Les caractéristiques de l’enseignement supérieur de masse en France
p. 295-311
Texte intégral
1Au moment où ces pages sont écrites, fin mai 1996, est-il trop tôt ou trop tard pour essayer de caractériser notre enseignement supérieur, tel qu’il est aujourd’hui, à la veille de possibles réformes ?
2La réponse est évidemment que toute réflexion sur ce qui existe peut aider à mieux apprécier les changements envisagés, la pertinence de leurs objectifs et des moyens mis en œuvre pour les atteindre.
3Qu’est-ce que l’enseignement supérieur de masse ? En tant qu’enseignement supérieur, c’est le sommet de l’édifice éducatif, le lieu de l’élaboration et de la transmission du savoir en train de se faire. Mais c’est aussi pour ceux qui s’y inscrivent, les étudiants, la dernière étape d’un parcours de formation et, en ce sens, l’enseignement supérieur a toujours et pour presque tous une dimension professionnelle.
4En tant qu’enseignement de masse, ensuite, notre enseignement supérieur s’articule nécessairement sur un enseignement secondaire de masse et, à l’autre extrémité, sur un marché du travail où les diplômés du supérieur forment aussi une masse – que l’on raisonne en flux ou en stock.
5De l’enseignement secondaire de masse, l’enseignement supérieur reçoit un flux d’entrants forcément différenciés par les aptitudes, les connaissances, les intérêts. Le marché du travail demande, de son côté, des diplômés différenciés, même si les informations qu’il transmet sur la nature des différences souhaitées ne sont pas claires.
6L’enseignement supérieur, enfin, en tant qu’ensemble d’enseignants et d’établissements, est lui-même créateur de différenciations qui lui sont propres, par le jeu des disciplines notamment.
7Le sommet et la masse, l’« acropole » et l’« agora » selon l’expression reprise par C. Ken (1984) : comment l’enseignement supérieur peut-il être en ces deux lieux à la fois, accueillir la diversité et la transformer en une autre diversité où doivent se conjuguer les attentes des étudiants, celles du marché du travail et celles qui sont propres à l’enseignement supérieur, c’est-à-dire finalement aux enseignants ?
8À côté des « figures de l’expériences étudiante » (Dubet, 1984), il faudrait décrire celles des enseignants1.
9Comment analyser les institutions et les processus par lesquels l’enseignement supérieur crée de la diversité (et la renouvelle par la recherche) à partir d’une population d’étudiants elle-même diversifiée ?
10Pour répondre à la question, il faut d’abord définir quelques outils d’analyse. C’est l’objet de la première section. Nous verrons ensuite comment l’enseignement supérieur français est devenu un enseignement de masse (section 2) et à quoi tient sa cohérence actuelle, cohérence fragile et sous-optimale (section 3).
Éléments d’analyse
11Dans un enseignement supérieur principalement financé par l’État où prédomine l’idée de service public, si vague soit-elle, une grille d’analyse très simple permet de repérer les principaux caractères du système en ce qui concerne la mission d’enseignement. Cette grille comprend trois questions directes et deux questions plus transversales.
Questions directes
121 – Comment s’effectue l’orientation et l’admission des étudiants dans les différentes filières ? L’éventail des possibilités est large, depuis la liberté totale sous condition d’avoir le baccalauréat ou un équivalent, jusqu’aux dispositifs les plus restrictifs. Parmi ces derniers, il importe de distinguer la question du numerus clausus et celle des critères de choix. Dans le cas d’un numerus clausus national, comme en médecine, la sélection entre les candidats peut être décentralisée, chaque établissement ayant son quota de places ouvertes, ou au contraire centralisée par un système de concours unique, les étudiants admis choisissant entre les établissements selon leur rang de classement. En l’absence de numerus clausus national strict, il peut exister un système de capacité d’accueil plus ou moins extensible combiné avec des procédés multiples pour déterminer les admis – en supposant que le nombre de candidats soit supérieur au nombre de places. Sans détailler ces procédés, il faut retenir que le problème de l’admission ne se réduit pas à l’alternative du choix par les établissements ou de la liberté totale.
132 – Quel est le niveau visé par l’enseignement ? L’enseignement supérieur traditionnel pouvait se référer exclusivement à l’idée de « haut niveau » où se retrouve l’image du sommet de l’édifice éducatif et celle de relation avec la recherche (Renaut, 1995). Mais l’enseignement supérieur de masse doit reconnaître la diversité de ses objectifs et de ses ambitions. Tâche très difficile dans le cas français, où la notion de niveau semble rendue confuse à souhait pour éviter de parler clairement de concurrence et pour protéger les corporatismes enseignants.
143 – Quel est le degré d’engagement de l’établissement à l’égard de l’étudiant ? Là encore, une grande diversité apparaît. Pour s’en tenir à quelques traits saillants, il est possible de distinguer :
l’engagement minimal ou offre légale d’accès au savoir. L’établissement offre des cours assortis éventuellement de travaux dirigés et ne délivre au mieux qu’une attestation d’assiduité ;
l’obligation de moyens. L’établissement s’engage à utiliser les ressources de la pédagogie pour permettre à l’étudiant d’acquérir le savoir et les aptitudes à raisonner. Mais l’établissement ne garantit pas le résultat ;
l’obligation de résultats. L’établissement garantit un diplôme conditionnel à l’effort exigé. Ce diplôme a une valeur certifiante plus ou moins précise.
