Rénovation énergétique
Une expérimentation localisée pour susciter le passage à l’acte, dans le cadre d’un projet stratégique européen
p. 391-400
Texte intégral
1Le projet Marie a pour objectif d’identifier et de tester des leviers pour dynamiser le marché de la rénovation énergétique du bâtiment dans le contexte méditerranéen. L’état des lieux initialement conduit a confirmé la nature avant tout socioculturelle des obstacles au développement du marché de la rénovation thermique des logements. Ce diagnostic, conduit par une équipe pluridisciplinaire (marketing, anthropologie, thermique des bâtiments et construction durable, gestion de l’environnement), a mobilisé des travaux nationaux et internationaux en sociologie, anthropologie, marketing et communication. En ouvrant de nouvelles pistes, ceux-ci ont contribué à faire évoluer les regards et à infléchir les pistes d’action prévues initialement.
2Une expérimentation localisée doit permettre de mettre en œuvre les pistes mises au jour à la fois pour stimuler les entreprises locales – en capitalisant sur les jeux d’acteurs multiples aujourd’hui mobilisés pour capter le marché et les entreprises artisanales compétentes – et pour dynamiser la demande, en partant de toute motivation à faire des travaux et en jouant sur d’autres registres que celui de la seule rationalité.
3La description de la genèse de cette expérimentation permet de montrer comme les acteurs politiques, et leurs techniciens, se sont approprié le diagnostic, en particulier dans ses dimensions socioculturelles, pour concevoir et valider le plan d’action prévu.
De l’Europe aux territoires expérimentaux : des enjeux stratégiques convergents
4L’expérimentation localisée dont nous allons décrire la genèse est une action pilote, financée dans le cadre d’un projet stratégique européen centré sur l’efficience énergétique du bâtiment. En devenant partenaires de ce projet, la région PACA et la Chambre régionale de Métiers et de l’Artisanat (C.R.M.A.) témoignent de leur propre intérêt stratégique à s’emparer de cette question.
Marie : un projet stratégique européen du Programme Med
5Le Programme Med1 est un programme de coopération transnationale, inscrit dans la politique de cohésion de l’Union Européenne. Il concerne des partenaires de treize pays dont tous ceux de la côte nord méditerranéenne. Avec l’objectif de concentrer ses moyens sur des enjeux prioritaires, le Programme Med a lancé en 2010 un appel à projet stratégique centré sur les économies d’énergie et les énergies renouvelables. En ligne de mire : le respect des engagements de l’Europe en matière d’économies d’énergie, de diminution des émissions de gaz à effet de serre et de lutte contre le changement climatique. Parallèlement, l’avenir de la politique de cohésion européenne est en préparation et doit déboucher sur le nouveau cadre législatif 2014-2020.
6Le projet Marie est l’un des deux projets qui ont été retenus. Il regroupe 23 partenaires basés dans 9 pays2 et dispose d’un budget de six millions d’euros. Il est centré spécifiquement sur l’efficience énergétique des opérations de réhabilitation du parc bâti. Lors de la préparation de leur candidature, les partenaires leaders avaient à l’esprit deux enjeux essentiels vis-à-vis de l’Europe. D’une part, faire reconnaître les spécificités du climat méditerranéen et les contraintes qu’il impose en matière de réhabilitation du bâti ; celles-ci (confort d’été, modes de vie dedans/dehors, patrimoine bâti, culture du bâtiment…) rendent inopportune l’imitation aveugle des solutions existant en Europe du nord. Il s’agit donc pour les partenaires de devenir des acteurs écoutés lors de la préparation des directives européennes concernant l’efficience énergétique du bâtiment. D’autre part, la Méditerranée souffre également de handicaps économiques (niveau de vie moyen inférieur, capacité d’investissement limitée des régions ou des pays) qui entraînent le besoin d’un rééquilibrage en sa faveur de la politique de cohésion européenne. Alors que le cadre européen législatif et financier 2014-2020 se prépare, il s’agit aussi de peser sur l’orientation des futurs fonds structurels consacrés à l’efficience énergétique. L’ensemble des informations produites dans le cadre du projet Marie doit donc contribuer à préfigurer une stratégie méditerranéenne partagée, déterminant les futures politiques publiques, leurs déclinaisons opérationnelles, leur mise en œuvre autant dans le champ public que dans le champ privé ainsi que les moyens nécessaires pour y parvenir, y compris la mobilisation des fonds structurels.
7Les champs d’investigation explorés par le projet Marie concernent à la fois l’offre – aussi bien de produits, de solutions technologiques que de services – et la demande ainsi que les moyens de leur rapprochement. Le projet s’intéresse aussi aux enjeux de formation et de communication en direction de toutes les parties prenantes susceptibles d’influencer le marché.
8La méthode de conduite du projet, commune à tous les partenaires, comporte quelques étapes principales. Tout d’abord, des états des lieux de l’offre et de la demande ont été conduits à l’échelle locale avant d’être compilés à l’échelle du partenariat. Cela a permis d’identifier un ensemble de barrières et de proposer des mesures pour les dépasser. Pour tester la pertinence et l’opérationnalité de ces mesures, quelques partenaires ont ensuite eu la responsabilité de construire des plans d’actions mis en œuvre dans le cadre d’expérimentations pilotes afin de susciter un retour d’expérience permettant d’affiner la stratégie générale qui sera finalement proposée. Divers comités scientifiques, professionnels et politiques suivent le déroulement général du projet, validant progressivement la construction de cette stratégie.
