Chapitre 13. L’exploitation du gaz de charbon en Allemagne
p. 175-184
Texte intégral
Introduction
1Le projet d’exploitation du gaz de charbon dans l’ancien bassin charbonnier lorrain est loin d’être isolé dans la mesure où des initiatives d’exploitation de cette ressource ont été lancées dans d’autres régions européennes. L’Allemagne qui possède plusieurs bassins charbonniers et notamment le plus important d’Europe, la Ruhr, constitue un terrain de comparaison intéressant pour mettre en perspective le projet lorrain.
Une exploitation ancienne encouragée récemment par la loi sur les énergies renouvelables
Une longue tradition de récupération du gaz de mine
2En Allemagne, la récupération et l’utilisation du gaz de charbon ont déjà une longue tradition, puisque les premiers essais dans des exploitations en activité remontent à 1908 dans le bassin houiller de la Sarre. Il existe actuellement, dans ce bassin, un réseau de près de 100 km de longueur pour alimenter en gaz de charbon différentes installations industrielles (une aciérie et une usine chimique), ainsi que des centrales électriques. Dans le bassin de la Ruhr, la récupération du gaz de charbon a été mise en place à partir de la Seconde Guerre mondiale. Au cours des années 1950, près d’une quarantaine de mines furent équipées. À partir du début des années 1990, des forages d’essai pour récupérer le gaz dans des couches de charbon non exploitées (coal bed mine) du bassin de Münster, ou dans la Sarre, ont également été réalisés ; mais se sont révélés non rentables sur le plan économique.
Un essor de l’exploitation du gaz de mine grâce à la loi sur les énergies renouvelables
3Depuis la fin des années 1990, la récupération du gaz provenant des anciens puits de mine fermés dans le bassin de la Ruhr s’est beaucoup développée, en lien avec la recherche de nouvelles sources d’énergie. Ce gaz est utilisé pour alimenter de petites centrales de cogénération et à ce titre, le courant électrique produit bénéficie d’un tarif de rachat intéressant prévu par la loi EEG sur les énergies renouvelables entrée en vigueur le 1er avril 2000. La loi EEG accorde un tarif d’achat qui atteignait en 2000, 0,08 E/kWh pour les installations de faible puissance et de 0,07 E/kWh pour celles de plus de 500 MW ; ce tarif étant révisé tous les deux ans, mais avec une garantie d’achat pendant 20 ans.
4C’est donc l’attribution d’un tarif d’achat favorable à l’électricité produite qui a permis de rendre rentable l’exploitation du gaz de mine ; si bien que dès la fin de l’année 2007, il y avait 67 autorisations d’exploitation du gaz et 27 autorisations de prospection dans le bassin de la Ruhr. Plusieurs sociétés d’exploitation du gaz de mine ont été fondées. Parmi celles-ci, la principale est Mingas GmbH créée en 2001. Depuis lors, elle exploite une soixantaine d’installations pour une capacité électrique de 80 MW et une production annuelle de 450 millions de kWh, soit l’équivalent de la consommation de 160 000 foyers.
L’exploitation du gaz de mine dans le bassin de la Ruhr : une bonne acceptabilité sur les anciens sites miniers
Une bonne acceptabilité des premiers projets sur d’anciens sites miniers
5La première installation de ce genre a été réalisée sur le site de l’ancienne mine de charbon Mont-Cenis dans la ville de Herne (quartier de Sodingen) au cœur du bassin de la Ruhr. Le carreau de la mine fermée en 1978 a été entièrement rasé pour laisser place à un projet urbain autour de l’énergie. Depuis 1997 deux petites centrales de cogénération de 253 et 378 kW fournissent annuellement environ 9 000 MWh d’électricité et 12 000 MWh de chaleur pour alimenter le quartier situé autour ainsi qu’une partie de la ville de Herne. Ces centrales auxquelles une troisième de cogénération (1 000 kW de production électrique et 1 200 kW de chaleur) est venue s’ajouter en 2000, s’intègrent dans un « parc énergétique » avec pour principal bâtiment l’Akademie Mont-Cenis doté d’un des plus grands toits à cellules photovoltaïque d’Allemagne (1 MWp). Le réseau de chaleur qui part de la centrale de cogénération alimente une résidence de 181 logements, ainsi que 75 maisons individuelles et une crèche.

