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La signature scientifique

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David Pontille

Chapitre 6. Travail, signature et auctorialité en science

Texte intégral

Organiser la vie d’un laboratoire, répartir la
responsabilité et le crédit, établir la base et
l’envergure de l’autorité, et souvent de
manière litigieuse, décider qui devrait ou ne
devrait pas apparaître comme un auteur –
tous ces éléments sont discutés quotidiennement,
et à juste titre, par les scientifiques
et les techniciens comme des questions morales.
En même temps, les réponses pratiques
à ces questions révèlent les conceptions
sur le fonctionnement de la science et sur
le type de travail qui est perçu comme important
dans la production de la connaissance scientifique.
Steven Shapin 1989, p. 562.

1Comprendre comment s’effectue l’agencement des signatures requiert d’appréhender le collectif des personnes qui s’engagent dans un même projet. Présentes physiquement au cours de la recherche, ces personnes occupent une place dans l’espace graphique qui renseigne sur les repères guidant la mise en ordre sociale des chercheurs et graphique des signatures. Mais parce que ces repères ne sont pas stabilisés une fois pour toutes, les chercheurs engagés dans une même recherche doivent s’entendre sur la hiérarchisation des différentes opérations de recherche, c’est-à-dire s’accorder sur celles qu’ils jugent plus importantes que les autres ou sur les combinaisons de celles qui permettent de basculer des remerciements à la liste des signataires. Bien que cette entente soit définie dans le cours de l’interaction, elle repose également sur l’organisation du travail, qui n’est pas la même dans l’ensemble de l’activité scientifique. Les espaces disciplinaires jouent un rôle important dans la mise en ordre des activités de recherche, mais aussi de signature. Nous l’avons vu au chapitre précédent, dans certains espaces disciplinaires la signature individuelle est privilégiée, alors que dans d’autres c’est la cosignature qui est la règle. Les combinaisons qu’effectuent les chercheurs entre la division du travail et l’agencement des noms sur les publications s’inscrivent dans un espace interactionnel qui définit les possibles. Comprendre comment les chercheurs répondent en pratique à la question « qui signe l’article ? », c’est donc interroger les activités qui garantissent la distribution des opérations de recherche entre les personnes et la définition des repères d’agencement des noms sur les publications.

  • 1 Sur ce lien voir Leclerc (1996) ; Zimmermann (2001).
  • 2 Le pseudonymat ou l’anonymat montrent la force de cet engagement. Certains livres ne sont pas signé (...)

2Mais parallèlement se joue la qualification de ceux qui se verront attribuer le travail accompli. Questionner les modalités de signature, c’est aussi adopter une perspective spécifique pour interroger la notion d’« auteur », être attentif aux figures singulières de l’auteur qui sont élaborées dans les activités quotidiennes. Dans son étude des prix Nobel, Zuckerman (1977) a montré comment le travail d’attribution – l’agencement des signatures et le « noblesse oblige » –, se joue en partie dans la relation maître-apprenti. En science, la capacité de signer semble dépendre en grande partie du statut social des personnes, elle est intimement liée à l’autorité institutionnelle (Shapin 1989, 1994). Si, de nos jours, la notion d’auteur réfère à la création originale strictement individuelle garantissant des droits de propriété (mis en place au début du xviiie siècle), elle est simultanément chargée d’une autre signification, beaucoup plus ancienne, qui « s’appuie sur une conception de l’écrit comme moyen d’agir » (Fraenkel 1997, p. 265). La notion d’auteur (auctor) est liée à celle d’autorité (auctoritas)1. Bien avant de garantir des droits sur des formes artistiques, elle renvoie à l’autorité conférée par l’écrit, elle engage la responsabilité et oblige à assumer les conséquences de ses actes énonciatifs2. L’auctorialité scientifique se joue dans l’articulation complexe de ces deux formes de présence dans les objets produits : la première met l’accent sur le crédit qu’en retire le producteur tandis que la seconde privilégie la responsabilité du contenu des énoncés. Dans les deux cas, crédit et responsabilité sont cependant considérés comme absolus. Le premier n’est pas transférable et la seconde n’est pas divisible. Interroger les figures de l’auteur scientifique, c’est donc questionner les manières dont sont définis et articulés ces deux registres en pratique.

La figure de l’auteur « absolu » en droit

  • 3 En droit, les articles cosignés sont généralement le résultat d’une recherche effectuée en droit co (...)

3Bien que la cosignature d’articles soit rare dans la recherche juridique3, la relation maître-apprenti s’exprime d’une manière spécifique dans les pratiques de signature.

La force du patronage

4En effet, le nouveau docteur en droit n’a pas fini son apprentissage : il est tenu par la relation hiérarchique qui le lie à son directeur de thèse.

En droit, le CNU exige en principe la thèse, plus un article. [...] Donc le professeur va conseiller au jeune docteur de faire un article sous la direction d’un autre professeur dans une spécialité un peu différente de la thèse, pour que ça n’apparaisse pas comme un résumé de la thèse. En général, le professeur propose un ou plusieurs sujets, commentaire d’une décision de justice ou article sur un thème particulier. Vous le rédigez, vous lui présentez votre travail. [...] Et lorsqu’il est d’accord, il donne son imprimatur en quelque sorte, et à ce moment-là on fait publier (un juriste, n° 48).

5L’article est monosigné par le jeune docteur comme l’exigent les procédures d’évaluation de cet espace disciplinaire. Néanmoins, la responsabilité du travail est en partie partagée avec le professeur : c’est lui qui choisit le thème du texte et encadre le déroulement du travail. Bien que sa part de responsabilité ne soit pas rendue visible dans la signature de l’article, elle est effective. Mais cette responsabilité du professeur va plus loin et renseigne du même coup sur la forme de l’autorité dans la publication en droit :

Lorsqu’on est professeur, en général on n’a pas beaucoup de difficultés pour faire passer un article. C’est-à-dire qu’on choisit le thème de travail, et en fonction de celui-ci, on envoie l’article à tel type de revue ou tel autre. [...] La situation d’un jeune assistant est différente parce qu’en général, il faudra qu’il soit un peu parrainé, disons, par un professeur, par quelqu’un qui le connaît. Puis il y a des situations intermédiaires entre l’assistant, le maître de conférences et le professeur : on a plus ou moins accès aux revues. Mais en tant qu’assistant, souvent vous faites un article sous la direction d’un professeur qui, lui-même, ensuite se chargera plus ou moins de vous trouver une revue de publication. Donc, ce n’est pas vous qui faites les démarches (un juriste, n° 48).

  • 4 Cette accessibilité des revues en fonction du grade est signalée dans l’ensemble des entretiens men (...)

6L’accès à la publication en droit semble structuré par le grade : plus le juriste est élevé dans la hiérarchie, plus la publication dans les revues est facile et ouverte4. De ce fait, le lien qui engage le professeur à l’apprenti juriste se maintient après la thèse. Parce qu’elle est inscrite dans les activités de formation juridique, cette procédure d’accompagnement n’implique cependant pas l’apposition du nom du professeur sur l’article du jeune docteur. Ce texte exprime le travail personnel de réflexion et d’interprétation de ce dernier. Il est donc l’unique signataire évalué par les instances de recrutement. Bien qu’effective dans le choix du thème, l’encadrement du travail et le soutien auprès d’une revue, la responsabilité du professeur n’est donc pas visible. Pourtant, l’engagement du professeur dans l’encadrement du travail d’un apprenti juriste déborde largement le cadre de sa thèse : il l’accompagne tout au long de sa carrière.

