Building Expertise
Aperçus des enjeux de la rénovation énergétique des logements pour la filière construction en France et au Royaume-Uni
p. 357-368
Texte intégral
1Au Royaume-Uni comme en France, le secteur résidentiel est un secteur fortement consommateur d’énergie et émetteur de gaz à effet de serre. Le Royaume-Uni et la France se sont fixé des objectifs ambitieux de réduction des consommations d’énergie dans les logements et ont identifié le secteur des logements existants comme un gisement important de réduction de ces consommations dans leurs programmes nationaux : le Grenelle de l’Environnement en France et le Climate Change Act au Royaume Uni. Mais pour atteindre ces objectifs, le secteur du bâtiment doit connaître de fortes évolutions. Killip (2008) estime que le renouvellement du parc de logements au Royaume-Uni d’ici 2050 nécessiterait 500 000 rénovations de logements anciens chaque année. L’ampleur des transformations à effectuer implique des changements radicaux dans les technologies utilisées (Boardman et al., 2005 ; Marchand et al., 2008). L’atteinte des objectifs de performance énergétique implique d’adopter une approche systémique en considérant, ensemble, le bâtiment (son enveloppe et les besoins en énergie), les technologies et leur mise en œuvre. Cette approche implique une évolution des pratiques professionnelles (Roudil, 2007 ; Zélem et al., 2010 ; Beillan et al., 2009). Le World Business Council for Sustainable Development1 (WBCSD, 2009) affirme qu’un nouveau rôle de « system integrator » est nécessaire pour développer la capacité de la main-d’œuvre à agir en faveur d’une économie de l’énergie.
2Or, dans les deux pays, le secteur du bâtiment est loin d’être homogène et la filière de la rénovation résidentielle est constituée d’une multitude de petites et moyennes entreprises recouvrant des compétences très variées et séparées entre elles : constructeurs, plombiers, chauffagistes, électriciens, architectes, chef de projet, conseillers en énergie. Ces groupes professionnels sont considérés comme des « intermédiaires » dans le processus d’adoption des technologies et la prise en compte de la demande des clients. Or, ces groupes ont chacun leurs propres routines, pratiques, façons de faire et façons de penser qui affectent leur capacité et leur intérêt à s’engager dans la rénovation à visée énergétique (rénovation éco-efficace). On peut ainsi se demander en quoi l’objectif de rénovation bas carbone affecte le rôle des professions et les relations entre les différents corps de métiers ? Comment les structures existantes s’organisent-elles pour répondre à ce nouvel enjeu ? Est-ce que des professions prennent le contrôle sur les nouvelles activités induites par ce type de rénovation ? Comment l’industrie pourrait prendre en compte le besoin de qualité dans la conception et la mise en œuvre de ces rénovations : isolation, ponts thermiques, étanchéité à l’air (Bell & Lowe, 2000).
3Cet article présente les enseignements d’une recherche menée par des chercheurs de l’université d’Oxford en collaboration avec des chercheurs d’EDF R & D – ECLEER. Le projet s’intéresse à la façon dont les professionnels du secteur du bâtiment se saisissent des nouveaux enjeux et des objectifs ambitieux fixés au secteur. L’article présente dans un premier temps l’approche théorique et la méthodologie mobilisées pour l’analyse. Il présente ensuite les grandes caractéristiques socio-politiques qui organisent le secteur du bâtiment dans les deux pays considérés, puis il met en exergue, à travers des études de cas, des pratiques d’organisation professionnelle innovantes. L’article conclut en présentant les thèmes émergents issus de cette analyse comparée des deux pays et les questions clés qui se posent.
Approche et méthodologie
L’approche théorique
4Abbott dans sa théorie du système des professions (Abbott, 1988) s’intéresse à la façon dont les différents groupes professionnels définissent leur activité et assoient leur légitimité. Chaque groupe professionnel est lié (de façon ni complète, ni permanente) par un ensemble de tâches socialement déterminées et considérées comme relevant de sa compétence. Les architectes, par exemple, peuvent se voir (et être vus par d’autres) comme la profession en charge de la qualité et des valeurs esthétiques de l’environnement bâti, tandis que les ingénieurs peuvent se percevoir comme en charge des aspects techniques permettant d’assurer le confort thermique, la sécurité des bâtiments. Abbott nomme ces domaines de travail des « juridictions » professionnelles. La capacité des groupes professionnels à coopérer et à se développer de façon interdépendante, repose en partie sur leur capacité à effectuer (et à défendre) les tâches relevant de leur juridiction. Les juridictions et les professions changent au fil du temps. Elles peuvent être contestées par plusieurs groupes professionnels et sont influencées par un certain nombre de facteurs sociaux, économiques, historiques et institutionnels (Abbott, 1988 ; Bureau & Suquet, 2009). Abbott se concentre principalement sur le niveau méso du système à savoir l’étude des relations entre professions, mais il se penche également sur les niveaux inférieurs et supérieurs. Au niveau micro, il considère les différenciations à l’intérieur des professions en fonction du contexte de travail ; au niveau macro, il interroge les forces sociales qui créent « le contexte systémique » (« system environment ») au sein duquel les professions évoluent. Abbott reconnaît que son cadre est plus adapté pour expliquer le fonctionnement des groupes professionnels existants que le développement de nouveaux groupes. Cependant, il fait l’hypothèse que le développement de la connaissance peut créer une « nouvelle série de questions socialement légitimes » et donc donner l’occasion à de nouveaux groupes professionnels de se développer. C’est sur cet élément, sous-exploité dans les travaux d’Abbott, que nous nous concentrons. Le changement climatique – ses impacts, ses causes et les possibilités d’atténuation – est le fondement de la problématique de la rénovation énergétique du bâtiment ; notre objectif est d’explorer les contestations et les évolutions des pratiques professionnelles qui en ressortent et d’explorer les conflits et les évolutions des pratiques professionnelles qui en découlent.