Au sein du projet Marie, un partenariat français stratégiquement construit
9Dès la parution de l’appel à projet stratégique, la région PACA a été associée à l’équipe resserrée qui a pris en charge la rédaction de la candidature et la formation du partenariat complet. En effet, la Région a des objectifs très ambitieux en matière d’économie d’énergie, d’énergies renouvelables et de réduction des émissions de gaz à effet de serre. Son schéma régional climat air énergie (SRCAE) comporte un scénario de transition énergétique et fixe les objectifs suivants :
- réduction de la consommation d’énergie de 10 à 15 % d’ici 2020 (par rapport à 2007), de plus de 30 % en 2030 et de près de 60 % en 2050 ;
- couverture des besoins énergétiques par des énergies renouvelables de l’ordre de 16 % en 2020 et plus de 90 % en 2050.
10Parmi les orientations du SRCAE concernant le secteur du bâtiment, on peut noter la priorité donnée à la réhabilitation des bâtiments existants en ciblant les plus énergivores : rénover les logements (-30 % en 2020,-40 % en 2030), rénover le parc tertiaire (-24 % en 2020, -37 % en 2030).
11Parce qu’il est le plus difficile à mobiliser et parce que le projet stratégique offrait un cadre d’expérimentation stimulant, la Région a choisi de positionner sa participation en ciblant le marché diffus, en particulier celui de la maison individuelle et des petites copropriétés. Connaissant bien ce marché grâce à des études antérieures (Hamon & Maigrot, 2008) et défendant une position originale vis-à-vis des autres partenaires leaders, la région PACA a la conviction que les solutions à trouver sont de nature socioculturelle avant tout ; il s’agit donc, dans une perspective de passage à l’acte, d’agir sur les comportements, autant du côté de la demande que de celui de l’offre (ie. les entreprises artisanales du bâtiment, interlocutrices privilégiées des particuliers). C’est ainsi que la C.R.M.A. a été sollicitée pour devenir à son tour partenaire du projet Marie et apporter ses compétences et son réseau privilégié d’acteurs, en relation avec les entreprises artisanales.
12Le troisième partenaire français est Effinergie, un collectif associatif français créé en 2006. Sa mission est de promouvoir les constructions à basse consommation d’énergie (en neuf et en rénovation). Son premier label, lancé en 2007, est devenu « BBC-Effinergie », repris dans la réglementation française, visant une consommation énergétique moyenne de 50 kWhep/m2/an. Effinergie doit apporter sa capacité d’influence, à la fois scientifique et politique, aussi bien au niveau français qu’au niveau européen, pour faire écho à la voix méditerranéenne en matière d’efficience énergétique du bâti et donner sa caution aux directions stratégiques mises au jour.
Le regard initial des principaux acteurs du projet
13Un consensus est aujourd’hui largement établi, au niveau national, européen et mondial, sur le poids et le rôle du bâti, et plus particulièrement du stock de bâtiments très peu performants, dans les questions environnementales liées à la maîtrise de l’énergie et à la lutte contre le changement climatique.
14Par contre, le consensus est beaucoup moins ferme que ce soit sur l’analyse du phénomène ou sur les pistes d’action que celle-ci suggère. Pourtant, on constate l’existence de quelques paradigmes dominants qui structurent les discours et certaines politiques. La Région et la C.R.M.A., au moment de leur candidature, souhaitaient toutes deux trouver une position pertinente, dans le cadre d’un contexte français surdéterminant.
À l’origine : quelques paradigmes dominants
15À l’origine, au sein du partenariat méditerranéen rassemblé pour le projet Marie, quelques convictions fortement ancrées semblent emporter l’adhésion, d’autant plus que celles-ci transparaissent aussi dans le texte de l’appel à projet stratégique du Programme Med.
Des croyances assez largement partagées au sein du partenariat
16À propos du marché diffus, celui des particuliers, trois grandes croyances occupent les esprits au démarrage du projet. La première de ces croyances relève d’une foi totale – scientiste ? – dans la technique et dans le fait que, in fine, la solution résidera dans le développement et la mise en œuvre de matériaux, de produits et de technologies innovants. Cette croyance est d’autant plus forte qu’elle correspond aux injonctions répétées de l’Union européenne sur l’innovation et la compétitivité et qu’elle repose sur une interprétation restrictive de l’innovation, centrée exclusivement sur les produits et la technologie, oubliant les services et les aspects plus commerciaux et organisationnels contenus dans la définition proposée par l’OCDE. Dès 2007, le WBCSD3 qui rassemble les leaders mondiaux de la technologie du bâtiment, souligne bien les limites de la seule innovation technologique : « Technology available today can achieve dramatic improvements in building energy efficiency, but market failures and behavioral barriers are blocking progress toward the EEB vision of zero net energy. » Les partenaires français du projet Marie doivent donc régulièrement insister auprès des autres partenaires pour que l’innovation de services4 (commercial, formation, organisation…) ne soit pas écartée, d’autant plus qu’ils souhaitent se concentrer sur cette question.
17La deuxième croyance est basée sur le modèle économique dominant de l’homo œconomicus, consommateur rationnel et sur celui de son double maléfique, le consommateur dysfonctionnel auquel il faudrait inculquer les bons comportements. Pour beaucoup des partenaires, il suffirait donc d’informer convenablement les citoyens pour qu’ils décident de passer à l’acte. Et de bien former les entreprises pour qu’elles sachent faire et qu’elles décident, elles aussi, de passer à l’acte en préconisant et mettant en œuvre des travaux d’efficience énergétique. En termes de communication, le projet prévoit au départ des actions dont l’objectif, « raising awareness5 » renvoie essentiellement à l’aspect cognitif des choses. En direction des entreprises, le projet insiste beaucoup sur la formation, innovante autant que possible.
