Le SLIME, un dispositif de réduction de la précarité énergétique
p. 309-321
Texte intégral
1La feuille de route pour la transition écologique1 parlait d’engager une transition énergétique qui soit la plus juste économiquement, écologiquement et socialement. Elle rappelait et confirmait la « nécessité d’aller vers l’efficacité énergétique et la sobriété ». Un premier scénario faisait le pari d’atteindre une certaine efficacité énergétique par une diffusion large et rapide de technologies plus performantes. Un second scénario misait sur la capacité des acteurs (professionnels des bâtiments, gestionnaires, ménages) à développer des pratiques moins énergivores. Actuellement, les programmes d’efficacité énergétique tendent à s’adresser en premier lieu aux classes moyennes, c’est-à-dire les familles ayant la capacité financière de s’équiper de manière plus performante et d’investir, soit dans un processus de renouvellement de leurs équipements, soit dans un projet de rénovation énergétique, ou encore les familles motivées par l’enjeu écologique. Une frange de la population est laissée pour compte : les ménages qui n’ont pas les moyens d’investir dans des dispositifs économes, locataires ou propriétaires occupants avec très peu de ressources, les ménages en situation d’impayés d’énergie ou/et de précarité sociale, ainsi que tous ceux que l’on peut nommer les « invisibles du logement » auxquels rien ou presque ne s’adresse.
2La transition énergétique nécessite en fait de sortir d’un modèle technocratique unique qui s’imposerait uniformément à tout un chacun, pour aller vers des catégories de solutions de type sur-mesure, plus en phase avec les réalités sociales et les besoins. Elle devrait être l’occasion de développer des réponses certes technologiques, mais aussi organisationnelles et socioculturelles qui reposent sur la justice sociale. Réussir une transition énergétique sans exclusion sociale suppose de développer des modes d’intervention spécifiques adaptés aux populations les plus en difficulté, les « précaires énergétiques ». Dans le cadre d’une étude réalisée pour le PREBAT2 (Beslay, Gournet, Zélem, 2010), centrée sur l’analyse comparée de quelques dispositifs pionniers de réduction de la précarité énergétique, nous avions proposé les principes d’un dispositif d’intervention, le SLIME (Service Local d’Intervention pour la Maîtrise de l’Énergie), pour intervenir auprès des ménages en situation de précarité énergétique. Ce dispositif a été expérimenté dans le département du Gers et a servi de modèle pour développer de nombreux dispositifs locaux (plus d’une quarantaine à l’heure actuelle). Il est désormais éligible aux Certificat d’Économie d’Énergie (CEE) dans le cadre d’un dispositif porté par le CLER3. Le SLIME est devenu un terme générique pour résigner les dispositifs d’intervention basés sur des visites à domicile auprès des ménages en précarité énergétique.
Les ménages en situation de précarité énergétique : des situations complexes et diversifiées
3L’Enquête logement de 2006 évaluait à environ 3,8 millions, le nombre de ménages concernés par des problèmes de froid chez eux, soit 14,4 % des ménages français, auxquels il convient d’ajouter 300.000 ménages ayant recours à des pratiques de restriction ou de privation de chauffage. Une bonne partie d’entre eux habite un logement ancien privé. Certains bénéficient de l’électricité et du gaz à prix réduit. L’impécuniosité peut les forcer à privilégier l’absence de chauffage à d’autres restrictions, alimentaires notamment. Selon EDF, plus de 500.000 ménages bénéficient du tarif de première nécessité et plus de 300.000 bénéficient du Fonds de Solidarité pour le Logement (FSL) au titre des charges d’énergie. C’est sans doute de l’ordre de 150 M€/an qui sont dépensés annuellement par les services sociaux (Conseil généraux, CAF, CCAS, etc.) pour aider les familles à payer leurs factures d’énergie. Ces situations sont très diverses, mais regroupées sous le vocable de précarité énergétique. La loi no 2010-788 du 12 juillet 2010 (Grenelle II), relative à la mise en œuvre du droit au logement, définit la précarité énergétique de la façon suivante : « Est en situation de précarité énergétique une personne qui éprouve des difficultés à disposer de la fourniture d’énergie nécessaire à la satisfaction de ses besoins élémentaires en raison de l’inadaptation de ses ressources ou de ses conditions d’habitat ». En Angleterre, on parle de « Fuel Poverty » pour caractériser la situation des ménages qui dépensent plus de 10 % de leurs revenus pour se chauffer. Cela concernerait alors plus de 5 millions de ménages français.
4La précarité énergétique est un phénomène difficile à quantifier, tant les sources et les statistiques sont multiples et les indicateurs sont variables, si bien que ce phénomène apparaît diffus sur l’ensemble du territoire et contrasté dans ses formes. On peut être pauvre sans être en précarité énergétique. On peut être précaire énergétique, sans être pauvre. On rencontre des ménages qui ne se signalent pas comme relevant du traitement de la précarité énergétique parce qu’ils développent des comportements d’auto-privation, et d’autres parce qu’ils cachent leur situation, vécue comme honteuse. Cela concerne les problèmes de logement, mais aussi les problèmes de transport. De façon à inclure tous les cas de figure, il importe de sortir de la définition purement administrative, standardisée et normative. Non seulement elle est stigmatisante, mais elle est aussi excluante. En fait, « la pauvreté énergétique pourrait se définir comme la conjonction d’une pauvreté financière aggravée par un manque de réponses techniques et comportementales à une nécessaire maîtrise des consommations » (Devalière, 2007). Cela se traduit par une vulnérabilité sociale, économique et environnementale qui empêche de se chauffer convenablement et/ou de payer ses factures d’énergie. Les ménages concernés sont pris dans « un cercle vicieux ». Dans l’impossibilité de choisir un logement performant ou de financer des travaux de maîtrise de l’énergie, ils voient s’alourdir leurs dépenses et s’aggraver leur insolvabilité. D’où, également, des modes de chauffage insuffisants ou précaires, sources de dégradation du logement, voire d’insalubrité, et d’insécurité pour ses occupants (D. Chérel, 2007).
5Les problèmes posés vont bien au-delà des impayés d’énergie. Ils peuvent avoir des conséquences financières (l’utilisation d’autres budgets, le recours aux aides et à l’endettement, des mécanismes d’auto-restriction et de privation), techniques (logement mal chauffé, humide, malsain ; logement qui se détériore vers l’insalubrité, logement indécent), mais aussi sanitaires (dépression, fatigue, transmission de pathogènes, maladies respiratoires et cardio-vasculaires, arthrites et autres pathologies assimilées) et sociales (peur de la stigmatisation, perte de sociabilité, éloignement géographique du lieu de travail). Il est bien difficile de dresser une typologie des situations au regard de la diversité des configurations domestiques. Le risque est de s’enfermer dans une catégorisation un peu vaine alors que la meilleure approche consiste à analyser au cas par cas les facteurs explicatifs des problèmes concrets vécus par les ménages.
