1L’anthropologie biologique possède des pratiques de production et de diffusion de son savoir disciplinaire qui lui sont propres. Ceci fait partie de l’identité de toute discipline scientifique. Notre discipline a une particularité, celle de couvrir un très vaste territoire de la connaissance puisqu’elle intègre la macro-évolution et la micro-évolution de l’Homme. Elle traite, en effet, de l’évolution de l’Homme et des hominidés comme de la diversité des populations humaines contemporaines. Elle est ainsi amenée à travailler sur des matériaux de nature différente (matériel ostéologique, fréquences géniques, registres paroissiaux, anthropométrie du squelette et du vivant, comportements alimentaires, médicaux, reproductifs, données physiologiques...). L’anthropologie des populations du passé constitue ses corpus à partir de restes osseux qu’elle évalue, mesure, ou encore après l’analyse des traces par la biochimie. Ceci s’opère à la lumière de la connaissance de facteurs environnementaux, alors que l’anthropologie du vivant dispose de davantage d’informations, tant sur la morphologie corporelle des parties dures et molles, que sur les niveaux de reproductions des populations humaines, sur la fréquence des gènes.

2La position interdisciplinaire et la diversité des thèmes abordés multiplient les possibilités de publications par les chercheurs en anthropologie du vivant. Pour les mêmes raisons, les supports de publication sont aussi diversifiés. Les monographies, les publications dans des ouvrages collectifs ou dans des actes de congrès sont nombreuses, mais les revues demeurent assurément le principal vecteur des travaux de la discipline. Ce lieu privilégié d’échange que constituent les revues scientifiques est le principal support de la diffusion des connaissances tant factuelles que conceptuelles, puisqu’il est avéré que la diffusion du savoir est plus rapide par l’intermédiaire de celles-ci – et encore davantage depuis l’introduction de l’électronique - que par celui des ouvrages dans la mesure où le mode de diffusion n’est pas le même. Le champ du savoir porté par la discipline est vaste, malgré les effectifs restreints de chercheurs et d’enseignants-chercheurs dans la discipline. En effet, l’anthropologie biologique s’intéresse à la morphologie et à la composition corporelle, à la génétique, à la démographie, à l’alimentation, à la reproduction, à l’écologie humaine, aux relations entre les populations du passé et les populations actuelles, aux interfaces entre les paramètres biologiques et les facteurs culturels. Les revues servant de support vont refléter l’étendue de cette diversité, les différentes modalités de production, les traditions scientifiques et intellectuelles, de même que la structuration de ces différents champs du savoir au cours de l’histoire de la discipline.

Le mode opératoire

3L’analyse bibliographique a été effectuée sur la production scientifique des chercheurs statutaires1 travaillant en France dans le champ de l’anthropologie du vivant, c’est-à-dire 31 personnes encore en activité au moment de cette enquête (décembre 2006 – février 2007). L’analyse a été menée par le service de documentation de l’UMR6578. Nous avons veillé tout particulièrement à ce que chaque référence ne soit quantifiée qu’une seule fois, même en présence d’auteurs multiples. Pour qu’un article soit retenu, il suffit qu’un des chercheurs figure comme auteur. La constitution de ce corpus de la production scientifique en anthropologie du vivant s’est effectuée à partir de sources plurielles que nous allons détailler. Elle porte sur la période 1990-2006 soit sur un total de 17 années.

4Les deux sources principales d’informations utilisées sont l’INIST et PUBMED. La pertinence des interrogations faites dans ces deux bases de données dépend de l’exactitude avec laquelle les références ont été intégrées dans ces bases. C’est pourquoi, en complément des références relevées dans les bases bibliographiques de l’INIST et de PUBMED, nous avons exploré le Net et les structures du CNRS qui exposent un site et diffusent les publications des 31 chercheurs retenus. Certaines références ont pu être recensées à partir de CV de chercheurs.

5Ce corpus a ensuite été comparé au travail effectué par le département SHS en 2004 sur les références citées par la revue « Bulletins et mémoires de la Société de Paris », qui constitue une des deux revues nationales « cœur de discipline ». Ceci permettra, par la négative et en complément avec la plate-forme biblio-shs, de considérer aussi les revues du domaine dans lesquels les chercheurs ne publient pas et de réfléchir sur les causes de ce phénomène.

