Introduction
Pourquoi un livre sur Aussois ?
p. 7-11
Texte intégral
Le collectif des chercheurs d’Aussois
1Cet ouvrage représente une étape importante de montée en puissance d’un champ interdisciplinaire émergent : l’écologie territoriale. Si des travaux déjà anciens ont traité de questions scientifiques très proches de ce dont il est question en écologie territoriale, il n’y avait pas encore eu d’effort collectif visant à faire émerger une communauté scientifique destinée à se structurer et à essaimer.
2Le point de départ de cette volonté de fédérer a été l’obtention dans le cadre du programme « Villes Durables » de l’Agence Nationale de la Recherche, du projet de recherche CONFLUENT (CONnaissance des FLux Urbains, EmpreiNTes environnementales et gouvernance durable), mené sous la direction scientifique de Sabine Barles entre 2009 et 2013. Ce projet a constitué une étape fondamentale pour l’émergence de l’écologie territoriale en France sous sa forme actuelle. Il nous a permis de renforcer les éléments méthodologiques, objet de cet ouvrage.
3D’autres étapes ont cependant été nécessaires. Sabine Barles et Nicolas Buclet ont organisé deux jours de colloques sur l’écologie territoriale, les 31 janvier et 1er février 2012 au CNRS à Paris. La tenue de ce colloque nous a apporté la confirmation de l’intérêt de constituer une communauté scientifique sur ce thème ; une communauté de chercheurs n’ayant pas peur de se confronter à un objet appelant à une interdisciplinarité radicale, celle qui transcende les limites entre sciences humaines et sociales, sciences de l’ingénierie, sciences de l’environnement et géosciences. Afin de profiter de l’élan insufflé par l’événement, nous avons décidé de lancer un projet d’école thématique sur le sujet. En effet, les quelques chercheurs mobilisés étaient certes motivés, mais sans doute encore trop peu nombreux et insuffisamment au fait des enjeux que suscitait l’objet « écologie territoriale » dans le cadre d’autres disciplines. Grâce une nouvelle fois au soutien du CNRS, mais également de partenaires comme la FIRE (Fédération Ile-de-France de Recherche en Environnement), l’Ecole Doctorale Sciences de l’Homme du Politique et du Territoire de l’Université de Grenoble et l’Ecole Doctorale de Géographie de Paris, il nous a été possible d’organiser une école thématique d’une semaine à Aussois en juin 2013, au centre Paul Langevin (Centre d’hébergement du CNRS). La commune savoyarde d’Aussois, que le lecteur va apprendre à connaître à travers ce livre, n’a nullement été choisie afin de concentrer nos efforts de recherche sur le milieu montagnard. Lorsque nous nous sommes réunis, pour cogiter la teneur du programme de la future école, l’idée a émergé de profiter d’être en un lieu précis pour analyser le métabolisme même de ce lieu. Pourquoi en effet ne pas profiter d’être réuni sur un terrain d’étude potentielle pour sortir d’une configuration trop théorique de l’école et lui donner une finalité précise, un exercice applicatif ?