J’aide les jeunes dans leurs articles, c’est-à-dire que s’ils me le demandent, j’essaie de trouver un sujet d’article qui soit porteur pour eux pour les concours, je les lis, comme je fais pour les thèses, quoi. Même quand ils sont devenus maîtres de conférences, il m’arrive de les aider, de les relire, de leur corriger les fautes, de leur trouver un éditeur. Parce que quand une lettre de demande de publication vient d’un professeur, c’est toujours pris plus en considération que si ça vient du jeune lui-même. Il y a une hiérarchie très forte, surtout chez nous (une juriste, n° 49).

  • 5 Je rappelle que la recherche en droit ne passe pas par une confrontation empirique de collecte de d (...)

7Cette forme particulière de « noblesse oblige » de la part des professeurs renvoie aux conditions de production des connaissances juridiques (cf. chapitre 5). Le travail de recherche contient la majorité des opérations de recherche résumées dans le tableau 4-5 : la conception, l’investigation, l’analyse, la littérature et l’écriture5. L’encadrement et la relecture du travail par un maître ne signifient en aucun cas que celui-ci participe « activement » au travail de production de l’apprenti. Ces opérations de recherche ne sont pas considérées comme centrales. Le maître accompagne l’apprenti et facilite l’étape finale de sa publication. Cette hiérarchisation des opérations de recherche est également légitimée par les procédures d’évaluation, qui valorisent uniquement les publications individuelles. Le rôle d’encadrement du professeur, même s’il est connu et légitime, est donc effacé dans les pratiques de signature.

Cosignature et hiérarchie

8Dans les rares cas de cosignature, la présence de l’autorité est en revanche d’autant plus importante.

[Il m’arrive de cosigner] avec un collègue qui travaille dans le même domaine que moi, qui est un petit peu le professeur avec qui j’ai commencé à travailler lorsque je suis arrivé à la fac. Et on cosigne des articles en particulier dans une revue d’experts comptables, on a pris l’habitude de cosigner. Il a sans doute une dimension pratique que j’ai moins, et moi j’ai peut-être une dimension théorique qui n’est pas aussi forte chez lui, donc on s’équilibre comme ça. [...] Mais il est entre guillemets hiérarchiquement à un niveau plus important que moi puisqu’il a quinze ans de plus, donc c’est lui qui signe systématiquement en premier. Euh... c’est peut-être aussi un hasard, parce que c’est par ordre alphabétique qu’on fait apparaître nos signatures. Mais naturellement si j’avais à préparer un article sans réfléchir à ce critère-là, je mettrais son nom en premier, parce que c ’est quelqu’un qui est plus ancien, qui m’a formé. C’est un peu le rapport traditionnel universitaire, beaucoup plus décrispé qu’avant, mais quand même du maître et de l’élève, qui se retrouve (un juriste, n° 46).

9La collaboration, qui dans ce cas est régulièrement partagée à égalité, s’exprime dans les publications par l’ordre alphabétique. Cependant, le lien qui unissait l’apprenti (devenu maître de conférences) à son maître (professeur) reste structurant encore aujourd’hui : l’ordre alphabétique correspond en fait au critère d’agencement principal des signatures qu’est le statut institutionnel des chercheurs. En droit, l’autorité institutionnelle est donc un repère important pour mettre en ordre les noms, qui supplante les opérations de recherche, même lorsqu’elles sont complémentaires et équitablement partagées. Mais l’ancienneté est également déterminante lorsque les collaborateurs ont le même statut hiérarchique :

J’ai été le collaborateur d’un de mes professeurs. J’étais moi-même professeur, mais enfin il reste, il restera pour toute ma vie mon professeur... Donc nous avons signé ensemble et j’ai collaboré à cet ouvrage [en me le montrant sur l’étagère]. [...] Et dans cette collaboration, c’est lui qui au fond a eu l’idée du livre, c’est lui qui en avait la matière première, qui dans une très large mesure a tenu la plume. Et j’ai apporté véritablement ma collaboration du plus jeune : la documentation, la discussion, tout l’appareil critique, etc. [...] Dans la mesure où il était le maître d’œuvre de cet ouvrage, et qu’il était mon patron, c’est lui qui passait en tête et moi ensuite (un juriste, n° 47).

10Dans ce cas de collaboration, les opérations de recherche sont divisées. Mais du fait de l’ancienneté d’un des deux signataires, cette division du travail est hiérarchisée : l’apprenti, devenu professeur, garde la place qu’il avait lorsqu’il travaillait sous la direction de son professeur. Cette place assigne simultanément à la conduite d’un ensemble d’opérations (l’apport de la documentation et la discussion) et un espace d’inscription dans l’ordre des noms : la seconde position. L’ordre des signatures est agencé selon deux repères : le statut institutionnel, mais aussi l’âge des cosignataires. Cette double hiérarchie s’exprime d’ailleurs avec d’autant plus de force que la coopération s’effectue entre un professeur et ses étudiants :

Il m’est arrivé d’avoir donné des mémoires d’étudiants en DEA sur un sujet que moi-même je travaillais par ailleurs. Et pendant que je travaillais sur ce travail, et qu’eux faisaient ce mémoire – c’était des sujets parallèles évidemment, ce n’est pas le même sujet –, il m’est arrivé d’aller à des colloques pour en parler. Alors je les ai associés à mon travail, c’est-à-dire que j’ai rédigé entièrement l’article bien sûr, mais j’ai utilisé ce qu’ils avaient fait, leur mémoire, la documentation qu’ils avaient dépouillée. Et nous avons signé récemment deux fois l’article à deux, c’est-à-dire l’étudiant et moi. [...] Pour ces articles, je pense que j’aurais fait sans doute pareil [qu’avec mon patron]. Mais le « sans doute pareil » ne s’est pas posé, puisque dans l’ordre alphabétique, je passais de toute façon avant. Donc, on pourra toujours dire que c’était l’ordre alphabétique. Mais je pense que j’aurais quand même signé le premier et l’étudiant en second. Ce qui me paraît de plus normal. Dans la mesure où, aussi bien avec mon patron, c’était lui qui était le maître d’œuvre, qui avait eu l’idée, et j’avais collaboré avec lui [en insistant] ; autant avec les étudiants, c’est moi qui étais aussi le maître d’œuvre et ils ont collaboré avec moi [en insistant] (un juriste, n° 47).

11Si, à première vue, l’ordre alphabétique semble majoritairement adopté dans les cas de cosignature entre juristes, cette mise en ordre n’est pas la plus structurante. Il se trouve qu’elle correspond à la mise en ordre par le statut institutionnel, qui est déterminant pour agencer les signatures en droit (comme le montre l’insistance sur la dissymétrie de la collaboration : « ils ont collaboré avec moi »). La répartition des opérations de recherche entre les participants est, bien entendu, prise en ligne de compte, mais elle s’effectue précisément en fonction du statut des cosignataires. Dans une situation de collaboration qui débouche sur une cosignature, le professeur est en général à l’origine du thème de la recherche, de l’idée de faire un livre ou un article, et de l’écriture de la quasi-totalité de la publication. C’est également lui qui a accès aux maisons d’édition et aux revues. Le rôle de l’apprenti, qu’il soit étudiant ou bien devenu maître de conférences, voire professeur, est de seconder le professeur dans son travail d’analyse en apportant la documentation et en contribuant aux remaniements du manuscrit par une discussion. Ce travail de second est affiché dans l’ordre des signatures de la publication. Mais même lorsque la collaboration débouche régulièrement sur des publications cosignées et que les opérations de recherche sont partagées à égalité entre des juristes de statut équivalent, l’ex-apprenti se place en seconde position.

