Pour une sociologie de la gouvernance politico-administrative interne des questions d’énergie-climat
p. 117-124
Texte intégral
1Les politiques locales de Maîtrise de la demande énergétique (MDE) ont connu un certain succès suite aux chocs pétroliers des années 1970. Mais c’est la prise de conscience du réchauffement climatique et de la responsabilité des choix énergétiques dans les émissions de gaz à effet de serre qui a remis cette thématique à l’agenda au cours des années 2000. Le « Paquet énergie-climat » européen de 20081, décliné par les politiques nationales2, impose la mise en place de stratégies territoriales et partenariales d’adaptation au changement climatique et d’atténuation de ses conséquences. L’énergie est au cœur de cette dynamique climatique, qui tend à impacter l’ensemble des politiques publiques déclinées sur le territoire. Ainsi, l’on constate un rapprochement récent de la thématique énergie et des enjeux climatiques. Toutefois, la thématique énergie est inégalement prise en compte par les collectivités locales françaises (Zélem, 2007).
2Les Plans climat-énergie territoriaux (PCET) sont l’outil majeur de la prise en compte locale de ces questions. Ils doivent recenser les actions du territoire en faveur de l’énergie-climat, fixer des objectifs à atteindre et décliner un plan d’action transversal opérationnel. Le Grenelle de l’environnement l’impose à toutes les collectivités de plus de 50 000 habitants3. Actuellement en France, de nombreux PCET sont en cours d’élaboration, notamment en raison de la contrainte législative de lancer de tels plans avant le 31 décembre 2012. On constate cependant que beaucoup de communes ne se sont pas encore impliquées dans la rédaction de ces plans : seuls 70 % des collectivités locales concernées ont effectivement lancé un PCET4. Ceci nous amène à nous interroger sur les points de blocage vis-à-vis de cet outil et sur la manière dont il s’insère dans les politiques locales déjà existantes.
3Une hypothèse a priori serait que les collectivités qui n’ont pas encore élaboré de PCET sont celles qui ne se sont pas intéressées historiquement aux questions énergétiques. Nous constatons néanmoins qu’une partie de celles qui se sont impliquées sur l’énergie ont elles-mêmes des difficultés à engager ce travail. Les conditions locales de la mise en place de tels outils sont donc à interroger.
4Une étude minutieuse des systèmes d’action politico-administratifs locaux, de prise de décision, d’arbitrages budgétaires, nous renseigne sur les contours de la thématique énergie au sein de la collectivité et sur la capacité d’émergence d’une animation énergético-climatique transversale. Nous soulignons ainsi la nécessité de sortir d’une vision monolithique des collectivités territoriales pour comprendre la manière dont se construit la prise en charge de la question énergétique au niveau local.
5Comment les collectivités s’approprient-elles l’enjeu énergie-climat ? Comment parviennent-elles à mettre en place ces plans par nature transversaux ? Un certain nombre de conditions sont nécessaires à la mise en place au niveau local d’une animation énergétique et climatique transversale dans les collectivités territoriales. Pour démontrer cela, nous nous appuyons sur une série d’entretiens réalisés auprès d’acteurs diversifiés dans des villes françaises5 de taille moyenne considérées comme dynamiques sur les questions énergétiques : notamment Chelles, Grenoble, Metz, Montpellier6.
6Nous faisons l’hypothèse que les modes historique et politique de structuration de la question énergétique, selon les collectivités, impactent la possibilité d’un rapprochement entre les thématiques énergie et climat et l’animation locale d’un PCET efficient. La logique énergie-climat véhiculée par les PCET doit être interrogée selon l’exigence de transversalité qui doit caractériser ces plans.
Quels contours de la thématique énergie-climat au sein des collectivités locales ?
7La question énergétique au niveau local a historiquement été prise en charge après les chocs pétroliers par des services techniques visant au contrôle des consommations d’énergie, avec comme objectif sous-jacent la réduction des coûts. Pourtant ce n’est généralement pas au sein de ces services historiques que sont actuellement pris en charge les PCET. La notion d’énergie-climat doit être dénaturalisée à l’aune de la structuration historique des services. Cette structuration préalable pèse sur les possibilités de mettre en place des PCET.
L’approche de la thématique énergie est historiquement une question de coûts
8Le développement de la prise en compte de la dimension énergétique dans les politiques publiques locales se fait sur le temps long. Les reconfigurations structurelles suite aux chocs pétroliers à la fin des années 1970 conduisent à une prise de conscience des enjeux de dépendance géopolitique et de coûts liés à la consommation énergétique. Des politiques liées au contrôle des consommations et des coûts énergétiques sont développées au niveau national et se répercutent au niveau local (Pautard, 2007). L’un des acteurs majeurs de ces programmes d’actions est alors l’Agence Française de la Maîtrise de l’Énergie (AFME).