6En fait, au-delà des aspects économiques, techniques et sanitaires, la précarité énergétique est à appréhender comme un phénomène complexe pluridimensionnel. La notion d’équilibre permet de décrire, à un moment donné, la situation d’un ménage qui se retrouve (potentiellement) en précarité énergétique. Le caractère plus ou moins stable de la situation vécue résulte du jeu d’un certain nombre de dimensions étroitement imbriquées. Ces situations sont plus ou moins durables ou évolutives dans le temps, elles varient en fonction du cycle de vie ou d’opportunités professionnelles ou résidentielles. Lorsque les dimensions entrent en tension, celles-ci pèsent alors sur l’équilibre des situations. Au moins sept dimensions structurantes des situations de précarité énergétique doivent être analysées :
- Les caractéristiques du ménage renvoient à sa composition, aux activités socio-professionnelles et au niveau de revenus, sans oublier l’état de santé des occupants, la culture d’appartenance, les pratiques énergétiques ou encore le degré de sociabilité des personnes.
- Les caractéristiques du logement comprennent le statut d’occupation, le type d’habitat, la situation géographique, mais aussi la performance énergétique du logement et des équipements.
- L’approvisionnement en énergie concerne la composition du mix énergétique, l’évolution et le niveau des prix de l’énergie, le fournisseur et le type d’abonnement.
- Les modes d’habiter, c’est-à-dire la manière dont les ménages occupent leurs lieux de vie, ainsi que leur capacité d’adaptation et leurs modes de gestion de l’énergie.
- Les types de problèmes rencontrés : l’inconfort vécu par les ménages peut devenir coûteux ou menaçant, lorsqu’il y a un risque sanitaire, ou encore lorsque les ménages développent des stratégies de privation.
- Les ressources et relations sociales impliquent : les capacités financières, les ressources matérielles et les réseaux sociaux.
- L’impact des dispositifs d’aide. Les interventions des travailleurs sociaux, des techniciens, etc. introduisent un facteur exogène au système d’équilibre dans lequel les ménages sont pris. Ces interventions impactent la situation positivement en améliorant le confort thermique, en aidant à réduire la facture, en permettant l’équipement en appareils plus économes… Mais elles peuvent aussi fragiliser la situation d’équilibre (relogement non souhaité, conflit avec le propriétaire, amélioration du confort, mais augmentation de la facture) et engendrer ou faire craindre des effets pervers (intervention de la DDASS, retrait d’enfants, expulsion…) avec un effet négatif sur la relation de confiance envers les services sociaux. Le ménage perd alors le contrôle d’une situation déjà fragilisée.

Schéma 1. « Des situations complexes en équilibre précaire ».
7Les problématiques sociotechniques rencontrées par les ménages démunis apparaissent donc tout aussi génériques que spécifiques, de même que les solutions d’aide envisageables semblent aussi simples que délicates à mettre en œuvre. Dans tous les cas, la précarité énergétique est un phénomène complexe et polymorphe qui suppose une approche systémique voire globale si l’on cherche à comprendre la situation des gens pour ensuite identifier des points d’amélioration et préconiser les solutions appropriées.
Les limites des dispositifs traditionnels
8Les dispositifs traditionnels comme le FSL4, le FSE5, le PDALPD6, en lien avec les « impayés d’énergie » et les dossiers d’endettement ont montré leurs limites. Le signalement par les distributeurs d’énergie et les services sociaux ne suffit plus à embrasser l’ensemble des situations, le public touché est pour l’essentiel le public « traditionnel » du travail social. Par ailleurs, les modes d’intervention jusque-là mis en œuvre ont également atteint leur limite. Qu’il s’agisse de diagnostics individualisés et accompagnés (centrés sur les pratiques sociales, les gestes économes, les petits équipements), des fonds d’aide aux petits travaux (reposant sur un diagnostic énergétique, une analyse du bâti et des équipements, ainsi que sur un accompagnement pour monter le projet de réhabilitation) ou des actions collectives auprès des ménages, les résultats restent insuffisants. Certes, ils permettent de réduire, voire d’annuler la dette pour un temps, mais sans résoudre le problème à l’origine de l’impayé. Les interventions sur le cadre bâti restent marginales. Les démarches sont très longues, le rendement faible (nombre de dossiers traités par an trop peu nombreux) et parfois les dispositifs contribuent à aggraver les situations des ménages. Or l’enjeu aujourd’hui est bien d’aller vers un traitement plus approfondi de ces questions dans une approche qui combine droit au logement et accès à l’énergie.
9L’étude a porté sur cinq terrains définis par les programmes d’actions qui y sont menés et diversifiés du point de vue des problématiques traitées, des configurations d’acteurs, des publics visés et des dispositifs mis en œuvre. Ces cinq cas sont exemplaires de dynamiques sociales en matière de lutte contre la précarité énergétique :
- Le dispositif « Ambassadeurs de l’énergie » porté par l’ONG Prioriterre en Haute-Savoie est un dispositif pionnier, basé sur des visites conseil-diagnostic à domicile qui fonctionne depuis 1997. Prioriterre mène par ailleurs des actions de sensibilisation et de formation des acteurs du logement et de l’action sociale, anime un Forum social départemental et pilote, au niveau national, le concours européen Familles à énergie positive.
- L’Action Insertion Énergie conduite par le conseil général du Gers a été mise en place en 2004 et repose sur la réalisation, par un thermicien, de visites à domicile et de diagnostics énergétiques auprès des ménages en impayés d’énergie, bénéficiaires du FSL. Elle peut déboucher sur le financement et la réalisation de travaux d’amélioration du logement.
- L’action Énergie Précarité menée par le Conseil général du Tarn, engagée en 2004, comportait plusieurs volets : formation de travailleurs sociaux, visites à domicile de ménages en situation d’impayés d’énergie, fonds d’aide aux petits travaux.
- Le programme Econologis au Québec, initié par l’Agence de l’Efficacité Énergétique, existe depuis 1999. Il s’adresse aux ménages à revenus modestes, bénéficiaires des minima sociaux. Il est mis en œuvre par des organismes environnementaux ou de défense des consommateurs et vise à sensibiliser aux économies d’énergie et à installer des petites solutions techniques pour améliorer le confort thermique.
- L’opération « MDE Maroni », en Guyane, initiée en 2007 par la Communauté des Communes de l’Ouest Guyanais dans le cadre du Programme Régional de Maîtrise de l’Énergie. Construite sur une base de médiation interculturelle, cette opération consiste à visiter les foyers pour faire du conseil de proximité. Elle vise à réduire la demande en électricité et à diminuer les situations d’impayés d’énergie.
10L’analyse des configurations partenariales et des conditions d’efficacité et de « performance » des actions engagées à été réalisée à partir d’un travail documentaire, complété par plus de 80 entretiens semi-directifs menés auprès des acteurs et partenaires des dispositifs7. L’objectif était de caractériser les formes partenariales, les diagnostics établis, les argumentaires mobilisés, les programmes développés, les publics touchés. Un comité de pilotage, réunissant les partenaires scientifiques et de terrain, a été associé, tout au long de cette recherche-action, à l’élaboration de l’enquête de terrain, à l’analyse des résultats et à l’élaboration des recommandations.