12La primauté du corps hiérarchique est donc constamment affichée dans l’ordre des signatures. Son effacement n’intervient que dans une situation particulière : celle où l’apprenti doit rédiger un article en plus de sa thèse pour passer l’épreuve de candidature à un poste. Dans ce cas précis, le professeur est bien présent par son encadrement, mais il reste dans les coulisses. La majorité des opérations de recherche est assumée par le nouveau docteur, qui rédige et interprète seul la documentation qu’il a recueillie. Une fois qu’il a fait ses preuves et qu’il a été recruté, si le jeune maître de conférences collabore à nouveau avec son professeur, il reprend sa place.

13Bien que la recherche juridique repose sur une démarche interprétative des textes qui engage généralement une seule personne, une partie du travail peut être divisée en séparant des autres opérations la compilation des documents qui serviront de base à l’analyse. Il semble que ce travail revienne généralement aux subordonnés qui se retrouvent en seconde position dans les cosignatures. Mais du fait que les procédures d’évaluation de cet espace disciplinaire repose sur la valorisation du travail d’interprétation individuel, il est fort possible que cette division du travail, bien qu’effective, ne soit pas affichée dans tous les cas. L’importance accordée au statut des personnes renforce et légitime d’ailleurs cette valorisation de la production individuelle. Au mieux, les subordonnés sont insérés en fin de liste ou bien ils se retrouvent dans les remerciements, au pire ils ne font l’objet d’aucune mention.

Bon, c’est vrai que certains collègues peuvent publier « avec la collaboration de », ce qui est déjà un cran en dessous. Certains ne mettent même rien, mettent simplement une petite note en disant : « Monsieur untel et madame untel ont collaboré à ce travail » (un juriste, n° 47).

14La primauté hiérarchique confère donc à la première place la majorité de la responsabilité – engendrée par l’apposition du nom propre – qui décroît de manière proportionnelle au nombre de signataires.

15En droit, où les mots revêtent une importance majeure – à la fois objet, matériau et instrument de production des connaissances –, le maniement de l’écriture et l’accès à sa publication sont des activités primordiales pour être signataire. La figure auctoriale est donc proche d’une définition « littéraire » (Woodmansee 1984) qui se fonde sur le statut absolu du travail d’écriture individuel, lequel garantit l’unicité de la forme et son authenticité (Foucault 1969 ; Chartier 1996). Mais ce n’est pas tout. Cette figure de l’auteur reste également en pratique très proche de sa racine originelle qui la lie à celle d’autorité : c’est la capacité de décision (être à l’origine de l’idée de faire une publication, du thème d’une recherche et de l’article du nouveau docteur) et d’action (écrire et avoir accès aux revues) qui fonde prioritairement sa définition. La production des énoncés juridiques, l’autorité énonciative, en dépend.

16En biologie, la hiérarchie institutionnelle est également présente. Par contre, elle prend corps de manière différente au sein des pratiques où l’expérimentation est centrale et attribue donc les places selon une tout autre logique.

Le « double je » de l’auteur en biologie

17La production des connaissances en biologie est structurée autour d’une équipe où s’opèrent une division cognitive et une hiérarchie sociale du travail (cf. chapitre 5). Le statut institutionnel des membres de l’équipe définit une place précise dans cette organisation hiérarchisée du travail.

18À un bout de la hiérarchie, les doctorants passent la majorité de leur temps à la paillasse. Ils cultivent des plantes, bricolent des montages expérimentaux plus ou moins standards, comparent des séquences d’ADN à l’aide des banques de données informatisées, observent des échantillons au microscope, reportent les résultats dans un cahier de protocoles, etc. En bref, ils effectuent les expériences et essayent de « faire parler la nature ». Les opérations de recherche (cf. tableau 4-5) qui leur incombent généralement concernent l’investigation, la littérature et une partie de l’analyse et de l’écriture. Il arrive que certains prennent totalement en charge la conception et la planification des expériences.

19Les chercheurs confirmés se consacrent à des tâches différentes. L’encadrement des doctorants et des éventuels DEA en stage en est une qui concerne le travail expérimental. La conception est une opération de recherche qui est ainsi de leur ressort. Leurs activités concernent aussi le travail d’écriture, variable selon les situations : si, pour un rapport de stage de DEA, leur engagement se borne à une relecture critique, pour un article destiné à une revue spécialisée, il est beaucoup plus net dans l’écriture même du manuscrit.

20À l’autre bout, le responsable de l’équipe se concentre sur la cohérence du projet d’ensemble et sur la valorisation des productions locales en multipliant les échanges avec l’extérieur du laboratoire : coups de téléphone, courriers électroniques, réunions, sont autant de moyens de tisser des liens de collaboration pour des projets en cours ou futurs, pour l’organisation ou la participation à des colloques, ou pour la réponse à des appels d’offre. Il négocie aussi des ressources matérielles (ordinateurs, graines, centrifugeuses, pipettes, réfrigérateurs, etc.) nécessaires à la production quotidienne. Il est à l’origine du concept de la recherche, et des ressources nécessaires à sa réalisation. Plus ou moins impliqué dans l’écriture, le responsable de l’équipe se doit d’assurer la relecture critique du manuscrit.

  • 6 La répartition des opérations de recherche dépend en partie de l’effectif de l’équipe. Dans la prem (...)

21Bien que ce découpage du travail soit plus ou moins variable selon les équipes6 et les projets de recherche, il conduit dans tous les cas à une décomposition de la responsabilité. Chaque membre de l’équipe est responsable d’une partie du travail, et cette responsabilité est rendue visible par l’apposition de son nom sur la publication. Mais comme l’organisation du travail est hiérarchisée, l’agencement des signatures doit refléter l’activité de chacun. L’espace d’inscription du nom est une façon de marquer cet engagement spécifique.

Les deux bornes de la chaîne expérimentale

22La permutation des places dans le cheminement d’un projet de recherche est rare du fait de la hiérarchisation du travail. Le statut institutionnel assigne à un ensemble d’opérations de recherche spécifiques, une place dans la division du travail, et simultanément les opérations prises en charge renvoient à une place sur la publication de l’article :

A priori, le premier est celui qui a effectué le plus de travail. Le premier auteur, c’est celui qui a effectué le travail pratique, et en plus grande quantité. [...] Et puis, bon, les autres c’est un petit peu... Ceux du milieu, ils ont participé. Alors plus ou moins. [...] Et le dernier en général est celui qui a dirigé le travail (une biologiste, n° 35).

  • 7 Il ne suffit pas en effet d’être celui qui a le plus travaillé, il faut avoir des résultats. Des he (...)