5Ainsi, à partir de ce cadre théorique, nous considérons l’activité de rénovation énergétique de l’habitat comme une nouvelle « juridiction », contestée par différents groupes professionnels qui cherchent à la revendiquer comme la leur. Cette notion de « territoires contestés » incite à considérer l’évolution des pratiques professionnelles dans un cadre plus large, guidé par la littérature en sociologie des Sciences et des Techniques. Cette approche considère en effet que toute technologie a une composante comportementale et tout comportement a une composante artefactuelle. Le technique et le social dépendent l’un de l’autre dans un système sociotechnique complexe (Hughes, 1983 ; Bijker et al., 1987). Le changement et l’innovation impliquent une coévolution des technologies et des pratiques sociales. La question de l’innovation de produit ne doit pas être écartée ou ignorée, mais on ne doit pas compter uniquement sur les technologies pour y parvenir. Le fait d’ailleurs que les rénovations globales puissent être obtenues en utilisant des technologies existantes, suggère que la rénovation des parcs de logements relève d’un problème de marché et non d’un problème technique (Unruh, 2002). Il est également utile d’examiner ce que l’on entend par « innovation » dans ce contexte. Dans de nombreux cas, le terme d’« innovation » est utilisé comme synonyme de « nouvelle technologie », mais ici, nous le considérons comme désignant la nouveauté dans trois domaines : les produits (technologie), les pratiques (façons de faire usuelles) et les processus (l’organisation de toutes les tâches impliquées dans un projet de rénovation). Une autre distinction importante est fournie par Barrett et al. (2007), qui affirment que l’innovation dans le contexte de ce marché ne signifie pas « ce qui est nouveau en soi, mais ce qui est nouveau pour l’entreprise ». Cette compréhension de « l’innovation » explique pourquoi même les produits bien établis peuvent n’avoir qu’une faible diffusion s’ils ne sont pas intégrés dans les pratiques courantes et les processus industriels. Ainsi, si nous voulons accroître l’adoption des technologies (anciennes et nouvelles), il faut comprendre les pratiques professionnelles et les compétences de ceux qui sont amenés à les mettre en œuvre sur les chantiers. Cette notion de compétence est définie comme la capacité de quelqu’un à prendre en charge un problème donné ou une tâche grâce à la mobilisation de trois éléments distincts : le savoir-faire technique (« savoir-faire »), les compétences personnelles et la capacité de l’individu à assumer la responsabilité de ses actions et à communiquer efficacement (« savoir-être ») et enfin, les ressources disponibles (Le Boterf, 1995, 1997 ; Carré et al., 1999). Les compétences se révèlent être une sorte de capital qui suit la loi « de l’offre et de la demande » : plus une compétence est rare et convoitée, plus elle est source de richesse. Les professionnels ont plusieurs compétences qu’ils peuvent utiliser simultanément ou séparément pour accomplir les tâches considérées comme relevant de leur juridiction. Par ailleurs, revendiquer un rôle en tant que professionnel dans un domaine donné signifie qu’il y a une attente de pouvoir par rapport à ceux qui ne sont pas professionnels. La compétence implique également une revendication de légitimité et de reconnaissance entre pairs, ce qui donne un pouvoir collectif à un groupe professionnel donné. La compétence est donc la base de l’identité professionnelle et la source de différenciation dans un monde de professions reliées entre elles. Chaque acteur utilise son identité professionnelle et ses compétences connexes pour légitimer et justifier son rôle dans l’entreprise. En outre, les identités professionnelles et les identités personnelles sont liées. Tous les métiers (identités professionnelles) sont amenés à travailler ensemble en suivant des règles formelles ou informelles. Chaque fois que l’une de ces règles n’est pas respectée, un conflit peut se produire, ce qui menace la collaboration de travail.
6Ainsi, la transition vers la généralisation des bâtiments à faible consommation d’énergie peut avoir un double impact sur le système existant des professions :
- L’utilisation des nouvelles technologies peut nécessiter des changements dans l’actuelle répartition des compétences, certaines compétences existantes devront être adoptées par différentes professions et d’autres seront complètement nouvelles. La hiérarchie actuelle des compétences et le système de professions auront tous deux besoin de s’adapter.
- Une rénovation efficace sur le plan énergétique nécessite une approche globale et intégrée de la rénovation, dans laquelle l’ensemble des interventions est mise en cause. Cette nouvelle approche systémique suggère le besoin d’un nouvel acteur dans le système porteur de nouvelles façons de travailler collaboratives (voir Zélem et al., 2010 ; Du Tertre, 2008). Cela pose la question du besoin de nouvelles compétences à l’interface entre les acteurs.
La méthodologie
7Notre recherche est de nature exploratoire et ne prétend pas être exhaustive ni représentative des situations nationales. Nous avons en effet souhaité identifier et comprendre des pratiques innovantes non pas pour promouvoir des solutions toutes faites, mais pour ouvrir de nouveaux sujets de débat. Le fait que l’on trouve des innovateurs dans ce secteur ne signifie pas que les nouvelles pratiques se généralisent et se banalisent. Néanmoins, ces pratiques nouvelles des innovateurs peuvent fournir des orientations aux industriels et aux politiques. Nous avons procédé par études de cas en retenant un petit nombre d’innovations et d’innovateurs dans les deux pays. La comparaison internationale permet de questionner les conventions nationales et l’encadrement des politiques en vigueur (Anderson, 1996).
8Trente personnes ont été interrogées (20 au Royaume-Uni, 10 en France) ; des visites sur site et le suivi de réunions dans les deux pays nous ont aidés à comprendre les initiatives industrielles innovantes. Une revue de la littérature et l’analyse de l’évolution des politiques nous ont permis de comprendre le contexte qui encadre ces initiatives. Dans ce texte, nous nous concentrons sur un sous-ensemble de nos données, à savoir deux cas de pratiques innovantes dans chaque pays.
Le cas de la France
Le contexte politique et réglementaire français
9Le cadre politique de long terme en France est donné par le Grenelle de l’Environnement, qui appelle à une réduction par quatre de la consommation d’énergie d’ici à 2050. L’objectif est plus ambitieux encore pour le secteur du logement puisqu’une réduction de 38 % des consommations d’énergie est attendue dans les logements existants d’ici 2020, et de 75 % à l’horizon 2050. Cette ambition s’accompagne d’une série de mesures destinées à améliorer l’efficacité énergétique des bâtiments en encourageant les habitants à faire des rénovations à visée énergétique. Deux mesures phares ont ainsi été mises en place : le Crédit d’Impôt Développement Durable (CIDD) en 2005 puis l’Eco Prêt à Taux Zero (PTZ) en 20092. La mise en place du PTZ en 2009 était en grande partie une réponse aux améliorations limitées apportées à l’enveloppe thermique des bâtiments par les habitants bénéficiaires du dispositif CIDD3. En effet, dans les premières années de la mise en place du CIDD, près de la moitié des crédits d’impôt a servi à financer le remplacement de fenêtres. Seulement 5 % des dépenses financées par le CIDD ont contribué à l’isolation des murs et de la toiture. Le PTZ a une structure différente. Il encourage la réalisation de bouquets de travaux. Pour se qualifier pour le prêt, des travaux doivent être réalisés dans au moins deux des catégories suivantes : l’isolation de la toiture, des murs ou des fenêtres ; l’installation d’un système de chauffage ou d’eau chaude utilisant les énergies renouvelables. L’autre possibilité pour obtenir ce prêt est d’atteindre un seuil de performance énergétique : si le logement consomme, avant les travaux, plus de 180 kWhEP/m2/an, il faut atteindre, après travaux, une consommation d’énergie inférieure à 150 kWhEP/m2/an. Si le logement consomme moins de 180 kWhEP/m2/an, il faut atteindre, après travaux, une consommation inférieure à 80 kWhEP/m2/an. À la fin de 2010, 150 000 prêts à taux zéro avaient été accordés (contre un objectif de 200 000). Par ailleurs, la France a un tarif de rachat garanti (TRG) pour les technologies de micro-génération, telles que l’énergie solaire photovoltaïque. Mais les accords tarifaires ne sont pas liés à des politiques et des programmes visant à améliorer l’efficacité énergétique.
