Singulières traces du travail (xixe-xxie siècle), matière première de l’historien
p. 313-332
Texte intégral
1C’est ma fille qui m’en a fait la remarque en voyant un tableau de Didier Cabaret inspiré d’une photo d’Albert Camus : « Il lit comme toi. » Ainsi, je lis comme le rédacteur en chef de Combat photographié par René Saint-Paul à la terrasse des Deux Magots en 1945, l’air appliqué, tenant sa joue gauche de l’index et du majeur gauche tandis que l’annulaire et l’auriculaire, repliés, cachent la moitié du bas du visage. Le geste est-il fonctionnel, aide-t-il à la concentration ? N’a-t-il pas plutôt pour fonction de faire croire que l’on est concentré, que ce que l’on lit mérite que l’on se concentre, que l’on est quelqu’un qui s’intéresse à ce qui est intéressant ? En somme, que l’on est ostensiblement un intellectuel, attitude qui au demeurant relève de la faute professionnelle pour un chercheur en sciences sociales qui devrait manifester une « disponibilité permanente »1 à l’observation sans susciter de biais de comportement parmi la population au sein de laquelle il se trouve.
2Saint-Paul était le photographe de Combat, et une réelle complicité s’était instaurée avec son rédacteur en chef qui pause sur le cliché, à l’évidence. Mais c’est une pause trop sérieuse pour le journal qu’il lit, que son titre (« En avant ! ») comme le fait qu’il s’agisse d’un périodique de l’Armée du salut rendent un peu ridicule. Dès lors, l’on peut penser qu’il s’agit d’une plaisanterie, d’autant plus réussie que la photographie n’a jamais été interprétée en ce sens. Mais ce deuxième degré de Camus n’a rien de commun avec mon attitude de lecteur, pas plus que les Deux Magots des mois qui suivent la Libération avec la Brasserie des Sports d’un village de Provence ou le café kabyle d’un arrondissement populaire parisien.
3Trace éphémère, sans doute itérative, ce signe indéniable place dans l’espace privé ou public non professionnel l’évocation d’un travail. Entre la prise du cliché et la remarque de ma fille, six décennies se sont passées. Camus, qui pose devant son ami de l’équipe de résistants, emprunte aussi l’attitude de sujets de portraits du studio Harcourt. Mais moi, à quoi puis-je bien vouloir me rattacher par cette posture dans un espace privé où mes proches savent bien que je suis universitaire, mais aussi dans les espaces publics de lecture (café, train) où personne ne porte vraiment intérêt à ses voisins ? Comment, pourquoi me suis-laissé piéger, alors que je tente habituellement de repousser ces signes un peu ridicules de distinction qui placent autrui à distance ? Hors de cet exemple où je fus surpris, dans tous les sens du terme, ce qui m’intéressera ici, ce sont les décennies qui séparent ces deux gestes, les siècles qui relient des signes du travail par/sur le corps, en une mise en perspective de « corps-traces » du travail, en ses multiples aspects que sont les moustaches du gardien de la paix parisien du début du xxe siècle, comme la silicose du mineur du temps du marteau-piqueur.
Qu’étudier ? situations : moments et lieux
Quel corps ?
4Une histoire des corps est possible, qui montre l’évolution de ceux d’hommes2 et de femmes qui au début du troisième millénaire sont sensiblement différents de ce qu’ils furent, particulièrement s’il s’agit de travailleurs. La vue et l’ouïe, très exposées, subissaient alors un rapide déclin. Le goût et l’odorat, touchés par nombre de maladies spécifiques étaient altérés par l’absorption ou l’inhalation de substances dangereuses. L’approche anthropométrique que permet la statistique nationale montre que la taille moyenne des hommes adultes, tout comme celle des femmes adultes, est supérieure de près d’une dizaine de centimètres au début du xxie siècle à ce qu’elle était cent ans plus tôt, avec toujours une différence. Même la taille des jeunes enfants s’est accrue, à tel point que la courbe normative du carnet de santé a dû être modifiée au début du xxie siècle.
Quel travail ?
5C’est un ouvrage écrit trois mille ans avant notre ère qui nous permet une plaisante mise en perspective de l’approche du travail. La Satire des métiers3 associe la description de diverses activités (jardinier, cultivateur, joaillier, charpentier, etc.) avec leurs conséquences sur le corps de l’individu qui l’exerce, comme l’état dégradé des doigts du fondeur ou l’incessant « souffle brûlant dans son nez qui [...] fait peine » au potier. La fatigue n’est pas omise, et c’est ainsi que l’on apprend que, dans l’Égypte antique, le charpentier est « plus fatigué que le personnel des corvées de terrassement » ; mais l’approche se révèle d’une autre nature que celle d’Alain Corbin, prenant en compte « la fatigue, le repos et la conquête du temps » pour exposer les modalités selon lesquelles la fatigue industrielle était conçue à la fin du xixe siècle par des savants et des auteurs obnubilés par une dégénérescence que rien ne saurait entraver4.
6Cette nosographie professionnelle du temps des pharaons en évoque de plus récentes : les nomenclatures des maladies des artisans élaborées au xviiie siècle, mieux connues que celles des ouvriers des manufactures où la misère prédomine dans la description de la condition5. Il n’en reste pas moins surprenant que, dans ce traité égyptien, seuls les embarras du corps dans l’exercice d’un métier servent à le caractériser, démarche qui demeure encore au début du xxe siècle celle des frères Bonneff6. Mais un tel contresens, anachronique de surcroît, n’a pas lieu d’être si l’on connaît le dessein de l’auteur, scribe s’attachant à convaincre un indocile cadet de choisir son métier, celui d’un lettré, celui d’un homme qui ne se fatigue pas, qui n’est pas marqué par les stigmates de son ouvrage. Il s’attarde donc sur les tourments de ses contemporains dont l’activité détermine une autre condition. Nulle compassion dans ces hiéroglyphes, mais une volonté de dissuader : « Au moins, si tu l’apprends, tu ne seras pas les genoux repliés contre ta poitrine à tisser. » Ce texte n’en est pas moins crédible, car il doit dire vrai (ou au moins ce qui est perçu comme vrai) pour être efficace, quand bien même il ne présente aucun des aspects positifs de ces métiers.