18La troisième croyance part du principe que l’on a affaire à un consommateur impécunieux auquel il faut apporter des financements innovants. Les effets délétères de la crise économique dans un bon nombre de pays méditerranéens viennent certainement valider en partie cette croyance, qui mérite cependant d’être nuancée.
19Un des objectifs des actions pilotes est de mettre ces croyances à l’épreuve de l’expérimentation.
En France, les effets du Plan Grenelle Bâtiment6
20Plus spécifiquement en France, le Plan Grenelle bâtiment imprègne les esprits et fixe quelques directions autour desquelles s’organise le débat et qui déterminent aussi les politiques publiques mises en œuvre, en particulier les aides financières et leurs conditions d’obtention. Un consensus semble établi autour de l’idée de « ne pas tuer le gisement ». Cette idée indique qu’il est essentiel de ne pas laisser faire des travaux thermiquement partiels ou insuffisants, qui obèrent pour de très longues années toute possibilité de future amélioration7. La rénovation globale, traduite fiscalement par la notion de bouquet de travaux, est donc largement favorisée par toutes les politiques publiques, certains prônant même de rendre celle-ci obligatoire en cas de mutation foncière.
21Avec ce concept de rénovation globale, et compte tenu des évolutions en parallèle de la réglementation thermique dans le neuf qui rend cruciale la question de la qualité de mise en œuvre et de l’étanchéité à l’air, se fait jour l’idée complémentaire que les travaux doivent être réalisés dans une organisation beaucoup plus coordonnée du chantier. Le principe d’un interlocuteur unique du maître d’ouvrage, coordonnateur d’un groupement organisé d’entreprises et veillant à une conduite optimale du chantier, est recommandé.
22Par ailleurs, pour garantir l’optimisation thermique effective des logements à l’issue des travaux, deux modèles opposés s’affrontent. Le premier met en avant la nécessité absolue d’un audit thermique personnalisé du logement, assorti d’une préconisation de travaux hiérarchisés. À l’inverse, les tenants de la solution technique de référence proposent un modèle unique de rénovation thermique (décliné selon diverses options) permettant d’une part de simplifier les messages en direction des maîtres d’ouvrage et leur prise de décision, d’autre part de normaliser le chantier, diminuant ainsi le rôle prescripteur des artisans, selon le « paradigme de la standardisation technologique » (Arditi et al., 2009).
23Malgré tout, force est de constater que le marché français de la rénovation thermique ne décolle pas et ne tient pas les promesses économiques gigantesques annoncées. Beaucoup ne manquent pas d’accuser les entreprises artisanales, transformées en coupable idéal de cet état de fait. On met en cause leurs compétences, jugées limitées ; on dénonce leur esprit d’indépendance et des réticences vis-à-vis du concept d’offre globale qui nécessite une coopération formalisée avec d’autres entreprises ; on parle de leur « résistance au changement ».
Les positions initiales de la région Provence-Alpes-Côte d’Azur et de la C.R.M.A.
24Dans ce contexte général, la Région et en son sein le service énergie, est porteuse depuis de nombreuses années de quelques convictions un peu décalées. C’est tout d’abord l’idée que les questions socioculturelles (jeux d’acteurs, structuration et organisation du marché, comportement du consommateur…) sont essentielles pour la compréhension des enjeux, la définition des stratégies et la conduite de l’action. C’est pourquoi elle a placé sa participation au projet Marie dans le champ des services et de l’innovation sociétale et non dans celui de l’innovation technologique. C’est aussi l’idée que les aides financières présentent le risque important de « polluer » le marché. En effet, elles provoquent des effets d’aubaine et donc entraînent souvent une hausse contreproductive des prix.
25Néanmoins, de manière peut-être un peu contradictoire, la Région a accompagné sa participation au projet Marie d’un appel à projet – Agir & Rénover + – ciblant les particuliers. Celui-ci comporte un premier volet pour susciter la demande, avec des aides financières à la clé8, cumulables avec les aides de droit commun (crédit d’impôt, Eco PTZ…). Cet appel à projets a un haut niveau d’exigence environnementale et des ambitions énergétiques élevées (niveau C+ ou BBC rénovation) ; il y a également l’obligation de recourir à un ensemble d’entreprises qualifiées agissant de manière coordonnée. Un deuxième volet de l’appel à projets vise d’ailleurs à accompagner les entreprises vers des mises en œuvre globales et coordonnées. Cet appel à projets, et les aides qu’il apporte, doit être mis en avant et testé dans le cadre de l’expérimentation.
26De son côté, reprenant à son compte la notion d’offres groupées, la C.R.M.A. souhaitait se positionner auprès des entreprises artisanales du bâtiment avec un « pack de services » innovant pour les accompagner dans la conquête du marché de la rénovation thermique et l’approche coordonnée des chantiers.
Un état des lieux qui fait bouger les lignes
Les apports de l’état de lieux
Côté offre : une situation complexe et nuancée
27L’état des lieux de l’offre a principalement montré que la dynamique du Plan Grenelle avait aiguisé les appétits et que de nombreux acteurs étaient déjà positionnés sur le marché, proposant des offres de services variées aux artisans. Ces acteurs sont en compétition pour fidéliser les « meilleurs » artisans qui vont mettre en œuvre les offres qu’ils destinent aux particuliers. Ce sont les grands obligés (Bleu Ciel EDF, Dolce Vita GDF-Suez), les négociants en matériaux (Chausson9, Point P, Réseau Énergie Habitat10…), les constructeurs de maisons individuelles « Thermorénovateurs11 », les organisations professionnelles qui accompagnent la formation de Groupements Momentanés d’Entreprises, les métiers émergents (courtiers en travaux, écorénovateurs, maîtres d’œuvre spécialisés).
