1Représentant à elles seules plus du quart du parc de logements français (27.3 %)1, les copropriétés sont un enjeu incontournable pour parvenir à l’objectif de réduction de 38 % des consommations d’énergie fixé dans le cadre du Grenelle de l’environnement. Or dans ce secteur, la rénovation énergétique se heurte à des difficultés spécifiques. À l’inverse de la maison individuelle ou des logements HLM, les projets de travaux d’amélioration énergétique dans les copropriétés ne reposent pas sur un maître d’ouvrage unique. Ils doivent découler d’une décision collective entre les copropriétaires qui sont généralement peu formés à ces questions et qui ont des profils, des conditions de solvabilité et des intérêts très hétérogènes.

2Certaines copropriétés parviennent toutefois à surmonter ces multiples difficultés et à voter des travaux d’amélioration énergétique. De récentes recherches qui ont étudié ces copropriétés « avant-gardistes » de la rénovation énergétique montrent que leur engagement dans une telle démarche repose avant tout sur l’action volontaire d’un copropriétaire qui joue un rôle de « leader » et qui impulse et porte le projet (Brisepierre, 2011). Ces « leaders énergétiques » « cristallisent l’ensemble des relations autour du projet de transformation de l’immeuble. Ils incarnent le projet aux yeux des autres copropriétaires et assurent la coordination des professionnels. Tous les désignent comme les “référents” de l’immeuble pour le projet d’économie d’énergie. Ce sont eux qui donnent l’impulsion de départ au projet et qui assurent l’essentiel des tâches nécessaires à sa bonne marche » (ibid., p 631).

3Le présent texte s’inscrit dans la continuité de ces travaux. Il s’appuie sur une recherche-action réalisée dans le cadre d’un programme sur « l’amélioration énergétique des copropriétés » lancé en avril 2011, au sein du PREBAT2 par le Plan Urbanisme Construction Architecture (PUCA) du ministère de l’Écologie et l’Agence d’Amélioration de l’Habitat (ANAH). Coordonnée par l’Association des Responsables de Copropriété (ARC)3, l’équipe de recherche associe trois organismes membres de l’association « Planète Copropriété »4 : l’ARC, l’Agence Locale de l’Énergie de l’Est Parisien (MVE) et Habitat et Développement Ile-de-France, opérateur spécialisé dans l’accompagnement de l’amélioration de l’habitat privé existant.

4L’objet de cette recherche-action est de mieux connaître ces « leaders énergétiques », leurs profils et le processus de leur engagement pour aider les professionnels qui accompagnent les copropriétés dans ces démarches de rénovation à repérer ces personnes ressources et à mieux s’appuyer sur elles. Il s’agissait également d’analyser l’action de ces « leaders » pour mettre en évidence les conditions d’une démarche efficace et élaborer des outils méthodologiques reproductibles visant à améliorer l’action des leaders potentiels et des professionnels qui les entourent.

5La recherche-action s’est déroulée en trois volets. Le premier a consisté à repérer les copropriétés pionnières de la rénovation énergétique et à réaliser une quarantaine de questionnaires téléphoniques auprès de leurs « leaders énergétiques ». Le second volet visait à étudier de manière plus approfondie une quinzaine de copropriétés à travers des entretiens, des situations d’observation et des analyses documentaires pour analyser leurs actions concrètes et identifier les facteurs de blocage et de succès. Le troisième volet mobilise les résultats obtenus pour élaborer un guide du « leader énergétique » et tester cet outil auprès d’accompagnateurs et de leaders en devenir ou en échec.

6Après un exposé des résultats de la phase d’identification des copropriétés pionnières de la rénovation énergétique (I), ce texte esquisse le profil de leurs « leaders énergétiques (II). Il pose ensuite un regard critique sur les dispositifs d’intervention publique existants et propose des pistes pour l’action (III).

Les caractéristiques des copropriétés pionnières de la rénovation énergétique

Méthodologie du repérage

7Pour procéder au repérage des copropriétés pionnières des démarches d’amélioration énergétique et avoir une vision la plus élargie possible, nous avons sollicité différents réseaux sur l’ensemble du territoire national : l’Association des Responsables de Copropriété (ARC), les Agences Locales de Maîtrise de l’Energie et du Climat (ALEC) à travers leur fédération nationale (FLAME)5, les Espaces Information Énergie (EIE)6, les organismes professionnels membres de « Planète Copropriété » et les fédérations de syndic7.