10Par ailleurs, des mécanismes plus généraux ont été mis en place comme les Certificats d’Economie d’Energie (CEE). Le CEE, aussi appelé certificat blanc, est une mesure dont l’objectif est d’obliger certains acteurs (les « obligés ») à réaliser des économies d’énergie, et d’encourager les autres acteurs (les « non obligés ») à le faire par l’obtention d’un certificat. Les obligés peuvent soit réaliser eux-mêmes les mesures d’économie d’énergie, soit acheter des certificats aux non obligés, soit payer une surtaxe à l’État. Dans le cadre de ce dispositif, les fournisseurs d’énergie incitent leurs clients à réaliser des travaux d’économie d’énergie dans leur logement (changement de chaudière, changement de fenêtres, travaux d’isolation, etc.).
11En matière d’organisation et de certification de la filière, il existe deux systèmes d’accréditation pour les praticiens qualifiés, dont chacun est soutenu par une association professionnelle différente : le label « éco-artisan », soutenu par la Confédération de l’Artisanat et des Petites Entreprises du Bâtiment (CAPEB), et le régime des « pros de la performance énergétique », soutenu par la Fédération Française du Bâtiment (FFB). Sous l’impulsion des pouvoirs publics et des organisations professionnelles, l’offre de formation commence à se structurer pour faire entrer les professionnels du secteur dans une approche globale, mais les besoins de formation restent encore très importants.
Organisation et structure du secteur français du bâtiment
12Le marché de la construction en France est globalement équilibré entre les bâtiments neufs et la rénovation. Politiquement et structurellement cependant, ces secteurs ne sont pas équivalents. Le marché de la construction neuve est composé majoritairement de grandes entreprises avec une structure organisationnelle claire. En revanche, le secteur de la rénovation est composé de petites entreprises opérant dans un secteur très diffus. On compte 318 000 entreprises dans le secteur de la construction de bâtiments en France. La quasi-totalité de ces entreprises (97 %) sont des entreprises « artisanales » comptant moins de 20 salariés (Deshayes 2012). Elles réalisent un chiffre d’affaires représentant 60 % du marché de la construction. Ces sociétés peuvent être divisées en deux grandes catégories : les constructeurs généralistes réalisant des travaux structurels et des entreprises spécialisées. Les métiers spécialisés sont ceux de plombiers, chauffagistes, menuisiers, décorateurs, etc. Environ 57 % des petites entreprises du bâtiment travaillent principalement sur le marché de la rénovation de la maison. Ces petits entrepreneurs ont généralement une grande influence sur la prescription des travaux.
Deux modèles d’organisation innovants
13Nous présentons ici deux cas français d’entreprises innovantes. Le premier cas cherche à adopter une structure coopérative et un modèle de garantie de performance énergétique (plus connu dans le secteur tertiaire que dans le résidentiel) ; et le second reprend le thème de l’intégration des tâches pour gérer les aspects techniques transversaux, qui contribuent à la performance énergétique finale.
Cas no 1 : Une coopérative fournisseur de service de rénovation
14L’entreprise est une nouvelle société créée dans le nord-est de la France avec une structure de gouvernance coopérative. Elle offre des contrats de performance garantis à ses clients pour la rénovation. Ce modèle d’organisation a été exploré sur la base d’interviews, de suivi de réunions et échanges avec les entrepreneurs fondateurs dont EDF, qui a fourni des capitaux de démarrage puis de l’assistance technique et de gestion. La coopérative s’est donnée pour objectif de réaliser 15 travaux de rénovation la première année et 35 rénovations la deuxième année. Ce délai permettra un temps d’apprentissage et d’ajustement du fonctionnement. Une fonction technique centrale a été créée et mise à la disposition de toutes les entreprises intervenantes. Un logiciel de modélisation calcule un rendement énergétique après rénovation en fonction des types de travaux entrepris et d’une liste détaillée des pratiques des habitants (taux d’occupation, températures de chauffage, habitudes de cuisson, de lavage…). Ces paramètres – à la fois techniques et comportementaux – sont utilisés pour créer une norme de rendement énergétique qui fonde le contrat entre le client (résident) et la coopérative (fournisseur de services de rénovation). Si, après la rénovation, la consommation d’énergie ne correspond pas à la consommation prévue, un examen des obligations contractuelles des deux côtés est effectué. Dans le cas où les pratiques des occupants ne sont pas en cause, c’est la responsabilité des entreprises contractantes qui est engagée. Elles sont chargées de corriger les défauts de rénovation en cause ou de rembourser le client. Dans le cas où, inversement, les « comportements » sont en cause, par exemple, si un membre de la famille ou un ami est venu vivre à la maison depuis l’établissement du contrat, alors un nouveau « modèle d’occupation » est pris en compte et un nouveau contrat est établi. Un système de suivi continu des températures, de l’humidité et du CO2 permet à la coopérative de constater des modes de consommation atypiques ou d’autres dysfonctionnements qui pourraient nécessiter des mesures correctives. Ainsi, une baisse soudaine de la concentration de CO2 dans l’air intérieur suggère qu’une fenêtre a été ouverte et, si cela continue sur une longue période, le système de surveillance est en mesure d’envoyer un message texte ou e-mail automatique au client pour lui demander de vérifier.
15Les entrepreneurs qui font des travaux de rénovation sont tous membres de la coopérative, tout comme les clients. Cette structure est conçue pour maintenir un équilibre des voix dans le développement continu de l’organisation - à la fois opérationnel et stratégique. Ainsi, le financement de démarrage de la coopérative a été fourni par EDF, mais la structure de gouvernance coopérative veille à ce que le contrôle ne soit pas dans les mains d’un seul grand actionnaire, mais partagé entre tous. Pour les entrepreneurs, l’adhésion à la coopérative est conditionnée à la formation au programme « Eco-Artisan ». Les entrepreneurs eux-mêmes opèrent une forme de contrôle de la qualité à travers des réunions régulières où des interrogations sur la qualité d’une société membre peuvent être discutées et des mesures prises. La coopérative a le droit de rejeter tout membre qui omet systématiquement de respecter les engagements de la charte des entrepreneurs même si la démarche privilégiée consiste à améliorer la qualité des travaux par l’encouragement à la formation.
