Mieux connaître les pratiques enseignantes et chercher en quoi consiste l’effet-maître
p. 151-162
Texte intégral
Effet-maître : de la difficulté d’ouvrir la boîte noire
1Cherchant l’origine des différences de progression des élèves dans les apprentissages, les analyses effectuées d’abord aux États-Unis puis plus récemment en France (Bressoux, 1994) font apparaître le poids de différents facteurs : les uns relèvent des caractéristiques des élèves (parcours scolaires, performances initiales, catégories sociales d’appartenance...), les autres relèvent des conditions de la scolarisation, parmi lesquelles figurent des variables organisationnelles générales et des variables relatives à la classe fréquentée. Ces sont ces dernières qui sont considérées lorsqu’on parle d’un effet-classe dont le poids, estimé à l’aide d’analyses de variance des acquisitions, est quantitativement de l’ordre de 10 à 20 %. L’appréciation de l’importance relative des variables structurelles, comme le nombre d’élèves ou la composition du groupe-classe, et des variables pédagogiques permet de dégager ce qu’il est convenu d’appeler un effet-maître qui, à lui seul, représenterait la plus grande part de l’effet-classe.
2Reste à savoir en quoi consiste cet effet-maître. Discours, essais, publications destinées aux praticiens ou travaux plus spécialisés sont nombreux en matière de pédagogie. En première approche, il peut ainsi paraître aisé d’identifier ce qui, dans les pratiques, fait la différence d’un enseignant à l’autre. Il n’en est pourtant rien.
3Pour l’enseignement de la lecture dans les premières classes de l’école primaire, le rédacteur des instructions de 1923 ne préconisait pas de méthode pédagogique particulière, mais indiquait : « Des études sont en cours qui décideront. » Encore aujourd’hui, il n’est pas vraiment possible de décider...
4Lorsqu’elle tente de connaître les pratiques enseignantes et d’en identifier les caractéristiques en vue de mieux expliquer l’effet-maître, la recherche est confrontée à plusieurs difficultés.
5Rendre compte des pratiques à l’aide de variables représentatives et opérationalisables :
- les typologies habituelles (pédagogie impositive, pédagogie active, pédagogie du projet, pédagogie différenciée...) sont certes utiles pour situer globalement les pratiques, mais trop générales dès qu’il s’agit d’opérationaliser un protocole de recherche ;
- la notion de méthode d’enseignement peut sembler plus précise, surtout dans un domaine limité comme celui de l’acquisition de la lecture : méthodes globale, synthétique, syllabique, phonomimique, naturelle ont été décrites par leurs auteurs ou par leurs promoteurs respectifs. Mais, nous le verrons, plusieurs travaux remettent en question cette notion de méthode d’enseignement.
6Recueillir dans des conditions suffisamment standardisées un nombre assez important de données sur les pratiques :
- la connaissance des modalités prises par les variables représentatives des pratiques rend nécessaire la mise au point d’une méthodologie de recueil des données. Deux manières principales de procéder sont envisageables : soumettre les enseignants à un questionnaire ou effectuer une observation en situation de classe. Aucune de ces procédures n’est exempte de difficultés pratiques et méthodologiques. Elles ne sont équivalentes ni sur le plan qualitatif (le discours sur la pratique n’est pas la pratique) ni sur le plan quantitatif (on rassemble plus facilement un grand nombre de réponses à un questionnaire que de faits directement observés) ;
- outre les problèmes habituels d’échantillonnage des sujets (enseignants) se pose celui de l’échantillonnage des prélèvements dans le temps. Il est assez peu réaliste de considérer qu’une observation ponctuelle de quelques heures suffit pour accéder aux pratiques pédagogiques d’un enseignant. C’est supposer qu’il existe une permanence des caractéristiques principales et que les variations possibles sont sans intérêt. Pourtant, comme l’attestent plusieurs travaux, la variabilité intra-individuelle des modalités de l’acte d’enseigner est elle-même une caractéristique importante dont les effets ne sont peut-être pas négligeables.