9Au sein des collectivités locales étudiées, on retrouve le développement de services techniques municipaux destinés à prendre en charge cette question de la MDE. À Montpellier, une délégation politique et un service technique sont créés dès le début des années 1980. La Direction énergie intègre une forte dimension technique avec une ingénierie performante de contrôle des consommations. Au fil des années, elle se renforce considérablement et élargit son champ d’action, notamment sur d’autres fluides (eau, gaz) mais aussi sur les moyens techniques (centrale d’achats et fournitures, parc automobile, télécoms). Ce service est actuellement rattaché à l’Adjoint au maire en charge de l’« économie des ressources et du patrimoine », allant dans le sens d’un objectif en termes de réduction des coûts de fonctionnement du patrimoine municipal.
10On retrouve cette même manière d’appréhender l’enjeu énergétique par les économies de fonctionnement dans d’autres collectivités : un poste de pilotage centralisé des chaudières des bâtiments municipaux est créé à Grenoble, géré par un Service énergie fortement structuré depuis lors. Metz crée au début des années 1980 une cellule Maîtrise de la gestion de l’énergie rattachée à la Direction générale des services techniques. Son objectif est d’articuler l’exploitation des installations, la maîtrise des investissements ainsi que la facturation. Cette cellule est aussi chargée d’assurer un rôle d’autorité concédante, particulièrement pour le réseau de chaleur alors géré par la Compagnie générale de chauffe. Cet intérêt pour la production de chaleur est également présent à Chelles, commune de Seine-et-Marne qui s’est impliquée dans le développement expérimental de la géothermie. L’idée politique était de proposer des solutions énergétiques alternatives (chauffage puis récemment cogénération) dans le contexte des chocs pétroliers. Cette politique expérimentale a été soutenue et subventionnée par la municipalité, malgré un certain nombre de difficultés liées à une technologie en maturation et au boom de l’électrique dans les années 1980.
11On retrouve dans ces quatre municipalités une mise à l’agenda de l’énergie par les coûts, avec une dimension très technique et des objectifs principalement internes au patrimoine communal. Des services sont créés, positionnés dans l’organigramme, avec un élu de référence. Cette structuration impacte la manière de concevoir les politiques énergétiques locales. Bien qu’ayant évolué sur leur rattachement politique ou l’étendue de leurs missions, ces services conservent une logique technique. Cette appropriation initiale de la question énergétique crée un sentier de dépendance et continue de structurer aujourd’hui la manière dont l’énergie est abordée dans ces collectivités.
L’émergence d’administrations orientées vers le développement durable, distinctes des services énergie
12L’accroissement des préoccupations environnementales, depuis les années 1960, débouche sur la structuration progressive de services Environnement au sein des collectivités, de la même manière que les services Énergie. Pendant la décennie 1990, la construction du concept de développement durable et de notions parallèles telles que la « ville durable », impacte de manière importante ces services, qui œuvrent en faveur d’une appropriation collective de cette notion (Boutaud, 2004). Les différents acteurs locaux s’inscrivent dans des politiques à vocation transversale telles que les Agendas 21, souvent portés par les intercommunalités en émergence, qui s’immiscent dans un certain nombre de politiques publiques (valorisation des déchets, politique de l’eau et des espaces verts, politiques coordonnées de transport, qualité de la construction, politiques sociales…). Dans les années 1990 puis 2000, on note une recrudescence des questions d’environnement dans les collectivités. La notion de développement durable vient réactiver les logiques environnementales des services (Plans verts, écologie urbaine, nature en ville). Si les services Énergie peuvent être présents dans la mise en œuvre de ces thématiques diverses, leur structuration technique et municipale les laisse quelque peu en marge de ces politiques fortement transversales et participatives. L’appropriation de la question du développement durable par les communes est ainsi moins le fait des services techniques Énergie que des services transversaux Environnement.
