Version classiqueVersion mobile

L’homme et sa diversité

 | 
Anne-Marie Guihard-Costa
, 
Gilles Boetsch
, 
Alain Froment

Recherches en anthropologie démographique : le cas de populations restreintes

Gilles Boëtsch, Marie-Hélène Cazes, Priscilla Duboz et Joëlle Robert-Lamblin

Texte intégral

1Pour comprendre l’évolution des populations humaines récentes, l’anthropologie biologique s’est donnée un nouvel outil en croisant les concepts de la démographie avec ceux de la génétique des populations. Mais son apport le plus performant est sans doute l’introduction systématique de l’étude de l’influence des facteurs culturels et sociaux dans cette dynamique depuis les années 80. C’est cette double interface entre démographie et génétique d’une part et entre processus démogénétique et facteurs culturels d’autre part, qui a permis de construire un nouveau champ disciplinaire : l’anthropologie démographique (Howell, 1986). L’anthropologie démographique se rapproche beaucoup de l’écologie humaine qui construit des modèles associant la dynamique populationnelle aux ressources du milieu et à ses changements. La particularité de ces deux champs du savoir (anthropologie démographique et écologie humaine) est la possibilité de travailler sur des objets d’étude localisés dans le temps ou dans l’espace, c’est-à-dire de travailler sur des populations suffisamment restreintes pour que l’ensemble des paramètres retenus puisse donner lieu à une bonne compréhension des interactions entre ceux-ci. Il s’agit de lecture au niveau de micro-populations, c’est-à-dire d’une approche locale. L’anthropologie démographique va insister sur le rôle de la culture auprès des principaux caractères démographiques, alors que le second champ – l’écologie humaine – pense que les différents taux démographiques observés reflètent des comportements adaptatifs, eux-mêmes produits d’une sélection naturelle (Roth, 2004). Comme la démographie classique, l’anthropologie démographique doit disposer d’un arsenal conceptuel autour de l’idée de population car il s’agit d’un concept aujourd’hui essentiel de la pensée anthropologique prenant en compte cinq éléments : l’individu, l’identité, la culture, la génération, la migration. L’identité est une conscience d’appartenance et/ou une volonté d’être reconnu. Elle implique généralement une langue commune, une culture partagée (spirituelle, matérielle).

L’ANTHROPOLOGIE DÉMOGRAPHIQUE DES PETITES POPULATIONS ET LES RECHERCHES DE TERRAIN

2Les études démographiques visent à décrire l’état des populations et à étudier leur renouvellement par le jeu des naissances, des décès et des mouvements migratoires (Chesnais, 2002 ; Tapinos, 1996). Les méthodes utilisées par cette discipline sont en premier lieu l’étude statistique des populations et de leurs variations. Il s’agit donc d’une approche essentiellement quantifiée, ayant aussi pour objectif de retracer les processus, de les interpréter et de les prévoir. Mais lorsque ces études intègrent d’autres paramètres et d’autres concepts, comme ceux proposés par l’anthropologie (discipline plus holistique), on obtient une approche et des analyses de nature différente. L’anthropologie se consacre à des enquêtes sur des effectifs de taille plus réduite (populations actuelles ou historiques, le plus souvent bien délimitées, isolées comme les petits groupes de chasseurs-cueilleurs ou d’autres minorités « ethniques », Jacquard, 1976) et ajoute un caractère qualitatif au quantitatif (fréquemment déficient). Elle tient compte en particulier des structures familiales, de la parenté, des paramètres économiques et socioculturels, ainsi que des facteurs environnementaux (Basu et al., 2004 ; Bley et al., 1999).

3Toute recherche de terrain peut être abordée par l’anthropologue en effectuant une étude démographique préalable de la population observée, car c’est sur la base d’une description aussi précise que possible, comme celle qui provient d’un recensement nominatif ou de la présentation détaillée des divers groupes familiaux qui constituent une communauté, que l’on peut ensuite établir d’autres analyses, d’ordre socio-économique, épidémiologique, génétique, etc.

4L’anthropologie se situe d’emblée au carrefour de diverses disciplines (Kertzer et al., 1997). Dans le cas des enquêtes concernant la reproduction des femmes et la famille, la fécondité – facteur déterminant dans le renouvellement d’une population – se trouve précisément à l’interface du biologique et du culturel (Greenhalgh, 1995). Pour l’analyse de la fécondité des femmes, en effet, on doit prendre en compte à la fois les mécanismes biologiques de la reproduction (c’est-à-dire l’aptitude physiologique des femmes à procréer, qui est fonction de leur maturité et de la durée de leur vie reproductive, entre la ménarche et la ménopause en décomptant les périodes de stérilité de l’adolescence et de baisse de fécondité de la pré-ménopause) et l’intervention des facteurs sociaux, culturels, religieux, économiques et politiques, interférant sur les comportements reproductifs féminins.