23La première place revient donc à celui qui a la responsabilité du travail expérimental, c’est-à-dire le plus souvent au doctorant. Dans certains cas, le travail réalisé et probant7 est partagé à égalité par les deux premiers signataires : ils apparaissent par ordre alphabétique et un astérisque renvoie en notes de bas de pages pour signaler leur responsabilité équivalente. Les noms qui suivent renvoient à différents types d’engagement qui ne sont pas explicités. La dernière place est par contre réservée à la personne qui a encadré le travail, celle qui garantit la cohérence du projet : le responsable de l’équipe.

Tout ça pour dire que dans une signature chaque place a un sens. Ça n’a pas du tout la même importance si tu signes premier, deuxième, troisième ou quatrième. Le leader serait le premier, qui a la propriété intellectuelle, et le directeur du laboratoire, qui a la responsabilité intellectuelle (un biologiste, n° 40).

24Les deux extrémités de l’ordre des noms renvoient à la forme d’organisation du travail en biologie : elles encadrent la totalité des opérations de recherche de la chaîne expérimentale, en la bornant par la responsabilité du travail à la paillasse (l’investigation empirique) et celle du projet (le concept et l’encadrement). Mais cette structure de production et de publication accorde davantage d’importance à l’une des deux positions. Si la première place renseigne sur l’opérateur du travail expérimental, ses capacités « techno-logiques », c’est surtout la personne qui occupe la dernière place qui est jugée significative. Sans son encadrement du projet, les ressources matérielles et humaines déployées n’auraient pas de sens. La division verticale du travail renvoie d’une certaine manière à la célébration du responsable de l’équipe :

Dans ce cas, le laboratoire reflète le succès de la carrière de son patron ; il est une entité collective, une structure sociale et politique qui est identifiée à sa personne (Vinck 1995, p. 149).

25Cette identification s’exprime à plusieurs niveaux. D’une part, elle fait partie des pratiques courantes de désignation des équipes. Les chercheurs (titulaires ou doctorants) attribuent régulièrement un travail publié au directeur d’une équipe en déclarant que tel gène, telle protéine ont été mis en évidence « par le groupe de X, ou Y ». Au-delà de la cosignature des articles par différents membres de l’équipe, cette pratique confère une responsabilité plus importante à celui qui encadre le groupe : celui qui détient l’autorité institutionnelle. Il signe au même titre que les autres qui sont engagés dans ce processus de production, mais dans un espace qui lui est réservé : la dernière place. Sa responsabilité se manifeste également à un autre niveau de signature. Outre le fait qu’il ait une place particulière, il appose systématiquement son nom sur les publications qui sortent de son unité de production. La quantité de travail fourni au cas par cas n’a pas d’importance ici : puisqu’il dirige l’équipe, il est, comme un chef d’entreprise, tenu responsable de l’ensemble des produits qui y sont fabriqués, qu’il y ait ou non directement participé.

26Cette responsabilité est également perceptible dans l’encadrement des thèses : c’est le responsable de l’équipe qui propose des sujets de recherche aux futurs docteurs. Sa signature systématique des articles et son fort engagement dans la thèse des doctorants illustrent la manière spécifique dont s’exprime l’autorité en biologie. Loin de l’ancrage individuel qui a cours en droit, elle est inscrite dans la forme collective et hiérarchisée du travail. Dans l’ordre des signatures, la dernière place revient à celui qui détient la responsabilité intellectuelle et institutionnelle du projet d’ensemble : celui qui est à la tête des opérations de recherche.

  • 8 Nous l’avons vu au chapitre 3, pour pouvoir soutenir leur thèse, les doctorants doivent avoir une p (...)

27Parce que le travail expérimental est au cœur du processus de production des connaissances en biologie, les personnes qui s’en chargent sont également incontournables. En accomplissant le projet de recherche au fil des manipulations expérimentales, ces personnes contribuent fortement à sa réalisation. L’engagement de leurs mains, qui ont travaillé le matériau de départ (des plantes) pour le transformer en connaissances (sous la forme d’énoncés, de graphiques ou de figures) sous la responsabilité du directeur de l’équipe, est rendu visible par l’apposition de leur nom. Cette inscription signale une responsabilité de premier ordre dans la production des connaissances. Elle signale une autorité énonciative et attribue en conséquence une place dans l’ordre des noms : aux premières loges8.

28La décomposition de la responsabilité engagée par l’organisation du travail polarise donc les signatures entre deux places fondamentales : la première, occupée par les apprentis continuateurs d’une autorité énonciative (les chercheurs juniors : « principal investigator »), et la dernière, investie par les maîtres détenteurs de l’autorité institutionnelle (« senior investigator »). Mais qu’en est-il plus précisément de ceux qui se retrouvent au centre ?

L’agencement séquencé des signatures

29La mise en ordre hiérarchique effective en droit opère une décroissance linéaire de la responsabilité dans l’ordre des noms. En revanche, en biologie, la polarisation de la liste des signatures engendre une décroissance de la responsabilité à partir des deux bornes.

C’est-à-dire que le premier auteur est l’auteur le plus jeune et celui qui donne l’impulsion ; le dernier auteur, c’est le « senior investigator ». Bon deuxième c’est un peu mieux que troisième, et avant-dernier c’est un peu mieux qu’avant-avant-dernier. [...] S’il a deux laboratoires en jeu, l’autre directeur sera avant-dernier et le deuxième auteur est toujours quelqu’un qui a vraiment contribué. Ceux qui sont en plein milieu sont des gens qui ont faiblement contribué (un biologiste, n° 43).

30Le centre de la liste constitue la place qui confère le moins de responsabilité dans la recherche. Pourtant, ces personnes apposent leur nom sur la publication, elles sont donc impliquées dans une partie de la production globale. Ni entièrement engagées dans les manipulations expérimentales, ni entièrement concentrées sur l’encadrement du projet global, les chercheurs confirmés occupent ces places intermédiaires : « Souvent, ce sont des gens qui ont contribué à l’analytique, mais qui n’ont pas contribué au concept » (un biologiste, n° 43). Entre le concept et les ressources d’une part, l’investigation empirique et la littérature d’autre part, ils participent à la conception des expériences, à l’interprétation des résultats et à la relecture critique du manuscrit. Faisant le lien « techno-logique », ils s’intercalent entre le principal investigateur et le responsable de l’équipe.

31L’ordre des signatures semble régi par une responsabilité croissante en fonction du grade, dont la forme idéaltypique serait la suivante : doctorant(s), post-docto-rant(s), chargé(s) de recherches, responsable de l’équipe. C’est d’ailleurs cet agencement que les chercheurs déclinent régulièrement à l’enquêteur pour justifier la façon dont ils signent leurs publications. Cette mise en ordre institutionnelle est cependant inscrite dans une division cognitive du travail à laquelle se superpose une hiérarchie sociale. L’agencement des noms s’effectue par cette double structuration : apport cognitif et statut institutionnel. De ce fait, l’ordre des signatures est dans une large mesure décidé à l’avance.

  • 9 « Il y a des publications sur lesquelles tu as fait une partie importante du travail, et puis tu as (...)

