, la perte des références éthiques et la mise en place d’une société à deux vitesses, le texte conclut :

  • 31 Cercles Condorcet, document de présentation.

« C’est la démocratie qui est ainsi remise en question. Bien entendu, ses plus évidentes procédures seraient sauvegardées, mais vidées de leurs substance, réduites à un simple rituel. Les libertés politiques sont peu à peu sacrifiées sur l’autel du libéralisme économique […]. La recherche permanente d’une prétendue rationalisation des moyens de production s’accompagne […] d’un retour de l’irrationnel dans les domaines politique et social. Alors que tant d’habitudes de pensée sont remises en question, un pragmatisme au jour le jour comme une simple réflexion individuelle ne sauraient suggérer des réponses originales, des choix rationnels, des solutions adaptées à tant de défis étroitement imbriqués les uns aux autres. Comme il ne saurait être question de se résigner, la seule démarche fructueuse consiste à rassembler, dans le respect d’expériences et d’opinions diverses, tous ceux qui perçoivent la nécessité de porter un regard libre sur ce monde changeant et d’engager une réflexion commune sur ses évolutions probables, souhaitables, possibles31. »

18Au sein des Cercles Condorcet, naît l’idée de fonder les CLEF (Comités liberté, égalité, fraternité). Leur positionnement dans le réseau politique et syndical s’effectue en trois temps.

19Dans un premier temps, ils sont associés dans l’ABRF (Association pour le Bicentenaire de la Révolution française) créée en 1985 et qui se propose, notamment, de promouvoir un journal télévisé pendant le Bicentenaire. Une mauvaise gestion conduit cette association à se dissoudre après que ses differentes composantes aient refusé d’augmenter leur participation financière. Le projet de constituer une shadow Mission n’est cependant pas abandonné.

  • 32 Comité national d’action laïque.

20Dans un deuxième temps, tandis que s’élabore dans l’état-major de la FEN l’idée d’une recomposition du mouvement syndical qui devrait permettre de marginaliser le SNES, la centrale enseignante essaie, entraînée par son ancien secrétaire général Jacques Pommatau, de se placer au centre du dispositif associatif grâce à l’ALEF (Association liberté égalité fraternité). L’idée est simple : l’ALEF labellise les projets, les centralise, les CLEF servent de cheville ouvrière. Une grande fête nationale en collaboration avec SOS-racisme, doit lui donner une visibilité nationale. Contrairement à celui des Cercles Condorcet, même si des contacts réguliers sont noués avec Michel Vovelle, l’esprit de cette association est nettement partisan. Elle entend essentiellement mobiliser les alliés traditionnels de la FEN au sein du CNAL32. En fait, l’ALEF n’aura de vie qu’à travers les multiples réunions qui rassemblent les « porteurs de projets » et dans les discours de Jacques Pommatau. Les différentes composantes de la nébuleuse FEN ne s’engagent pas. L’attitude de cette organisation, ses conceptions de la répartition des rôles et des honneurs irritent ses partenaires qui préfèrent vivre leur aventure seuls. L’ALEF disparaît sans jamais avoir vraiment existé, les CLEF demeurent.

Les CLEF à l’œuvre

L’orientation nationale des CLEF

  • 33 Texte daté de mars 1987, signé par Yves Jouffa (président de la Ligue des droits de l’homme et du c (...)
  • 34 François Furet et Denis Richet, La Révolution française, Hachette, 1965.

21Un texte adressé33 au Président de la République définit l’orientation des CLEF. Il s’ouvre sur un impératif : « Qu’il faille commémorer le bicentenaire de la Révolution française, événement fondateur de nos droits et de notre histoire contemporaine est une évidence ». Il s’inscrit dans le débat historiographique et politique et affirme que la commémoration ne peut se borner à l’année 89 mais doit englober tout le processus révolutionnaire jusqu’à la séparation de la Convention. Cela inclut Thermidor, mais exclut le Directoire. Il présente la Révolution comme un processus, insiste sur la nécessaire compréhension historique du rôle de la violence et, enfin, prône un Bicentenaire défini non comme célébration mais comme commémoration – à savoir « non pas une exaltation sectaire, mais un rappel de toutes les mémoires et un effort d’explication ». La perspective est ainsi clairement définie qui associe mémoire, compréhension et civisme. Le texte revendique un ancrage historiographique fort en récusant « une commémoration limitée à l’année 1789 au nom des “dérapages” » – terme utilisé par François Furet dans sa première approche « hétérodoxe » de la Révolution française34.

  • 35 Steven Kaplan, Adieu 89, op. cit, p. 539.
  • 36 D’après les comptes rendus de séances parvenus aux sièges des deux Ligues.

22L’éditorial du premier numéro de la Lettre des CLEF les présente comme des « coordinations informelles de toutes les sensibilités ». Comme les Cercles Condorcet, les CLEF ne se privent pas de la participation de militants communistes au premier rang desquels Michel Vovelle – ancien élève, comme Madeleine Rebérioux, d’Ernest Labrousse. Ce positionnement à l’interface des diverses sensibilités de la gauche se retrouve dans la liste des conférenciers dont certains interviennent à la fois pour les CLEF et pour « Vive 89 » et qui sont souvent issus du séminaire de l’institut d’histoire de la Révolution française. Cette attitude nationale n’empêche pas des conflits locaux. Steven Kaplan cite celui qui oppose dans l’Allier « Vive 89 » au CLEF 03, les militants communistes acceptant mal sa concurrence et lui reprochant de limiter la période commémorable à 1795, ce qui élimine toute référence à Babeuf35. Dans le CLEF de l’Ain, le SNI-PEGC s’efforce d’exclure la CGT et le SNES36

23La logique unitaire, qui est cependant largement dominante dans la pratique des CLEF, se scelle autour du sentiment de posséder un patrimoine commun et d’un choix historiographique : celui de l’histoire jacobine de la Révolution de Aulard à Vovelle en passant, naturellement, par Jean Jaurès.

Le dispositif national

  • 37 Ce bulletin connaît seize numéros. La majeure partie des numéros est composée d’informations pratiq (...)