8Cette démarche nous a permis d’interroger 41 copropriétés impliquées dans un projet de rénovation énergétique. Ces copropriétés ont été principalement repérées par l’intermédiaire du fichier adhérent de l’ARC et des signalements des conseillers « copropriétés » des ALEC (cf. tableau n^o 1).

9La plupart des 41 copropriétés interrogées se situent en Ile-de-France (80 %)8. Cela tient notamment aux contacts mobilisés par les membres de l’équipe de recherche dont l’activité est essentiellement francilienne.

10Nous avons choisi des copropriétés qui ne font pas l’objet d’une opération publique. Il existe en effet des dispositifs spécifiques d’intervention publique sur les copropriétés visant en particulier les « copropriétés en difficulté » : les Opérations Programmées d’Amélioration de l’Habitat (OPAH) et les Plans de Sauvegarde. Ces dispositifs permettent de subventionner largement les travaux (jusqu’à 80 %) et de missionner des opérateurs spécialisés chargés du « suivi-animation » de l’opération, de l’élaboration du programme de travaux, du plan de financement et du montage des dossiers de subvention pour chacun des copropriétaires. Dans ce cadre, la réalisation d’un audit énergétique peut par exemple être financée à 100 % par les aides publiques. Mais dans ces opérations-là, il n’y a pas toujours de « leader énergétique » et parfois même les copropriétaires élus au sein du conseil syndical ne sont pas associés à la démarche qui peut être entièrement pilotée par l’opérateur et la collectivité locale.

11Les 41 copropriétés interrogées se situent à des degrés d’avancement variés de leur projet de rénovation énergétique. La moitié d’entre elles ont réalisé ou voté des travaux (53 %). L’autre moitié est en phase d’étude des travaux et a voté ou réalisé un audit énergétique (cf. tableau n^o 2).

12Les professionnels qui accompagnent ces copropriétés nous ont indiqué pour chacune d’entre elles, une personne référente identifiée comme le « leader énergétique ». Un questionnaire téléphonique de 45 minutes a été réalisé avec chacun de ces 41 leaders.

Une majorité de grandes copropriétés issues des « Trente Glorieuses »

13Le premier objectif de ce questionnaire était de déterminer si les copropriétés pionnières de la rénovation énergétique avaient des caractéristiques particulières. La réponse est positive. Il s’agit essentiellement de copropriétés construites pendant les Trente Glorieuses : 88 % des copropriétés interrogées ont été construites entre 1945 et 19809. Les deux autres traits particuliers de ces copropriétés pionnières sont liés à cette époque de construction : il s’agit majoritairement de copropriétés de grande taille et dotées de chauffage collectif (71 %). Plus de la moitié des copropriétés interrogées comptent plus de 100 logements (cf. tableau n^o 3), alors que ces grandes copropriétés sont minoritaires sur le territoire national10.

14On peut aisément comprendre pourquoi ce type de copropriété s’intéresse plus que d’autres aux enjeux énergétiques. Construites avant les premières réglementations thermiques de 1974 et de 1982, ces copropriétés sont soumises à d’importantes déperditions thermiques. Elles arrivent aussi à un âge où elles doivent envisager d’importants travaux de remise à niveau de leurs équipements, de leurs réseaux et du bâti. L’installation collective de chauffage peut également produire des problèmes particuliers d’inconfort et de surconsommation (déséquilibres, panne, surchauffe…) qui ne peuvent être résolus qu’à l’échelle collective de la copropriété et non à l’échelle individuelle du logement. La grande taille de ces copropriétés facilite en outre les économies d’échelle, notamment pour la réalisation d’un audit énergétique qui revient moins cher à chaque copropriétaire par rapport à des petites copropriétés.

15On remarque quand même que les copropriétés en chauffage individuel ne se désintéressent pas des problématiques d’amélioration énergétique puisque notre échantillon compte tout de même cinq cas.

Des profils socio-économiques variés

16En revanche, en ce qui concerne les profils socioéconomiques des occupants,11 les copropriétés qui se lancent dans une dynamique d’amélioration énergétique sont très hétérogènes. Contrairement à ce qu’on pourrait peut-être croire intuitivement, il n’y a pas que des copropriétés aisées qui se lancent dans de telles démarches.

17Le graphique 1 montre bien que tous les profils socio-économiques sont également représentés : les copropriétés logeant des populations modestes et des petites classes moyennes (34 %) comme les copropriétés de « classes moyennes » (34 %) et les copropriétés habitées par des classes moyennes supérieures et des populations aisées (27 %).