11Les dispositifs étudiés de lutte contre la précarité énergétique avaient en commun de reposer sur des visites à domicile des ménages (visites conseil, diagnostic, pose de petits équipements). Mais ils se différenciaient du point de vue : de leur genèse, du mode de pilotage de l’action, des objectifs poursuivis, de l’identification des situations, du profil des intervenant(e) s et, surtout, du rendement en termes de nombre de ménages touchés et de situations concrètement solutionnées. Deux modèles d’intervention peuvent être distingués :
- Un premier modèle d’intervention de masse, à l’exemple d’Econologis au Québec ou de Fayaman en Guyane, est centré sur la sensibilisation aux économies d’énergie et le traitement d’urgence. En Guyane, le dispositif a un objectif supplémentaire : la diffusion large d’équipements de froid et d’éclairage économes. Au Québec et en Guyane, les dispositifs d’intervention ont été initiés « par le haut », puis pris en charge par des structures locales, dans une logique de type « top down ». Or, s’ils peuvent toucher un grand nombre de ménages et sensiblement améliorer leur situation, les dispositifs d’intervention de masse ne sont pas outillés pour traiter les problèmes structurels auxquels les ménages sont confrontés (mauvais état du logement, pauvreté).
- Un second modèle d’intervention de fond, rencontré sur les terrains métropolitains, est plutôt orienté vers la recherche d’une résolution durable des situations, avec la prise en charge de petits travaux d’amélioration du logement, voire l’accompagnement sur des programmes de rénovation de l’habitat. Sur ces terrains, les dispositifs d’intervention ont été initiés par « le bas », dans une logique de type « bottom up », par les travailleurs sociaux et les techniciens de l’action sociale départementale. Ces derniers ont su s’emparer des incitations et des aides des politiques nationales de MDE, notamment de l’ADEME, et ont pu enrôler les élus. Néanmoins, ces dispositifs ne traitent qu’un petit nombre de cas par an, dans des délais souvent longs et pour des budgets peu optimisés. Le repérage-signalement des situations n’est ni aisé ni systématique. Les travailleurs sociaux, peu sensibilisés et mobilisés, se sentent souvent démunis pour appréhender ce type de problématique sociotechnique. Les autres acteurs intervenant auprès des ménages sont faiblement enrôlés dans les dispositifs. L’intégration des dispositifs au sein des services d’action sociale limite de fait le repérage des populations.
12Pourtant, ces dispositifs visent tous plusieurs finalités qui justifient et donnent sens à une intervention spécialisée sur l’énergie et ciblée sur les ménages en difficultés :
- Réduire les factures et la charge financière liée à l’énergie. L’approche se veut préventive et consiste à anticiper les situations d’impayés par un diagnostic de la situation des ménages et de leur logement, et des moyens de résolution des problèmes.
- Améliorer le confort et la qualité de vie au domicile. L’amélioration du confort des ménages en situation de précarité se présente plutôt comme un effet secondaire, certes favorable, mais annexe à la finalité première de réduire les factures.
- Réduire la demande d’énergie des ménages et la sollicitation des systèmes de production et de distribution d’énergie. Cette finalité est au cœur des dispositifs québécois et guyanais.
13De même, ils poursuivent des objectifs opérationnels multiples, plus ou moins articulés entre eux, selon les actions et les structures qui les portent :
- Un objectif pédagogique afin de faire évoluer les dispositions sociales et les pratiques de maîtrise de l’énergie à l’échelle domestique.
- Un objectif technique pour agir sur le logement et les dispositifs techniques de l’habitat, les équipements comme le bâti.
- Un objectif professionnel pour sensibiliser et former les acteurs locaux qui sont en relation avec des ménages en précarité énergétique (travailleurs sociaux, associations, locataires, bailleurs sociaux, etc.) de manière à ce qu’ils identifient les cas et se fassent le relais de messages autour de la maîtrise de l’énergie.
- Un objectif sociétal : développer une conscience citoyenne et environnementale pour contribuer à la lutte contre le changement climatique et à la préservation des ressources naturelles en incitant à la modification des comportements d’achat et de gestion d’énergie, d’eau et de matières premières.
Les facteurs clés pour une intervention efficace
14Le contexte de la visite à domicile conditionne son déroulement, mais aussi et surtout son efficacité. Le positionnement des intervenants face aux ménages est déterminant pour appréhender et comprendre les situations et apporter des solutions et des conseils pertinents. Les dispositifs ne doivent pas se présenter comme un service standard. Ils ne doivent pas se réduire à un répertoire de gestes ou à une liste d’améliorations qui s’appliqueraient indifféremment à tous. Au contraire, ils doivent viser l’identification des causes de l’inconfort pour construire un état des lieux et des corrections personnalisées. Faisant référence à la sphère des besoins, à l’univers des interrogations individuelles et pragmatiques, cette approche est appréciée.
15Plusieurs facteurs clés peuvent être mis en avant. Pour qu’une intervention soit « reconnue » par le public visé, il est important de communiquer en des termes simples, clairs et précis sur les finalités et le positionnement du dispositif et des agents livreurs. Une approche humaine et « personnalisée » favorise une meilleure prise en compte des situations vécues et des pratiques énergétiques constatées in situ. L’intervention doit être « contextualisée », par la prise en compte des appartenances sociales, de la culture, de la langue des ménages visités afin de favoriser l’appropriation des solutions proposées par les agents livreurs. D’un point de vue pédagogique, la fourniture, l’installation et l’expérimentation de petits équipements avec les ménages suscitent l’intérêt.
16Une intervention sociotechnique « concrète » favorise la transmission de messages et de conseils pratiques. L’intervention auprès des ménages suppose une appréhension « large » des situations pour, autant que possible, mettre en œuvre une approche globale au regard des problèmes sociaux, professionnels, familiaux… vécus par les ménages. Finalement, lorsqu’une personne a bénéficié d’une action qui a porté ses fruits (réduction de la facture, amélioration du confort), celle-ci exprime souvent une demande forte : celle d’être « accompagnée ». Cela suppose des visites successives, un suivi et un accompagnement dans de multiples démarches.
Le SLIME : un Service Local d’Intervention pour la Maîtrise de l’Énergie
17En septembre 2009, il a été demandé aux équipes lauréates du programme PREBAT de faire remonter des propositions au Groupe de travail national sur la réduction de la précarité énergétique mis en place dans le cadre du Plan Bâtiment Grenelle et présidé par Philippe Pelletier8. Le Comité de pilotage de notre étude, composé de chercheurs et de techniciens du secteur social et du bâtiment, a proposé un cadre opératoire standard et innovant dans l’objectif d’identifier et traiter massivement et de manière très réactive les situations des ménages qui ont des difficultés avec l’énergie, mais aussi de mobiliser les partenaires compétents et d’être à l’écoute des « donneurs d’alerte ». Le Service Local d’Intervention pour la Maîtrise de l’Énergie (SLIME) a ainsi été conçu selon quatre principes :
- Pragmatisme et faisabilité : privilégier une organisation proactive capable de prévenir, d’anticiper et de traiter rapidement les situations, de mobiliser les partenaires compétents et d’être à l’écoute des multiples « donneurs d’alerte ». Le dispositif ne vise pas à traiter le bâti, ni à régler les problèmes financiers, ni à assister les ménages, ni à se substituer aux obligations des bailleurs défaillants. Il consiste à améliorer le confort, rendre le logement plus sain, améliorer les conditions de vie pour que les ménages se réapproprient le logement, voire leur vie.