24Les CLEF sont une structure décentralisée appuyée sur les forces inégales et inégalement réparties des deux Ligues. Bernard Wallon pour la Ligue des droits de l’homme, Michel Morineau et Josette Mouly pour la Ligue de l’enseignement assurent leur coordination. La Lettre des CLEF sert de lien37.

  • 38 10054 abonnements ont été finalement souscrits.
  • 39 La une du numéro zéro titrait : « Touche pas à mon despote ! »
  • 40 Philippe Nieto, « Les CLEF sous le paillasson ».

25Des différents projets nationaux envisagés, seule la publication du Monde de la Révolution voit le jour. L’engagement financier des Ligues de partager par moitié d’éventuelles pertes a raison des réticences initiales du Monde. Pour que l’opération ne soit pas déficitaire, les Ligues doivent diffuser dix mille abonnements à 200 francs38. Pour autant, le Monde de la Révolution, malgré le label CLEF, ne fonctionne nullement comme « l’organe central » de ce réseau associatif. Du point de vue historiographique, il tient balance égale entre Michel Vovelle et François Furet. Il affiche, dès le numéro « zéro », un style plus proche de Libération que de celui du Monde39. Il permet néanmoins de faire connaître les initiatives des CLEF, grâce à la rubrique « Gazette du Bicentenaire » qui occupe les dernières pages du mensuel. Le seul grand article consacré aux CLEF est un bilan qui paraît dans le numéro de novembre40.

  • 41 « Catalogue des réalisations CLEF 89 », Ligue de l’enseignement, brochure multigraphiée, 1990.

26En définitive, le lien national qui unit les différents CLEF se résume à peu de choses : la Lettre, trois stages nationaux en juin et décembre 1987 à Paris et en mars 1988 à Toulouse, quelques réunions nationales qui connaissent une désaffection certaine après les élections législatives, un réseau de conférenciers, quelques ouvrages de diffusion nationale, des produits (expositions, pièces de théâtre...) labellisés, une « direction d’intention » et, enfin, deux catalogues nationaux qui rassemblent a posteriori la diversité des initiatives locales, quitte à englober l’action des Fédérations des œuvres laïques qui ne se sont pas insérées dans le réseau CLEF.41

  • 42 Comité départemental d’action laïque.

27En effet, ni la Ligue des droits de l’homme, ni la Ligue de l’enseignement ne constituent des organisations homogènes. Ainsi, les Fédérations des œuvres laïques sont largement tributaires des bailleurs de fonds locaux et ne sont tenues à aucune discipline. Celle de Paris œuvre, hors des CLEF, avec la Ville de Paris, en Seine-Saint-Denis elle travaille avec le conseil général. Dans le Rhône, elle reste fidèle à l’appellation « Rhône 89 », qui regroupe des organisations issues du CD AL42 et s’est formée avant les CLEF. La disproportion entre les deux organisations fondatrices et la dissymétrie des moyens sont tout autant flagrantes.

  • 43 Réponse à notre enquête auprès des CLEF.

28Pour compléter l’analyse de la diversité des situations, le CLEF peut être considéré par les autorités locales comme un interlocuteur privilégié : il gère alors, comme dans les Hautes-Pyrénées, la totalité de la commémoration. Il peut être étroitement associé à une municipalité comme le CLEF de l’Aveyron et la ville de Millau ou bien encore être persona non grata comme dans l’Aube43.

  • 44 Réponse à notre enquête. Le bilan de l’activité du CLEF 31 fait état, pour la Haute-Garonne, de 250 (...)

29Enfin, la forme prise par les CLEF eux-mêmes est différente selon les départements. Dans la plupart, ils fonctionnent comme un cartel d’organisations (Ain) où chacune envoie son représentant. Quelquefois des élus participent aux réunions (Aveyron, Hautes-Pyrénées...). D’autres fois encore, mais le cas est moins fréquent, on sent la volonté de faire du CLEF non pas une association de circonstance mais une véritable organisation avec des adhérents, voire même, comme dans la Haute-Garonne, un réseau de correspondants qui couvre l’ensemble des cantons44.

Esquisse d’une typologie

30Tout d’abord le tropisme scolaire se dégage comme un dénominateur commun de l’activité des CLEF. Il est inscrit dans la vocation des deux Ligues et dans leur composition sociologique, puisque les enseignants en constituent l’ossature. On y retrouve des instituteurs mais aussi des enseignants du secondaire, voire du supérieur. En Haute-Garonne, l’historien Rémy Pech, maître de conférences, est le président du CLEF 31 avant de devenir président de la Fédération des œuvres laïques, tandis que son collègue Georges Mailhos, ancien président de l’université du Mirail, est à la tête du Cercle Condorcet.

31Quelques formes élémentaires de l’activité des CLEF peuvent être retenues.

  1. Une activité traditionnelle (fête de l’USEP45), colorée au goût du jour.
  2. Une activité en milieu scolaire appuyée sur des PAE46 et le réseau laïque.
  3. Un souci historiographique faible qui se traduit par la tenue d’une conférence.
  4. Une préoccupation historiographique forte qui entraîne de nombreuses publications, un ou plusieurs cycles de conférences, une université d’été, un ou plusieurs colloques, voire l’édition d’un guide des archives47.
  5. Le réinvestissement de toutes les formes du culte laïque et républicain : parrainage civil48, banquets républicains, formules archaïsantes « Ton égal en droits ; Salut et fraternité », réinstauration de traditions disparues (fête du Lendit en Ariège).
  6. Enfin la promotion de formes de commémoration plus proches de la sensibilité contemporaine : « Reporters de l’histoire » en Haute-Garonne, le spectacle Météore Saint-Just dans l’Aisne.

32De façon générale, l’histoire locale se taille la part du lion. Sur quatre-vingt-treize des cent trente-huit conférences dont le libellé exact est connu, un tiers se rapporte à l’histoire locale, au détriment d’une interrogation historiographique (neuf conférences) et des questions posées par l’héritage révolutionnaire, les enjeux du Bicentenaire ou l’actualité des droits de l’homme (trente neuf conférences).