Une rénovation « patrimoniale » plus qu’énergétique

18Les travaux envisagés ou réalisés par ces copropriétés sont également très hétérogènes. On est loin des « packages » de travaux standardisés que l’on peut trouver dans les scénarios préétablis proposés par certains audits énergétiques. On observe plutôt des projets « sur mesure » adaptés à chaque cas particulier.

19Cette variété des solutions adoptées rejoint le fait que les copropriétés préfèrent échelonner les travaux et les investissements sur plusieurs années au lieu de réaliser d’un seul coup un bouquet de travaux très coûteux. 70 % des copropriétés qui ont voté des travaux ont opté pour des travaux graduels plutôt que pour une intervention générale très circonscrite dans le temps. Il n’y a donc pas vraiment un « avant travaux » et un « après travaux » où la copropriété serait remise à neuve pour plusieurs décennies. Plus qu’un « projet » au sens strict, il s’agit davantage d’amorcer, sur le temps long, un processus continu d’amélioration.

20À travers le témoignage des « leaders énergétiques » interrogés, il apparaît en outre très clairement que l’amélioration énergétique n’est pas la dimension centrale de ces démarches qui répondent avant tout à un objectif plus global d’amélioration patrimoniale. On observe d’ailleurs peu de projets « engagés » au niveau énergétique. Les travaux votés ou réalisés dans ces copropriétés pionnières visent certes à faire des économies d’énergie, mais aucune d’entre elles ne s’est engagée dans un projet ambitieux visant à atteindre des performances susceptibles de prétendre à des labels du type « Bâtiment Basse Consommation (BBC) ».

21Les travaux les plus fréquemment réalisés concernent l’optimisation de l’installation de chauffage (réglages, équilibrage, désembouage, renégociation des contrats). Ces mesures ont un triple avantage : elles sont peu coûteuses, assez faciles à mettre en œuvre et peuvent être très rapidement génératrices d’économies substantielles (jusqu’à 30 %). Elles peuvent à ce titre constituer pour les leaders énergétiques une « première marche » pour faire adhérer les copropriétaires à une démarche plus ambitieuse d’amélioration énergétique (Brisepierre, 2011).

22En seconde position dans la liste des travaux privilégiés, on trouve l’isolation des toitures. Cette intervention est plus onéreuse que les mesures d’optimisation du chauffage, mais elle reste assez facile techniquement à réaliser, surtout sur les toitures-terrasses des immeubles des années 1950-1970. Plus complexes, les isolations de façade et les changements de fenêtres n’arrivent toutefois pas trop loin derrière. Les isolations mises en œuvre sont généralement des isolations par l’extérieur sur des immeubles standardisés des années 1950-1970. Il s’agit le plus souvent d’isolations partielles, appliquées uniquement sur les murs sans fenêtres (pignons).

23Les postes de travaux laissés pour compte sont les travaux qui concernent plus spécifiquement l’amélioration des performances énergétiques : l’isolation des planchers par le plafond des caves (2 copropriétés), l’amélioration de la ventilation (1 copropriété) et l’installation d’énergies renouvelables. L’amélioration de la ventilation ne semble pas très souvent préconisée dans les audits énergétiques. Ce type d’intervention est difficile à mettre en œuvre car il implique de réaliser des travaux dans les logements privatifs.

La protection de l’environnement : une motivation secondaire

24Ces constats rejoignent ceux sur la nature des motivations qui ont conduit ces copropriétés à initier une démarche de rénovation énergétique12 : la maîtrise de l’énergie est une préoccupation secondaire par rapport à la réduction des charges ou au gain de confort. La toute première motivation de ces copropriétés est économique : il s’agit avant tout de chercher à diminuer les factures (23 réponses). Très souvent, l’idée d’une amélioration énergétique est aussi envisagée alors que la copropriété doit répondre à un besoin de réparation (20 réponses) : entreprendre un ravalement, reprendre l’étanchéité de la toiture qui fuit ou changer une chaudière en fin de vie. La dimension énergétique est alors envisagée comme une plus-value à apporter à ces travaux de rénovation et non comme une fin première. Les travaux de maîtrise de l’énergie visent aussi à résoudre une situation d’inconfort ressentie quotidiennement par les résidents, qui ont trop chaud ou trop froid ou qui sont confrontés à des problèmes d’humidité visibles et gênants (14 réponses). L’augmentation des tarifs de l’énergie, interprétée comme un risque pour l’avenir, est aussi un moteur qui pousse les copropriétés à agir en faveur de la maîtrise de leur consommation (11 réponses). Dans ces réponses, les motivations liées à la protection de l’environnement n’arrivent qu’en cinquième position (10 réponses). Les conseils extérieurs (9 réponses) et l’impulsion donnée par un copropriétaire moteur (9 réponses) sont aussi fréquemment évoqués, ce qui confirme bien l’importance du rôle que jouent les « leaders énergétiques » dans ces démarches.