13Par ailleurs, dans la décennie 1990, l’intérêt croissant pour les émissions de gaz à effet de serre entraîne une mise à l’agenda progressive du climat aux différentes échelles de l’action publique. Après un temps de latence, l’intérêt pour l’énergie refait surface autour de l’enjeu climatique. En lien avec cette mise à l’agenda mondial, on note l’émergence d’acteurs locaux sur l’énergie. Se développent ainsi des réseaux de villes (Energie Cities, Amorce), qui militent pour l’appropriation locale des questions d’énergie et soutiennent avec l’ADEME le développement d’Agences locales de l’énergie et du climat (Poupeau, 2008 ; Godinot, 2011). C’est dans ce cadre qu’apparaît progressivement la jonction entre énergie et climat au travers du terme de plus en plus utilisé d’énergie-climat au cours des années 2000. Entre MDE technique, Agendas 21 participatifs et émergence de l’énergie-climat, l’exigence de toujours plus de transversalité se heurte aux structurations administratives et aux sentiers de dépendance.
14À Montpellier, la création d’un lien entre la Direction énergie et la thématique « climat » est délicate à mettre en place. La Direction énergie est réticente à modifier la structure opérationnelle actuelle. Elle revendique son opérationnalité (sa dotation d’un budget de fonctionnement et d’investissement, levier et clé de l’action technique et des capacités d’intervention des services), ses résultats en termes de limitation de la facture publique énergétique et parvient à se maintenir.
15À Metz comme à Chelles, on note que la prise en compte locale de l’enjeu développement durable via des Agendas 21 s’est faite avant celle du climat. Ainsi, à Metz, un chargé de mission est recruté au début des années 2000. Il a en charge des processus de certification et étend progressivement ses activités à la mise en place d’un Agenda 21. Initialement positionné au sein de la Direction environnement qui comprend l’ancienne cellule de MDE, il constitue en 2008 le cœur de la Mission développement durable à vocation transversale. À Chelles, le développement durable, sous une acception large s’appliquant à des thématiques telles que la culture, la participation citoyenne ou l’urbanisme, est l’un des piliers du nouveau projet communautaire en 2004, au travers notamment d’un Agenda 21. L’intégration de l’énergie se fait ensuite, très progressivement : d’une part via le développement d’une communication large sur la géothermie (revalorisée comme politique innovante grâce à l’évolution du paradigme énergétique), puis via la mise en place d’un Espace info-énergie, proposé dans le cadre de l’Agenda 21.
16À Grenoble, la politique énergétique des années du choc pétrolier est réinvestie par la coalition PS-Verts qui obtient la majorité aux élections municipales de 1995. Une politique axée sur la maîtrise de l’énergie dans le patrimoine communal est relancée, articulée au passage au bois dans le mix énergétique du chauffage urbain. Le Service énergie est en charge de cette action. À cette implication toujours très tournée sur la maîtrise de l’énergie s’ajoute lors du mandat suivant (2001-2008) une politique de développement urbain durable avec la mise en place d’éco-quartiers.
17L’émergence successive des notions de MDE puis de développement durable et d’énergie-climat structure progressivement une action publique locale au gré des mises à l’agenda et des manières de penser les thématiques.
Quelle jonction avec le climat ? Les PCET ne sont pas mis en place par les Services énergie
18C’est dans ces structurations politico-administratives complexes que l’outil PCET est imposé par la loi Grenelle 2. Pour que la loi soit appliquée, il faut une saisine par un acteur au sein de la commune (élu ou administratif) puis la construction d’un argumentaire pour convaincre les décideurs de la commune (Conseil municipal). Bien souvent, ce sont les services ou missions en charge des enjeux de développement durable qui se sont emparés de la mise en place de l’outil PCET, et non les services techniques en charge de l’énergie.
19À Montpellier (ville), la Direction énergie a considéré que la mise en place d’un PCET relevait d’autres compétences que les siennes. Il s’agit, selon elle, d’un travail d’éveil des consciences et d’incitation au développement durable. Le PCET doit être conduit par un professionnel de l’animation, recruté à ce titre et capable de construire un dispositif large de gouvernance et de concertation. La différenciation entre les fonctions d’animateur de plan climat, de technicien thermicien et de technicien économe de flux est clairement revendiquée. Cette résistance marque la persistance d’une dichotomie entre politiques historiques de MDE et politiques nouvelles de développement durable.
20À Chelles comme à Metz, l’outil PCET conduit à des questionnements sur l’articulation avec l’Agenda 21 déjà en place, dynamique et participatif. Entre un PCET, prioritairement centré sur les thématiques de l’énergie et des émissions de gaz à effet de serre, et un Agenda 21, plus large et axé sur le développement durable, la question des recoupements et de la conciliation se pose. Il a été choisi d’intégrer le Plan climat à l’Agenda 21, en en faisant le « volet climat de l’Agenda 21 ». Les acteurs en charge du PCET sont ainsi les mêmes que ceux de l’Agenda 21 : la mission développement durable.