- S’affranchir des définitions a priori de la précarité énergétique : les situations des ménages renvoient à des équilibres instables et complexes. Il est difficile de caractériser les situations via une définition stricte de ce que pourrait être la précarité énergétique. Ce n’est qu’à partir d’un premier diagnostic de la situation socio-résidentielle que l’on peut caractériser les problèmes et envisager un traitement adapté. Une approche ouverte, sans définition a priori de la précarité énergétique, laisse la possibilité de prendre en compte toutes les situations de « mal-être habitationnel » qui peuvent, ou non, orienter vers une prise en charge spécifique.
- Déconnecter l’intervention sociotechnique du cadre de l’action sociale. En effet, la prise en charge de la précarité énergétique par les seuls acteurs de l’Action sociale pose plusieurs inconvénients : assimiler les problèmes énergétiques à des problèmes sociaux, restreindre le champ d’identification et de signalement, en faire une nouvelle attribution du travail social déjà largement saturé, introduire des effets de stigmatisation et laisser en marge les plus réfractaires au travail social.
- Un dispositif articulant trois niveaux d’intervention. Chaque situation de précarité énergétique implique des niveaux de difficultés imbriqués qui renvoient à différents types d’interventions, d’actions et compétences. Le SLIME est un dispositif territorialisé capable d’appréhender cette complexité « stratifiée ».
18– Le niveau « micro » est incarné par une Équipe Légère d’Intervention Rapide (ELIR) pour un repérage systématisé et un traitement rapide des situations lors d’une visite à domicile. Ce niveau micro doit être déconnecté de l’action sociale et reposer sur une structure de portage qui pilote l’ELIR (à l’instar du dispositif mis en place au Québec ou sur le modèle des ambassadeurs de l’énergie). L’ELIR est composé d’un ou deux sociotechniciens. Ils doivent appréhender l’équilibre sociotechnique des situations, définir et hiérarchiser les solutions à apporter.
19Ce niveau « micro » permet d’établir une relation symétrique (proximité sociale, empathie) avec les ménages, ce qui favorise la compréhension et la prise de conscience, mais aussi permet de rendre aux gens la compétence pour maîtriser leurs consommations d’énergie. Ce niveau d’intervention repose ainsi sur l’intelligence du social pour définir et hiérarchiser les problèmes à traiter. Dans les cas légers, l’ELIR dispose d’une trousse d’intervention pour sensibiliser le ménage et équiper le logement de petits matériels économes (douchettes, mousseurs, lampes basse consommation, thermomètre, etc.). Pour les cas les plus lourds, l’ELIR oriente les ménages vers des intervenants plus spécialisés et/ou vers les niveaux méso ou macro du dispositif.
À ce niveau d’intervention, se pose la question du signalement des ménages en difficulté. Les donneurs d’alerte sont multiples, il peut s’agir des travailleurs sociaux, des commissions FSL, des infirmières, des aides à domicile, des associations caritatives, ou encore des familles ou des voisins des personnes en difficulté. Ces donneurs d’alerte doivent pouvoir s’adresser à un service dédié afin de « faire connaître » les situations de précarité énergétique. L’idée est donc de mettre en place une plateforme qui centralise les signalements pour renvoyer les ménages aux intervenants compétents. Un numéro vert (avec un intitulé non stigmatisant du type « ligne énergie info ») peut-être mis en place pour joindre cette plateforme.
20– Le niveau « méso » renvoie à un traitement à moyen terme (petits travaux) par un Socio Technicien Spécialisé (STS). Il s’agit de prendre en charge les problèmes des ménages qui ne peuvent pas être résolues par une action ponctuelle et qui demandent l’instruction de dossiers (impayés d’énergie, dettes, diagnostics économiques et sociotechniques) ou un accompagnement plus spécifique pour mettre en œuvre un projet d’amélioration de l’habitat.
21– Le niveau « macro » oriente vers les dispositifs et les programmes d’action pour un traitement de fond des situations. Il s’agit notamment d’accompagner les ménages dans des procédures parfois complexe des programmes de rénovation énergétique de l’habitat.
Niveau d’intervention | Intervention | Outils mobilisés |
Micro : | Disjointes de l’action sociale. | Diagnostic léger : identification des problèmes à l’aide d’une check list. |
Méso : | Compétences sociales et techniques | Diagnostic thermique instrumenté (mesurer, évaluer) |
Macro : | Mobilisation des dispositifs existants pour rénover, réhabiliter les logements | Dispositifs financiers (ANAH, Région…), PST, OPAH, AIVS… |
Tableau 1. Synthèse du mode opératoire standard.
L’expérimentation du SLIME dans le département du GERS
22En tant que co-concepteur du SLIME, le conseil général du Gers a souhaité expérimenter le dispositif sur son territoire de manière à proposer une évolution de son Action Insertion Énergie, à s’investir dans la prévention et apporter de meilleures réponses aux besoins des ménages en difficultés, mais aussi à formaliser son programme départemental de lutte contre la précarité énergétique en partenariat avec l’État et l’ensemble des partenaires du FSL. L’enjeu est de répondre aux nécessités auxquelles le PDALPD et le FSL sont confrontés, c’est à dire apporter une réponse rapide et efficace aux ménages en difficulté ainsi que contribuer à l’amélioration globale de l’état du parc de logements privés en aidant les propriétaires occupants à revenus modestes et les propriétaires bailleurs à mobiliser les aides existantes en terme de rénovation thermique, dans une approche respectueuse de l’environnement.
Le GerSlime ou la traduction locale du SLIME
23Un travail de validation et de définition des conditions et modalités pratiques de mise en œuvre du SLIME dans le Gers a été engagé en 2010. Les élus, les partenaires de l’énergie, de l’action sociale et du logement, ainsi que les acteurs de terrain se sont montrés fortement demandeurs de ce type d’action et ont exprimé leur souhait de s’investir dans sa mise en œuvre dans le cadre d’une démarche participative.