7Mais si le travail existe bien depuis le néolithique, il a dans les sociétés humaines des caractéristiques en constante métamorphose et dont l’actuelle perception ne s’est précipitée que récemment. Ce n’est qu’au xviie siècle, dans le contexte des Réformes, que le travail commença à être perçu comme une valeur. Et c’est au xixe siècle qu’il se précisa véritablement, à un moment où le prolétariat ne connaissait que marginalement les grandes manufactures et où Proudhon pouvait écrire : « Celui qui a son idée dans le creux de sa main est souvent un homme de plus d’intelligence, en tout cas plus complet, que celui qui la porte dans sa tête, incapable de l’exprimer autrement que par une formule ».7
8Et il n’y a pas que le corps au travail ou le corps marqué par le travail qui ont changé. « L’espace des styles de vie »8, privé ou non, celui au sein duquel évolue le travailleur, s’est modifié considérablement depuis le début du xixe siècle. C’est le cas du domicile, dont on sait à quel point il est important dans les milieux populaires9 ; mais il peut aussi être à la fois mobile et fermé, comme une voiture de police, où s’émettent des signes devenus traces (les échanges radios qui sont enregistrés10), comme d’autres qui demeurent éphémères.
Quel lieu ?
9La dimension trop française de la présente approche en est sans nul doute la principale limite. Il serait ainsi tentant de se pencher, en Allemagne, avec notre problématique, sur les portraits des travailleurs, classés parfois par catégorie de métier, qu’a photographiés August Sander – le forgeron, les travailleurs du cirque, le philosophe (Max Scheler !), l’aviateur, l’instituteur, le maçon, etc.11 ; mais tant d’autres éléments seraient à prendre en compte et à mettre également en perspective que l’analyse s’en révélerait d’une singulière complexité : d’autres rapports ville/campagne, une plus forte prégnance des stratifications sociales, l’influence du protestantisme, le contexte politique d’une œuvre dont l’essentiel se construit pendant la République de Weimar.
10Le recours aux ouvrages de Richard Hoggart, notamment The Uses of Literacy12, se révèle fort riche sur les signes de l’identité au sein de la classe ouvrière, mais là encore les spécificités sont fortes quand bien même la common decency, chère à George Orwell (qui nous ramène subrepticement à Marcel Mauss), caractérise-t-elle les comportements dans les milieux populaires de part et d’autre de la Manche. Cette éthique, qui se manifeste au moment du travail, ne se limite pas au monde des ouvriers d’usine et d’atelier et, puisqu’il fut question d’Albert Camus, se retrouve aussi bien chez son instituteur Louis Germain (« Je crois durant toute ma carrière avoir respecté ce qu’il y a de plus sacré dans l’enfant : le droit de chercher sa vérité »13) que chez un personnage de La Peste, le docteur Rieux auquel l’on demande « Qu’est-ce que l’honnêteté ? » et qui répond : « Je ne sais pas ce qu’elle est en général. Mais dans mon cas, je sais qu’elle consiste à faire mon métier. »14 Même lorsque l’on tente de se référer à un seul métier, celui des infirmières qui, en bien des points (leur vêtement, la place des transmissions dans leurs missions, leurs modalités d’inscription et de mobilité dans l’espace hospitalier), se révèlent des femmes-traces, la différence est forte entre le métier des diplômées d’État en France et celui de leurs collègues d’autres pays. Si cela s’explique par l’histoire des métiers, les manifestations de l’identité professionnelle/occupationnelle en sont bien distinctes, et l’on n’imagine pas dans la nosographie française ce que les psychiatres britanniques ont décrit comme « The Florence Nightingale effect », trouble professionnel du comportement auquel ils ont donné le nom du personnage mythique fondateur en Angleterre du métier d’infirmière et qui y est l’objet d’un véritable culte.
11La plus connue des photos de François Kollar, le portrait d’un poseur de rails en casquette et bras croisés, a été très tôt symbolique de la fierté du monde ouvrier au point d’être mise en scène dès les années 1930 au sein de photomontages. Cheminot dans la toute nouvelle Tchécoslovaquie alors qu’il n’avait pas vingt ans, tourneur chez Renault à Billancourt après son arrivée en France, François Kollar fut ensuite un photographe du travail et des travailleurs qui connaissait fort bien son sujet, les gestes du travail notamment, signes furtifs qu’il a transformés en traces dupliquables et durables. Nous avons ainsi plus de 4 000 clichés pris de 1931 à 1934 pour la grande enquête sur le monde du travail des éditions Horizons de France. Certains ont été publiés dans une quinzaine de fascicules thématiques sous le titre La France travaille : « Aux sources de l’énergie », « Les chemins de fer », « Métiers du livre », « Mariniers et bateliers », « Vignerons », etc. Dans le cahier « Canuts », qui prend curieusement en compte le processus de production de la soie dès la cueillette des feuilles de mûriers destinées à leur « éducation », la volonté est forte de présenter le paradoxe d’une activité (alors à bout de souffle en dépit des efforts du ministère de l’Agriculture) associant des pratiques ancestrales à des procédés qui évoquent l’industrie fordisée. Le photographe présente ainsi de vieilles paysannes en blouse traditionnelle noire pratiquant l’opération de décoconnage dans la cour de la magnanerie tandis que le triage des cocons est montré dans une « station de grainage » où des femmes plus jeunes, coiffées selon la mode du moment, s’affairent dans un environnement évoquant un atelier.
