Le corps comme interface : d’une économie de l’attention à une économie de l’occupation
p. 143-154
Texte intégral
Le profil en diachronie
1Où situer aujourd’hui la notion de « profil » tant elle apparaît à la fois profondément structurante, mais également profondément « diluée » ?
2Structurante, car elle fonde la première grande transition de l’écosystème du web, le passage d’un web des documents à un web des profils (Ertzscheid, 2009), notamment grâce à l’avènement des réseaux sociaux. Structurante également, car c’est sur une économie des profils que s’est construite l’économie de la Data, du Big Data et des données – notamment « personnelles ».
3Mais « diluée » car la notion de profil s’inscrit dans l’héritage déjà ancien de la notion de « trace » (Merzeau, 2009 ; Galinon-Mélénec, 2011, 2015) et se décline en autant d’instances exploitables qu’il peut exister de variantes situationnelles liées aux options ou aux orientations stratégiques et marchandes des écosystèmes les mettant en œuvre et collectant les données s’y rattachant.
Du profilage documentaire au profilage algorithmique
4Au moins trois grands types de profils se sont succédé en diachronie dans la vingtaine d’années qui nous séparent de la naissance du web et dans la dizaine où sont apparus les réseaux sociaux.
5Le premier d’entre eux est un profil documentaire : l’individu est qualifié par la somme des traces documentaires produites et repérables (web 1.0). Le second est un profil identitaire où l’individu se trouve à la fois qualifié et quantifié par la somme des différents profils individuels permettant, par agrégation, de reconstituer la trace de son expression sur les réseaux et donc de son « identité numérique » (Ertzscheid, 2013) (web 2.0). Enfin, le profilage algorithmique conjugue et additionne plusieurs phénomènes : nos profils documentaires et nos profils identitaires, mais également la captation d’une partie de l’explosion volumétrique liée aux Big Data ainsi que les impératifs économiques d’un capitalisme linguistique (Kaplan, 2011) qui est aussi un capitalisme de la trace. Ce troisième âge du profil se trouve cerné par la « tentation algorithmique » de la bulle de filtre décrite par Pariser (Pariser, 2011) et se trouve en situation de produire des représentations normées dont certaines d’entre elles agissent directement sur nos régimes de croyance.
6D’une manière plus métaphorique, un « pro-fil » est l’instanciation d’une « pro-fondeur » vécue sur le « fil » de l’actualité et des logiques d’actualisation permanentes notamment véhiculées par les différents régimes de notifications (Ertzscheid, 2014). De la sorte, le profil est l’articulation d’une profondeur dans l’indexation de données déclaratives et navigationnelles, et d’une contextualisation au regard de logiques attentionnelles à la fois contraintes – puisqu’il est impossible de « tout voir » – et contrôlées – puisque les grands écosystèmes marchands ont à la fois pour ambition de satisfaire un certain nombre de nos besoins tout en éliminant les risques de friction (Ertzscheid, 2011) pour faciliter et fluidifier l’interaction tout en jouant sur des logiques de viralité essentiellement pulsionnelles.
Le profil des objets : une anecdotisation des régimes de surveillance
7Avec l’arrivée de l’internet des objets, c’est un nouveau régime documentaire des profils qui s’amorce. Chaque « objet connecté » et chaque « capteur passif », dans la mesure où ils peuvent être pensés comme autant d’externalités, a vocation à disposer de droits de lecture (et parfois d’écriture) sur une ou plusieurs « facettes » des données composant notre panoptique individualisé en termes de production de traces (documentaires), mais également de routines et d’habitus ainsi que d’opinions (déclaratives ou statistiquement construites).
8Placer les données dans les objets épars, triviaux, plutôt que dans des plateformes centralisées c’est accentuer l’illusion d’une dissémination qui diminuerait le danger de la surveillance en le diluant, alors qu’au contraire cela le renforce : si l’on se méfie d’une caméra de surveillance, on n’éprouve aucune méfiance vis-à-vis de son frigo ou de sa cafetière. L’internet des objets est in fine une forme « d’anecdotisation » de régimes de collecte, de captation et donc de surveillance toujours plus prégnants.