24Le dispositif expérimental, porté par le conseil général du Gers dans le cadre du FSL, est soutenu par la CAF, la MSA, EDF, l’ADEME, la Fondation Abbé Pierre. Dans le cadre de la mise en œuvre du GerSlime, les interventions rapides et les conseils en maîtrise de l’énergie sont assurés par deux techniciens et une conseillère en économie sociale et familiale de l’association Revivre (niveau micro). En complément, le cabinet Gascogne Énergie Conseil réalise des diagnostics thermiques avec préconisation de travaux qui peuvent être financés en partie par le dispositif (niveau méso-macro). L’expérimentation, prévue pour une période de trois ans, couvre une trentaine de communes du territoire rural de la Communauté de Communes du Bas Armagnac qui compte environ 3.700 ménages. Ce secteur géographique a été retenu car il concentre une population modeste, des logements anciens et dispersés, mais aussi parce qu’une Opération Programmée d’Amélioration de l’Habitat (OPAH), complémentaire aux actions du SLIME, y est menée. Le GerSlime est entré dans sa phase opérationnelle en octobre 2011 dans l’objectif de visiter 500 ménages par an à travers une intervention rapide. Il vise à :
- Améliorer le confort et les conditions de vie au sein du logement par des actions concrètes et du conseil (astuces, pose de petits équipements économes), afin de gagner quelques degrés, réduire le montant des factures, rendre les logements plus sains, rétablir certaines fonctionnalités de l’habitat, etc. ;
- Développer une culture de la maîtrise de l’énergie : suivi des consommations, gestion du budget, choix et utilisation de matériaux et d’équipements respectueux de l’environnement, connaissance de gestes économes ;
- Conseiller et orienter les ménages vers les dispositifs existants, les impliquer et les accompagner dans une démarche de projet qui laisse une large part à l’auto réhabilitation et, pour les locataires, dans la négociation avec le propriétaire.

Schéma 2. Schéma de fonctionnement du GerSlime.
25Le GerSlime se veut être un dispositif simple, souple et réactif. Un accueil téléphonique est assuré pour programmer au plus vite une visite à domicile. D’abord pris en charge par le secrétariat du PDALPD, cet accueil téléphonique est maintenant confié au secrétariat de l’Association Revivre. Cette visite permet de réaliser un premier diagnostic sociotechnique, d’installer de petits équipements économes, de donner des conseils pratiques voire de proposer un accompagnement personnalisé sur la durée, mais aussi de constituer un dossier qui est examiné lors de Comités techniques où sont présents les membres et partenaires du dispositif.
26Le service est gratuit et s’adresse à tous les propriétaires occupants ou les locataires qui ont un logement mal isolé, des factures d’énergie trop élevées, des difficultés à se chauffer, des problèmes pour gérer le budget énergie et eau. Le dispositif s’adresse à tous les ménages en situation de précarité énergétique, quel que soit leur statut d’occupation. Néanmoins, l’enjeu étant de toucher les personnes qui « souffrent en silence » ou qui ne connaissent pas ou qui n’ont pas le réflexe de mobiliser les dispositifs d’aide existants, il est impératif que le dispositif soit connu par les donneurs d’alerte potentiels du territoire, c’est-à-dire les personnes ou organismes susceptibles de repérer les ménages et de les orienter vers le GerSlime : mairies, services d’aide à domicile, médecins, infirmiers, associations, travailleurs sociaux, les ménages eux-mêmes sont des donneurs d’alerte.
Un premier bilan des actions menées dans le Gers
27Au total, plus de 260 demandes ont été enregistrées entre début octobre 2011 et fin mai 2014, ce qui fait une moyenne de 8 demandes environ par mois depuis le démarrage du dispositif. L’action du GerSlime touche ainsi une centaine de ménages par an, ce qui est loin de l’objectif initial espéré (500 ménages), mais représente au total plus de 7 % des ménages du territoire. Rappelons néanmoins que l’Action Insertion Énergie, l’ancien dispositif en matière de précarité énergétique, engrangeait entre 30 et 50 cas par an.
28Au fil du temps, on a observé des pics d’activité (en hiver) et des périodes de creux (en été ou lorsque les températures extérieures sont clémentes par rapport aux normales saisonnières). On remarque aussi que le nombre de demandes a pu bondir lorsque le conseil général a lancé des campagnes de promotion du GerSlime (affiches, flyers, réunions publiques, articles de presse, bouche à oreille). Notons également que des ménages ont bénéficié du dispositif dans l’ensemble des Communes du territoire expérimental. Toutefois, 70 % des demandes proviennent des quatre Communes les plus peuplées du territoire (entre 1000 et 3500 habitants). Les autres Communes pourvoyeuses de demandes, plus petites, sont typiques du territoire (entre 100 et 200 habitants) : on y recense entre 1 et 4 demandes d’intervention.
Les visites à domicile
29Toutes les saisines ont donné lieu à une visite de l’équipe d’intervention rapide qui se présente au domicile des ménages en moyenne 10 jours après l’appel téléphonique. Cette réactivité est très appréciée par les ménages. Les visites de l’ELIR durent entre deux et trois heures. L’accueil est toujours très favorable, signe d’attentes fortes. Systématiquement, des petits équipements économes sont installés, avec discernement, lorsque c’est nécessaire : ampoules basse consommation, économiseurs d’eau, joints d’étanchéité… De même, des conseils et des brochures sur les « éco-gestes » sont systématiquement donnés par l’ELIR pour sensibiliser à mieux maîtriser les consommations. Lorsque c’est possible, de petits bricolages sont réalisés sur place, parfois lors d’une seconde visite : réparation d’une porte ou d’une fenêtre par exemple.
Le repérage des ménages
30Depuis le lancement du GerSlime, la plupart des demandeurs sont déjà connus et suivis par les services sociaux qui les ont orientés vers le dispositif. L’essentiel des appels concerne des personnes orientées par le secrétariat ou les travailleurs sociaux de l’UTAS de la plus grande ville de la Communauté de Communes du Bas Armagnac (la ville de Nogaro concentre les deux tiers des bénéficiaires). Dans 9 % des cas, les bénéficiaires du GerSlime ont connu le dispositif par les acteurs qui mettent en œuvre le GerSlime (Association Revivre, CESF, Service de lutte contre l’exclusion du conseil général) ou via les campagnes de communication et de publicité (affiches, flyers, réunion publique). Précisons que les ménages qui ont connu le dispositif via les flyers ou les affiches publicitaires sont généralement des propriétaires qui ont des projets d’amélioration de l’habitat. Avec le temps, d’autres relais ont permis de repérer les situations de précarité énergétique. D’une part, dans 12 % des cas, les demandeurs ont connu le GerSlime par le bouche à oreille. Le plus souvent, ce sont des personnes qui, ayant bénéficié de l’intervention, l’ont conseillée à des membres de leur famille, à des amis ou à des voisins. Ou encore, il s’agit de personnes qui, connaissant l’existence du GerSlime (aide à domicile, propriétaire bailleur du logement), l’ont conseillé à des ménages dont ils savaient les difficultés. D’autre part, dans 12 % des cas, les bénéficiaires ont connu le GerSlime par des structures locales avec lesquelles les ménages sont en relation (Resto du cœur, ADIL, UDAF, Mairies, etc.). Au total, un quart des ménages (24 %) a été repéré grâce aux « promoteurs de l’action » que sont les gersois et les quelques partenaires associatifs ou institutionnels du GerSlime.
