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    Plan

    Plan détaillé Texte intégral INTRODUCTION : LES CONTRAINTES ET LES CHOIX L’ENVIRONNEMENT ÉCONOMIQUE ET FINANCIER DE 1960 À 1970 LA PREMIÈRE LOI DE PROGRAMME MILITAIRE (1960-1964) : UN PROGRAMME RESPECTÉ AVEC UN MINIMUM DE DÉRAPAGE FINANCIER LA SECONDE LOI DE PROGRAMME MILITAIRE (1965-1970) : UN NOYAU DUR RESPECTÉ AU PRIX DE REPORTS ET D’ALLONGEMENTS DES DÉLAIS D’EXÉCUTION CONCEPTION ET RÉALISATION CONCLUSION : UN BILAN ÉCONOMIQUE PROVISOIRE Annexe Notes de bas de page Notes de fin Auteurs

    Armement et ve République

    Ce livre est recensé par

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    Table des matières

    Le contexte économique et financier des deux premières lois de programme militaire

    Christian Schmidt et Guy Vidal

    p. 29-50

    Texte intégral INTRODUCTION : LES CONTRAINTES ET LES CHOIX L’ENVIRONNEMENT ÉCONOMIQUE ET FINANCIER DE 1960 À 1970 LA PREMIÈRE LOI DE PROGRAMME MILITAIRE (1960-1964) : UN PROGRAMME RESPECTÉ AVEC UN MINIMUM DE DÉRAPAGE FINANCIER Pourquoi une loi de programme ? Quels objectifs ? Contenu et réalisation LA SECONDE LOI DE PROGRAMME MILITAIRE (1965-1970) : UN NOYAU DUR RESPECTÉ AU PRIX DE REPORTS ET D’ALLONGEMENTS DES DÉLAIS D’EXÉCUTION Méthodologie CONCEPTION ET RÉALISATION Évolution et conséquences macroéconomiques CONCLUSION : UN BILAN ÉCONOMIQUE PROVISOIRE Annexe ANNEXES Projets de loi de finances et de lois de règlements de 1960 à 1970 Loi de programme n° 60-1305 du 8 décembre 1960 relative à certains équipements militaires Travaux préparatoires Loi de programme n° 64-1270 du 23 décembre 1964 relative à certains équipements militaires Travaux préparatoires Notes de bas de page Notes de fin Auteurs

    Texte intégral

    INTRODUCTION : LES CONTRAINTES ET LES CHOIX

    1La décennie 1950 avait été marquée par une instabilité politique et économique. La politique militaire s’était, pour cette raison, limitée à faire face, tant bien que mal, aux besoins nés des opérations conduites en Indochine, puis en Algérie. La décennie 1960 représente à l’inverse une période de stabilité politique où la France retrouve progressivement une marge de liberté pour définir une politique militaire et où elle va pouvoir afficher clairement ses objectifs.

    2Avant de dessiner le cadre économique et financier de ce qui fut, selon le mot même du général de Gaulle, une « résurrection », on proposera une grille de lecture des contraintes que rencontre nécessairement toute politique militaire. Ces contraintes se manifestent à l’intersection de quatre logiques dont chacune impose ses propres limites :

    • première logique : la politique extérieure qui définit la place de la France dans le monde, son niveau souhaité d’indépendance, mais prend également en compte les risques que court la nation. Cette contrainte a pesé très lourd sur la politique militaire au cours des années 1950 avec la guerre d’Indochine et les opérations dites de « maintien de l’ordre » en Algérie ;
    • deuxième logique : la situation économique qui exige de ne pas consacrer trop de ressources à l’effort militaire, à moins de mettre en péril l’équilibre économique et social du pays tout entier. Cette contrainte ne peut pas être définie quantitativement a priori. Elle est plus ou moins forte selon la situation économique générale et selon l’importance du risque extérieur aussi. L’exemple donné par les autres pays n’est pas non plus à négliger ;
    • troisième logique : la capacité industrielle du pays. La fourniture d’armement suppose l’existence d’un appareil industriel développé. Mais doit-on tout fabriquer ? Si ce n’est pas le cas, dans quelle proportion faut-il recourir à l’importation ? Par nature, cet appareil de production est relativement rigide et ne peut s’ajuster aux besoins. Il s’agit d’industries lourdes, dont les plans de charge ne supportent pas de ruptures sans crises graves ;
    • quatrième logique : l’évolution de la technique militaire. Elle modifie l’équilibre entre les trois forces conventionnelles de l’Air, de la Terre et de la Marine et implique également de donner une place à des technologies nouvelles comme l’atome, qui a donné naissance à l’arme atomique. Les réflexions sur l’équilibre optimal des forces sont souvent marquées par le poids de l’expérience passée et les innovations sont, en règle générale, à intégrer dans les schémas de pensée.

    3Les différentes contraintes qui viennent d’être énoncées laissent aux gouvernants, selon les moments, une marge de liberté variable. La politique militaire résulte en partie de l’équilibre qui se crée spontanément entre ces différentes logiques, mais elle représente également un acte de volonté, dans la mesure où les responsables gouvernementaux font des choix délibérés à l’intérieur des espaces de liberté dont ils disposent.

    4Cette grille de lecture permet de mieux cerner le cadre économique dans lequel s’est insérée la politique militaire de 1960 à 1970 et de mieux comprendre ainsi comment cette dernière a été conçue et conduite à travers les deux lois de programme des 18 et 23 décembre 1964.

    L’ENVIRONNEMENT ÉCONOMIQUE ET FINANCIER DE 1960 À 1970

    5En 1960, la France est encore engluée dans la guerre d’Algérie et ne compte plus guère au plan international. Dix ans plus tard, elle est devenue la quatrième puissance thermonucléaire sans compromettre pour autant sa renaissance économique. Cette transformation a été rendue possible par un double effort de remise à niveau des finances publiques et de restructuration des budgets militaires. Avant de mesurer l’ampleur de ces mutations et leur traduction en matière de politique de défense et d’armement, il convient d’identifier quelques tendances lourdes de l’environnement économique et financier. On en retiendra quatre.