9Pour le dire de manière plus triviale, que l’un ou l’autre des GAFAM1 ou des NATU2 dispose de cet ensemble de traces et puisse les activer ou les désactiver à son bon vouloir et à son entière discrétion dans le but d’atteindre des objectifs de rentabilité (levier de l’interaction), d’incitation à la consommation (levier publicitaire), ou de campagnes d’opinion3, soulève déjà un nombre considérable de problèmes techniques et éthiques. Mais que tout ou partie de ces informations soient également activables ou désactivables par des objets avec lesquels nous ne pouvons pas nous priver d’interagir quotidiennement, est également éminemment problématique. D’autant qu’un troisième aspect couvre les enjeux déjà cruciaux des deux premiers, celui de la transmission à des tiers, qu’il s’agisse d’acteurs privés (banques, assurances) ou d’institutions et d’acteurs publics (police, éducation, transport, etc.).
Vers l’internet du génome
10La prochaine étape de l’évolution du web, dans la lignée des progrès de la bio-ingénierie, sera celle de « l’Internet du génome », cité par le MIT dans les dix technologies disruptives de l’année 2015 avec un avènement prévu à échéance de deux ou trois ans4. L’internet de l’ADN est un projet dont l’objectif est de documenter, au sens premier du terme, chaque variation de chaque gène humain et de déterminer quelles sont les conséquences de ces différences.
D’une économie de l’attention à une économie de l’occupation
11Dans la lignée des travaux de l’économiste Herbert Simon (1971), l’économie de l’attention se caractérise par un temps d’attention constitué de la somme du temps de visionnage, d’audition et d’usage d’une ressource.
Des régimes attentionnels à la limite de leur rentabilité
12S’il est acté que les grands écosystèmes marchands du web reposent aujourd’hui sur une économie de l’attention, l’attention hier portée aux documents a grandement muté tant dans son objet que dans ses modalités.
13L’attention dont il est aujourd’hui question se fixe sur la capacité à repérer (recommander) et à fixer (indexer) non plus essentiellement les traces documentaires produites, mais plutôt les profils (d’individus ou de collectifs organisés – associations, médias, groupes d’opinion) les plus susceptibles de produire des traces documentaires capables de s’accorder avec notre propre profil. C’est là toute la problématique des différents « biais » observables dans les fonctionnements algorithmiques, lesquels ont tendance à renforcer nos propres régimes de croyance, nous enfermant dans une « bulle de filtre » (Pariser, 2011).
14Changement d’objet donc, mais également changement profond dans l’ingénierie des modalités attentionnelles suggérées, proposées ou le plus souvent imposées. Les fonctions de « repérage » initialement proposées par les moteurs de recherche grâce à leur système d’indexation et leurs algorithmes de « pertinence » sont aujourd’hui concurrencées par d’autres ingénieries reposant, d’une part, sur des capteurs en temps-réel (actifs ou passifs) dont le spectre s’étend de l’analyse de nos données physio-biologiques à celle de nos différents comportements et déplacements en-ligne ou hors-ligne, et, d’autre part, sur l’imposition de nouvelles « cadences cognitives » par le relais de systèmes de notifications dont la désactivation, si elle reste possible, pose la question de la capacité – et du souhait – d’un individu de fonctionner en a-rythmie complète au regard de son environnement familial, amical ou professionnel (Licoppe, 2009 ; Ertzscheid, 2014).
De l’attention à l’occupation
15Ainsi, en regard d’une économie de l’attention se dessine progressivement une nouvelle économie que nous qualifions d’économie de l’occupation et qui se définit comme la somme du temps de captation passive de nos données, du temps de mesure passive de nos comportements, et du temps d’usage actif ou passif de dispositifs, de capteurs ou d’objets disséminés dans notre environnement physique ou placés à même notre corps (bracelets ou vêtements connectés par exemple).
16Le résultat de ce passage d’une économie de l’attention à une économie de l’occupation est une baisse globale de notre seuil de vigilance aux logiques de surveillance et de captation de nos données, ainsi qu’un renforcement de l’aliénation qui nous lie à ces processus de collecte par l’injonction permanente à interagir ou à être mesuré, à être occupé, à être à la tâche.
17En faisant porter l’effort des technologies de traitement de l’information et de la communication sur les documents, sur les profils, puis sur les objets (connectés), pour enfin s’intéresser à l’instrumentation directe de notre corps et de notre présence au monde, ce sont des régimes de plus en plus « infra-attentionnels » qui émergent. Et de la même manière que l’économie de l’attention a toujours cherché et fini par obtenir des stratégies du zéro-clic (les notifications), l’économie de l’occupation s’efforce de proposer des dispositifs de captation, de mesure et d’analyse ne nécessitant aucune démarche consciente.