Cas no 2 : un Bureau d’Etude Thermique
16Ce cas est basé sur un entretien avec l’ingénieur consultant senior d’un Bureau d’Etudes Thermiques (BET) comprenant 30 salariés et un effectif en forte hausse, offrant des services d’études thermiques des bâtiments. Ce type d’entreprise et le service proposé, très fréquents dans le secteur de la construction française, n’a pas d’équivalent direct dans le contexte britannique. Ce BET possède, en particulier, une expérience de multiples réalisations de bâtiments basse consommation énergétique. L’expérience de ce type de chantier à visée énergétique les a amenés à croire qu’il existe un besoin pour une approche intégrée de la gestion de projet, notamment pour assurer la bonne réalisation d’éléments transversaux dans ce type de travaux (tels que l’étanchéité à l’air). L’attention portée à ces éléments transversaux et des boucles de rétroaction à mettre en œuvre pour l’apprentissage ne sont pas une pratique courante, alors que les exigences techniques de la réalisation de travaux de rénovation basse énergie rendent ces nouvelles pratiques essentielles.

Fig. 1. Modèle de gestion pour la conception - construction – exploitation proposé par la personne du BET interrogée.
17En expliquant l’intérêt de ce modèle de gestion, la personne a déclaré :
« Chaque projet est unique. Les clients ont tendance à penser qu’un bâtiment rénové est comme une voiture neuve, que tout fonctionne parfaitement et que tout ce que vous avez à faire est de tourner la clé et c’est parti. Mais il n’est jamais comme ça. Pour tout projet de grande ou de moyenne taille, vous avez besoin au moins de deux ans pour la surveillance, le réglage, l’optimisation. Et c’est la chose que personne ne fait, dont personne n’a la responsabilité. Personne n’est prêt à payer pour cela ».
Le cas du Royaume-Uni
Le contexte politique et réglementaire britannique
18La politique en efficacité énergétique résidentielle au Royaume-Uni traverse une période de changements assez profonds. L’ancien dispositif, reposant sur un système d’obligations similaires aux certificats blancs en France, est remplacé par un nouveau mode de financement, le « Green Deal », qui associe le coût de l’investissement au bien et non au propriétaire. Une charge légale fait transférer la responsabilité des mensualités au nouveau propriétaire en cas de vente. Ce dispositif permet d’utiliser une analyse coût-bénéfice sur un délai de 25 ans et doit ainsi rendre rentables des investissements qui ne l’étaient pas auparavant. La rationalité économique est la logique motrice pour le Green Deal, mais le dispositif dépend exclusivement des fonds privés, et le taux d’intérêt est, par conséquent, assez élevé (autour de 7 %).
19Le Royaume-Uni bénéficie d’un TRG pour les installations de micro-génération. Une révision du dispositif a eu lieu en avril 2012, le tarif a été revu à la baisse avec toutefois une modulation en fonction de la performance énergétique du bâtiment : les installations d’énergie renouvelable dans les logements ayant un label D ou supérieur sur le certificat de performance énergétique disposent d’un tarif plus intéressant que pour un label E ou inferieur. (Department for Energy and Climate Change, 2012).
Organisation et structure du secteur de la construction
20La filière de la construction a fait l’objet de quatre évaluations globales pendant les vingt dernières années, menées chaque fois par un comité présidé par un leader industriel. La première évaluation était dirigée par Sir Michael Latham (Latham, 1994), suivie de deux rapports sous la présidence de Sir John Egan (Egan, 1998, 2002) et la plus récente menées par Andrew Wolstenholme (Wolstenholme et al., 2009). La seconde évaluation réalisée par Egan, caractérisait le processus de la construction (dans toute la filière, pas seulement dans la rénovation résidentielle) comme « une série d’opérations conduites de façon séquentielle et souvent fragmentée par des entreprises (de design, de construction, de fournissement) qui ne s’intéressent pas et ne s’engagent pas à réaliser le succès à long terme du produit qu’elles créent » (Egan, 2002, p. 13)4. Le rapport le plus récent évoque la persistance de ces enjeux, caractérisant les évolutions observées depuis lors comme « superficielles » (Wolstenholme et al., 2009, p. 4). Il est possible de trouver des cas innovants, mais les conclusions de ces évaluations n’encouragent pas à croire que la diffusion de l’innovation dans la filière sera facile.
Des modèles d’organisation innovants
Cas A : un service de maintenance d’un bailleur social
21Ce cas traite d’un bailleur social dans le sud de l’Angleterre ayant un parc de 16 000 logements. Une trentaine de maisons individuelles quasi identiques, qui devaient être rénovées ou démolies, étaient sélectionnées pour faire une réhabilitation globale et ambitieuse, cofinancée par l’UE. Notre équipe de recherche a obtenu l’accord du bailleur social pour faire 14 interviews (en octobre 2012) avec les professionnels et différents corps de métier impliqués.
22Les services de maintenance et de rénovation chez ce bailleur social sont assurés par une équipe d’employés, dont plusieurs y travaillent depuis des années. Les employés de ce groupe se connaissent bien et le fait que le bailleur social ne dépende pas que des entreprises externes pour la maintenance crée un véritable esprit de corps parmi ces artisans. Des interviews avec 14 membres de l’équipe ont permis aux chercheurs de comparer plusieurs retours d’expérience individuels pour en faire une perspective multilatérale sur l’évolution du programme de rénovation.
23Comme l’on pouvait s’y attendre, les travaux devenaient progressivement plus rapides et plus efficaces avec le cumul d’expériences acquises. Le processus d’apprentissage était bien mis en valeur par une décision prise en amont de finir quatre chantiers dans un premier temps, au lieu d’entamer tous les chantiers en parallèle. Cela permettait aux artisans et professionnels d’apprendre en tirant les enseignements des erreurs commises. Par ailleurs, les déménagements temporaires des occupants devenaient plus faciles à gérer lorsqu’il s’agissait de procéder par petits groupes de ménages.
24Le premier chef de chantier manquait d’expérience et de compétences en gestion pour un tel projet, nécessitant l’intervention d’un collègue expérimenté, qui était architecte. Celui-ci proposait des innovations organisationnelles qui servaient à transformer le déroulement de la suite des chantiers : un bureau temporaire était installé à dix pas des chantiers dans une cabane de location, ce qui facilitait l’identification et la résolution rapides des petits problèmes techniques. Dans ces locaux, travaillait une équipe de gestion composée de trois personnes jouant tous des rôles différents, mais complémentaires : la supervision des artisans (maîtrise d’œuvre) ; la communication des intérêts du bailleur social en ce qui concerne le budget, la prescription des travaux et l’assurance qualité (maîtrise d’ouvrage) ; et un engagement continu avec les occupants pour faciliter la communication entre eux et l’équipe professionnelle qui transformait leurs domiciles. Pour cette recherche, des interviews ont été enregistrés avec le maître d’œuvre et le maître d’ouvrage, mais il n’était pas possible d’interviewer la responsable de l’engagement avec les locataires.