32Toutefois, les places attribuées au départ du projet de recherche peuvent être remaniées : les manipulations à la paillasse « ne donnent pas les résultats escomptés », des compétences inattendues sont finalement nécessaires, une personne s’investit dans le projet alors qu’elle n’était pas prévue, etc. Le déroulement séquentiel du projet peut conduire à certaines recombinaisons. Au cours de ce réagencement des places dans l’organisation de la recherche, l’ordre des signatures de départ est remis en cause. Il est à nouveau en négociation. Si la mise en ordre des signatures est codifiée et hiérarchisée, elle reste l’objet d’une certaine souplesse pour faire face à la contingence : ajuster le scénario de signature standard au cas singulier, « forcer un dossier », « renvoyer l’ascenseur », autant de pratiques qui complexifient l’agencement des noms. L’emplacement graphique d’un chercheur est certes variable au cours de sa carrière : il passe de la première place à la dernière. Mais il ne faut pas oublier qu’une même recherche est l’objet de plusieurs publications, et qu’un chercheur senior est souvent engagé à différents niveaux dans plusieurs projets à la fois. Son nom prend donc aussi différentes places sur diverses publications à un même moment de sa carrière9.

  • 10 Zuckerman (1968, p. 279) a d’ailleurs montré que l’ordre alphabétique des signatures dépend en part (...)
  • 11 Comme le montre l’observation du passage de la paillasse à la version publiée des résultats. Dans c (...)

33En biologie, l’ordre des signatures s’opère selon un séquençage de la responsabilité qui articule, au sein de chaque place (premier[s], au centre, et dernier), prise en charge des opérations de recherche et statut institutionnel des membres. Dans cet agencement structuré par les deux bornes, l’ordre alphabétique n’a pas de place10 (cf. tableaux 4-4). L’écriture est, elle aussi, distribuée en fonction des tâches prises en charge : le doctorant rédige généralement la partie « matériel et méthodes », parfois « l’introduction », quand le responsable du projet (les chercheurs seniors et/ou le responsable de l’équipe) rédige « les résultats » et la « discussion ». Le manuscrit tourne ensuite entre les mains des cosignataires qui font des corrections, voire des changements importants. Au cours de ce travail d’écriture à plusieurs mains, il arrive que l’ordre de certains noms soit modifié11. Cependant ici, l’écriture n’est pas jugée première dans la production des connaissances – contrairement aux juristes. Ce sont les opérations de recherche orientées vers la production des résultats (concept, conception, investigation et analyse) qui sont valorisées. Aussi, parmi ces opérations tournées vers l’investigation expérimentale, certaines ne sont pas prises en considération.

Les mains invisibles

34Autorité et responsabilité sont fortement associées : elles permettent d’endosser la majeure partie de l’auctorialité. Si la production des connaissances est fondée sur le travail expérimental à la paillasse, c’est surtout le concept original qui est valorisé. La place qui confère l’autorité principale est prise par celui qui est à l’origine du concept et qui a la responsabilité des moyens de production. Le travail des autres contributeurs est fait sous la responsabilité de celui qui détient cette double autorité.

35À son époque Boyle n’a cessé de prôner la pratique expérimentale contre les alchimistes. Pourtant, « ses » manipulations étaient aussi effectuées par d’autres mains, lesquelles restaient invisibles dans ses correspondances et ses publications :

Tous ces laborantins, opérateurs, artisans et domestiques ont contribué de différentes façons à la science de Boyle. [...] dans la totalité du travail publié et des correspondances de Boyle, il n’y a pas plus d’une poignée de références à leurs noms et à leurs rôles (Shapin 1989, p. 556).

36Depuis, la professionnalisation de l’activité scientifique a conduit à une croissance exponentielle du nombre de chercheurs, mais également du nombre de signataires par article. L’espace d’inscription des assistants de recherche s’est alors modifié. Ils ont en effet gagné en reconnaissance en passant des remerciements à la liste des signataires (Beaver et Rosen 1978-1979). Mais les différences entre « ceux qui pensent » et « ceux qui manipulent » ne sont pas pour autant abolies (Heffner 1979 ; Shapin 1989). Il arrive que les mains du doctorant responsable du travail empirique soient aidées de celles de techniciens, qui sont souvent vouées à l’invisibilité :

Une partie du travail des techniciens est importante, [mais] elle est cachée dans les publications. Bon c’est pareil, des personnes ne sont pas techniciens, mais aides laboratoire plutôt. Elles ne font pas les manipulations comme moi, mais elles préparent les milieux pour les cellules. Je pense qu’elles ont un travail quand même important [...], et que ça devrait être signalé dans les publications comme c’est signalé dans les thèses généralement (une biologiste, n° 42).

37Bien que présentes dans le laboratoire et les manipulations qui s’y déroulent, les mains des techniciens ne sont pas visibles sur les publications. Loin de signer avec les autres membres de la collaboration, ils sont même absents des remerciements.

38En biologie, où le travail collectif est central, l’agencement des signatures est complexe. Il dessine une figure de l’auteur à deux faces : la première est prise par le responsable du travail empirique qui signe en premier, et la seconde est endossée par le responsable de l’équipe qui se place en dernier. Chacune constitue ainsi deux bornes de la notion d’auteur. Quant la première réfère à la création originale, la seconde renvoie à la capacité de décision et d’action. Mais des personnes intermédiaires sont généralement engagées dans cette distribution du travail et de la responsabilité. Parmi celles-ci, certaines ont d’ailleurs très peu participé, voire pas du tout, mais les associer à la publication peut « donner du poids à l’article ». À l’inverse, certaines personnes, dont le travail régulier est considéré comme « uniquement manuel », ne figurent quasiment jamais sur les productions qui sortent du laboratoire. Malgré la professionnalisation de l’activité scientifique et le développement du travail en équipe, les chercheurs, devenus des travailleurs salariés, continuent de « percevoir majoritairement la science comme une réflexion plutôt que comme un travail » (Shapin 1989, p. 561). Certaines activités ne sont pas jugées suffisamment dignes pour prétendre au partage de la signature.

39Les espaces d’inscription des noms n’ont donc pas la même signification selon les espaces disciplinaires. Ils circonscrivent différemment la distribution du statut des personnes et des opérations de recherche. En droit, où le travail solitaire et l’écriture prévalent, la position qui confère l’autorité et l’auctorialité est la première : les assistants se placent en second lorsqu’ils sont visibles. En biologie, la figure de l’auteur se dédouble en revanche entre la première place, qui symbolise la création originale majeure, et la dernière position qui fonde l’autorité et garantit la cohérence du projet. Si en droit l’auteur est élaboré sur les principes d’une définition « littéraire » et individualiste, en biologie son élaboration s’opère contre cette définition absolue en décloisonnant les registres de la création, de la responsabilité et de l’autorité.

40La sociologie, quant à elle, est caractérisée par une ambivalence entre l’interprétation herméneutique (primordiale en droit) et l’investigation empirique instrumentée (centrale en biologie). Elle appelle ainsi à la nuance dans cette hiérarchie des opérations de recherche.

La pluralité des figures de l’auteur en sociologie

41En sociologie la mise en ordre des noms semble articuler ordre alphabétique et statut institutionnel d’une manière assez proche de celle qui a cours en droit : l’autorité et la responsabilité principales se cristallisent dans la première position. Toutefois, la confrontation instrumentée à la « réalité » est une composante de la recherche en sociologie. Les investigations empiriques peuvent engendrer une division des opérations de recherche et une décomposition de la responsabilité. Les modalités d’inscription des noms sur les publications dépendent de la place qui est accordée à ces investigations. Celle-ci est tendanciellement différente en France et aux États-Unis.