28À cheval entre B to B et B to C, ils développent des offres de services mixtes. Pour le particulier, calquées sur les paradigmes dominants rappelés plus haut, ces offres proposent assez invariablement un audit personnalisé accompagné de préconisations détaillées, une mise en relation avec des entreprises, le suivi des travaux, parfois un audit final. Auprès des entreprises artisanales, elles mettent en avant la prospection commerciale, l’apport d’affaires, la prescription technique et la valorisation des certificats d’économie d’énergie (C.E.E.).
29Aussi courtisées soient-elles, on constate que les entreprises artisanales restent en retrait et représentent aujourd’hui une véritable « zone d’incertitude organisationnelle » (Crozier & Friedberg, 1977) pour l’ensemble des acteurs publics et privés qui aimeraient les voir évoluer, y compris pour leurs propres organisations professionnelles. Très majoritairement, les entreprises artisanales du bâtiment restent en retrait des stratégies qui les visent. Il est admis que les stages FEE Bat sont un échec en termes de participation, malgré les conditions attractives de participation qu’ils offrent. En dépit de l’annonce du conditionnement des aides aux seuls travaux réalisés par des artisans reconnus Grenelle Environnement, l’adhésion aux différents labels professionnels reste limitée. Enfin, même si les chiffres restent dans l’ensemble confidentiels, il semble bien qu’encore très peu d’entreprises artisanales soient réceptives aux nouveaux services proposés, pour lesquels elles constituent un véritable goulot d’étranglement.
30L’état des lieux a également mis en évidence qu’avec le paradigme de la rénovation globale, et son haut niveau d’exigence, nous sommes face à des bouleversements économiques, techniques, organisationnels et symboliques pour les entreprises artisanales qui sont mal connus et le plus souvent peu pris en compte (Arditi et al., 2009). Ainsi, sur la côte méditerranéenne, un artisan qui appliquerait les principes de la rénovation globale avec un audit complet et des préconisations d’isolation très performante, déboucherait presque nécessairement sur des besoins de chauffage minimes voire nuls : quel plombier-chauffagiste altruiste, d’autant plus que le consommateur est rarement prêt à payer l’audit à son juste prix, sera-t-il prêt à tuer ainsi son propre marché ? Le modèle économique de ces nouvelles offres reste donc à inventer : quelle est la propension à payer du consommateur, quelle est celle de l’artisan vis-à-vis d’un apporteur d’affaires, qui paye quoi, comment préserver le revenu des artisans ?
Côté demande, les politiques publiques oublient que le particulier est un consommateur
31Parce que beaucoup d’enquêtes à notre disposition mettent la focale sur l’efficience énergétique et la rénovation thermique, notre connaissance de la demande est relativement déformée. En effet, le processus de décision du particulier et ses clés d’entrée dans des travaux de rénovation sont encore mal ou pas observés. Quelques études (Club de l’amélioration de l’habitat12 ; Hamon & Maigrot, 2008 ; Alphéis, 2011) montrent pourtant que dans de nombreux cas, les travaux d’amélioration thermique, en particulier ceux qui rejoignent la notion de rénovation globale, ont pour origine d’autres motivations telles que la modification de l’espace de vie, des choix esthétiques, l’hédonisme, un gain de confort estival ou hivernal, des préoccupations de santé ou la valorisation du bien.
32L’argument pécuniaire pour expliquer le non passage à l’acte, souvent surestimé, est mal compris (« les gens n’ont pas d’argent »). La notion d’arbitrage budgétaire est rarement prise en compte. Il semble pourtant que cette question pécuniaire fonctionne selon une causalité inversée. Si les aides financières participent bien à l’éveil du besoin et sont susceptibles de jouer un rôle accélérateur, au final, elles constituent rarement la motivation principale (Lagandré, 2012). Par contre l’argument économique du retour sur investissement, qui est souvent le seul argument commercial mis en avant, est contreproductif : il offre au consommateur une échappatoire utile pour justifier son non passage à l’acte (« sept ans de retour sur investissement, c’est trop long »).
33Le fait que le consommateur doive faire face, relativement seul, à une décision très impliquante, est également peu pris en compte. La rénovation globale nécessite une vision systémique complexe, des prises de décision combinées pour des résultats peu sûrs et peu palpables. Ainsi la variable sensorielle du confort, qui peut effectivement résulter de travaux d’isolation adéquats, est très difficile à démontrer et argumenter. Il arrive même que les conseils apportés – c’est le cas parfois dans les E.I.E. –, transforment une décision que le consommateur croyait relativement simple (« chaudière à condensation ou pompe à chaleur ? ») en décision complexe (« il faudrait d’abord isoler les combles et avez-vous pensé à une chaudière bois ? »).
34Enfin, lorsque le logement est occupé, les travaux entraînés par une rénovation globale sont extrêmement intrusifs. Supporter d’avoir des ouvriers chez soi, pendant un temps souvent indéterminé, pour des travaux dérangeants, est une réalité concrète dont les nuisances sont mal évaluées, anticipées et gérées. Si ces travaux sont entrepris au moment d’une mutation, l’urgence d’entrer dans les lieux prime souvent, d’autant plus que si on sait quand les travaux commencent – dans le meilleur des cas –, on sait rarement quand ils vont finir, surtout en rénovation.