Les copropriétaires « leaders énergétiques »

25Mais qui sont ces « leaders énergétiques » et qu’est-ce qui les motive à s’engager de la sorte en faveur de la copropriété et des économies d’énergie ?

Le positionnement au sein de la copropriété : une nouvelle figure

26Traditionnellement, c’est le président du conseil syndical qui incarne la figure de « leader » dans une copropriété. Or, les leaders énergétiques brouillent cette représentation usuelle. En effet, un leader interrogé sur trois n’est pas président du conseil syndical et deux d’entre eux sont même extérieurs au conseil. Ce constat rejoint les conclusions de G. Brisepierre (2011) : les démarches de rénovation énergétique bouleversent les jeux d’acteurs et les cadres d’organisation formels de la copropriété.

27On observe aussi que les leaders agissent rarement seuls. Si 20 % d’entre eux se décrivent isolés, les autres se disent « entourés » (30 %) ou ont même constitué une équipe « projet » autour d’eux (50 %) qui là encore peut renouveler les frontières et les modes de faire du conseil syndical. La constitution d’un collectif – même restreint – autour d’un ou de plusieurs leaders apparaît comme une condition essentielle pour l’adhésion des copropriétaires au projet : elle représente la garantie que le projet répond bien à un intérêt collectif et non aux intérêts particuliers d’un seul individu dont l’action pourrait paraître autoritaire (Brisepierre, 2011).

Un profil particulier

28On pourrait s’attendre à ce que l’activité très chronophage de leader énergétique ne soit assurée que par des retraités. Mais, en réalité, bien que les plus de soixante ans soient légèrement majoritaires (55 %), les autres classes d’âges sont aussi bien représentées parmi les leaders : 28 % ont entre 36 et 59 ans et 18 % ont moins de 35 ans. Il est aussi à noter qu’un leader sur trois est une femme.

29Les profils socioprofessionnels des leaders sont beaucoup plus homogènes. Alors que les profils socio-économiques des copropriétés qui se lancent dans des démarches de rénovation énergétique sont très variés (cf. supra), leurs « leaders énergétiques » appartiennent eux très clairement aux catégories supérieures. 71 % des leaders sont ou étaient « cadres et professions intellectuelles supérieures »13. Dans les catégories inférieures « employés » et « ouvriers » ne figurent que deux personnes.

30Le profil des « leaders énergétiques » se précise lorsqu’on s’intéresse de plus près à l’activité professionnelle qu’ils exercent ou ont exercée avant leur retraite. La plupart d’entre eux puisent dans leur expérience des compétences qu’ils réinvestissent au service de la copropriété. Nombre d’entre eux sont aguerris aux domaines du bâtiment (30 %), de la gestion financière (29 %) ou de l’énergie (24 %). Deux leaders sur trois exercent ou ont exercé une activité de conduite de projet. Il est aussi intéressant de regarder leur formation initiale. Si tout type de formation peut conduire un copropriétaire à devenir « leader énergétique », on note quand même une surreprésentation des ingénieurs (30 %) qui importent leurs savoir-faire techniques au sein de la copropriété (cf. tableau n^o 6). Ces profils de techniciens peuvent être associés à d’autres profils moins spécialisés et complémentaires au sein de l’équipe en charge du projet de rénovation, notamment sur les aspects liés à la communication14.

Les motivations de l’engagement

31Parmi les six motivations les plus citées par les leaders concernant leur engagement en faveur de l’amélioration énergétique de leur copropriété15, celle qui arrive en tête est d’ordre résidentiel. Leur objectif premier est de valoriser et conserver leur patrimoine (17 réponses). Leur mobilisation en faveur de la maîtrise de l’énergie ne prendrait donc pas nécessairement forme en dehors de leur copropriété, elle s’inscrit au sein de leur trajectoire résidentielle et patrimoniale. Cette démarche ne s’apparente pas à un calcul purement financier : il ne s’agit pas tant pour eux de chercher à faire une plus-value immobilière, mais plutôt de protéger leur bien et leur accession à la propriété contre une potentielle dévalorisation qui pourrait être engendrée par les problèmes techniques de l’immeuble ou l’augmentation des charges.