21Grenoble fait exception à cette dissociation. En effet, le Pôle climat énergie environnement appartenant à la Direction environnement qui comprend aussi le Service énergie, se charge de la mise en place du PCET. Ce Pôle est relativement proche du Service énergie et son historique est plus lié à l’énergie qu’au développement durable.
Dénaturaliser la jonction énergie-climat
22La loi Grenelle 2 de 2010 impacte l’approche cumulative et itérative de la thématique énergie au niveau local, dans le sens où elle exige la mise en place de plans locaux liant les thématiques énergie et climat selon une logique transversale. Le rapprochement entre les deux notions d’énergie et climat doit être réinterrogé au regard des expériences locales. Si la notion d’énergie-climat est actuellement dominante, elle ne semble pas toujours rendre compte des structurations administratives réelles. On observe dans les communes étudiées que le climat s’inscrit davantage dans des services déjà impliqués sur le développement durable que dans les services énergie.
Le fonctionnement politico-administratif local interroge la réalité de la transversalité des PCET
23Si l’énergie-climat se retrouve peu dans la structuration administrative, comment les collectivités parviennent-elles à imposer cette transversalité inhérente aux PCET ? Ces plans doivent impliquer un maximum de parties prenantes, qui s’engagent autour d’objectifs quantifiés et datés de réduction des émissions de gaz à effet de serre, d’économie d’énergie et de production d’énergies renouvelables sur le territoire7. Se pose la question de la légitimation politique et technique de ce plan censé s’imposer de manière transversale à toutes les politiques thématiques territoriales, et celle de l’accès aux financements (rapport de force budgétaire) de la thématique énergie-climat dans un contexte contraint. La réussite du PCET dépend ainsi d’un certain nombre d’éléments complémentaires : le poids dans la collectivité du responsable politique, le niveau de priorisation de son mandat parmi les différentes politiques publiques, les stratégies politico-administratives déployées pour l’accès à ces ressources et la mise en place d’une certaine transversalité interne. La structuration politico-administrative fixe là aussi le cadre et les conditions de mise en place de la politique.
Portage politique, concurrence entre élus locaux
24La question du portage politique est primordiale. L’élu local en charge du PCET a un rôle fondamental de défense de l’énergie-climat au niveau du Conseil8. Une des principales contraintes est l’obtention d’un financement inscrit dans la durée pour les actions décidées dans le cadre du PCET, dans un contexte concurrentiel de lutte pour l’accès aux ressources financières entre les différentes thématiques de l’action publique. Dans un contexte de rareté de la ressource, chacun des Adjoints au Maire, tous représentants de l’intérêt général, recherche l’arbitrage et les orientations budgétaires en sa faveur (Borraz, 1995). Cette priorisation se fait au détriment des autres politiques thématiques. Plusieurs éléments nous renseignent sur l’accès à la décision :
- La position de l’Adjoint dans l’ordre protocolaire donne une indication de l’importance de sa délégation dans le projet de mandat. L’Adjoint au développement durable est souvent positionné en 14e ou 15e position dans cet ordre. Cette thématique est parfois davantage prioritaire dans le cadre des intercommunalités où le Vice-président peut être situé à la 3e ou 4e position.
- Le soutien du Maire/Président (ainsi que celui de l’Adjoint aux finances, fréquemment) est essentiel à solliciter du fait de son pouvoir d’arbitrage. Sa sensibilité aux enjeux de l’énergie-climat peut faire basculer la décision. L’inscription d’un engagement en faveur de l’énergie-climat dans le programme électoral est souvent le meilleur moyen d’obtenir son soutien.
25Les situations sont très différentes selon les municipalités. À Grenoble, depuis 2008, l’Adjoint au développement durable est très fortement impliqué dans la valorisation du PCET de Grenoble. Bien qu’il ne soit que 21e adjoint, il a été Directeur général des services de 2001 à 2008 et dispose d’un accès important au Maire. À Metz ou à Montpellier, les Adjoints en charge du PCET ne sont pas du même parti que le maire PS (Vert pour Metz, Modem pour Montpellier). L’accès aux priorités municipales et la légitimité pour conduire une politique transversale sont plus délicats à obtenir et doivent passer par le déploiement de stratégies locales et de jeux d’alliances avec les autres adjoints.