12Dans le cahier « Le Rail », consacré aux cheminots, de jeunes apprentis-ajusteurs ont remonté sur le front des lunettes de protection pendant un exercice d’usinage d’une pièce à l’aide d’une lime, qui placent cette opération dans la continuité du travail sur un poste à la forge pour lequel les lunettes avaient été chaussées. Remarquons qu’aucun des cheminots photographiés par Kollar dans ce fascicule (pas même le mécanicien sur la photo de la couverture) n’est affublé de lunettes qu’ils soient mécaniciens, chauffeurs, ou qu’il fasse partie d’équipes de conduite. Mais dans La Bête humaine, le film de Jean Renoir sorti en 1938, tout comme le personnage du chauffeur incarné par Julien Carette, Jean Gabin porte des lunettes sur sa casquette de mécanicien disposée à l’envers. Ces lunettes, qui instillent un soupçon de modernité et à l’indéniable dimension cinématographique, sont encore portées par Michel Simon dans Le Train, un film de John Frankenheimer sorti en 1964, à un moment où la traction vapeur commence sa dernière décennie. Dès lors, elles sont devenues signe et apparaissent comme un marqueur qui s’est muté en trace durable d’un métier qui a disparu mais auquel ses successeurs sont attachés. En août 1986, la déclaration d’un sous-ministre chargé des Transports a eu un rôle indéniable dans le déclenchement de la grève de l’automne suivant : « La traction au charbon valait une retraite à cinquante ans. Il n’y a plus d’escarbille aujourd’hui15. » La remise en cause des fondements oubliés d’une commune appartenance, la dimension historique d’une identité qui s’appuie sur un passé prestigieux, s’est révélée aventureuse. Après le film de Renoir, les lunettes sont devenues un peu le signe du métier. Encore au début du xxie siècle, lorsque des locomotives à vapeur sont remises en marche pour le plaisir des touristes, les mécaniciens d’occasion s’en emparent et s’en parent. Déjà, dès les lendemains de la guerre, des « agents de conduite en bleus propres, porteurs de leurs lunettes »16 manifestaient le 1er Mai. Et lors de la grève de 1995, un mécanicien du dépôt du Charolais en grève arborait des lunettes sur son béret pendant les manifestations ; il les rechaussa trois ans plus tard pour le tournage du film de Dominique Cabrera, Nadia et les hippopotames.
13Certaines images du film de Jean Grémillon Remorques (tourné entre l’été 1939 et l’été 1941) évoquent sans ambiguïté les photographies de François Kollar publiées17 dans les cahiers « Gens de mer » de La France travaille (vol. III et IV, parus en 1932). Ses prédécesseurs américains ont sans doute influencé Kollar. Les photographies de Jacob A. Riis prises dans la Lower East Side de New York dans les années 1890 ont été rééditées en 1971 sous le titre initial, How the other half lives. Studies among the Tenements of New York18. Lewis Wickes Hine, né en 1874, ne s’est adonné à la photographie que vers l’âge de 25 ans. Lui aussi en a fait son métier pour laisser une œuvre qui, dès l’origine, avait pour fonction, en révélant des traces pas toujours ostensibles, de témoigner de la condition des travailleurs, notamment des plus jeunes dans le cadre de la « crusade » contre le travail des enfants du National Child Labor Committee. L’on trouve chez ces producteurs de traces argentiques sur le travail la même volonté que celle des premiers enquêteurs sociaux français, de Willermé à Le Play, mais aussi de Friedrich Engels pour son livre de 1844 (Die Lage des arbeitenden Klasse in England – La Situation de la classe laborieuse en Angleterre) qui décrivait la condition ouvrière. Il s’agissait de faire comprendre au lecteur ce que les photographes américains voulaient leur faire voir.
14Mais est-il pertinent d’évoquer l’Algérie de Camus, qui peut sembler hors de notre approche ? C’est sans doute en partie le cas, comme le montrent les travaux sur l’Algérie à l’époque coloniale. Prenons garde, cependant, à ne pas élargir l’analyse à l’ensemble du monde colonial, où la multiplicité des statuts politiques des travailleurs nécessite des approches spécifiques. Le roman d’Ousmane Sembene19, Les bouts de bois de Dieu20, décrit la grève des cheminots de 1947-1948 au Sénégal, fort différente dans ses manifestations de celles de leurs collègues de métropole la même année. Il n’en reste pas moins qu’une approche sur un temps long, ne prenant pas par principe la décolonisation comme borne, permettrait de mieux comprendre comment les traces persistent, quel rôle elles jouent.
Que montrer ? traces : indices et stigmates
15Au milieu du dernier siècle avant notre ère, dans son traité De natura deorum, Cicéron montre que l’éloge stoïcien des mains se révèle une déférence aux travailleurs21. Deux millénaires plus tard, Hannah Arendt emprunte quelques mots de John Locke pour donner un titre à une partie de La condition de l’homme moderne : « Le travail de notre corps et l’œuvre de nos mains »22. Proudhon, quant à lui, mettait en rapport l’intelligence et la main, voulant combattre l’opposition manuel/intellectuel, pourtant déjà dépassée ces années-là23. Mais la main n’est qu’un des signes (ô combien signe-trace) corporels du travail.
Quels signes ?
16« Monsieur le Préfet, la moustache ne fait pas l’homme ! » C’est en sortant, spontanément, cette réplique à Louis Lépine qui, au moment de l’embaucher, avait décliné la proposition du candidat à un poste de gardien de la paix en des termes qui se voulaient définitifs (« Pas de moustache ? Impossible, je n’en veux pas ! ») que l’impétrant fut quand même recruté : « Bien répondu, mon garçon ! Je vous prends. Quand on n’a pas la moustache, il faut avoir la réplique »24. Cette même année 1907, au cours de laquelle la revue Lecture pour tous publie un article sur le recrutement et la formation des agents de police, un mouvement social des garçons de café arrache de la chambre patronale des tenants de débits de boissons l’autorisation de porter la moustache. L’enjeu, où l’identité professionnelle passe par l’identité de genre, n’est pas secondaire.
17En affichant ainsi sa virilité dans un métier dont l’usage (légitime) de la violence est une des principales caractéristiques, les policiers en tenue ne s’inscrivent pas moins en leur temps, et c’est bien cette dimension qui doit être prise en compte, comme elle le fut par ceux qui remettaient en cause leur autorité : « Je vous arracherai les poils de la moustache. Je chie les sergots, tas de vaches. » Singulière mode que ces moustaches ! Dans l’entre-deux-guerres, elles disparaissent presque des visages des policiers parisiens au point que les clichés et films de l’insurrection d’août 1944 les montrent tous glabres25. Le phénomène est perceptible dès leur recrutement dans les années 1930, comme en témoignent les photos d’identité prises alors pour leur carte professionnelle, phénomène qui alors ne touche pas les autres groupes professionnels : François Kollar nous livre au début des années 1930 nombre de portraits de moustachus. Faudrait-il y voir une mode parisienne ? Ce serait oublier les rapports alors forts entre les populations urbaines, parisienne notamment, et les populations rurales dont elles sont communément issues.