35Face à tout cela, et malgré des études en forme d’avertissement (Olivier & Nicolaï, mai 2005), la communication à propos des travaux d’économie d’énergie conserve souvent ses accents culpabilisateurs et anxiogènes : « faisons vite ça chauffe ! ». De plus, alors que la communication est devenue surabondante sur le sujet, les informations sont complexes et contradictoires, ce qui rend le consommateur perdu et méfiant13.
Premières évolutions des points de vue
36À l’issue de l’état des lieux, un certain nombre de glissements de points de vue ont déjà pu être constatés.
Au sein du partenariat international
37La définition et l’organisation des barrières communes à tous les pays partenaires (voir tableau ci-dessous) rendent compte des contributions des partenaires français, suite à l’état des lieux.
38On distingue d’abord des barrières structurelles relevant dans l’ensemble de la responsabilité des décideurs publics qui doivent assumer leur place et leur rôle dans le jeu d’acteurs et la production des barrières. Les aspects techniques et l’innovation prennent une place modeste et incluent les questions managériales (gestion de projets complexes). Les barrières financières sont distribuées tout au long de la chaîne de valeur (depuis les pouvoirs publics jusqu’au particulier). La prise en compte des obstacles d’origine humaine est faite de manière plus riche, en s’intéressant aux trois dimensions de l’attitude ; une distinction est faite entre les obstacles cognitifs, relevant effectivement de mesures d’information ou de formation et les obstacles d’une autre nature (motivations, comportements) qui doivent être traités différemment.
39Assez paradoxalement, au sein du partenariat, l’écoute la plus attentive pour la compréhension qualitative de la demande a été trouvée chez les spécialistes d’économétrie, en charge de la modélisation des politiques publiques et de leurs effets prévisibles (kWh et CO2 économisés) dans le cadre de Marie14.
40Sur le volet communication, on a également vu un déplacement des objectifs qui, au départ, étaient de proposer une campagne de communication sur le mode rationnel. Il a été décidé d’établir un état des lieux complémentaire, s’intéressant à la communication existant au sein des pays/régions partenaires – institutionnelle mais aussi privée – et de mener une évaluation en utilisant les travaux de la littérature internationale sur le sujet, et en particulier les livrables du projet Behave (Egmond et Bruel, 200715). Cet état des lieux doit aussi permettre de repérer les bonnes pratiques et les actions de communication innovantes visant le passage à l’acte (ex. théorie de l’engagement, nudges, social norms…).
Au sein du partenariat français : une vision de l’offre différente
41La C.R.M.A. a pris acte du fait que les entreprises artisanales avaient besoin non de nouveaux services, mais de repères parmi toutes les offres et toutes les options d’accès au marché de la réhabilitation thermique qui leur sont proposées. Il est donc nécessaire de pouvoir leur fournir une meilleure connaissance, lisibilité et évaluation de ces offres.
42La C.R.M.A. doit donc acquérir une connaissance fine des acteurs « intégrateurs » du marché pour aider les entreprises artisanales, en fonction de leurs caractéristiques spécifiques, à effectuer des choix basés sur les avantages et les inconvénients des offres en présence. Il s’agit de développer, en lien avec les artisans, un concept de « boussole stratégique » dont les modalités opérationnelles seront à tester lors de l’action pilote.
43Le besoin d’une meilleure compréhension des modèles économiques16 réalistes sur le marché de la rénovation, en incluant les différentes stratégies possibles de valorisation des certificats d’économie d’énergie, a été également mis en évidence et une mission d’expertise a été commanditée sur le sujet.
Pour aborder la demande
44Anticipant sur les informations qui seront apportées par l’état des lieux des bonnes pratiques de communication, le Région a fixé quelques objectifs pour celle qui sera mise en œuvre dans le cadre de l’expérimentation. Le message devra être non culpabilisant et mettre en avant le bien-être et le confort mixte été/hiver, particulièrement important en zone méditerranéenne. L’accroche sera basée sur la réalisation de travaux, quel que soit leur objectif initial, et transmettre le message de l’efficience énergétique comme un plus (« et tant que vous y êtes, pensez à… »). Les incitations financières devront être laissées en arrière-plan, plutôt comme un complément de financement (« et en plus vous allez y gagner » ; « des aides qui peuvent vous permettre de boucler votre budget » ; « des aides qui peuvent vous permettre de mieux préparer votre projet »). La communication « rationnelle » ou « informative » doit permettre d’apporter des informations pertinentes pour réussir des rénovations progressives (par étape) à des consommateurs décidés (« ce n’est pas grave si vous ne faites pas tous les travaux d’un seul coup, du moment que vous gardez la possibilité de les faire plus tard »).