    61. Tout d’abord, on observe durant toute la période la poursuite d’une expansion rapide entre 1951 et 1973. Le taux de croissance s’établit à 5,4 % contre 0,9 % de 1929 à 1951. De 1960 à 1972, seul le Japon a fait mieux avec 5,8 % par an. Deux facteurs essentiels expliquent cette tendance : la hausse de la productivité (+ 5,7 % par an en moyenne de 1963 à 1969) et le rythme très rapide de l’accumulation du capital favorisé par l’importance de l’investissement productif qui passe de 13,3 % du PIB en 1951 à 15,1 % en 1973. La période étudiée s’ouvre donc sous les meilleurs auspices après l’assainissement financier réalisé de 1957 à 1959 par la politique de Félix Gaillard et celle d’Antoine Pinay. Ces dernières ont permis l’ouverture sur l’extérieur avec l’entrée dans le Marché commun : mars 1957, signature du traité de Rome ; 1er janvier 1960, création du nouveau franc.

    72. Cette croissance industrielle a engendré un besoin élevé en main-d’œuvre. Certes, la fin de la guerre d’Algérie libère des effectifs, mais l’essentiel provient de la population agricole qui, de 1946 à 1973, perd 135 000 emplois par an, du rapatriement de 700 000 Français d’Algérie et de l’immigration (4,13 % de la population totale en France en 1954, 4,67 % en 1963, 5,28 % en 1968 et 6,54 % en 1975, dont environ 60 % d’hommes). Malgré ces apports, le nombre de chômeurs reste très faible, même s’il augmente un peu en valeur relative en fin de période : 215 000 pour une population active de 19 877 000 en 1960, 205 000 en 1962, 233 000 en 1963, mais 189 000 pour une population active de 20 250 000 en 1964 et 236 000 pour une population active de 20 683 000 en 1965 (voir tableau 1).

    Tableau 1 : La population active et effectif des chômeurs durant la période 1960-1970

    Image img01.jpg

    Source : Le Mouvement économique en France (1949-1979) – série langues macro-économiques, INSEE, Imprimerie nationale, 1981, p. 23.

    83. La véritable nouveauté est le sentiment confus d’être entré dans une ère de consommation de masse. Le premier magasin Carrefour ouvre ses portes en 1960 à Annecy. C’est le triomphe de Seb et de Moulinex avec ses appareils vendus à bas prix parce que fabriqués en grande série. Soif de consommation, compensation aux privations de la guerre ou conséquence du baby boom ? C’est un marché nouveau qui s’installe, dont les prémices se manifestent dès la décennie 1950.

    94. Mais, comme le notent pertinemment certains observateurs vigilants, cette « société nouvelle sécrète également ses critiques et ses laissés-pour-compte ». En 1960, les révoltes paysannes dans l’ouest de la France, et la grève des mineurs en 1963, marquent des difficultés dans la transition entre un monde ancien dur, mais solidaire, et un monde plus facile parce que plus moderne, mais plus individualiste. Les événements de mai 1968 sont le point d’orgue de cette société en pleine mutation, qui s’interroge sur son être et sur son avenir, sur un fond de guerre froide.

    10Au niveau international, la France n’est plus une grande puissance. Certes, elle possède l’arme atomique qui, par la volonté du général de Gaulle, est le « moyen de notre indépendance », mais c’est la bombe A qui est tirée le 11 septembre 1966 à Mururoa et il faudra attendre le 24 août 1968 pour disposer de la bombe H. Or, comme le relate Alain Peyrefitte dans C’était de Gaulle1 : « Si nous ne pénétrons pas dans le sanctuaire thermonucléaire, notre armement ne sera pas dissuasif à l’égard de ceux qui possèdent l’arme absolue. » C’est à cette condition seulement que la France pourra à nouveau jouer un rôle. Atteindre notre objectif suppose toutefois des moyens financiers considérables. « C’est très cher », disent ensemble Américains et Russes. Il fallait pour cela dégager les ressources nécessaires, tout en continuant d’assumer les autres engagements de l’État. À ce stade, il convient de signaler un point essentiel à la continuité de notre politique : l’émergence de méthodes nouvelles de programmation dont les éléments méthodologiques seront discutés plus loin dans cet article. Contentons-nous pour le moment d’en dégager les principales conséquences. Lorsqu’on examine les chiffres retraçant l’évolution du budget de l’État dans son ensemble et ceux du budget militaire par rapport au produit intérieur brut (voir tableau 2), on est frappé par deux constatations.

    11La part prélevée chaque année sur la richesse nationale par l’État est passée de 22,8 % en 1960 à 21 % en 1970 soit une baisse équivalente à 1,8 point de PIB ; celle prélevée par le budget militaire a également été réduite : de 5,6 % à 3,6 % du PIB, soit une baisse de 2 points.

    Tableau 2 : Part des dépenses dans le produit intérieur brut

    Image img02.jpg

    Source : Statistiques et études financières, série bleue n° 358.

    12De prime abord, on serait fondé de s’interroger sur le sens d’une politique militaire qui aboutit à une réduction aussi sensible de l’effort de défense. Une analyse plus fine est ici nécessaire. Il s’agit en définitive de déterminer si ce que l’on pourrait appeler le « pouvoir d’achat » du budget militaire a effectivement baissé au cours de la période et, si oui, dans quelle proportion. La difficulté rencontrée dans cette démarche réside dans le fait qu’il n’existe pas d’indice des prix militaires et que la construction d’un tel indice se heurte à des difficultés multiples, concernant, en particulier, la comparabilité de matériels de générations différentes. C’est pourquoi on s’est rabattu sur l’indice général des prix, utilisé dans les comptes nationaux, et sur l’indice général des prix à la consommation. Compte tenu de la structure du budget militaire pendant la période étudiée, l’indice des prix du PIB retenu par les comptes de la nation nous est apparu comme le moins mauvais indicateur. La conversion des francs courants en francs constants, de 1970 fait alors apparaître, en mesurant de cette manière (voir tableau 3), ce que l’on a appelé « le pouvoir d’achat », un budget militaire en hausse de 11,9 % sur la période.

    Tableau 3 : Évolution du budget militaire

    Image img03.jpg

    13Ce paradoxe n’est qu’apparent. L’explication tient au rythme exceptionnel de la croissance de l’économie française pendant la période, soutenue par une politique économique rigoureuse et une maîtrise des finances publiques. Il suffit, pour s’en convaincre, de considérer (dans le tableau 4) l’évolution annuelle du PIB en volume, en prix et en valeur entre 1960 et 1970.