LES ENQUÊTES SUR LE TERRAIN

5La spécificité de l’approche anthropologique dans le domaine démographique réside dans les méthodes particulières de collecte des données sur le terrain : enquêtes et entretiens approfondis, adaptés à la population étudiée, et effectués auprès d’individus ou de groupes familiaux situés dans leur cadre de vie ; recoupement d’informations afin de préciser les données recueillies et les compléter ; mise en lumière des comportements et des opinions en fonction des générations ou des groupes socio-économiques ; suivi dans le temps de l’évolution de la communauté ; constitution de généalogies et reconstruction historique à l’échelle locale.

6Le dépouillement des données comprend le codage des informations, suivi du traitement informatique et statistique de ces paramètres démographiques replacés dans leur contexte socio-culturel. L’exploitation des résultats permet alors de procéder à une analyse de type longitudinal : en s’intéressant par exemple à une génération de femmes ayant vécu les mêmes événements pendant une même période de temps, ou bien à une analyse de type transversal : en observant, à un moment donné, des femmes de générations différentes. C’est-à-dire que l’obtient ainsi, soit une analyse dynamique de l’évolution de la population, soit un cliché instantané de la société étudiée. Toutefois, les limites de ces études de type micro-démographique apparaissent dans les difficultés rencontrées pour quantifier le qualitatif (ou les facteurs explicatifs) tout en préservant sa richesse. De même, une taille réduite des effectifs limite fortement la portée de certains résultats en amplifiant quelques phénomènes ou en les rendant trop anecdotiques ou accidentels.

7On peut, par ailleurs, tenter d’établir des comparaisons avec d’autres populations, appartenant au passé [dans ce domaine, en effet, les méthodes utilisées sont proches de celles mises au point par Louis Henry (Henry, 1967) et ses successeurs en démographie historique], ou avec des populations actuelles partageant des paramètres communs, tels que origine, culture, environnement.

8Dans le cas des recherches comme celles portant sur la fécondité et la famille, l’approche anthropologique des phénomènes démographiques rend ainsi possible une analyse fine de l’évolution de la fécondité et des transformations de la famille dans une même population, en la suivant sur le long terme dans un contexte de changement social et culturel. Les enquêtes de longue durée, à passages répétés, permettent notamment d’observer les modalités de la transition démographique au cours de son déroulement (Robert-Lamblin, 1986 et 1994). Celles-ci sont également utilisées par les démographes, telles les études menées par l’INED et l’IRD en Afrique sub-saharienne.

LES FACTEURS DÉMOGRAPHIQUES INFLUENÇANT L’ÉVOLUTION GÉNÉTIQUE D’UNE POPULATION

9Le développement des études démographiques en anthropologie est associé au succès de la génétique des populations (qualifiée parfois de « démographie qualitative » notamment quand elle s’attache à l’étude de maladies héréditaires). La problématique génétique constitue ainsi l’un des fondements de la démarche de l’anthropologie génétique.

10Si le démographe s’intéresse à la dynamique et au renouvellement des populations du point de vue de leur effectif, le généticien des populations se réfère, non plus aux individus mais à l’ensemble des gènes portés par les individus d’une population. Son objectif est de déceler les facteurs et les processus qui influencent l’évolution génétique d’un groupe, c’est-à-dire qui font varier les fréquences géniques – et la structure génétique concomitante – d’une génération à l’autre. Ces facteurs sont nombreux. Parmi ceux-ci, on peut citer :

Les migrations

11Le renouvellement des gènes d’une génération à l’autre peut se manifester essentiellement par l’introduction de gènes nouveaux et la disparition de gènes préexistants (effet fondateur et dérive génique). Ces événements sont essentiellement le fait des migrations humaines : apport possible de gènes avec l’arrivée d’immigrants, perte possible de gènes avec le départ des émigrés. L’analyse des migrations, mais surtout des migrations matrimoniales qui influent directement sur la constitution de la descendance, constitue donc un des centres d’intérêt du généticien. Il peut s’agir de migrations à des échelles très variées, locales, interethniques ou internationales.