Un réseau associatif en action

33Le bilan quantitatif des CLEF est impressionnant : près de deux cent cinquante conférences, huit expositions diffusées dans toute la France ainsi que quatre spectacles, plusieurs publications de dimension nationale sous le label CLEF 89, sans compter les publications spécifiques des deux Ligues. Les CLEF ont indéniablement répondu à une attente et permis à de nombreux Français de s’investir dans la commémoration du Bicentenaire. La carte établie à partir des archives des CLEF permet d’apprécier leur rayonnement. Elle témoigne de la très forte implantation de ce réseau dans le Sud-Ouest qui se traduit par une action protéiforme ainsi qu’en Bourgogne, en Normandie ou encore en Picardie et dans le Pas-de-Calais. Les zones où la part des abonnements au Monde de la Révolution réalisés au tarif CLEF dépasse la moitié de ceux qui furent souscrits témoignent de la capacité des organisations fondatrices, et notamment des Fédérations des œuvres laïques, à répondre à une consigne nationale. Elles soulignent l’importance de ce réseau dans la diffusion du geste commémoratif.

Carte 1. Une géographie de l’activité des CLEF

  • 49 En témoigne la revue de presse « Résumé des coupures de presse 1988 et 1989 », Ligue de l’enseignem (...)
  • 50 Un seul article paru dans la presse nationale évoque les CLEF : Henri Tincq, « CLEF comme commémore (...)

34Il faut toutefois noter le faible impact des CLEF dans la presse nationale. En dépit de succès locaux très importants et d’un écho très ample dans la presse locale et régionale49, les CLEF semblent avoir été perçus par la presse nationale comme l’écho lointain de pratiques dépassées marquées du signe indélébile du provincialisme. À ce titre, faute d’avoir occupé la scène parisienne, ils sont restés dans l’ombre50. Cet ostracisme n’est pas spécifique aux CLEF. Il touche l’ensemble des manifestations locales.

  • 51 Texte signé par Élisabeth Badinter, Régis Debray, Alain Finkielkraut, Élisabeth de Fontenay et Cath (...)
  • 52 Voir « Laïcité : démocratie et solidarité », Pourquoi ?, revue de la Ligue de l’enseignement, nov. (...)
  • 53 Jean-Louis Rollot, communiqué de presse du 25 octobre 1989, archives de la Ligue de l’enseignement.
  • 54 Archives de la Ligue de l’enseignement.

35Surtout, en dépit de la volonté de leurs dirigeants nationaux et des thèmes de congrès des deux organisations fondatrices, – « nouvelle laïcité » pour la Ligue de l’enseignement, « nouvelle citoyenneté » pour celle des droits de l’homme –, le renouveau attendu du réseau associatif est resté fort discret. À lire les archives des deux organisations, il semble que l’empressement à renouer le fil des traditions disparues l’a emporté sur l’effort de novation. La part prise par les rituels festifs traditionnels ou l’histoire locale en est le signe. Enfin, le front uni ne tient qu’en présence de l’adversaire, quand celui-ci mobilise les ressorts affectifs les plus profonds. Il vole en éclats dès qu’il s’agit non plus de défendre une mémoire mais de penser le présent. C’est ce qui survient à la suite de l’appel d’intellectuels51 contre l’affirmation de tout particularisme religieux dans les écoles publiques et plus précisément contre le port du foulard par des jeunes filles de confession islamique. Alors que le secrétaire général de la Ligue de l’enseignement prend, dans l’esprit du congrès de Toulouse52, une position modérée qui consiste d’abord à caractériser l’attitude des jeunes filles du collège de Creil (Oise), où est prononcée la première exclusion, comme un besoin « d’identification »53, plusieurs Fédérations des œuvres laïques manifestent leur désaccord en des termes très durs, ainsi celles du Pas-de-Calais ou du Vaucluse54, et expriment leur adhésion au texte publié dans le Nouvel Observateur dont plusieurs signataires sont membres des Cercles Condorcet. Cet incident montre que l’ancrage dans le passé ne suffit pas à définir, pour le présent, une orientation commune.

  • 55 Lors du séminaire de l’IHTP, Madeleine Rebérioux cite Cherbourg et l’Ouest normand, op. cit., p. 34

36Dans ces conditions la mobilisation est toujours éphémère. Rares sont les comités qui décident de ne pas se dissoudre en 198955. Le CLEF 31 se meut en CLEF 92 et prend la forme d’un club : « Enjeux 31 ». Les attendus du texte de fondation méritent notre attention.

  • 56 « Enjeux 31 », charte de fondation aimablement transmise par Rémy Pech, p. 3.

« Dès la rentrée scolaire 1989 se posera le problème de la survie du mouvement. Spéculer sur la répétition, dans les années qui viennent, d’une situation qui a bénéficié d’une sorte “d’état de grâce”, serait totalement illusoire : on ne recrée pas artificiellement un moment privilégié de notre histoire. L’activité “festive et événementielle” du CLEF 89 cessera donc avec l’été. Mais poser un terme à cette dynamique, couper cet élan, serait déraisonnable, alors que (tout comme les églises) le monde laïque souffre d’une crise de vocations, et au moment où les associations fédérées manifestent une distanciation, pour ne pas dire une désaffection dangereuse à l’égard des fédérations56. ».

37Enjeux 31 existe toujours...

  • 57 Ibid., p. 1.
  • 58 Un numéro spécial de Hommes et Libertés a cependant été publié en septembre 1992.

38On sent à travers ces lignes le désir de mobiliser de façon durable le mouvement associatif laïque et de tenter, par ce biais, de rassembler des forces qui ont peu à peu déserté le terrain du militantisme politique. L’enjeu est d’importance puisque la question posée est, après s’être enrichi de la remémoration de la période révolutionnaire, de « restaurer une véritable “République de citoyens délibérants”57 » (le terme instaurer eût été plus pertinent). Le résultat n’a pas été à la hauteur des espoirs. Aucune initiative nationale n’est venue appuyer ce mouvement. Aucune mobilisation n’intervient pour le Bicentenaire de la République – qui coïncide, il est vrai, avec le référendum sur le traité de Maastricht58.

Les communistes et le Bicentenaire : l’inflexion historiographique

  • 59 Ernst Thaelmann, secrétaire du Parti communiste allemand incarcéré par les nazis après l’incendie d (...)