7Posséder une théorie de l’enseignement-apprentissage dont la valeur explicative puisse permettre une interprétation des données recueillies sur les pratiques :
8La mise en relation des différentes modalités de l’acte d’enseigner et des progrès des élèves dans leurs apprentissages peut être effectuée à l’aide d’un ensemble de techniques statistiques, mais, selon le modèle théorique de renseignement-apprentissage utilisé comme référence, le degré d’explication sera différent.
9Les modèles dits « processus-produits » (processus = enseignement ; produits = résultats des élèves) ont une valeur explicative plus faible que les modèles des processus médiateurs ou les modèles dits écologiques (Doyle, 1978, 1986). Mais, en contrepartie, les modèles permettant d’accéder à une interprétation plus riche des pratiques rendent nécessaire l’examen d’un nombre important de variables, au point que, s’ils sont satisfaisants en termes de validité individuelle, ils le sont moins en termes de validité générale ou externe.
10Ces différents aspects du problème posé par l’explication de l’effet-maître vont être illustrés et discutés à partir des résultats des travaux encore trop peu nombreux dans le domaine.
Les approches habituelles en vue d’améliorer la pratique
11Avant même que ne soit établie, par les procédures évoquées plus haut, l’existence d’un effet-maître, les pratiques pédagogiques étaient considérées comme un facteur important de progression des élèves, parfois comme le principal ou unique facteur, ce qui exposait au pédagogisme critiqué par la suite, notamment dans les travaux de sociologie de l’éducation. Le but principal des recherches était de définir ou de découvrir les pratiques les meilleures. Plusieurs façons d’y parvenir étaient (et sont toujours) mises en œuvre :
- à partir d’un ensemble d’options éducatives fondées sur un système de valeurs sont formulés des principes généraux pour guider la pratique. La pertinence de ce raisonnement principalement déductif tenait à l’argumentation, à la cohérence des différentes formulations et à la force de conviction des auteurs souvent philosophes-pédagogues (formation du jugement selon Montaigne, instruction concentrique de Coménius, éducation négative de Rousseau...) ;
- c’est aussi le choix d’une option éducative générale, mais, de plus, l’expérience d’une mise en œuvre concrète, qui conduit les pédagogues praticiens ou responsables d’écoles à proposer et à défendre un ensemble de dispositifs et de procédures d’enseignement (Freinet, Montessori, Dewey...) ;
- les sciences humaines et plus particulièrement la psychologie de l’apprentissage, du développement, la psychologie sociale ont produit des résultats qui, après transfert dans le champ de l’éducation, ont pris valeur de critères de choix des modalités les plus pertinentes pour la pratique (différenciation pédagogique selon les styles cognitifs, pédagogie inspirée du constructivisme, situations d’apprentissage accordant une place aux conflits sociocognitifs...) ;
- enfin, soucieuse d’une grande rigueur, la pédagogie expérimentale souhaitait rompre avec les discours d’autorité et mettre en évidence à l’aide de protocoles scientifiques les méthodes d’enseignement les plus efficaces. « La pédagogie doit être fondée sur l’observation et sur l’expérience ; elle doit être avant tout expérimentale. Jamais on n’a songé à ces expériences de comparaisons avec témoin, qui sont indispensables pour administrer la preuve scientifique » (A. Binet, 1898). « Deux attitudes principales sont possibles en matière d’éducation : celle de l’idéaliste, du qualitatif, et celle du réaliste, du quantitatif. L’un se préoccupe surtout des causes premières, des idées directrices, l’autre s’intéresse davantage aux résultats, aux effets, aux conséquences » (R. Buyse, 1929).
12Ces différentes manières d’atteindre les pratiques d’enseignement les plus performantes ne sont pas forcément exclusives ; le plus souvent, c’est par leur association selon des dosages variables que l’on cherche à montrer la supériorité de telle ou telle procédure pédagogique. Mais, nous l’avons dit, même dans un champ restreint à une seule discipline ou partie de discipline, les conclusions et prescriptions formulées restent difficiles à traduire en termes de généralisation de pratiques nouvelles à appliquer.
