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Autopsie du musée

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Agnès Callu

Figures

La Bibliothèque de l’Institut national d’histoire de l’art et les collections Jacques Doucet

Martine Poulain

Texte intégral

  • 1 Martine Poulain, « Philanthropy, Benefaction and Libraries in France, 1916-1929 », Libraries and C (...)

1Le geste mécénal en matière de bibliothèque, qui voit un amateur faire don de ses collections à la puissance publique, s’il ne fut pas rare sous l’Ancien Régime, est presque inexistant dans la France contemporaine. C’est paradoxalement au tout début du xxe siècle, dans une période peu favorable, autour de la Première Guerre mondiale, que furent créées puis offertes à l’Université de Paris trois bibliothèques qui comptent aujourd’hui parmi les fleurons des richesses documentaires françaises : la Bibliothèque d’art et d’archéologie, puis la Bibliothèque littéraire – toutes deux fondées par le même mécène Jacques Doucet –, et la Bibliothèque et musée de la guerre, devenue Bibliothèque de documentation internationale contemporaine (BDIC), créée par un couple d’industriels, Louise et Henri Leblanc1.

Un geste inaugural de mécène

  • 2 Sur René-Jean, voir notamment Sylvie Maignan, René-Jean, critique d’art et bibliothécaire, Paris, (...)

2C’est au début du xxe siècle que Jacques Doucet, grand couturier et mécène – dont la collection de tableaux et sculptures xviiie siècle en son hôtel de la rue Spontini était déjà célèbre et enviée –, commence à consacrer une part de sa fortune (1 million de francs or par an) à la création d’une bibliothèque d’art : une « œuvre magnifique qu’un État eût mis un demi-siècle à réaliser – en supposant qu’il y fût parvenu », dira en 1921 André Joubin, professeur d’archéologie et directeur du musée de Montpellier, l’un des premiers directeurs de la Bibliothèque d’art et d’archéologie. Pour mener à bien son entreprise, Doucet, comme il le fera lorsqu’il créera après la guerre sa Bibliothèque littéraire, s’entoure bien : René-Jean, critique d’art et bibliothécaire, qui sut lui conseiller les meilleures acquisitions et choisir les collections du cabinet des dessins de maîtres grâce à sa parfaite connaissance tant de l’histoire de l’art que des collectionneurs et artistes2 ; Albert Vuaflart, érudit dont il fait son secrétaire et le premier administrateur de la bibliothèque ; Noël Clément-Janin, historien de l’art spécialiste de l’estampe qui constitue le cabinet d’estampes modernes.

3Tous sont en lien avec les plus grands spécialistes de l’époque. Le projet est d’emblée résolument moderne : il ne s’agit pas d’accumuler des trésors, ni de collectionner des traités d’une histoire de l’art constituée, mais de documenter la recherche, fournir des sources, aider au questionnement, stimuler l’intérêt pour tous les pays et toutes les périodes, de l’archéologie à l’art contemporain. La Bibliothèque est dès 1908 accessible aux érudits et savants – les « travailleurs » disait Doucet –, qui en sont tout à la fois les cocréateurs et les lecteurs.

  • 3 Ces chiffres sont donnés par André Joubin dans sa communication au Congrès d’histoire de l’art le (...)

4En quelques années, une collection stupéfiante est constituée : 100 000 imprimés, 500 volumes manuscrits, 1 500 dossiers de documents originaux, 150 000 photographies, 10 000 estampes, 2 000 recueils de gravures, 1 000 dessins3. Cette exceptionnelle collection, le biographe de Jacques Doucet, François Chapon, en résume ainsi l’envergure :

  • 4 François Chapon, Mystères et splendeurs de Jacques Doucet, 1853-1929, Paris, Jean-Claude Lattès, 1 (...)

Qu’il s’agît de livres et de documentation, pour toutes les périodes et tous les grands domaines de l’histoire de l’art, de revues, de catalogues de ventes, de reproductions et de photographies, de séries documentaires originales relevées à la source, de manuscrits et de correspondances, de dessins, d’estampes anciennes et modernes, Doucet, en moins de six ans, avec une équipe permanente, d’abord réduite, puis étendue à 25 personnes, en s’appuyant, grâce à un échange de bons procédés, sur le concours des plus éminents spécialistes de chaque secteur inventorié, semblait avoir fait le tour de toutes les perspectives qu’ouvre la discipline qu’il servait, et en avoir recensé, assimilé, dominé presque toutes les possibilités4.