Jeux d’alliances politiques et force de conviction de l’élu
26Au sein du microcosme politique, la délégation au PCET s’avère être un poste complexe, car sa dimension transversale impose de s’immiscer dans les politiques thématiques et de « mettre son grain de sel » énergético-climatique là où il manque. La seule dimension de transversalité n’est pas suffisante pour créer une émulation satisfaisante sur l’énergie-climat ; les objectifs doivent être intégrés, relayés par l’ensemble des acteurs thématiques où la dimension énergétique est présente (urbanisme, transports, développement économique, etc.). L’élu doit entrer dans le jeu complexe et subtil de la négociation politique afin de construire des alliances en sa faveur et de convaincre le Conseil de soutenir ses propositions. Ainsi, son réseau de soutien (affinités personnelles, appartenance à un groupe politique) donne la mesure de ses capacités à mettre en place des alliances ponctuelles ou durables sur les dossiers discutés au Conseil.
27Un aspect marquant dans les discours des acteurs chargés de la mise en œuvre de PCET interrogés est l’omniprésence de la notion de conviction. La réduction des émissions de gaz à effet de serre ou les questions d’efficacité énergétique sont ainsi considérées comme une forme d’engagement personnel pour lequel on s’est tout d’abord « converti » (Poupeau, 2008), convaincu de la nécessité de militer dans ce sens. Ce sont ainsi les convictions intimes qui entrent en jeu, ce qui marque une particularité de ce domaine. Ainsi, c’est souvent sur une logique militante que les élus en charge des politiques énergético-climatiques doivent intervenir, affrontant politiquement une série d’élus ou de techniciens « non-convaincus » qui priorisent logiquement leurs propres thématiques. Si l’on peut valoriser la dimension « diplomatique » de ce genre d’activité, sa complexité et son exigence en font un poste exposé, facilement critiqué (trop cher, trop vert). Le travail de l’élu responsable du PCET s’élabore avec son service, afin de mettre en place un argumentaire solide de manière à orienter dans son sens les décisions du Conseil.
Quels appuis techniques et logistiques ?
28Les services administratifs assurent la mise en place de l’animation territoriale externe des PCET. Mais une part non négligeable de leur travail est d’encourager la prise en compte interne, par les différents services, des engagements sur l’énergie-climat. Ne serait-ce que sur la mise en place du volet interne du PCET, qui doit légitimer par son exemplarité l’engagement de l’acteur public vis-à-vis des partenaires.
29Les engagements des référents politiques s’appliquent dans une certaine mesure aux différents services techniques. Mais ce n’est souvent pas suffisant pour obtenir une réelle implication de services déjà débordés par leurs propres problématiques. Il est nécessaire de poser la question de la légitimité technique donnée par l’institution à la thématique énergie-climat :
- La position du service dans l’organigramme donne une première indication de la capacité du service à imposer ses thématiques : une Mission développement durable proche de la Direction générale des services aura la possibilité de proposer des projets internes, à condition d’être soutenue explicitement par le Directeur Général des Services ; a contrario, un service PCET au sein d’une Direction technique aura du mal à animer des projets ou des groupes de travail transversaux. À Montpellier, la légitimité technique de la Direction Énergie est reconnue sur la question de la MDE : fonctionnement autonome, bons résultats financiers. En revanche, cette direction ne se sent pas légitime en ce qui concerne l’animation d’un PCET, qui requiert selon elle des compétences d’animation d’une démarche projet, liée à la notion transversale de développement durable.
- Cet argumentaire renvoie aux compétences requises pour mettre en place un PCET effectivement transversal et efficient. Les chargés de mission PCET, souvent jeunes diplômés, sont très fréquemment recrutés contractuellement pour la mise en place de ces dispositifs. Ils sont ainsi peu au fait de l’historique politique local, des rapports de forces politiques et administratifs (la « cuisine ») spécifiques à la collectivité locale. Leur statut précaire ou peu expérimenté limite de fait les possibilités de mettre en place de manière efficiente la politique transversale et complexe qu’est un PCET. Afin d’éviter un conflit entre dispositifs de politiques publiques, Chelles a recruté son chargé de mission PCET via son Espace Info Énergie, dans le cadre du volet énergie de l’Agenda 21. Ce poste bénéficiera ainsi de l’assise d’une démarche déjà avancée.
30Ces éléments ne sont toutefois pas suffisants pour expliquer la complexité de la mise en œuvre d’une démarche transversale. L’animation du PCET se heurte à la difficulté pour la mission de développer un intérêt pour les questions énergie-climat/développement durable au sein des directions thématiques. Une part de celles-ci peut se contenter de confier à la mission le volet développement durable d’un appel d’offres ou d’un règlement, avec charge à la mission d’y injecter une part de « vert ». L’intervention, le plus en amont possible dans les projets, de chaque thématique est un idéal à atteindre pour ces missions chargées de dispositifs transversaux, ne disposant que d’un budget très réduit d’animation.