La grandeur de l’écriture

42Dans le chapitre précédent, nous avons vu comment l’institutionnalisation de la sociologie française façonne des modalités de production et de publication particulières. La prégnance de la philosophie et des lettres favorise un mode de travail et de signature individuels. Lorsque le travail (de recueil des données notamment) se réalise en partie en collaboration, plusieurs repères restent décisifs pour prétendre signer une publication. L’écriture est placée en haut de la hiérarchie des opérations de recherche :

L’écriture est un critère déterminant. Si on signe à deux, j’imagine mal qu’il y ait un gros déséquilibre au niveau de la production écrite. [...] Ah oui ! Je n’imagine pas que l’on puisse jouer au coucou. Vous savez ce que c’est un coucou ? C’est quelqu’un qui se met dans le nid des autres (un sociologue, n° 5).

43Dans une perspective où les lettres tiennent une place de premier ordre, l’écriture d’une partie du texte constitue le pivot autour duquel s’organise l’inscription des noms. Tenir la plume, écrire, c’est avoir prise sur le texte, c’est donc pouvoir signer. Cette pratique est engageante et donne accès à la signature. Toute autre opération de recherche est dévalorisée et permet au mieux de figurer dans les remerciements.

Je tiens absolument à la règle « qui écrit signe ». Et il m’est arrivé évidemment d’avoir des projets de gens qui n’ont pas écrit et qui n’ont pas signé. C’est clair. Et qui ont pourtant participé au travail, qui sont remerciés. Mais si on n’écrit pas, on ne signe pas. Autrement... Non, c’est le minimum. Après tout, on ne signe pas n’importe quoi, on signe un texte. On signe si on l’a écrit (un sociologue, n° 11).

44Outre l’écriture, l’autorité est largement impliquée dans la distribution des noms au sein des espaces d’inscription. Elles concernent tant la responsabilité intellectuelle du projet que la position hiérarchique et participent à la relégation des étudiants et autres assistants de recherche aux remerciements :

L’assistant qui est payé œuvre à une réalisation du directeur de recherche qui est lui-même lié à son statut de professeur ou de chercheur. [...] Alors, il y a souvent des malentendus. Évidemment, il y a des conflits parce que l’assistant de recherche, qui est souvent un étudiant, pense à un moment donné qu’il va signer avec le directeur de recherche. Et, à la fin, le directeur remercie en notes de bas de pages, et l’assistant est furieux (un sociologue, n° 12).

45La coopération avec des subordonnés n’est généralement pas visible dans la publication si leur responsabilité n’est pas engagée dans le travail d’écriture. La cosignature n’est pas concevable pour une participation qui concerne uniquement le travail empirique : son investigation et son analyse. Lorsque certains sociologues sous-traitent à des étudiants ou des assistants une partie de ce travail (la réalisation des entretiens et/ou les traitements statistiques), ils considèrent celui-ci comme nécessaire mais pas suffisant.

Les étudiants participent à la rédaction du rapport, ils cosignent le rapport. N’empêche que c’est moi qui fais le programme de recherche, j’anime la plupart des groupes, j’émets les hypothèses, j’ai la totalité de la rédaction : c’est moi l’auteur. Je veux dire, les étudiants n’ont aucune hypothèse de base, donc c’est moi l’auteur. Ils me donnent un coup de main contre de l’argent en plus, une maîtrise, un DEA, un certain nombre de choses. Ils me donnent un coup de main (un sociologue, n° 11).

46Dans le travail effectué sous la responsabilité d’un professeur qui signe en première position, le partage de la signature de la publication passe donc par l’écriture. Ce passage est indispensable pour accéder aux places suivantes. L’ordre alphabétique des signatures est adopté lorsque la totalité des opérations de recherche est effectuée « à égalité ». Une égalité qui se décline tant au niveau du travail pris en charge qu’au niveau du statut institutionnel, c’est-à-dire entre pairs. Dans cette configuration, l’autorité, la division du travail et l’auctorialité sont pleinement partagées.

47En sociologie française, la hiérarchisation des opérations de recherche confère une primauté à l’écriture. L’investigation empirique, plutôt conçue comme secondaire, assigne généralement le nom de ceux qui en ont la responsabilité en notes de bas de pages. Dans un espace disciplinaire où la production des connaissances passe par une interprétation et une donation de sens, le maniement des mots est déterminant pour signer.

L’épreuve de l’empirie

48Néanmoins, le travail empirique tient une place non négligeable dans les pratiques de recherche sociologiques, et tout particulièrement aux États-Unis sous l’effet d’un important tournant quantitatif. Pour certains, il acquiert un statut qui minimise l’importance de l’écriture :

Dans certains cas le travail de collecte des données ou d’analyse des données est une façon de contribuer à l’article. C’est certainement... vous savez... Je pense que c’est une pratique générale, la majorité des gens pense comme ça (une sociologue, n° 19).

49En sociologie, le travail empirique – la collecte et l’analyse des données – vaut donc parfois en soi. Les subordonnés ne sont pas tenus d’écrire une partie de la publication pour être listés comme signataires.

J’étais une des trois doctorants qui ont fait l’analyse des données pour une professeur avec qui nous avons cosigné l’article. La professeur était en premier nom sur la publication parce qu’elle était à l’origine de l’idée du projet, de la collecte des données (à laquelle elle a activement participé), et qu’elle a fait le travail de littérature et élaboré les bases du modèle que nous avons construit. Nous avons apporté une compétence technique, quelques suggestions substantives, et revu la version de l’article qu’elle a écrit (une sociologue, n° 17).

50Dans ce cas, la division du travail s’organise sous la responsabilité d’une professeur, qui prend en charge la majorité des opérations de recherche. Son nom est alors placé en premier. Les trois étudiants, qui apportent une aide technique et une relecture critique, sont tout de même signataires : ils se placent à la suite. L’agencement des noms n’exprime cependant pas leur contribution respective :

Les noms n’ont pas été par ordre alphabétique. Nous avons décidé d’ordonner les noms des étudiants de la meilleure façon pour aider ceux qui n’avaient pas encore d’emploi. J’avais un emploi prestigieux et stable, ainsi j’étais dernière de la liste. Les deux autres doctorants étaient deuxième (celui qui cherchait activement un travail) et troisième (celle qui termine actuellement sa thèse). Nous trouvions tous cette manière de faire équitable. Il y a eu des tentatives pour écrire d’autres articles avec un ordre des noms différent, mais nous avons tous bifurqué vers des choses différentes (une sociologue, n° 17).

51L’ordre des signatures est négocié ici dans une perspective de valorisation individuelle de la publication : si la professeur est première du fait qu’elle est à l’origine intellectuelle du projet et de ses étapes de réalisation, les subordonnés (ici des étudiants) se positionnent selon le crédit respectif déjà accumulé et la contingence de la situation. La perspective de publier d’autres articles avec un ordre des noms différent renforce d’ailleurs la volonté de partager plus amplement la responsabilité, et renseigne du même coup sur sa décroissance linéaire dans la séquence des signatures.