Fig. 1 : Petite centrale de cogénération sur l’ancien site minier de Mont-Cenis à Herne-Sodingen (photo Deshaies, 2013)
6Le projet emblématique de l’Akademie Mont Cenis à Herne-Sodingen, a servi de modèle pour de nombreux autres projets dans le bassin de la Ruhr où, à la fin 2009, on comptait 45 communes utilisant le gaz de charbon pour faire fonctionner des centrales de cogénération. Cette utilisation du gaz de charbon a été fortement encouragée au niveau du Land de Rhénanie-du-Nord-Westphalie, dans le cadre de « l’initiative sur les énergies d’avenir » d’octobre 2001. Outre l’intérêt d’utiliser une source d’énergie locale, la récupération et la consommation du gaz de charbon sont présentées comme une contribution à la réduction des émissions de gaz à effet de serre, dans la mesure où cela empêche le méthane de se disperser dans l’atmosphère. Sur ces différents sites, l’utilisation du gaz de mine dans de petites centrales de cogénération nous a permis d’analyser les conditions d’exploitation et d’utilisation de cette ressource et son intérêt pour le développement local et de montrer l’intégration des centrales de production d’électricité dans le paysage urbain. Tous ces projets ont bénéficié d’une bonne acceptabilité de ce type d’exploitation par les populations locales.

Fig. 2 : Autorisations d’exploiter du gaz de mine dans le bassin charbonnier de la Ruhr.
Une acceptabilité plus difficile à obtenir sur les sites périphériques du bassin houiller
7Il en va tout autrement pour des projets d’exploitation du gaz de mine et du gaz de charbon lancés dans des zones périphériques du bassin de la Ruhr. Le projet de gaz de mine que la société Mingas a voulu développer à Baerl-Binsheim en 2007, dans la partie occidentale de la ville de Duisburg, s’est ainsi heurté à une forte opposition des habitants qui ont finalement obtenu gain de cause en 2010 avec l’abandon du projet. Celui-ci consistait à installer un siège d’extraction dans un terrain libre, au milieu d’une zone d’habitation et à construire une petite centrale de cogénération à proximité. Dans cette partie de la ville de Duisburg présentant la physionomie d’un village et n’ayant pas été affectée dans le passé par l’exploitation minière, le projet n’a pas pu remplir les conditions de l’acceptabilité. L’étude des arguments échangés pour s’opposer au projet d’exploitation du gaz de mine illustre le débat plus général sur les conditions à réunir afin de favoriser l’acceptabilité de nouveaux projets d’extraction dans une partie du bassin houiller moins directement marqué par l’exploitation minière.

Fig. 3 : Échec en 2010 du projet de Mingas d’extraction de gaz de mine et d’implantation d’une petite centrale de cogénération à Duisburg-Baerl. La centrale devait être implantée dans la parcelle de prairie située entre les maisons, au centre de l’image.
Le projet d’exploitation du gaz de charbon de HammGas : le début d’une nouvelle phase d’exploitation ?
Les caractéristiques du projet d’exploitation de gaz de charbon de HammGas
8Depuis l’automne 2014 un nouveau projet d’exploitation du gaz de houille a été lancé par HammGas, une société d’économie mixte détenue à 30 % par l’entreprise municipale de Hamm, ville de l’est du bassin de la Ruhr. À la suite d’une campagne aérienne de prospection géophysique destinée à repérer les émissions de gaz de houille, une zone de forage possible a été identifiée. Lors d’une conférence de presse tenue le 21 octobre 2014, la société HammGas a annoncé qu’elle avait l’intention de réaliser un forage de prospection de gaz de houille sur un ancien site minier situé sur la commune de Ascheberg, près du village de Herbern. Il s’agit du site d’un ancien puits d’aération des mines de Hamm appelé Radbod 7. Après la fermeture des mines de charbon, le site a été entièrement nettoyé et se présente actuellement comme un vaste champ en friche.