Questions transversales
15Elles concernent la professionnalité d’une formation et la certification.
161 – La professionnalité. Le vocabulaire est confus. La distinction traditionnelle entre les filières académiques ou générales et les filières professionnelles ou professionnalisées n’est pas satisfaisante. Toute filière d’enseignement supérieur a une dimension professionnelle, c’est-à-dire un rapport avec la vie active puisque, par définition, il n’y a pas d’ouverture vers un degré supérieur d’étude. Il paraît donc plus utile de s’interroger sur les caractères de la professionnalité afin de pouvoir apprécier le degré de professionnalité (ou de professionnalisation) de chaque filière.
17La professionnalité s’organise selon trois axes (Vincens et Chirache, 1992) :
clarté. Le domaine d’activité visé doit être bien identifié, ce qui ne veut pas dire qu’il est étroit ;
consensus. Il y a une forte convergence des attentes des étudiants, des employeurs et des enseignants sur l’emploi visé et sur la capacité de l’occuper ;
confiance. Le seuil de certification est élevé, la quasi-totalité des diplômés sont capables d’occuper l’emploi.
18Une formation qui satisfait à ces trois critères a un degré élevé de professionnalité qui, par conséquent, ne dépend pas, dans son principe, de la participation de professionnels à l’enseignement ou du volume de stages.
19La professionnalité ne doit pas être confondue avec l’opérationnalité qui est l’aptitude à tenir immédiatement l’emploi. Une formation peut être considérée comme bien professionnalisée même si un temps non négligeable d’apprentissage est requis. La professionnalité, dans ce cas, porte en partie sur le potentiel d’adaptation de l’individu (Millot, 1981 ; Vincens, 1995a).
20Enfin, la professionnalité est-elle liée à la situation de la filière de formation sur le marché du travail ? Autrement dit, une bonne professionnalité est-elle compatible avec un excès d’offre de diplômés par rapport à la demande ? Dans le court terme, certainement. A long terme, l’excès d’offre altérerait la clarté et le consensus. De même, la rareté entretenue accroît le consensus et la confiance...
212 – La certification. Cette notion a deux composantes. D’une part elle suppose des référentiels qui sont des caractéristiques, des qualités, des propriétés, mesurées de manière cardinale ou ordinale. D’autre part elle est une attestation crédible que l’individu (ou le bien, le service offert...) possède ces caractéristiques. B. Girod de l’Ain a récemment (1994) étudié les modes de certification universitaire ; son analyse fait bien ressortir que les modalités d’examen ont un lien souvent étroit avec la crédibilité de l’attestation. Le mode de certification reflète souvent le degré d’organisation du cursus sous un double aspect : celui de la localisation des plus grandes difficultés, en début ou fin de cursus (Vincens et Krupa, 1994) et celui du caractère plus ou moins progressif de l’acquisition des savoirs ; un système de certification par unités de valeur pourrait être satisfaisant si l’ordre d’acquisition de ces unités était fixé, si les unités les plus difficiles étaient au début du cursus et si chacune faisait appel aux savoirs et aux méthodes acquis grâce aux précédentes unités... Comme ces conditions ne seront probablement pas remplies, un autre mode de certification peut paraître préférable, comme l’indique B. Girod de l’Ain.
22La certification est un élément essentiel dans la recherche d’une professionnalité. Ces deux notions se retrouvent constamment lorsqu’il est question des procédés d’admission, de la définition du niveau d’une filière et du degré d’engagement d’un établissement.
23Ce sont toutes ces caractéristiques qui vont se combiner de différentes manières et donner son originalité à l’enseignement supérieur français.
Le passage à l’enseignement de masse
24Il s’inscrit dans une évolution longue, mais il suffit ici de repérer les grandes étapes d’après 1945.
La situation au début des années 1950
251 – Elle est caractérisée, on le sait, par le contraste entre les deux types d’établissements, les grandes écoles et l’université. En 1955, sur 200 000 étudiants environ, plus de 25 % sont dans les classes préparatoires et les grandes écoles, et donc près de 75 % se trouvent répartis de façon sensiblement égale entre les quatre groupes de facultés (droit et sciences éco, lettres, sciences, médecine et pharmacie). Ce stock est alimenté par un flux annuel qui n’atteint pas encore 40 000 bacheliers et il secrète une vingtaine de milliers de diplômés dont environ 4000 ingénieurs (Millot B. et Orivel F., 1980 ; Orivel F., 1979).
26Les critères d’analyse définis plus haut s’appliquent bien à cette situation, des modes de sélection au degré d’engagement, de la professionnalité recherchée à la certification.