39Le geste commémoratif communiste s’inscrit dans une tradition nouée dans les années du Front populaire. L’importance du rôle des communistes pendant la commémoration de 1939 est connue. Des traces en subsistent comme le « Musée de l’histoire vivante » à Montreuil, les multiples brochures éditées et les photographies de ces défilés où se mêlent les drapeaux rouges et tricolores, les portraits de Thaelmann59, de Saint-Just, de Marat ou de Victor Hugo... Cette dimension de l’activité du Parti communiste est rappelée par Guy Hermier lorsque, au nom du bureau politique, il présente devant le comité central, dès le 6 avril 1987, un rapport sur les tâches du Parti dans la commémoration du Bicentenaire.

  • 60 L’Humanité, 9 avril, 1987.

« Le Parti communiste français a joué [en 1939] un rôle essentiel lorsque, mobilisant toutes ses forces dans les années trente pour le succès du Front populaire et contre la montée du fascisme, il engagea un vaste processus de réappropriation critique de l’histoire nationale, de l’héritage révolutionnaire français, donnant en retour toute sa dimension nationale à son combat révolutionnaire. Cette démarche novatrice fut indissoluble de la véritable rencontre qui s’opéra alors entre le jeune Parti communiste français et la révolution de 1789. Ainsi, en 1939, alors que notre peuple était confronté à de rudes batailles politiques et sociales, que l’Espagne républicaine venait d’être vaincue, que Phitlérisme menaçait, notre parti s’engagea d’une manière conquérante dans la célébration du 150e anniversaire de la Révolution française. Le 15 juin 1939, il rassembla soixante mille personnes au stade Buffalo où Maurice Thorez exalta “l’œuvre des géants de 1789 et de 1793”, “haïs de Hitler et de ses mercenaires sur notre sol”. Pour toute une génération cette commémoration contribua à l’élan de la résistance60. »

  • 61 « Il chantait lui sous les balles / Des mots sanglant est levé / D’une seconde rafale / Il a fallu (...)

40L’essentiel n’est pas la façon dont Guy Hermier rectifie la trajectoire du Parti communiste des années trente aux années de la Résistance pour en faire un parcours sans faute. Le Cent-cinquantenaire, où le Parti communiste joua effectivement un rôle éminent, est considéré comme un capital précieux qui témoigne de son enracinement dans la société française et qui préfigure le thème du Parti des soixante-quinze mille fusillés chanté par Aragon61. Il participe, aux côtés du souvenir des « grandes luttes populaires » et des combats contre les guerres coloniales, de la légitimité nationale du Parti communiste. À ce titre, il est d’autant plus important, en 1987 et dans les années qui suivent, que les repères internationaux vacillent, notamment la révolution d’Octobre qui trouve encore sa place dans le texte de Guy Hermier dans la suite logique des « anticipations de la Révolution française » et de la Commune de Paris.

41La référence à l’activité commémorative du PCF en 1939 s’intègre dans une logique linéaire qui conduit de la Révolution à ses héritiers. On peut résumer ainsi les principales phases de la partie théorique du discours.

  1. La Révolution est, selon la formule de Michel Vovelle, « un objet chaud » dont les enjeux sont encore actuels.
  2. En 1939 déjà, les communistes furent ceux qui contribuèrent le mieux à la commémorer, scellant ainsi leurs noces avec la nation.
  3. Les incertitudes qui pèsent sur les formes que prendra sa commémoration relèvent d’une intention politique, de la volonté de « brader l’intérêt national sur l’autel de l’intégration européenne », d’éradiquer la culture révolutionnaire, part constitutive de l’identité nationale.
  4. Les seuls défenseurs véritables de la Révolution sont les communistes. La défense présentée par Max Gallo62 tient du « tour de passe-passe » et les invocations des socialistes à la Révolution relèvent de l’usurpation puisque François Mitterrand donne quitus à l’orientation consensuelle de la Mission Faure et a renoncé à l’Exposition universelle.
  5. En conséquence, « nous seuls, comme parti, mais avec des millions d’hommes et de femmes de progrès, pouvons du même pas revendiquer l’héritage et anticiper l’avenir ».
  • 63 Voir François Hincker, « La lecture communiste de la Révolution française par le Parti communiste f (...)

42Quand, au terme du discours de Guy Hermier, il faut définir les tâches du Parti dans la commémoration, deux solutions sont envisagées : prendre, comme en 1939, des initiatives ès qualités ou créer, pour la circonstance, une organisation distincte. C’est là que la conjoncture politique joue son rôle et qu’il faut renoncer à l’idée commode, mais fausse, d’une culture politique communiste homogène63.

  • 64 Intervention de Claude Mazauric, séminaire de l’IHTP, Lettre d’information, n° 7, mai 1993, p. 17. (...)

43Certes, la Révolution française est partie intégrante de l’imaginaire politique de l’ensemble de la sensibilité communiste. Une enquête pour savoir si les éditions Messidor doivent publier une série de livres sur l’histoire du mouvement ouvrier ou bien sur la Révolution française est éloquente puisque 92 % des personnes interrogées (secrétaires d’union locale CGT, militants ouvriers...) se prononcent en faveur de l’édition d’un ouvrage sur la Révolution française64. Néanmoins cet intérêt massif masque une pluralité d’imaginaires politiques.

  • 65 C’est-à-dire de porte-parole des revendications des plus démunis. Cf. Georges Lavau, À quoi sert le (...)

44Le premier s’apparente au vieux fond syndicaliste-révolutionnaire constitutif du mouvement ouvrier français. La Révolution française y est perçue comme une révolution « des gens », un peu à la façon dont la retrace le film La Marseillaise de Jean Renoir. Elle s’intègre dans la logique souvent sollicitée par les communistes du combat des « petits » contre les « gros ». Elle est particulièrement en harmonie avec la ligne « basiste » qui domine au sein de l’appareil dirigeant depuis la rupture de l’Union de la gauche et, plus encore, après le départ des ministres communistes (« union à la base », « faire avec les gens »). Elle s’apparente à la tentative de réinstaller le PCF dans sa « fonction tribunicienne65 » la plus classique.

  • 66 Intervention de Claude Mazauric, séminaire de l’IHTP, op. cit. Voir aussi son article : « Bicentena (...)