32La protection de l’environnement – évoquée par moins de la moitié des leaders interrogés – arrive derrière ces préoccupations patrimoniales et au même niveau que le souhait de mettre à profit des compétences professionnelles au service de la copropriété (14 réponses). Tandis que la moitié des leaders témoigne d’un engagement militant en dehors de la copropriété, celui-ci n’est lié à l’écologie que dans un cas sur trois. Le réinvestissement de compétences professionnelles dans la sphère privée de la copropriété, quant à lui, peut correspondre à plusieurs logiques. Certains retraités trouvent ainsi la possibilité de valoriser leur expérience passée et de conserver une forme de reconnaissance tandis que des actifs voient là un moyen d’engager une reconversion professionnelle ou de profiter d’une phase de transition.

33La motivation économique – faire des économies de charges – n’arrive qu’en troisième position, ex-æquo avec le désir d’être actif au sein du conseil syndical (11 réponses). La sixième motivation fréquemment exprimée par les leaders (9 réponses) concerne le plaisir et l’attrait qu’ils ressentent pour toutes les questions liées au bâtiment, à la technique et à l’énergie. Etre leader énergétique peut en effet aussi être un « hobby » pour ceux qui se passionnent pour les systèmes techniques et bâtis. On retrouve ce type de profil de « technophile » dans d’autres initiatives de maîtrise de l’énergie, par exemple chez des dirigeants d’entreprises tertiaires (Dunin et alii, 2011).

Les pistes pour l’action

34La rénovation énergétique des copropriétés est devenue un problème public avec la création en 2009 d’un groupe de travail spécifique – le « chantier copropriété » – dans le cadre du Plan Bâtiment Grenelle et de la préparation de la loi du 12 juillet 2010, dite « Grenelle 2 ». Ainsi inscrit à l’agenda, l’objectif d’amélioration énergétique des copropriétés s’est décliné à travers divers instruments d’action publique. Nous évoquerons ici deux instruments principaux. Le premier est incitatif : il s’agit des aides financières visant à intéresser les copropriétaires aux travaux de rénovation énergétique. Le second s’inscrit davantage sur le registre de la contrainte : la loi Grenelle 2 a imposé à toutes les copropriétés de plus de 49 lots dotées d’un chauffage collectif de réaliser d’ici 2017 un audit énergétique. Ces mesures nationales se révèlent peu adaptées au processus concret que les copropriétés doivent mettre en œuvre pour opérer leur transition énergétique.

Les limites des incitations financières

35Dans la mouvance du Grenelle de l’environnement, différentes administrations16 ont mis en place des aides financières pour inciter les copropriétaires à entreprendre des travaux d’économie d’énergie. Les logiques institutionnelles auxquelles répondent chacune de ces aides rencontrent difficilement les logiques individuelles et collectives qui régissent les copropriétés. Pour justifier la pertinence d’une aide publique attribuée à des propriétaires privés, ces dispositifs d’incitation financière puisent dans deux registres de légitimation : le soutien à l’innovation technique et la protection des copropriétaires les plus modestes. Mais ces catégories d’action publique classiques des politiques du logement, se révèlent peu adaptées au système d’action particulier que représente la copropriété.

36En privilégiant les performances techniques, ces aides restent en effet réservées à des copropriétés qui entreprendraient sur un temps réduit des programmes complets et standardisés (isolation, fenêtres, installation de chauffage, ventilation) ou qui viseraient à atteindre des performances énergétiques ambitieuses (ex : label BBC). Or, ces aides ne rencontrent pas la demande car, comme on l’a vu, les copropriétés préfèrent plutôt voter et financer des travaux « sur-mesure », graduels et échelonnés sur le long terme pour mieux anticiper les risques techniques et financiers. Les aides individuelles attribuées sous conditions de ressources sont également très difficiles à mettre en œuvre car, pour que ces aides puissent faciliter le vote des décisions, il faudrait, en amont de l’assemblée générale, que chacun des copropriétaires – occupant ou bailleur, favorable ou récalcitrant – soit disposé à déclarer ses ressources et à faire la démarche de fournir tous les éléments nécessaires pour estimer les aides auxquelles il pourrait avoir droit.