Les revues scientifiques

6Un premier travail a consisté à identifier les revues relevant de l’anthropologie biologique à partir de l’étude menée par le département Sciences Humaines et Sociales (SHS) du CNRS sur les revues évaluées et/ou financées par le département, et publiée dans la lettre du département SHS en 2004 (Lettre du département n° 69 – Avril 2004).

7L’analyse des publications va nous donner deux grandes informations : les revues « cœur de discipline », tant françaises qu’étrangères, où vont se publier la majorité des articles, les revues où se concentrent des thématiques particulières (alimentation, génétique....) et enfin des revues marginales par rapport au « cœur de discipline », qui peuvent relever soit de l’opportunité de publier dans des champs disciplinaires très différents, soit de constituer l’avant-garde de travaux d’interfaces (1 à 2 publications pour l’ensemble des chercheurs).

Revues « cœur de discipline » et revues périphériques en anthropologie du vivant.

8Durant la période 1990 – 2006, les 31 chercheurs et enseignants chercheurs2 ont publié 801 articles dans 233 revues scientifiques.

9Les deux premières revues réalisant le plus fort taux de publications des chercheurs en anthropologie du vivant sont françaises : « Biométrie humaine et Anthropologie » (63) suivie par les « Bulletins et Mémoires de la Société d’Anthropologie de Paris » (52). Les cinq revues suivantes sont : « American Journal of Physical Anthropology » (45), « Comptes Rendus de l’Académie des Sciences » (43), « Annals Human Biology » (25), « International Journal of Anthropology (21), ainsi que la nouvelle revue en ligne multilingue « Antropo » (20). Ces sept revues (dont quatre étrangères) constituent le noyau central international de la discipline.

10Un second groupe de revues est assez fréquemment utilisé comme support de diffusion ; c’est le groupe ayant publié entre 10 et 19 articles ; ces revues sont au nombre de 9 : « Human Biology » (HB), « American Journal of Human Genetics » (AJHG), « International Journal of Osteoarcheology. » (IJO), « American Journal of Human Biology » (AJHB), « European Journal of Human Genetics » (EJHG), « Anthropologica et Praehistorica » (AP), « Préhistoire et anthropologie méditerranéennes » (PAM). Elles concernent les domaines du « Cœur de la discipline » (HB, AJHB) ou très proches (AJHG, IJO, EJH), ou enfin sont à l’interface entre les disciplines anthropologique et archéologique (AP, PAM).

11Un nombre relativement élevé de revues (51) ont publié entre 9 et 3 articles. Les champs couverts reflètent bien des interfaces importantes déjà citées précédemment, comme la génétique (« Human Heredity »...), la démographie (« Journal of Biosocial Science »...), l’archéologie (« Journal of Archeological Science »...) ou encore traitent de champs particuliers de notre domaine de recherche : l’anthropologie médico-légale (« Journal of Forensic Science »), l’alimentation (« Appetite »...), la primatologie (« Primatologie »...). D’autres revues rentrant dans ce groupe sont des revues anthropologiques européennes qui accueillent les travaux des anthropobiologistes français à l’occasion de colloques ou de projets de recherche communs (« Rivista di Antropologia », « Collegium Antropologicum »...).

12Enfin un grand nombre de revues (156) ont publié seulement entre 1 et 2 articles. Est concerné par ces revues tout ce qui touche les interfaces entre la discipline et le vaste champ de la médecine (« Lancet », « Journal of Clinical Endocrinology »...), de la biologie générale (« Current Biology »...), mais aussi celui des sciences sociales (« Revues des sciences sociales »...).

13Cette première analyse n’a retenu que les publications référencées dans diverses bases de données (en particulier, MEDLINE et INIST). Elle n’a pas pris en compte l’importante production des chercheurs publiée sous forme d’ouvrages, de chapitres d’ouvrages, d’actes de symposium, de colloques ou de congrès (sauf si ces travaux sont publiés dans les revues scientifiques périodiques analysées ici).

Anthropologie biologique et anthropologie du vivant

14Le champ de la connaissance mis en avant par les chercheurs en anthropologie du vivant s’inscrit essentiellement dans un savoir commun avec la paléoanthropologie tout en présentant néanmoins des différences certaines.