Complémentarité politico-administrative
31Tout particulièrement, dans une logique d’action transversale telle que celle qui sous-tend les PCET, un travail croisé entre le domaine politique et le domaine technique nous apparaît une condition indispensable de succès. Des stratégies politico-administratives sont ainsi mises en place par l’élu et ses collaborateurs pour tenter d’obtenir des arbitrages politiques favorables. Une complémentarité d’action, structurée en système impliquant le tandem élu-fonctionnaire, est primordiale dans certains moments clés de la construction de la politique énergético-climatique lorsque les dynamiques de changement sont les plus importantes.
32L’efficacité du système d’action peut être illustrée à travers le fait que les services permettent d’avancer les dossiers énergie-climat au sein de l’administration, ceci même dans le cas où des blocages politiques limitent le dialogue entre élus. Le travail réalisé par Roseline Hsieh dans la Ville de Besançon a mis en évidence la construction croisée de la politique énergétique de la ville portée par le « tandem » composé du 14e Adjoint à l’environnement, développement durable, maîtrise de l’énergie (Vert) et de la Direction énergie de la ville. Le travail de sensibilisation aux thématiques d’énergie-climat, de synthèse entre les approches de MDE dans les bâtiments et de transversalité permet de donner corps au PCET et aux engagements de la collectivité. La « volonté de travailler ensemble » et la solidarité du système d’action permettent d’infléchir l’environnement politico-administratif (Hsieh, 2008).
33À Grenoble, le PCET est au cœur de la communication politique municipale du fait du soutien affirmé du Maire et du portage politique fort de l’Adjoint au développement durable. Celui-ci anime, avec le Pôle climat énergie environnement, un groupe de pilotage composé d’élus qui se réunit tous les mois pour suivre l’avancement du PCET (y sont principalement présents les Adjoints chargés du développement durable, de l’urbanisme, des déplacements, du logement et de l’habitat). Selon les sujets, s’y ajoutent d’autres élus ou des services. Ce groupe de suivi n’a pas de pouvoir de décision formel, cependant il a un poids politique important, avec une vraie force de coordination. Les décisions qui y sont prises sont ensuite validées dans les instances de décision formelles. Le fait que les élus rapportent directement permet de les impliquer et de mettre en œuvre la logique de transversalité des objectifs fixés dans le plan, en coordonnant les dimensions de MDE interne et d’éco-quartiers qui se sont développées dans les services.
Intercommunalité et liens entre les échelles de gouvernance
34Un point de blocage identifié sur la conduite des PCET concerne les échelles de gouvernance et le fait que plusieurs PCET sont élaborés sur le même territoire, mais ne sont pas connectés entre eux (Chanard 2011). De manière fréquente, ces maillons politico-administratifs en formation, dont les fonctionnements sont moins inscrits dans la durée, ont investi ce type de politique transversale avant les villes-centres et cherchent à mettre en place des plans d’action. C’est le cas à Montpellier, Metz et Grenoble9.
35Chercher des alliances politiques pour construire une intelligence transversale des PCET à différents niveaux d’application peut s’avérer porteur pour les élus locaux. Les intercommunalités bénéficient de transferts de compétences de plus en plus nombreux de la part des communes ; de nombreux élus investissent ce niveau décisionnel ; la pression des villes périphériques modifie de manière importante les processus de prise de décision. On note ainsi que les PCET reposent la question de la conflictualité centre/périphérie et remettent en cause les systèmes d’action en place et la répartition des rôles sur le territoire. Les PCET et les politiques énergie-climat, nouveaux venus dans l’action publique, peuvent intervenir comme des vecteurs de légitimation et de positionnement des EPCI (établissements publics de coopération intercommunale) sur les territoires, instrumentalisés par des élus cherchant à se positionner dans le champ de l’action publique. Ainsi, même si les politiques poursuivies par les deux entités (commune et EPCI) ne sont pas les mêmes, le fait de prôner une convergence des logiques d’action peut se révéler porteur. Occuper une double position d’Adjoint au Maire et de Vice-Président de l’Intercommunalité (cumul de mandats) peut éventuellement donner des ressources intéressantes pour valoriser sa thématique.