    Tableau 4 : Évolution annuelle du PIB total

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    Source : Le Mouvement économique en France (1949-1979) – séries longues macroéconomiques, Paris, INSEE, 1981.

    14Le taux moyen de croissance annuel en volume est de + 5,7 %. Un point de PIB valait 4,55 milliards de francs en 1960 ; il en vaut 7,82 milliards en 1970, soit une augmentation de 77 %.

    15Les prix sont moins bien maîtrisés, avec une croissance moyenne annuelle de 4,3 %, malgré une stabilité des cours des matières premières et une baisse des cours du pétrole. Deux ralentissements conjoncturels sont ainsi constatés au cours de la période :

    • une première phase en 1963-1964, avec le retour des Français d’Algérie qui entraîne des tensions inflationnistes et, en réaction, le plan de stabilisation de décembre 1963. Pour la première fois, les importations l’emportent sur les exportations et créent un déficit de 1,7 milliard de francs 1970 (voir tableau 5) ;
    • un second ralentissement en 1967-1968, avec en toile de fond les événements de 1968, entraîne une seconde période de déficit dans les rapports avec l’extérieur, déficit qui s’élève à 7,1 milliards de francs 1970 (voir tableau 6).

    16Les conséquences ne se font pas attendre : une dévaluation de 12 % le 18 août 1969 et l’approbation d’un plan d’austérité en Conseil des ministres le 3 septembre 1969. Au total, la croissance un peu plus forte de la première moitié de la décennie (+ 6,2 % par an contre + 5,3 % par an) s’accompagne d’une hausse un peu plus forte des prix (+ 4,4 % contre 4,2 %).

    Tableau 5 : Importations – exportations 1960-1970 (en milliards de francs)

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    Source : Le Mouvement économique en France (1949-1979) – séries longues macro-économiques, Paris, INSEE, 1981.

    17L’ensemble de cette période est ainsi marqué par la volonté de garder sous contrôle l’évolution de l’économie par une gestion bien maîtrisée de la dépense publique, comme l’illustre le tableau 6 :

    Tableau 6 : Évolution des dépenses globales de l’État et des soldes d’exécution des lois de fin d’année

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    Source : Le Mouvement économique en France (1949-1979) – séries longues macro-économiques, INSEE, mai 1981.

    18On voit clairement, à la lecture de ce tableau, se dessiner deux périodes qui correspondent approximativement aux deux lois de programmation militaire. Une première période qui s’achève en 1965 : les dépenses de l’État passent de 22,8 % du PIB en 1960 à 23 % du PIB en 1963. Le plan de stabilisation va diminuer de l’équivalent de 1,4 point du PIB en deux ans. Un « dérapage » se produit ente 1966 et 1968 (22,6 % du PIB en 1968), suivi d’un nouveau freinage en 1969 et d’un budget en excédent en 1970. Au total, la part de richesse produite chaque année et consacrée aux dépenses publiques a diminué d’environ 8 % sur l’ensemble de la décennie. Le budget militaire a-t-il suivi une évolution comparable (voir tableau 7) ?

    19L’évolution est ici un peu différente. La part relative du budget militaire dans le budget total de l’État est en constante régression sous la présidence du général de Gaulle, ainsi d’ailleurs que sous celle de Georges Pompidou. Au regard du PIB, la régularité de la décroissance est encore plus nette : 0,2 point en moyenne par an. Avec la fin des hostilités en Algérie, le budget militaire ne représente plus que les deux tiers de celui de 1960.

    20Les raisonnements précédents ont été menés jusqu’à maintenant en utilisant comme indicateur la proportion du budget militaire par rapport au produit intérieur brut. Cet indicateur permet de mesurer l’effort de la nation en faveur du budget de l’État et du budget militaire. Il ne fournit en revanche aucune information sur la valeur réelle du budget de l’État en général et du budget militaire en particulier. C’est un indicateur de quotité. Il s’inscrit dans l’assiette de référence. Or celle-ci, sous l’effet de la croissance économique, a cru de 77 % sur l’ensemble de la période étudiée.

    21Si l’on utilise maintenant l’indice des prix des comptes nationaux pour transformer en francs constants, on obtient les deux séries suivantes (voir tableau 8).

    Tableau 7 : Évaluation annuelle du budget

    Image img07.jpg

    Source : Statistiques et études financières – série bleue n° 358.

    Tableau 8 : Évaluation annuelle du budget en francs constants

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    22Ce tableau montre clairement que ce que nous avons appelé le « pouvoir d’achat » du budget militaire a crû d’un peu plus de 11 % pendant la période 1960-1970. Cette croissance, en outre, a été régulière avec seulement un léger creux entre 1963 et 1965.

    23Si l’on applique les mêmes règles de conversion aux principales composantes du budget militaire, on obtient (voir tableau 9) les résultats suivants qui mettent en évidence l’évolution contrastée des différents postes.

    Tableau 9 : Budget militaire annuel en francs constants

    Image img09.jpg

    24La croissance observée du pouvoir d’achat du budget militaire de 1960 à 1970 recouvre en réalité deux évolutions contrastées :

    • une nette diminution de l’ordre de 15 % sur la période des dépenses de fonctionnement (titre III), le point le plus bas ayant été atteint en 1965 avec une réduction de l’ordre du quart par rapport à 1960 ;
    • une très forte augmentation des dépenses d’équipement qui représente près de 60 % sur l’ensemble de la décennie. On observe même que les dépenses d’équipement dépassent celles de fonctionnement de 1965 à 1967. Elles se stabilisent ensuite après une légère décrue, amorcée en 1968 et poursuivie en 1969.

    25Ce tableau général suggère deux remarques : sur toute la période, la contrainte financière née de la logique économique s’est révélée très prégnante. C’est donc toute la croissance économique qui a donné la possibilité à la France de mener la politique étrangère qu’elle avait choisie et d’effectuer les efforts militaires qui en découlaient.

    26La fin des contraintes imposées par la guerre d’Algérie a permis à la France de réduire ses efforts en matière de fonctionnement pour se concentrer sur l’équipement, c’est-à-dire sur l’industrie d’armement nécessaire à la réalisation de ses nouveaux objectifs, tels qu’ils étaient formulés dans les lois de programme.