18Si, dans le règlement de 1974, les moustaches étaient demeurées possibles mais désormais peu pratiquées, la pilosité des joues et du menton est restée longtemps prohibée parmi les forces de l’ordre. Il a fallu attendre juin 2015 pour qu’elle soit autorisée, ainsi que les tatouages, mais agents et gendarmes ne se sont pas précipités et le phénomène ne s’est manifesté qu’après quelques mois. C’est ainsi qu’au mois d’avril suivant, à l’occasion du mouvement social contre la loi Travail et des « Nuits debout » de la place de la République, les manifestants ont pu voir au sein des différentes formations de maintien de l’ordre (gendarmerie mobile, CRS, police urbaine) quelques visages où boucs et colliers poussaient depuis peu (il a fallu le temps d’accepter la nouvelle permissivité de l’administration avant de l’incorporer). Depuis le milieu du xxe siècle, les différents journaux professionnels des polices usent de la présentation des pilosités dans la mise en scène – rapprochée ou non – de l’exercice du métier26.
19Mais l’hexis peut être aussi produit de l’institution dont elle participe, et c’est alors une véritable hexis collective qui se met en place. Trace de l’homme, sur l’homme et par l’homme, éphémère mais sans cesse entretenue, la pilosité faciale dans la France des xixe au xxie siècle mérite que son histoire soit écrite, qui accorderait une réelle place à l’histoire des hommes (au sens vir, bien sûr, mais homo également) au travail et à l’histoire de leurs identités professionnelles et sexuelles. Et puis il y a aussi la tenue ostensible qui donne le métier : « L’écrivain est donc un illustre personnage affublé d’un chapeau et d’un imperméable27. » De Romain Gary à Boualem Sansal, sans oublier André Malraux posant en 1956 pour la couverture de Time, mais en laissant de côté les Américains, qui en ont abusé, l’imperméable (plus que le chapeau) semble parfois l’uniforme des écrivains. Est-ce pour cela qu’Albert Camus en porte plus souvent que de raison28, du moins si l’on en croit les autres personnages des photographies où il apparaît ainsi vêtu ? Même ses amis le remarquent, comme Louis Guilloux notant dans ses carnets : « Il se plaisait quelquefois à prendre des airs de mauvais garçon, avec son trench-coat et les mains dans les poches. »29 L’habitus de l’écrivain donc ? Mais peut-être aussi celui qu’a incorporé le petit garçon qu’il décrit dans Le Premier Homme : « Jacques, dont les camarades moquaient l’accoutrement, n’avait plus que la ressource de faire bouffer ses imperméables à la ceinture pour rendre original ce qui était ridicule30. » Prenons donc garde. La production des signes relève à la fois d’un processus collectif, mais sa part individuelle n’est pas négligeable. Sachons donc prendre en compte les signes-traces en un indispensable jeu d’échelles.
Quelles traces ?
20Le temps passe. L’industrie (au sens ancien du terme, qui ne se limitait pas aux manufactures) tout comme la technologie, peuvent évoluer ; les traces du passé subsistent un temps dans les hiérarchies du prestige avant que d’autres facteurs ne les bouleversent, les dépouillant des signes qu’elles furent. Ainsi, les chirurgiens, qui étaient sous l’Ancien Régime moins prestigieux que les médecins, ont acquis à partir du xixe siècle (et surtout de la mise en place institutionnelle des spécialités médicales31) un prestige qui les a portés au sommet de la hiérarchie et qu’ils revendiquaient par l’habit, le port du nœud papillon en ville ou le sarrau bleu ou vert pâle à l’hôpital, même en dehors des salles d’opération.
21Le signe et la trace du métier sont fortement inscrits dans leur temps. La photo d’un malade atteint de silicose, prise par Willy Ronis à Lens en 1951, un homme de « seulement quarante-sept ans » qui en paraît beaucoup plus, n’est pas intemporelle. Les « poumons du mineur »32 sont d’autant plus marqués en ce début des années 1950 que les travailleurs de la mine ont subi les conditions de vies de la période de l’Occupation, les cadences de la Reconstruction dans ce secteur primordial pour la reprise de l’économie33, mais aussi des méthodes d’extractions relativement nouvelles dans le deuxième quart du siècle (généralisation des marteaux-piqueurs et de l’air comprimé) qui ne sont pas accompagnées de mesures de protection appropriées. Sont significatives d’une inscription dans le temps les modifications de l’image du mineur, passé du héros de la Bataille de la Production34 à la victime au moment où, décimé par la silicose, le groupe social est voué en France à la disparition du fait de l’épuisement des filons rentables. La trace peut être odorifère et revendiquée comme telle. Mais, même chanté, le dialogue de Guy et Geneviève, les deux héros des Parapluies de Cherbourg (le film tourné en 1963 par Jacques Demy, un des rares cinéastes au passé ouvrier) n’aurait plus cours un demi-siècle plus tard : « Nous achèterons une station-service. – Pourquoi ? Quelle idée ! – Toute blanche, avec un bureau. Tu verras. – Tu sentiras l’essence toute la journée, quel bonheur ! – Nous serons très heureux. » Cette trace olfactive qui persiste au moins « toute la journée » n’exprime plus la fierté, voire le bonheur, du travail.
Que comprendre ? Hexis : poses et romans
22Pierre Bourdieu définit « l’hexis corporelle » comme « la mythologie politique réalisée, incorporée, devenue disposition permanente, manière durable de se tenir, de parler, de marcher, et, par, là de sentir et de penser35. » Marqueur de classe, signe aussi de l’activité, cette incorporation doit aussi être historicisée : l’embonpoint du bourgeois du xixe siècle n’a pas la même signification que l’obésité des milieux précaires au début du xxie, tout comme les corps d’été changent d’un siècle à l’autre, que le teint halé des hommes qui œuvrent au grand air à la Belle Époque n’est pas le bronzage appuyé des estivants de la fin du xxe siècle36.
Quelle contenance ?
23Le premier portrait de Camus dont on dispose, avant celui de l’écolier en costume marin, nous montre un enfant en blouse au milieu des ouvriers de l’atelier de tonnellerie où travaille son oncle Étienne37. Quelques garçons plus âgés et des hommes mûrs (et moustachus) entourent le jeune Albert, veillé par l’oncle, derrière l’enfant les bras croisés. Les photographies de groupe pour lesquelles pose le travailleur – que ce soit celles où tous les ouvriers d’un même atelier, disposés avec soin, regardent le photographe, comme dans les verreries, où les « gamins » (dénomination de la qualification des très jeunes ouvriers au début de leur carrière) étaient assis en tailleur au premier rang, ou les cartes postales de grève38 – nous délivrent toutes un discours, repérable à travers mille signes parfois explicites.