27Les relations avec le marché du travail sont assez bien caractérisées en termes de « produits » et il est possible ici de s’inspirer de l’analyse proposée par B. Millot (1981). Le secteur élitiste des grandes écoles répond à une demande à la fois traditionnelle et en croissance forte des entreprises et des administrations techniques. Le principe, toujours en vigueur, est celui d’une sorte d’écrémage du marché ; il ne s’agit pas de produire assez de diplômés pour occuper la totalité des emplois réputés correspondants : l’objectif est d’en occuper une proportion suffisante et de maintenir un écart de qualité entre les diplômés des écoles et ceux qui occuperont les autres emplois et qui seront plus des compléments que des concurrents. Le secteur professionnel comprend à l’époque certaines écoles (les moins cotées), la médecine et la pharmacie. Dans les professions de la santé, l’entrée est libre, il n’y a pas de numerus clausus, les débouchés sont assurés, mais la longueur des études et le coût de l’installation continuent à jouer un rôle dissuasif. Quant aux autres facultés ; droit, lettres, sciences, le « secteur socialisant » selon B. Millot, sa caractéristique principale est son articulation avec ce que B. Millot appelle le secteur interne ou plutôt avec une version élargie de celui-ci. En effet les facultés de lettres et de sciences ont pour principal débouché l’enseignement et l’on y accède par les concours ou par les voies très mal balisées de l’auxiliariat.
28Les facultés de droit destinent aux carrières juridiques, qui, elles aussi, s’ouvrent par des concours ou des examens d’aptitude où la profession joue un grand rôle, et aux carrières de l’administration. Là encore le concours précède l’école d’application. Une part des juristes, enfin, vont vers des fonctions diverses dans les entreprises, notamment banques et assurances.
292 – Cette structure et ce partage des rôles se prêtaient assez bien à une croissance à l’identique. Il suffisait d’accroître les promotions des écoles selon un rythme régulier2 et de laisser l’entrée libre dans les facultés en fournissant des moyens. Ce n’est pas un hasard si les facultés de sciences et des lettres ont été les premières à en profiter. D’une part la demande d’enseignants du secondaire était très forte et la volonté de développer l’enseignement et la recherche scientifique était très affirmée. D’autre part le recrutement d’enseignants pour ces facultés était facilité par le large vivier des agrégés du secondaire et, bientôt, notamment pour les scientifiques, par leurs propres diplômés parvenus jusqu’au doctorat.
La mise en place de l’enseignement de masse
30Dès 1965, le nombre de bacheliers frôle 100 000, ce qui dépasse les 15 % de la classe d’âge et constitue ce qui, à l’époque, paraissait le seuil du passage à une autre dimension de l’enseignement supérieur. Il n’est pas utile ici de revenir sur les raisons de cette explosion de l’enseignement secondaire. Il suffit de rappeler que l’enseignement secondaire de masse a été conduit à assumer une sélection par répartition entre des filières (enseignement long et enseignement technique court, hiérarchie non officielle des filières, etc.) et moins par rejet vers la vie active au début ou en cours d’études. La suppression de l’examen d’entrée en 6e est symbolique. Le baccalauréat par ailleurs a joué et joue toujours un rôle qui n’est pas toujours bien compris. Avec son double aspect d’examen national et de passeport d’entrée dans l’enseignement supérieur, il polarise les activités de l’enseignement secondaire et probablement contribue grandement à sa cohérence.
311 – Une première question, simplement évoquée, est celle de l’acceptation politique de l’enseignement supérieur de masse, ou plutôt de sa constitution en tant qu’objectif politique. L’exemple des Etats-Unis, les liens considérés comme indiscutables et très étroits entre le capital humain et la croissance économique fournissaient les éléments d’une justification générale. Le chapitre « formation » des Réflexions pour 1985 (1964) reste prudent et vague sur les modalités mais prédit l’expansion considérable du besoin de formation au-delà d’une formation générale donnée à tous jusqu’à 16-18 ans. Mais, pour la poursuite d’études après le baccalauréat, deux problèmes étaient posés aux responsables politiques :
l’enseignement supérieur devait répondre aux besoins de l’économie, même largement entendus et anticipés. Comment cela pouvait-il être fait ?
l’enseignement supérieur représentait un degré plus haut dans la hiérarchie implicite de difficultés qui inspire tout l’enseignement. De même que le baccalauréat ne pouvait être obtenu par tous puisqu’il couronnait un parcours progressif, de même la réussite dans l’enseignement supérieur exigeait des qualités que le baccalauréat ne garantissait pas.
32Les deux motifs se rejoignaient pour appuyer la thèse de ceux qui souhaitaient une planification, certes très souple, des flux des diplômés et une sélection à l’entrée dans la plupart des filières. Mais ceux qui étaient près du terrain sentaient bien que la sélection généralisée ou, plus largement, l’orientation en fonction des besoins de la nation se heurteraient à de très fortes résistances (Lelièvre et Nique, 1995). J.-C. Eicher (1990) a bien montré, par ailleurs, l’importance de l’effort financier fait pour l’enseignement supérieur dès le début des années 1960.
332 – L’enseignement supérieur court. La volonté de répondre aux besoins présumés de l’économie est l’un des principaux motifs de la création de l’enseignement supérieur court en France et dans d’autres pays européens (OCDE, 1973). Dans le domaine industriel, il s’est agi de former des techniciens supérieurs destinés à seconder les ingénieurs, ce qui permettait de remédier rapidement à la « pénurie » d’ingénieurs constamment dénoncée. Dans le secteur tertiaire, les tâches de gestion paraissaient réclamer un personnel ayant une formation assez élevée.