Injecter de la transversalité et de l’énergie-climat : l’intervention d’organismes externes
36Une stratégie permettant la sensibilisation progressive ou la reconnaissance mutuelle des parties prenantes de l’énergie-climat prend fréquemment la forme d’une intervention tierce, qui permet de dépasser les éventuels blocages politiques ou techniques locaux. Il peut s’agir d’appels d’offres européens ou nationaux ou de la mise en place d’associations locales chargées d’expérimentations sur le territoire.
37Les élus et services cherchent à engager la responsabilité de leurs Conseils sur des programmes ou des associations d’échelle européenne (Convention des Maires, European Energy Award, Energy Cities, ICLEI…) ou nationale (ADEME, PUCA…). Ces appels d’offres, fortement valorisés dans les schémas actuels de gouvernance, leur permettent à la fois de mobiliser des fonds sur la thématique de l’énergie et d’engager la responsabilité de la collectivité sur des questionnements liés à l’énergie-climat. On observe ainsi une implication conjointe des communes et intercommunalités dans des projets européens comme Concerto (Grenoble) ou nationaux comme EcoCité (Grenoble et Metz).
38Des associations telles que les Agences locales de l’énergie et du climat (ALEC) ou les Espaces Info-Énergie (E.I.E.) peuvent intervenir en parallèle ou en complément de l’action de la collectivité pour soutenir les actions du PCET. Le développement des ALEC dans les années 2000, soutenu par l’Union Européenne, a contribué à mettre à l’agenda local la problématique du lien entre réchauffement climatique et comportements énergétiques. La mise en place des E.I.E. sur les territoires par l’ADEME, en collaboration avec les différentes collectivités, permet de publiciser les problématiques énergétiques auprès des particuliers et participe à la diffusion de ces thématiques dans l’opinion publique.
39À Montpellier, la création d’une ALEC a permis de commencer le travail de mobilisation des partenaires territoriaux en vue de l’élaboration du PCET. Récemment, Montpellier est devenu lauréat d’un appel d’offres ADEME pour la mise en place d’un PCET en cohérence entre la ville centre et l’agglomération, ce qui lui permettra de construire son propre PCET comme le plan d’action municipal du PCET intercommunal et de dépasser le blocage actuel sur cette question. À Chelles, l’E.I.E. a produit un travail d’étude et de consultation préalable à la construction du PCET, afin d’amener progressivement à un plan intégrant la dimension énergie-climat dans la logique développement durable qui prévalait jusqu’alors.
40Ces dispositifs ou associations locales, parallèles aux services municipaux, peuvent permettre de sortir des logiques sectorielles et induire de la transversalité. Plus autonomes que les services ils peuvent disposer de marges de manœuvre plus amples que celles de l’administration. Très liés au politique, ils peuvent engager des travaux expérimentaux sur ces thématiques, ensuite reprises par les services une fois stabilisées (Poupeau, 2008). Ces structures sont toutefois limitées en termes de légitimité. Moins proches de la décision que les services, elles n’ont pas d’accès directs au fonctionnement interne de l’institution. Elles peuvent peiner à légitimer leur expertise tierce vis-à-vis des services techniques. Les associations ont besoin à un moment donné d’être légitimées par l’administration et le politique.
Conclusion
41Nous avons cherché, à travers l’ensemble de ces éléments, à montrer les conditions de mise en œuvre de politiques énergie-climat transversales au niveau local, dont l’un des points cruciaux est la structuration préalable de la thématique énergétique dans les appareils locaux.
42La mise à l’agenda national et européen de la notion d’énergie-climat réinterroge l’approche historiquement technique de l’énergie dans les collectivités locales. La thématique énergie-climat véhicule en effet une logique politique différente, qui vise à imposer des éléments de l’écologie politique à l’ensemble des thématiques de l’action publique traditionnelle. Les Plans Climat-Energie Territoriaux, qui doivent être déployés dans les collectivités, apparaissent ainsi comme les vecteurs de la politisation des enjeux énergétiques, potentiellement concurrentiels par rapport aux thématiques préexistantes de l’action publique.
43Au niveau administratif, les services techniques Énergie ne sont généralement pas saisis de la mise en œuvre des PCET, davantage appropriés par des services Développement durable plus politiques, qui cherchent à déployer une action transversale. Cette dichotomie entre la technicité de l’énergie et l’ambition de sa mise en œuvre transversale est une problématique omniprésente dans les collectivités.
44Au niveau politique, les élus traditionnellement impliqués sur les démarches de planification entendent difficilement l’irruption de la thématique énergie-climat dans les champs de la construction, des transports ou des finances. La place nouvelle que l’énergie doit intégrer dans la planification en fait un sujet que les Conseils municipaux ont du mal à appréhender. Cela renvoie à la difficulté d’investir politiquement une thématique construite techniquement.