24Loin de se restreindre à une monstration qui objective, l’habitus est un outil qui marque profondément l’œuvre en de nombreux domaines. Pierre Bourdieu, rendant hommage à Abdlemaleck Sayad, n’hésitait pas à insister sur ce point : « La recherche, dans les sciences sociales, où les procédures analytiques sont moins strictement codifiées qu’ailleurs, dépend toujours grandement, pour le meilleur ou pour le pire, de l’habitus, plus ou moins contrôlé, de celui qui le conduit39. » Mais l’œuvre de Pierre Bourdieu se prête mal à une lecture simpliste. Ne croyons pas les milieux populaires moins à l’aise lorsqu’il s’agit d’accorder la pratique, notamment corporelle, avec les discours à son propos. Jean-Claude Kaufmann le remarquait lors de son enquête de « sociologie des seins nus », comparant les réactions d’« intellectuelles » au « discours très structuré sur la libération du corps », mais devant déployer un travail plus important d’observation et de réflexion pour ajuster le comportement, et celles des « ouvrières et employées, qui n’avaient très souvent à leur disposition que les phrases pauvres de la banalité incorporée », mais conformaient plus aisément leur comportement40. Plus largement, chaque individu s’autorise des praxis qui lui permettent de dépasser sa classe, de s’affranchir des injonctions de la distinction41.
Quels discours ?
25Lorsque j’ai rencontré Marcel Ribouton, le militant communiste qui était à la retraite depuis des années, portait la blouse grise de l’employé des postes42. Je rédigeais alors la biographie de Georges Valero, un autre postier d’une quinzaine d’années son cadet, militant d’extrême gauche après son départ du parti communiste. Ribouton m’a présenté une photographie prise pendant l’occupation de leur centre de tri au printemps. 1968. Au milieu du cliché, assis sur le sol, les bras en arrière, un homme encore jeune écoute les comédiens du Théâtre de la Cité venus se produire pour les grévistes. Son ancien collègue est critique, voire acerbe : « Ça, c’est tout Valero. On s’met pas avec les autres, on s’met au milieu pour bien faire voir qu’on est là. » On n’est donc pas avec les autres car l’on est au milieu des autres ? Singulier raisonnement qui ne pèche que parce qu’il s’appuie sur une image qui le contredit, peut-être parce qu’elle a été prise trop tôt. En effet, quelques années plus tard, l’attitude de Valero est plus ambivalente. Il vit avec difficulté une identité ouvrière qui s’inscrit dans sa pratique, sa généalogie, ses engagements, et celle d’un jeune homme qui a eu la première partie du baccalauréat à un moment où il n’y avait pas un dixième d’une classe d’âge à être bachelier, qui est féru de théâtre, de littérature, est même l’auteur de plusieurs romans qui ont été publiés. Dans les années 1970 et, surtout 1980, prises dans un cadre privé, les photographies de Georges Valero renvoient plus à son statut intellectuel. Une attitude que l’on trouve chez son meilleur ami, Michel Barroil (lui aussi postier), discutant avec Roger Planchon dans un café lyonnais à l’issue d’une séance d’un ciné-club syndical43.
26La durée des traces, qui communément sinon inexorablement s’effacent, se pose d’autant plus dans le cas du travail que le changement d’activité est commun. L’habitus, voire la manifestation ostentatoire d’une identité professionnelle, montre les hiérarchies identitaires, collectives autant qu’individuelles. C’est le cas du retraité, qui se revendique de son éméritat ou de son honorariat et qui peut arborer l’activité qu’il n’exerce plus, comme cet ancien postier recevant l’historien avec sa blouse grise du centre de tri. Mais la mobilité professionnelle, lorsqu’elle est subie et perçue peu ou prou comme déchéance, nécessite aussi de s’accrocher à ce que l’on fut, ce que l’on a fait, comme ce chauffeur de taxi algérois44 qui étale quotidiennement plusieurs journaux du jour sur la plage avant de son véhicule et raconte son métier de typographe dans la région parisienne, en se montrant fataliste sur les métiers qui disparaissent « avec le progrès ».
27Élément d’une identité professionnelle dont ils peinent à se défaire, la trace d’un passé médical est perceptible dans l’œuvre de certains écrivains, Céline bien sûr, mais pourquoi Aragon évoquait-il les médecins dans son poème « Front rouge »45, alors qu’à l’évidence il ne s’agissait pas du groupe social le plus atteint ces années-là par la terreur ?
28C’est une autre modalité du phénomène de la pluriactivité qui fait que, en fonction de la distance de l’usine, un ouvrier qui travaille également sa ferme peut se revendiquer comme « cultivateur » auprès de l’agent communal du recensement. Il y a aussi le métier-roi de son activité, dont l’on se réclame d’une manière ou d’une autre quand bien même on ne l’exerce pas : dans les chemins de fer au temps de la vapeur, des ouvriers d’atelier peuvent bien jouer sur les mots lors du recensement en se disant « mécanicien », terme qui désigne aussi bien l’ouvrier qui travaille sur une machine-outil que le membre le plus qualifié de l’équipe de conduite d’une locomotive, qu’en posant avec un ami devant la cabine d’une loco comme s’ils la conduisaient46.
29Quelque part, ça laisse des traces : le titre de l’ouvrage que John Barzman a consacré à la mémoire et à l’histoire des électriciens dans la région du Havre, est somme toute significatif de l’objet et du sujet de l’historien qui travaille sur le travail47. Prenons garde cependant à l’inventeur (au sens que donnent à ce mot les archéologues) de trace : d’une décennie à l’autre, le chercheur en sciences sociales n’a ni les mêmes pratiques, ni les mêmes fins, ni la même perspicacité, ni le même habitus48. « L’Homme-trace, produit par son histoire, est un construit de traces », nous dit Béatrice Galinon-Mélénec : « Aucun signe-trace n’est par définition a-historique. Il convient donc de réintégrer cette dimension dans l’interprétation des signes-traces présents, qu’ils soient matériels au non49. » Le travail, par ses signes (donc signes-traces), construit l’homme.