52Dans d’autres cas, les subordonnés peuvent négocier de prendre la première place. Cette négociation n’est toutefois possible qu’en fonction de la quantité de travail effectué et des opérations prises en charge :

Au début c’était l’ordre alphabétique, ce qui signifiait [ma coauteur] en premier. Mais j’ai dit que parce que j’étais la plus jeune, je ne suis pas aussi loin qu’elle. Et elle a dit : « Non, nous le signons par ordre alphabétique. » Mais j’ai commencé à faire plus de travail [...] parce que j’avais plus d’informations. Je lui ai dit : « J’insiste, parce que je vais prendre la pleine responsabilité de l’article, donc mon nom est premier, même s’il est second alphabétiquement. » [...] Au début, nous avons écrit ensemble équitablement, mais une fois que l’article avait une forme complète, j’avais fait plus de travail [...] [et] j’avais plus écrit. [...] C’est pourquoi j’ai déclaré que je devrais être première. Mais si je ne m’étais pas battue, vous savez, très dur, elle aurait été première. Donc, ça a été difficile de le faire (une sociologue, n° 18).

53La division du travail étant rendue possible par l’investigation empirique quantitative, les opérations de recherche qui concernent la collecte des données et/ou leur interprétation donnent accès à la signature. Les assistants sont donc pleinement intégrés au processus de signature de l’article. De même qu’en droit, leur rôle de second est rendu visible dans l’ordre des noms : ils signent après le responsable du projet. Déterminante pour une majorité de sociologues français, l’écriture n’est donc pas indispensable pour prétendre à la signature de la publication pour certains sociologues américains. Néanmoins, elle demeure importante : c’est un critère incontournable pour être « bien placé » dans l’ordre des noms.

Notez, s’il vous plaît, que c’est impossible de déterminer l’ordre des signatures des articles. C’est volontaire. [...] Il y a quelques années, parce que j’utilisais des règles particulières d’agencement des noms, j’ai délibérément présenté mon c.v. d’une façon qui ne divulgue pas d’informations à ce sujet. [...] J’ai fait ça parce que la règle d’usage est de mettre les auteurs principaux en premier, et dans de nombreux cas j’ai mis les noms d’étudiants en premier, s’ils avaient écrit la première version de l’article, même lorsque je pensais que le crédit principal me revenait (Extrait d’une conversation « électronique » avec un sociologue à qui j’ai demandé son c.v.).

54L’ambivalence qui caractérise l’espace disciplinaire sociologique – entre le travail d’interprétation et celui d’investigation empirique systématique – se retrouve dans l’agencement des signatures. Les sociologues français valorisent le travail d’interprétation et de réflexion qui se cristallise dans la mise en mots de la « réalité ». Ils font une place déterminante à l’écriture. De même qu’en droit, la responsabilité intellectuelle et institutionnelle du projet fait autorité et assigne à la première place. Les secondes mains ne peuvent prétendre aux places qui suivent que si elles écrivent. Les sociologues américains sont, eux, davantage tournés vers l’investigation empirique. Ceux qui en ont la charge partagent la signature de la publication, même s’ils ne participent pas à son écriture. De même qu’en biologie, le travail de collecte et de traitement des données confère une responsabilité rendue visible. En revanche, c’est la première place qui est réservée au responsable du projet. L’écriture d’une partie du texte reste déterminante pour faire valoir sa pleine responsabilité et être placé en première position. Cette variation des pratiques de signature en sociologie montre comment la place attribuée à l’écriture est déterminante pour signer. Proches des lettres, certains sociologues la considèrent primordiale, tandis que d’autres, largement tournés vers l’utilisation des chiffres comme mode d’investigation empirique, ne lui accordent pas une place aussi importante dans la hiérarchie des opérations de recherche. La figure de l’auteur en sociologie est donc plurielle. Elle se présente comme un mixte des registres polarisés qui ont cours en droit et en biologie, où l’autorité institutionnelle des personnes et la hiérarchisation des opérations de recherche sont activées comme repères pertinents pour signer. Quelle que soit la situation, un trait singulier de l’auteur en sociologie concerne l’écriture qui constitue l’opération principale pour inscrire son nom sur le texte.

  • 12 « Je travaille également avec des médecins, et ils ont une autre tradition. C’est-à-dire qu’ils fon (...)
  • 13 Zuckerman (1968, p. 279) a montré cette fluidité des pratiques pour les chimistes : « Il ressort qu (...)

55Cette analyse n’épuise cependant pas la complexité des pratiques individuelles : dans leurs activités quotidiennes, certains sociologues français sont beaucoup plus proches des sensibilités attribuées ici aux Américains, et inversement. Ce caractère fluctuant des pratiques renvoie en partie à la formation des personnes et à celle de leurs collaborateurs réguliers. Par exemple, certains sociologues qui travaillent dans des domaines interdisciplinaires cosignent régulièrement avec des chercheurs « selon leur tradition12 ». Les variations d’agencement des signatures en sociologie manifestent de manière décuplée ce qui s’effectue dans chaque espace disciplinaire13. Si, en droit et en biologie, l’agencement des noms est relativement codifié, en pratique, il reste toujours possible pour des contributeurs effectifs d’être exclus de la publication.

Espaces d’inscription et mises en ordre de la signature scientifique

56Dans un contexte où le travail collectif est devenu le mode régulier de production des connaissances, la mise en ordre des signatures repose sur une hiérarchisation des opérations de recherche dans chaque espace disciplinaire. C’est au cours de cette hiérarchisation des activités que la notion d’auteur est investie d’attributs spécifiques.

57En droit, le maniement des mots est primordial. Conçu sur un registre « littéraire » (Woodmansee 1984), l’auteur est celui qui donne forme à la réalité, c’est-à-dire celui qui par son usage particulier des mots « produit, assemble et exprime les concepts qu’il présente » (Chartier 1996, p. 55). Dans cette conception, l’écriture et la responsabilité sont considérées comme absolues. Elles ne sont donc divisées et distribuées entre plusieurs personnes individuelles que dans de très rares cas. La notion d’auteur recouvre celle d’autorité. En biologie, la division du travail entre conception du projet et hypothèses, d’une part, et travail expérimental de collecte et interprétation des données, d’autre part, conduit à une décomposition de la responsabilité. Effective dans l’enceinte du laboratoire, cette dernière est inscrite dans l’agencement polarisé des signatures sur les publications. La notion d’auteur est ici segmentée entre la propriété intellectuelle (la première place) et la responsabilité intellectuelle (la dernière place) du projet de recherche. Alors que la première réfère à la conception juridique qui limite l’appropriation par un tiers en garantissant des droits, la seconde renvoie à la conception diplomatique impliquant davantage la responsabilité et l’autorité conférées par l’écrit. En sociologie, l’ambivalence entre l’interprétation réflexive et l’investigation empirique instrumentée multiplie les modalités de signature des publications. Ces dernières naviguent entre celles des deux autres espaces disciplinaires. Dans cette oscillation, l’écriture est le pivot autour duquel s’organise l’accès à la signature. Alors qu’en sociologie française, elle est indispensable pour signer, en sociologie américaine, où le travail empirique est davantage considéré, elle permet de revendiquer une meilleure place dans l’ordre des signatures. Partant d’un ancrage dans les humanités et les lettres, les pratiques de signature en sociologie pointent donc vers une définition « littéraire » de l’auteur. Mais la place accordée au travail empirique contrebalance cette définition individualiste en introduisant une décomposition de la figure auctoriale entre ceux qui manipulent les données et ceux qui manient les mots.

  • 14 Bien qu’ils n’analysent pas directement les pratiques effectives des chercheurs, mais se concentren (...)