Le corps est un objet technique comme les autres
Nobody is No-Body
18À l’échelle d’une économie de l’attention ou de l’occupation, à l’échelle d’une économie des données, et pour les entreprises qui s’en partagent les bénéfices et les rentes, le manque de corps s’avère triplement problématique.
19Sur le plan économique tout d’abord, les GAFAM sont à la recherche de moyens permettant de « monétiser » les données issues directement de notre corps. Sur le plan technologique, ensuite, on voit se multiplier les interfaces qui signent l’avènement de la réalité « augmentée », notamment au travers de l’Oculus Rift, qui mobilise notre corporéité autant que nos fonctions cognitives. Sur le plan éthique, enfin, la question reste ouverte de savoir que faire – et comment – de ces nouvelles sources de données.
20Toutes les grandes sociétés qui fondent l’internet que nous connaissons partent donc, chacune avec leurs moyens et leur ambition, à la conquête de ce nouveau Graal de la corporéité, l’attaquant à la fois en surface, c’est-à-dire en l’équipant de prothèses diverses (vêtements connectés – projet Jacquard5, Google Glasses, Apple Watch, etc.), mais également « en profondeur » grâce aux technologies de l’internet du génome.
Notre corps peut-il alors devenir un objet technique comme un autre ?
21Dans la définition qu’en donne Simondon (Simondon, 2014), « Un objet technique est produit quand il est détachable ». Cette capacité à être détachée nous intéresse, car, dans son sillage, le cyborg ou l’homme augmenté sont déjà chacun à leur manière l’instanciation pragmatique d’un corps détachable, d’un corps auquel on attache ou l’on détache certaines fonctions, certains organes. Les métaphores et les disciplines liées au secteur des NBIC (Nano-Bio-Info-Cogno technologies) regorgent déjà d’associations sémantiques comme le biocapitalisme, le bio-hacking ou le bio-design, chacune d’elles renvoyant à cette idée d’un détachement possible, lequel détachement facilite son inscription dans la sphère marchande (bio-capitalisme), dans le détournement de ses fonctions premières (bio-hacking) ou bien encore dans l’optimisation d’autres fonctions (bio-design).
22Nous touchons ici à un nouveau et littéral paradoxe qui caractérise l’entrée dans un nouveau paradigme de la représentation, de l’exploitation et du traitement du corps en tant qu’objet technique : alors que les grandes plateformes du web s’appuient sur des stratégies et des technologies visant à produire toujours plus d’attachement en jouant sur les mécanismes du pulsionnel et de l’empathie (FAN, 2014), l’internet du génome tend à imposer la vision du corps comme objet technique détachable.
23Dans un récent numéro consacré à la mise au point de la nouvelle technique d’ingénierie génétique baptisée Crispr-Cas9, le magazine Science et Vie6 expliquait :
« Aller dans l’ADN, trouver un gène, le supprimer, sauvegarder : ce que les traitements de texte font avec la fonction “rechercher-couper”, la génétique sait désormais le faire avec CRISPR-Cas9 ! Soit une grosse molécule capable de couper des gènes, associée à un petit ARN qui lui dit où couper dans l’ADN. Grâce à cet outil, tout devient possible : modifier le patrimoine d’une lignée, ressusciter une espèce disparue, doper nos gènes... Déjà, les projets “d’édition du vivant” se multiplient. Sauf que CRISPR-Cas9 n’est pas seulement un formidable progrès : il ouvre la voie à toutes sortes de “bricolages”, d’autant plus qu’il est très facile à utiliser. »
24La comparaison avec le « traitement de texte », la fonction « rechercher-couper », mais également l’expression « projets d’édition du vivant », suffit à démontrer à quel point la sémantique rattachée et réservée à la sphère documentaire s’est désormais étendue au domaine du vivant.
25Dès lors, l’évolution de la question de la trace appliquée aux documents, s’étend également aux traces laissées par notre corps, à la fois dans ses déplacements, mais également dans sa biochimie interne. Si cette question de la trace est déjà relativement ancienne et bien documentée (Merzeau, 2009 ; Galinon-Mélénec, 2011, 2015), ses propriétés changent sensiblement lorsque l’on passe d’une économie de l’attention à une économie de l’occupation.