30Mais ces traces mêmes sont le matériau de l’historien, qui réagit à l’odeur, nous explique Marc Bloch : « Le bon historien, lui, ressemble à l’ogre de la légende. Là où il flaire la chair fraîche, il sait que là est son gibier50. » Ces traces, dont Emmanuel Lévinas soulignait une « luisance » d’autant plus indélébile qu’elle est invisible, l’historien en fait ses sources lorsqu’elles sont signes51. C’est toute la fécondité d’une histoire du corps au travail que de les appréhender et les situer à différents moments du processus de l’incorporation52, mais aussi, en usant d’une métaphore géologique – qui inscrit donc dans un temps extrêmement long –, d’une éventuelle extraction53.
Bibliographie
Des DOI sont automatiquement ajoutés aux références bibliographiques par Bilbo, l’outil d’annotation bibliographique d’OpenEdition. Ces références bibliographiques peuvent être téléchargées dans les formats APA, Chicago et MLA.
Format
- APA
- Chicago
- MLA
Références bibliographiques
Abraham K., « Amenhothep IV (Echnaton), contribution psychanalytique à l’étude de sa personnalité et du culte monothéiste d’Aton », dans Rêve et mythe, Paris, Payot, 1965, p. 267-291.
Acquet J., Les cheminots dans l’histoire sociale de la France, Paris, Éditions sociales, 1967.
Arendt H., La condition de l’homme moderne, Paris, Calmann-Lévy, 1961.
Barzman J., Quelque part, ça laisse des traces. Mémoire et histoire des électriciens dans la région du Havre, Rouen, Presses Universitaires de Rouen, 2003.
Bloch M., Apologie pour l’histoire ou métier d’historien, (édition critique préparée par Etienne Bloch), Paris, Armand Colin, 1993.
Bonneff L. et M., La vie tragique des travailleurs, Paris, Jules Rouff et Cie, 1908.
Bourdieu P., « L’habitus et l’espace des styles de vie », dans La Distinction. Critique sociale du jugement, Paris, Éditions de Minuit, 1979.
10.3406/arss.1976.3383 :Bourdieu P., Le Sens pratique, Paris, Éditions de Minuit, 1980.
10.14375/NP.9782070139262 :Camus A., Guilloux L., Correspondance 1945-1959, Paris, Gallimard, 2013.
10.1016/S1627-4830(07)89979-X :Camus A., La Peste, Paris, Gallimard, 1947.
Camus A., Le Premier Homme, Paris, Gallimard, 1994.
Bouglé C., La sociologie de Proudhon, Paris, Armand Colin, 1911.
Chevandier C., La Fabrique d’une génération. Georges Valero, postier, militant et écrivain, Paris, Les Belles Lettres, 2009. Coll. « Histoire de profil »
Chevandier C., « Les métiers de Camus. Nommer le travail et les travailleurs : Les Muets et autres textes », dans Hanne G. et Judde de Larivière C., Noms de métiers et catégories professionnelles. Acteurs, pratiques, discours ( xve siècle à nos jours), Toulouse, Méridienne, 2010, p. 275-288.
Chevandier C., « Une culture virile », Policiers dans la ville. Une histoire des gardiens de la paix, Paris, Gallimard, 2012.
10.4000/books.pul.16568 :Chevandier C., Cheminots en usine, les ouvriers des Ateliers d’Oullins au temps de la vapeur, Lyon, Presses Universitaires de Lyon, 1993.
Chevandier C., Été 44. L’insurrection des policiers parisiens, Paris, Vendémiaire, 2014.
Cooper-Richet D., Le peuple de la nuit. Mines et mineurs en France xixe- xxe siècle, Paris, Perrin, 2002.
Corbin A., L’avènement des loisirs (1850-1960), Paris, Aubier, 1995.
10.4000/books.editionsmsh.2275 :Desbois E., Janneau Y. et Mattei B., La Foi des charbonniers. Les mineurs dans la Bataille du charbon, Paris, Éditions de la Maison des Sciences de l’Homme, 1986.
Galinon-Mélénec B., « Des signes-traces aux S-T, des S-T à l’Homme-trace », dans Chevandier C., Travailler ensemble ? Des disciplines aux sciences sociales, Mont-Saint-Aignan, Presses Universitaires de Rouen et du Havre, 2014, p. 185-200.
Garden M., Lyon et les Lyonnais au xviiie siècle, Paris, Flammarion, 1975.
Granger C., Le corps d’été, xxe siècle. Naissance d’une variation saisonnière, Paris, Autrement, 2009.
Hoggart R., La culture du pauvre, Paris, Éditions de Minuit, 1970.
Jacquet J., Les cheminots dans l’histoire sociale de la France, Paris, Éditions sociales, 1967
Kaufmann J.-C., Corps de femmes, regards d’hommes. Sociologie des seins nus, Paris, Nathan, 2000, p. 197.
10.3917/dec.lahir.2006.02 :Lahire B., La culture des individus. Dissonances culturelles et distinctions de soi, Paris, La Découverte, 2004.
Lahire B., L’Homme pluriel. Les ressorts de l’action, Paris, Nathan, 1998.
Meneï E., Eloge du scribe, Paris, Éditions alternatives, 2003.
Offenstadt N., « Archives, documents, sources », dans Delacroix C., Dosse F., Garcia P. et Offenstadt N., Historiographie, concept et débats, vol. 1, Paris, Gallimard, 2010, p. 68-78.
Ory P., L’invention du bronzage, Essai d’une histoire culturelle, Paris, Complexe, 2008.
10.3917/dec.penef.2009.01 :Peneff J., Le goût de l’observation. Comprendre et pratiquer l’observation participante en sciences sociales, Paris, La Découverte, 2009.
10.2307/3778705 :Rebérioux M., « La carte postale de grève : propos sur une collection et une exposition », Le Mouvement social, no 131, avril-juin 1985, p. 132-144.
Salamito J.-M., « De l’éloge des mains au respect des travailleurs : idées gréco-romaines et christianisme antique », dans Carraud C. (dir.), La Main, Orléans, Institut d’arts visuels, 1996, p. 51-75.
Sander A., Antlitz der Zeit. Sonderausgabe : Sechzig Aufnahmen deutscher Menschen des 20. Jahrhunderts, Munchen, Transmare Verlag, 1929.