Un indispensable examen critique
Le piège de l’idéalisation
13La visée première des approches qui viennent d’être énumérées est de parvenir à des principes et des règles d’action pédagogiques qui, directement prescrits ou mis à la disposition des praticiens, leur permettraient d’être plus efficaces auprès des élèves. Certaines approches relèvent d’un raisonnement a priori, d’autres s’appuient sur des résultats provenant des sciences ressources, d’autres enfin se fondent sur l’expérience concrète ou plus systématiquement sur l’expérimentation, mais toutes ont pour but d’énoncer ce qui devrait être en matière de pratique enseignante. Cette façon de concevoir la recherche fait courir le risque d’une soumission à une double idéalisation :
- l’idéalisation de la portée des données scientifiques sur les pratiques qui seraient ainsi réglées par la science consacre le peu d’intérêt accordé aux pratiques telles qu’elles existent, y compris dans leurs insuffisances. Une visée trop directement prescriptive prend alors le pas, jusqu’à les exclure, sur les fonctions descriptive, explicative ou compréhensive de la recherche ;
- l’idéalisation de la pratique enseignante qui serait tout entière consacrée à la réussite la meilleure pour tous les élèves. Décideur souverain et rationnel, l’enseignant, après avoir apprécié les avantages et les inconvénients de différentes modalités d’action, ferait ses choix sur le seul critère d’efficacité des apprentissages. Plusieurs investigations ont cependant montré que l’action de l’enseignant était rarement ordonnée d’une telle manière : travaux sur les stratégies dites de survie des praticiens (Woods, 1990), sur les conduites de l’enseignant considéré comme agent-acteur-auteur, sur le caractère multifinalisé et multicritérié de l’acte d’enseigner.
14Une des conséquences de l’idéalisation de la pratique apparaît nettement dans les recherches qui privilégient la notion de méthode d’enseignement.
La méthode d’enseignement : une notion contestable pour décrire les pratiques
15La variable « méthode d’enseignement » est généralement considérée comme variable indépendante décrivant les conduites de l’enseignant et explicative des résultats des élèves. De nombreux protocoles de pédagogie expérimentale sont fondés sur l’idée que chaque enseignant fait le choix initial d’une méthode qu’il met ensuite fidèlement en œuvre. Ainsi, il deviendrait possible, après avoir identifié les différentes méthodes adoptées par plusieurs groupes d’enseignants, de comparer leurs effets sur la variable dépendante que sont les résultats des élèves.
16Cette approche suppose :
- que l’enseignant procède toujours de façon méthodique selon une cohérence d’ensemble,
- que la variable indépendante est stable dans le temps (fidélité aux choix initiaux sans emprunts à d’autres méthodes),
- que la même méthode produit toujours les mêmes effets quels que soient les publics et les contextes. Une telle représentation ne résiste pourtant pas à plusieurs observations :
17d’une part la variabilité des pratiques du même enseignant sous des conditions différentes est parfois plus importante que la variabilité inter-individuelle à conditions identiques (Crahay, 1989) ; d’autre part, comme l’ont montré les travaux sur les relations dites « aptitudes-traitements », la même procédure d’enseignement ne produit pas les mêmes résultats chez tous les élèves (Cronbach et Snow, 1978).
18On conçoit plus nettement encore combien la pratique est difficilement réductible à un étiquetage à partir d’une typologie opposant différentes méthodes lorsqu’on compare les données relatives à la pratique issues pour les unes des réponses à un questionnaire et, pour les autres, d’observations en situation.
19Une étude menée en 1994 sur les pratiques enseignantes des maîtres de CE2 (Altet, Bressoux, Bru, Lambert, 1994) a bien mis en évidence la difficulté d’obtenir, par traitement multidimensionnel, une typologie des enseignants fondée sur un ensemble de caractéristiques pédagogiques homogènes. Ce n’est en effet qu’à partir du quatrième facteur (environ 10 % de l’inertie) que l’on peut distinguer une tendance à la pratique de travaux de groupe associée à une différenciation de l’évaluation et une tendance opposée (pas de travail en sous-groupes ; évaluation uniforme).