Fig. 4 : Localisation du site de forage de HammGas (carré rouge près du mot Rudolf), à proximité du village d’Herbern, sur les marges nord du bassin houiller de la Ruhr.

Fig. 5 : Vue du futur site de forage de HammGas, près d’Herbern (photo Deshaies, 2014).
Les objections des opposants au projet de HammGas
9Afin d’informer les habitants et obtenir l’acceptabilité de son projet par avance très critiqué par les défenseurs de l’environnement, HammGas a organisé une série de réunions sur la commune de Ascheberg. Les nombreuses questions posées par les habitants au cours de ces réunions qui se sont déroulées en novembre 2014 et en juin 2015 font ressortir trois sources d’inquiétude :
- La crainte que le forage n’entraîne à court terme des dégradations de l’environnement, en particulier de la qualité des eaux alimentant les villages et les fermes, mais aussi des effets tels que des nuisances sonores et des secousses sismiques. La question de la technique de forage employée a fait l’objet de nombreuses questions afin d’obtenir que celle-ci ne soit en aucune mesure comparable au « fracking ».
- Des craintes à plus long terme concernant le développement du projet et notamment la multiplication des forages comme on a pu le constater pour l’exploitation du gaz de schiste aux États-Unis. C’est pourquoi la question de l’approvisionnement en eau des futurs sites d’exploitation a fait l’objet de plusieurs questions.
- La question de la valorisation et de l’utilisation du gaz extrait occupe aussi une place importante. Les habitants ont souhaité savoir si le gaz serait utilisé localement et dans quelle mesure son exploitation pouvait à la fois créer des emplois et apporter des ressources financières à la commune.

Fig. 6 : Placard d’opposition au projet d’extraction du gaz de charbon de HammGas.
L’argumentaire de HammGas pour favoriser l’acceptabilité du projet
10À toutes ces interrogations, la société HammGas a donné des réponses argumentées lors des réunions et sur son site internet1. La société HammGas a pu ainsi lever une grande partie des préventions contre son projet et a obtenu l’autorisation d’effectuer un premier forage d’essai au cours du dernier trimestre de l’année 2015. On peut d’ailleurs soulever une grande différence dans l’impact de ce type de réunions entre les deux voisins allemands et français. En France ce type de rencontres est souvent le champ à des joutes orales où l’argumentaire technico-scientifique pèse peu.
11En Allemagne, les difficultés des opposants au forage à contrecarrer les arguments techniques de la société HammGas sont révélées par le lancement d’une pétition en ligne2 qui demande au conseil municipal de la ville de Hamm de renoncer à sa participation au projet, non pas parce qu’il menacerait directement l’environnement, mais parce qu’il faut renoncer aux énergies fossiles (la pétition s’intitule : « un avenir sans fossiles pour Hamm »). Jusqu’à présent, le succès de cette pétition est faible puisque lancée en juillet 2015, elle n’a reçu à ce jour (15 décembre) que 1675 signatures, dont 494 de la région de Hamm (ville comptant une population de 182 000 habitants, tandis qu’Ascheberg compte pour sa part 15 000 habitants). En conséquence, le premier forage de gaz de houille dans le bassin de la Ruhr a été effectué en septembre 2016. D’autres forages sont en cours pour déterminer la qualité du gisement. Si la rentabilité de l’exploitation est démontrée, cela ouvrira cette région à ce nouveau type d’exploitation.
Conclusion
12Les différents cas d’étude analysés dans le bassin de la Ruhr montrent la bonne acceptabilité de l’exploitation du gaz sur les anciens sites miniers où elle constitue une activité de reconversion générant beaucoup moins de nuisances que l’ancienne exploitation charbonnière. Ils illustrent aussi la plus grande réticence des populations à accueillir de nouveaux projets d’extraction sur les marges du bassin houiller jusqu’à présent épargnées par l’exploitation minière. Néanmoins, en développant une communication active et en pratiquant une transparence sur les techniques employées et les conséquences de l’exploitation, il est possible, comme dans le projet HammGas, de favoriser l’acceptation de l’exploitation du gaz.
Notes de bas de page
Auteur
LOTERR, Université de Lorraine
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