5Doucet ne se contente pas d’acquérir des documents. Il aide à leur constitution. Ainsi, dans le domaine de l’art d’Extrême-Orient, il achète des livres et des estampes, mais contribue aussi à la création de documentation iconographique : il commande et finance des campagnes de photographies, qui, s’ajoutant aux estampes acquises, font de cet ensemble une collection de premier ordre. Il complète ses sources par des apports extérieurs : il fait copier, dans les grandes bibliothèques et archives françaises, les documents susceptibles d’enrichir la contextualisation des collections.

6La bibliothèque, qui occupe rapidement cinq appartements – soit 30 pièces ! –, rue Spontini et avenue Bugeaud, est ouverte aux chercheurs de 9 h à 18 h, toute la documentation réunie offerte en accès libre, chaque domaine occupant une pièce – comme c’est encore le cas aujourd’hui dans les grandes bibliothèques d’histoire de l’art allemande en Italie par exemple. Aubaine pour la recherche française à laquelle une telle documentation manquait, la bibliothèque devient rapidement reconnue des savants. Doucet veille au confort de ses lecteurs et soigne particulièrement l’espace mis à leur disposition, la forme devant répondre au fonds.

Un sort durablement difficile

7Se tournant vers d’autres intérêts – la littérature sous l’influence d’André Suarès –, et quittant le xviiie siècle pour l’art contemporain, Jacques Doucet décide dès l’avant-guerre de léguer, puis de faire don de sa bibliothèque à l’Université de Paris. Retardé par le conflit mondial, le don est effectif au 1er janvier 1917. Non sans que le couturier ait dû accepter d’assurer les deux premières années de fonctionnement de ce don fabuleux en soutien à une Université désargentée, et peut-être peu consciente du trésor qui lui était confié : « Vous savez que j’ai même dû faire un sacrifice pour que ma fille [la bibliothèque] soit acceptée », écrit-il à René-Jean. Et quel sacrifice ! Pour trouver les 100 000 F nécessaires, Doucet doit vendre – mal, en cette période de guerre – l’un des fleurons de sa bibliothèque, la collection des 341 dessins modernes : des Seurat, Rouault, Morisot, Signac, Dulac, Corot, Daumier, Degas, ou encore Manet et Van Gogh.

8Pendant les premières années au sein de l’Université, la bibliothèque n’a pas de budget, l’apport de Doucet et de quelques donateurs permettant tout juste de payer les loyers. Sa situation restera durablement difficile, malgré le soutien d’une active Société des amis, malgré son déménagement à la fin des années 1930 au sein du tout nouvel Institut d’art et d’archéologie voulu par Henri Focillon, et malgré les alertes, non moins nombreuses et fermes, des directeurs successifs qui s’efforcent, en vain le plus souvent, d’alerter les autorités sur le sort de la bibliothèque : « Les locaux ne sont pas du tout fonctionnels », estime Denise Gazier, directrice de 1978 à 1992, et en 1982, dans un bilan destiné au ministère chargé de l’Enseignement supérieur : « Après 64 ans de gestion par l’État, cette Bibliothèque fait maintenant peine à voir. De quoi décourager à tout jamais le mécénat en France, et justifier le mot terrible d’Alphonse Allais : « Qui donne aux pauvres, prête à Dieu, qui donne à l’État, prête… à rire ». Et d’ajouter : « Alors que Jacques Doucet utilisait 25 bibliothécaires en 1910, nous avions 19 postes en 1979, 21 aujourd’hui », et plus loin, à propos des moyens financiers :

  • 5 Denise Gazier, « La Bibliothèque d’art et d’archéologie, un patrimoine en péril », Note du 12 mars (...)

Au stade de la survie, l’esthétique passe forcément au deuxième plan : quand on ne peut déjà pas acheter et relier les périodiques et ouvrages courants, réclamés chaque jour par des lecteurs spécialisés de plus en plus nombreux, comment pourrait-on envisager de consacrer des sommes considérables à la restauration d’un fonds ancien5 ?