25Le nouveau maître d’œuvre cherchait à motiver les artisans et les inciter à collaborer par un système de primes, distribuées de façon équitable parmi l’ensemble de la main d’œuvre. De cette manière, tous les corps de métier profitaient d’un partage de tâches, même si la tâche en question n’était pas la leur. Les menuisiers étaient censés donner un coup de main aux plaquistes et vice versa, en fonction des priorités globales du chantier. En réalité, l’isolation par l’extérieur des murs représentait la tâche où ce système de flexibilité était remarquable, en raison non seulement de la grande surface à traiter, mais aussi de la dureté physique de la pose, surtout quand il faisait froid dehors. Plusieurs intervenants notaient que ce système de travail en équipe « poly-compétente » était assez extraordinaire. Ils déclaraient, en outre, que l’acceptation de ce système par l’ensemble des corps de métier était possible dans la mesure où les individus se connaissaient. L’équipe était en mesure d’attribuer les tâches différentes en fonction des talents connus de chacun des membres. Deux de ces intervenants, qui travaillaient ensemble depuis longtemps, parlaient de leur partenariat professionnel comme d’un « mariage » où le partage des tâches était finement calculé pour que tous deux sachent qui doit faire quoi et dans quel ordre, pour arriver à un résultat de bonne qualité.
26Sur la trentaine de chantiers impliqués dans le programme, une forte amélioration était observée dans la productivité de la main-d’œuvre : les pertes subies sur les premières rénovations étaient largement compensées sur les chantiers suivants et l’ensemble de l’équipe recevait des primes assez importantes.
27Des enjeux techniques, propres à la rénovation énergétique, étaient à l’origine d’un certain nombre de problèmes pratiques. Le plus frappant était l’effet sur la santé de deux plaquistes qui souffraient d’un problème au niveau des coudes provoqué par la dureté physique de la pose du plâtre sur le produit isolant. Une application mécanique était disponible, mais la machine était chère à louer et la décision prise était de faire une application manuelle pour économiser sur le budget.
28D’autres problèmes nécessitaient des solutions « sur le champ ». Par exemple, certains locataires avaient fait installer des antennes satellites : la pose de l’isolant devait contourner le support de l’antenne sans pour autant laisser pénétrer l’eau, ni causer trop de déperditions thermiques par le métal du support (qui constitue un pont thermique). Pour répondre à ce genre de problème technico-pratique, l’équipe s’organisait pour discuter ensemble les solutions possibles. Ce groupe d’artisans et de professionnels se caractérisait par la bonne communication, la responsabilité coopérative et la volonté de surmonter tout problème rencontré.
Cas B : une structure de coopération pour les PME de la filière construction
29Ce deuxième cas britannique représente un nouveau système de coordination entre PME, conçu et développé par un entrepreneur assez bien connu dans ce domaine au Royaume-Uni. Ce n’est pas la première fois que cette personne propose des idées innovantes. Elle fait partie d’un groupe d’experts assez restreint qui se croisent souvent lors des débats sur la rénovation : l’un de ses confrères nomme ce groupe les « stars de la rénovation5 ».
30L’opportunité économique que représente la rénovation énergétique des logements est reconnue par les PME de la filière (voir, par exemple, Killip, 2008), mais les exigences administratives du Green Deal (accréditation des entreprises et des travaux, dossiers de financement) les amènent à craindre que le Green Deal ne profite qu’aux grandes entreprises qui assureraient ces nouvelles fonctions administratives avant de sous-traiter les travaux physiques. La venue de ce rôle intermédiaire dans leurs activités, traditionnellement accomplies sur un mode autonome, représenterait une marge de bénéfices inférieure pour les PME.
31C’est pourquoi la filière s’est mobilisée pour débattre du fonctionnement d’un nouveau modèle de coopération et d’agencement pour faciliter l’exploitation du Green Deal par des groupements de PME momentanés, coordonnés par un service central collectif, avec des services techniques et de marketing à l’appui. Par ce moyen, les PME espèrent garder leur autonomie et une plus grande marge de bénéfices.
32Dans leurs débats, les entreprises ont cherché surtout à créer un système de revente d’opportunités, par lequel l’entreprise interpellée par le client aurait trois choix : 1) réaliser tout le projet elle-même ; 2) réaliser une partie de projet et sous-traiter les autres éléments ; 3) revendre l’opportunité à d’autres entreprises dans le groupement par un service de coordination central.
33Cette structure permettrait aux PME de faire l’offre des services énergétiques performants et, par la même occasion, de vendre un service plus complet et plus coûteux. Le service technique central doit être en mesure d’assurer des diagnostics pour donner des conseils techniques indépendants aux maîtres d’ouvrage.
34La possibilité de vendre des opportunités est ouverte à d’autres acteurs également, tels que les communes, les conseils municipaux (ou régionaux) ou les associations civiques c’est-à-dire toute organisation qui n’assure pas des travaux de rénovation, mais qui a la capacité et l’intérêt de promouvoir ce genre de travaux dans une perspective de bien collectif.
35Toutes les PME adhérentes s’engagent à utiliser la marque de la coopérative et les informations qu’elle élabore, afin de ne pas transmettre des messages contradictoires aux clients. Les services centraux collectifs comprennent :
- la prise en charge des dossiers de financement Green Deal ;
- un système de diagnostics pour créer des dossiers techniques sur une méthodologie commune ;
- la formation.
36La formation traite de « tout ce qu’un artisan doit comprendre pour rénover les logements : les diagnostics, les prescriptions et la pose. Cela rassemble un lot de compétences qui n’est pas le propre d’une profession bien définie, mais qui s’approche d’un nouveau rôle que le WBCSD appelle l’« intégrateur ». Selon notre intervenant ce rôle comporte quatre éléments indispensables :
- la bonne gestion des budgets ;
- les bonnes connaissances en design ;
- les acquis spécifiques techniques de base dans plusieurs domaines (avec un service technique pour aider à résoudre les problèmes plus complexes) ;
- la capacité de gérer et d’animer les corps de métier (pouvoir persuader les artisans de faire ce qui leur paraîtrait utile).
