La coopération en matière d’armement air
p. 117-119
Texte intégral
1Après avoir été, à l’état-major de l’Air, chef du bureau des études générales de 1958 à 1960, je fus sous-chef aux plans de cet état-major de 1963 à 1965. C’est à cette époque qu’il a été décidé de voir si d’autres membres de l’OTAN voulaient coopérer pour que soient réalisés en commun les appareils dont nous avions besoin. Il s’est agi du Transall et du Jaguar, dont je vais vous parler maintenant.
LE TRANSALL
2La première difficulté vint de rédiger une fiche programme commune à la suite d’une décision des gouvernements italien, français et allemand à la fin de 1957. La France voulait un avion de transport stratégique capable de relier les bases de la Communauté (rayon d’action Paris-Dakar), tandis que l’Allemagne souhaitait un cargo à court rayon d’action utilisable sur de petits terrains pour le transport en zone de combat. Une commission commune franco-allemande décida de la réalisation d’une sorte de compromis et fut chargée d’en suivre toute la réalisation. Il faudra attendre quatre ans pour voir le vol du premier prototype (25 février 1963) et les premiers avions ne seront mis en unités qu’en 1967.
3Initialement, les Allemands en voulaient 110 et les Français 50. L’Allemagne, faute de pouvoir réduire sa commande, s’efforça de vendre, même à perte, une partie des Transall qu’elle s’était engagée à acquérir. Étant le représentant de l’état-major français, je fus reçu par le ministre de la Défense allemand auquel j’avais suggéré d’intéresser les Britanniques à ce programme comme clients potentiels, d’autant plus que les moteurs les mieux adaptés étaient de fabrication britannique. Ce ministre me conseilla cette démarche en me disant : « Rappelez-vous que, la plupart du temps, la Manche est bien plus large que l’Atlantique ». Son propos fut illustré rapidement, car les Britanniques s’équipèrent de l’avion américain Hercules, dont le premier vol avait eu lieu le 23 avril 1954.
4Ces Transall ont été construits sur trois chaînes différentes, ce qui a entraîné des investissements importants puisqu’il a fallu trois prototypes, six appareils de présérie et deux cellules d’essais, du fait de la dispersion géographique. C’est cette opération, voulue par les autorités politiques des deux pays, qui a permis le redémarrage de l’industrie aéronautique allemande. En résumé, cette construction du Transall a abouti à fournir un matériel trop coûteux sans apporter pour autant aucun enseignement technique valable à l’industrie aéronautique française. Ce fut cependant un matériel solide. Il est toujours en service dans l’armée de l’air, laquelle voudrait bien le remplacer par un avion moderne de plus grandes capacités pour projeter des forces au loin, comme c’était prévu dans le livre blanc de 1994. Un programme de ce genre est en discussion dans les pays d’Europe occidentale.
LE JAGUAR
5En 1963, l’état-major de l’armée de l’air souhaitait lancer la fabrication d’un avion d’entraînement capable de remplacer les avions anciens tels l’Ouragan, le Mystère IV ou le T33 pour compléter la formation initiale des pilotes effectuées sur Fouga Magister. L’état-major de la RAF, qui avait fait l’impasse sur l’avion de type Mirage III, voulait compléter ses Hunter par un appareil tactique, supersonique, au rayon d’action suffisant pour être engagé en opérations classiques à l’est de Suez. Pour atteindre la coopération souhaitée par les autorités politiques, on s’efforça de concilier l’inconciliable en faisant un programme commun pour satisfaire des besoins militaires a priori très différents. Finalement, voici à quoi sommes nous arrivés. Pour la France : un bimoteur de 10,5 tonnes à 14 tonnes au lieu de 7, atteignant Mach 1,5 au lieu de 0,9, et dont le prix budgétaire pour une production de 150 appareils est de l’ordre de 10 millions par pièce. On est donc assez loin de l’avion simple et rustique demandé par l’armée de l’air.