Le principe de déconnecter l’action du dispositif des services sociaux n’est que partiellement mis en œuvre tant les opérateurs sont encore dépendants des travailleurs sociaux pour entrer en contact avec les ménages en difficulté. L’enjeu de développer le réseau de « donneurs d’alerte » persiste car l’objectif est de voir la proportion de ménages repérés par les « partenaires locaux » augmenter, tout comme le nombre de ménages visités chaque année.
Le profil des bénéficiaires
31Le public touché est composé de personnes seules généralement âgées et à la retraite (environ 30 % des cas), de couples qui ont entre un et cinq enfants (environ 30 %), de familles monoparentales dont l’adulte de référence est le plus souvent une femme (environ 25 %), de couples sans enfant (environ 10 %) et de couples qui vivent avec des parents ou des amis (environ 5 %). Environ 60 % des bénéficiaires ont des revenus mensuels inférieurs ou égaux à 1000 €. Il s’agit de ménages issus des classes populaires qui vivent avec de petites retraites, qui touchent les minimas sociaux (RSA, CAF, AAH, etc.) ou perçoivent des allocations chômage. Parmi les 40 % de ménages restants, un peu plus de la moitié a un revenu mensuel compris entre 1000 et 1500 €, ce qui reste un revenu modeste lorsque le ménage comprend plus de deux personnes. Le GerSlime intervient aussi auprès des classes moyennes inférieures : 20 % des ménages qui ont bénéficié du dispositif ont un revenu égal ou supérieur à 1500 € par mois, et 12 % ont des revenus plus élevés. Il s’agit alors de salariés en activité ou de personnes qui touchent une retraite confortable.
32Les bénéficiaires du GerSlime sont majoritairement locataires de leur logement (69 %). Les demandeurs qui vivent en appartement sont tous locataires et ceux qui sont propriétaires vivent tous dans une maison individuelle. Les demandes concernent majoritairement des maisons individuelles ou mitoyennes (dans plus de 70 % des cas), ce qui semble logique compte tenu des caractéristiques de l’habitat dans le département du Gers, composé pour l’essentiel de maisons ou de fermes parfois isolées, les logements collectifs sont relativement peu nombreux et concentrés dans les bourgs importants. Les locataires en difficulté occupent en grande majorité des logements du parc privé (environ 80 %). On les retrouve aussi dans le parc HLM (environ 17 %) et dans le parc communal (environ 5 %). La part de propriétaires parmi l’ensemble des demandeurs est celle qui a connue la plus forte évolution entre 2012 et 2013 (de 23 à 30 % des bénéficiaires). Le dispositif a également été sollicité par des personnes hébergées à titre gratuit ou bien usufruitières de leur logement. Cela confirme que la précarité énergétique se situe dans tous les types de logement et n’épargne aucun statut d’occupation. Toutefois, les équipes du GerSlime interviennent surtout dans l’habitat privé.
Les problèmes à traiter
33Le plus souvent, les ménages vivent dans des logements vétustes. Les problèmes d’inconfort sont les plus fréquents, exprimés dans au moins la moitié des cas. La plupart des ménages vivent dans des logements construits entre les années 1950 et les années 1970. Moins souvent, il s’agit de vieilles bâtisses du xviiie siècle ou à l’inverse de logements des années 1980. Le mauvais état du bâti, parfois proche de la vétusté voire de l’indignité, est une constante : absence ou mauvais état de l’isolation, de la couverture et des ouvrants, défaillance ou inadaptation des modes de chauffage, humidité… De nombreux ménages sollicitent le dispositif peu après être arrivés ou juste avant d’entrer dans leur logement. Il s’agit en quelque sorte de trouver des solutions pour améliorer un bâti ou des équipements dont on a éprouvé les limites, ou bien, pour ceux qui vont emménager dans leur logement, il s’agit d’anticiper le paiement des factures à venir. En effet, le premier hiver dans un logement vétuste est parfois redoutable du point de vue du confort et des factures lorsqu’on n’a pas encore l’expérience de l’efficience thermique du logement.
34Sans surprise, les difficultés à régler les factures d’énergie sont assez généralement associées à l’inconfort thermique, inhérent au mauvais état du bâti ou des installations de chauffage ou d’ECS. Il n’est pas rare que le montant des factures soit disproportionné compte tenu du type d’habitat (des petites surfaces par exemple), du niveau d’équipement des ménages (peu d’appareillage énergivore) ou encore compte tenu des pratiques énergétiques des ménages (souvent économes). Seules quelques bénéficiaires convoquent le GerSlime pour des raisons financières (sans problème de confort). Ce sont des ménages qui éprouvent des difficultés pour gérer/boucler leur budget. Il s’agit dans ces cas-là de les aider à faire face à des impayés ou des dettes par la mise en place d’un accompagnement social et technique.
35Les propriétaires occupants ont plutôt tendance à solliciter le GerSlime pour des projets de travaux. Ces ménages ont besoin d’un diagnostic et de conseils techniques, mais aussi d’informations sur les aides et dispositifs existants pour des travaux de rénovation en manque ou en panne de financement, laissant certains de ces propriétaires dans une situation résidentielle difficile voire précaire.
36La visite de l’ELIR a parfois permis d’identifier d’autres problèmes, non mentionnés ni même perçus par les demandeurs : systèmes électriques hors normes, problèmes de sécurité de certains équipements (balustrade). Dans plusieurs cas, les demandeurs pourraient réaliser eux-mêmes les travaux nécessaires, ils y sont disposés, mais manquent de moyens financiers pour l’achat des matériaux ou de conseils techniques. De même, depuis que le GerSlime est en activité, sont apparues spécifiquement des demandes de conseils pour adopter ou confirmer des pratiques domestiques favorisant la maîtrise de l’énergie.
L’orientation des bénéficiaires
37Un quart des ménages a été orienté vers l’OPAH afin que l’animateur (le bureau d’études Altaïr) puisse examiner la faisabilité du montage du dossier des ménages en vue de financer des travaux d’amélioration de l’habitat dans le cadre du programme « Habiter mieux ». Une telle orientation concerne évidemment les propriétaires occupants, mais aussi quelques locataires dont le bailleur pourrait s’inscrire dans le programme. Une telle orientation révèle par ailleurs l’ampleur des travaux qui sont nécessaires pour traiter les situations.
38En complément d’une orientation vers l’OPAH pour régler les situations d’urgence et dans les cas où une telle orientation n’était pas utile ou possible (ménages propriétaires non éligibles), certains dossiers bénéficient d’un accord financier du GerSlime ou d’un engagement du bailleur pour la réalisation de travaux. Le financement de petits travaux renvoie essentiellement à l’achat et à la pose d’isolant, au financement ou au prêt d’un système de chauffage. Dans une dizaine de cas, le thermicien de Gascogne Énergie Conseil a réalisé un diagnostic thermique pour à la fois caractériser l’état du logement, préconiser des projets de travaux d’un point de vue technique et financier, mais aussi pour appuyer/étayer le travail de médiation auprès des bailleurs.