    27C’est ce qu’il convient d’analyser plus en détails, en examinant successivement les contenus et les conditions des deux lois de programme. Comme on l’a montré, l’année 1965 constitue une année charnière. Dans une optique strictement économique et financière, il aurait sans doute été plus logique d’étudier d’abord la période 1960-1965 et ensuite la période 1966-1970. Mais comme il s’agit ici d’analyser la politique suivie en matière d’armement et que la première loi de programme se termine au 31 décembre 1964, il paru plus adapté de retenir cette date comme point de référence dans l’analyse qui suit.

    LA PREMIÈRE LOI DE PROGRAMME MILITAIRE (1960-1964) : UN PROGRAMME RESPECTÉ AVEC UN MINIMUM DE DÉRAPAGE FINANCIER

    28Un bref rappel historique s’impose. Ainsi que l’écrit M. Dorey, rapporteur au nom de la Commission des finances, des affaires économiques et du plan, de la 1re loi de programmation militaire, « c’est en 1956 que le gouvernement a confié au ministère des Armées la tâche d’étudier et de préparer la mise en œuvre de différents moyens d’ordre technique et financier capables de doter la France de moyens militaires thermonucléaires. La première ébauche de la loi de programme réalisée en ce moment ne concernait que cette partie des matériels militaires, c’est-à-dire la bombe et le vecteur balistique capable de la porter ».

    29À la suite de demandes présentées par l’industrie aéronautique, pour un plan de charge continu, il est devenu nécessaire d’élargir le cadre de cette loi de programme en y incluant les fabrications de matériel et de bâtiments destinés à l’armée de terre, à la marine et l’armée de l’air.

    30Au cours de l’été 1958, le chef de l’État a donné une impulsion nouvelle aux études en cours pour la constitution d’une force de frappe, fixant ainsi les éléments d’une doctrine nouvelle en matière de défense nationale. L’étude s’est alors poursuivie sous le ministère de Pierre Guillaumat et fut achevée peu après l’arrivée rue Saint-Dominique de Pierre Messmer. Après avoir suivi les étapes normales, le projet a été adopté dans sa forme définitive par le Conseil des ministres et déposé sur le bureau de l’Assemblée le 18 juillet 19602.

    Pourquoi une loi de programme ?

    31Trois raisons fondamentales semblent à l’origine de cette décision :

    • les caractéristiques particulières des équipements militaires en matière d’horizon temporel des études et leurs délais de fabrication. Le cadre budgétaire annuel se révèle inadapté par rapport à cette contrainte temporelle. Les armements modernes ne relèvent pas du court terme, ils s’inscrivent dans le long terme ;
    • un souci de définir une nouvelle politique militaire marquant la fin des guerres « coloniales » et permettant de faire entrer la France de plain-pied dans le contexte de la « guerre froide ». Cette politique renvoie à une doctrine de défense qui constitue, elle aussi, une référence de plus longue période ;
    • une attitude d’esprit vis-à-vis de l’avenir en général et de l’économie en particulier. On vise à la rationalisation et à la planification des activités économiques. Au niveau plus général, après le « petit plan intermédiaire » de juillet 1960-1961, le Conseil des ministres adopte le 25 mai 1960 un plan quadriennal qui deviendra « l’ardente obligation » que l’on sait.

    Quels objectifs ?

    32Son exposé des motifs demeure une source d’ambiguïté3. Trois missions essentielles s’en dégagent cependant : défendre l’indépendance nationale ; faire face à nos responsabilités de défense en Afrique et à nos obligations vis-à-vis de la « communauté » internationale ; assumer nos engagements pour la défense de l’Europe et du monde libre.

    33Dans l’esprit des dirigeants de l’époque, et en particulier du chef de l’État, la réalisation de ces missions nécessite d’abord que la France dispose d’un armement thermonucléaire national. Elle implique, en second lieu, l’usage permanent d’une force d’intervention interarmées de volume limité, mais de qualité suffisante pour faire face à des conflits conventionnels.

    34Ce double objectif implique une infrastructure industrielle adaptée aux caractéristiques nouvelles, capable de réaliser les armements nucléaires et de fabriquer un matériel classique hautement performant.

    Contenu et réalisation

    35« Ce projet se situe dans une enveloppe financière couvrant les cinq années 1960-1964 que le gouvernement a fixé à 31 160 millions de francs, en autorisations de programme. » Au total, un tiers environ (30,7 %) du titre V pour les années 1960-1964, est programmé selon la répartition suivante :

    Tableau 10 : Répartition du budjet (%) pour les années 1960-1964

    Image img10.jpg

    Note aa

    36Étant donné le décalage qui existe entre l’engagement des autorisations de programme et les paiements effectifs, le montant des dépenses est estimé à 9 434 millions pour les années 1960 et 1964. Il n’est pas sans intérêt de rapprocher ces prévisions des dépenses réellement effectuées sur la période, ce que met en évidence le tableau suivant.

    Tableau 11 : Prévisions des paiements pour la période 1960-1964

    Image img11.jpg

    Source : Rapport parlementaire

    37Sans entrer dans les détails, il est nécessaire de s’interroger à ce stade sur la cohérence générale de cette première loi de programme et sur son adéquation aux objectifs de politique de défense qui ont été rappelés.

    38Cet examen conduit à nous interroger sur l’articulation de notre politique de défense avec nos engagements internationaux dans le cadre, notamment, de l’Alliance atlantique, et à comparer notre effort militaire à ceux des autres membres de l’Alliance.

    39Sur le premier point, une opposition apparaît entre les partisans de « l’intégration » et les partisans d’une « force de dissuasion nationale » : la commission des affaires étrangères de l’Assemblée constate « qu’au terme de longs débats », elle se partage en « deux fractions égales » et ne peut que présenter « le résultat » de ses travaux.

    40Sur le second, M. Coudé du Foresto, dans son rapport à la commission des finances du Sénat sur la seconde loi de programme4, fournit un ensemble de chiffres reliés à l’exécution de la première loi qu’il introduit de la manière suivante : « Si nous prenons pour base la définition de l’OTAN des facteurs et dépenses de défense comprenant les dépenses militaires proprement dites au sens français du terme, auxquelles s’ajoutent les pensions et retraites des personnels militaires et civils des armées, mais dont on exclut les dépenses concernant la gendarmerie, considérée comme une force de police, le rapport des dépenses de 1963 au produit national brut (voir tableau 12) s’établit comme suit ».