37Il est à préciser que le niveau de connaissances techniques de cet intégrateur idéal est assez large, mais peu approfondi. Cela laisse croire qu’un chef de chantier expérimenté peut assumer ce rôle sans devenir un vrai expert en matière d’énergie, à la condition incontournable qu’il existe un service de conseils techniques qui puisse être sollicité pour aider à résoudre d’éventuels problèmes. Mais, le cas contraire est peu plausible : un expert en énergie – quel que soit le niveau de ses connaissances techniques – ne pourrait pas jouer le rôle d’intégrateur sans qu’il ait aussi des compétences certaines en gestion de la main d’œuvre. Selon cet intervenant, le travail d’un chef de chantier énergétique consiste surtout dans la gestion des interfaces. Dans ce contexte cela signifie :
- la coordination efficace des ressources, par exemple la communication entre les différents corps de métier pour profiter au maximum du temps où un échafaudage est en position, et minimiser ainsi le coût de ce service accessoire ;
- la prise en charge des responsabilités de coordination et de communication, afin que toute tâche soit intégrée avec les tâches précédentes et que la mise en œuvre de la tâche actuelle ne nuise pas au bon déroulement des tâches suivantes.
38L’offre du cas B britannique ne garantit pas la performance énergétique du bâtiment rénové car cela représenterait trop de risques pour les entreprises. Le contrat assure les « meilleurs services » de l’ensemble des entreprises, mais pas les résultats intégrés de leurs interventions diverses. On peut supposer que ce nouveau rôle d’intégrateur induirait inévitablement des coûts supplémentaires, mais le correspondant donnait une perspective différente, fondée sur ses expériences des projets de rénovation énergétique sur plusieurs années :
« Les chefs de chantier compétents rendent tout projet plus facile et moins cher. On en a besoin pour assurer que tout se passe bien. Sur n’importe quel chantier, les économies réalisées [par l’intervention d’un bon intégrateur] sont plus importantes que le coût de l’intégrateur lui-même. »
39Le même correspondant déclarait que le manque de personnes compétentes pour assurer ce rôle est une question plus déterminante que la question des coûts :
« Ce qui m’inquiète, c’est qu’il n’y a qu’une vingtaine de personnes [au Royaume-Uni] qui ont toutes les compétences nécessaires pour jouer ce rôle comme il le faut ».
40L’impulsion de l’établissement de ce groupement à intérêt coopératif est liée au lancement d’un programme de financement – le « Green Deal » –, mais le lien entre cette nouvelle politique et l’innovation industrielle est loin d’être simple. Le Green Deal dispose d’un système de charge légale, par laquelle le capital destiné à financer les travaux est défrayé sur vingt-cinq ans (à un taux annuel qui n’est pas encore fixé, mais qui doit être de 6 à 7 % environ). Ce taux élevé provoque bien des soucis dans la filière, mais notre correspondant déclarait que, quoi qu’il en soit pour le système de charges, l’intérêt réel du Green Deal se situe dans les exigences de certification et d’accréditation :
« À mon avis, le nouveau groupement agira dans un sous-secteur ou le dispositif de financement Green Deal n’a pas d’intérêt. C’est le Green Deal qui fait paniquer la filière, mais pour la plupart, les clients [du groupement] ne seront pas ceux qui manquent de capital. Ce qu’ils réclament, c’est une filière compétente qui a les connaissances techniques pour faire les travaux […] une offre de qualité [avec] des diagnostics fiables. »
41Un certain nombre d’entreprises spécialistes de la pose des systèmes photovoltaïques commence à offrir un service de diagnostics (et un label énergétique) ainsi que des services accessoires pour aider leurs clients à atteindre le seuil du tarif préférentiel (notamment, par l’isolation des combles). Cette évolution du programme TRG provoque également des plaintes chez certains :
« Pas mal des spécialistes en photovoltaïque cherchent à trouver un moyen d’isoler les combles sans devoir faire la pose eux-mêmes, et notre groupement les aide à trouver quelqu’un dans leur région qui est prêt à le faire. »
42Ce changement dans le dispositif des TRG ne préoccupe pas la filière de la même manière que le Green Deal, mais il est à l’origine de nouvelles pratiques et de nouveaux processus dans cette sous-filière :
« On en parle très peu. Les lobbys ne s’y intéressent pas. C’est une évolution subtile, mais dans le bon sens, on voit naître l’idée de l’intégration entre des sous-filières et les premiers pas vers une offre globale de la rénovation énergétique. »
Enjeux et questions clés pour une stratégie industrielle et politique de la rénovation résidentielle
43Cette recherche a permis de dégager différentes composantes de la problématique de la rénovation énergétique du parc résidentiel. Le cumul de ces composantes constitue un véritable défi pour la filière du bâtiment.
La question des interfaces
44Selon Chan et Dainty (2007) « l’interface entre les compétences nouvelles et les compétences traditionnelles est de la plus grande importance pour les travaux de réhabilitation et de maintenance ». De surcroît, lorsque les travaux de rénovation visent une haute performance énergétique, la question des interfaces est un aspect technique particulièrement important. Nous distinguons trois catégories d’interfaces dans la rénovation énergétique. Dans la première catégorie d’interface physique se situent les jonctions entre deux ou plusieurs éléments physiques, telles que l’angle entre plancher et mur ou la jonction entre fenêtre et mur. La continuité des membranes d’étanchéité à l’air et des produits isolants doit être assurée à chaque interface physique pour atteindre l’étanchéité à l’air et la minimisation des ponts thermiques requis par les standards les plus performants. La seconde catégorie comporte des interfaces technologiques, où les enjeux se caractérisent par un écart souvent observé entre la performance souhaitée et la performance réelle, en raison de la non compatibilité des technologies, du design des systèmes de contrôle ou de réglage, et des usages des technologies par les occupants. La troisième catégorie d’interface concerne les processus du chantier, délimitant les rôles et les responsabilités des divers artisans et professionnels. En matière d’énergie, la continuité des membranes et des couches d’isolation peut être compromise si un électricien ou un chauffagiste n’en tient pas compte quand il perce des trous pour y passer ses câbles et canalisations.
L’organisation des travaux
45Le challenge que représente, pour la filière, la rénovation énergétique comprend trois aspects interdépendants : l’intégration des tâches menées à bien par les différents corps de métier, la communication et la gestion des risques. Dans un système où le partage des rôles est atomisé, chaque artisan cherche à réaliser sa tâche tout en minimisant son temps sur le chantier et son risque. Peu importe si les pratiques et les décisions d’un premier artisan nuisent aux préférences d’autres artisans par la suite. Cette atomisation, profondément enracinée dans la filière, rend difficile toute initiative d’intégration. Et, si l’intégration est une cible difficile à atteindre, elle constitue néanmoins un enjeu pour la performance des réalisations dans la rénovation énergétique.