37Ce travail de simulation des aides nécessite une ingénierie considérable car chaque financeur a tenu à formuler ses propres règles de calcul qui ne sont pas toujours compatibles entre elles : les travaux éligibles, les plafonds de ressources et les modes de définition des performances énergétiques visées varient d’une administration à une autre. Certaines exigent 25 % d’économie d’énergie, d’autres fixent un seuil de 80 kWh/m2/an, d’autres encore demandent à gagner deux classes énergétiques, et toutes ne se basent pas sur les mêmes méthodes de calcul de performance ce qui implique d’utiliser des logiciels informatiques différents et de faire plusieurs fois le travail de simulation… Dans les exemples étudiés, ce sont les « leaders énergétiques » qui se sont chargés de ce travail long et complexe d’estimation des aides et de constitution des dossiers, mais au prix d’un investissement en temps et en compétences qui font douter de la reproductibilité de telles démarches. Les copropriétés peuvent difficilement rémunérer des prestataires extérieurs pour cette tâche, car il est peu aisé de demander aux copropriétaires de participer à une dépense induite par des travaux sur lesquels ils n’ont pas encore statué… En outre, ces aides apparaissent inadaptées aux temporalités de la copropriété, car leurs règles d’attribution peuvent changer d’une année sur l’autre alors que le processus de décision en copropriété prend au moins trois ou quatre ans. Les décisions d’assemblée générale ne peuvent pas s’appuyer sur des montants d’aides fiables. Les copropriétaires peuvent toujours craindre que les subventions attendues au moment du vote n’existent plus l’année suivante lorsque seront réalisés les travaux.

38Devant ces constats, rien d’étonnant à ce que les « leaders énergétiques » interrogés évoquent les aides parmi les principales difficultés qu’ils rencontrent dans leur démarche (12 réponses). On comprend aussi que certaines copropriétés qui ont voté des travaux d’amélioration énergétique aient décidé de se passer totalement des aides, considérant que l’analyse coût-avantage était négative17.

Les limites des audits énergétiques obligatoires

39D’après les premiers retours d’expériences, les audits énergétiques tels qu’ils sont définis par les textes réglementaires18 apparaissent eux aussi avoir un effet limité sur les décisions de travaux. Centrés sur une dimension purement énergétique, ces audits sont souvent éloignés des préoccupations des copropriétaires. Ils se concentrent en effet sur des simulations informatiques visant à estimer la performance thermique théorique des bâtiments et les taux de retour sur investissement des différents postes de travaux à envisager. Or, comme nous l’avons vu, la question énergétique et la rationalité technico-économique sont loin d’être les moteurs premiers de la décision de rénovation dans les copropriétés.

40A contrario, les éléments qui constituent les principales motivations d’un vote de travaux sont peu présents dans les audits. La question du confort et les problèmes vécus par les occupants sont généralement négligés, de même que la dimension patrimoniale ou les questions concrètes de maintenance, de réglage et de gestion du chauffage qui peuvent générer des améliorations rapides nécessitant peu d’investissements.

41Les solutions préconisées par ces audits prennent en outre la forme de scénarios souvent standardisés qui ne prennent pas toujours en compte l’état du bâti et les besoins spécifiques en gros travaux des immeubles audités. Très compétents en matière de simulation énergétique, les ingénieurs thermiciens qui réalisent ces audits ne sont pas des techniciens du bâtiment et s’associent rarement à des architectes. Il n’est pas rare par exemple de voir préconisées des isolations par l’extérieur sur des façades anciennes ou ouvragées qui, techniquement, ne se prêtent pas à ce type d’intervention. Par ailleurs, les bureaux d’études thermiques sont généralement habitués à travailler pour des maîtres d’ouvrage professionnels – bailleurs sociaux, gestionnaires de bâtiment publics, propriétaires d’immobilier tertiaire – qui comprennent leur langage et sont issus de la même culture professionnelle. Intervenir dans une copropriété nécessite pour les ingénieurs thermiciens de s’adapter à un nouveau public non-spécialiste et d’investir du temps et des nouvelles pratiques dans les échanges avec une maîtrise d’ouvrage collective et non experte.

42Ainsi, à moins qu’un leader chevronné ne soit en mesure d’orienter et de « traduire » le travail des ingénieurs thermiciens, les audits énergétiques apparaissent bien souvent aux copropriétaires comme une suite d’équations mathématiques qu’ils peuvent difficilement s’approprier pour prendre des décisions lourdes de conséquences sur l’avenir de leur copropriété. Pour pallier ces défauts, les professionnels regroupés au sein de l’association Planète Copropriété ont mis au point une démarche originale d’audit – « l’audit global partagé » – qui met en avant deux principes fondamentaux19. Le premier est de confier l’audit à une équipe pluridisciplinaire associant les compétences d’un thermicien et d’un architecte afin que soient pris en compte l’ensemble des besoins techniques de la copropriété dans toute leur diversité (bâti, énergie, réseaux, équipements, embellissement…). Le second principe est d’associer activement le conseil syndical et l’ensemble des occupants à la réalisation de l’audit pour qu’il débouche sur des préconisations adaptées et appropriables par les copropriétaires. Plus qu’une étude technique, l’audit global partagé a ainsi vocation à être un instrument de sensibilisation et de mobilisation collective des copropriétaires.