34L’enseignement secondaire a lancé le mouvement avec les premiers BTS3. La création des IUT est venue quelques années après. Contrairement à ce qui avait été envisagé, les deux types de formation ont coexisté.
35Par ailleurs, le baccalauréat est devenu le diplôme usuel pour l’accès aux formations paramédicales et à celle d’instituteur. Un nouveau secteur se trouvait de fait rapproché ou assimilé à l’enseignement supérieur court. Les caractéristiques de ces formations nouvelles étaient leur professionnalité affichée et, conséquence en partie de cela, la généralisation d’un numerus clausus local, c’est-à-dire de l’effectif maximal que pouvait atteindre une section, un groupe, un département. Il s’ensuivait que si le nombre de candidats excédait le nombre de places, une sélection était nécessaire. En la faisant sur des critères académiques, ces formations amélioraient leur image.
36La montée en puissance de cet enseignement supérieur court a été la principale novation nécessaire au développement de l’enseignement supérieur de masse en France.
373 – Des facultés aux universités. Il fallait résoudre aussi un autre problème. Les facultés de 1960 étaient capables, dans certaines limites, d’accueillir un plus grand nombre d’étudiants et d’enseignants, mais elles n’étaient pas faites pour gérer des ensembles de plus en plus diversifiés de filières avec des modes d’enseignement variés, des laboratoires de recherche et tout simplement pour assurer la cohésion minimale de ces ensembles d’étudiants, d’enseignants, d’heures d’enseignement... Il fallait de nouvelles structures, une autre assise juridique, une administration. Plusieurs formules étaient sans doute possibles. Les choix faits pour sortir de la crise de 1968 conduisirent aux universités d’aujourd’hui. La plupart d’entre elles ont trouvé des solutions originales pour résoudre les multiples problèmes soulevés par la diversité des disciplines, des filières, des corporatismes et des ambitions. L’enseignement supérieur de masse, dans les universités, c’est en particulier la variation peu prévisible des effectifs dans telle ou telle filière, la difficulté de procéder à des réallocations internes de ressources et, quelquefois encore, de gérer convenablement les horaires et les salles de cours.
38Le changement de dimension a entraîné, dès le début des années 1970, l’adoption de critères d’attribution des moyens et la redéfinition des types de relation entre l’administration centrale et les universités. Plus tard, la logique de l’habilitation coexistera avec la logique du contrat (Friedberg et Musselin, 1993). La logique de la globalisation et de l’autonomie coexistera avec celle de l’attribution quasi discrétionnaire, nonobstant les critères affichés.
Cohérences et incohérences du système Français
39Depuis une bonne trentaine d’années, l’enseignement supérieur français est devenu un enseignement supérieur de masse, ce qui, rappelons-le, signifie qu’il a accueilli des flux d’étudiants de plus en plus diversifiés4 et qu’il a dû accepter pour lui-même une différenciation croissante des filières, des types de personnels, des modes de fonctionnement, des objectifs à l’égard du marché du travail. En se focalisant toujours sur la mission de formation de l’enseignement supérieur, il est possible de rechercher les cohérences – et les incohérences – du système en distinguant trois aspects : l’orientation et l’entrée dans les filières, les cursus et les réorientations, les liens avec le marché du travail.
L’orientation et l’entrée dans l’enseignement supérieur
40Louis Lévy-Garboua écrivait en 1979 que « la finalité professionnelle de la demande d’éducation [...] est certainement le fait générateur de l’université de masse ». Comment l’enseignement supérieur français a-t-il répondu à cette attente ?
411 – Des choix en situation d’information imparfaite. Sans reprendre la théorie des choix appliquée à l’orientation5, il suffit de souligner que tous les bacheliers ne sont pas en état de préciser leurs choix professionnels. Cela ne tient pas seulement à l’incertitude relative aux débouchés présents et futurs, mais, plus fondamentalement, à l’incertitude qui règne sur leurs préférences et dans une certaine mesure sur leur capacité à réussir telles ou telles études. Ce n’est pas seulement une question d’insuffisance d’information, mais un besoin de découverte de soi et de la société. Dès lors, il est logique de chercher à réduire les risques, à garder la possibilité de modifier l’orientation initiale, bref à construire un processus de choix séquentiel. Cela n’est pas lié à l’excellence scolaire : un bachelier qui réussit très bien peut aussi être très perplexe quant à son orientation professionnelle ; il est donc incité à choisir la filière de formation qui préserve ses choix ultérieurs.
42Par conséquent, la perception par les bacheliers du positionnement relatif des différentes filières devient essentielle, chaque fois que le choix professionnel ne sera pas déjà fait et que son réalisme ne sera pas éprouvé.