L’Établissement Français du Sang EFS-PACA : un nouvel observatoire populationnel du fait migratoire
Les migrations (ou « évènements démographiques ») modifient en profondeur la structure sociale, culturelle et génétique des populations « d’accueil » d’une part, et des populations d’origine des migrants d’autre part. Les observatoires socio-économiques, bien que d’utilisation récente, sont un des outils démographiques couramment utilisé dans l’étude des migrations. Ces structures présentent cinq constantes : une observation permanente d’une population cible par une structure autonome de la population étudiée, et la production d’informations variées (qualitatives et quantitatives) à un ensemble d’utilisateurs.
Marseille constitue, de par sa position géographique, un terrain d’étude privilégié des migrations contemporaines, de leur importance et de leur dynamique dans le temps. Nous avons choisi d’aborder la diversité populationnelle de cette ville par l’étude d’une population particulière : les donneurs de sang. Le choix de cette population est justifié malgré la réticence qu’éprouvent les anthropologues à travailler sur des parties de population dites « non représentatives », telle que les donneurs de sang, par l’intérêt sociologique que représente l’étude d’une population dont le comportement est éminemment citoyen et doté d’une valeur sociale positive.
Méthodologie pour l’étude des donneurs de sang marseillais :
Pour étudier la diversité populationnelle des donneurs de sang, la constitution de référentiels sur les populations étrangères présentes à Marseille (en 2004) s’est imposée. Les sources telles que le recensement de l’INSEE ou encore les statistiques du Ministère de l’Intérieur peuvent être biaisées. On voit alors l’importance des techniques démographiques qui, en croisant toutes les données disponibles, permettent d’obtenir une estimation satisfaisante de la proportion d’étrangers à Marseille.
L’application d’une technique démographique de redressement d’échantillon a été nécessaire, afin de rendre ce dernier (n = 1297) représentatif de la population des donneurs de sang marseillais (n = 8507). À travers l’analyse de ces données originales obtenues sur les donneurs de sang marseillais, il a ensuite été possible de dresser un portrait de la diversité populationnelle observée sur trois générations (grands-parents, parents et donneurs) de donneurs. Puis le croisement de ces données analysées et des informations pluridisciplinaires issues de la mise en place de référentiels, a permis de caractériser cette population en termes de diversité culturelle, ainsi que de comprendre en quoi elle s’éloigne ou se rapproche de la population marseillaise dans son ensemble.
L’EFS-PACA apparaît ainsi comme un observatoire de la diversité populationnelle marseillaise, en tant que structure observant de manière permanente la population des donneurs de sang (population cible), autonome de la population étudiée (populations étrangères et d’origine étrangère), fournissant des informations variées (quantitatives et qualitatives) à un ensemble d’utilisateurs (hôpitaux, laboratoires...). La population des donneurs de sang marseillais devient, par la définition de sa structure et de sa représentativité, une part scientifiquement observable de la diversité populationnelle marseillaise.

La taille de la population

12L’effectif d’une population est d’une importance majeure quant à ses modalités de reproduction. Dans une population suffisamment grande, la loi des grands nombres peut s’appliquer, tandis que dans une population à taille limitée, l’effet d’échantillonnage introduit une variation aléatoire de la fréquence des gènes au fil des générations. En d’autres termes, des individus très féconds peuvent avoir un poids génétique considérable au détriment d’autres dont les gènes disparaissent plus ou moins rapidement au fil des générations (processus de dérive génique).

13L’anthropologie démographique s’est essentiellement consacrée jusqu’ici à des populations de tailles plutôt limitées, bien circonscrites, permettant de les étudier avec une bonne précision et une bonne compréhension. Dans l’avenir, ces études pourraient s’étendre à des populations de tailles plus élevées du moment que celles-ci restent homogènes.