15L’analyse de la principale revue généraliste française les « Bulletins et Mémoires de la Société d’Anthropologie de Paris » (BMSAP) apporte beaucoup d’informations car elle héberge les travaux de notre vaste champ disciplinaire, c’est-à-dire ceux à la fois relevant de la paléoanthropologie et de l’anthropologie du vivant.

16L’analyse des thèmes publiés dans la revue BMSAP sur une période de 10 ans, entre 1996 et 2005 donne les résultats suivants. Pour 162 articles publiés, on obtient la distribution : paléoanthropologie, anthropologie funéraire dont technique d’analyse sur le matériel ostéologique ancien (N = 101), anthropologie du vivant dont anthropologie génétique (N = 48), articles touchant à l’histoire (N = 13).

17Cette prépondérance d’articles dans le domaine des populations du passé explique bien les différences observées dans le tableau 2 pour les références de revues citées par l’ensemble des auteurs publiant dans les BMSAP (classement effectué jusqu’aux revues citées au moins 5 fois dans les BMSAP). La première revue citée est l’« American Journal of Physical Anthropology » (AJPA), revue internationale d’anthropologie mais qui privilégie surtout les travaux de paléoanthropologie. Cette revue représente à elle seule 8 % de l’ensemble des revues citées (410 fois sur 4 764 références). La seconde est BMSAP avec environ 5 % d’autocitation, ce qui est relativement élevé (AJPA a par ailleurs un taux d’autocitation relativement élevé3). Par contre, « Biométrie Humaine et Anthropologie » (BHA) est peu citée (moins de 1 % des citations), alors qu’elle est la première revue où publient les chercheurs en anthropologie du vivant et se situe au 39^e rang des revues citées). La troisième revue est « Nature », grande revue généraliste, précédant deux publications concernant la paléoanthropologie et l’archéologie : « Journal of Human Evolution » (JHE) et « L’Anthropologie ». Les trois revues suivantes sont généralistes (« Comptes Rendus de l’Académie des Sciences » (CRAS), Science, Current Anthropology) ou archéologique (Journal of Archeological Science). On remarque que la première revue traitant d’aspects concernant plus spécifiquement l’anthropologie du vivant est « American Journal of Clinical Nutrition » (10^e rang), et que la revue « Human Biology », revue généraliste pour l’anthropologie du vivant, arrive seulement au 13^e rang des revues citées.

18Ainsi, on constate que les revues référencées correspondent au particularisme des sous-disciplines composant le vaste ensemble nommé anthropologie biologique. Les chercheurs relevant de sous-domaines aux interfaces, comme l’anthropologie génétique ou l’anthropologie démographique, publient soit dans les revues généralistes (AJPA, HB), soit dans des revues appartenant à la discipline majoritaire de l’interface (génétique ou démographie). Ils publient très rarement dans des revues spécifiques de leur segment scientifique (il n’existe pas de revues propres d’anthropologie génétique4 ou démographique).

19La comparaison entre les données fournies par le tableau 1 et le tableau 2 indique bien la divergence entre les champs disciplinaires structurant la recherche en anthropologie biologique : l’anthropologie du vivant et la paléoanthropologie possèdent une importante zone de recouvrement en terme de revues (ce que l’on nommera le cœur de la discipline), mais des particularismes apparaissent selon les interfaces avec les disciplines voisines. Les champs couverts par l’anthropologie du vivant permettent de publier dans un très vaste champ de la science, comme le prouve l’étendue des revues où nous publions. Ceci démontre nos capacités à pratiquer l’interdisciplinarité. Mais le faible nombre de chercheurs dans la discipline en France nous oblige à avoir l’exigence de renforcer notre outillage conceptuel et méthodologique par le débat scientifique qui doit demeurer au cœur de la discipline, c’est-à-dire que nous devons veiller, pour mener à bien ces débats, à continuellement nous recentrer sur nos revues « cœur de discipline ».

TABLEAU 1. Enquête sur la production scientifique française en anthropologie biologique

Note **

TABLEAU 2. Analyse des références citées en bibliographie par les articles publiés dans Bulletins & Mémoires de la Société d’Anthropologie de Paris (décembre 2006-février 2007) d’après le tableau extrait de la Lettre du Département SHS numéro Spécial n° 69 année 2004

Note °†

Note **‡