39Un accompagnement social par la CESF a été préconisé dans une quarantaine de cas pour aider les ménages à mieux anticiper le paiement des factures et à mieux gérer leur budget et leurs consommations d’énergie et d’eau. Il s’agit aussi de négocier avec le fournisseur d’énergie un échelonnement de la dette. Lorsqu’elle est missionnée, la CESF réalise également une visite à domicile. De manière plus ponctuelle, sous la tutelle de la CESF, ont été préconisées des orientations vers l’ADIL (pour mieux connaître le droit au logement), le fournisseur d’énergie (pour un changement d’abonnement), l’Espace Info Énergie (conseils en matière de travaux ou d’équipement) ou encore l’UTAS (pour tout accompagnement social non directement lié au dispositif). La question du relogement ou du déménagement est en effet fréquemment évoquée.
Le point de vue des partenaires locaux
40Une enquête qualitative a été menée entre 2012 et 2013 auprès des opérateurs et partenaires du GerSlime (membres du Comité technique et du Comité de pilotage, ainsi que les principaux donneurs d’alertes) de manière à mieux connaître leur implication dans le GerSlime et leurs perceptions de celui-ci. De manière spontanée, le dispositif est jugé pertinent par l’ensemble des personnes interrogées compte tenu des problèmes rencontrés par les gens qui vivent la précarité énergétique. Le caractère « personnalisé » et « concret » de l’action est particulièrement apprécié. Néanmoins, les partenaires locaux considèrent que la notion de précarité énergétique, encore largement employée dans le cadre du GerSlime, est à proscrire. Celle-ci renvoie indirectement au travail social et donc ne permet pas de réellement déconnecter l’action sociale de la précarité énergétique.
41L’enquête révèle aussi que la notion de « donneur d’alerte » est à relativiser car les acteurs interrogés se perçoivent surtout comme des « relais d’information » (au mieux, ils informent le public que le GerSlime existe, qu’il fonctionne de telle ou telle manière en proposant telle ou telle solution). En effet, les partenaires se disent déjà très pris par leurs propres activités, ce qui rend le travail de donneur d’alerte impossible (c’est à dire, prendre le temps de diagnostiquer la fragilité sociotechnique de la situation des ménages pour ensuite créer un lien entre le public et le dispositif). Toutefois, ces partenaires connaissent bien leurs publics et sont généralement en capacité d’identifier les situations de précarité énergétique : encore faut-il aller vers eux pour glaner les cas.
L’évaluation approfondie du dispositif
42Un travail de suivi a été réalisé depuis la mise en route du GerSlime. L’évaluation finale, actuellement en cours de réalisation, vise à tirer les enseignements de l’action expérimentale pour identifier les conditions de généralisation et de transférabilité du dispositif à l’ensemble du territoire du Gers, voire à d’autres Départements. Les résultats de l’évaluation seront disponibles en 2015.
43L’enjeu de l’évaluation est de déterminer les impacts des réalisations (à travers les visites, les travaux, les modes d’accompagnement, les coûts engagés, les compétences mobilisées, les difficultés rencontrées) ainsi que les résultats de l’action (les effets sur les modes de vie et d’habiter, sur la gestion du budget, sur la culture en termes de maîtrise de l’énergie, etc.). Il s’agit de savoir dans quelle mesure et à quelles conditions le GerSlime peut permettre : d’amener les gens en difficulté à mieux anticiper leurs factures d’énergie et d’eau ; de réduire le nombre de demandes d’aides au Fonds Solidarité Logement ; ou encore, de réduire le budget du conseil général en termes d’aides sociales. Un tel exercice suppose d’analyser finement le fonctionnement du dispositif et les modes de réception de celui-ci par les bénéficiaires. L’objectif est de pouvoir mesurer et valoriser les différents gains (qualitatifs et quantitatifs) générés par la mise en œuvre du GerSlime.
Le programme national SLIME
44Afin d’aider les familles en situation de précarité énergétique, l’État, via l’ANAH, a mis en place le programme « Habiter Mieux », qui doit permettre la réalisation de 300 000 chantiers d’amélioration de l’habitat, soit moins de 10 % des ménages en situation de précarité énergétique. Ce programme reconnaît et prévoit le besoin d’accompagnement de ses cibles : les propriétaires occupants. Les premiers constats sur le démarrage du programme montrent la sous-évaluation du besoin d’accompagnement et appellent la mise en place de dispositifs complémentaires qui s’adressent à d’autres publics impactés par la précarité énergétique (propriétaires bailleurs, locataires, copropriétés) et apportent des solutions d’économie d’énergie immédiates (écogestes et pose de petits équipements), en amont des gros travaux financés par le programme « Habiter Mieux ». En complément et en appui du programme « Habiter Mieux », les questions de la détection et du premier contact avec l’ensemble des ménages concernés apparaissent essentielles. Le Service Local d’Intervention pour la Maîtrise de l’Énergie apparaît donc comme une voie intermédiaire qui complète le programme « Habiter mieux », mais aussi, qui permet de résoudre des situations d’urgence.
45Depuis 2013, les SLIME sont éligibles aux Certificats d’Économie d’Énergie (CEE), dans le cadre d’un dispositif national porté par le CLER. Le programme SLIME vise la détection et le premier contact avec les ménages en situation de précarité énergétique, pour amorcer avec eux un travail autour de la notion de « mieux vivre » et pouvoir envisager des pistes durables de sortie de la précarité énergétique. Le programme a défini un ensemble de critères pour que les dispositifs candidats puissent prétendre à bénéficier d’un financement via les CEE :
- Être financé ou cofinancé par une collectivité territoriale.
- Expliciter les critères retenus pour définir le public cible.
- Réaliser a minima une visite à domicile pour établir un diagnostic sociotechnique de la situation.
- Distribuer et installer de petits équipements permettant des économies d’énergie et d’eau, et/ou améliorer le confort.
- Orienter les ménages vers les dispositifs locaux et/ou nationaux de lutte contre la précarité énergétique.
- Systématiser la détection des situations de précarité énergétique, avec un objectif de visites à domicile de 1 ménage pour 1.000 pour un SLIME porté par une collectivité infrarégionale et 2 pour mille pour un Conseil régional.
46En outre, un SLIME intègre systématiquement des actions de communication à destination des ménages, la mobilisation d’un réseau de « donneurs d’alerte » et l’établissement d’un partenariat entre les différents acteurs locaux qui peuvent proposer des solutions durables aux ménages (programme « Habiter mieux », fonds d’aide aux travaux, médiation et aides sociales, traitement du logement indigne…).
47Un SLIME constitue en quelque sorte un « guichet unique » local de prise en charge de toutes les situations de précarité énergétique, quel que soit le statut d’occupation. Début 2014, 11 SLIME ont été retenus par le CLER : 5 sont portés par des conseils généraux, 4 par des communautés de communes et 2 par des métropoles régionales. Les 11 territoires correspondants représentent un million de ménages. Les dispositifs prévoient près de 2.200 visites à domicile, soit 2 ménages pour mille de la population couverte. Par ailleurs, on estime qu’une quarantaine de dispositifs de type SLIME ont été mis en place sur le territoire national, avec des configurations et des territoires très variés.