45Le second imaginaire privilégie une entrée par le jacobinisme comme précurseur d’une pratique politique qui place la détention du pouvoir de l’appareil d’État au cœur du combat révolutionnaire (que Claude Mazauric associe à la période du « Programme commun »)66, une version plus léniniste en somme.

  • 67 Serge Wolikow avance l’idée que la commémoration de la Révolution renverrait « à une identité commu (...)
  • 68 Voire en tant que militants, tant est grand le renouvellement des cadres fédéraux.
  • 69 Roger Bourderon et alii. Le PCF étapes et problèmes 1920-1972, Éditions Sociales, 1981.
  • 70 Une première démarche a été faite en direction de Michel Vovelle qui a décliné cette proposition en (...)
  • 71 Claude Mazauric, entré au Comité central lors du 23e congrès, s’est oppose au départ des ministres (...)

46Il convient d’ajouter à cette approche que la culture politique des cadres en place en 1987 n’est pas forcément celle de la mouvance communiste67. Pour la plupart, leur ascension dans l’appareil est postérieure à la rupture de l’Union de la gauche. Ils n’ont guère connu, en tant que dirigeants68, le moment où le Parti communiste ralliait l’eurocommunisme, prônait l’autogestion et « un socialisme aux couleurs de la France », dont l’abandon de la dictature du prolétariat reste le symbole (22e congrès, 1976), et réhabilitait la notion des droits de l’homme. Or, cette période a largement contribué à façonner les attitudes intellectuelles de bon nombre d’historiens communistes tels que Claude Mazauric lui-même qui entre au comité central en 1979, Serge Wolikow ou Roger Martelli qui donnent un souffle nouveau à l’institut de recherches marxistes (ex-Institut Maurice Thorez)69. Ce renouveau se traduit notamment par la publication de PCF étapes et problèmes, premier ouvrage problématique écrit par des historiens communistes sur l’histoire de leur parti. Les déchirements ayant succédé à l’élan rénovateur, la culture communiste, en 1989, est composée de strates superposées et imbriquées. Elle véhicule des perceptions diverses du passé mais aussi, bien sûr, du présent. C’est dans ce cadre qu’il faut relire la solution proposée in fine par le rapport de Guy Hermier qui relève d’un repli sur une approche historienne de la Révolution. La conclusion est, en effet, que le Parti, en tant que tel, ne prendra que des initiatives limitées mais qu’il contribuera à la mise en place d’une association très large dont Georges Marchais confie la direction à Claude Mazauric70. De même, le conseil général de la Seine-Saint-Denis nomme Roger Bourderon à la présidence de son association départementale. L’essentiel n’est pas l’allégeance à la « ligne Marchais » – avec laquelle ces deux historiens ont pris leurs distances71 –, mais la position professionnelle qui permet la lisibilité de l’association comme entreprise historienne.

  • 72 Séminaire de l’IHTP, op. cit., p. 9. L’intervention du président de Vive 89 précise que ce « texte (...)
  • 73 Claude Mazauric et Michel Vovelle, 1789-1989 Bicentenaire de la Révolution française, conférences p (...)
  • 74 Il cite l’exemple de la Charente-Maritime où Vive 89 lancé par un avocat communiste s’est transform (...)

47Pour le PCF, à l’unisson de la société française, l’histoire constitue une valeur refuge qui permet de masquer les débats et les désarrois de l’heure. Cette caractéristique fondamentale se lit au travers des statuts de Vive 89, qui « a pour but de regrouper les personnes physiques ou morales souhaitant aider à la connaissance de la Révolution française, de son processus complexe, en tenant le plus grand compte des particularités locales, départementales et régionales, de mettre en valeur son caractère progressiste comme l’actualité de ses idéaux émancipateurs72 ». Cette attitude n’empêche pas Claude Mazauric d’évoquer « la dimension “affective” de la commémoration » lors d’un stage de l’Association nationale des élus communistes et républicains et de citer en exemple l’association des Amis de Robespierre créée dans le Pas-de-Calais. Il invite les élus communistes à l’imiter et à s’appuyer sur des figures locales et les mots d’ordre de la Révolution les plus « enthousiasmants ». « Sur ce terrain de l’enjeu affectif, conclut-il, nous serons les meilleurs dans la bataille contre la droite parce que la fraternité est l’une de nos valeurs fondatrices et qu’elle véhicule une dimension de classe non équivoque73. » Il n’en est pas moins vrai qu’au-delà des moments festifs comme la fête de L’Humanité, l’activité historiographique domine au sein de Vive 89. C’est ce qui ressort de l’exposition diffusée dans tout le pays, du choix des conférenciers et des thèmes proposés. Au point que, comme le souligne le président de Vive 89, le débouché de certaines associations locales fut, ni plus ni moins, la constitution de sociétés savantes74.

  • 75 Cette entrée patrimoniale permet, sauf erreur de notre part, que pour la première fois des dirigean (...)

48La valorisation de l’activité historiographique témoigne du sentiment que la connaissance de la Révolution demeure riche d’enseignements politiques. Dans cette perspective, faire une leçon d’histoire, surtout si celle-ci se rapporte à la Révolution, non seulement se substitue à l’action politique mais peut même revêtir une dignité presque supérieure au titre de pratique politique nouvelle. Les conférences (trois cent huit pour le bilan partiel de Vive 89 présenté par Claude Mazauric) permettent aux orateurs, pour la plupart en déshérence d’une pratique politique qui a marqué leur jeunesse, de retrouver le contact avec des publics divers et de se sentir réinvestis de ce sentiment d’utilité que procure le geste militant. L’indépendance relative de l’association vis-à-vis de la ligne politique du Parti permet de rassembler les diverses composantes de la culture communiste75 et de renouer les fils d’un réseau intellectuel disloqué par les vagues de contestation qui se succèdent depuis 1978.

49Au terme de cet aperçu de la mobilisation du réseau associatif, plusieurs caractéristiques apparaissent.

  • 76 Association socialiste dirigée par Louis Mexandeau.