46Deux approches observées sur le terrain contribuent à réduire les effets pervers de l’atomisation des rôles. La première cherche à créer une équipe poly-compétente, caractérisée par une volonté de partager les tâches, les risques et la responsabilité de résoudre les problèmes rencontrés au fur et mesure (le cas A). La seconde approche insiste sur le rôle de l’intégrateur pour gérer la main d’œuvre, et pour assurer le triple lien entre les corps de métier sur le chantier, les exigences techniques du design et la communication avec le maître d’ouvrage (les cas A, B, 1). Ces deux approches peuvent être complémentaires et, vu l’hétérogénéité du marché de la maintenance et de la rénovation, des approches hybrides pourraient émerger pour mieux répondre aux besoins des divers projets.
47Nous avons observé également l’innovation des services de soutien, que ce soit technique (prise en charge des situations inattendues par rapport au design) ou administratif (prise en charge des dossiers de financement et de permis). L’impulsion de ces services de soutien peut provenir de la réglementation (exemple des normes de formation et d’accréditation), mais ce n’est pas la seule impulsion observée. Dans le cas des innovateurs ayant une expérience des exigences techniques associées à la rénovation énergétique, la nécessité de créer un service technique est identifiée par l’innovateur lui-même. Il s’agit d’un niveau de compétences qui dépasse le niveau requis au quotidien, et la solution la plus rentable est de mettre à disposition des chefs de chantier une assistance téléphonique.
Les rôles des intermédiaires
48Nous définissons comme « intermédiaire » toute personne ou organisation qui facilite la communication et la compréhension mutuelle entre la maîtrise d’ouvrage et la main d’œuvre. Dans cette recherche nous avons observé deux approches différentes dans ce but – le cas B et le cas 1. S’il existe un chef de chantier qui joue le rôle d’intégrateur, il se peut que cet individu soit capable également de conseiller le maître d’ouvrage dans la prise de décisions. Dans ce scénario, le chef de chantier joue deux rôles : intégrateur et intermédiaire. Néanmoins, le rôle de conseiller indépendant (un intermédiaire qui n’a pas de responsabilités de gestion de chantier) s’avère souvent légitime. La trajectoire personnelle qui mène le maître d’ouvrage d’un point de départ (marqué peut-être par l’ignorance ou un manque total d’intérêt pour le sujet) vers une décision d’investissement est complexe et variable, selon les personnes. L’accompagnement d’un conseiller fiable rend service. Pour les bailleurs, il s’agit d’une double trajectoire : celle du bailleur et celle du résident.
49Ce rôle d’accompagnement varie selon le cas, et les acteurs intermédiaires sont hétérogènes. Le rôle d’intermédiaire indépendant n’est pas indispensable dans tous les cas, car certains maîtres d’ouvrage acquièrent (ou ont déjà acquis) les connaissances et compétences nécessaires pour négocier directement avec le maître d’œuvre. Une telle professionnalisation du maître d’ouvrage peut provoquer des points de friction si les artisans et les professionnels recrutés la ressentent comme une contestation d’une juridiction qu’ils estiment être la leur.
Confrontation entre le potentiel technique et le potentiel du marché
50Les standards les plus ambitieux en matière de rénovation énergétique incitent à une approche « globale » de la rénovation, où la quasi-totalité du bâtiment est touchée avec des interventions qui ne peuvent réussir que si tout est considéré à la fois (étanchéité à l’air, minimisation des ponts thermiques…). En France, plus qu’au Royaume-Uni, cette approche est soutenue par des dispositifs financiers comme le PTZ. Le succès des projets globaux et ambitieux dépend beaucoup de l’attention portée aux détails du design et de la pose, nécessitant une assurance qualité de haut niveau.
51Quoi que souhaitables à plus long terme et méritant d’être étudiés dès maintenant, les standards ambitieux impliquent des connaissances, des compétences et des expériences qui sont trop souvent hors de portée de la filière. Le monitoring et l’évaluation sont des outils bien connus en théorie, mais rarement utilisés sur des chantiers. De plus, là où le monitoring et l’évaluation existent, les résultats ne sont pas systématiquement communiqués aux acteurs qui en bénéficieraient le plus, c’est-à-dire aux artisans et professionnels. Killip (2013) propose que des dispositifs de monitoring coordonnés soient un sine qua non dans l’adaptation du modèle de transformation des marchés conçu pour des marchés de produits (ex. réfrigérateurs, machines à laver) au contexte d’un marché de prestations, comme la rénovation du bâti.
52Par ailleurs, et surtout au Royaume-Uni, notre recherche montre que l’approche globale n’est pas la seule, mais qu’il existe également la possibilité de faire des travaux de rénovation énergétique de façon séquentielle et modulaire sans trop baisser le niveau des standards des meilleurs projets « globaux » (Fawcett, Mayne, 2012). L’approche séquentielle et modulaire reflète mieux les opportunités dans le marché de la rénovation et de la maintenance, qui inclut des projets à une échelle plus modeste que la rénovation globale (ex. nouvelle cuisine, nouvelle salle de bains, travaux de décoration) (Killip, 2011).
53Ces enjeux sont sous-jacents lorsqu’on considère les programmes de financement dans les deux pays étudiés. En France le PTZ encourage une vision plutôt globale de la rénovation par son système de soutien pour des bouquets de travaux. Au Royaume-Uni, où les programmes portent depuis des décennies sur les mesures (individuelles) lot par lot (ex. isolation des combles), le principe moteur du nouveau programme Green Deal reste l’analyse coût-bénéfice de chaque mesure envisagée.
La rénovation énergétique comme opportunité économique
54Le PTZ français est considéré, par certains de nos correspondants, comme un argument pour promouvoir la rénovation globale. Il constitue une « opportunité à saisir ». La demande du marché étant souvent sur une échelle plus modeste, l’avantage du PTZ pour les entreprises innovantes de la rénovation globale est de « faire avaler la pilule » lorsqu’on commence à envisager des travaux plus importants. Le talent du vendeur reste de convaincre son client que c’est « le moment » de le faire et le PTZ lui rend service dans la négociation de vente.
55Au Royaume-Uni, la logique est différente – en cohérence avec les programmes de soutien différents –, mais certains innovateurs cherchent à utiliser un langage de vente similaire à celui de leurs confrères français. Tout comme en France, il s’agit de faire du langage classique d’« obstacle » à l’efficacité énergétique, un langage d’opportunité. Le modèle du groupement coopératif (cas B) permet à tous ses adhérents, même les plus spécialistes, d’avoir recours à toutes les ressources du groupement – les autres entreprises adhérentes et les services techniques et administratifs venant en appui. Afin de répondre à la demande pour des projets modestes et séquentiels, ce groupement est en mesure de proposer un rapport stratégique à ses clients, précisant les activités clés à viser (ex. isolation du plancher) et les meilleures façons de les réaliser (ex. quand une pièce est vidée de meubles). Ce modèle ne cherche pas à rendre le projet actuel plus ambitieux, mais lui propose d’intervenir au fur et à mesure que d’autres projets se concrétisent.