58Ces différents arrangements pour agencer les signatures mettent en évidence le rôle des espaces disciplinaires dans la conception de l’auctorialité en science14. Ils illustrent le travail déployé par les chercheurs pour désigner l’ensemble des signataires, mais aussi ceux qui endossent la responsabilité et l’autorité principales. Le travail de tri des activités réalisées pour identifier les contributions « décisives » au projet de recherche engage une opération de délimitation de la production, la détermination d’un début et d’une fin. Les chercheurs sont impliqués dans un travail de circonscription et d’attribution des activités : ils identifient ceux qui ont donné l’impulsion, ceux qui sont à l’origine (conceptuelle et financière) du projet, ceux qui ont assuré son bon déroulement, ceux qui ont permis l’enchaînement des différentes étapes, ceux qui ont converti les différentes opérations en un document textuel final. Les modalités de signature s’appuient ainsi sur les performances des personnes qui ont garanti, par l’engagement de leur responsabilité et de leur autorité, la réalisation complète du projet. Pour mettre fin à la négociation entre les prétendants à la signature, l’effet de clôture du projet de recherche se fonde, dans chaque espace disciplinaire, sur des repères communément partagés : la hiérarchie stabilisée des activités. Mais il se concrétise également par une pondération des places dans la séquence des signatures. La clôture de l’énonciation s’opère tantôt sur la première place (en droit et en sociologie), tantôt sur la dernière (en biologie). Les attributs de l’auteur scientifique reposent donc sur l’articulation de deux espaces d’inscription des qualités des personnes : dans l’espace social pour la répartition des activités de recherche, dans l’espace graphique pour la distribution des places dans la séquence des signatures. Les ligures de l’auteur identifiées dans ce chapitre combinent ces qualifications possibles des personnes, à la fois comme acteurs d’une activité et comme signataires d’un texte. Elles renseignent sur l’existence d’une pluralité de définition des places sociales et graphiques selon les espaces disciplinaires, et dessinent les contours de qualifications singulières de l’auteur scientifique. Ces figures mettent en relief l’existence de différentes conceptions de l’auteur à un même moment historique et s’inscrivent contre la tendance à le constituer en invariant transhistorique. Elles laissent cependant de côté la question des fondements de la notion d’auteur et d’un éventuel régime d’auctorialité spécifique à l’activité scientifique.

Notes

1 Sur ce lien voir Leclerc (1996) ; Zimmermann (2001).

2 Le pseudonymat ou l’anonymat montrent la force de cet engagement. Certains livres ne sont pas signés du nom de leur auteur pour échapper à la censure ou au discrédit engendrés par des écrits qui seraient indignes de son rang ou de sa profession. Sur ce point, voir Foucault (1969) ; Couturier (1995).

3 En droit, les articles cosignés sont généralement le résultat d’une recherche effectuée en droit comparé, ou bien lorsque des représentants de droit privé et de droit public s’associent sur une même question (cf. chapitre 5).

4 Cette accessibilité des revues en fonction du grade est signalée dans l’ensemble des entretiens menés avec des juristes.

5 Je rappelle que la recherche en droit ne passe pas par une confrontation empirique de collecte de données. Les opérations de conception et d’investigation sont donc regroupées dans celle de recueil des textes (la littérature).

6 La répartition des opérations de recherche dépend en partie de l’effectif de l’équipe. Dans la première équipe que j’ai observée, le responsable de l’équipe a un bureau indépendant de l’espace où évoluent les autres membres. Son activité consiste essentiellement en la négociation des ressources, la conduite cohérente du projet général de l’équipe et la relecture critique des articles en cours. Ce sont les chercheurs qui se chargent de l’encadrement, de la conception et de l’écriture. Dans la seconde équipe qui comprend moins de membres, le responsable partage son bureau avec les autres. Il n’est d’ailleurs pas rare qu’il travaille à la paillasse. L’effectif restreint conduit à une superposition des opérations de recherche, qui étaient plus nettement séparées dans la répartition de la première équipe.

7 Il ne suffit pas en effet d’être celui qui a le plus travaillé, il faut avoir des résultats. Des heures, voire des mois passés à la paillasse peuvent déboucher sur l’absence de production « effective ». Si, à l’époque de Boyle, il était opportun de publier des expériences qui « ne marchent pas » pour montrer la bonne foi du philosophe naturel (cf. chapitre 3), l’activité scientifique professionnelle moderne ne reconnaît comme résultats que les expériences probantes : « Je trouve très dommage qu’on ne puisse pas publier des résultats négatifs, ou très difficilement. [...] Alors on a l’occasion de le faire dans des congrès ou des choses comme ça, mais dans la publication écrite, c’est impossible » (une biologiste, n° 44).

8 Nous l’avons vu au chapitre 3, pour pouvoir soutenir leur thèse, les doctorants doivent avoir une publication en premier nom dans une revue spécialisée dont le facteur d’impact est supérieur ou égal à un. La pratique de « noblesse oblige », qui laisse les doctorants en première position, peut être interprétée sous un angle spécifique : si le responsable de l’équipe détient les moyens de production et dirige les recherches, son rôle consiste à progressivement déléguer une part de son autorité à ceux qu’il forme, et qui produisent effectivement les résultats.

9 « Il y a des publications sur lesquelles tu as fait une partie importante du travail, et puis tu as le travail que tu diriges, et puis tu as les trucs auxquels tu participes par un encadrement ponctuel, ou par une manipulation ponctuelle, ou par des idées, ou tout simplement par le fait que tu interviens dans le travail à n’importe quel niveau » (une biologiste, n° 35).

10 Zuckerman (1968, p. 279) a d’ailleurs montré que l’ordre alphabétique des signatures dépend en partie du statut des personnes dans le travail collaboratif. Ainsi, les physiciens cosignent davantage par ordre alphabétique (cf. tableau 4-2) du fait qu’ils « sont plus aptes à travailler avec des pairs que ne le sont les chimistes et les biologistes dont les groupes tendent à réunir un senior et plusieurs juniors ».

11 Comme le montre l’observation du passage de la paillasse à la version publiée des résultats. Dans ces différents tours de main, il arrive que les noms qui se trouvent au centre permutent selon le travail fourni (sa quantité et sa dimension probatoire) ou la situation (e.g. la candidature à un poste).

12 « Je travaille également avec des médecins, et ils ont une autre tradition. C’est-à-dire qu’ils font le boulot, et à la fin celui qui rédige un article, il signe, il met son nom en premier, et ensuite il met tous les autres qui ont participé au contrat, à la suite » (un sociologue, n° 9).

13 Zuckerman (1968, p. 279) a montré cette fluidité des pratiques pour les chimistes : « Il ressort que les spécialités de la chimie suivent les scénarios de leurs sciences voisines : les lauréats travaillant principalement en chimie-physique, comme les physiciens, sont plus aptes à cosigner par ordre alphabétique que les biochimistes qui choisissent des scénarios plus proches des biologistes. 48 % des articles des chimistes-physiciens sont par ordre alphabétique en comparaison à 28 % des articles des biochimistes. »

14 Bien qu’ils n’analysent pas directement les pratiques effectives des chercheurs, mais se concentrent sur des codifications professionnelles (e.g. guidelines, protocoles), des travaux récents sur l’auteur en physique et en sciences biomédicales insistent également sur cette dimension « écologique » de l’auctorialité en montrant combien chaque espace disciplinaire définit de manière spécifique l’opérationnalité de cette notion (Biagioli 2003 ; Galison 2003).

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