4C’est ainsi qu’est né le projet d’écologie territoriale appliqué à la commune d’Aussois. L’école thématique de juin 2013 a été l’occasion de s’imprégner du contexte local, mais également de collecter des informations utiles à l’analyse. Nous nous sommes pour cela largement appuyés sur le riche travail préparatif de Ludovic Bertagnolo, stagiaire en deuxième année de Master en Sciences du Territoire à l’Institut de Géographie Alpine. De plus, pendant l’école thématique, parallèlement à une série d’exposés théoriques, permettant à chacun de se former à de nouveaux savoirs, de croiser des approches disciplinaires, de se forger quelques concepts et un vocabulaire commun, nous avons également pu écouter le maire d’Aussois, Alain Marnezy, également président du Parc National de la Vanoise, dont le périmètre s’étend en partie sur la commune. Alain Marnezy nous a dressé sa vision du territoire et a patiemment répondu à nos questions, tout comme Jean-Claude Gallety, ancien directeur du CERTU, et dont la thèse de doctorat avait notamment porté sur Aussois. À ces deux exposés forts instructifs se sont ajoutées des visites de terrain. Nous avons visité la Maison d’Aussois, musée local sur le mode de vie traditionnel, et notre guide Raymond, retraité ayant connu la période des années 1950, a été pour nous l’équivalent d’un livre ouvert sur les pratiques de l’époque. Nous avons également été accueillis par le directeur des services techniques de la commune qui a fait visiter à certains d’entre nous les installations techniques de la station de sports d’hiver (et notamment les infrastructures permettant de produire et de diffuser la neige de culture sur les pistes de ski). Cette visite nous a donné l’occasion d’emmagasiner des informations sur le lien entre l’eau, l’énergie et le tourisme. D’autres participants à l’école thématique ont préféré marcher jusqu’au Fond d’Aussois, pour y retrouver le gestionnaire du refuge, fin connaisseur de l’activité touristique de la commune et également producteur de bière. Grâce à cet échange et à quelques autres avec notamment des éleveurs, des anciens du village, des commerçants et le personnel du Centre d’hébergement du CNRS, nous avons pu compléter nos connaissances sur le contexte local. Que toutes ces personnes soient remerciées de leur patience et disponibilité, ainsi que les habitants d’Aussois pour leur accueil chaleureux.
5La deuxième partie de la semaine d’école thématique a consisté à définir la façon de travailler ensemble autour des données recueillies sur Aussois. Les bases méthodologiques ont été posées au cours de cet exercice. Des groupes ont été constitués afin de travailler sur des objets complémentaires. Depuis, le travail s’est poursuivi avec des réunions, des ateliers, etc.
6Le premier chapitre de cet ouvrage, dédié à la méthodologie du travail accompli, explicitera en particulier comment, à partir d’une réflexion sur le métabolisme d’un territoire comme celui d’Aussois, des choix thématiques ont été effectués. En effet, il n’est ni matériellement possible, ni même souvent pertinent, de viser à décrire de façon totale, exhaustive, le métabolisme d’un territoire. Dans ce premier chapitre, après avoir décrit ce que les chercheurs entendent par métabolisme d’un territoire, nous expliciterons donc les raisons nous ayant menés à constituer quatre groupes : un premier groupe sur la trajectoire socio-écologique d’Aussois (chapitre 2), un groupe dédié à l’analyse de la création de richesses pour le territoire d’Aussois (chapitre 3), un groupe centré sur la question du système agroalimentaire de la commune, à la fois du point de vue des productions locales, des circuits de distribution et du régime alimentaire (chapitre 4). Enfin, un groupe s’est focalisé sur la question de l’énergie au-delà de l’alimentation, à la fois du point de vue de la production locale, de la consommation par secteur, des réseaux d’approvisionnement et de la circulation d’énergie au sein de la commune (chapitre 5).
7À travers ces différents chapitres émerge une vision partagée du territoire, en tant qu’espace de projet, de stratégie et de vie d’acteurs tissant des interrelations sociales, économiques, culturelles qui engendrent des dynamiques spécifiques. C’est aussi la vision du territoire construite à partir des interactions entre activités humaines et écosystèmes naturels, interactions qui se mesurent notamment par des prélèvements de ressources, mais également par des rejets ou des transformations des paysages pouvant causer des problèmes environnementaux (pollutions chimiques, perte de biodiversité, dégradation des sols…). C’est également une vision mesurant le croisement entre jeux d’acteurs et circulation de flux de matière, d’eau et d’énergie, une vision reliant activités humaines et circulation de flux physiques, mais aussi mesure de l’accumulation de matière par une société humaine, caractéristique des mondes urbains en général et plus particulièrement développée dans les sociétés industrialisées.