432 – Le positionnement des filières et la demande de formation. Dans les premières années de l’enseignement supérieur de masse, entre 1965 et 1970, une répartition assez cohérente semblait pouvoir s’effectuer entre les trois types de filières : les grandes écoles se développaient et gardaient leurs domaines d’élection ; le fait marquant était la croissance rapide des écoles de gestion ; les universités conservaient elles aussi leurs missions avec des interrogations différentes selon les groupes de disciplines ; le nombre de diplômés stagnait en sciences, augmentait fortement ailleurs ; enfin, l’enseignement supérieur court, dont la professionnalité était affirmée, devait attirer les bacheliers qui auraient une idée assez précise de leurs objectifs professionnels et ne se sentiraient pas capables d’entrer dans le monde bien particulier de l’enseignement universitaire. Une telle répartition des tâches aurait été peut-être possible si les universités avaient pu choisir leurs étudiants et si le nombre de places avait été suffisant dans toutes les filières fermées.
44Ces conditions n’étaient pas remplies. Le succès de l’enseignement court fit apparaître assez rapidement une contrainte ; il y eut plus de candidats que de places, un processus de sélection sur critères académiques se développa.
45La conséquence bien connue est que les filières universitaires ouvertes virent et voient toujours refluer ceux qui n’ont pas été acceptés dans les filières fermées indiquées en premier choix. Ce phénomène est difficile à mesurer (Vincens, 1996). Il a une signification très différente selon que le premier choix était une filière longue (CPGE – grandes écoles) ou courte. Dans l’ensemble, 75 à 80 % des bacheliers doivent pouvoir s’inscrire dans la filière qui constituait leur premier choix.
463 – La logique de ce système. Ce type d’orientation n’a pas été voulu. Il résulte d’une série de causes : la croissance très rapide du nombre de bacheliers et des poursuites d’études, la difficulté de développer suffisamment l’enseignement court, à la fois pour des raisons de coût et pour éviter un excès d’offre de diplômés.
47Mais une autre question peut être posée. Comment se fait-il que les bacheliers aient accepté un tel système de numerus clausus et de sélection, concernant une moitié des inscrits pour la première fois dans l’enseignement supérieur ? Les manifestations pour la liberté d’inscription ont influencé les décisions politiques depuis 1968, la loi de 1984 a réaffirmé le principe de la liberté d’inscription tout en prévoyant les exceptions. Mais lorsque les exceptions font jeu égal avec la règle, comment expliquer la faiblesse des réactions ?
48Ainsi, en se plaçant uniquement du point de vue des étudiants, la pérennisation de ce système semble heurter la logique. La réponse à ce qui peut apparaître comme un paradoxe doit être cherchée dans deux directions complémentaires :
49– La hiérarchisation incomplète des filières. Il n’est pas possible de dresser un ordre strict des filières, fermées et ouvertes, qui mettrait en tête de façon systématique les filières fermées, CPGE d’abord. L’image d’une université-repoussoir, pis-aller, ultime recours des bacheliers les plus médiocres refusés partout ou tellement conscients de leur faiblesse qu’ils ne candidatent pas dans les filières fermées, est évidemment caricaturale même si elle apparaît quelquefois. La réalité est beaucoup plus compliquée. Il y a un ordre partiel avec des chevauchements nombreux et les filières universitaires font l’objet d’un choix positif et prioritaire pour une proportion élevée des bacheliers6.
50Cette hiérarchisation incomplète offre ainsi à ceux qui n’ont pas obtenu l’inscription désirée dans une des filières fermées un « substitut honorable ». Le bachelier n’est pas relégué dans une filière en tous points inférieure à celle qu’il désirait. Dans d’autres cas, l’inscription à l’université lui donnera les moyens d’attendre, d’améliorer éventuellement ses chances d’entrer dans la filière désirée – ou de se réorienter complètement.
51– Les contrastes entre les filières ouvertes et fermées en termes de probabilité de succès, de mode de travail, d’intensité de l’effort exigé7 suggèrent de reprendre et peut-être de reformuler la théorie de l’éligibilité présentée par L. Lévy-Garboua. L’argument serait en somme que l’université offre des « produits » aux caractéristiques différentes de celles des « produits » offerts par les filières fermées. Ces « produits » s’analysent en termes de qualité de vie, de perspectives professionnelles, de probabilités de réussite aux examens, de durée possible du séjour dans l’enseignement supérieur...
52La sélection était d’autant mieux acceptée que les voies qui restaient ouvertes pouvaient paraître pour certaines caractéristiques supérieures à la filière primitivement désirée.
53Dans ces conditions, les filières fermées ont pu être développées parce que les autres filières restaient ouvertes et présentaient des possibilités de choix, dans l’immédiat ce qui donnait une sorte de cohérence à l’ensemble du processus d’orientation après le baccalauréat.
Réorientation et passerelles
54Un autre élément de cohérence du système est venu de sa capacité à permettre les réorientations et l’articulation des cursus. Pour l’ensemble des entrants en CPGE, la proportion de ceux qui intègrent une école ne dépasse pas 60 % d’après l’étude du CEREQ (Epiphane et Hallier, 1994). Mais la quasi-totalité poursuivent leurs études, surtout à l’université. Des flux de réorientation s’établissent aussi dans les deux sens entre l’université et les filières courtes.