    41La moyenne générale de l’OTAN ressort à 8,3 %, la moyenne européenne à 5,9 %. Ces chiffres sont certes différents de ceux présentés dans la première partie de cet exposé, mais ils ne les contredisent pas. L’écart s’explique par une définition différente de l’agrégat « défense militaire » et par une référence au produit intérieur brut marchand, au lieu du produit intérieur brut total. Quelle que soit la formule statistique retenue, l’effort militaire de la France apparaît sur cette période au-dessus de la moyenne européenne, entre l’Allemagne de l’Ouest et le Royaume-Uni.

    Tableau 12 : Dépense de défense en % du PNB (définition OTAN)

    Image img12.jpg

    Source : Rapport du Sénat.

    42Cet effort s’intègre dans une politique militaire définie par la décennie 1960-1970.

    43Comme l’exprime le rapport Maroselli, les objectifs du gouvernement sont clairs. Il s’agit de réaliser « en dix ans une transformation radicale de notre appareil de défense, en gérant à l’intérieur d’une enveloppe budgétaire dont le volume reste celui d’un budget militaire normal ». Cette optique à long terme doit être reliée au souci de disposer d’une politique militaire correspondant à la place que doit tenir la France au regard des autres pays. On se préoccupe dès cette époque de l’incidence de l’évolution des dépenses militaires sur l’économie.

    44Cette relation peut paraître évidente, mais on constate qu’il n’existe aucune étude systématique de cette question, ce que regrette vivement le rapporteur de la loi de programme. Deux problèmes particuliers font seulement l’objet d’une analyse sérieuse. Le premier porte sur la réduction des effectifs, tant militaires que civils, employés par le ministère de la Défense. Son ampleur se trouve illustrée par le tableau 13, établi par la direction du Budget en 1968.

    Tableau 13 : Comparaison des effectifs civils et militaires

    Image img13.jpg

    Source : note de la direction du Budget.

    45Certes, les effectifs réels n’ont pas coïncidé exactement en permanence avec les effectifs budgétaires, mais ces derniers donnent néanmoins une image relativement fidèle de la réalité : sur l’ensemble de la période, c’est environ 400 000 personnes qui sont rendues à la vie civile. Cette évolution est la bienvenue pour un marché important d’activités industrielles déjà touchées par la pénurie de cadres. Les responsables de l’époque sont conscients qu’il faudra aborder très vite « la question de la revalorisation de la condition militaire qui intéresse et les officiers, et les sous-officiers » si l’on veut maintenir la qualité des personnels militaires5.

    46Le second problème abordé est celui posé par les plans de charges des arsenaux militaires. Cette question doit cependant être examinée cas par cas. Pour la Marine, par exemple, le choix est clair : la tranche navale garantit l’activité à 100 % des arsenaux maritimes, mais aucun travail militaire n’est plus demandé aux arsenaux privés. Pour les établissements de la DEFA, la conclusion est plus nuancée : « Le personnel sera utilisé à 100 % (en réduisant peut-être de 17 à 15 le nombre des établissements), mais les capacités industrielles ne seront pas utilisées pleinement6. » Dans les usines aéronautiques, en revanche, où 60 % des commandes sont militaires, « il n’y a risque de crise que si les commandes civiles deviennent insuffisantes7. »

    47On peut toutefois en droit s’interroger sur le rôle du ministère des Finances pendant toute cette période. Il est clairement explicité dans une note sur la préparation du budget de 19648 : « Le problème des dépenses militaires doit être abordé par le Département sous l’angle de ce qu’il est possible de leur affecter économiquement et financièrement9. » Cette observation prendra toute sa valeur à la lumière des lois de programme qui se sont succédé depuis. Pour ce qui est de cette première loi, il importe de rappeler que la période de croissance qu’a traversée la France, favorisée par une stabilité du prix mondial du pétrole et des matières premières, a sans doute contribué à masquer cette face économique des contraintes rencontrées dans la programmation militaire.

    48Au terme de cette approche globale de la réalisation de la première loi de programme militaire, trois observations s’imposent :

    • la priorité attribuée à la réalisation de la force nucléaire stratégique a été respectée malgré les difficultés financières entraînées par les délais de réalisation de Pierrelatte ;
    • des retards sont apparus dans la réalisation de certains matériels conventionnels : le programme de 50 Mirage IV, par exemple, n’a été achevé qu’en novembre 1966, des réductions de séries ont été enregistrées (2 croiseurs lance-engins réalisés au lieu de 3 prévus...), mais le seul programme totalement abandonné a été celui de l’ancien transport léger, « compensé » par l’achat de Crusader et de KC 135 ;
    • le coût réel des programmes a été sous-évalué, soit volontairement pour « faire passer » la réalisation d’un matériel, soit involontairement, en raison des inconnues rencontrées dans la réalisation de la FNS. Globalement, cependant, ces dérapages sont restés relativement limités durant cette période.

    LA SECONDE LOI DE PROGRAMME MILITAIRE (1965-1970) : UN NOYAU DUR RESPECTÉ AU PRIX DE REPORTS ET D’ALLONGEMENTS DES DÉLAIS D’EXÉCUTION

    49La deuxième loi de programme présente plusieurs différences notoires par rapport à la précédente. Le domaine couvert, tout d’abord, n’est pas identique. Il s’agit certes toujours uniquement de l’équipement (titre V du budget). Mais, tandis que la première loi ne représentait qu’environ un tiers de la totalité des programmes lancés durant cette période, soit 11 milliards de francs sur 32, la seconde loi concerne les deux tiers des programmes dont le montant en valeur a beaucoup crû, puisque le volume des crédits de la deuxième loi de programme s’élève à 55 milliards de francs courants sur un total de 80.

    50En outre, cette deuxième loi de programme s’étend sur une période de six ans, contre cinq pour la première. Enfin, elle comporte par rapport à la première plusieurs innovations techniques, dont la principale est la création de réserves destinées à couvrir les aléas techniques ainsi que les aléas industriels dus aux enchaînements des programmes dans leur réalisation. Ce dispositif prévoyait 5 milliards pour la première catégorie d’aléas et 3,25 milliards pour la seconde. Cette précaution s’imposait, dès lors que, comme la première loi, la seconde était seulement définie en termes d’autorisations de programmes et non pas de crédits de paiement. Or le nombre des programmes votés s’étant considérablement accru, les sources d’incertitude augmentaient en proportion, ainsi que les aléas rencontrés dans leur réalisation.