45Nous avons ainsi souligné les points de blocages et les solutions mises en œuvre par les acteurs politico-administratifs pour peu à peu imposer localement le sujet énergético-climatique et gagner en transversalité. Des stratégies politico-administratives fortement volontaristes sont la condition sine qua non pour infléchir les rapports de force et décider du rapprochement entre énergie et climat, ainsi dénaturalisé. La structuration thématique de l’administration locale n’est pas insurmontable, mais l’ambition de la transversalité est conditionnée par une série d’éléments locaux, historiques, politiques, sociologiques qu’il est nécessaire de prendre en compte.
Notes de bas de page
1 Sur proposition de la Commission Européenne, le Conseil Européen et le Parlement Européen ont validé les objectifs européens du 3 x 20 : d’ici 2020, il s’agit de réduire de 20 % les émissions de gaz à effet de serre, d’améliorer de 20 % l’efficacité énergétique et d’atteindre une part de 20 % d’énergies renouvelables dans la consommation d’énergie.
2 En France, l’objectif fixé est de diviser par quatre les émissions de gaz à effet de serre d’ici 2050. La loi Grenelle 2 du 16 décembre 2010 est présentée comme un jalon dans la réalisation de cet objectif.
3 Article L229-26 du Code de l’environnement, créé par l’article 75 de la loi Grenelle 2.
4 Au 30/09/2012, l’ADEME recensait 458 démarches PCET dont 34 % en phase de construction du plan d’action et 36 % en phase de mise en œuvre. Actes du 2e colloque national Plans climat énergie territoriaux, Nantes, 9-10 octobre 2012.
5 Pour simplifier notre propos, nous centrerons notre regard principalement sur l’échelle communale. La question de l’articulation des compétences entre échelles de gouvernance (doublons, transferts de compétences entre Villes-centres et EPCI dans un contexte de transition) ne sera traitée que marginalement. Nous renvoyons sur cette question à la thèse de géographie de Camille Chanard en 2011.
6 Ces entretiens ont été menés entre avril 2010 et mai 2012 dans le cadre d’une thèse en cours de rédaction sous la direction de Sylvy Jaglin et François-Mathieu Poupeau, ainsi que de plusieurs contrats de recherche au LATTS sous la direction de François-Mathieu Poupeau et Jonathan Rutherford : Composite (Ademe), Gouvenus ; et au CSTB sous la direction de Lydie Laigle : Aspect 2050 (ANR).
7 Les PCET véhiculent un double enjeu en termes d’implication des parties prenantes : un volet externe, celui de la mobilisation puis de l’animation des partenaires territoriaux signataires de la charte d’engagement, enjeu qui renvoie à la problématique de la participation ; un volet interne, celui de la mobilisation des services administratifs et techniques et des responsables de politiques thématiques autour des objectifs fixés dans le plan. Nous nous penchons ici exclusivement sur cette dimension interne, politico-administrative, de la mise en place de la politique.
8 Nous utiliserons le terme Conseil (Municipal ou Communautaire) indifféremment pour caractériser l’instance de décision de la collectivité, de même pour la notion d’Adjoint qui recouvre celle de Vice-Président.
9 À Chelles comme à Mulhouse, cette question ne se pose pas dans la mesure où les services de la municipalité et de la communauté d’agglomération ont été mutualisés, de même que les grands plans transversaux.
Auteurs
Politiste. Il a travaillé comme chargé d’étude au LATTS (Laboratoire Techniques, Territoires et Sociétés, Université Paris-Est) et au CSTB (Centre Scientifique et Technique du Bâtiment). Ses recherches ont porté notamment sur les pratiques des élus et des administrations locales dans la mise en place des politiques énergétiques territoriales. Doctorant en sociologie au LATTS, il travaille sur les conséquences professionnelles de la réforme de l’administration de l’État, dans les domaines des politiques sociales et d’énergie.
Doctorante en sociologie et urbanisme au LATTS (Laboratoire Techniques, Territoires et Sociétés, Université Paris-Est) sous la direction de Sylvy Jaglin et de François-Mathieu Poupeau. Elle analyse l’évolution du positionnement des entreprises locales de distribution d’énergie en France au regard de l’ouverture des marchés et de la mise à l’agenda croissante de la transition énergétique. Ceci lui permet d’appréhender la construction progressive des gouvernances énergétiques urbaines au travers des interactions entre les différents acteurs de l’énergie.
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