Sembène O., Le Docker noir, Paris, Nouvelles éditions Debresse, 1956.
Sembène O., Les Bouts de bois de Dieu, Paris, Le Livre contemporain, 1960.
Shoettel A., « Les cinq résolutions de l’écrivain », http://croque-bouquins.fr/resolutions-ecrivain-2016/, consulté le 14 avril 2016.
Siblot Y., Cartier M., Coutant I., Masclet O. et Renahy N., Sociologie des classes populaires contemporaines, Paris, Armand Colin, 2015.
Topalov C., Histoires d’enquêtes. Londres, Paris, Chicago (1880-1930), Paris, Classiques Garnier, 2015.
Warnier J.-P., Construire la culture matérielle – L’homme qui pensait avec ses doigts, Paris, PUF, 1999.
Weisz G., Divide and Conquer. A Comparative History of Medical Specialization, Oxford, Oxford University Press, 2004.
Notes de bas de page
1 Peneff J., Le goût de l’observation. Comprendre et pratiquer l’observation participante en sciences sociales, Paris, La Découverte, 2009.
2 Dans le présent texte, lorsqu’il est question d’hommes et de femmes, le terme homme doit être compris au sens de vir, et lorsqu’il n’est question que d’hommes, c’est le sens homo qui s’impose.
3 L’enseignement de Khéty est un des textes les plus diffusés, notamment sur ostraca scolaires (dont plusieurs se trouvent au Petrie Musem of Egyptian Archeology de Londres), de la littérature égyptienne. La traduction que j’utilise ici a été publiée au début du xxie siècle : Meneï E., Éloge du scribe, Paris, Éditions alternatives, 2003.
4 Corbin A., L’avènement des loisirs (1850-1960), Paris, Aubier, 1995.
5 Garden M., Lyon et les Lyonnais au xviiie siècle, Paris, Flammarion, 1975, p. 220-238.
6 Bonneff L. et M., La vie tragique des travailleurs, Paris, Jules Rouff et Cie, 1908.
7 Les majorats littéraires, 1862, cité par Célestin Bouglé, La sociologie de Proudhon, Paris, Armand Colin, 1911, p. 38.
8 Bourdieu P., chapitre 3, « L’habitus et l’espace des styles de vie », La Distinction. Critique sociale du jugement, Paris, Les Éditions de Minuit, 1979, p. 190-248.
9 Siblot Y., Cartier M., Coutant I., Masclet O. et Renahy N., Sociologie des classes populaires contemporaines, Paris, Armand Colin, 2015.
10 Pensons ainsi aux enregistrements des communications entre les voitures et la préfecture de police de Paris en mai-juin 1968, conservés sous forme magnétique puis transcrits plus de quarante ans plus tard. En ce cas, les traces sont des signes, matériaux de choix pour les historiens qui, jusqu’à présent, ne les ont pas exploités.
11 Sander A., Antlitz der Zeit. Sonderausgabe : Sechzig Aufnahmen deutscher Menschen des 20. Jahrhunderts, Munchen, Transmare Verlag, 1929.
12 Publié en français sous le titre La culture du pauvre (Paris, Éditions de Minuit, 1970) ; voir aussi 33 Newport Street. Autobiographie d’un intellectuel issu des classes populaires anglaises, Paris, Gallimard/Le Seuil, 1991.
13 Lettre à Albert Camus, 30 avril 1959, dans Gay-Crosier R. et Spiquel-Courdille A. (dir.), Cahiers de l’Herne, « Camus », 2013.
14 Camus A., La Peste, Paris, Gallimard, 1947.
15 Le Monde, 7 août 1986.
16 Jacquet J., Les cheminots dans l’histoire sociale de la France, Paris, Éditions sociales, 1967, p. 212.
17 L’hypothèse étant réduite d’une consultation de l’ensemble du fond, ce sont bien sûr les clichés publiés qui doivent être pris en compte pour comprendre l’interaction des productions d’images, animées ou non.
18 New York, Dover Publications. L’auteur commence l’introduction à la première édition en justifiant son titre, “Long ago it was said that ‘one half of the world does not know how the other half lives’”, hommage sans doute involontaire à Rabelais : « La moitié du monde ne sçay comment l’autre vit. »
19 Docker à Marseille lorsqu’il écrivait cet ouvrage et auteur d’un autre livre, largement autobiographique, Le Docker noir (Paris, Nouvelles éditions Debresse, 1956).
20 Sembène O., Les Bouts de bois de Dieu, Paris, Le Livre contemporain, 1960.
21 Salamito J.-M., « De l’éloge des mains au respect des travailleurs : idées gréco-romaines et christianisme antique », dans Carraud C. (dir.), La Main, Orléans, Institut d’arts visuels, 1996, p. 51-75.
22 Première partie de son chapitre III (« Le Travail »), Arendt H., La condition de l’homme moderne, Paris, Calmann-Lévy, 1961, p. 123. Pour une approche ethnologique, prenant largement en compte le rapport au corps, Warnier J.-P., Construire la culture matérielle – L’homme qui pensait avec ses doigts, Paris, PUF, 1999.
23 Cette opposition entre la main et la tête est pourtant dépassée dès cette époque, voir ainsi la chanson socialiste « La Canaille » (Darcier et Bouvier, 1871) : « Ce n’est pas le pilier du bagne/ C’est l’honnête homme dont la main/Par la plume ou le marteau gagne/ En suant son morceau de pain ».
24 Chevandier C., « Une culture virile », Policiers dans la ville. Une histoire des gardiens de la paix, Paris, Gallimard, 2012, p. 458-466.
25 Chevandier C., Été 44. L’insurrection des policiers parisiens, Paris, Vendémiaire, 2014.
26 Voir ainsi la photographie d’un gendarme à la barbe naissante, Civique, magazine de l’Intérieur, no 231, février-mars 2016, p. 26.
27 Shoettel A., « Les cinq résolutions de l’écrivain », http://croque-bouquins.fr/resolutions-ecrivain-2016/, consulté le 14 avril 2016.