    51Avant de porter un jugement d’ensemble sur sa réalisation et de souligner les difficultés rencontrées dans son exécution, il est nécessaire de revenir sur les spécificités méthodologiques qui ont inspiré la programmation militaire française. En effet, si les conséquences de la méthodologie mise en œuvre n’ont pu être mesurées complètement qu’à partir de la troisième loi de programmation, c’est-à-dire après la période étudiée, c’est durant les années de l’exécution de cette seconde loi que ce travail de réflexion, entrepris dès 1961, a abouti à ce qu’est devenue la programmation militaire : une méthodologie d’inspiration américaine adaptée au modèle français de l’armement.

    52L’élaboration des deux premières lois de programme, ancêtres de la loi de programmation militaire (ce changement d’appellation n’est pas neutre) a correspondu à une transformation méthodologique profonde qui n’a porté ses fruits qu’à partir de la troisième loi, mais qui explique pour une part importante les différences observées entre la première et la seconde durant la période étudiée. Il est donc nécessaire d’en rappeler ici l’esprit et les principales étapes de la réalisation.

    Méthodologie

    53Dès 1961, la Délégation ministérielle pour l’armement (DMA), qui a précédé l’actuelle Délégation générale pour l’armement (DGA), a été créée par Pierre Messmer, alors ministre des Armées. En son sein a été conçue une Direction des recherches et moyens d’essais (DRME) qui s’est dotée rapidement d’une toute nouvelle cellule de prospective intitulée Bureau d’orientation prospective (BPO). En 1964, le BPO est placé sous l’autorité directe du ministre et voit son domaine étendu sous l’appellation de Centre de prospective et d’évaluation (CPE). Dès la première loi de programme, la mission du CPE est clairement définie : il s’agit d’orienter rationnellement les programmes d’armement à long terme qui vont s’inscrire dans une programmation d’abord quadriennale, puis quinquennale.

    54Du point de vue de la méthode, le CPE vise d’abord à adapter aux spécificités françaises un système mis au point par le Pentagone aux États-Unis sous l’appellation de Planning, Programming and Budgeting System (PPBS). Une première traduction presque directe en a d’abord été donnée sous le nom de 3PB, avant de devenir en 1968 la « rationalisation des choix budgétaires » (RCB). Il serait inopportun d’entrer ici dans le détail de cette méthode, ou de discuter ce qui a finalement distingué le système français de la RCB du PPBS américain. On se contentera de deux observations.

    • En premier lieu, cette approche programmée des choix budgétaires qui a pris naissance en matière d’armement s’est progressivement élargie à l’ensemble de la défense avant d’intéresser à son tour les activités civiles (équipements civils, transports, industrie...). Le caractère pionnier joué en la matière par l’armement doit, pour cette raison, être souligné. Il s’explique par son inspiration délibérément interdisciplinaire.
    • En second lieu, l’idée d’une programmation à moyen terme des grands programmes d’armement, dont le projet initial remonte à Pierre Guillaumat, a progressivement rejoint le souci d’une direction par objectif destinée à optimiser l’allocation des ressources budgétaires qui émanait principalement du corps de contrôle des armées10.

    55Pratiquement, les principes qui gouvernent la RCB reposent sur trois idées directrices. D’une part l’exercice, destiné à guider les choix des responsables politiques, se trouve éclairé par une vision à long terme traduite dans des scénari prospectifs à un horizon de dix ans. D’autre part, un chiffrage est effectué des voies et moyens nécessaires pour réaliser les objectifs traduits par ces scénari (programmation). Enfin, les budgets annuels sont reliés à cette programmation par une série d’indices destinés à évaluer son exécution et à mesurer ses coûts. Si la mise en application de ce système complet ne commence à fonctionner qu’en 1968, c’est-à-dire avec la troisième loi de programmation (1970-1975), certaines de ces dispositions sont intervenues antérieurement et son influence se manifeste dès la seconde loi de programme étudiée ici.

    CONCEPTION ET RÉALISATION

    56Le tableau 1411 permet tout à la fois de montrer comment s’est effectuée la soudure, en 1965, entre la première loi et la seconde loi de programmation et d’évaluer l’importance prise par cette méthodologie de programmation des équipements militaires en comparant le pourcentage des crédits d’équipements en 1960 et en 1970 (colonne 3).

    Tableau 14 : Part des crédits d’équipement programmés au budget de la Défense (en francs courants)

    Image img14.jpg

    Source : Rapport au Parlement sur l'exécution et l'actualisation de la loi n° 76.531 du 19 juin 1976.

    57L’examen de ce tableau permet de formuler trois observations intéressantes. En premier lieu, le système de programmation entraîne un problème de soudure. Ainsi la première année couvrant la deuxième loi de programme est-elle marquée par une baisse du pourcentage des crédits de paiement inscrits dans la loi de programme par rapport au montant total des crédits de paiement du titre V du budget qui est passé de 25,4 % en 1964 à seulement 19,3 % en 1965. Ce phénomène s’accentuera par la suite du fait des transformations intervenues dans le domaine couvert par la loi et/ou par des modifications dans les outils utilisés pour élaborer ces lois. Il a nécessité notamment le recourts à une loi d’actualisation en 1976 et a privé la France de loi de programmation en 1983.

    58En second lieu, la progression de l’encadrement des équipements militaires par la loi de programme s’est progressivement accrue au cours de la période, puisque son ratio est passé de 47,3 % en 1996 à 74,1 % en 1970. La montée en puissance du dispositif ne s’est pas seulement effectuée d’une loi de programme à l’autre, mais elle s’est également déroulée tout au long de son exécution budgétaire, suivant en cela la logique de programme industriel à moyen et long termes.

    59Enfin, la traduction budgétaire de cette évolution générale n’est pas linéaire. Des différences sensibles sont apparues selon les années au moment de l’exécution de la première loi. Le profil de la seconde loi est cependant beaucoup moins heurté que celui de la première, à l’exception du saut observé en 1967. Neuf grands programmes supplémentaires par rapport à la première loi font l’objet de cet encadrement, et la part de la FNS, qui reste très importante, ne représente plus que 41 % du montant total inscrit dans la seconde loi de programme. Cette plus grande diversification explique en partie que la programmation militaire ait acquis pendant cette période une sorte de vitesse de croisière budgétaire.