STRUCTURELLES |
Faible souplesse des budgets pour permettre des investissements importants dans l’efficience énergétique (raisonnement à court terme pour des bénéfices à long terme). |
Cadre réglementaire peu clair, instable, court-termiste que ce soit pour l’offre ou pour la demande. |
Faible intégration des niveaux européen, national, régional et local des politiques en matière d’efficience énergétique et d’EnR (et des administrations référentes). |
Écart entre les objectifs politiques (3 x 20 particulièrement) et les réglementations opérationnelles : niveau, délais, contrôle. |
Complexité (1) réglementaire, (2) de mise en œuvre et (3) du contrôle. |
Des procédures administratives complexes pour la mise en œuvre des rénovations énergétiques. |
Déconnexion entre les réglementations ou les systèmes d’aides publiques et les réalités sociales et comportementales (trop de prégnance des questions techniques, expérimentales et financières). |
Prise de décision complexe pour les propriétaires bailleurs (privés et sociaux) qui ne bénéficient pas des bénéfices induits. |
Prise de décision complexe en copropriété. |
Les projets de rénovation sont souvent conçus au niveau du bâtiment alors que de meilleures solutions pourraient être trouvées à l’échelle du quartier. |
TECHNIQUES |
Faible niveau d’innovation technique dans le secteur du bâtiment (création et dissémination de nouveaux procédés et techniques). |
Manque de compétences techniques et de savoir-faire à tous les niveaux de la chaîne de l’offre. |
Manque de compétences génériques et de leadership organisé pour prendre en main les chantiers de rénovation. |
Concurrence accrue pour des produits offrant un meilleur rapport qualité/prix en provenance de pays hors UE ou hors zone Med. |
Complexité et unicité de la plupart des projets de rénovation (chaque cas est unique ceci pour différentes causes, telles que les questions patrimoniales, la typologie constructive,…). |
FINANCIÈRES |
Des profits limités pour les opérateurs d’énergie sur les petits projets de rénovation. |
Mauvaise prise en compte du coût réel (économique, environnemental et social) de l’énergie dans le prix actualisé de l’énergie, ce qui diminue l’attractivité perçue du retour sur investissement des travaux. |
Les travaux d’économie d’énergie requièrent des investissements élevés. |
Manque d’investissements publics et de liquidités financières. |
Les instruments financiers habituels ne rendent pas possibles les investissements de rénovation ; il n’y a pas de modèles financiers alternatifs. |
Peu de capacité d’investissement privé. |
CONNAISSANCES |
Difficultés d’accès et de capacité d’analyse des utilisateurs pour des informations en temps réel sur leurs consommations d’énergie. |
Les informations sur les enjeux de l’efficience énergétique et les meilleurs méthodes, solutions, fournisseurs de services sont incomplètes, mal partagées, instables, dispersées, asymétriques. |
Faible prise de conscience des utilisateurs sur les bénéfices à long terme des investissements en efficience énergétique. |
Manque de connaissances fiables chez les hommes politiques, les techniciens des collectivités territoriales et les fonctionnaires d’État. |
Manque d’informations régionales fiables sur le parc bâti. |
Conception erronée des principaux challenges climatiques et enjeux de confort adaptés au climat méditerranéen. |
COMPORTEMENTS |
Manque de motivation des utilisateurs pour les questions d’efficience énergétique. Les problématiques esthétiques, d’espace, de mode, de remise aux normes, de bien-être, de réduction du bruit sont les motivations les plus courantes pour la rénovation. En conséquence, il y a une distorsion entre les politiques publiques, focalisées sur l’efficience énergétique et le comportement du consommateur. |
Les utilisateurs acceptent difficilement des travaux de rénovation perçus comme intrusifs, complexes et dérangeants. |
Distorsion entre les comportements d’usage exigés dans les bâtiments performants prônés par la réglementation et les modes de vie habituels en Méditerranée (fenêtres ouvertes, protections solaires mobiles, pas de technologies de contrôle…). |
Mauvaise perception de la valeur des services et compétences immatérielles comme l’architecture, les études techniques, le conseil… |
Résistance au travail collaboratif. Renouvellement de la hiérarchie et de la symbolique des métiers (technique, financière,…) conduisant à des résistances au changement mais aussi à des opportunités pour de nouveaux métiers. |
Tableau 1 : Barrières identifiées lors de l’état des lieux initial de l’offre et de la demande dans l’ensemble du partenariat du projet Marie.
45Par ailleurs, l’appel à projet Agir & Rénover +, dont le niveau d’exigence très élevé handicapait son attractivité, a vu quelques-unes de ses exigences assouplies : des conditions de ressources moins draconiennes ; la compréhension des exigences environnementales complémentaires est facilitée par une meilleure lisibilité des outils d’aide à la décision17. Par ailleurs, alors que c’était un des points les plus bloquants, le recours à des entreprises, hors du cercle restreint des seules « Reconnu Grenelle », est aujourd’hui accepté, à condition qu’elles acceptent un accompagnement en cours de chantier. Par contre, il est toujours exigé qu’elles se présentent de manière coordonnée avec un interlocuteur unique.
L’action pilote du projet Marie en Provence-Alpes-Côte d’Azur
Une expérimentation localisée
46La C.R.M.A. et la Région étaient toutes deux engagées à conduire une action pilote, respectivement sur l’offre des entreprises artisanales de la construction et sur la demande en diffus. Elles ont décidé de conduire ces actions pilotes dans le cadre d’une expérimentation localisée conjointe, ceci afin de permettre une concentration de moyens financiers, techniques et humains sur un temps limité (12 mois). Il s’agit aussi de faciliter la mise en place d’actions ciblées, de proximité, reposant sur un petit nombre d’acteurs mobilisés, motivés et centrés (« porte à porte », négociation en face à face, stimulation…). Enfin, la « localisation » doit permettre de faciliter l’évaluation, de s’adapter aux moyens limités de certains acteurs associés et de déployer des actions qui ont un sens à un niveau local (ex. nudges).
47Le choix des territoires d’expérimentation, la ville de Fréjus (Var) et le Pays dignois (Alpes-de-Haute-Provence), outre le fait qu’ils étaient « volontaires », a été fait selon les critères suivants : mixité de caractéristiques urbaines et rurales (rapport différent à l’information mais aussi au réseau des artisans) ; déjà mobilisé sur la question de l’énergie (PCET, autres dispositifs volontaires) ; OPAH ou équivalent en cours ; présence d’un Espace Info Énergie ; zone de chalandise d’enseignes variées de la distribution (GSB, négoce, grossistes spécialisés…).