28 Comme au Parc-des-Princes le 23 octobre 1957, six jours après l’annonce de l’obtention du Prix Nobel.
29 Camus A., Guilloux L., Correspondance 1945-1959, Paris, Gallimard, 2013, p. 232 (23 septembre 1963).
30 Camus A., Le Premier Homme, Paris, Gallimard, 1994.
31 Weisz G., Divide and Conquer. A Comparative History of Medical Specialization, Oxford, Oxford University Press, 2004.
32 Cooper-Richet D., Le peuple de la nuit. Mines et mineurs en France xixe- xxe siècle, Paris, Perrin, 2002, p. 293-296.
33 Lorsque l’on demanda à Auguste Perret de quoi il avait besoin pour reconstruire le centre du Havre en décembre 1945, sa première réponse fut : « Du charbon ».
34 Desbois E., Janneau Y. et Mattei B., La Foi des charbonniers. Les mineurs dans la Bataille du charbon, Paris, Éditions de la Maison des Sciences de l’Homme, 1986.
35 Bourdieu P., Le Sens pratique, Paris, Éditions de Minuit, 1980, p. 117.
36 Ory P., L’invention du bronzage, Essai d’une histoire culturelle, Paris, Complexe, 2008, et Granger C., Le corps d’été, xxe siècle. Naissance d’une variation saisonnière, Paris, Autrement, 2009.
37 Chevandier C., « Les métiers de Camus. Nommer le travail et les travailleurs : Les Muets et autres textes », dans Hanne G. et Judde de Larivière C, Noms de métiers et catégories professionnelles. Acteurs, pratiques, discours ( xve siècle à nos jours), Toulouse, Méridienne, 2010, p. 275-288.
38 Rebérioux M., « La carte postale de grève : propos sur une collection et une exposition », Le Mouvement social, no 131, avril-juin 1985, p. 132-144.
39 Discours à l’Institut du Monde arabe (2 avril 1998), Annuaire de l’Afrique du Nord 1998, 37e édition, Paris, CNRS Éditions, 2000, p. 9-13.
40 Kaufmann J.-C., Corps de femmes, regards d’hommes. Sociologie des seins nus, Paris, Nathan, 2000, p. 197.
41 Lahire B., La culture des individus. Dissonances culturelles et distinctions de soi, Paris, La Découverte, 2004 et L’Homme pluriel. Les ressorts de l’action, Paris, Nathan, 1998.
42 Entretien avec l’auteur, 2 septembre 2002.
43 Voir Chevandier C, La Fabrique d’une génération. Georges Valero, postier, militant et écrivain, Paris, Les Belles Lettres, collection « Histoire de profil », 2009, p. 152 et 216.
44 Entretien informel avec l’auteur, 17 avril 2016.
45 « L’éclat des fusillades ajoute au paysage/Une gaieté alors inconnue/Ce sont des ingénieurs, des médecins qu’on exécute/Mort à ceux qui mettent en danger les conquêtes d’Octobre/Mort aux saboteurs du plan Quinquennal », L’œuvre poétique d’Aragon, tome 2, 1927-1935, Paris, Livre Club Diderot, 1974, p. 519 (première parution à Moscou dans Littérature de la Révolution Mondiale, no 1, juillet 1931).
46 Mais la photographie, gardée dans le portefeuille pendant des décennies, a été prise au début des années 1930, à un moment où les lunettes et surtout la casquette n’étaient pas les marqueurs indéniables du métier ; Chevandier C., Cheminots en usine, les ouvriers des Ateliers d’Oullins au temps de la vapeur, Lyon, PUL, 1993, p. 87.
47 Barzman J., Quelque part, ça laisse des traces. Mémoire et histoire des électriciens dans la région du Havre, Rouen, PUR, 2003.
48 Topalov C., Histoires d’enquêtes. Londres, Paris, Chicago (1880-1930), Paris, Classiques Garnier, 2015.
49 Galinon-Mélénec B., « Des signes-traces aux S-T, des S-T à l’Homme-trace », dans Chevandier C., Travailler ensemble ? Des disciplines aux sciences sociales, Mont-Saint-Aignan, Presses universitaires de Rouen et du Havre, 2014, p. 185-200.
50 Bloch M., Apologie pour l’histoire ou métier d’historien, édition critique préparée par Etienne Bloch, Paris, Armand Colin, 1993, p. 83.
51 Offenstadt N., « Archives, documents, sources », dans Delacroix C., Dosse F., Garcia P. et Offenstadt N., Historiographie, concept et débats, vol. 1, Paris, Gallimard, 2010, p. 68-78.
52 Il n’est pas indifférent que Karl Abraham, un des psychanalystes qui a développé ce concept, n’ait pas hésité à s’aventurer sur les terres des historiens ; voir Abraham K., « Amenhothep IV (Echnaton), contribution psychanalytique à l’étude de sa personnalité et du culte monothéiste d’Aton », Rêve et mythe, Paris, Payot, 1965, p. 267-291.
53 Là aussi, la dimension polysémique peut renvoyer à la décompression d’une archive.
Auteur
Professeur des universités, Histoire
NORMANDIE UNIV, UNIHAVRE, UNICAEN, UNIROUEN, CNRS, IDEES, UMR 6266.
https://www.cirtai.org/
christian.chevandier@univ-lehavre.fr
Le texte seul est utilisable sous licence Licence OpenEdition Books. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.
The Asian side of the world
Editorials on Asia and the Pacific 2002-2011
Jean-François Sabouret (dir.)
2012
L'Asie-Monde - II
Chroniques sur l'Asie et le Pacifique 2011-2013
Jean-François Sabouret (dir.)
2015
The Asian side of the world - II
Chronicles of Asia and the Pacific 2011-2013
Jean-François Sabouret (dir.)
2015
Le Président de la Ve République et les libertés
Xavier Bioy, Alain Laquièze, Thierry Rambaud et al. (dir.)
2017
De la volatilité comme paradigme
La politique étrangère des États-Unis vis-à-vis de l'Inde et du Pakistan dans les années 1970
Thomas Cavanna
2017
L'impossible Présidence impériale
Le contrôle législatif aux États-Unis
François Vergniolle de Chantal
2016
Sous les images, la politique…
Presse, cinéma, télévision, nouveaux médias (xxe-xxie siècle)
Isabelle Veyrat-Masson, Sébastien Denis et Claire Secail (dir.)
2014
Pratiquer les frontières
Jeunes migrants et descendants de migrants dans l’espace franco-maghrébin
Françoise Lorcerie (dir.)
2010