Un nouvel écrin pour une bibliothèque en renaissance

9À la fin des années 1970, quelques subventions exceptionnelles redonnent espoir et permettent de compléter certaines lacunes dans les collections. La bibliothèque est reconnue comme pôle national en histoire de l’art et archéologie ; elle devient CADIST (Centre d’acquisition de la littérature scientifique et technique) dans ces domaines en 1980 et bénéficie à ce titre de subventions accrues. À la fin des années 1980, la procédure de contractualisation des universités et le très sensible accroissement des crédits des bibliothèques universitaires lui permettent de disposer de crédits renouvelés, même s’ils n’égalent pas, et de loin, ceux des grandes bibliothèques d’art américaines ou anglaises… Le projet de Bibliothèque nationale des arts, puis d’Institut national d’histoire de l’art (INHA), la conduit en 1993 à une nouvelle migration : elle s’installe dans le quadrilatère Richelieu, dans la salle Ovale, ancienne salle des Périodiques de la Bibliothèque nationale, en attente de la (dernière ?) migration qui lui permettra de répondre aux besoins de la communauté scientifique du xxie siècle.

10Rattachée depuis 2003 à l’INHA, elle est riche en 2013 de 1,6 million de documents, ses collections ayant été doublées au cours des dix dernières années. Elle offre à ses lecteurs 400 000 livres, 100 000 volumes de périodiques, 160 000 catalogues de vente et 871 000 documents patrimoniaux de tout type. Doublement des acquisitions, acquisition importante de documentation électronique, traitement de fonds parfois non traités depuis Doucet, enrichissements conséquents des fonds de photographies, d’archives, de manuscrits, mise à disposition d’une bibliothèque numérique de plus de 500 000 pages constituent autant de nouvelles richesses offertes aux lecteurs. Fin 2015, à l’issue de la première phase d’un long processus de rénovation du quadrilatère Richelieu, ces collections et services seront offerts dans la très fameuse salle Labrouste, construite dans les années 1860 par l’architecte qui lui donne son nom, et qui accueillit des générations de savants lorsqu’elle était la salle de lecture de la Bibliothèque nationale. Les espaces, entièrement rénovés – à l’identique, s’entend, par un retour scrupuleux aux dispositions d’origine, qui verra chacun goûter d’une façon inédite à la beauté et à l’audace des choix de l’architecte, adaptés aux usages contemporains –, permettront aux lecteurs de consulter 2 millions de documents, dont 265 000 imprimés proposés en libre accès, répartis entre la salle et les magasins conçus par le même Labrouste et qui seront ouverts à la libre consultation. La nouvelle bibliothèque, qui proposera 420 places de lecture et tous les services attendus d’une bibliothèque du xxie siècle, sera en effet encore enrichie par l’apport des collections de la Bibliothèque centrale des musées nationaux (320 000 documents dont 265 000 imprimés et périodiques, 56 000 catalogues de vente et 4 200 livres anciens, manuscrits, archives) et de quelque 70 000 imprimés des collections de l’École nationale supérieure des beaux-arts.

Des collections au service de la recherche

  • 6 Sylvie Maignan : Un critique d’art parisien : René-Jean, 1879-1951, Mémoire de l’école du Louvre, (...)
  • 7 Idem, p. 96. Salomon Reinach (1858-1932), archéologue, spécialiste de l’histoire des religions, di (...)
  • 8 Idem, p. 103. Antonin Jaussen (1871-1962), dominicain, ethnologue et archéologue spécialiste du Pr (...)

11Issue de son goût de collectionneur et au départ centrée sur sa propre collection d’œuvres d’art du xviiie siècle, la bibliothèque de Jacques Doucet s’élargit rapidement à l’art de tous les pays et de tous les temps et devient l’une des plus importantes bibliothèques d’art d’Europe, s’ouvrant généreusement aux savants, qui, en retour, soutiennent la constitution des collections de leurs conseils et propositions : en 1908, Gaston Brière et Paul Perdrizet acceptent de participer au catalogage ; en 1909, Thureau-Dangin, pour l’assyriologie, Édouard Chavannes pour l’art chinois, Van Gennep pour l’art africain fournissent des listes de titres à acquérir6. Salomon Reinach, Maurice Prou, Alfred Foucher, Jean Laran, Raphaël Petrucci, André Girodie font de même par la suite7. Aidés financièrement par Doucet pour leurs campagnes de fouilles, les archéologues le Père Jaussen, Charles Picard, Théophile Homolle, Charles Dugas et Mogens Clemmensen remettent à la bibliothèque des photographies, des comptes rendus de leurs travaux, des plans de fouilles, des estampages et des relevés d’inscriptions8.