55Les poursuites des études après l’obtention d’un BTS ou surtout d’un DUT ont fortement augmenté. Les universités et certaines écoles y contribuent. L’entrée dans les grandes écoles en venant de l’université constitue une part croissante du recrutement de celles-ci. Enfin les 3e cycles universitaires accueillent des diplômés des grandes écoles. Le rappel de ces échanges entre les composantes de l’enseignement supérieur a simplement pour but de souligner ce que l’autonomie des divers éléments et la différence majeure dans les modes d’admission après le baccalauréat auraient tendance à faire oublier. La diversité des parcours possibles pour arriver à un diplôme déterminé est le résultat de politiques visant à multiplier les passerelles, mais c’est aussi le fruit de décisions multiples, prises par les établissements, jeu des équivalences, des dispenses partielles.
56Le rendement interne de l’enseignement supérieur8 est amélioré. Ces échanges contribuent aussi à renforcer l’imperfection ou le flou de la hiérarchie des filières telle qu’elle a été décrite plus haut.
Le marché du travail
571 – L’accroissement des flux de diplômés de l’enseignement supérieur semble avoir été très fort entre 1965 et le milieu des années 19709. Le flux de diplômés a ensuite doublé entre 1973 et 1991 ou 1992.
58Mais plusieurs caractéristiques se sont globalement maintenues. La proportion de diplômés bac + 2 continue à osciller autour de 40 % du total avec une tendance à la baisse ces dernières années.
De même, parmi les diplômés de niveau I et II, la proportion de diplômés des écoles s’est maintenue autour de 30 % (secteur de la santé exclu).
Parmi les diplômés des filières universitaires, la part des lettres et sciences humaines s’est accrue.
La tendance à poursuivre les études jusqu’à l’obtention d’un diplôme de troisième cycle s’est affirmée.
592 – La répartition des diplômés entre les divers types de débouchés a été modifiée par le développement de l’enseignement court, orienté vers le secteur marchand, sauf pour les formations sociales et paramédicales et par l’accroissement des flux de diplômés de l’université dont une proportion croissante s’emploie dans le secteur marchand.
60La professionnalisation des filières universitaires s’est effectuée selon plusieurs modalités. Sans parler des écoles d’ingénieurs créées dans les universités, les MST, la MSG et la MIAGE, puis certains magistères et enfin les IUP sont des filières dont la conception se rapproche de celle des grandes écoles. Cela est vrai aussi de quelques DESS.
61Au contraire, d’autres filières, maîtrises et troisièmes cycles seront fondés sur une discipline majeure, le plus souvent même sur une spécialisation dans la discipline. L’objectif est de former en vue d’une profession déterminée. C’est la même logique que celle du doctorat lorsque l’emploi visé n’est pas l’enseignement ou la recherche publique. De telles formations se rencontrent tout particulièrement en sciences, en droit, en économie, en psychologie. Les rapports du Comité national d’évaluation décrivent souvent comment cette spécialisation est apparue comme la meilleure façon de concilier l’esprit monodisciplinaire des filières universitaires et la nécessité de répondre à la demande du marché et aux attentes des étudiants. Comme dans toute filière professionnalisée, la question de la limitation des effectifs est posée et elle est résolue par approximation.
62Depuis le début des années 1980, la majorité des diplômés des deuxième et troisième cycles des universités prennent des emplois hors du secteur public (Chariot et Pottier, 1992). Cela a fortement contribué à accroître l’offre des diplômés pour les professions supérieures et intermédiaires. Cela a-t-il concurrencé les diplômés des grandes écoles ?
63Sans doute dans quelques domaines. Mais, de manière plus générale cet accroissement de l’offre de diplômés, face à une demande en forte croissance elle aussi, a dû au contraire rendre supportable le maintien de la rente de rareté dont bénéficient les diplômés des grandes écoles. Le raisonnement est le suivant : dans l’ensemble, les diplômés des grandes écoles sont recrutés en priorité ; mais ils ne sont pas assez nombreux pour occuper tous les emplois qui exigent une formation supérieure ; les entreprises recrutent donc des diplômés universitaires, ce qui permet d’équilibrer le marché, mais fait supporter à ces diplômés la plus grande partie des risques conjoncturels. Ce type de complémentarité repose bien sur la coexistence des deux secteurs, l’un fermé et l’autre ouvert, ce dernier ne pouvant pas réguler réellement le flux de diplômés et ne pouvant, en conséquence, s’engager sur les perspectives d’emplois10.
Conclusion
64Quel bilan est-il possible de faire après trente ans d’enseignement supérieur de masse ? À cette première question, il convient d’en ajouter une autre : quels problèmes nouveaux l’enseignement supérieur de masse rencontrera-t-il dans les années à venir ?
Un bilan mitigé
651 – Les critiques. Sans doute serait-il possible de réunir un ensemble de critiques sur chaque composante de l’enseignement supérieur, y compris les grandes écoles. Mais l’essentiel des critiques porte sur les universités et les projets actuels de réforme concernent principalement celles-ci.
66Les reproches portent avant tout sur les pourcentages d’échec, surtout en premier cycle, sur le lien trop lâche avec le marché du travail, sur les conséquences fâcheuses, voire désastreuses, de l’orientation soumise à des modes en faveur de telle ou telle discipline. Les incertitudes de la certification sont également relevées ainsi que les mauvaises conditions de travail, l’encombrement des locaux. Certains mettent en cause le statut des enseignants-chercheurs, d’autres dénoncent la « secondarisation » de l’enseignement...