Les partenaires associés à l’expérimentation
48Un des aspects les plus importants de cette expérimentation est la volonté de rester au plus près des conditions réelles du marché. Il s’agit donc de mobiliser localement un ensemble d’acteurs déjà positionnés sur le marché de la rénovation énergétique en B to B — c’est-à-dire voulant attirer des entreprises artisanales dans leur réseau — et/ou en B to C, — c’est-à-dire proposant des offres aux particuliers.
49La recherche de ces partenaires18 est faite de manière mixte : par contact institutionnel (ex. les grands obligés, les organisations professionnelles) mais surtout par démarchage direct, nécessitant une prospection au plus près du terrain, grâce à des chargés de mission. Ces partenaires, engagés par une charte19, et devant si possible faire une offre spécifique attractive, seront mis en avant dans le cadre de communications adaptées ciblant les entreprises artisanales locales comme les particuliers. En les plaçant en situation de « coopétition » et en les associant au pilotage de l’expérimentation, il s’agit d’observer d’une part comment les marchés B to B et B to C se segmentent et répondent aux offres en présence. D’autre part, on pourra comparer la nature, la qualité et l’ambition énergétique des rénovations mises en œuvre. En effet, dans un marché en phase de démarrage20, la croissance doit être provoquée par la conjugaison collective des offres en présence plus que par la concurrence frontale entre elles. Ces partenaires peuvent de leur côté améliorer leur notoriété, acquérir une légitimité institutionnelle et capitaliser sur un retour d’expérience pour améliorer leur propre stratégie.
Une ambition de taille : la mobilisation des artisans
50Côté artisans, l’objectif sera de les encourager, directement ou grâce aux partenaires, à prescrire des rénovations énergétiques ambitieuses. Pour les mobiliser, un chargé de mission est recruté par la Chambre de Métiers et de l’Artisanat de chaque territoire. Il est prévu d’organiser un challenge axé sur la notion de démarche de progrès (« d’un projet basique à un projet prenant en compte des objectifs énergétiques ambitieux » ou « comment j’ai encouragé le passage à l’acte ») ; il ne s’agit donc pas de récompenser la rénovation exemplaire mais destinée à rester isolée, mais de repérer le faisable et les arguments pour convaincre les maîtres d’ouvrage. Les artisans seront également mis en avant à travers la résolution de questions techniques et organisationnelles, sur la base d’échanges de bonnes pratiques. Cela sera accompagné d’une communication ludique sur le terrain (buzz, apéros de chantier, vidéos des meilleures pratiques…).
Mobilisation de partenaires relais pour démultiplier
51Des chargés de mission seront également délégués dans chacune des collectivités territoriales d’expérimentation. Ils auront pour tâche de tisser des liens entre les acteurs du portage local et de coordonner leurs interventions : collectivités locales mais aussi les différents acteurs relais (OPAH, EIE, ADIL, CAUE…), banques, notaires, professionnels de l’immobilier.
52Ils devront également, sous forme de communication et d’événements innovants, centrés sur le passage à l’acte, mobiliser le territoire à travers ses habitants. Les contenus de communication seront adaptés aux différents types de processus de décision et de passage à l’acte. De celui qui veut conduire son projet seul, à celui qui veut entièrement se décharger sur un maître d’œuvre, en passant par celui qui fait confiance aux artisans qu’il connaît, les conseils et les informations seront adaptés et les partenaires impliqués seront mis en avant.
53Un site internet dédié à l’expérimentation est développé pour chaque territoire. Il s’adresse à la fois aux particuliers, et aux professionnels à travers des pages dédiées à chacune des deux cibles. Développés en lien avec l’opération Énergissime, financée par le PUCA et gérée par le Club de l’Amélioration de l’Habitat, les sites locaux reprennent les pages informatives générales déjà développées et testées par ailleurs21.
Quelques questions en forme de conclusion
54L’aventure qui consiste à construire une telle expérimentation, et alors que celle-ci est encore en devenir, permet déjà de s’interroger : quels sont les bons leviers de l’intervention publique pour influencer un marché aussi complexe ?
Trouver un territoire d’expérimentation : un vrai challenge
55Alors que de nombreux territoires se disent mobilisés sur le sujet de l’efficience énergétique et mettent cet engagement en avant à travers un PCET ou des OPAH avec un volet énergie, la recherche d’un territoire d’expérimentation volontaire s’est révélée plus difficile que prévue. L’extrême lenteur de la décision publique en est une première cause ; ainsi que les tensions internes à la fois entre niveau régional et niveau local et au sein même des intercommunalités, que ce soit entre politiques, entre techniciens, ou entre ces deux strates de décision qui ont conduit à une impasse dans certains territoires pressentis. Le comble de l’argument négatif a été atteint avec la crainte exprimée par certains que l’opération ne marche trop bien et ne rentre pas dans le cadre budgétaire prévu (sic).
56Après un premier échec, il a été décidé de travailler avec plusieurs territoires (pour ne pas risquer d’autres échecs en cours de négociations locales) au risque de diluer le budget consacré à l’action pilote et de rencontrer des difficultés d’animation et d’évaluation.
Action publique et management de projet : quel portage opérationnel légitime et efficace ?
57Le cadre expérimental favorisé par les financements européens offre un contexte exceptionnel pour conduire l’action, en particulier par l’existence d’une véritable équipe projet et de chargés de mission, mobilisés sur une part considérable de leur temps de travail22.