26Dans l’économie de l’attention, la trace suppose une dimension active (ou « semi-consciente ») de l’usager, elle repose sur la traçabilité et l’historicité de routines cognitives mesurables et observables par différents algorithmes, et la somme de toutes ces traces s’inscrit dans des régimes documentaires de l’inscription délibérée.
27À l’inverse, dans l’économie de l’occupation, la trace corporelle s’appuie sur la dimension passive de l’usager, elle repose sur la traçabilité de nos comportements et de nos constantes biologiques, et la somme de toutes ces traces s’inscrit dans des régimes de captation et d’enregistrement non seulement non consentis, subis ou « hérités », mais également difficilement observables par celui qui les subit.
De la séquence documentaire au séquençage du génome
28Documents, profils, objets connectés, corps, ADN, biologie du vivant... Y a-t-il un point ou un horizon commun à l’ensemble de ces réseaux qui marquent chacun une évolution décisive dans l’internet et le web que nous connaissons ? La réponse est probablement à chercher autour de la question du « séquençage » au sens littéral, c’est-à-dire des opérations permettant « de déterminer l’ordre linéaire de composants » (macro-molécules, gènes, etc.).
29En effet, l’ensemble des acteurs industriels de ces différents réseaux (moteurs de recherche, réseaux sociaux, sociétés de service comme Uber) mais aussi l’ensemble des « Big Pharma », n’ont d’autre objectif que de « séquencer » les composants sur lesquels s’appuient leur modèle et leur économie, afin d’établir, de proposer et de contrôler un ordonnancement, une hiérarchisation linéaire des documents, des profils, du monde et des services disponibles. Le fait que cette hiérarchisation puisse apparaître « éclatée » dans le graphe constitué par le réseau ne doit pas masquer sa linéarité première, aussi bien dans l’affichage (sous forme de liste) des résultats d’une recherche, que dans la priorisation des profils et des services demandés. Une linéarité qui se trouve renforcée par la centralisation inhérente aux différentes plateformes, laquelle centralisation contribue en outre à « gommer » l’effet réseau du graphe distribué sur lequel elles continuent pourtant de s’appuyer.
30Sur l’axe des « entités » à indexer, à séquencer, on trouve, dans l’ordre, les documents, les profils, les déplacements (dans le monde physique), les comportements (physiques ou connectés), les objets (Internet des objets) et, donc, le génome. Ces six entités peuvent être regroupées de la manière suivante :
- documents et profils sont caractéristiques d’une primo-économie de l’attention, soumise à l’ère des crawlers (ce sont alors les algorithmes des moteurs et des réseaux sociaux qui proposent cet ordre documentaire du monde) ;
- comportements et déplacements relèvent davantage d’une « mise en ordre du monde » dans laquelle, en s’appuyant sur la base de données des intentions (Battelle, 2003), les différents acteurs vont proposer une économie de l’occupation soumise à l’ère des « traceurs ». Des « traceurs » essentiellement « actifs », c’est-à-dire que nous activons nous-mêmes (mode du check-in) ou que nous avons à tout le moins la possibilité – certes parfois complexe – de désactiver (pour ce qui est par exemple de la collecte de nos comportements connectés) ;
- enfin, objets et génome s’inscrivent, eux, dans l’ère des capteurs, des capteurs disséminés à même les objets de notre quotidien, à même notre corps, et demain de plus en plus « dans » notre corps, avec une logique qui tend à se rapprocher toujours davantage de l’unité de la cellule, du génome. Nous sommes en train de vivre cette bascule vers une « biologie » de l’attention dans laquelle c’est, in fine, notre propre génome qui constituera la première source documentaire permettant d’ériger un nouvel ordre du monde.

31Nous sommes ainsi progressivement passés d’une approche « macro » (documents et profils) visant d’abord à gérer la diversité au moyen « d’attracteurs » (documents et profils) susceptibles de drainer vers eux un optimum attentionnel, à une approche « micro » dont l’objectif se centre davantage sur la gestion des « proximités » (topologie de l’espace physique – services – et connecté – navigations), pour basculer enfin dans une approche « nano » qui pourrait permettre de gérer directement les « individualités » au sens biologique du terme.