67Tout cela pourrait être aisément replacé dans la grille d’analyse proposée au début de cet article : la liberté d’inscription dans un système financé principalement par l’État entraîne un faible engagement de l’établissement, contribue à entretenir le flou sur le niveau effectif de formation et sur le sens de la certification. Le nombre de diplômés tend à varier dans le même sens que le nombre d’inscrits, sinon dans la même proportion, ce qui rend plus difficile l’établissement de fortes relations avec le marché du travail : il n’est pas possible de garantir à la fois la liberté d’admission, l’obtention d’un diplôme et celle d’un emploi en rapport avec le niveau de formation.
682 – Les réponses. Une des réponses à ces critiques consiste à insister sur la mission culturelle des universités, jugée inséparable de la liberté d’inscription, et à réclamer les moyens de bien la remplir. Certains projets de réforme du premier cycle ne sont pas très éloignés de cette conception.
69Mais il paraît préférable de se situer sur un autre terrain : il faut replacer les critiques adressées à l’université seule dans le cadre du fonctionnement de l’enseignement supérieur dans son ensemble. Il est illogique de juger une partie d’un système social comme si elle était indépendante du reste. Nous avons soutenu que la liberté d’admission dans les filières universitaires avait contribué à faire accepter l’extension de la sélection dans le secteur fermé. Certains des dysfonctionnements reprochés à l’université sont finalement le prix qu’il a fallu payer pour la sélection et le numerus clausus dans les autres composantes de l’enseignement supérieur. Qui plus est, les échecs sont considérés de manière différente selon leur origine : sur 100 inscrits pour la première fois en DEUG, 58 % entrent en deuxième cycle (DEP 96.18) ; or, la proportion d’entrants dans les CPGE (toutes disciplines confondues) qui accèdent à une école ne dépasse guère, nous l’avons vu, les 60 %. La différence est évidemment que les élèves des CPGE qui abandonnent ou échouent se réorientçnt aisément, surtout à l’université, alors que la plus grande partie de ceux qui n’obtiennent pas le DEUG entrent dans la vie active au niveau dit « IV supérieur ». Il est probable aussi qu’une partie des bacheliers qui souhaitaient entrer dans une filière courte et sont repoussés vers l’université auraient mieux réussi dans la filière qu’ils souhaitaient. Dans ce cas de figure, l’échec à l’université est en quelque sorte directement provoqué par le numéros clausus des filières courtes.
70Enfin, la relation très lâche avec le marché du travail, le faible degré de professionnalisation de beaucoup de grandes filières universitaires est, nous l’avons vu, une des conditions du succès de la professionnalisation des filières fermées11.
71Ce n’est pas là une défense de l’université ni un éloge du système d’enseignement supérieur français. Mais il est nécessaire de comprendre que ce système n’est pas composé de deux parties indépendantes, le secteur fermé qui fonctionnerait bien et le secteur ouvert qui marcherait mal. Le bon fonctionnement de l’un n’est pas étranger au médiocre fonctionnement de l’autre...
723 – Un moindre coût politique. En étudiant la mise en place de l’enseignement supérieur de masse en France, l’impression qui s’impose est que, malgré les apparences, ce système est bâti au prix d’une faible pression sur les principaux groupes d’acteurs. Dans cette perspective, même 1968 est étonnamment respectueux de l’ordre des choses.
73Créer un enseignement supérieur de masse au début des années 1960 impliquait nécessairement l’enseignement supérieur existant, l’enseignement secondaire, les employeurs privés et publics, enfin les familles et les futurs étudiants. Quelles contraintes, quels choix pratiques, quelles transformations était-il possible de faire accepter aux uns et aux autres ? La question n’a peut-être pas été posée exactement dans ces termes, mais la réponse semble claire : peu de contraintes, peu de choix politiques, le minimum de transformations. L’enseignement secondaire s’est trouvé associé au développement de l’enseignement postsecondaire – ou a veillé à être associé à ce développement – par les CPGE et les STS. L’enseignement supérieur a conservé la dualité écoles-université. Les employeurs n’ont pas eu à entrer dans un jeu contraignant d’engagements en termes de besoins qualitativement et quantitativement exprimés. La liberté de poursuivre des études est restée entière. Sagesse ou manque de courage politique ?
Vers un nouveau contexte
74La France est passée à l’enseignement supérieur de masse un peu plus tôt que l’Allemagne, le Royaume-Uni, l’Espagne. La proportion de la classe d’âge obtenant un diplôme post-baccalauréat devrait avoisiner 40 % ; C. Vimont (1995, p. 58) donne 33 % en 1992 et 42 % en 1995, 53 % en l’an 2000.
751 – Les conséquences sur le marché du travail. Une nette dégradation des conditions d’insertion pour les diplômés de l’enseignement supérieur était prédite depuis une bonne dizaine d’années. Dans un contexte général d’accroissement du chômage et malgré la crise conjoncturelle de 1992-1993, cette dégradation ne semble pas encore très marquée. L’analyse du phénomène doit prendre en compte non seulement l’augmentation des flux annuels de diplômés sortants, mais aussi la diffusion progressive des diplômés dans la pyramide des âges. Les diplômés de l’enseignement supérieur qui ont aujourd’hui 45 à 50 ans sont entrés dans la vie active entre 1970 et 1975 et ils constituaient 12 à 15 % de leur classe d’âge. Leurs cadets de vingt à vingt-cinq ans forment près de 40 % de leur classe d’âge.