    Évolution et conséquences macroéconomiques

    60D’un point de vue macroéconomique, il faut observer en premier lieu le taux de 4 % de croissance moyenne annuelle en termes réels (francs constants). Ce résultat constitue une performance d’autant plus remarquable que le taux de croissance mesurée par le PIB s’est ralentie par rapport à la période couverte par la première loi de programme. Il prouve que, par-delà les bouleversements politiques et les accidents dus à la conjoncture économique, la priorité donnée à notre option nucléaire a été maintenue avec l’ensemble de ses retombées industrielles.

    61Ce résultat a été acquis en dépit de la décroissance continue de la part du budget de la Défense dans le PIB, qui se situait sensiblement en dessous de 4 % à la fin de la période. Mais il n’était plus, cette fois, imputable à la croissance économique, au moins à partir de 1968, mais à la seule gestion des finances publiques.

    62Une analyse plus détaillée des conditions d’exécution de la seconde loi de programme exige de suivre la répartition des crédits de paiement des budgets annuels votés par armes et de prendre en compte les reports. Le tableau 15 en offre une représentation synthétique.

    Image img15.jpg

    Source : ministère de la Défense
    Graphique 1 : Évolution du PIB et du budget de la Défense nationale en terme relatif (base 100 = 196)

    Tableau 15 : Montant et répartition des dépenses annuelles d’équipement militaire (1965-1969) (en millions de francs courants)a

    Image img16.jpg

    Source : Le Mouvement économique en France (1949-1979) – séries longues macro-économiques, Paris, INSSE, mai 1981.

    63On y voit clairement que les crédits d’équipements n’ont pas été répartis de manière égalitaire entre les trois armées. C’est à l’évidence la Marine dont les crédits sont le plus rapidement passés de 870 à 2 496 millions de francs. À l’opposé, l’armée de l’air a vu ses crédits d’équipements baisser en francs constants et même courants (1968) avant la reprise de 1969. Mais le phénomène le plus intéressant, d’un point de vue économique et financier, réside dans l’accélération des reports de crédits après 1967 (dernière colonne).

    64Outre les effets pervers de cette pratique sur les coûts des matériels, on observe l’amorce d’un mini-cycle des reports internes à l’intérieur de chaque programme. Après un démarrage modeste (1965-1967), les reports s’accélèrent brutalement (1968-1969) avant d’être freinés en fin de période (1970). Ce schéma général va s’amplifier au cours des lois de programme suivantes, entraînant son cortège de perturbations et de déséquilibres, dus notamment aux déformations engendrées par son anticipation de la part des industriels de l’armement.

    CONCLUSION : UN BILAN ÉCONOMIQUE PROVISOIRE

    65Que conclure de ces deux premières lois de programme concernant leur impact sur l’économie de la France ? Deux idées fortes méritent d’être retenues qui se trouveront du reste confirmées par les lois de programmation militaires successives qui les ont suivies. D’une part, cette procédure de programmation a permis aux équipements militaires de jouir d’une relative indépendance par rapport aux mouvements de la conjoncture économique générale, dans un mouvement tendanciel, certes ascendant (voir graphique 1).

    66D’autre part, elle s’est révélée jouer un rôle contre-cyclique non négligeable. La comparaison de l’évolution des taux de variation des investissements militaires et civils est à cet égard significative. On a déjà vu, par exemple, que la baisse de croissance des investissements civils en 1967-1969 a peu affecté les programmes militaires, qui ont, au contraire, rapidement rebondi à partir de 1968. Cette tendance s’est encore affermie par la suite, où le profil très chahuté des investissements civils entre 1983 et 1988 a coïncidé avec un maintien continu, voire une accélération en 1986-1987 de la croissance des investissements d’équipements militaires. Ces éléments globalement favorables ne doivent pas pourtant contribuer à minimiser les effets négatifs qui ont pu être dénoncés, en particulier en matière de report de programme et d’allongement des délais.

    67Tout ceci n’a cependant été rendu possible que par la volonté politique des dirigeants de l’époque.

    Annexe

    ANNEXES

    Projets de loi de finances et de lois de règlements de 1960 à 1970

    Loi de programme n° 60-1305 du 8 décembre 1960 relative à certains équipements militaires

    Travaux préparatoires

    Assemblée nationale

    • projet de loi n° 784
    • rapport de M. Dorey, au nom de la commission des finances (n° 870)
    • avis de la commission de la Défense nationale (n° 882)
    • avis de la commission des affaires étrangères (n° 887)
    • discussion les 12, 15, 19, 20 et 21 octobre 1960 : adoption après discussion d’urgence, le 21 octobre 1960.

    Sénat

    • projet de loi adopté par l’Assemblée nationale (n° 20) [1960-1961]
    • rapport de M. André Maroselli, au nom de la commission des finances (n° 30) [1960-1961]
    • avis de la commission des affaires étrangères (n° 31) [1960-1961]
    • discussion les 8 et 9 novembre 1960 : rejet le 9 novembre 1960.

    Assemblée nationale

    • projet de loi, rejeté par le Sénat (n° 946)
    • rapport de M. Dorey, au nom de la commission mixte paritaire (n° 934)
    • rapport de M. Dorey, au nom de la commission des finances (n° 933)
    • discussion les 17, 18 et 22 novembre 1960. Adoption le 22 novembre 1960.

    Sénat

    • projet de loi considéré comme adopté par l’Assemblée nationale en deuxième lecture (n° 86) [1960-1961]
    • rapport d’André Maroselli. au nom de la commission mixte paritaire (n° 83) [1960-1961]
    • rapport d’André Maroselli au nom de la commission des finances (n° 86) [1960-1961]
    • avis de la Commission des affaires étrangères (n° 68) [1960-1961]
    • discussion et rejet le 30 novembre 1960.

    Assemblée nationale

    • projet de loi par le Sénat (n° 1003)
    • rapport de M. Dorey, au nom de la commission des finances (n° 1003)
    • discussion les 1er, 3 et 6 décembre 1960
    • adoption le 6 décembre 1960.