50Tout d’abord, le fait que pour certains segments de la société française la Révolution se lit toujours comme actuelle. C’est vrai des gestes d’expiation de l’extrême droite intégriste comme des gestes de fidélité des militants de gauche. Il faut cependant remarquer l’absence de grands réseaux liés à la droite parlementaire, plutôt embarrassée par l’approche de la commémoration qui lui rappelle ses réticences traditionnelles envers le fait révolutionnaire constitutives de son identité, et celle du Parti socialiste dont l’association « Vive la liberté !76 » resta toute virtuelle, peut-être du fait de la concurrence des CLEF. Pour les sensibilités « laïque » ou communiste, la place assignée à la Révolution française reste singulière. Elle est beaucoup plus qu’un événement auquel on se réfère. Elle est une partie intégrante de l’identité collective telle qu’elle est à la fois vécue et désirée. À la façon de Jean Jaurès, elle est conçue comme un processus. Certes on trouve dans la sensibilité communiste des indices de position protestataire devant la façon dont le « pouvoir » trahit les idéaux de la Révolution. Cette caractéristique est visible dans tous les sondages qui montrent les communistes moins satisfaits de la commémoration que les autres composantes de la gauche. Ce mécontentement quasi structurel qui participe aussi de l’identité de l’électorat communiste, est exprimé par Jean Ferrât dans sa chanson sur le Bicentenaire.

« Deux siècles après 89
Il fallait oser l’inventer
À la télé on fait du neuf
En acquittant la royauté
Deux siècles après 89
D’autres seigneurs veillent au grain
Et toi qui vivait comme un bœuf
Ce sont tes maîtres que l’on plaint

  • 77 Jean Ferrat, « Bicentenaire », 1991.

À six pieds sous terre
Ton bicentenaire
Ils l’ont enterré bel et bien
Pauvre Martin, pauvre misère
C’est toujours le peuple qu’on craint (bis)77. »

51Il se signale aussi à travers la participation du PCF à la manifestation contre les « saigneurs de la terre » le 8 juillet en réaction à la tenue à Paris du sommet des pays les plus industrialisés au cœur des fêtes du Bicentenaire.

52Pour autant, ce qui domine, loin d’être la différence, c’est bien la façon dont la pratique historiographique est élevée au rang de pratique civique, la soif partagée d’une histoire qui devrait permettre de se retremper et de retrouver ses marques. Que ce statut accordé à l’histoire de la Révolution soit le produit d’une longue évolution, sans doute. Pour autant, ce qui ressort des déclarations et des textes diffusés, c’est le sentiment que l’apprentissage historique, la connaissance de la Révolution, sont immédiatement transférables en pratique civique ou politique.

53Le second point que nous retiendrons est la difficulté de susciter, à l’occasion du Bicentenaire, une pratique politique nouvelle, ce qui tend souvent à conférer à l’activité historiographique et commémorative la fonction de substitut à des pratiques militantes en crise.

54Le dernier point, qui apparaît clairement dans les consignes de Claude Mazauric comme dans les thèmes de conférences des CLEF, est le souci de l’inscription de cette histoire, de ce récit dans le local, ce qui est une caractéristique du Bicentenaire tout entier.

Notes

1 Jean-Bernard Passerieu, Histoire Anecdotique de la Révolution française, Avant-propos, t. I, Paris, 1884.

2 Léon Daudet, Deux idoles sanguinaires : la Révolution et son fils Bonaparte, Albin Michel, 1939, p. 9.

3 Pierre Chaunu, Le grand déclassement, Robert Laffont, 1989.
Philippe de Villiers, Lettre ouverte aux coupeurs de têtes et aux menteurs du Bicentenaire, Albin Michel. 1989.

4 Selon la formule de Pie IX citée par Paul Aulagnier : « La Révolution est inspirée par Satan lui-même [qui assure, le latin faisant foi, que ses partisans] sunt idem », L’Anti-89, n° 1, oct. 1987.

5 Ainsi la couverture du n° 1 de l’Anti-89 titre : « 109 hommes et femmes d’église assassinés à Lyon. Que va faire Mgr Decourtray ? » ; celle du n° 2 de novembre 1987 : « La Révolution à Nantes : des centaines de prêtres noyés […] Mgr Marcus oserez-vous honorer le bicentenaire de ce sang et lumière (sic) ? ».

6 Cité par Steven Kaplan, Adieu 89, Fayard, 1993, p. 103.

7 Anti-89, n° 4, déc. 1987.

8 « Tout change avec 1917. Puisque la révolution socialiste a désormais un visage, la Révolution française cesse d’être un moule pour un avenir possible, souhaitable, espéré, mais encore sans contenu. Elle est devenue la mère d’un événement réel, daté, enregistré, qui est octobre 1917. » François Furet, Penser la Révolution française, Gallimard, 1978, p. 18.

9 Ernst Nolte, « Un passé qui ne veut pas passer », 6 juin 1986, repris in Devant l’histoire. Les documents de la controverse sur la singularité de l’extermination des Juifs par le régime nazi, Éditions du Cerf, 1988. Cet ouvrage rassemble les principaux éléments de la « querelle des historiens » allemands.

10 L’une des expressions les plus élaborées de l’équivalence nazisme / bolchevisme est l’ouvrage de François Furet, Le passé d’une illusion, Robert Laffont / Calmann-Lévy, 1995. Pour la version « comptable », voir Stéphane Courtois (dir.). Le livre noir du communisme, Robert Laffont, 1997. Parmi les historiens qui récusent cette démarche et en soulignent les dangers, cf. Ian Kershaw, Qu’est-ce que le nazisme ?, coll. « Folio », Gallimard, 1992 et son article « Retour sur le totalitarisme », Esprit, janv.-fév. 1996, pp. 101-121.

11 Par exemple, lors du rassemblement à la Mutualité le 21 janvier 1989. Il faut toutefois souligner que l’affirmation d’une parenté entre nazisme et bolchevisme n’aboutit pas ipso facto à la négation du génocide. L’utilisation du terme de « négationnistes » pour qualifier ceux qui falsifient l’histoire est, de ce point de vue. beaucoup plus juste et opératoire que le terme générique de « révisionnistes ». Cf. l’étude, désormais classique. de Pierre Vidal-Naquet, Les assassins de la mémoire. Le Seuil, 1991 (seconde édition).

12 L’objectif était de réunir, le 15 août, autant de monde que lors des manifestations de 1984 en faveur de « l’école libre ». Les estimations varient entre sept mille manifestants (journaux télévisés) à dix mille (Le Quotidien de Paris et Libération) et cinquante mille (Le Figaro).