Conclusion
32S’il est permis d’envisager la notion de « trace » comme une matière première structurante de l’économie des données et de l’attention, l’exploitation de cette ressource au sens premier du terme a permis de fonder le capitalisme linguistique dont parle Kaplan (Kaplan, 2011), dont l’une des modalités actuellement les plus problématiques est celle du Digital Labor (Cardon et Casilli, 2015).
33Depuis le web documentaire initial jusqu’au web des profils et désormais, au web du génome, les forces économiques en présence ont toujours tendu vers une mise en concurrence des exploitants de ces traces : nous sommes ainsi passés d’une économie de la citation (web documentaire) à une économie de l’attention (web des profils) et enfin à une économie de l’occupation (web des objets). L’organisation de la spéculation sur les traces ainsi produites à différentes époques technologiques fut l’un des principaux paradigmes transformatifs de l’économie de l’internet au sens large. Le capitalisme linguistique ou cognitif (Multitudes, 2008) se déclinant désormais en un capitalisme de la surveillance (Zuboff, 2015), l’avenir et l’exploitation de nos traces corporelles marquent déjà l’événement d’une forme inédite de bio-capitalisme (Mcqueen, 2014).
34Là où le capitalisme linguistique organisait la spéculation sur la langue, là où le capitalisme cognitif organisait la spéculation sur des rentes cognitives et attentionnelles, le capitalisme biologique a pour ambition et pour projet de faire de nos corps de nouveaux et inédits leviers spéculatifs. Il dispose, pour mener à terme son projet, à la fois de capteurs lui permettant d’organiser la collecte et la spéculation sur les traces extra-corporelles produites, mais également de « marqueurs », au sens génétique du terme, pour la collecte, l’analyse et la spéculation sur nos traces « intra » ou « infra » corporelles.
35Si notre corps, dans sa dimension détachable, devient demain, le dispositif de traçage et de collecte ultime, l’aliénation produite nous contraindra à nous y soumettre sans mot dire, ou à recourir à des stratégies d’évitement de plus en plus littéralement « organiques ». Jusqu’ici, lorsque l’on ne voulait pas être tracé au moyen de sa carte bleue, il était possible de payer en liquide ; lorsque l’on ne voulait pas être tracé par nos smartphones, nos ordinateurs ou « le réseau », il demeurait possible de les éteindre, de les patcher avec différentes techniques de cryptage ou bien encore d’utiliser des réseaux alternatifs garantissant des niveaux de cryptage importants (Tor, par exemple). Mais qu’est-il possible de faire si l’on ne veut plus que notre corps nous trace ? On ne peut ni éteindre ni éviter son corps.
36L’idée des industries des Big Data et le Graal d’une omniscience des marchés au travers de leur principal thuriféraire (le marketing), est de nous amener à ce point au-delà duquel il devient bien plus financièrement coûteux, cognitivement complexe, socialement castrateur et physiquement impossible pour un individu de refuser la collecte et le traçage plutôt que de s’y soumettre tout en le déplorant. Et elles y sont presque parfaitement parvenues.
37De la même manière qu’il nous a fallu répondre à la question de la « pertinence » et donc de la « valeur » d’un document, puis à celle de la « pertinence » et donc de la « valeur » d’un profil, il nous faut dès aujourd’hui répondre à la question de la « pertinence » et de la « valeur » d’un corps.
Bibliographie
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Références bibliographiques
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Notes de bas de page
1 Google, Apple, Facebook, Amazon, Microsoft.
2 Netflix, AirB’nB, Tesla, Uber (voir notamment http://rue89.nouvelobs.com/2015/08/02/apres-les-gafa-les-nouveaux-maitres-monde-sont-les-natu-260551).
3 À l’image du Search Engine Manipulation Effect (SEME) décrit par Epstein (Epstein, 2015).
4 https://www.technologyreview.com/s/535016/internet-of-dna/.
5 Développé par Google avec une célèbre marque de Jeans, le projet Jacquard (https://atap.google.com/jacquard/) travaille sur des vêtements connectés avec lesquels il est possible d’interagir par le toucher.
6 Science et Vie, no 1180, janvier 2016.
Auteur
Maître de conférences, Sciences de l’Information et de la communication
Université de Nantes, DICEN IDF, EA 7339.
http://www.dicen-idf.org/
Olivier.Ertzscheid@univ-nantes.fr
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