Les échanges matrimoniaux

14La nature des échanges matrimoniaux constitue une modalité essentielle qui joue sur la reproduction de la population. Ces échanges matrimoniaux représentent toujours des processus complexes, difficiles à analyser, mais qui intéressent autant l’anthropologue que le généticien et dont l’étude emprunte inévitablement aux concepts de l’anthropologie. On est ainsi amené à étudier les caractéristiques des couples formés : se constituent-ils sur la base d’une ouverture aux autres ou plutôt d’une fermeture, le choix du conjoint obéit-il à des règles précises, quelle est la part de contrainte et de liberté dans ce choix, existe-t-il des mariages préférentiels basés sur le degré d’apparentement entre époux, observe-t-on la formation de cycles d’alliance, etc. ? Tous ces paramètres qui reflètent une part de la culture du groupe étudié au travers de ses coutumes matrimoniales, sont intéressants à étudier en eux-mêmes et peuvent aussi avoir un retentissement important sur la structure génétique du groupe. L’exogamie ou l’endogamie vont jouer dans le sens d’un enrichissement ou d’un appauvrissement du patrimoine génétique à chaque génération. L’existence de mariages préférentiels basés sur l’apparentement contribuent à modifier la structure génotypique ; la formation de cycles d’alliance qui intéresse l’anthropologue, n’aura, quant à elle, pas d’implication génétique.

15Différents niveaux d’analyse sont nécessaires : l’exogamie (ou son contraire, l’endogamie) se situe à un niveau macroscopique et nécessite une approche quantitative. L’endogamie peut exister à des degrés divers, à l’échelle de l’ethnie ou à un niveau plus fin, intra-ethnique. Chez les Dogon de Boni, par exemple, implantés au Mali, on observe d’abord une endogamie d’ethnie (4 % seulement des mariages ont lieu avec les ethnies voisines), mais aussi une endogamie géographique de massif (84 % des mariages entre Dogon ont lieu dans le même massif) que l’on peut tenter ensuite d’interpréter à l’aide d’analyses statistiques, en testant les critères d’appartenance des époux à un même lignage ou à un même village, ou encore en considérant – hypothèse la moins forte – la distance géographique à parcourir pour rencontrer le conjoint (Cazes, 1993).

16Au-delà de l’endogamie, il existe un second niveau d’analyse impliquant l’étude du mariage préférentiel. L’analyse relève d’un niveau beaucoup plus fouillé qu’on pourrait qualifier de microscopique. Les coutumes matrimoniales préconisent-elles un choix du conjoint basé sur un critère d’apparentement ? L’interrogation relève de l’anthropologie, elle doit tenir compte de la terminologie de la parenté de la population, des règles de mariage souvent associées aux règles d’héritage mais aussi souvent à l’historique de la population. Pour le généticien, le plus important est de savoir si ces règles de mariage préférentiel sont effectivement appliquées ou si elles restent « théoriques ». En effet, si le mariage préférentiel est massivement suivi, cela aura un retentissement sur la structure génétique du groupe.

17D’un point de vue méthodologique, la possibilité d’obtenir le recueil des généalogies de la population, sur plusieurs générations, représente un avantage considérable. Une telle base de données permet de confronter les types de mariages réellement formés avec les règles édictées par la coutume. Elle permet également de répondre aux interrogations du généticien en contrôlant si la distribution observée des mariages entre cousins (ou entre d’autres parents préconisés par les règles de mariage) diffère de celle attendue dans le cas d’unions au hasard (les unions aléatoires étant l’une des hypothèses admises dans le modèle d’Hardy-Weinberg, modèle de base de la génétique des populations). Une telle base de données généalogiques permet également de tester l’influence de l’écart d’âge entre époux, admis dans les règles coutumières du mariage. On sait, en effet, que cet écart d’âge constitue en lui-même une contrainte d’ordre structurel qui peut être déterminante dans l’observance des mariages préférentiels dictés par la coutume. Il peut être intéressant alors de comparer les pourcentages de mariage attendus n’obéissant qu’à cette contrainte d’âge (pourcentages théoriques), aux pourcentages de mariages observés dans la population.

18De façon générale, la disponibilité des généalogies permet de contrôler la convergence ou la divergence entre « le dit » et « le fait » et l’on obtient une idée de l’impact génétique véritable associé à la formation des couples dans les populations.

La fécondité

19La fécondité des couples est déterminante, tant pour le démographe que pour le généticien. La taille de la famille compte, individuellement, mais elle joue surtout à l’échelle de la population au travers de la moyenne et de la distribution (ou variance) de la taille des familles. Pour le généticien de plus, seuls comptent en fait les enfants qui auront eux-mêmes des enfants (dénommés maladroitement « enfants utiles »), car ils participent de ce fait à la constitution de la génération suivante. Il importe donc de connaître la moyenne du nombre d’enfants, mais aussi celle du nombre d’enfants utiles (Heyer et al., 1999). Cette dernière renseigne sur le taux d’accroissement de la population ; sa distribution par femme permet d’apprécier les changements de fréquences géniques potentiels de la population au cours des générations, car elle influe sur la vitesse de modification des fréquences géniques à la génération suivante (processus de dérive génique).