Faire émerger de nouveaux leaders ?

43Qu’il s’agisse des aides financières ou de l’audit énergétique obligatoire, ces instruments d’action publique appréhendent la rénovation énergétique des copropriétés comme la résultante de décisions individuelles qui feraient appel à une rationalité économique et technique. Or, c’est justement cette vision que les recherches sur les « leaders énergétiques » remettent en cause en montrant que la décision de travaux en copropriété repose moins sur une agrégation de choix individuels rationnels que sur la création d’une dynamique d’action collective impulsée et portée par une personnalité ou un groupe moteur. Ce serait donc sur ce type de processus que l’action publique aurait intérêt à se pencher pour soutenir la transition énergétique dans les copropriétés.

44Les aides financières pourraient ne pas être étrangères à ces logiques. On s’aperçoit en effet que certains dispositifs d’aides jouent véritablement un rôle de levier sur la décision de travaux lorsqu’ils s’adressent collectivement au syndicat de copropriété et non à chaque copropriétaire individuellement. C’est le cas par exemple des Certificats d’Économie d’Énergie, cela pourrait l’être s’il existait un Eco-Prêt à taux zéro collectif. Non seulement ces aides collectives réduisent les risques de découragement des leaders en simplifiant les procédures, mais elles contribuent aussi à améliorer la gouvernance des copropriétés en matérialisant l’intérêt commun que partagent les copropriétaires. Au-delà des aides publiques, ce type de dynamique pourrait également être favorisée par certaines mesures législatives telles que l’obligation pour toutes les copropriétés de constituer un « fonds travaux » visant à provisionner régulièrement des petites sommes en anticipation des gros travaux à venir (Braye, 2011, Varenio, 2012, Planète Copropriété, 2013). Cette proposition est actuellement en cours de discussion au sein de la loi pour l’Accès au Logement et à un Urbanisme Rénové (ALUR). Reste aussi posée la question de la reproductibilité à grande échelle des démarches reposant sur l’action de copropriétaires « leaders ». Comment faire émerger de nouveaux « leaders énergétiques » dans les copropriétés ? Et comment rendre leur action efficace ?

45Le développement de postes de conseillers spécialisés dans les copropriétés au sein des Agences Locales de l’Énergie (ALE) et des Espaces Info Énergie (EIE) constitue une première réponse à cette question. Les problèmes propres aux copropriétés ont conduit les conseillers information énergie à inventer de nouvelles pratiques et à dépasser leur fonction initiale de conseil aux particuliers pour endosser un rôle plus actif en accompagnant les conseils syndicaux et en participant aux assemblées générales. Un nouveau métier est ainsi en train de se constituer. Les leaders rencontrés dans le cadre de la recherche soulignent tous l’importance de pouvoir disposer d’un conseil neutre, gratuit et adapté, tant pour construire leur projet que pour mobiliser l’ensemble des copropriétaires.

46Les collectivités locales occupent une position centrale dans la diffusion et la structuration de ces expérimentations. À la suite des dispositifs pionniers portés par la ville de Paris et la métropole grenobloise, 17 ALEC mènent aujourd’hui des actions d’accompagnement ciblées vers les copropriétés sur les 32 ALEC existant au niveau national. L’échelle locale et la proximité sont d’ailleurs des atouts fondamentaux de ces accompagnateurs associatifs qui contribuent à l’émergence de nouveaux leaders par leurs actions traditionnelles de sensibilisation et la valorisation de retours d’expérience. Ils encouragent aussi ces leaders sur le temps long en facilitant leurs apprentissages techniques, juridiques et économiques et en favorisant la promotion de leurs démarches à travers des évènements médiatiques et institutionnels (Brisepierre, 2011).