Conclusion
48Le SLIME est pour l’instant une démarche expérimentale. Pourtant, les dispositifs de visite à domicile pour réduire la précarité énergétique se sont multipliés ces toutes dernières années, à l’échelle de territoires restreints, en s’inspirant du SLIME qui est devenu un modèle générique. Les expériences en cours concernent tant les zones rurales qu’urbaines. Tous ne sont pas au même niveau de maturité, tous n’ont pas la même efficacité, tous ne fonctionnent pas avec les mêmes supports, ni les mêmes ressources et les mêmes compétences. Tous tentent d’échapper au piège de l’opération purement curative qu’il faut sans cesse renouveler d’une année sur l’autre sans que la situation des ménages ne se soit réellement améliorée. L’accent est mis sur les liens forts et de proximité, jugés plus efficaces pour autant que la proximité conforte l’engagement. Les bénéfices attendus pour les familles sont de plusieurs ordres :
- Des économies directes (énergie, eau, facture, etc.).
- La prise de conscience et l’amélioration des pratiques de consommation.
- L’entrée dans une démarche de suivi pouvant conduire à la réalisation de travaux.
- L’information et l’accès aux droits (aides sociales, droit lié au logement, etc).
49Beaucoup de modalités d’organisation sont donc possibles et ont été expérimentées, sans que l’on en saisisse encore bien les formes et les impacts sur le fonctionnement et l’efficacité des dispositifs :
- Les partenariats constitués s’organisent sur la base des histoires et des dynamiques locales.
- Les personnes recrutées ou mobilisées pour réaliser les visites à domiciles sont employées selon des modalités différentes et mobilisent donc des compétences et des besoins de formation différents. Il peut s’agir de techniciens qualifiés (type thermicien) salariés en contrat “classique”, de salariés en contrat d’insertion, de volontaires du service civique (sur un sujet plus large que la précarité énergétique) ou encore de salariés issus des services à la personne.
- Ces « conseillers en énergie à domicile » sont également employés par des structures diverses : associations, collectivités locales, entreprise d’insertion…
- La méthodologie d’intervention mise en œuvre sur place lors de ces visites ainsi que les suites proposées aux ménages dépendent largement du profil initial des conseillers à domicile et des partenaires mobilisés.
50Les premiers retours d’expérience montrent que le fonctionnement et l’efficacité des programmes de réduction de la précarité énergétique de type SLIME (qu’il soit national ou déployé sur des territoires plus circonscrits), reposent principalement sur trois éléments centraux :
- La détection des ménages susceptibles de bénéficier des services proposés par le programme.
- Le mode de gouvernance du dispositif et le financement.
- L’organisation et la méthodologie de mise en œuvre des visites à domicile.
51Ils montrent également qu’une visite à domicile est indispensable pour qualifier la situation des ménages qui rencontrent des difficultés liées à l’énergie dans leur logement. L’organisation systématique d’une telle visite permet d’établir un premier contact “sur mesure” avec ces ménages avant de pouvoir les engager dans tel ou tel programme d’accompagnement plus poussé. La mise en place d’un SLIME sur un territoire donné permet de faciliter la détection de ces ménages.
52Le SLIME n’est pas un dispositif qui permet à lui seul d’assainir le marché du logement en amont d’une mutation (mise en location, achat, héritage). Compte tenu des enjeux, il semble nécessaire d’envisager des opérations de sensibilisation des bailleurs ou des vendeurs probablement via un savant mélange d’incitations et d’obligations. Cela pourrait passer par le développement de l’étiquetage énergétique obligatoire, assorti d’une interdiction de vendre ou/et de louer les logements F/G/H, ainsi que les logements taxés d’insalubrité.
53La récente création de l’Observatoire National de la Précarité Énergétique devrait permettre, à terme, de mieux cerner la diversité du phénomène de précarité énergétique et ses évolutions, et d’assurer un meilleur suivi des actions et des initiatives locales. L’évaluation du GerSlime, actuellement menée dans le Gers, est aussi l’occasion d’élaborer une batterie d’indicateurs quantitatifs et qualitatifs afin de mesurer finement l’impact de ce type de dispositif sur les situations de précarité énergétique. Les résultats de cette évaluation pourront alimenter le travail réalisé dans le cadre de l’observatoire national et du CLER.
Notes de bas de page
1 Conférence environnementale des 14 et15 septembre 2012, Palais d’Iéna. Paris.
2 Programme PREBAT ADEME-PUCA “Réduction de la précarité énergétique”.
3 Comité de Liaison des Énergies Renouvelables
4 Fond de Solidarité Logement.
5 Fonds Solidarité Énergie.
6 Plan Départemental d’Action pour le Logement des Personnes Défavorisées.
7 L’étude comportait un second volet centré sur les ménages, la caractérisation de leur situation sociotechnique, le mode de réception et l’impact des dispositifs dont ils ont bénéficié.
8 Le recours à des visites à domicile est une des 9 recommandations du rapport dît Pelletier (Pelletier Philippe, De Quéro Alain, Lapostolet Bertrand (dir.), Rapport du Groupe Précarité énergétique du Plan Bâtiment Grenelle, La Documentation française, 2010.)
Auteurs
Sociologue ; bureau d’études BESCB. Maître de conférences associé à l’Université Toulouse II, il est coresponsable du Master « Politiques Environnementales et Pratiques Sociales ». Il est président du Comité de recherches 16 « Sociologie professionnelle » de l’Association Internationale des Sociologues de Langue Française. Il travaille essentiellement sur les questions d’énergie avec une approche sociotechnique centrée sur l’analyse des pratiques sociales, des techniques, de l’innovation et des professions, notamment dans le secteur du Bâtiment.
Sociologue au BESCB, chargé de cours à l’Université de Toulouse 2. Il travaille essentiellement sur les questions d’énergie avec une approche sociotechnique centrée sur l’analyse des pratiques sociales, des techniques, de l’innovation et des professions, notamment dans le secteur du Bâtiment.
Professeur de sociologie, à l’université de Toulouse II, membre du laboratoire CERTOP (UMR 5044 du CNRS) au sein duquel elle copilote le pôle PEPS (Politiques Environnementales et Pratiques sociales). Ses recherches portent sur les dispositifs sociotechniques et les conditions du changement social. Elle interroge les modes de réception des politiques publiques environnementales et les résistances aux innovations technologiques et sociales. Elle a notamment une expertise sur les questions du bâtiment-économe (éco-matériaux, basse consommation, formation des professionnels, multi-métiers, rôle des élus), de la précarité énergétique, de l’autonomie énergétique des territoires isolés et des équipements et dispositifs contribuant aux économies d’énergie (smarts meters, LBC, étiquette énergie, EnR, altermobilité…). Elle a été membre des experts du Débat National sur la Transition Énergétique en 2013. Elle a notamment publié en 2010 chez l’Harmattan : « Politiques de Maîtrise de la Demande d’Énergie et résistances au changement. Une approche socio-anthropologique », ainsi que « L’Éducation au Développement Durable, de l’école au campus ».
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