20Pour mettre en lumière le rôle déterminant des facteurs socio-culturels dans la reproduction intergénérationnelle, les travaux d’anthropologie démographique doivent s’appuyer sur des enquêtes quantitatives, basées sur une connaissance très fine de la population, qui implique des séjours sur le terrain relativement longs (Boëtsch et al., 1991).

La mortalité

21La mortalité générale s’envisage en relation avec la natalité pour mesurer le taux d’accroissement de la population. Mortalité infantile et juvénile ont un impact important, du point de vue génétique notamment, puisqu’elles opèrent une ponction sur le nombre d’enfants parvenant à l’âge adulte susceptibles de constituer la génération suivante.

NOUVELLES APPROCHES

22Aujourd’hui, les populations humaines subissent le poids de nouveaux processus économiques et sociaux qui engendrent des transformations importantes en terme d’espérance de vie, de niveaux de fécondité ou de migration. Si le rôle des transformations des facteurs environnementaux (en particulier l’urbanisation) dans la modification des niveaux de fécondité et de mortalité infantile (transition démographique, Chesnay, 1986) est parfaitement connu, on en saisit souvent avec plus de difficulté la finesse et la complexité des mécanismes. Le changement s’opère par une transformation des cycles de vie, comme les remariages plus fréquents sans veuvage mais avec divorce (polygamie successive), ou par un redimensionnement des fratries associé à de nouvelles formes d’organisation de la famille. Une diminution importante du niveau de la fécondité et de la mortalité infantile, aura des conséquences sur les comportements démographiques, et par extension sur la dynamique évolutive des populations. Ainsi, la réduction de la fécondité en Chine induit une transformation importante de l’espace de la parenté (enfant unique = pas de cousins...). Ce changement est le résultat conjugué d’une volonté politique et de changements socio-économiques tels que l’adaptation de la morphologie familiale à la séquence migration rurale/expansion des villes/réduction de la dimension des logements. On passe de sociétés « rurales » aux effectifs peu importants (agencées autour de la parenté dont la fécondité est régulée par la mortalité infantile, le célibat ou l’émigration, sociétés à la fois organisées et garanties par des « statuts »), à des sociétés modernes et ouvertes organisées sur des modes contractuels (Riley et al., 2003). Ce passage du rural à l’urbain peut être suivi par les méthodes de l’anthropologie démographique comme le montrent les travaux menés dans de nombreux pays en développement, qui proposent une lecture des processus de transition entre différents niveaux d’urbanisation. On s’aperçoit que, souvent, le changement ne s’exprime pas dans une opposition entre monde rural et grande agglomération urbaine, mais qu’il est déjà présent dans les petites villes ; on peut même penser que la réduction des fratries commence au sein du monde rural, parmi les professions non agricoles.

23La difficulté vient aussi du fait que ces changements découlent de transformations socio-économiques qui s’associent à un accroissement généralisé de la durée de la vie humaine dans de nombreuses régions du monde. Au Japon, le vieillissement induit des changements démographiques importants tant au niveau familial qu’au niveau de la société dans son ensemble (Traphagan et al., 2003). Cet accroissement de l’espérance de vie à la naissance est dû à des changements d’activités économiques, à une plus grande richesse, donc à de meilleures conditions de vie, qu’elles soient alimentaires ou sanitaires. Ces changements s’accompagnent de processus de migrations importants des campagnes vers les villes comme des pays du sud vers ceux du nord. Ces mouvements de population induisent à leur tour de nombreux changements, en particulier dans les modèles matrimoniaux et de fécondité.

24En conclusion, l’anthropologie démographique propose l’étude fine des mécanismes influençant essentiellement le remplacement des générations et la redistribution des gènes entre celles-ci ; elle prend en compte les facteurs qui ont une influence directe sur l’espèce humaine en terme d’évolution et de diversité. C’est pourquoi elle s’intéresse à la fois au rôle de la parenté et de l’endogamie, au rythme de circulation des gènes entre générations par le mécanisme de la fécondité différentielle, ou aux apports de la paléodémographie comme éléments d’explication de la dynamique de peuplement.

PERSPECTIVES

25Notre discipline doit modéliser la dynamique évolutive des populations au niveau local, c’est-à-dire en se basant sur des enquêtes de terrain. Dans cette optique, l’objet d’étude de l’anthropologie démographique doit être la constitution de corpus de données concernant des petits groupes humains nettement caractérisés et diversifiés (rural/ urbain ; sud/nord ; migrants/sédentaires), et pour lesquels nombre de paramètres démographiques, sociaux et culturels pourraient être facilement comparés et mis en perspective.