47Ces accompagnateurs associatifs participent aussi activement à la production et à la diffusion d’outils méthodologiques innovants issus de leur propre expérience de terrain ou d’autres acteurs investis concrètement dans la transition énergétique des copropriétés. C’est le cas par exemple du Bilan Énergétique Simplifié (BES) créé par l’ARC. Le BES est un outil d’autodiagnostic qui apprend aux copropriétaires à exploiter les factures d’énergie de leur copropriété pour évaluer la consommation de chauffage collectif de leur immeuble. Il se présente sous la forme d’un livret explicatif et d’un tableur Excel accessible en ligne. Grâce aux explications des relevés et des calculs à réaliser, les copropriétaires peuvent suivre leurs consommations collectives sur plusieurs années et situer la performance énergétique de leur copropriété par rapport aux autres immeubles de mêmes caractéristiques. Le « BES » a été repris par l’ensemble des conseillers spécialisés dans l’accompagnement des copropriétés au sein des ALEC et des EIE.

48Cependant, si cet outil favorise bien la mobilisation de nouvelles figures au sein des copropriétés et permet la montée en compétences de copropriétaires profanes, il ne reste accessible qu’à un certain profil de copropriétaires souvent déjà porteurs d’un bagage technique. Il opère donc une certaine sélection parmi les leaders potentiels (Brisepierre, 2011) et peut aussi consolider la position d’un leader technicien isolé qui sera identifié comme référent pour les professionnels spécialisés, mais ne sera pas forcément en mesure de retraduire les enjeux techniques auprès de l’ensemble des copropriétaires. Face à ces limites et pour éviter les situations de « leaders-écrans », l’ARC et l’association Planète Copropriété ont élargi leur approche et ont élaboré un autre d’outil d’autodiagnostic – le Bilan Initial de Copropriété (BIC) – visant cette fois à mobiliser une équipe de « leaders » sur les différentes dimensions de la copropriété : les consommations énergétiques, la maîtrise des charges dans leur ensemble, la situation financière, les autres problèmes techniques, les fonctionnements et dysfonctionnements des instances de gestion (syndic, conseil syndical, assemblée générale). À travers des fiches d’évaluation thématiques très simples, le BIC permet au conseil syndical d’avoir une vue d’ensemble de sa copropriété, d’identifier ses points forts et ses points faibles et de construire un plan d’action adapté à sa situation spécifique. Le BIC parvient ainsi à consolider le conseil syndical dans son rôle de maître d’ouvrage et de commanditaire. Il aide l’équipe à se constituer comme interlocuteur pertinent des intervenants experts, tout en conservant son rôle de représentation et de traduction des intérêts des copropriétaires.

49Trois nouveaux sites Internet dédiés aux copropriétaires témoignent également de cette production d’outils et des collaborations qui se créent au sein du processus social d’innovation qui se tisse autour de la transition énergétique des copropriétés20. Ces supports d’accompagnement ont jusqu’à présent principalement concerné la vulgarisation des savoirs-experts, les auto-bilans et la méthodologie de projet. La recherche-action sur les leaders énergétiques va compléter cette boîte à outils en élaborant un « guide de la mobilisation » centré sur la communication et l’action collective21.

Conclusion

50L’exemple des copropriétés questionne les catégories d’action publique de la politique de maîtrise de l’énergie. L’engagement des copropriétés dans une rénovation énergétique ne repose pas sur la somme de décisions individuelles rationnelles motivées par un calcul économique ou une adhésion aux bienfaits des innovations techniques, mais sur la création d’actions collectives inédites au sein et autour de la copropriété. Dans les copropriétés, ces changements collectifs sont impulsés et portés par des copropriétaires « leaders » qui parviennent à incarner l’intérêt commun de la copropriété et à « traduire » les enjeux techniques et financiers en les resituant notamment dans des logiques patrimoniales et résidentielles auxquelles les copropriétaires sont plus sensibles. La réussite et la consolidation de ces démarches reposent aussi sur l’apparition de nouveaux acteurs, les accompagnateurs associatifs, qui jouent également le rôle de traducteurs entre la copropriété et les réseaux professionnels et institutionnels.

51La transition énergétique dans les copropriétés passe donc moins par les injonctions nationales faisant la promotion de solutions techniques standardisées ou proposant des incitations financières individuelles, que par des démarches de proximité qui composent avec les singularités et les synergies locales et renouvellent les pratiques professionnelles et institutionnelles au contact du terrain. C’est à travers ces collaborations inédites que se diffusent et se consolident les expériences innovantes. Les dispositifs financiers et incitatifs nationaux gagneraient en efficacité en s’inscrivant dans ces collaborations et en s’inspirant de ces retours d’expérience. En privilégiant notamment l’échelle collective de la copropriété, plutôt que celle, individuelle, du ménage, les aides pourraient améliorer la gouvernance des copropriétés, faciliter l’action collective et avoir véritablement un effet sur la décision de travaux.