20En revanche, l’analyse des correspondances multiples effectuée sur les pratiques déclarées des enseignants de CE2 également (Serra et Thaurel-Richard, 1994) fait rapidement apparaître une forte opposition entre deux groupes de maîtres : « ceux qui déclarent pratiquer la pédagogie par groupes en français et en mathématiques et individualiser leur enseignement... et ceux qui déclarent ne jamais pratiquer de pédagogie par groupes... et qui disent enseigner le plus souvent à l’ensemble de la classe ».
21Ces exemples illustrent les limites de l’explication selon laquelle l’effet-maître serait un effet instrumental (effet-méthode) et incitent à reconnaître le risque que l’on court d’en tirer des conclusions de nature prescriptive. Demander aux enseignants d’appliquer une méthode sous prétexte que sa supériorité a été démontrée, en ignorant la complexité de la pratique, expose à des conséquences parfois éloignées du résultat attendu.
22Il faut alors se rendre à l’évidence : avant toute tentative de prescription, mieux vaut connaître la diversité des pratiques enseignantes, leurs conditions et leur mode d’organisation. Restent à trouver les moyens méthodologiques pour accéder à ce que A. Schön (1994) appelle le savoir caché dans l’agir professionnel ; un long chemin à parcourir...
L’apport des études descriptives
Repérage de la variabilité inter-individuelle
23Les approches descriptives développées sans référence à une typologie des méthodes d’enseignement posée a priori ne sont pas nouvelles. La publication de Bayer et De Landsheere (1969), intitulée « Comment les maîtres enseignent », est l’une des premières références bien connues en langue française. Les synthèses de travaux dans ce domaine (Postic et De Ketele, 1988 ; Crahay, 1989) apportent des indications intéressantes et établissent le constat général d’une tendance des enseignants à consacrer la majeure partie de leur action à imposer des informations et à organiser la vie de la classe. Les maîtres belges observés par Bayer et De Landsheere ne consacrent que 2 % à la fonction développement (initiative laissée aux élèves et reprise de leurs apports spontanés). On ne saurait pourtant en conclure que l’organisation et la gestion pédagogiques sont identiques chez tous les maîtres. Selon les variables considérées, la variabilité inter-individuelle est loin d’être négligeable, ce qui donne un espoir de découvrir des caractéristiques différenciatrices qui pourraient rendre compte de l’effet-maître.
24Déjà évoquée, l’étude dans les classes de CE2 (31 classes) avait d’abord pour but d’explorer les pratiques sur une période de deux semaines à l’aide d’un repérage des différentes modalités prises par un ensemble de variables appartenant à plusieurs niveaux d’observation :
- macrovariables décrivant l’organisation pédagogique générale : utilisation du temps scolaire, utilisation de l’espace, groupements et mobilité des élèves en classe, matériels et supports mis en œuvre,
- variables décrivant la gestion des situations et des relations : macrovariables : conditions dans lesquelles les consignes sont données, incitations adressées aux élèves, formes d’évaluation, microvariables : interactions verbales, implication des élèves dans la tâche.
25De l’ensemble des données recueillies peuvent être dégagées les caractéristiques globales des pratiques enseignantes au CE2 :
- utilisation quasi exclusive du local-classe (95 % le matin, 84 % l’après-midi), fonctionnement fréquent en grand groupe-classe, temps moyen disponible pour le travail en classe de 130 minutes par demi-journée, durée importante consacrée à l’enseignement collectif frontal dans une discipline bien identifiée (88 %) ;
- les consignes sont en général données dans le calme (17 % le sont dans la confusion), les incitations positives sont majoritaires (65 %), évaluation orale et écrite sont également distribuées ;
- le maître s’adresse souvent à l’ensemble de la classe (51 %), les fonctions les plus représentées dans ses interventions sont l’information (24 %) et la stimulation (26 %) ;
- le temps d’implication des élèves n’atteint jamais toute la durée du temps imparti, il varie selon le niveau scolaire des élèves entre 67 % et 80 %. Ce sont les élèves réputés « forts » qui s’impliquent le plus.