13 Rushes Moati, A.N. 90 0519/ 121.

14 Cité par Steven Kaplan, Adieu 89, op. cit., p. 192.

15 Ibid., p. 194.

16 Le quotidien d’extrême droite Présent incite à l’arrachage des arbres de la Liberté : « Rappelons incidemment, que des « arbres de la Liberté » (sic) seront plantés un peu partout en France. Une provocation à laquelle il convient de ne pas laisser prendre racine... », (Alain Sandera) A.N. 900 506 / 95.

17 En janvier 1989, Hélène Delavault qui donnait, aux Bouffes du Nord, un spectacle composé de chansons de la période révolutionnaire est agressée par un commando de skinheads se réclamant du royalisme. Pour les réactions, cf. Steven Kaplan, Adieu 89, op. cit., p. 99.

18 Dans le Journal du Bicentenaire, Serge Moati utilise des militants de cette sensibilité à des fins de dramatisation. Cf. l’interview d’extrémistes le 1er janvier 1989 lors de l’envol des montgolfières (A.N. 900 519/ 47) ou encore l’insertion de propos tenus par des nostalgiques de Vichy à la Mutualité le 21 janvier 1989 (A.N. 900 519 / 49).

19 La Ligue a participé à la mise en place des bataillons scolaires et à la célébration de fêtes annuelles des écoles au travers du « sou des écoles » dans les années qui précèdent 1884.

20 Texte de la « Souscription nationale pour l’œuvre du Centenaire de la Révolution française. Éducation civique et patriotique du pays », Bulletin de la Ligue de l’enseignement, 1884, n° 25 p. 618.

21 Voir Claudine Wolikow, « Centenaire dans le Bicentenaire (1891-1991) Aulard et la transformation du cours en chaire d’histoire de la Révolution française », Annales de la Révolution française, n° 286, oct.-déc. 1991, pp. 429-458. Cette nouvelle orientation est en germes dès la leçon inaugurale de 1886 dans laquelle Aulard précise que « si quelqu’un, de cette salle de travail, emportait l’idée d’un livre sérieux, établi sur de bons documents, quand même ce livre exprimerait des opinions contraires aux nôtres, cet effet de notre enseignement serait pour nous un titre d’honneur et le plus solide des succès ». Cité dans la lettre du 26 janvier 1888 à Jules Simon, La Révolution française, t. 14, janv.-juin 1888, pp. 762-763.

22 Le communiqué du ministère de l’éducation nationale intègre la Ligue dans l’annonce de ses initiatives (Le Temps, 19 fév. 1939).

23 Paul Gsell, Cent-Cinquantenaire de la Révolution française, pièce en dix tableaux, mise en scène de Pierre Aldebert, Ligue de l’enseignement, coll. « l’Action laïque », Paris, 1939.

24 Cahiers des Droits de l’ Homme, février 1938, pp. 86-87.

25 Voir par exemple l’article de Louis Pauwels, « Pour en finir avec la Révolution française, tout simplement », Le Figaro-Magazine, 11 oct. 1986.

26 Cf. Marie-Laurence Netter. La Révolution française n’est pas terminée, PUF, 1989.

27 Cf. la réponse de François Léotard au vice-président de l’intergroupe ligueur : « Vous vous demandez si nous célébrerons bien ou mal le bicentenaire de 1789. J’aurais souhaité que vous portiez la même attention au millénaire des Capétiens : il est aussi important pour notre histoire, et peut-être plus. », question orale, citée par La Lettre des CLEF, n° 2, ou les propos de Jacques Chirac affirmant que « Le 14 juillet [1790 est] bien l’aboutissement d’un mouvement qui avait commencé à Bouvines », conférence de presse du 18 mars 1988, A.N. 900 506 / 91.

28 C’est au cours de la réflexion engagée autour de la laïcité que la figure et les travaux de Condorcet sont remis au jour, anticipant ainsi sur le regain d’intérêt rencontré par ce philosophe après la parution de l’ouvrage d’Élisabeth et Robert Badinter, Condorcet : un intellectuel en politique, Fayard, 1988.

29 Philosophe, membre du Comité central du PCF dont les positions commencent alors à diverger de la ligne majoritaire au sein de l’exécutif.

30 C’est dans le cadre des Cercles Condorcet que Madeleine Rebérioux découvre le milieu de la Ligue de l’enseignement. Ancienne militante du PCF, du SNESUP, historienne de Jean Jaurès, élue présidente de la Ligue des droits de l’homme au congrès d’Arras de 1989, Madeleine Rebérioux se situe à l’interface des diverses sensibilités que les Cercles Condorcet essaient de drainer. Entretien au séminaire de l’IHTP, 18 déc. 1992.

31 Cercles Condorcet, document de présentation.

32 Comité national d’action laïque.

33 Texte daté de mars 1987, signé par Yves Jouffa (président de la Ligue des droits de l’homme et du citoyen) et Jean-Louis Rollot (secrétaire général de la Ligue de l’enseignement), rédigé par Madeleine Rebérioux.

34 François Furet et Denis Richet, La Révolution française, Hachette, 1965.

35 Steven Kaplan, Adieu 89, op. cit, p. 539.

36 D’après les comptes rendus de séances parvenus aux sièges des deux Ligues.

37 Ce bulletin connaît seize numéros. La majeure partie des numéros est composée d’informations pratiques : bibliographie, informations sur les spectacles disponibles, recensions de livres ou de revues et reproduction de quelques articles destinés à nourrir une réflexion de fond. Contrairement aux bibliographies très historiennes ou aux articles du Monde de la Révolution, les textes reproduits engagent davantage une réflexion sur la commémoration et ses enjeux civiques.

38 10054 abonnements ont été finalement souscrits.

39 La une du numéro zéro titrait : « Touche pas à mon despote ! »

40 Philippe Nieto, « Les CLEF sous le paillasson ».

41 « Catalogue des réalisations CLEF 89 », Ligue de l’enseignement, brochure multigraphiée, 1990.

42 Comité départemental d’action laïque.

43 Réponse à notre enquête auprès des CLEF.

44 Réponse à notre enquête. Le bilan de l’activité du CLEF 31 fait état, pour la Haute-Garonne, de 250 abonnés au bulletin interne, de près de 600 sympathisants et de 45 délégués cantonaux en janvier 1989.