8La notion de métabolisme, la mesure de facettes diverses de cette notion appliquée à un territoire, permet d’élaborer autant « d’arrêts sur image » de la situation du territoire analysé. Ainsi, dans le cas d’Aussois, et eu égard à une analyse contextuelle, il nous a paru pertinent de nous concentrer sur la question énergétique (très fortement reliée à la question de l’eau), la question alimentaire, ainsi que la question de la production de richesses, au cœur duquel se retrouve une activité touristique devenue centrale et fortement structurante. Grâce à ce travail, nous disposons dès lors de photographies de divers aspects caractérisant aujourd’hui les relations des acteurs concernés par le territoire d’Aussois entre eux, entre ces acteurs et le « reste du monde », ainsi qu’entre eux et leur environnement naturel.
9Un territoire ne se construit cependant pas à partir de relations immuables. Sa dynamique, à la fois sociale, économique, culturelle et environnementale, entraîne des transformations continues dont il convient de tenir compte. Une des interrogations relatives aux travaux sur la dynamique des territoires est ici également exposée : fait-on face à un processus de transformation continue, une mutation insensible qu’il convient de suivre ? Peut-on au contraire observer des périodes relativement stables, avec un fonctionnement métabolique caractérisé par des régularités, suivies de périodes de transitions avec de brusques changements ? Ces questions ne sont pas sans importance alors que le terme de transition est invoqué comme une incantation au changement nécessaire face aux enjeux de développement durable. Par ailleurs, ces dynamiques sont tributaires des choix effectués par les acteurs du territoire. En la matière, l’approche de l’écologie territoriale proposée ici peut à la fois consister en une proposition de diagnostic à dire d’experts, choix effectué dans le cas d’Aussois, et en une proposition de co-construction par les acteurs du métabolisme de leur territoire, tels qu’ils le perçoivent et le vivent, la démarche permettant alors d’objectiver en partie cette perception et la façon de penser le territoire. Si notre méthodologie établit un constat à partir de données variées issues de sources documentaires et de mesures en provenance de protocoles émanant de disciplines tout autant variées, il est tout à fait possible d’imaginer impliquer les acteurs eux-mêmes dans l’élaboration de ce travail.
10Comme nous le verrons au chapitre 2, en observant les deux derniers siècles à Aussois, il est possible d’identifier trois périodes se traduisant par des types de métabolismes assez différents. Chacune des périodes identifiées se caractérise par une certaine forme de relation de la société locale avec son environnement, par un bouclage des flux plus ou moins marqué à l’échelle de la commune. L’identification de ces trois périodes est importante en ce qu’elle permet de disposer de plusieurs épisodes clé au cours de ces deux siècles passés, et de décrire par épisodes la façon dont fonctionne la société aussoyenne. À défaut de pouvoir réaliser le film de la trajectoire socio-écologique d’Aussois, nous pouvons toutefois en suivre la dynamique, observer la façon dont fonctionne le territoire à chacune des périodes, les événements qui provoquent une rupture et impliquent une transition vers un nouveau régime socio-écologique.
11Les enjeux de l’écologie territoriale, telle qu’elle se propose dans cet ouvrage, sont là, dans notre capacité à comprendre les relations entre l’organisation des activités humaines et les interactions observables avec leur environnement naturel. Entre 1850 et aujourd’hui, les activités humaines d’Aussois se sont organisées selon des configurations différentes, ce qui a engendré une circulation de matière et d’énergie également très différente dans sa nature et dans sa forme. En effet, la forte circularité du régime traditionnel a fait place, comme ailleurs, à un régime fondé sur des échanges accrus avec le reste du monde ainsi qu’une ouverture des cycles biogéochimiques.
12Aussois n’était donc qu’un prétexte pour développer une démarche méthodologique relevant de l’écologie territoriale, démarche transposable a priori à toute étude empirique d’écologie territoriale. Ce territoire nous a également permis d’analyser les évolutions de l’économie montagnarde, sa transition d’une économie presque autarcique à une économie de production de biens et services à destination du monde urbain. Ces transformations économiques ont leur pendant social et culturel (une société d’échanges), mais aussi leur pendant environnemental, avec une pression accrue sur les milieux. À l’heure où de grands discours sont prononcés ici ou là en France sur l’importance de l’économie circulaire et de la transition énergétique, nous espérons que cet ouvrage apportera à ses lecteurs un regard aussi objectif que possible sur les flux de matière et d’énergie.
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