26Si l’on souhaitait rapidement qualifier l’enseignement dispensé au CE2, on pourrait parler d’un enseignement « traditionnel » dans lequel le maître donne des informations, détient la plupart des initiatives d’organisation, considère avec bienveillance les élèves qui consacrent, dans un climat studieux, une grande partie du temps disponible au travail qui leur est assigné.
27Mais un regard aussi synthétique n’a pas grand intérêt quant au problème qui nous occupe. Dans la perspective d’un repérage des différences de pratique qui existent entre enseignants, il est plus important de rechercher quelles sont les variables pour lesquelles on assiste aux pratiques les plus contrastées. D’une façon générale, la variabilité interclasses est forte ; les analyses en composantes principales permettent d’identifier les variables les plus différenciatrices :
- utilisation et répartition du temps ;
- temps consacré au français ;
- mode d’application de l’évaluation (collective ou non) ;
- organisation sociale de la classe ;
- incitations au travail (à dominante positive ou négative) ;
- conditions dans lesquelles les consignes sont données ;
- nombre d’interventions verbales à l’initiative du maître ;
- pourcentage des interactions verbales du maître qui donnent lieu à un comportement passif des élèves.
28Concernant l’implication des élèves dans l’activité, une différence assez nette apparaît entre classes : dans certaines d’entre elles on atteint un taux proche de 100 %, dans d’autres le taux ne dépasse guère 10 %. On note aussi que pour l’ensemble des classes, le calcul des corrélations entre l’implication des élèves réputés « faibles », celle des « moyens » et celle des « forts » donne des résultats significatifs : il semble exister pour chaque enseignant une propension à susciter plus ou moins l’implication des élèves quel que soit leur niveau.
29Dans la mesure où des différences nettes apparaissent, les études descriptives ne sont pas inutiles. Certes, l’interprétation des résultats et leur exploitation pour une mise en relation avec les progrès des élèves seraient plus simples si les axes des analyses multivariées permettaient d’identifier des oppositions en termes de choix pédagogiques généraux dont la cohérence autoriserait à faire référence aux catégories pédagogiques énoncées dans la littérature ou à la notion de méthode d’enseignement. Mais, le constat est clair, il n’en va pas ainsi.
30Une fois identifiées sur une période d’observation, peut-on considérer que les caractéristiques qui font les différences inter-maîtres ont une permanence ou, du moins, une stabilité suffisante pour concevoir leur mise en relation avec les résultats des élèves ?
Stabilité des différences et présence d’une variabilité intra-individuelle
31L’examen au cours d’une seconde série d’observations (à un an d’intervalle, sur 14 classes) des modalités prises par les variables les plus différenciatrices apporte des indications sur la stabilité des caractéristiques de la pratique de chaque enseignant. On imagine cependant les difficultés méthodologiques d’une telle entreprise : de nouvelles variables entrent en jeu, mais peuvent être difficilement contrôlées car on assiste à une inévitable réduction de la taille de l’échantillon déjà fort limitée lors de la première série d’observations, compte tenu, notamment, de la lourdeur de la mise en œuvre des procédures de recueil de données. Il est donc nécessaire de considérer les résultats avec précaution.
32Un constat s’impose : si les tendances générales se maintiennent d’une année sur l’autre, il en va tout autrement lorsqu’on compare cas par cas les pratiques de chaque maître : plusieurs corrélations ne sont pas nettement significatives. Par ordre décroissant (du seuil de signification p : 0,05 au seuil p = 0,15), on relève des corrélations portant sur :
- l’organisation temporelle : le temps maximal disponible pour le travail scolaire et le temps consacré à l’enseignement du français ;
- les conditions dans lesquelles les consignes verbales sont données aux élèves (silence spontané, silence demandé, bruit-confusion) ;
- l’implication des élèves dans les activités scolaires ; propension du maître à faciliter plus ou moins l’implication des élèves quel que soit leur niveau ;
- les interactions maître-élèves et élèves-élèves s’organisent selon des profils dominants caractéristiques de l’enseignant.