12C’est ce profond lien avec la recherche que la bibliothèque s’est efforcée de retrouver ces dernières années. Les collaborations autour de collections que les chercheurs se sont réappropriées ont été croissantes : avec les chercheurs, confirmés ou débutants du département des Études et de la recherche de l’Institut, qui contribuent tous au traitement et à la valorisation des fonds, avec les équipes de l’École pratique des hautes études par exemple, autour des archives et de la bibliothèque d’André Chastel, autour des albums photographiques de Gustave Mendel sur les antiquités grecques des musées d’Istanbul, et avec plusieurs équipes des institutions universitaires et de recherche fédérées galerie Colbert.

13L’ambition de complétude est élevée et la bibliothèque s’enrichit annuellement de quelque 12 000 volumes, dont la production française de niveau recherche dans son intégralité et des acquisitions étrangères d’importance : environ 75 % des imprimés achetés chaque année. La visée totalisante de Jacques Doucet ne peut plus être entièrement de mise aujourd’hui : le nombre exponentiel de sources disponibles, de publications sur tous supports implique des choix, et la bibliothèque est ancrée dans un réseau documentaire qui incite à la construction de complémentarités documentaires au sein de l’hexagone et plus encore de l’Île-de-France.

14La Bibliothèque de l’INHA collecte en priorité les catalogues raisonnés, catalogues d’exposition d’artistes, les monographies historiques et critiques, les écrits d’artistes. Si la force des collections réside dans les publications sur les artistes occidentaux, elle propose aussi les ouvrages les plus significatifs sur les artistes représentatifs des autres aires culturelles, en particulier lorsqu’il s’agit de catalogues d’exposition et d’artistes contemporains, de foires et biennales, etc. L’art contemporain a repris depuis quelques années la place qu’il aurait toujours dû garder, aidé en cela par des dons importants de la Bibliothèque Kandinsky et par la part importante que prennent les publications sur les xxe-xxie siècle dans la production éditoriale (alors que la recherche, elle, s’intéresse à toutes les périodes…). L’exigence de complétude est forte pour des ensembles comme les théories des représentations, la philosophie de l’art, l’esthétique, l’histoire du goût et le marché de l’art (pour lesquelles les 160 000 catalogues de vente constituent par ailleurs une source de première main), l’histoire des musées, la muséographie, la muséologie (10 % de l’ensemble des collections), l’architecture, l’archéologie. En revanche, et en raison des richesses de collections proches, au premier rang desquels celles des départements spécialisés de la Bibliothèque nationale, les enrichissements sont beaucoup plus sélectifs dans les domaines des arts graphiques, du cinéma, de la photographie et des arts du spectacle.

15Des collections patrimoniales d’une très grande richesse constituent l’autre grand atout de la Bibliothèque. La collection d’autographes d’artistes, de collectionneurs, de marchands et critiques d’art (45 526 pièces), choisis pour leur rareté (seuls les autographes non publiés sont achetés, parfois en lettres singulières, le plus possible en séries), permet d’offrir de nouvelles sources sur des artistes ou acteurs de la création et de la réception artistique. Ainsi, d’une centaine de lettres autographes envoyées par divers artistes du xixe siècle au marchand de couleurs devenu marchand d’art Haro : 55 lettres de Delacroix, 20 lettres d’Ingres, des lettres de Carpeaux, Corot, Courbet, Degas, Henner, Manet, Millet, Rodin ou autres ; ou d’un important ensemble de la correspondance du critique d’art Léon Roger-Milès, de la correspondance de Courbet, etc.

16Les fonds d’archives sont au nombre de 134 et s’enrichissent continûment. Depuis son rattachement à l’INHA, la Bibliothèque a mis l’accent sur les archives des historiens de l’art, conservateurs, critiques. Elle offre ainsi les archives des conservateurs Marcel Aubert, Gaston Brière, Louis Rey, des archéologues Auguste Allmer, Julien, Louis et Claude Poinssot, Paul-Marie Duval, Émile Espérandieu, des historiens de l’art André Chastel, Jacques Thuillier, Maurice Besset, des collectionneurs Alfred Bruyas, Charles Davillier, des galeries Cailleux, Sagot-Le Garrec, Louis Carré, Fabius, des architectes Albert et Théodore Ballu, Louis Boitte, Jules Bourgoin, Maxime Collignon, des critiques d’art Paul Mantz, Louis Vauxcelles ou Louis Dimier, etc.