45 Union scolaire d’éducation physique.

46 Projets d’actions éducatives.

47 En Haute-Garonne, Gilbert Floutard et Georges Fournier publient dès 1988, sous l’égide du CLEF 31, un Guide de l’historien amateur.

48 Le CLEF de l’Aveyron est le seul qui fait référence aux parrainages civils. Dans la Lettre des CLEF il paraîtra une petite notice appelant l’ensemble des comités « à se faire les propagateurs de cette tradition révolutionnaire [dont on peut] ici ou là détecter la volonté de l’occulter ». Lettre des CLEF, n° 9, p. 22.

49 En témoigne la revue de presse « Résumé des coupures de presse 1988 et 1989 », Ligue de l’enseignement, 1990.

50 Un seul article paru dans la presse nationale évoque les CLEF : Henri Tincq, « CLEF comme commémorer, lire, enseigner et fêter », Le Monde, 13 juil. 1989.

51 Texte signé par Élisabeth Badinter, Régis Debray, Alain Finkielkraut, Élisabeth de Fontenay et Catherine Kintzler, « Profs ne capitulons pas ! », Le Nouvel Observateur, 2-8 nov. 1989, pp. 58-59.

52 Voir « Laïcité : démocratie et solidarité », Pourquoi ?, revue de la Ligue de l’enseignement, nov. 1989.

53 Jean-Louis Rollot, communiqué de presse du 25 octobre 1989, archives de la Ligue de l’enseignement.

54 Archives de la Ligue de l’enseignement.

55 Lors du séminaire de l’IHTP, Madeleine Rebérioux cite Cherbourg et l’Ouest normand, op. cit., p. 34.

56 « Enjeux 31 », charte de fondation aimablement transmise par Rémy Pech, p. 3.

57 Ibid., p. 1.

58 Un numéro spécial de Hommes et Libertés a cependant été publié en septembre 1992.

59 Ernst Thaelmann, secrétaire du Parti communiste allemand incarcéré par les nazis après l’incendie du Reichstag.

60 L’Humanité, 9 avril, 1987.

61 « Il chantait lui sous les balles / Des mots sanglant est levé / D’une seconde rafale / Il a fallu l’achever / Une autre chanson française / à ses lèvres est montée / Finissant la Marseillaise / Pour toute l’humanité », Louis Aragon, « Ballade de celui qui chanta dans les supplices », La Diane française, 1947. Symboliquement, c’est pendant la préparation du Cent-cinquantenaire que le Parti change de nom et devient Parti communiste français au lieu de Parti communiste de France.

62 Référence à l’ouvrage de ce dernier : Max Gallo, Lettre ouverte à Maximilien Robespierre sur les nouveaux muscadins. Albin Michel, 1986.

63 Voir François Hincker, « La lecture communiste de la Révolution française par le Parti communiste français », Communisme, n° 20-21, 1989, pp. 101-110, et Marie-Claire Lavabre, Le fil muge, sociologie de la mémoire communiste, Presses de la FNSP, 1994.

64 Intervention de Claude Mazauric, séminaire de l’IHTP, Lettre d’information, n° 7, mai 1993, p. 17. À la suite de cette enquête les éditions Messidor publient La Révolution française. Images et Récits, de Michel Vovelle, vendu à vingt-trois mille exemplaires.

65 C’est-à-dire de porte-parole des revendications des plus démunis. Cf. Georges Lavau, À quoi sert le Parti communiste français ?, Fayard, 1981.

66 Intervention de Claude Mazauric, séminaire de l’IHTP, op. cit. Voir aussi son article : « Bicentenaire et culture communiste. L’association “Vive 89” », Cahiers d’histoire, n° 69, 1997, pp. 19-32.

67 Serge Wolikow avance l’idée que la commémoration de la Révolution renverrait « à une identité communiste peut-être partagée davantage par des adhérents ou des sympathisants peu engagés dans l’action politique portée [quant à elle] par des militants qui, eux, s’investissent médiocrement dans la commémoration », Serge Wolikow, séminaire de l’IHTP, Lettre d’information, n° 7, mai 1993, p. 6. Voir aussi « Le PCF et le Bicentenaire : commémoration du parti ou des communistes ? », Cahiers d’histoire, op. cit., pp. 11-18.

68 Voire en tant que militants, tant est grand le renouvellement des cadres fédéraux.

69 Roger Bourderon et alii. Le PCF étapes et problèmes 1920-1972, Éditions Sociales, 1981.

70 Une première démarche a été faite en direction de Michel Vovelle qui a décliné cette proposition en raison de ses responsabilités au sein de la commission du CNRS. L’association « Vive 89 » est constituée en mai 1987. La même année, les deux conseils généraux communistes se dotent de leur propre structure.

71 Claude Mazauric, entré au Comité central lors du 23e congrès, s’est oppose au départ des ministres communistes et en a démissionné en 1986. Roger Bourderon s’inscrit dans la sensibilité refondatrice.

72 Séminaire de l’IHTP, op. cit., p. 9. L’intervention du président de Vive 89 précise que ce « texte a été soigneusement pesé ».

73 Claude Mazauric et Michel Vovelle, 1789-1989 Bicentenaire de la Révolution française, conférences prononcées au stage CIDEFE le 10 mars 1987, Messidor, 1987, p. 21 et p. 23.

74 Il cite l’exemple de la Charente-Maritime où Vive 89 lancé par un avocat communiste s’est transformée en Société d’histoire moderne et contemporaine de l’Aunis. Séminaire IHTP, op. cit., p. 23.

75 Cette entrée patrimoniale permet, sauf erreur de notre part, que pour la première fois des dirigeants trotskistes soient présents à la fête de l’Humanité et y dédicacent leurs livres. C’est le cas de Daniel Bensaïd auteur de, Moi, la Révolution, Paris, Gallimard, 1989, et co-auteur de Permanences de la Révolution, La Brèche, 1989.

76 Association socialiste dirigée par Louis Mexandeau.

77 Jean Ferrat, « Bicentenaire », 1991.

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Légende Carte 1. Une géographie de l’activité des CLEF
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