Une tendance à la stabilité apparaît aussi, mais dans une moindre mesure (p > 0,10), pour le temps consacré à l’enseignement des mathématiques, pour l’organisation de sous-groupes avec des tâches différentes et pour la répartition entre évaluation orale et évaluation écrite.
33Si la stabilité que l’on pouvait espérer pour bien caractériser les pratiques de chaque maître n’est pas à la hauteur des attentes, on ne peut cependant pas affirmer que la variabilité intra-individuelle est telle qu’il est impossible de reconnaître la moindre régularité.
34Ainsi, en toute hypothèse à confirmer par de nouvelles recherches, on pourrait penser que l’effet-maître tient aux modalités que l’enseignant adopte sur les dimensions les plus stables. Reprenant par exemple les quatre premières de ces dimensions, on pourrait chercher à savoir si un temps important disponible pour le travail scolaire associé au silence lors de l’énoncé des consignes, associé également à une forte implication des élèves et à des interactions centrées sur l’apprenant, produit sur les apprentissages des effets différents de ceux que produiraient des modalités opposées sur ces mêmes quatre dimensions.
La variabilité intra-individuelle comme variable explicative
35Moins rudimentaires que les modèles processus-produits, les modèles des processus médiateurs et interactifs contextualisés permettent d’envisager l’acte d’enseigner dans sa dynamique et son évolution en fonction d’effets liés aux réactions des élèves ou de l’environnement. Une autre lecture des résultats est alors possible si on tient à ne pas ignorer la variabilité intra-individuelle observée ; l’organisation de variations sur certaines variables d’action pédagogique peut au même titre que les choix stables de l’enseignant être considérée comme une caractéristique de la pratique. Sous cette hypothèse, il importe de différencier les enseignants à partir d’un indice de variabilité.
36Cette nouvelle piste à explorer n’est pas en contradiction avec la stabilité de certaines dimensions de la pratique car il arrive que la stabilité corresponde au maintien chez l’enseignant d’un profil moyen mixte sur les deux années (par exemple, un enseignant a pu en moyenne accorder en 1994 et en 1995 autant d’importance à l’évaluation écrite qu’à l’évaluation orale, ce qui signifie qu’en pratique, il procède alternativement à l’une ou l’autre des deux formes d’évaluation). Il est donc utile de distinguer stabilité du profil d’action et polarisation sur une modalité particulière ; pour reprendre l’exemple, l’enseignant qui maintient un profil mixte (évaluation orale et écrite) présente une stabilité (dans la mixité) sans polarisation alors que celui qui pratique majoritairement, voire de façon exclusive, une seule modalité (soit orale, soit écrite) a une pratique stable et polarisée. Cette nouvelle variable construite (polarisation/non-polarisation) va donc permettre à son tour de caractériser la pratique enseignante. Les résultats font effectivement apparaître pour certaines classes des polarisations sur telle ou telle modalité d’action pédagogique, polarisations qui, dans certains cas (3 au moins sur 15), se maintiennent d’une année sur l’autre. De plus, on constate une relation significative (allant du seuil 0,02 au seuil 0,10 selon le niveau des élèves) entre la polarisation/non-polarisation et les taux d’implication des élèves dans les activités scolaires : les élèves s’impliquent davantage lorsque la polarisation est peu prononcée.
37Ces observations confirment les conclusions d’une étude antérieure portant plus spécialement sur l’enseignement de la lecture au cours préparatoire (Bru, 1991). Onze variables d’action avaient fait l’objet d’une observation à quatre reprises (à deux semaines d’intervalle chacune). Parmi les variables étudiées figuraient :
- des variables didactiques : organisation des contenus, niveaux taxonomiques, activités cognitives sur les contenus ;
- des variables pédagogiques : répartition des initiatives, modalités d’action en vue de la dynamique des apprentissages, registres de communication, modalités d’évaluation ;
- des variables relatives au dispositif : lieux des séquences d’enseignement-apprentissage, organisation temporelle, regroupement des élèves, matériels et supports utilisés.