17Les collections d’estampes, riches de plus de 20 000 pièces, et de dessins, environ 5 000 œuvres (malheureusement amputées de l’ensemble des dessins modernes, comme on l’a vu), sont pour une grande part celles qu’a constituées Jacques Doucet, d’abord comme collectionneur, puis, selon une optique un peu différente, comme fondateur d’une bibliothèque d’art. Comme collectionneur, Doucet va s’intéresser avant tout aux estampes de peintres et acquiert en nombre des Toulouse-Lautrec, des Goya, des Degas, ou quelques estampes de Delacroix et de Manet auprès du marchand Alfred Stroëlin. Lors de la constitution des cabinets d’estampes et de dessins de la bibliothèque, le premier bénéficiant à partir de 1911 de l’expertise de Noël Clément-Janin, le second de celle de René-Jean, le projet est à la fois esthétique et pédagogique : faire connaître l’art en création et les différentes techniques de la gravure. Centrée pour sa part contemporaine sur une cinquantaine d’années de création d’œuvres françaises et étrangères (1880-1930), la collection d’estampes, entièrement numérisée et mise en ligne au fur et à mesure de la levée des droits d’auteur, forme un ensemble particulièrement remarquable par sa spécificité. En rien comparable en spectre et complétude à l’immense collection de son voisin du département des Estampes de la Bibliothèque nationale, elle est enrichie dans le respect strict de sa spécificité.

  • 9 Voir les inventaires de ces collections sur http://www.inha.fr/spip.php ? article1233.

18La collection des 750 000 photographies est constituée de trois strates successives : la Photothèque fondée par Jacques Doucet en 1908, grâce à des achats et des campagnes particulières ; une grande partie de la photothèque de l’Institut d’art et d’archéologie initiée par l’archéologue Maxime Collignon dans les années 1890 ; le stock de négatifs de l’agence Giraudon (350 000 environ, années 1870-1990) donné à l’INHA par l’agence Bridgeman en 2006. Grâce au soutien décisif du Getty Research Institute en 2008-2009, les deux premiers ensembles sont décrits ; il s’agit maintenant de développer la numérisation et la valorisation des photos, encore trop méconnues du public9. Leur redécouverte est pourtant essentielle à la recherche aujourd’hui, malgré les richesses du web. Constitué en ensembles thématiques ou classées par artiste, couvrant presque tous les continents et toutes les époques, de l’Antiquité au xxe siècle – comme le voulaient les grandes collections initiées par Robert Witt en Grande-Bretagne, par exemple –, elles permettent de redécouvrir et de faire l’histoire de monuments ou d’œuvres, dont l’environnement, la localisation, les modes de conservation ont changé ou ont parfois disparu. Conçue dès le départ dans une optique résolument documentaire (fournir des sources iconographiques à la recherche en histoire de l’art), cette collection abrite des ensembles devenus parfois œuvres d’art et témoignant des recherches de grands archéologues ou historiens de l’art, ainsi que du spécialiste d’art byzantin Charles Diehl, prises lors de ses voyages au Moyen-Orient, ou à la demande de l’archéologue John Henry Parker, sur l’architecture de Rome et de l’Italie à la fin du xixe siècle. Et bien sûr, nombre de ces photographes ont eux-mêmes accédé au statut d’artiste : Eugène Atget, les frères Alinari, Eugène Piot sont bien représentés dans les collections.

19La collection des 15 800 livres anciens est d’une grande richesse et s’appuie notamment sur la collection Foulc, rachetée au fils de John Pierpont Morgan en 1914. Elle comprend par exemple une collection unique de quelque 1 200 livres de fêtes, cérémonies, funérailles, un ensemble de livres d’architecture et de perspective, dont les plus anciens remontent au xvie siècle et sont illustrés par Alberti, Andrea Palladio, Serlio, Vignole et pour la France par Jean Cousin, Jacques Androuet du Cerceau, Jean Goujon, Philibert de l’Orme, et plus tard par Abraham Bosse, Jules Hardouin-Mansart, Robert de Cotte, etc. et plus tard encore par Jean Mariette, Percier et Fontaine, etc. La bibliothèque possède aussi un ensemble de recueils d’ornements gravés par les plus grands artistes : Jacques Androuet du Cerceau, Étienne Delaune, Albrecht Dürer, Cornelis Floris, ou plus tard Gabriel Huquier, Jean Pillement, etc.