Les coûts et les bénéfices de la professionnalisation
56On peut supposer qu’un service professionnel offert par des personnes formées et expérimentées est a priori plus cher que le service traditionnel. Cette recherche suggère que cette supposition mérite d’être testée. Dans le cas A, la volonté des corps de métier d’entreprendre des tâches propres à d’autres artisans (et de partager de nouvelles tâches où la juridiction est contestée) est remarquable dans le contexte d’une filière aussi fragmentée. Or, un avantage (peut-être inattendu) de cette innovation dans l’organisation du travail est une amélioration importante de la productivité de l’ensemble des corps de métier. Le correspondant dans le cas B faisait des remarques similaires, prétendant que le coût d’embauche d’un chef de chantier « intégrateur » serait largement compensé par les coûts épargnés liés aux malfaçons ou temps perdu par manque d’habitude. Il est toutefois possible que ces gains soient difficilement reproductibles sur tous les chantiers et dans tous les contextes, mais ces données justifient de remettre en cause l’hypothèse selon laquelle la professionnalisation de ce secteur n’entraînerait que des coûts sans offrir de nouveaux bénéfices. Cette problématique ouvre un nouveau champ de recherche pluridisciplinaire.
Limites et partages des responsabilités
57Comment pourrait-on transformer une culture industrielle où les rôles sont atomisés et où chaque acteur cherche à minimiser son risque ? Les limites entre domaines de responsabilité existent à plusieurs niveaux : entre différents corps de métier et leurs tâches sur le chantier, entre le chef de chantier jouant un rôle d’intégrateur et les autres entreprises dont le travail est à intégrer dans un ensemble cohérent, entre l’intégrateur et le maître d’ouvrage (avec ou sans la présence d’autres acteurs intermédiaires pour accompagner ce dernier).
58Par ailleurs, la consommation énergétique d’un logement n’est pas seulement liée aux matériaux et technologies installés pour améliorer le bâti et ses systèmes énergétiques. Les pratiques des occupants sont centrales dans ce débat. Si on parle de limites de responsabilité entre membres d’une équipe professionnelle, et entre cette équipe et son client, est-ce que ce langage peut s’appliquer à l’occupant ? Le modèle français observé qui cherche à contractualiser les comportements des occupants (cas 1) reprend des éléments que l’on trouve plus souvent dans l’immobilier tertiaire que le résidentiel. C’est une façon de dire que l’occupant doit être en mesure d’accepter sa responsabilité dans ces enjeux. Le succès de ce nouveau modèle dépend, en fin de compte, de la volonté d’entreprendre cette relation contractuelle avec un fournisseur dans un domaine qui est normalement parmi les plus privés. Par contre, l’innovation au R-U présentée dans le cas B se contente de promettre les « meilleurs soins » du fournisseur. Il sera intéressant d’observer à quel point ces deux modèles peuvent réussir.
Discussion
59On considère depuis longtemps sur la base de l’analyse coût-bénéfice traditionnelle que le coût est un obstacle majeur à l’atteinte des objectifs d’efficacité énergétique dans le bâtiment. Une nouvelle analyse coût-bénéfice est ici proposée. Elle considère que le coût engendré par l’emploi de professionnels qui auraient pour rôle d’orchestrer l’organisation des travaux et l’intervention des différents corps de métiers, serait compensé par des coûts d’erreurs évités, une amélioration de la productivité, une capacité à proposer des projets plus ambitieux et donc un rendement plus intéressant pour les professionnels impliqués. La qualité – comprise dans ses trois dimensions : qualité de mise en œuvre, qualité de design, qualité de communication – devient ainsi un nouveau critère incontournable de l’analyse. De la même façon, la prise de risque qui constitue souvent un frein important à l’innovation – dans l’usage de matériaux nouveaux ou de nouveaux procédés constructifs – pourrait être mieux assumée car portée par l’intégrateur ou partagée entre les différents corps de métiers.
60De surcroît, la nécessité d’assurer l’intégration existe à d’autres niveaux : au niveau de l’interface des produits, des matériaux et des technologies, au niveau de l’interface entre les différents corps de métiers qui sont traditionnellement atomisés et, enfin, au niveau de l’interface entre l’ensemble des interventions techniques et les comportements supposés des occupants (la technique « embarque » des scripts d’usage implicites). Sur une échelle différente, l’interface entre les trois « P » (les produits, les pratiques et les procédures) implique d’intégrer la pratique, la politique et la recherche.
61Quels moyens pourraient rendre possible l’évolution de la filière, son engagement dans ce mouvement ? Les politiques et les dispositifs déployés en France pour soutenir l’amélioration de l’efficacité énergétique dans le bâtiment tendent à encourager cette intégration des pratiques professionnelles (ex. prêt à taux zéro), alors qu’au Royaume-Uni, le Green Deal tend à encourager davantage les travaux isolés (on ne parle pas de bouquets de travaux, on parle de l’isolation extérieure).
Notes de bas de page
1 Conseil Mondial des Entreprises pour le Développement Durable.
2 Le prêt est plafonné à 30 000 euros par logement.
3 Le crédit d’impôt dédié au développement durable et aux économies d’énergie a été introduit par la loi de finances 2005. Il permet aux ménages de déduire de leur impôt sur le revenu une partie des dépenses réalisées pour certains travaux d’amélioration énergétique portant sur leur résidence principale (achat d’équipements performants au plan énergétique ainsi que d’équipements utilisant les énergies renouvelables).
4 A series of sequential and largely separate operations undertaken by individual designers, constructors and suppliers who have no stake in the long term success of the product and no commitment to it.
5 Les retrofitterati en version originale – un néologisme signifiant les glitterati (les gens les plus à la mode) de la retrofit (la rénovation).
Auteurs
Chercheur à l’Université d’Oxford (Environmental Change Institute). Il s’intéresse aux enjeux et problématiques de la rénovation énergétique des parcs immobiliers dans le contexte des politiques de réduction des émissions de gaz à effet de serre à l’horizon 2050. Dans une perspective sociotechnique, il se donne pour objectif d’explorer les enjeux de gouvernance et les rôles des acteurs intermédiaires dans un futur système énergétique bas carbone. Ayant rénové sa propre demeure pour atteindre une réduction de 65 % en émissions de CO2, Gavin Killip participe aux journées ‘portes ouvertes’ du réseau britannique de Superhomes.
EDF R&D, ICAME – GRETS
Sociologue au sein du département, Innovation commerciale, analyse des marchés et de leur environnement de la Direction de la Recherche & Développement d’EDF. Ses travaux portent sur les usages de l’énergie dans l’habitat et la diffusion de l’innovation : domotique, éco-conception, rénovation énergétique et production d’énergie décentralisée, en particulier
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