38Cette étude s’était aussi intéressée à la façon dont les mêmes enseignants hors de l’action concrète pouvaient concevoir les variables de leur champ d’intervention en classe.
39Deux indices calculés pour chaque enseignant rendaient compte pour l’un de la variété réalisée (nombre de variables d’action concernées par des variations durant la période d’observation) et, pour l’autre, de l’étendue de la variabilité conçue (nombre de variables évoquées en dehors de l’action lors d’une épreuve d’analyse de séquence dont le scénario écrit était fourni par l’expérimentateur).
40Les principaux résultats de cette recherche ont mis en évidence l’intérêt de l’attention portée à la variété dans la conception et dans l’action de l’enseignant pour mieux saisir et caractériser les pratiques :
- les indices de variabilité conçue et de variété réalisée sont discriminants ;
- l’étendue des variations est moins grande lors de la réalisation que lors de la conception ;
- bien que positive, la corrélation entre la variabilité conçue et la variété réalisée est faible (0,35).
41Une classification automatique à partir des données regroupant pour chaque enseignant (échantillon N = 52) les indices de variabilité conçue et les indices de variété réalisée a permis de distinguer trois groupes d’enseignants : ceux qui conçoivent et mettent en œuvre un assez grand nombre de variations (12 enseignants), ceux qui ont un indice de variété réalisée élevé mais un indice de variabilité conçue faible et qui d’autre part réalisent peu de variations sur la variable « organisation temporelle » (16 enseignants), et ceux qui ont de faibles indices tant pour la réalisation que pour la conception (ces derniers ne mettent presque jamais en œuvre des variations sur les niveaux taxonomiques des objectifs, la répartition des initiatives, les lieux où se déroule renseignement-apprentissage et la dynamique des activités des élèves – 24 enseignants).
42Un croisement des catégories issues de cette partition avec d’autres variables relatives au niveau initial dans le domaine de la langue écrite, relatives à l’implication des élèves dans l’activité et relatives aux performances à une épreuve terminale, fait apparaître que :
- les élèves de faible niveau initial sont significativement plus participatifs dans les classes dont le maître appartient au premier groupe (large variabilité conçue et large variété réalisée) ;
- les élèves en grande difficulté lors de l’épreuve terminale sont significativement moins nombreux dans les classes dont le maître appartient aussi au premier groupe.
43Jusqu’à un seuil non connu, la variété des modalités d’action de l’enseignant faciliterait la participation des élèves aux activités scolaires ainsi que les performances des élèves faibles. Notons cependant, que de façon globale, la relation entre le groupe d’appartenance du maître et les performances terminales, tous élèves confondus, est peu significative.
44Ces études très coûteuses, car nécessitant une observation intensive et des moyens adéquats, n’ont certainement pas la validité scientifique que l’on souhaiterait. Elles montrent pourtant que l’explication de l’effet-maître ne saurait progresser sans que soient considérées des variables construites plus précises que celle que fournissent les typologies de méthodes d’enseignement posées a priori et en tout cas plus complexes que la prise en compte de façon séparée de telle ou telle variable d’action.
45En outre, si l’on souhaite apporter une aide aux enseignants, reste à expliquer pourquoi et comment la pratique enseignante prend telle ou telle forme quant aux groupes de variables dont le caractère différenciateur a été dégagé.
Bibliographie
Bibliographie
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Auteur
Professeur de sciences de l’éducation (université de Toulouse II Le Mirail) a développé une théorisation de l’enseignement conçu comme organisation des variations des conditions d’apprentissage. Abandonnant la notion de méthode d’enseignement dont il récuse l’homogénéité et la stabilité dans le temps, il consacre ses travaux actuels aux pratiques enseignantes, dans le but d’en connaître les dynamiques et les modes de fonctionnement en rapport avec leurs contextes de réalisation.
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