20Riche de trésors à redécouvrir, indispensables à la recherche en histoire de l’art, cette bibliothèque s’apprête à compléter sa mue, afin de servir une communauté considérablement élargie depuis le début du xxe siècle, qui devrait trouver matière à un apprentissage et une réflexion renouvelés dans les espaces exceptionnels mis à sa disposition, tout à la fois miroir et ferment des collections proposées.

Notes

1 Martine Poulain, « Philanthropy, Benefaction and Libraries in France, 1916-1929 », Libraries and Culture, vol. 31, no 2, spring 1996.

2 Sur René-Jean, voir notamment Sylvie Maignan, René-Jean, critique d’art et bibliothécaire, Paris, Institut national d’histoire de l’art, 2006.

3 Ces chiffres sont donnés par André Joubin dans sa communication au Congrès d’histoire de l’art le 27 septembre 1921. « La Bibliothèque d’art et d’archéologie de l’Université de Paris », 9 p. AN, AJ 16 8387.

4 François Chapon, Mystères et splendeurs de Jacques Doucet, 1853-1929, Paris, Jean-Claude Lattès, 1984 ; rééd. C’était Jacques Doucet, Paris, Fayard, 2006.

5 Denise Gazier, « La Bibliothèque d’art et d’archéologie, un patrimoine en péril », Note du 12 mars 1982, Archives BAA.

6 Sylvie Maignan : Un critique d’art parisien : René-Jean, 1879-1951, Mémoire de l’école du Louvre, 1979, p. 94 et René-Jean, critique d’art et bibliothécaire, INHA, 2005, 54 p. Gaston Brière (1871-1962), spécialiste de la peinture française des xviie et xviiie siècles, conservateur, puis directeur du musée de Versailles ; Paul Perdrizet à l’université de Nancy, puis à Strasbourg, auquel René-Jean, était lié de longue date « avait convaincu Jacques Doucet de comprendre l’antiquité dans son plan des bibliothèques […]. Il fit réunir jusqu’en Grèce de magnifiques lots de photographies », « Éloge funèbre de M. Paul Perdrizet », par Charles Picard, Comptes rendus des séances de l’Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, 1938, 82, 3, pp. 270-280 ; François Thureau-Dangin (1872-1944), l’un des fondateurs de l’assyriologie, archéologue et épigraphiste, conservateur puis directeur du département des Antiquités orientales du Louvre ; Édouard Chavannes (1865-1918), archéologue spécialiste de la Chine ancienne, professeur au Collège de France ; Arnold Van Gennep (1873-1957), l’un des fondateurs de l’ethnologie française, folkloriste.

7 Idem, p. 96. Salomon Reinach (1858-1932), archéologue, spécialiste de l’histoire des religions, directeur du musée des Antiquités nationales de Saint-Germain-en-Laye ; Maurice Prou (1861-1930), historien du droit et numismate, conservateur au cabinet des médailles de la Bibliothèque nationale, puis directeur de l’École des chartes ; Alfred Foucher (1865-1952), historien de l’art, spécialiste du monde bouddhiste, directeur de l’école française d’Extrême-Orient ; Jean Laran (1876-1948), historien de l’art, conservateur puis directeur du Cabinet des Estampes de la Bibliothèque nationale ; Raphaël Petrucci (1872-1917), historien de l’art extrême-oriental.

8 Idem, p. 103. Antonin Jaussen (1871-1962), dominicain, ethnologue et archéologue spécialiste du Proche-Orient ; Charles Picard (1883-1965) et Charles Dugas (1885-1957), archéologues de la Grèce antique ; Théophile Homolle (1848-1925), archéologue, directeur de l’École française d’Athènes, directeur des musées nationaux et de la Bibliothèque nationale ; Mogens Becker Clemmensen (1885-1943), architecte et historien danois.

9 Voir les inventaires de ces collections sur http://www.inha.fr/spip.php ? article1233.

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