76Cela veut dire que les conditions d’utilisation des diplômés sont en train de changer. Dans certains secteurs, comme l’enseignement, la part du renouvellement démographique sera très importante d’ici quelques années. Dans d’autres secteurs, c’est la croissance des emplois et les changements dans la structure des recrutements qui joueront le principal rôle pendant de longues années encore.
77Cette approche un peu « fixiste » des besoins de diplômés – ou des capacités d’absorption par l’économie – tend à négliger tous les changements interactifs dans les attentes des étudiants et des diplômés d’une part, dans celles des employeurs d’autre part.
78Pour l’enseignement supérieur de masse, cela se traduira inévitablement par l’obligation de répondre à des questions un peu nouvelles, notamment celle de la concurrence entre les filières et les établissements dans une perspective de course généralisée à l’élitisme par le diplôme12. De même, l’éventuelle déconnexion entre les diplômes et l’emploi deviendra-t-elle une réalité ? Ses partisans se rencontrent parmi des universitaires qui y voient peut-être le moyen d’en rester à leur mission de dispensateurs de culture ou dans des milieux proches des entreprises qui insistent en quelque sorte sur le rôle des qualités personnelles, peu ou mal « filtrées » par le système de la hiérarchie des filières éducatives.
792- Il est possible enfin que l’internationalisation de l’enseignement supérieur et la construction de l’Europe aient des conséquences sur le contenu des cursus, les modes de certification, l’évaluation de la qualité des filières et des établissements. Par ailleurs, les conditions de la recherche seront peut-être affectées par cette internationalisation. L’hypothèse la plus solide est que ces influences agiront dans le sens d’une différenciation croissante des établissements, mais jieut-être aussi, comme le suggère B. Girod de l’Ain (1994) à propos des Etats-Unis, contribueront à déconnecter partiellement la qualité éventuelle de l’enseignement et la qualité de la recherche.
803 – Pour améliorer la qualité de l’enseignement supérieur, il ne suffira pas de réformer le DEUG et de dessiner une filière technologique. Le développement des formations courtes sélectives envisagées pour le proche avenir (DEP 96-18) soulagera le premier cycle universitaire. Est-ce dire que pour ces filières courtes le nombre de places offertes tendra à égaler la demande ? Dans ce cas, le positionnement sur le marché du travail serait peu à peu modifié. La formation garderait ses qualités, mais le nombre de diplômés ne permettrait plus de garantir l’emploi. C’est peut-être déjà en train de se dessiner (Kirsch et Desgoutte, 1996).
81Les poursuites en deuxième cycle, par la voie technologique ou non, ne feraient que déplacer le problème.
Bibliographie
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Notes de bas de page
1 Une bibliographie est donnée dans l’étude du CERC : Les Enseignants-chercheurs de l’enseignement supérieur ; revenus professionnels et conditions d’activité, n° 105, 3e trimestre 1992, Paris, La Documentation française.
2 C. Maury (1996) montre que le nombre d’ingénieurs diplômés a augmenté à un taux annuel de 4,2 % de 1940 à 1990 avec une accélération autour de 1960.
3 M. Ourtau (1996). Les premiers brevets de technicien datent de 1952.
4 L. Lévy-Garboua, 1979, p. 180.
5 L’article essentiel pour les économistes me semble être celui de Duru M. et Mingat A. (1988).
6 Voir dans Vincens (1996) les résultats de l’enquête ADES pour la région Rhône-Alpes, notamment p. 23.
7 Effort exigé par l’organisation du cursus et non pas effort nécessaire pour réussir.
8 Nombre de diplômes/flux global d’entrants.
9 Le premier bilan formation-emplois est de 1973.
10 Une façon un peu différente de présenter le problème consiste à dire que les emplois de cadres et d’ingénieurs dans les entreprises sont pourvus en faisant appel aux diplômés des écoles, aux diplômés de l’université et à des actifs moins diplômés qui accèdent surtout grâce à la promotion interne. Si celle-ci est réduite à une sorte de minimum incompressible, la régulation se fait entre les diplômés et on revient au mécanisme décrit ci-dessus.
11 Les BTS tertiaires, voire quelques départements tertiaires des IUT en fournissent la preuve a contrario : le flux de diplômés excède la demande et la qualité de l’insertion professionnelle s’en ressent.
12 C’est-à-dire une course à l’acquisition précoce d’une position sociale par le diplôme. Ce n’est pas nouveau, mais cela change de sens lorsque cela concerne une large partie de la classe d’âge et non plus 3 ou 4 %.
Auteur
Professeur émérite (université des sciences sociales, Toulouse), a réalisé de nombreux travaux dans les domaines de l’économie du travail et de l’insertion dans l’emploi. Ces interrogations l’ont conduit à décrire les relations entre le système de l’emploi et les attentes, individuelles et sociétales, envers le système éducatif.
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