26En outre, les perspectives de l’anthropologie démographique, dont le développement reste encore très insuffisant en France, doivent intégrer des rapprochements avec les démographes ayant la même « micro-approche » du terrain, de même qu’avec les archéologues ou préhistoriens travaillant sur les populations du passé.

27Propositions de thématiques de recherche :

28Les nouvelles perspectives de recherche pourraient s’articuler autour de thèmes tels que :

  • Les relations entre richesse, éducation et niveau de fécondité.
  • Le rôle des facteurs socio-culturels, en particulier religieux, sur le niveau de fécondité.
  • Les conséquences du vieillissement humain sur la transformation du cycle de vie (naissance, mariage, reproduction à la génération n + 2).
  • L’impact de l’allongement de la durée de vie sur les nouvelles dynamiques de la structure familiale.
  • Les nouvelles formes d’unions (mariage, concubinage...), et leurs conséquences sur l’endogamie en milieu urbain.
  • La reproduction en milieu urbain et ses conséquences sur le brassage génétique.

Bibliographie

Références bibliographiques

Basu, A.M. & Aaby, P. (eds), 1998, reprinted 2004, The Methods and Uses of Anthropological Demography. Oxford, Clarendon Press.

Bley, D. & Boëtsch, G., 1999, L’anthropologie démographique. Paris, Que sais-je ? PUF.

Boëtsch, G. & Sevin, A., 1991, L’évolution des structures biodémographiques dans une population agricole française. Anthropologie et préhistoire, 102 : 149-161.

Cazes, M.-H. (sous la direction de), 1993, Les Dogon de Boni, approche démo-génétique d’un isolat du Mali, Cahier Travaux et Documents n° 132, INED-PUF, Paris.

Chesnais, J.-C., 1986, La transition démographique. Étapes, formes, implications économiques. Paris, PUF.

Chesnais, J.-C., 2002, La démographie. Que sais-je ? PUF.

Greenhalgh, S. (ed), 1995, Situating Fertility. Anthropology and Demographic Inquiry. Cambridge University Press.

Henry, L., 1967 – Manuel de démographie historique. Genève, Droz.

Heyer, E. & Cazes, M.H., 1999 – Les enfants utiles : une mesure démographique pour la génétique des populations, Population, n° 4-5 : 677-691.

Howell, N., 1986, Demographic anthropology. Annual Review of Anthropology, 15 : 219-46.

Jacquard, A. (sous la direction de), 1976 – L’étude des isolats. Espoirs et limites. Paris, EPHE-INED.

Kertzer, D.I. & Fricke, T. E. (eds), 1997, Anthropological Demography : Toward a New Synthesis. Chicago, The University of Chicago Press.

Riley, N.E. & Mc Carthy, J., 2003, Demography in the Age of the Postmodern. Series : New perspectives on anthropological and social demography. Cambridge University Press.

Robert-Lamblin, J., 1986, Ammassalik, East Greenland - end or persistance of an isolate ? - Anthropological and demographical study on change. Meddelelser om Grønland, Man and Society, 10.

Robert-Lamblin, J., 1994, Changements démographiques dans une communauté arctique (Scoresbysund, Groenland oriental) : une étude longitudinale. Bulletins et Mémoires de la Société d’Anthropologie de Paris, 3-4 : 163-180.

Roth, E. A., 2004, Culture, Biology, and Anthropological Demography. Cambridge University Press, Series : New perspectives on anthropological and social demography.

Tapinos, G., 1996, La démographie. Paris, Le livre de poche, Collection Inédit-Sciences sociales.

Traphagan, J.W. & Knight, J. (eds), 2003, Demographic Change and the Family in Japan’s Aging Society. Albany, State University of New York Press.

Auteurs

INED, Paris 133 bd Davout, 75980 Paris cedex 20

CNRS, UMR 6578, Marseille Université de la Méditerranée Aix-Marseille 2 Faculté de Médecine – La Timone 27 Bvd Jean Moulin, 13385 Marseille Cedex 05

CNRS, UPR 2147, Paris 44 rue de l’Amiral Mouchez 75014 Paris

Le texte et les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont sous Licence OpenEdition Books, sauf mention contraire.

Rechercher dans OpenEdition Search

Vous allez être redirigé vers OpenEdition Search