58Cela doit permettre une proximité avec tous les acteurs concernés sur le terrain. D’un côté, nous observerons donc l’action des chargés de mission au rôle quasiment commercial, leur réactivité, la rapidité d’exécution des actions, les engagements souples avec les partenaires privés. De l’autre, nous verrons comment les lourdeurs de la décision publique (mise en concurrence, soumission au vote des élus…) viendront, ou pas, entraver le déroulement de l’expérimentation.
59L’évaluation de l’expérimentation devra apporter des enseignements sur la reproductibilité d’un tel dispositif de mobilisation, en particulier sur la question de l’animation de terrain. Nous notons déjà avec intérêt que d’autres territoires en France sous-traitent entièrement des opérations relativement similaires à des entreprises privées, simplifiant ainsi les processus de décision, au-delà de la délibération initialement approuvée.
Action publique et processus de choix du consommateur
60Enfin, la région PACA fait montre d’une double ambition. D’une part, un objectif qualitatif très élevé dont témoignent les exigences de son appel à projet Agir & rénover +. D’autre part, des objectifs quantitatifs permettant d’atteindre ses engagements de réduction de la consommation d’énergie et des émissions de GES. À cela, s’ajoutent aussi des objectifs visant à faire monter en compétence l’offre, à s’occuper des ménages précaires, etc., tout cela aboutissant à des politiques publiques peu lisibles au regard de certaines offres émanant du privé. À vouloir faire porter trop d’objectifs par un dispositif unique d’aide publique, les premiers retours montrent que l’ensemble des acteurs qui pourraient relayer ce dispositif s’en détournent. Par exemple, en adossant ses aides à des exigences élevées, non seulement sur le plan énergétique mais aussi en termes de rénovation durable, la Région apporte une couche supplémentaire de complexité et de questionnement à un particulier que l’on a déjà décrit comme perdu. Si tant est que celui-ci souhaite répondre à cet ensemble d’exigences et trouve les entreprises qualifiées et disponibles répondant elles aussi aux contraintes imposées, le temps de sa décision devra être compatible avec celui de la décision publique soit le montage d’un dossier très lourd, son délai d’instruction, puis le délai pour obtenir l’accord des élus dans le cadre du calendrier institutionnel… tout cela avant tout démarrage des travaux.
61L’évaluation du projet Marie s’attachera donc à mettre en évidence les opportunités mais aussi les limites de l’action publique lorsqu’elle veut intervenir sur un marché porté par d’autres logiques, en particulier ce type de marché de masse où les prises de décision sont extrêmement diffuses et contingentes.
Notes de bas de page
1 Voir : http://www.programmemed.eu.
2 Chypre, Espagne, France, Grèce, Italie, Malte, Monténégro, Portugal, Slovénie ; voir : http://www.marie-medstrategic.eu.
3 World Business Council for Sustainable Development.
4 Alors que les mots matériaux, produits et technologies associés à « innovants » sont systématiquement utilisés, chaque relecture des documents produits (candidature à l’appel à projets, documents et méthodes d’analyse, synthèses…) nous conduit à demander de manière insistante à ce que l’expression « services innovants » soit elle aussi ajoutée. Cet oubli systématique et répété met en évidence un réel impensé collectif au sein d’un partenariat dominé par des décideurs publics.
5 Littéralement « augmenter la notoriété » soit, dans le cas présent, « élever la prise de conscience ».
6 Devenu ensuite Plan Bâtiment Durable.
7 Ainsi d’une rénovation de toiture à l’isolation insuffisante sur laquelle on ne reviendra pas avant une vingtaine d’années au moins.
8 Modulées en fonction du niveau de revenu des bénéficiaires et de l’ambition des travaux réalisés.
9 Voir www.cadrevert.fr.
10 Voir http://www.reseau-energie-habitat.fr.
11 Voir http://www.renovationdemaison.net.
12 www.cah.fr dont le site d’information www.energissime.fr est construit en proposant des entrées basées sur les motivations multiples à faire des travaux.
13 Ainsi, le petit schéma courant montrant les principales sources de déperdition dans une maison (toiture, parois, vitrages…) affiche des pourcentages différents d’un site à l’autre.
14 Pour des prises en compte semblables en France : Giraudet, 2011 ; Cayla, 2011.
15 Pour une bibliographie plus complète, s’adresser à l’auteur.
16 Au sens de « business model » : comment l’artisan forme-t-il son revenu ?
17 Grille d’évaluation démarche Bâtiments Durables Méditerranéens, simplifiée pour la maison individuelle ; voir www.polebdm.eu. Une étude est également menée sur la typologie des maisons de Provence-Alpes-Côte d’Azur et sur les préconisations de bouquets de travaux (protocoles de rénovation) qui peuvent être faites, afin de simplifier les choses, en particulier supprimer le besoin d’audit personnalisé dans un grand nombre de cas.
18 Ceux listés au point 3.1.1.
19 Pour obtenir le texte de la charte et plus généralement les documents liés à l’expérimentation, s’adresser à l’auteur.
20 Nous utilisons la théorie économique du cycle de vie des marchés.
21 Voir http://www.renover-plus-en-pays-dignois.energissime.fr/ et http://www.renover-plus-a-frejus.energissime.fr/
22 Deux chargés de mission à temps plein pour la C.R.M.A., pour la mobilisation de l’offre ; un chargé de mission à mi-temps, côté demande pour l’un de deux territoires d’expérimentation.
Auteur
Viviane Hamon Conseil
Sociologue, consultante. Elle conduit des études qualitatives (anthropologie, méthodes projectives) dans le domaine des politiques publiques liées au développement territorial, à la transition énergétique et à l’action sociale.
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