6En fait, la coopération a entraîné la réalisation de sept prototypes, et trois formules de Jaguar seront construites en série. Initialement, le Jaguar n’a pratiquement pas d’équipement électronique et aucune étude spéciale n’avait été faite à cet égard. Cependant, au fur et à mesure des progrès en électronique, les Jaguar encore utilisés pendant la guerre du Golfe et au Kosovo ont été peut-être plus modernisés en Grande-Bretagne que chez nous. Ils sont maintenant capables d’utiliser aussi tous les moyens de navigation et de bombardement en service lors des opérations que je viens de citer. Cependant, en France, l’appareil n’est pas celui demandé initialement par les utilisateurs, et il a fallu plus tard lancer un nouveau programme d’avion d’entraînement qui est devenu l’Alphajet, élaboré lui aussi en coopération, mais cette fois avec les Allemands.
7En ce qui concerne le Jaguar, il se sera écoulé plus de sept ans entre l’énoncé du programme initial (avril 1964) et la livraison des premiers avions de série (fin 1971). Dans la répartition du travail pour la réalisation des Jaguar, la France fut défavorisée par rapport à la Grande-Bretagne à qui reviendra la maîtrise d’œuvre, en particulier d’un moteur nouveau à double flux. Également pour ce programme, les dépenses furent importantes, alors que nous souhaitions un appareil relativement simple, ce qui a conduit à dépasser largement les ressources financières prévues. Les fabrications porteront sur 150 appareils en Grande-Bretagne et, malgré ce qui était souhaité lors de l’élaboration de ce programme, l’Allemagne, l’Italie et les pays du Benelux y ont renoncé.
8Ces deux exemples de coopération furent très critiqués parce que, effectivement, on aurait pu trouver pour beaucoup moins cher « sur étagère » des avions plus performants.
9Parmi ces critiques, je retiendrai les faits suivants. L’Hercules américain transportait 20 tonnes au lieu de 16, à 590 kilomètres heure et non 480, pour une autonomie de 3 750 kilomètres, alors qu’un Transall a un rayon d’action de 1 700 kilomètres et coûtait le prix de deux Hercules. De plus, alors que le moteur Tyne du Transall est britannique, fabriqué par Rolls-Royce, la Grande-Bretagne n’acheta pas le Transall et s’équipa d’Hercules. Le Jaguar a coûté cher, tout en ne satisfaisant pas le besoin exprimé initialement. Le travail en coopération a considérablement allongé les délais de réalisation (énoncé du programme avril 1964 et livraison des premiers avions de série fin 1971). Enfin, pour cet avion, en matière d’exportation, les perspectives n’ont pas été celles prévues par les initiateurs du programme.
10Malgré ces remarques, il faut reconnaître que la France fut à l’origine de ces coopérations, même si, initialement, les projets de nos partenaires ne correspondaient guère aux missions que nous envisagions. Il faut bien avouer aussi qu’à cette époque nous avions quelques insuffisances en matière de moteurs d’avion et que, de plus, certains grands industriels français ne voyaient pas d’un très bon œil le partage du travail.
11Cependant, pour ma part, je reste persuadé que ces initiatives françaises sont à l’origine d’une évolution nécessaire, même si elle a mis longtemps à venir. Elle doit encore se développer en Europe ; les deux exemples que sont la création de l’EADS (DASA et Airbus) et les réussites de l’Agence spatiale européenne laissent présager une association future des principaux pays d’Europe en matière d’armement. Cela permettrait de décider un jour d’une véritable politique de défense à base de moyens modernes nécessaires pour que l’Europe puisse jouer le rôle qui devrait être désormais le sien dans le monde.
Auteur
Général François Maurin : le général Maurin entama sa carrière dans l’armée de l’air en 1938. Il commença par servir dans des unités de bombardement avant de prendre plusieurs commandements. Il fut chef d’état-major des armées entre 1971 et 1975. Il fut ensuite conseiller d’État de 1975 à 1986.
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