    Loi de programme n° 64-1270 du 23 décembre 1964 relative à certains équipements militaires

    Travaux préparatoires

    Assemblée nationale

    • projet de loi n° 1155
    • rapport d’Hubert Germain, au nom de la commission des finances (n° 1195)
    • avis de la commission de la Défense nationale (n° 1192)
    • avis de la commission des affaires étrangères (n° 1196)
    • discussion les 1er et 2 décembre 1964. Adoption après discussion d’urgence, le 2 décembre 1964.

    Sénat

    • projet de loi adopté par l’Assemblée nationale (n° 59) [1964-1965]
    • rapport de M. Coudé du Foresto, au nom de la commission des finances (n° 64) [1964-1965]
    • avis de la commission des affaires étrangères et de la Défense (n° 64) [1964-1965]
    • discussion et rejet le 9 décembre 1964.

    Assemblée nationale

    • rapport d’Hubert Germain, au nom de la commission mixte paritaire (n° 1245).
    • Sénat
    • rapport de M. Coudé du Foresto, au nom de la commission mixte paritaire (n° 88) [1964-1965].

    Assemblée nationale

    • projet de loi adopté par le Sénat (n° 1241)
    • rapport d’Hubert Germain, au nom de la commission des finances (n° 1247)
    • discussion et adoption le 15 décembre 1964.

    Sénat

    • projet de loi adopté par l’Assemblée nationale (n° 94) [1964-1965]
    • rapport de M. Coudé du Foresto, au nom de la commission des finances
    • discussion et rejet le 16 décembre 1964.

    Assemblée nationale

    • projet de loi adopté par le Sénat (n° 1255)
    • rapport d’Hubert Germain, au nom de la commission des finances
    • discussion et adoption le 16 décembre 1964.

    Notes de bas de page

    1 Alain Peyrefitte, C’était de Gaulle, Paris, Fayard, 2000.

    2 JO du 31 octobre 1961, annexes n° 870.

    3 Cf. documents de l’Assemblée nationale – annexe 784.

    4 Loi de programme au Sénat, n° 60.

    5 Rapport de G. Palewski sur les crédits du budget des armées pour 1961. JO p. 777.

    6 Rapport Le Theule. JO p. 515.

    7 Ibid., p. 515.

    8 Note B/2. 63.04.23/lb2 signé Martinet, annexe D.

    9 Source : SAEF b 8525.

    10 Cf. mission Louff.

    11 L’assiette retenue pour cette série n’est pas exactement la même que celle qui a servi à établir les séries précédentes (tableau 1 et 7 notamment). Les différences sont néanmoins minimes.

    Notes de fin

    a Soit 19,4 % de l’enveloppe totale de 31 160 millions de francs.

    a Le tableau 13 permet tout à la fois de montrer comment s’est effectuée la soudure en 1965 entre la première loi de programme et la seconde loi de programmation et d’évaluer l’importance prise par La gendarmerie, dont le montant ne représente qu’environ 2 % d’équipements militaires, a été omise.

    Auteurs

    • Christian Schmidt

      Christian Schmidt : professeur à l’université Paris-Dauphine, il dirige le laboratoire d’économie et de sociologie des organisations de défense qu’il fonda en 1984. Il préside l’Association française des économistes de défense et l'IDEA qu’il créa en 1986. Il fait partie du comité de rédaction des principales revues internationales spécialisées dans ces domaines. Il publia en 1991 Penser la guerre, penser l’économie et travaille actuellement sur la restructuration des industries d’armement dans le monde ainsi que sur l’application de la théorie des jeux aux différents problèmes posés par ce secteur.

    • Guy Vidal

      Guy Vidal : receveur général des finances honoraire, il effectua la majeure partie de sa carrière à la direction du Budget, où il a été affecté à sa sortie de l’École nationale d’administration. Conseiller technique du ministre de l’Économie et des Finances en 1965-1966, directeur adjoint du cabinet du ministre en 1974-1975, il fut successivement directeur général des Douanes et directeur du Budget. Depuis 1982, il enseigne à Paris-Dauphine, où il dirige un séminaire de recherche sur le thème des politiques budgétaires comparées.

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    1 Alain Peyrefitte, C’était de Gaulle, Paris, Fayard, 2000.

    2 JO du 31 octobre 1961, annexes n° 870.

    3 Cf. documents de l’Assemblée nationale – annexe 784.

    4 Loi de programme au Sénat, n° 60.

    5 Rapport de G. Palewski sur les crédits du budget des armées pour 1961. JO p. 777.

    6 Rapport Le Theule. JO p. 515.

    7 Ibid., p. 515.

    8 Note B/2. 63.04.23/lb2 signé Martinet, annexe D.

    9 Source : SAEF b 8525.

    10 Cf. mission Louff.

    11 L’assiette retenue pour cette série n’est pas exactement la même que celle qui a servi à établir les séries précédentes (tableau 1 et 7 notamment). Les différences sont néanmoins minimes.

    a Soit 19,4 % de l’enveloppe totale de 31 160 millions de francs.

    a Le tableau 13 permet tout à la fois de montrer comment s’est effectuée la soudure en 1965 entre la première loi de programme et la seconde loi de programmation et d’évaluer l’importance prise par La gendarmerie, dont le montant ne représente qu’environ 2 % d’équipements militaires, a été omise.

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    Schmidt, C., & Vidal, G. (2002). Le contexte économique et financier des deux premières lois de programme militaire. In M. Vaïsse (éd.), Armement et ve République. Paris: CNRS Éditions. https://doi.org/10.4000/books.editionscnrs.3262
    Schmidt, Christian, et Guy Vidal. « Le contexte économique et financier des deux premières lois de programme militaire ». In Armement et ve République, édité par Maurice Vaïsse. Paris: CNRS Éditions, 2002. doi:10.4000/books.editionscnrs.3262.
    Schmidt, Christian, et Guy Vidal. « Le contexte économique et financier des deux premières lois de programme militaire ». Armement et ve République, édité par Maurice Vaïsse, CNRS Éditions, 2002, https://doi.org/10.4000/books.editionscnrs.3262.

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    Vaïsse, M. (éd.). (2002). Armement et ve République. Paris: CNRS Éditions. https://doi.org/10.4000/books.editionscnrs.3241
    Vaïsse, Maurice, éd. Armement et ve République. Paris: CNRS Éditions, 2002. doi:10.4000/books.editionscnrs.3241.
    Vaïsse, Maurice, éditeur. Armement et ve République. CNRS Éditions, 2002, https://doi.org/10.4000/books.editionscnrs.3241.
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